Mardi 13 avril 2021

Étude sur le logement dans les outre-mer - Table ronde sur la situation du logement à La Réunion

- Présidence de Mme Annick Petrus, vice-présidente -

Mme Annick Petrus, présidente. - Chers collègues, dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer dont les rapporteurs sont Victorin Lurel, Micheline Jacques et Guillaume Gontard, la délégation sénatoriale aux outre-mer organise cette après-midi une table ronde dédiée à la situation du logement à La Réunion. Le président Stéphane Artano, actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, et malheureusement retenu aujourd'hui par des obligations, vous prie de bien vouloir l'excuser ainsi que notre collègue Nassimah Dindar, ne pourra se joindre à nous pour raisons de santé. Elle a néanmoins souhaité transmettre une contribution aux rapporteurs pour nourrir leurs réflexions.

Nous vous remercions vivement d'avoir accepté de participer à cette importante table ronde qui concerne le département d'outre-mer le plus peuplé et où les besoins quantitatifs de logement restent considérables, tant dans le secteur du logement social que dans celui du logement intermédiaire, malgré les évolutions que vous pourrez nous préciser.

Pour échanger avec les rapporteurs, une trame indicative vous a été adressée. Si vous êtes d'accord, nous procéderons selon l'ordre suivant. En premier lieu, je donnerai la parole à M. Gilbert Annette, maire adjoint de Saint-Denis et délégué au logement qui remplace Mme Éricka Bareigts, retenu pour d'autres obligations, M. Jérôme Bodino, directeur général de la Société publique locale Avenir Réunion, M. Jean-Louis Grandvaux, directeur général de l'Établissement public foncier de La Réunion, M. Érick Fontaine, administrateur de la Confédération nationale du logement (CNL). Après cette première série d'interventions, les rapporteurs pourront demander des précisions complémentaires et les trois invités répondront. Dans un second temps, s'exprimeront nos trois autres intervenants, M. Jacques Durand, directeur général de la SIDR et président de l'ARMOS, M. Denis Chidaine, délégué de l'Association des maîtres d'ouvrage sociaux (ARMOS) océan Indien et M. Gilles Tardy, directeur général de la Société anonyme d'habitations à loyer modéré de La Réunion (SHLMR). Comme précédemment les rapporteurs reprendront la parole pour des éclairages complémentaires. Enfin, les autres sénateurs présents pourront également prendre la parole et échanger avec les intervenants.

Nous espérons que ces interventions nous permettront d'avoir une vision synthétique de la situation dans cette collectivité, que vous pourrez compléter par la suite avec vos réponses écrites. Cette séance fait l'objet d'une captation vidéo pour être retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.

M. Gilbert Annette, maire adjoint de Saint-Denis et délégué au logement. - La Réunion rencontre des difficultés à répondre aux besoins de logement de ses habitants. Derrière cette absence de réponses satisfaisantes, des tensions sociales laissent présager une dégradation de la situation dans certains quartiers, du fait même de la surpopulation dans les logements. Cette surpopulation est sans doute une cause majeure de l'échec scolaire, alors même que nous avons fait des efforts colossaux en matière d'éducation. Un deuxième point à souligner est la ghettoïsation de certains quartiers, avec des tensions très fortes.

L'origine du problème de logement à La Réunion réside dans la rareté et le coût du foncier. Je me permets de rappeler une proposition faite par le Président Larcher, alors président de la commission des affaires économiques, sur la possibilité de transformer les terrains constructibles bon marché et les mettre à disposition des collectivités. Cette proposition inspirée des Pays-Bas et du Danemark n'a pas abouti. Le foncier est un élément pénalisant dans ce contexte d'augmentation de la population et du nombre de ménages. Dans cette équation, les projets ont du mal à voir le jour.

Par ailleurs, je souhaite porter à votre attention l'inadéquation entre les réglementations et le mode de vie réunionnais. En effet, ces normes d'habitabilité en vigueur (nombre de personnes par pièce par exemple) sont incohérentes avec un mode de vie ouvert vers l'extérieur. Transposer les normes métropolitaines à l'habitat de La Réunion est une contrainte pénalisante évidente qui surenchérit les logements et les loyers. Ce point doit faire l'objet d'un approfondissement. Il est impératif de réviser et d'assouplir ces normes pour attribuer plus facilement des logements aux familles.

Depuis une dizaine d'années, de gros efforts ont été menés pour faciliter la construction de logements sociaux. Cependant, compte tenu de l'âge du parc et des plaintes des locataires, l'heure est aujourd'hui à la réhabilitation.

Le problème de fond demeure la compatibilité du loyer avec le pouvoir d'achat des familles. Ce département est marqué par la pauvreté des habitants avec 40 % de la population en dessous du seuil de pauvreté et un taux de chômage massif. Au vu des conditions économiques, il serait pertinent d'adapter un modèle pour rendre les loyers acceptables pour ces familles et ainsi répondre aux besoins de logement. Les efforts sont continus depuis ces dix dernières années. Même si des logements sont encore considérés comme habitats insalubres, les bidonvilles ont toutefois été éradiqués.

Pour terminer mon propos, je dirais que l'amélioration des conditions de vie et la maîtrise des loyers sont des dossiers majeurs de politique publique.

M. Jean-Louis Grandvaux, directeur général de l'Établissement public foncier de La Réunion. - À La Réunion, la planification domine avec les SAR, SCoT, PLH et PLU. Tous ces plans se superposent et amènent au final de la confusion dans la mise en oeuvre. Cela devient contraignant et très technocratique. Ces documents sont constamment en révision et font perdre beaucoup de temps à la réalisation des projets. Plus de simplicité et de clarification seraient nécessaires à ce niveau.

Les récents regroupements des bailleurs sociaux ont provoqué des incertitudes avec un temps d'arrêt et un repli sur les ventes en l'état futur d'achèvement ou VEFA. Or une VEFA est avant tout du logement. Encore faut-il structurer la ville, prévoir des équipements publics, au risque d'entraîner des problèmes d'aménagement du territoire.

Nous constatons également que les volontés sont différentes en fonction des communes. Certaines estiment que le logement social, « c'est mieux chez les autres ». Il est important de prendre cet aspect en compte. À La Réunion, il n'est pas envisageable de construire sans les maires. Dans l'Hexagone, cela se conçoit aisément avec des EPCI très puissantes. La Réunion ne compte que 24 communes et 5 EPCI. Il faut vraiment trouver le moyen d'associer les maires à tous les niveaux de la construction de logement social. Ce sont eux qui donnent les permis, qui établissent les PLU et qui sont attentifs aux attributions. Sans les maires, il est impossible de faire du logement social.

J'attire votre attention sur la hausse des coûts de construction. Cette augmentation se répercute sur le coût de sortie des opérations avec une incidence directe sur les personnes aux revenus très limités. Il est primordial de trouver le moyen de maîtriser ces coûts de construction.

Par ailleurs, les perspectives démographiques sont à fiabiliser. Les études prévoyaient un million d'habitants en 2020. Nous ne sommes finalement que 860 000 avec des évolutions dans les ménages, des cohabitations, davantage de personnes âgées et de personnes seules, plus de familles nombreuses regroupées dans des petits logements. Tout cela est à prendre en compte pour des adaptations locales. Nous ne pouvons pas décliner la même politique de logement dans l'Hexagone et à La Réunion.

Je suis sévère sur le nombre de réglementations qui s'empilent, des délais administratifs bien trop longs, des contentieux qui se multiplient avec beaucoup trop d'intervenants dans la filière du logement. Nous avons tendance à ne plus savoir qui décide quoi, et il est finalement plus facile de protéger que de développer. La filière doit se remettre dans une dynamique de construction et de développement, car les attentes de la population sont nombreuses. Je ne pense pas que ce soit un problème de financement ni d'aide, mais surtout un problème de coordination et de volonté. Il faut trouver le moyen d'associer les maires qui vont les chevilles ouvrières de cette politique du logement.

En ce qui concerne la politique foncière, nous agissons pour le compte de toutes les collectivités de La Réunion, en associant l'État, les bailleurs sociaux, la SAFER. Aucun problème de financement n'est à déplorer dans notre structure. Nous bénéficions d'une trésorerie importante, d'un stock important de 350 hectares de terrain disponibles pour réaliser des opérations sur La Réunion. Toutefois ces terrains achetés à des prix maîtrisés (53 € le m2) ne sont pas aménagés. Les rendre opérationnels au plus vite représente un coût considérable. Mais cela est nécessaire pour lancer de grandes opérations. L'enjeu sera de trouver des solutions pour aménager les terrains à des coûts maîtrisés pour bénéficier de coûts de sortie abordables.

M. Jérôme Bodino, directeur général de la Société publique locale (SPL) Avenir Réunion. - La SPL Avenir Réunion est une société qui intervient exclusivement pour ses actionnaires. Nous menons des opérations d'amélioration de l'habitat pour le compte du département de La Réunion qui est notre actionnaire majoritaire. Dans le cadre de cette mission, nous réalisons des améliorations légères, de l'ordre de 12 000 € de travaux avec un plafond de 20 000 €, financés à 100 % par le département. Face à des améliorations nécessitant des travaux plus lourds, les dossiers sont réorientés vers les opérateurs agréés par l'État pour mobiliser la LBU.

Nous intervenons sur des travaux de sécurité physique, de santé, d'hygiène, d'accessibilité et d'adaptation des logements et d'extension en cas de surpeuplement. Le public prioritaire est celui des personnes âgées avec la question de leur maintien à domicile et des personnes handicapées. La particularité de l'intervention du département sur l'amélioration de l'habitat est d'agir autant pour les propriétaires, les locataires du parc privé sous conditions de ressources du propriétaire que pour les occupants à titre gratuit, pour les personnes ayant construit sur un terrain communal.

En termes de volume, la SPL est dimensionnée pour traiter à peu près 900 dossiers par an. Toutefois, la demande est bien supérieure. Les dossiers se sont accumulés d'année en année avec des délais d'attente de plus en plus longs, alors même que la procédure en elle-même est relativement rapide avec le département. Dans le cadre de son plan de relance économique et social, le département de La Réunion a décidé en juillet 2020 de doubler son intervention pour l'amélioration de l'habitat et de passer de 100 à 200 millions d'euros sur les cinq prochaines années (2021 à 2025), avec pour objectif d'améliorer 20 000 logements et de participer aux opérations d'amélioration en complément de la LBU. Avec une montée en charge progressive, le département pourrait financer ou cofinancer 4 000 logements. Au niveau de la SPL, nous nous sommes donc dimensionnés pour réaliser dans un premier temps 1 400 dossiers par an, ce qui nous permet de voir le stock enfin diminuer et donc d'espérer atteindre des délais raisonnables.

Lors de nos interventions, principalement sur de l'habitat individuel, nous constatons encore de nombreux logements indignes, voire des situations vraiment dramatiques, avec des personnes âgées vivant dans des logements sans salle d'eau et sans sanitaires.

La plus grande difficulté pour nous aujourd'hui dans l'exercice de cette mission est l'intervention pour des occupations à titre gratuit où seul le département finance. Face à des interventions qui ne relèvent plus de l'amélioration légère, mais nécessiteraient des travaux bien plus lourds, hors mobilisation de financement type LBU, ces dossiers sont dans l'impasse. Ce sont des situations où les personnes âgées refusent le relogement, car elles ne parviennent pas à se projeter ailleurs que dans l'habitation qu'elles occupent depuis des dizaines d'années.

D'autres difficultés se rajoutent encore, comme le traitement de l'amiante qui alourdit les processus et augmente les coûts, et bientôt viendra le cas du plomb.

M. Érick Fontaine, administrateur de la Confédération nationale du logement (CNL). - Nous avons des défis importants à relever à La Réunion. 350 000 personnes sont en dessous du seuil de pauvreté, les salaires sont bas, le nombre de personnes âgées a doublé et 35 % de la population est couvert par les allocations logement.

En premier lieu, je souhaite mettre en lumière le sujet de la réhabilitation. 25 000 à 30 000 logements doivent être réhabilités. L'enjeu est important pour la santé des occupants puisque beaucoup de ces logements sont indignes. Cela engendre des problèmes d'éducation avec des enfants qui traînent dans la rue. Se pose aussi le problème de l'amiante.

En deuxième lieu, j'attire votre attention sur les logements vacants dans le privé. Nous faisons un travail sur le repérage de ces logements. Notre objectif est d'accompagner les propriétaires pour rendre ces logements habitables et disponibles à la location. Nous travaillons avec Action Logement, la CAF et d'autres partenaires qui interviennent dans le logement privé.

Nous constatons que La Réunion ne manque pas de financements (Action Logement, LBU, les collectivités...), mais plutôt d'un véritable commandant à bord pour le « bateau Logement ». En revanche, des financements complémentaires seraient nécessaires pour soutenir les collectivités dans leur aménagement du territoire. En effet, la construction de logements engendre des coûts importants pour les collectivités : construction de routes, des réseaux, des équipements publics. Nous pourrions imaginer une dotation spécifique de l'État pour les collectivités dédiée à l'aménagement du territoire.

Je souhaite aborder un autre point important. La politique de l'ANRU n'est peut-être pas adaptée à la situation réunionnaise. Compte tenu de nos spécificités, quand nous sommes amenés à démolir des immeubles sur un quartier, il serait pertinent de pouvoir reconstruire dans ces mêmes quartiers. En effet, ces logements concernent des personnes à très bas revenus, souvent très âgées, qu'il est difficile de reloger ailleurs et très attachées à leur vie de quartier et la solidarité de l'entourage. Le frein est l'impossibilité de reconstruire des LLTS. Pour les logements détruits dans le cadre de l'ANRU, il faudrait permettre aux élus locaux, aux bailleurs sociaux, de pouvoir aménager comme ils le souhaitent le secteur de l'ANRU. Cette mesure permettrait de remettre de l'humain au centre de nos préoccupations.

Un fléau à La Réunion est la qualité des logements construits. Nous déplorons de plus en plus de dégradation sur des logements neufs, des logements qui au bout de quelques mois deviennent indécents. C'est une difficulté pour les locataires et les bailleurs également. Nous courrons le risque d'avoir dans 10 ans une situation catastrophique dans les logements neufs, augmentant encore le nombre de logements à réhabiliter. Dans ces milliers de logements, nous voyons apparaître des conditions de vie déplorables, un renfermement des locataires qui ne reçoivent plus leurs familles, des enfants dans la rue, des problèmes de sécurité et de santé pour les occupants.

L'allocation logement est également un sujet de préoccupation. Nous ne bénéficions pas de la même allocation logement qu'en Métropole. Nous disposons de l'allocation personnelle au logement et non pas d'allocation personnalisée au logement. Elle me paraît plus favorable dans l'Hexagone qu'à La Réunion. Une étude devrait être diligentée pour repérer ces différences, dans le cadre de cette situation sociale extrêmement tendue. Selon les études, nous sommes la troisième région de France dans laquelle le prix du loyer est le plus élevé au m2 par rapport à la surface habitable. Avec un loyer trop important, les conditions de revenus des locataires ne permettent pas d'accéder à ce type de logement. Un T2 s'élève à 500 euros charges incluses. Ni un RSA célibataire ni un retraité ne peuvent en bénéficier. La question à se poser est pour qui finalement ces logements sont-ils construits ?

Enfin, le dernier point concerne l'accession sociale à la propriété. Les dispositifs ALS doivent être maintenus et même intensifiés avec des aides plus importantes et un meilleur suivi de la part de l'État. Nous déplorons aujourd'hui un grand nombre de dossiers avec des déclarations d'ouverture de chantier, toujours pas démarrés depuis 3 ans. Cela pénalise à la fois les bénéficiaires et l'État. Il faut réfléchir à des solutions pour aider les bailleurs sociaux à baisser les prix de ces logements sociaux. La vente de logements sociaux n'est pas un grand succès, car le prix de vente demeure un frein à l'achat.

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - La problématique du logement est importante. Nous nous apercevons au fil des auditions à quel point chaque territoire a ses spécificités propres. La presse locale de ce matin indiquait que sur 30 000 demandes de dossier d'accession du logement, seules 7 000 à 8 000 aboutissent chaque année. Je peux comprendre effectivement la détresse dans laquelle se retrouvent les intéressés.

Vous avez mis en avant le coût de revient des logements et la problématique des normes. Selon vous, comment diminuer les coûts des logements et poursuivre le travail d'adaptation des normes aux réalités du territoire ? Comment assurer cette mixité sociale dans les projets de construction et de réhabilitation ? Comment faire adhérer la population locale dans la mise en place de la réorganisation des quartiers ? Concernant les déclarations de chantiers qui n'ont pas abouti depuis 3 ans, selon vous, est-ce un problème lié à la professionnalisation des entreprises du bâtiment ? Sont-elles assez nombreuses ? Comment réussir à diminuer la durée des chantiers ?

Mme Viviane Malet. - Ma question porte sur le coût de l'aménagement du foncier porté par les communes et l'établissement public foncier de La Réunion (EPFR). Pensez-vous qu'il faudrait mettre en place un fonds alimenté par l'État, la région, le département et les EPCI pour lever ce frein ?

Concernant les six périmètres ANRU à La Réunion, serait-il bon de mettre en place des régies de quartiers ou des associations qui pourraient oeuvrer pour l'amélioration des habitations des personnes âgées dans ces quartiers ?

Notre population est vieillissante. Cependant la loi n'autorise pas la construction de résidences autonomie. Selon vous, faudrait-il changer la loi en demandant la création de résidences autonomie ou de résidences personnes âgées à caractère social ?

M. Victorin Lurel, rapporteur. - La Réunion est un peu un laboratoire pour les outre-mer, notamment sur ce sujet du logement. J'ai entendu l'intervention de la CNL, sur les différences de traitements entre l'Hexagone et nous. J'ai personnellement essayé dans la loi Egalite réelle d'harmoniser les prestations, les plafonds, les allocations en fonction de la taille des familles. Bercy s'y est opposé ouvertement. À chaque PLFSS, nous n'hésitons pas à déposer des amendements pour harmoniser. Des simulations doivent être faites ainsi que des études d'impact pour mesurer les avantages et les inconvénients. J'espère que notre rapport pourra faire des propositions en faveur d'une harmonisation entre l'Hexagone et nos territoires. Nous sommes preneurs de propositions sur ces sujets, car c'est un point important.

En ce qui concerne les aides des agences nationales, j'aimerais avoir une évaluation concrète des actions de l'ANAH et des opérations ANRU. Comment sont-elles vécues ? Quelle nouvelle proposition présenter pour améliorer ces interventions ?

Concernant le montage des dossiers, constatez-vous des difficultés bureaucratiques ? Au dernier moment, des architectes conseils viennent-ils signaler des éléments à reprendre retardant ainsi les dossiers ? J'aimerais entendre le quotidien vécu par les opérateurs sociaux. Il se dit que les crédits ne sont pas consommés, car les collectivités et les bailleurs sociaux n'ont ni l'ingénierie ni les experts. Or, des rapports parlementaires pointent la lenteur bureaucratique et la multiplicité d'obstacles. J'aimerais avoir votre point de vue sur ce point.

Je souhaite aussi aborder la gouvernance à La Réunion de la politique du logement. Nous ne sommes pas dans le cadre des dispositions de la loi Élan pour le regroupement des opérateurs. Confirmez-vous l'existence des opérateurs surnuméraires ? Qu'en pensez-vous ? Faut-il les regrouper ? Si oui, comment et dans quelles conditions ? Quels sont vos liens avec CDC Habitat qui pourrait à elle seule consommer la LBU ? En termes de gouvernance, avez-vous des propositions à faire pour consommer davantage la LBU, pour accélérer les dossiers, pour mieux coordonner l'action de certaines sociétés ?

Mme Victoire Jasmin. - Je souhaite revenir sur la question des normes auxquelles les différents territoires ultramarins sont confrontés. J'ai été co-rapporteure avec Mathieu Darnaud sur les risques naturels majeurs pour la délégation aux outre-mer. Lors d'un déplacement en 2018 dans le cadre de ce rapport, un glissement de terrain a eu lieu et deux jeunes sont décédés. Constatez-vous aujourd'hui une volonté de mise en conformité par rapport à la topographie des îles ?

Concernant les matières premières que vous utilisez, avez-vous tout ce qu'il vous faut sur le territoire ? Le faites-vous venir par cabotage ? La loi climat veut limiter les cabotages pour réduire les gaz à effet de serre. De même pour le plan Climat-air-énergie territorial, le travail est en cours dans la plupart des EPCI mais comment appréhendez-vous cet ensemble de problématiques compte tenu des mesures et normes pas toujours adaptées à nos territoires ? Comment arriverez-vous à gérer les matières premières avec toutes ces mesures qui arrivent ? Avez-vous des préconisations à faire ?

M. Gilbert Annette. - Je partage tous vos propos. Il serait pertinent de prioriser deux ou trois aspects et constituer des groupes de travail pour élaborer des solutions et faire tomber les freins. Nous devons obtenir du national la reconnaissance des difficultés et l'objectif est d'améliorer les financements pour loger nos populations au même titre que les populations de l'Hexagone.

M. Jérôme Bodino. - Je partage également les préoccupations qui ont été relevées.

M. Jean-Louis Grandvaux. - Nous n'avons pas de problème pour maîtriser le foncier. Nous pourrons encore en maîtriser beaucoup plus demain. Nous disposons actuellement de 350 hectares de stock, avec un potentiel de 18 000 logements. Cependant, pour sortir les opérations, le processus est très difficile, très long et très cher.

Pour illustrer mon propos, je peux citer un programme de constructions que nous démarrons sur un terrain de 90 hectares. Le coût d'aménagement de ce terrain est de 60 millions d'euros. Il faudra donc dégager des financements mais nous rencontrons de nombreux obstacles. Il est primordial de lever les lourdeurs technocratiques. Il faut un pilote dans l'avion pour arriver à avancer de façon opérationnelle et rapide. Nous ne pouvons pas nous permettre d'acquérir des terrains et de les garder pendant 10, 15, voire 20 ans sans rien en faire. Nous pouvons nous appuyer sur des opérateurs sociaux, des professionnels compétents. Il ne s'agit pas tant un problème de financement que de l'absence de véritable chef d'orchestre. Certes aménager les terrains a un coût conséquent et la proposition de M. Lurel de réfléchir à un fond partagé est intéressante. Mais aujourd'hui tous les fonds ne sont pas consommés. Les freins sont à d'autres niveaux. Il faut trouver les moyens de les lever. C'est plus une question de méthode, de gouvernance et de mise en oeuvre de cette gouvernance que de financements supplémentaires.

M. Érick Fontaine. - Il était important de disposer d'un fonds, d'une dotation pour accompagner les collectivités sur l'aménagement lors de la construction de quartiers et de réseaux.

Les déclarations d'ouverture de chantier des constructions en accession sociale, qui n'aboutissent pas sont un véritable problème. Aujourd'hui des centaines, voire des milliers de dossiers en amélioration ou en accession sont bloqués faute de suivi. Pourtant ce sont des chantiers pour lesquels l'État a déjà versé des fonds. Cela pénalise les familles parce que les prêts pour l'accession deviennent caducs et les coûts de construction ne cessent d'augmenter. Il faut se saisir de ce problème.

Mme Annick Petrus, présidente. - Nous allons passer au second temps de notre table ronde et donner la parole à M. Jacques Durand.

M. Jacques Durand, directeur général de la SIDR et président de l'ARMOS. - La SIDR représente 20 000 logements sur l'île. Nous sommes globalement d'accord avec les propos précédents. Effectivement La Réunion déplore une situation atypique : un taux de chômage et un seuil de pauvreté trois fois supérieur à celui de l'Hexagone, un taux de logement social qui atteint les 25 %. Nous utilisons les mêmes règles que dans l'Hexagone alors que la situation n'est pas identique. Le cas de l'ANRU est criant : nous avons beaucoup de foncier dans des quartiers non constructibles en logement social. Nous menons un combat permanent avec les services de l'État sur ce sujet.

En plus de normes européennes, nous devons rajouter des RTAA DOM et des normes anticycloniques suite au cyclone Irma. Cela devient excessif. Et au final, nous constatons que des collectivités se retranchent derrière un taux SRU atteint sur leur territoire pour limiter la construction de logement social.

Le nombre de demandeurs de logements sociaux ne cesse d'augmenter ces dernières années : il était de 27 000 en 2016, il est aujourd'hui de 33 000. Nous attribuons 5 500 logements, avec un parc à 7 % de rotation (12 % dans l'Hexagone). Une étude indiquait un besoin de 7 500 logements à La Réunion, dont 4 500 logements sociaux. Nous en avons construit entre 1 600 et 2 200 sur les quatre dernières années.

Il est nécessaire de se préoccuper du foncier et d'adapter nos constructions. L'adaptation majeure concerne les coûts. Nous sommes contraints d'aller chercher des terrains diffus à des coûts astronomiques, rendant difficile la construction de logements sociaux. Les situations géographiques des terrains impactent également les coûts. Accès, réseaux, fondations spéciales peuvent représenter plus de 25 % de la construction. Avec un coût des terrains qui représente 25 %, celui des voiries également 25 %, force est de constater que déjà 50 % des coûts correspondent à des problématiques liées au foncier. La stratégie concernant le foncier adapté n'est pas uniquement communale. Celui-ci est également soumis au projet d'aménagement global de l'île de La Réunion.

Les bailleurs sociaux doivent construire la ville avec les collectivités et non pas implanter des logements sans une réflexion globale. Ils doivent prendre en compte les problèmes de transports, de commerces, de centres commerciaux, d'emplois, d'équipements publics. Il faut donc une vraie stratégie politique de l'aménagement à La Réunion.

L'acceptabilité de la population du logement social baisse toujours pour les mêmes raisons. Sur ces terrains diffus, les habitants font des recours contre nos permis alors même qu'ils sont accordés et les collectifs viennent s'opposer à la construction de logement social, tout ceci par manque de politique d'aménagement.

Tous ces facteurs expliquent pourquoi une opération met énormément de temps à aboutir. De plus, nous sommes confrontés à la fragilité de la filière du bâtiment. Nos appels d'offres sont infructueux, pas forcément du fait des entreprises. La formation professionnelle est en cause et nous sommes en manque de plaquiste ou de carreleur par exemple. Les petites entreprises ont disparu. La moitié des entreprises font faillite au milieu du chantier, et quand elles ne font pas faillite, le délai de chantier prend un an de plus en construction.

Les coûts d'aménagement et la fragilité de la filière du BTP sont deux enjeux majeurs. Nous organisons des groupes de travail avec la CAPEB, la Chambre des métiers, la Délégation régionale des bâtiments et travaux publics, avec des architectes, pour essayer de rédiger un cahier des charges qui soit adapté à La Réunion, avec les matériaux utilisables, les matériels maîtrisés par les entreprises locales, des modes constructifs maîtrisés, alternatifs à de l'ossature bois ou métallique.

M. Gilles Tardy, directeur général de la Société anonyme d'habitations à loyer modéré de La Réunion (SHLMR). - Je partage les constats énoncés par Jacques Durand. Je voulais attirer votre attention sur un point. Si la volonté de construire est présente, nous rencontrons cependant un certain nombre de difficultés. Les études menées par l'INSEE révélaient un besoin de 7 500 logements à construire chaque année dont 4 500 logements sociaux. Par manque de financement d'État, le nombre de logements réalisés est de 2 000 chaque année. Ce chiffre traduit un blocage de la chaîne du logement. En février 2021, le taux de vacance de logements sociaux est inférieur à 1 %. Le taux de suroccupation des logements est lui de 15 %, avec un taux de rotation de 6 %, ce qui est extrêmement faible.

La situation évolue rapidement. Pour faire face à ce blocage, il faut une politique coordonnée avec les maires et les EPCI. Les bailleurs sociaux sont tous convaincus que la solution ne pourra être trouvée qu'ensemble, avec une programmation du logement social, et une évolution de la ville qui respecte l'environnement et les compositions sociales. Par le passé, les politiques de financement du logement social permettaient d'établir des loyers plus abordables qu'aujourd'hui. Les loyers les plus bas qui étaient autour de 4 euros le m2 passent à 6,60-7 euros, parce que les financements ne nous permettent plus d'établir des loyers suffisamment abordables pour toutes les catégories de population et en particulier pour les familles monoparentales, avec un ou plusieurs enfants, ayant un reste à vivre très limité. Pour certaines catégories de population et certaines structures familiales, l'aide au logement n'est pas suffisante pour stabiliser les ménages.

Les quartiers neufs affichent des loyers plus élevés que par le passé. Les quartiers anciens, eux, restent sur des loyers abordables mais inévitablement, nous constatons un effet mécanique avec l'appauvrissement des populations qui sont dans les quartiers les plus anciens. L'ANRU est un levier pour lutter contre cet effet, mais il n'est pas le seul. Lorsque nous intervenons hors des quartiers prioritaires, les modes de financement sont insuffisants pour lancer rapidement la rénovation du parc. Le Plan d'Investissement Volontaire d'Action Logement a choisi une extension du périmètre en outre-mer pour la réhabilitation du parc, mais cela reste insuffisant.

Face à la volonté de rénovation du parc, le tissu des entreprises à La Réunion n'est pas forcément adapté à de la rénovation en milieu occupé. Il faudrait la formation d'un certain nombre d'entreprises pour participer à cette relance de la rénovation des quartiers.

M. Denis Chidaine, délégué de l'Association régionales des maîtres d'ouvrage sociaux (ARMOS) océan Indien. - Pour compléter les précédents propos, j'insisterais sur le vieillissement de la population. Une difficulté réglementaire est l'impossibilité de financer les résidences autonomie pour loger des personnes âgées non dépendantes. Elles pourraient être des solutions adaptées à la problématique de vieillissement de la population, les besoins en la matière étant croissants. Nous rencontrons des difficultés non seulement pour ces résidences autonomie, mais également pour les maisons relais et sur les MJT, qui s'adressent à un public jeune sur lequel les besoins sont encore importants. Enfin, une autre difficulté réside dans notre allocation logement foyer, très inférieur à l'APL foyer de l'Hexagone. Pour un couple, le différentiel restant à payer est de 165 euros. Cette situation ne permet pas aux structures gestionnaires de ces foyers (MJT, maison relais, maison autonomie) d'équilibrer leurs budgets de fonctionnement. Le Département et la Région ont tous deux insisté sur ces problématiques.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Vous apportez des réponses à quelques interrogations que j'avais notamment sur les différences de traitement entre l'Hexagone et les outre-mer. J'ai entendu les difficultés de coordination évoquées. Auriez-vous des propositions à faire en matière de gouvernance, de coordination, de domiciliation locale des décisions ? Souhaitez-vous apporter des propositions de territorialisation ou de décentralisation locale ?

En termes de financement, auriez-vous des propositions d'amélioration des prêts existants. Rencontrez-vous des problèmes de garantie ? La situation des collectivités territoriales vous permet-elle de garantir une partie des emprunts que vous, bailleurs sociaux, proposez ? Auquel cas, si les collectivités ne peuvent pas le faire, pouvez-vous vous adresser à la Caisse Générale du Logement Locatif Social ? Est-ce que vous traitez avec eux ? Concernant les taux, faut-il harmoniser ou abaisser les taux pratiqués par la CGLLS ? Le FRAFU est-il un dispositif qui fonctionne ? Que faire pour améliorer la consommation des crédits ?

Par ailleurs, j'aimerais un éclairage sur le coût des loyers. Quelle est la situation de La Réunion ? Les loyers sont-ils dans la moyenne ou plus élevés ? Observez-vous des différences majeures entre l'Hexagone et nous, notamment en tenant compte des revenus des ménages ? Vous bailleurs sociaux, quels sont vos rapports avec les associations de locataires ? Quel est le service rendu ? Disposez-vous d'enquêtes sociales ? Les rapports sont-ils conflictuels ? Le dialogue est-il entretenu ? Une baisse de certains loyers est-elle envisageable lorsque l'équilibre financier est positif ? Est-il envisageable de faire plus d'action sociale dans certains ensembles ?

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Vous avez évoqué des problèmes d'inadaptation des normes aux spécificités locales et de modification de la réglementation. Dans le cadre d'un travail sur la différenciation territoriale, pensez-vous que l'on puisse intégrer des données particulières à ces spécificités locales ? Dans les territoires insulaires ou ultramarins, la réglementation nationale a de plus en plus de mal à s'adapter, d'autant plus que nous sommes soumis aux risques naturels et au réchauffement climatique.

À quel montant faut-il fixer l'aide de l'État pour répondre à la demande et avoir des loyers correspondant aux revenus des ménages ?

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je reviens sur le montage des dossiers. Entre le crédit d'impôt et la défiscalisation, quelles sont vos difficultés ? Est-ce que la défiscalisation fonctionne vraiment ? Le crédit d'impôt serait plus efficace que la défiscalisation selon la Cour des comptes. Est-ce la fin de la défiscalisation ? Souhaitez-vous cela ou est-ce que les deux leviers peuvent encore coexister ?

Vous indiquiez que vos appels d'offres étaient déclarés infructueux. Pouvez-vous en préciser les motifs ? Une enquête de l'Autorité de la Concurrence sur le coût des entrants, des matériaux de construction estime qu'il faudrait davantage de concurrence et de contrôle sur le coût des matériaux importés. Avez-vous des propositions à faire en termes de contrôle des prix, voire d'administration des prix ?

M. Denis Chidaine. - Nous allons vous rassurer sur la consommation des crédits cette année. L'ensemble des crédits disponibles pour la construction et la réhabilitation (LBU ou financement complémentaire de crédit d'impôt) a été consommé. Nous espérons que 2021 sera identique.

Concernant la question des normes, le plan logement outre-mer (PLOM) dans sa déclinaison locale a prévu un certain nombre d'actions. Ces normes sont impactantes pour une série d'acteurs et la réponse ne peut pas être si simple quant à l'impact de la suppression ou l'amélioration des normes. Cela nécessite un travail de coordination de l'ensemble des acteurs pour que les réflexions aboutissent à des solutions efficaces, à la fois en termes de construction et l'habitabilité des logements. Ces deux axes doivent faire l'objet d'une concertation avec tous les acteurs du territoire et le PLOM semble être un cadre pertinent pour répondre à ces sujets.

M. Gilles Tardy. - Sur la question du crédit d'impôt, le dispositif nous satisfait pleinement. C'est ce qui a permis de débloquer les opérations ambitieuses de réhabilitation du patrimoine de plus de 20 ans d'âge, avec des loyers plus bas que l'ensemble du patrimoine, et avec une population plus pauvre et plus âgée, la participation contributive des ménages ne permettant pas une augmentation de loyer ou très peu. Le crédit d'impôt peut aller jusqu'à 40 % pour un montant maximum de 50 000 € de travaux. C'est cela qui nous permet de débloquer les opérations de réhabilitation. À ce jour, le crédit d'impôt ne concerne qu'une partie du parc, les logements qui sont dans la partie prioritaire pour la politique de la ville. De ce fait, deux immeubles semblables, le premier en QPV, le second, de l'autre côté de la rue, mais pas en QPV, ne seront pas traités de la même manière. Nous n'avons donc pas les moyens de faire la même réhabilitation, les mêmes services pour les habitants, ce qui est complètement incompréhensible pour eux. Pour les bailleurs, l'enjeu est d'obtenir un crédit d'impôt sur l'ensemble du parc de plus de 20 ans d'âge.

Je reviens sur la question des loyers des logements sociaux. À La Réunion, ces derniers sont entre 40 et 50 % moins chers que dans le privé. Est-ce que pour autant cela permet à chaque ménage d'avoir un reste à vivre suffisant ? Pour une partie oui, pour une autre non. L'idée de l'aide personnalisée au logement est pertinente. Cependant, face à la baisse brutale de l'APL dans l'Hexagone, il faudrait faire une étude sur les barèmes afin de s'assurer que l'aide ne devienne pas alors défavorable pour les outre-mer si nous entrons dans le pot commun. La difficulté n'est pas tant le montant des loyers que l'aide au logement insuffisante pour certains ménages, en particulier pour les petits logements et les familles monoparentales avec un ou deux enfants.

M. Jacques Durand. - Concernant les appels d'offres, nous avons les dépenses d'un côté qui couvrent le foncier, les études, les coûts du bâtiment, etc. De l'autre côté, vous avez la LBU qui représente à peu près 10 % du financement, 1 % de crédit d'impôt et 60 % des fonds propres des bailleurs, mais surtout des prêts de la Caisse des Dépôts. Le loyer correspond au remboursement des fonds propres ou des prêts de la Caisse des Dépôts.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Avez-vous des prêts Action Logement qui pourraient se substituer aux prêts CDC ?

M. Jacques Durand. - Je termine sur les appels d'offres. L'estimation qui est donnée au niveau de l'appel d'offres est l'estimation des travaux dans ces modèles économiques. Avec 20 % de plus aux dépenses, le modèle ne fonctionne plus. En complément, nous travaillons avec Action Logement sur des prêts adaptés moins chers. Notre seule solution est d'augmenter les loyers. Sinon nous ne pourrons plus construire de LTS. En effet, pour couvrir des coûts de construction au prix actuel, nous sommes obligés de faire du PLS ou du LLS. Nous sommes dans un système contraint où toute augmentation des travaux a un impact sur le montant des loyers. Il faut trouver des solutions au niveau de la construction et de matériaux.

M. Gilles Tardy. - En effet, nous constatons un phénomène d'envolée des prix sur le gros oeuvre de l'ordre de 20 %. Cela se traduit par un surcoût sur l'opération de 8 %. Ce chiffre est énorme. Cela explique le nombre d'appel d'offres infructueux. La principale raison est le prix du gros oeuvre.

M. Denis Chidaine. - Je reviens sur la satisfaction client. Conformément à la convention d'utilité sociale, les bailleurs sociaux, de façon récurrente, pratiquent des enquêtes de satisfaction, avec un objectif à atteindre. Ces chiffres sont suivis avec attention.

Concernant la collaboration avec les associations de locataires, nous travaillons depuis plusieurs années sur cette concertation. Pour illustrer mes propos, pendant la crise du Covid, nous avons travaillé avec les associations de locataires pour identifier des pistes et favoriser la situation des locataires qui se retrouveraient en difficulté financière pendant la phase de confinement. Cela a d'ailleurs fait l'objet de la signature d'une charte. Ce travail de concertation fonctionne bien.

M. Érick Fontaine. - Je reviens sur les logements vacants. Nous comptabilisons 30 000 logements vacants dans le privé alors que la demande des primo-accédants est de l'ordre de 15 à 16 000. Nous menons une étude à la CINOR pour identifier ces logements, la raison de leur disponibilité et prévoir un accompagnement des propriétaires privés pour relouer ces logements. Une fois que le logement vacant est identifié et le propriétaire sensibilisé, il sera ensuite conventionné avec l'ANAH pour le louer à un prix abordable qui correspond à un loyer inférieur au social.

Par ailleurs, des collectivités possèdent du foncier. Ne peut-on pas imaginer dans le cadre d'un bail réel solidaire, que les collectivités au lieu de vendre leur foncier aux bailleurs, obtiennent une compensation financière de l'État pour baisser le coût des loyers ? Cette compensation financière encouragerait peut-être certaines communes à signer un bail réel solidaire.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Nous n'avons pas dans les outre-mer la taxe sur les logements vacants. Est-ce que vous la demandiez ? Ou à travers un accord avec l'ANAH qui pourrait apporter une aide aux programmes ?

Concernant l'application de la loi SRU, le SAR (Schéma d'aménagement régional) et la CDPENAF (commissions départementales de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers) posent-ils des problèmes ? Je prends le cas de la Guadeloupe, qui compte de nombreuses communes payant des amendes, car elles n'ont pas pu atteindre les 20 ou 25 % de logements sociaux. Certaines communes ont une surface agricole considérable, mais gelée par le SAR. En ZAP (Zone Agricole Protégée), il est impossible de déclasser les terrains, alors même que nous dénombrons suffisamment de terres agricoles restantes. La construction est impossible, car cette commission CDPENAF rend un avis conforme et non pas un avis simple. Nous constatons souvent une impasse avec l'amende qui s'impose aux communes, par l'application de ces trois contraintes : la protection forte du SAR, l'obligation de faire du 25 % de logements sociaux et l'impossibilité de déclasser. Connaissez-vous ce phénomène et avez-vous des solutions pour desserrer cet étau ?

M. Érick Fontaine. - Sur la taxe locale des logements vacants, je n'ai pas souhaité aller jusqu'à la confrontation avec les bailleurs privés. L'idée est de les accompagner, de les aider à louer ces logements. Car même si cette taxe pour les logements vacants est appliquée, je ne crois pas que cela sera suffisant pour les inciter à louer. Je suis davantage pour la discussion. Je souhaite leur faire comprendre qu'en passant par une association d'intermédiation locative, ils auront 85 % de déduction fiscale sur le prix des loyers. Nous comptons énormément sur Action Logement. Je ne crois pas à la taxe sur les logements vacants.

M. Victorin Lurel. - Je le crois aussi. Les collectivités ou vous bailleurs, pourriez-vous m'apporter une réponse ? Quelles sont vos difficultés avec la loi SRU ?

M. Denis Chidaine. - Après examen du respect des obligations, actuellement, seules six communes respectent leurs obligations sur la SRU et d'autres sont sur une trajectoire pour réaliser leurs objectifs. Certaines communes se retranchent derrière cette satisfaction d'avoir atteint leur objectif, alors même que les besoins sont très au-delà de ce taux minimal.

Mme Annick Petrus, présidente. - Nous arrivons au terme de notre table ronde. Je remercie nos invités pour leur présence, la clarté de leurs réponses et leur contribution au débat. Que soient remerciés ici aussi nos rapporteurs ainsi que nos collègues Victoire Jasmin et Viviane Malet pour la pertinence des échanges et réflexions. N'hésitez pas à nous fournir par écrit tout élément qui pourrait nous être utile pour compléter le rapport.

Jeudi 15 avril 2021

Étude sur le logement dans les outre-mer - Table ronde sur la situation du logement à Saint-Pierre-et-Miquelon

- Présidence de Mme Vivette Lopez, présidente -

Mme Vivette Lopez, présidente. - J'ai le grand honneur de remplacer à ce siège le président Stéphane Artano qui est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon et qui participe à cette réunion en visioconférence.

La présente table ronde est organisée dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer dont les rapporteurs sont Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.

Dans une première phase, notre délégation a entendu de nombreux services ou organismes nationaux. Dans une seconde phase, elle s'attache à mieux appréhender les réalités des territoires en sollicitant les acteurs locaux du logement outre-mer. Après Mayotte le 18 février, la Polynésie française le 25 mars et La Réunion le 13 avril, nous poursuivons aujourd'hui nos investigations avec Saint-Pierre-et-Miquelon puis avec la Guadeloupe.

Pour en parler, nous accueillons cet après-midi : M. Bernard Briand, président de la collectivité, accompagné de Mmes Vicky Cormier, directrice du pôle Développement durable et Florence Briand, responsable environnement et développement durable ; MM. Yannick Cambray, maire de Saint-Pierre ; M. Foussi Moussa, 4ème maire adjoint de Saint-Pierre, en charge des finances et de la vie économique ; M. Thierry Hamel, président, et Mme Sabine Ros, directrice, de la Coopérative immobilière des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon.

Avant d'échanger avec les rapporteurs, vous aurez la parole sur la base de la trame indicative qui vous a été adressée.

Pour le bon déroulement de nos travaux, je vous demande encore de garder votre vidéo allumée, car cette séance fait l'objet d'une captation vidéo pour être retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.

La parole est à M. le président Bernard Briand.

M. Bernard Briand, président de la collectivité de Saint-Pierre-et-Miquelon. - Je vous remercie d'accorder le temps nécessaire à un sujet qui préoccupe la collectivité et l'ensemble des acteurs du logement à Saint-Pierre-et-Miquelon. Nous vous transmettrons par écrit l'ensemble des éléments, notamment les documents de planification.

La collectivité, de par son statut, bénéficie de dispositions particulières applicables en matière d'urbanisme, de logement, d'habitation et de construction. La notion de « logement » s'entend de façon assez extensive. Elle n'inclut pas par exemple, les régimes des baux d'habitation sauf lorsque les deux parties prenantes sont amenées à contractualiser.

En revanche, ces dispositions particulières n'incluent pas les aides au logement (avis du Conseil d'État du 2 juin 2015). Dans ce périmètre, il n'existe pas de réglementation locale recouvrant l'ensemble de ces domaines. Toutefois, la réglementation d'urbanisme, qui date de 1989, est en cours de refonte. Nous travaillons actuellement sur un document de planification, le STAU (Schéma territorial de l'aménagement et d'urbanisme). Pour la réalisation de ce document, la collectivité a fait un travail de concertation avec l'ensemble des acteurs sur le territoire. Nous espérons sa validation pour le 11 mai 2021.

Aujourd'hui, sur le territoire, prévalent des dispositions particulières et des dispositions nouvelles concernant l'aménagement. Particulières, puisque de par cette compétence, nous avons mis en place un régime d'aide à l'habitat. Nous disposons donc de l'intervention de l'État et de la collectivité à hauteur de 500 000 euros pour accompagner nos 6 000 habitants s'ils souhaitent effectuer des rénovations ou sont amenés à construire sur le territoire. Au-delà des règles attributives à la collectivité, certaines dispositions n'existent plus sur le territoire, notamment la LBU qui avait eu un effet de levier assez conséquent. La réactivation de ce type de dispositif permettrait d'augmenter rapidement l'offre locative.

Sur le territoire le logement est constitué à hauteur de 80 % par l'habitat individuel, détenu principalement par des particuliers. Le locatif est peu présent au regard l'Hexagone. La première acquisition patrimoniale est, de plus, bien souvent réalisée en auto-construction pour en diminuer le coût.

La problématique principale demeure le manque de logements. Nous estimons à peu près à 160 le nombre de logements vacants ou inhabités, nombre important au regard de la population. Cette donnée a un impact assez fort sur l'offre et la demande. Les prix ont explosé depuis une quinzaine d'années que ce soit sur Miquelon ou sur Saint-Pierre. 40 des 160 logements vacants sont situés sur Miquelon, qui ne compte que 600 habitants, alors que nous dénombrons environ 5 400 habitants sur Saint-Pierre.

Par ailleurs, nous menons une réflexion sur la mise en oeuvre d'une politique à destination des personnes âgées et des personnes handicapées. Une assistance à maîtrise d'ouvrage (AMO) sera recrutée pour 18 à 24 mois, fin juin 2021, pour orchestrer la mise en oeuvre de cette politique et sa structuration, avec pour objectif le maintien à domicile et la création de 60 logements inclusifs, et deux lieux sont identifiés (soit dans le centre-ville de Saint-Pierre, soit dans le quartier des Graves) d'ici 2025.

90 % des résidences principales sont situées à Saint-Pierre (2 259 à Saint-Pierre, et 258 à Miquelon). L'habitat individuel domine, les maisons représentant 83,8 % des résidences principales. Aujourd'hui, très peu de logements sont disponibles pour ceux qui arrivent sur le territoire. Avec ce rapport offre/demande déséquilibré, les prix ont explosé. Un autre facteur de cette bulle spéculative est la prise en charge, en partie ou en totalité, des loyers des fonctionnaires de passage, par les services de l'État.

Concernant la politique du logement, l'élaboration du STAU a nécessité un travail de fond collaboratif. La collectivité, les acteurs et la population se sont impliqués dans sa conception, au travers d'ateliers et de réunions publiques. En effet, la question du foncier a fait l'objet d'une cristallisation assez forte de la population avec un mouvement de contestation que nous avons su gérer en interne en procédant à des explications et des ajustements.

Dans le cadre de ce STAU, nous avons également travaillé sur le Document d'objectifs et d'orientations stratégiques (DOOS). Nous avons établi des prévisions démographiques fondées sur une augmentation de la population de 0,34 % annuel à horizon 2030. Cela signifie que le territoire devra se doter chaque année de 26 à 30 logements supplémentaires par rapport au parc existant. Cette donnée n'est pas neutre. Cela permettra d'offrir des logements de meilleure qualité respectant l'empreinte carbone.

Avec l'élaboration du PLH et de l'AMO qui sera lancée avant fin juin, nous lançons une politique d'habitat ambitieuse à long terme, pour faire face à l'inflation des prix sur le locatif, mais aussi sur la construction. Cette politique permettra de mieux guider les opérateurs, qu'ils soient publics ou privés.

L'un des freins les plus marquants de l'accession à la propriété est l'augmentation des prix, aussi bien pour l'achat que pour la rénovation. Depuis la crise du Covid, les prix des matériaux notamment le bois, ont doublé, voire triplé, avec des conséquences lourdes. Dès la fin du mois, nous devons attribuer une quarantaine de parcelles à des primo-accédants sur le territoire. La flambée des prix a un impact sur la durée et le coût des constructions, soit un budget de 100 000 euros de travaux supplémentaires. Toutefois le marché reste dynamique. Depuis 2017, tous les 4 jours, une transaction d'achat de terrain ou de foncier se conclut, même si les prix ont quasiment doublé depuis une quinzaine d'années.

Lors des travaux d'élaboration du STAU un diagnostic foncier a été effectué sur l'archipel. La nécessité a été affirmée de remobiliser les « dents creuses » et de limiter l'artificialisation des sols en mobilisant des leviers de réhabilitation de logements en centre-ville, de densification, et de rénovation énergétique des logements existants, et vacants.

Le territoire fait face à une baisse de la population, passant de 6 300 habitants à 6 000 en vingt ans. L'urbanisation s'est accélérée, notamment sur la partie sud de Saint-Pierre. Nous constatons une modification de la composition familiale avec une augmentation des familles monoparentales, des personnes qui vivent seules, ou celles qui ne viennent que pour quelques années.

Nous avons pour objectif, d'ici 4 ans, de créer 120 logements supplémentaires. Un appel à projets pour la création de logements locatifs et de logement intermédiaire sera lancé d'ici fin juin et un autre le sera également pour la création d'une quarantaine de logements locatifs, avec une partie commerciale pour éviter le côté « zone dortoir ».

Dans le cadre du PLH, nous allons renforcer les effets de levier pour la rénovation de logements. L'idée est de mobiliser les financements publics et de proposer une politique incitative pour accompagner ceux qui souhaitent rénover ou construire leur logement. Avec un euro d'aide publique, l'effet de levier peut être de 4 ou 5 pour la réalisation d'habitations nouvelles dans les zones d'orientations d'aménagement et de programmation (OAP). Elles sont au nombre de quatre sur Saint-Pierre et une sur Miquelon. Avec ce petit territoire, nous avons la nécessité de travailler sur les « dents creuses » et sur la densification des zones urbaines identifiées.

Sur le sujet des normes, traditionnellement la pratique d'auto-construction est très répandue avec pour objectif de diminuer les coûts. Cependant, la tendance est à la diminution. En effet, le savoir-faire ne se transmet plus de génération en génération et les coups de main donnés par la famille sont moins importants. De ce fait, les entreprises sont plus sollicitées qu'autrefois. Dans le cadre du Schéma de développement stratégique, nous avons mis en place une politique d'accompagnement, avec des formations sur l'utilisation de matériaux nouveaux pour une empreinte carbone réduite et l'usage de nouvelles techniques.

Notre difficulté réside dans le fait que nos matériaux proviennent principalement du Canada. Cet enjeu des normes est fort et nécessite l'intervention d'une autorité de normalisation. Un travail technique sur les équivalences et les correspondances des spécifications des produits et des matériaux, notamment le bois, doit avoir lieu. Récemment encore, nous avons rencontré cette difficulté dans le cadre d'un marché public. Mes services ont dû travailler sur la reconnaissance des normes, avec un parallélisme entre les types de matériaux français et canadiens. Notre spécificité est de ne pas avoir de ligne directe dans le cadre de la Délégation de service public (DSP) entre l'Hexagone et Saint-Pierre-et-Miquelon, mais via Halifax. Les importateurs locaux et les constructeurs ont toujours eu pour habitude de faire l'acquisition de matériaux nord-américains d'une part pour la proximité et pour le coût, d'autre part, par habitude transmise de génération en génération. Il en va de même pour l'unité de mesure que nous utilisons : le pouce et non le mètre.

Concernant les enjeux risques naturels, il existe un PPRL élaboré par l'État, applicable depuis 2018, avec des conséquences très fortes sur la constructibilité de zones qui pourraient être aménagées sur Saint-Pierre-et-Miquelon. Dans le quartier des Graves par exemple, le PPRL s'est imposé à nous. Ce quartier aurait pu proposer une zone de parcelles plus importante, mais la partie nord se retrouvant en zone rouge, il n'est donc pas possible de construire. Miquelon, particulièrement exposé aux aléas d'inondation et de submersion, travaille sur différents types d'outils. Le PPRL s'impose également à notre STAU. Nous avons été attentifs, pour une zone exposée au risque naturel très fort sur la commune de Miquelon, à délimiter une « zone en attente de projet » situé sur la partie sud de l'île. C'est un travail qui demandera du temps et la participation active de l'ensemble de la collectivité et une appropriation de la population.

Pour ce qui est de la valorisation des filières de matériaux locaux, cette thématique n'est pas prégnante sur l'archipel, car il y a peu de gisements à utiliser. Les matériaux proviennent quasiment exclusivement de l'importation. Cependant, la question de l'économie circulaire se pose et une réflexion est à mener sur le recyclage des matériaux dans le domaine de la construction, par exemple par la réutilisation du verre recyclé dans les projets de voirie.

M. Foussi Moussa, 4ème maire adjoint de Saint-Pierre, en charge des finances et de la vie économique. - La mairie de Saint-Pierre n'a pas beaucoup de compétences en matière de logement, mais participe malgré tout à la dynamique générale. Nous avons sur le périmètre de Saint-Pierre 70 logements à caractère social ou destinés aux jeunes, 4 résidences pour personnes âgées composées de 50 logements, 13 logements sociaux, dont 2 sont en travaux, 5 logements pour les moins de 26 ans et 12 logements pour les accédants à la propriété. Tout cela est piloté par le Centre communal d'action sociale (CCAS) de la mairie de Saint-Pierre, sachant que nous n'en avons pas en principe la compétence au sein de la collectivité.

La problématique principale du logement à Saint-Pierre concerne la flambée des prix des loyers. Les fonctionnaires qui arrivent sur l'archipel ont davantage intérêt à acheter, même s'ils ne restent que 4 ans, que de louer à des tarifs exorbitants.

La politique de logement est incluse dans notre volonté de revitaliser le centre-ville. Beaucoup de logements sont vacants. La collectivité bénéficie déjà d'aides. Mais il faudrait une structure juridique qui puisse bénéficier également des aides métropolitaines nombreuses, pour racheter des logements à des familles qui ont des problèmes d'héritage, puis les rénover en respectant les normes environnementales et enfin les proposer soit à la vente directement ou à la location-vente. Il faut trouver le meilleur opérateur possible pour conjuguer les aides de la collectivité et les aides nationales.

Le frein de l'accession à la propriété est encore une fois le prix. Le quartier des Graves a été construit il y a une dizaine d'années avec de nombreux logements. Nous pensions voir ainsi les loyers baisser, mais cela n'a pas été le cas.

Concernant l'offre foncière de la mairie, nous travaillons davantage à la rénovation des logements en centre-ville.

Pour vous répondre sur l'adaptation des normes nationales, au vu des spécificités locales, effectivement, nous ne pouvons avoir les mêmes normes à Saint-Pierre qu'à Paris. Il faudrait une adaptation par rapport aux matériaux canadiens qui sont très utilisés sur l'archipel. Dans le cadre de nos rénovations, nous tenons à respecter ces normes environnementales et nationales, autant que possible.

M. Thierry Hamel, président de la Coopérative immobilière des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon (CISPM). - Je tiens à présenter en quelques mots la Coopérative qui est une sorte d'ovni dans le domaine bancaire. Cette Coopérative a été créée dans les années 50 et a été conçue comme un véritable outil pour la population afin d'accéder à la propriété à une époque où l'offre bancaire était très peu présente. C'est un acteur historique important sur le territoire.

Au fil du temps, l'offre bancaire locale s'étant développée, la part de marché de la Coopérative Immobilière des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon (CISPM) a été réduite. Cependant, même dans le cadre du crédit, nous avons toujours notre rôle à jouer, en poursuivant notre politique bienveillante d'accompagnement des coopérateurs. Dans ce cadre, nous avons pu contribuer à la conservation de logements anciens en centre-ville. Notre action s'est concentrée sur d'autres aspects, notamment des opérations de logements location/accession connues localement, comme les Salines. Une autre de nos actions a été la construction de l'immeuble Pain de Sucre avec un système innovant de location qui permet aux jeunes couples ayant des projets d'acquisition de bénéficier de loyers à prix modérés, leur permettant ainsi de capitaliser et construire leur projet d'accession ou de construction. Ces deux opérations ont été menées dans le cadre « parcours logement » qui correspond à notre échelle à une politique du logement, concentrée sur le logement social et intermédiaire.

Nous sommes un acteur historique et demeurons prêts à nous intégrer dans le cadre du PLH qui sera déployé par la collectivité. D'ailleurs, nous avons rencontré la collectivité et les mairies à ce sujet. M. Foussi Moussa parlait d'un opérateur permettant à la fois de bénéficier d'aides locales et nationales. La CISPM pourrait se positionner dans ce cadre.

Concernant les problématiques du logement. Nous essayons d'accompagner au mieux les accédants, sans contribuer au renchérissement des logements.

Mme Sabine Ros, directrice de la Coopérative immobilière des Îles Saint-Pierre-et-Miquelon (CISPM). - La CISPM cible principalement les ménages à revenus modestes et intermédiaires. Les freins à l'accession à la propriété sont une explosion des coûts. Pour notre cible, même si leurs revenus peuvent être conséquents sur l'archipel, soit la capacité d'endettement freine l'accession à la propriété soit il faudrait envisager des durées de crédit trop longues. En effet, nous évitons de proposer des crédits au-delà de 20 ans. Sur Saint-Pierre-et-Miquelon, le bâti et le climat entraînent des coûts d'entretien et de réparation plus élevés que dans d'autres territoires ultramarins.

Certes, les loyers sont élevés, mais ils sont liés directement au coût élevé de la construction et de la rénovation. Nous prônons depuis quelques années la mise en place d'un opérateur de logement unique pour éviter la pluralité des acteurs. Aucun opérateur ne peut bénéficier sur le territoire de levier de financement. Nous avons pu bénéficier de subventions d'État dans le cadre de la construction de l'immeuble Pain de Sucre. Ces aides nous ont permis ainsi de proposer des loyers modérés.

Nous déplorons des loyers élevés dans certains bâtiments pour lesquels il n'y a pas d'adéquation entre le loyer élevé, la facture énergétique et la qualité de l'offre locative. Il faut noter également que culturellement parlant, la population n'est pas habituée à dépenser au-delà d'une certaine somme pour la location. Même des ménages avec des revenus aisés refusent de payer plus de 600 euros pour un loyer. De plus, il faut relever l'absence d'aide au logement qui pourrait diminuer le coût du loyer pour les jeunes ménages.

Aujourd'hui, le marché est très tendu. Une politique du logement avec une vision à moyen ou long terme, que met en place actuellement la collectivité, devrait permettre de crever cette bulle immobilière.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Pouvez-vous illustrer l'importance de la vacance de logements et les loyers élevés ? Vous avez cité 160 logements vacants. S'agit-il de biens dégradés ? Les propriétaires ont-ils des difficultés de réhabilitation ? Comment et quelles mesures prendre pour remettre ces logements sur le marché ? Dans l'Hexagone, la taxe sur les logements vacants est applicable. Cela n'existe pas dans les outre-mer. Souhaitez-vous sa mise en place ? Ce dispositif serait-il suffisamment incitatif ? Quel dispositif financier trouver pour que le secteur privé contribue à la résolution de la problématique logement ?

Par rapport à la LBU, j'aimerais comprendre quel est le régime juridique de la compétence logement.

Concernant les loyers élevés, y a-t-il tout de même un encadrement, une législation ou un régime spécifique ? En quoi ce régime spécifique pourrait-il être transposable ailleurs ?

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Au fil de vos auditions, j'ai relevé de nombreuses similitudes avec l'île de Saint-Barthélemy. Chez nous aussi, les loyers sont très élevés, du fait du coût de la construction et de la forte demande par rapport à l'offre. En est-il de même chez vous ?

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je reviens sur la difficulté d'utiliser des matériaux locaux, la nécessité de les importer depuis le Canada ou les États-Unis et les normes à respecter. Les marchés publics sont soumis au DTU des normes françaises et européennes. Dans votre cas, les matériaux viennent plutôt du continent américain. Des réflexions sont-elles menées sur la possibilité d'harmoniser ces normes ? Pour illustrer mon propos, pour le calcul des charges de neige, les normes se basent sur les départements alpins et non sur les règles canadiennes, ce qui paraît aberrant dans votre cas. Des évolutions sont-elles en cours ?

Y a-t-il un accompagnement en matière d'autoconstruction, aussi bien en termes d'assurance que de normes ? Constatez-vous des évolutions dans cette pratique qui peut être intéressante à encadrer ?

M. Bernard Briand. - Concernant le nombre de logements disponibles, les chiffres sont en effet importants. Il existe différents types de problèmes, notamment liés à la succession ou au fait que certaines personnes âgées sont placées en institution et laissent le bien en disponibilité. La vacance peut se justifier également par la vétusté des logements d'où la nécessité pour la sphère publique d'accompagner des porteurs de projets afin de réduire le coût de la rénovation et ainsi remettre sur le marché les logements vacants tant sur Saint-Pierre (120 logements vacants pour 5 400 habitants) que sur Miquelon (40 logements vacants pour 500 habitants).

Au niveau juridique, nous avons besoin d'éclaircissement sur la LBU. Elle est intervenue sur le territoire jusqu'en 2017. Les deux dernières années de la LBU ont été au bénéfice d'un projet porté par la CISPM. Depuis 2017, nous n'avons plus d'intervention à ce titre. Il serait important, dans le cadre de la politique menée par le ministère des outre-mer, notamment dans le cadre de plan de développement outre-mer doté de plusieurs centaines de millions d'euros, que ce dispositif soit à nouveau réactivé, non pas uniquement à destination des institutions publiques mais peut-être aussi à destination des particuliers. Cela permettrait d'avoir un effet de levier beaucoup plus important, passant sans doute d'une dizaine de logements à 20 ou 25 logements. Ce dispositif aurait un effet démultiplicateur sur l'offre existante. L'inflation pourrait ainsi se retrouver réduite sur le territoire, facilitant par la même occasion le retour des jeunes sur le territoire ou la venue de personnes extérieures.

Concernant les normes, il est impératif de trouver des solutions d'équivalences. Dans le cadre de la réalisation du PLH, nous serons amenés à concevoir un code de construction locale, avec des normes qui prennent en considération des matériaux qui n'ont pas d'équivalence. Aucune institution internationale n'existe actuellement permettant de faire correspondre les normes européennes, françaises et canadiennes.

Enfin, nous avons initié une formation auprès des petites entreprises locales, qui sont amenées à réaliser la construction. Nous les avons accompagnées pour l'utilisation de nouveaux outils et de nouveaux matériaux. Cette formation a rencontré un grand succès entre 2016 et 2019, avec notamment l'accompagnement des Compagnons du Devoir. Une quarantaine de chefs d'entreprises et salariés y ont participé. Cela a eu un fort retentissement. Nous avons une véritable volonté d'accompagner les chefs d'entreprise et les salariés qui sont également très demandeurs. Ce point est très positif. Nous allons poursuivre dans le cadre du schéma de développement stratégique avec les deux volets d'action pour ce type de dispositif de formation.

M. Stéphane Artano. - Au terme de cette table ronde, je tiens à remercier l'ensemble des interlocuteurs de Saint-Pierre-et-Miquelon qui se sont rendus disponibles afin de mettre en évidence la problématique du logement ; nous pourrons intégrer leurs éléments dans le rapport que la délégation sénatoriale aux outre-mer est en train de préparer, qui devrait être adopté fin juin.

Je souhaite vous poser une question dont la réponse pourra figurer dans votre contribution écrite. Ne pensez-vous pas que nous pourrions nous adosser à des opérateurs nationaux, par exemple, l'Union sociale pour l'habitat (USH) notamment en matière de conseil technique et de montage financier ? Cela fait écho à ce que disait Sabine Ros. Cependant, je voudrais avoir votre point de vue. Saint-Pierre-et-Miquelon pourrait se rapprocher d'opérateurs nationaux, y compris pour l'ingénierie de montage d'opérations immobilières de logement, que ce soit la collectivité sur sa compétence logement ou que ce soit les collectivités qui souhaiteraient construire un parc immobilier. Pour cela, nous n'avons pas besoin d'avoir une compétence logement. Il s'agit de vouloir construire de l'habitat, toutes les collectivités pouvant soit acquérir des logements soit en construire.

Je vous remercie pour la qualité de vos interventions. J'ai un petit regret de ne pas avoir entendu le maire de Miquelon, qui a rencontré des soucis techniques pour se connecter. Nous essaierons d'obtenir des éléments écrits de sa part. Sentez-vous libre également de nous transmettre vos contributions qui viendront nourrir la réflexion des rapporteurs pour élaborer des propositions concrètes.

Étude sur le logement dans les outre-mer - Table ronde sur la situation du logement en Guadeloupe

- Présidence de Mme Vivette Lopez, secrétaire -

Mme Vivette Lopez, présidente. - J'ai l'honneur et le plaisir de remplacer cette après-midi le président Stéphane Artano, qui vous prie de l'excuser, car il est actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Cette table ronde est organisée dans le cadre de notre étude sur le logement outre-mer dont les rapporteurs sont Guillaume Gontard, Micheline Jacques et Victorin Lurel.

Après avoir entendu de nombreux acteurs au plan national, notre délégation a souhaité appréhender les réalités des territoires, en sollicitant les acteurs locaux du logement outre-mer. Elle a ainsi mené des auditions sur la situation à Mayotte le 18 février, en Polynésie française le 25 mars, à La Réunion le 13 avril, à Saint-Pierre et Miquelon il y a tout juste quelques minutes.

Nous vous remercions très vivement, Mesdames et Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation, afin de nous permettre de mieux saisir les enjeux et les problématiques qui sont les vôtres.

Dans un premier temps, nous vous proposons d'entendre : Mme Josette Borel-Lincertin, présidente du conseil départemental de la Guadeloupe  accompagnée de M. Alain Bredent, sous-directeur du logement et de l'habitat social ; M. Jean-François Boyer, directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de la Guadeloupe ; Mme Corine Vingataramin, directrice générale de l'Établissement public foncier de la Guadeloupe ; Mme Alix Huyghues Beaufond, présidente du comité territorial d'Action Logement Guadeloupe ; M. Georges Julien Ursule, président du conseil régional de l'Ordre des architectes de la Guadeloupe.

Je donnerai ensuite la parole à nos trois rapporteurs s'ils souhaitent des éclairages supplémentaires, auxquels les intéressés pourront répondre.

Dans un second temps, prendront la parole : Mme Véronique Roul, secrétaire générale de l'Association régionale des maîtres d'ouvrages sociaux (ARMOS) de la Guadeloupe ; M. Laurent Boussin, directeur général de la Société d'économie mixte d'aménagement de la Guadeloupe (SEMAG) ; M. Dominique Joly, directeur général de la Société pointoise d'HLM de la Guadeloupe (SPHLM) ; M. Laurent Pinsel, directeur général délégué de la SEMSAMAR ; MM. Thierry Romanos, président et Jules Goval, directeur général, de la SIKOA ; MM. Antoine Rousseau, directeur général, et Hugues Cadet, directeur adjoint, de la Société immobilière de la Guadeloupe (SIG).

Ensuite, les rapporteurs et nos autres collègues pourront à nouveau vous interroger.

Pour le bon déroulement de nos travaux, je vous demande de respecter strictement votre temps de parole et de bien vouloir garder votre webcam allumée. En effet, cette séance fait l'objet d'une captation vidéo pour être retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable en vidéo à la demande.

En attendant l'arrivée de Mme Josette Borel-Lincertin, la parole est à Monsieur Jean-François Boyer.

M. Jean-François Boyer, directeur de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DEAL) de la Guadeloupe. - Avant de rentrer dans le détail des points abordés, je pense indispensable de rappeler sommairement le contexte dans lequel s'inscrit la politique de l'habitat en Guadeloupe, en ne se limitant pas à la seule problématique du logement social.

La Guadeloupe compte 226 000 logements, dont 60 % de propriétaires (quelques points de plus que la moyenne nationale), 75 % de maisons individuelles (19 points de plus que la moyenne nationale), 15,5 % de vacance (le double de la moyenne) et enfin, 5,5 % de vacance dans le parc social (plus du double de la moyenne nationale).

Avec environ 380 000 habitants, la Guadeloupe est en perte de vitesse démographique, avec une baisse de - 0,7 % par an ces dernières années, soit près de 3 000 habitants de moins chaque année. Cette décroissance démographique s'accompagne d'un vieillissement accéléré de la population, passant de 16,5 % de Guadeloupéens de plus de 65 ans aujourd'hui à 30 % en 2030 et 40 % en 2040, avec des conséquences en termes de perte d'autonomie et de paupérisation.

34 % de la population est sous le seuil de pauvreté, 83 % est éligible au logement social et 55 % au logement très social, contre 29 % au plan national.

Nous disposons aujourd'hui de trop peu de données sur le besoin global de logements, du fait de l'absence de programmes locaux de l'habitat qui permettraient d'affiner l'évaluation de ce besoin et la stratégie des collectivités locales dans ce contexte de baisse de la population.

Néanmoins, nous disposons de quelques repères. Une étude de la DEAL de 2017 sur le besoin annuel en logement à l'horizon 2024 donne une estimation de 3 200 logements par an, dont 1 320 logements sociaux en construction ou en réhabilitation. Un deuxième repère est donné par l'article 55 de la loi SRU. Cette indication montre qu'au 1er janvier 2020, il manquerait en Guadeloupe 6 939 logements sociaux pour atteindre les 25 % de logements sociaux dans les communes concernées par l'obligation de cet article 55.

Le parc social est constitué de 38 000 logements avec un loyer moyen de 6,10 euros/m2, parmi les plus élevés de France, et avec un ratio entre le prix du parc social et le prix du parc privé de 1,5 en Guadeloupe, contre un ratio de 3 en région parisienne. Le turnover et la vacance sont également parmi les plus élevés. Le parc est en très mauvais état avec 10 000 de ces 38 000 logements sociaux qui doivent être réhabilités, soit plus du quart du parc. Enfin, le parc social ne compte que 12 % de logements très sociaux alors même que 80 % des occupants y seraient éligibles.

Au-delà de cet état des lieux, je voulais aborder l'actualité de la projection. Le Plan logement outre-mer (PLOM) 2019-2022 prévoyait pour la Guadeloupe un besoin de construction de 2 000 logements par an, sur la base d'une approche globale du besoin dans les outre-mer, qui intégrait le logement social et l'amélioration de l'habitat dans le parc privé. Cependant, la situation démographique est très différente d'un département d'outre-mer à l'autre : en Martinique et en Guadeloupe, la population est vieillissante et diminue ; la Guyane et Mayotte sont en expansion démographique rapide, avec une population très jeune. Nous ne sommes pas dans le même dispositif. L'objectif ne pouvait se limiter à un nombre de logements sociaux à mettre sur le marché. De ce point de vue, le nouveau PLOM est beaucoup mieux territorialisé. Pour rappel, concernant la Guadeloupe, il prévoit un recentrage fort sur l'adaptation de l'offre aux besoins de la population : accessibilité, adaptation à la taille des foyers, meilleure intégration dans les villes et les bourgs afin de redynamiser ces centres-bourgs en grande difficulté, qualité et confort du logement, respect des normes parasismiques et niveau de loyer plus accessible.

En 2020, une année marquée par les contraintes de la pandémie, nous constatons également une baisse des opérations de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU), entre la fin des Programmes nationaux de rénovation urbaine (PNRU) et le démarrage prochain du Nouveau programme national de renouvellement urbain (NPNRU). Seuls 1 400 logements ont été financés : 500 logements sociaux neufs et 900 réhabilitations. Les réhabilitations ont été au nombre de 250 en 2019, 900 en 2020, seront de 1 500 en 2021 et de 1 500 par an pendant les cinq années suivantes. Ces chiffres ne correspondent pas à des prévisions technocratiques ou virtuelles, mais bien à l'engagement réel des bailleurs, correspondant à l'évolution de leur propre stratégie patrimoniale, elle-même encouragée par des évolutions réglementaires.

À titre d'exemple, l'éligibilité des réhabilitations au crédit d'impôt hors des quartiers prioritaires de la ville a permis aux bailleurs d'envisager de programmer de nombreuses réhabilitations hors de ces seuls quartiers prioritaires. Les CUS (Convention d'utilité sociale), qui viennent d'être signées par le préfet et chacun des six bailleurs sociaux début avril 2021, prévoient sur 6 ans la construction de 7 000 logements sociaux neufs, avec au moins 30 % de logements locatifs très sociaux (LLTS), pour un coût moyen de 165 000 euros par logement et un investissement global pour la Guadeloupe de 1,115 milliard d'euros. Elles prévoient également la réhabilitation de 7 800 logements sociaux pour un coût de 20 000 euros en moyenne par logement, dont 3 500 aux normes sismiques pour un surcoût de 20 000 euros par logement également, soit un investissement total de 230 millions d'euros. Au total, sur 6 ans, ce sont 14 800 logements sociaux qui seront mis ou remis sur le marché, à comparer au parc actuel de 38 000, soit environ 2 500 logements par an, et ce, hors parc privé qui représentera aussi 300 à 400 dossiers supplémentaires par an. À noter cependant que si cet objectif global est parfaitement réaliste, la production des 30 % de logements très sociaux est conditionnée réglementairement à un cofinancement obligatoire par le Conseil départemental ou par la CAF, pour un apport de 9 000 euros par logement au regard des 70 000 euros qu'apporte l'État.

Pour conclure, quelques outils nous aideront. Le foncier représente 25 à 30 % du coût des opérations. De ce fait, la maîtrise du coût du foncier n'est pas négligeable dans le coût de sortie et le niveau des loyers. Nous disposons aujourd'hui du produit des prélèvements de l'article 55 de la loi SRU, qui représente pour la Guadeloupe un montant de 1 million d'euros par an, géré par l'EPF (Établissement public foncier) pour 31 des 32 communes. Par ailleurs, le travail que mène l'EPF depuis plusieurs années sur la mobilisation du foncier en centre-bourg permet de lancer des opérations avec des financements du Plan d'Investissement Volontaire (PIV) d'Action Logement. Le fonds Friches du plan de relance amènera lui aussi 500 000 euros en phase 1 pour la Guadeloupe. Un autre outil est l'Office foncier solidaire, en cours de création par l'EPF, qui permettra de démembrer le foncier et la construction pour permettre aux plus modestes d'accéder à la propriété. De plus, la filiale de régularisation au sein de l'EPF accélérera les régularisations, permettant de travailler sur la zone des 50 pas géométriques. Enfin, le Fonds régional d'aménagement foncier et urbain (FRAFU) est un outil intéressant qui pourrait utilement être alimenté par le prélèvement SRU pour faire baisser le coût du foncier sous réserve d'une coordination des financements état-département-région. Le FRAFU est déployé dans tous les DOM sauf en Guadeloupe. Il constitue donc pour nous un levier de progrès important devant encore être développé.

Le dernier point est le coût de la construction. La création récente de la cellule économique régionale de la construction permettra de travailler sur les coûts avec l'ensemble des acteurs de la construction.

Pour conclure, nous nous engageons dans une politique nouvelle, avec des orientations ambitieuses, qui permettront de mieux répondre aux aspirations du territoire. En cela, j'insiste sur le nouveau PLOM qui correspond de façon fine aux besoins du territoire. Les spécificités et nos arguments ont été entendus par les concepteurs de ce plan.

Mme Corine Vingataramin, directrice générale de l'Établissement public foncier de la Guadeloupe. - L'Établissement Public Foncier est un jeune établissement, créé en 2013, qui intervient sur l'ensemble du territoire à l'exception de la commune du Gosier qui n'en est pas membre. Nous assurons la maîtrise foncière pour tout type de projets dès lors qu'ils relèvent de l'intérêt général et qu'ils sont d'utilité publique. L'habitat constitue néanmoins l'axe principal de nos interventions puisque la première orientation stratégique du programme pluriannuel d'intervention 2019-2023 est de permettre aux Guadeloupéens d'accéder à des logements dignes.

Notre première préoccupation est l'accroissement depuis quelques années du déséquilibre entre l'agglomération centrale et le reste du territoire guadeloupéen. Même si ce n'est pas un élément nouveau en soi, aujourd'hui la tendance est en train de s'accélérer et de s'aggraver. Je rappelle que lors de l'approbation du schéma d'aménagement régional (SAR) en 2011, le nord de Basse-Terre et l'est Grande-Terre commençaient à constituer de véritables alternatives à l'agglomération Centre. Aujourd'hui, avec la construction du nouveau CHU et le développement du secteur de Providence aux Abymes, cette tendance a complètement disparu ; les frémissements que nous avions observés en faveur d'un rééquilibrage du territoire à cette époque ont désormais complètement disparu. Il en résulte que certains opérateurs hésitent à construire dans les petites communes rurales alors que le besoin en logements y existe également. Évidemment, nous comprenons la préoccupation des bailleurs sociaux qui ne veulent pas prendre le risque d'avoir des logements vacants. Cependant, aujourd'hui, nous avons un territoire qui perd progressivement de sa cohésion et selon votre commune de résidence, vous ne disposez pas des mêmes chances d'habiter un logement décent.

Le logement doit s'inscrire dans une politique globale d'aménagement et de développement du territoire, dans laquelle il faut réussir à concilier le logement, le développement économique et les transports. Il est impératif de traiter ces politiques de façon simultanée. Cet élément a un impact direct sur notre activité. En effet, nous acquérons du foncier sur les territoires les moins attractifs, mais il devient de plus en plus difficile de convaincre les opérateurs d'y lancer des opérations. Je propose d'inciter les bailleurs à s'implanter dans des communes qui ne sont pas forcément situées dans l'agglomération pointoise et sa périphérie immédiate, ainsi que de concevoir des programmes de logement beaucoup plus adaptés au mode de vie des populations et aux particularités du territoire.

La deuxième préoccupation est la différence entre la demande et le besoin. Des efforts conséquents ont été faits depuis quelques années pour quantifier la demande. Toutefois, nous n'avons pas de programme local de l'habitant (PLH) et le besoin est beaucoup plus important. Des familles vivent dans des conditions déplorables et n'ont pas forcément le réflexe de remplir un dossier de demande de logement, soit parce qu'elles sont propriétaires du logement qu'elles occupent, soit parce qu'elles pensent ne pas y avoir droit. Je suggère, en attendant l'élaboration des PLH, de quantifier le besoin en s'appuyant sur les centres communaux d'action sociale (CCAS) et en leur octroyant des moyens car ils sont en contact direct avec les familles.

La troisième préoccupation est la position fermée des maires face à la construction de nouveaux programmes de logements sociaux sur leur territoire, alors que 83 % de la population guadeloupéenne est éligible au logement social. Les maires justifient leur refus par les problèmes d'incivilité et de violence auxquels ils sont confrontés au quotidien dans certaines résidences. Ils déplorent le fait de se retrouver seuls à y faire face. L'enjeu est de créer de nouveaux programmes de logements même quand les maires s'y opposent. Ma proposition serait de réinventer le logement social, en produisant des logements de plus petite taille, mieux insérés dans le tissu urbain et en facilitant la mixité sociale à l'intérieur même de ces programmes.

La quatrième préoccupation est la complexité des constructions dans les centres anciens. Nous avons accentué nos interventions dans ces centres anciens, mais force est de constater que, outre le problème de la maîtrise foncière, construire dans ces zones reste compliqué puisque les démarches administratives sont particulièrement lourdes et complexes. À la complexité administrative, vient s'ajouter la complexité technique des programmes de démolition et de reconstruction. Il serait pertinent de travailler sur la simplification des procédures administratives (permis de démolir, fouilles archéologiques du permis de construire).

La cinquième préoccupation est l'acheminement progressif vers le « zéro artificialisation ». Au regard de l'importance de la vacance sur l'ensemble du territoire, y compris dans les zones périurbaines et les zones rurales, il est évident que l'artificialisation des sols n'est plus envisageable pour construire du logement. Rappelons que la population guadeloupéenne vieillit, qu'elle diminue, ce qui a un effet direct sur l'augmentation de la vacance. Aujourd'hui, nous devons tous mener une politique de reconquête des logements vacants.

Cela nous amène à rebondir sur une autre préoccupation, la temporalité. Nous essayons d'acheter des « dents creuses » et des logements vacants en centres anciens, afin de permettre la construction de petits programmes. Malheureusement, nous constatons encore des réalisations de programmes de 200 à 300 logements en rase campagne, dans les zones périurbaines. Cette démarche continue à s'inscrire dans une logique très quantitative. Certes, il faut produire du logement le plus rapidement possible. Cependant, la reconquête de la vacance est plus longue puisque le foncier nécessite un traitement avant rétrocession à un opérateur et les opérations de réhabilitation sont beaucoup plus complexes que pour les constructions neuves. Ma proposition est de se donner un peu de temps pour repenser cette politique de logement à l'échelle du territoire guadeloupéen. Il faut que les intercommunalités se dotent de vrais outils stratégiques comme les PLH. Il nous manque une véritable réflexion, un peu d'intelligence et de bon sens.

Mme Alix Huyghues Beaufond, présidente du comité territorial d'Action Logement Guadeloupe. - Notre comité territorial est une organisation paritaire composée de 9 membres, 5 issus du patronat et 4 issus du collège salarié, chargée de mener la politique du groupe Action Logement dans le département. Nos actions se déclinent, en plus des produits et services courants délivrés par Action Logement Services (Visale, aides aux salariés en difficulté, accession sociale...), par des dispositifs tels que Action coeur de ville (ACV) sur les trois communes de Pointe-à-Pitre, Basse-Terre, les Abymes, pour lesquelles des conventions immobilières ont été signées respectivement à hauteur de 7,9 millions d'euros et 9 millions d'euros. Depuis un an, le Plan d'investissement volontaire (PIV) en outre-mer décidé par les partenaires sociaux et déployés par Action Logement a permis d'engager une dynamique positive dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) en faisant émerger une véritable stratégie d'intervention du groupe en outre-mer. En Guadeloupe, le territoire a déjà bénéficié de 113 millions d'euros répartis sur 84 opérations auprès des 3 bailleurs (SIKOA, SIG et SEMAG).

Il s'agit pour nous, avec l'ensemble des dispositifs, de combler le retard dans la production de logements locatifs sociaux (LLS), résorber l'habitat insalubre, améliorer l'habitat existant, réduire le taux de vacance du parc social et de favoriser le parcours résidentiel des salariés d'entreprise.

Toutefois, de nombreux freins concourent à limiter l'utilisation de ces différentes enveloppes. Les principaux sont la gestion de l'assainissement, les délais trop longs des collectivités pour garantir les prêts, le manque d'ingénierie chez les bailleurs et les communes, la procédure de délivrance de permis de construire trop longue retardant les appels d'offres, ce qui obligent les entreprises à licencier, et l'indivision. Le problème ne se situe pas dans le financement des logements. Certains bailleurs mentionnent qu'ils ont du mal à trouver des entreprises, car les coûts de production sur l'agglomération pointoise et sur les autres communes ne sont pas les mêmes. Les entreprises sont perdantes et ne répondent pas aux appels d'offres lancés par les bailleurs. Nous devons trouver des solutions à cette problématique.

En complément des financements à destination des bailleurs, la préoccupation d'Action Logement est d'offrir aux salariés une meilleure qualité de vie et d'améliorer leur pouvoir d'achat. C'est pour cette raison qu'un travail partenarial a été engagé, sous le pilotage du comité territorial d'Action Logement, afin d'accompagner les bailleurs sociaux dans leurs missions sociales. Une mission d'étude engagée début 2021 et confiée à l'association Bio Désir vise à déceler les besoins des résidents pour la création d'espaces partagés (tiers-lieux ou « Lakous »). Ce sont autant d'espaces d'activités partagés qui contribueront à créer du lien au sein des résidences.

Il s'agit également pour Action Logement d'accompagner les locataires en anticipation des nouveaux modes de vie « après Covid ». En effet, beaucoup de salariés sont obligés de faire du télétravail à leur domicile sans pour autant disposer de l'espace adéquat, il s'agit de créer de nouveaux lieux de coworking proches de leur domicile.

Par ce dispositif, nous souhaitons accompagner les bailleurs sur l'aspect social, contribuer au développement économique et social, mais aussi permettre une qualité de vie au sein des résidences, voire une diminution de la vacance.

Mme Josette Borel-Lincertin, présidente du conseil départemental de la Guadeloupe. - La question du logement est au coeur de mes préoccupations et de celle de la collectivité départementale. Nombre de nos compatriotes vivent encore dans des conditions difficiles. Depuis mon arrivée à la présidence du Conseil départemental en 2015, plus de 1 000 logements sociaux ont été financés directement par le département dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre la pauvreté. Beaucoup reste encore à faire et je souhaite que l'on puisse dégager ensemble des solutions. L'idéal est de pouvoir jeter des bases solides pour la prise en compte de ces difficultés.

Je me focaliserai principalement sur le coût des loyers que nous devons absolument diminuer. Une des solutions passe par l'augmentation du nombre de financeurs, des LTS et l'augmentation des moyens dédiés par l'État. Sur la question du foncier, ma collectivité étant principalement agricole, nous ne pouvons pas intervenir.

La difficulté réside plutôt sur les coûts d'aménagement. De nombreux outils permettent d'intervenir. Parmi eux la préemption d'un organisme foncier solidaire ou encore l'acquisition de terrains et revente avec une minoration de prix.

Les garanties d'emprunt doivent par ailleurs être fluidifiées.

Mais je vais laisser la parole à M. Bredent directeur du logement pour qu'il partage son vécu et ses propositions.

M. Alain Bredent, sous-directeur du logement et de l'habitat social. - Je souhaite insister sur nos préoccupations. D'abord, il est impératif que le volume de logements puisse recommencer à augmenter. Nos politiques de crédits d'impôts sont importantes à ce titre. Nous participons au titre des garanties d'emprunt et nous espérons que les choses seront fluidifiées pour retrouver une harmonisation et une coordination que nous avions avec la région, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), afin de répondre de façon plus constante et rapide à la préoccupation des garanties d'emprunt. Nous intervenons aussi dans des programmes de logement plus spécifiques à Pointe-à-Pitre et Cap Excellence.

Par ailleurs, le montant des loyers nous préoccupe. Les LTS contribuent à diminuer cette courbe des loyers de sortie. Cependant, au-delà des LTS, nous souhaitons que les loyers d'une manière générale puissent diminuer dans notre département. Pour cela, il faudrait agir sur le prix du foncier, de l'assainissement collectif et individuel et sur le coût des matériaux, qui sont trop importants. Peut-être serait-il possible de trouver une solution d'approvisionnement, en dehors de l'Hexagone ou de l'Europe, qui soit plus proche de notre île pour diminuer le coût des matériaux.

Concernant les normes, une évolution est en cours (RTG - Règlement Thermique Guadeloupe) pour avoir des normes plus conformes à notre environnement naturel, notre climat et notre topographie. Mais il faudrait être attentif à ce sujet qui alourdira sensiblement le coût des logements.

Il est une chose de construire des logements, il en est une autre de permettre aux ménages d'y accéder. Nous privilégions l'accompagnement social via le fonds de solidarité pour le logement (FSL) pour permettre aux ménages d'accéder au logement ou de se maintenir dans le logement, sachant que l'allocation logement est relativement faible par rapport à l'aide personnalisée au logement (APL) telle qu'elle existe sur le territoire national. Certains ménages ont encore un reste à charge trop important.

Concernant l'amélioration de l'habitat, il reste encore beaucoup à faire notamment pour permettre aux personnes âgées ou aux jeunes en insertion de se maintenir dans leur logement.

M. Georges-Julien Ursule, président du conseil régional de l'Ordre des architectes de la Guadeloupe. - Le logement est une équation complexe qui s'articule autour du financement et des contraintes techniques, sociologiques et environnementales.

Le principal enjeu est le foncier. Il y a quelques années, l'ADUAG (Atelier d'urbanisme de la Guadeloupe) faisait office d'organisme local et de régulateur en matière d'organisation du territoire. Aujourd'hui, nous sommes dans l'opportunité foncière immédiate avec des coûts induits non négligeables qui impactent durablement le paysage.

Dans certains quartiers où la violence domine, il manque des éléments structurants, à savoir le travail, l'enseignement, le lien social et les activités sportives. La question du transport se pose à tous les stades, depuis la recherche du terrain jusqu'à la livraison des logements et représente pour les ménages un coût non négligeable..

Une autre problématique concerne la sinistralité dans les logements sociaux. Ce fait est lié principalement à la recherche d'économie, à la formation des intervenants et à des matériaux non adaptés. Pour tenter de répondre à cette difficulté, certains bailleurs sont tentés par la conception-réalisation. La loi du 3 janvier 1977 sur l'architecture prévoit que le maître d'ouvrage qui a un ouvrage soumis à un permis de construire doit confier le projet architectural, objet de cette autorisation, à un architecte. De plus, la loi interdit à l'architecte de réaliser, en tant que sous-traitant d'un entrepreneur, le projet architectural faisant l'objet de la demande de permis de construire. C'est une démarche un peu antinomique.

Il faut prendre en compte également certaines spécificités, comme la localisation du logement et le transport des matériaux. Un logement à Marie-Galante ou à Saint-François n'a pas le même coût qu'à Baie Mahaut. L'augmentation incontrôlée des prix des matériaux engendre le refus de chantiers de la part d'entrepreneurs ou de certains artisans, n'étant pas certains de pouvoir garantir les travaux demandés dans les limites des devis.

Le problème des normes se pose également. Elles sont nombreuses et contribuent à surenchérir le coût du logement. Une piste serait de développer la recherche locale. L'Ordre développe un partenariat avec FinErgie pour apporter sa contribution à l'utilisation de matériaux ainsi qu'au recours des systèmes constructifs performants et adaptés au contexte local.

Une piste d'économie à creuser pourrait être l'utilisation de matériaux locaux ou en provenance de la Caraïbe.

Un autre frein est la technostructure régalienne, avec les architectes-conseils, les PLU qui ne sont pas forcément adaptés. Ainsi, certaines communes n'ayant pas de réglementation propre empêchent le développement de la conception et des recherches en économie.

Face à l'évolution des structures familiales, nous devons penser à la modularité du logement. Nos familles grandissent ou se réduisent, des parents se retrouvent seuls dans de grands appartements. L'adaptabilité serait une piste à développer.

Plutôt que de renforcer les normes pour la solidité des logements ou les contraintes pour faire face aux cyclones ou aux risques naturels majeurs, il serait important de revoir la conception même des logements, avec des parties sécurisées, tout en prévoyant des zones de regroupement dans les quartiers.

Concernant la ventilation, nous disposons de solutions qui permettent de répondre aux contraintes locales sans recours à de nouvelles normes. Je ne parle pas du potentiel énergétique du soleil, complètement sous-exploité, qui permettrait des économies substantielles.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - La DEAL a-t-elle les moyens d'atteindre les objectifs fixés dans le nouveau PLOM ? A-t-elle conscience qu'il faut simplifier les procédures, qu'il faut surmonter les obstacles, notamment administratifs ?

M. Georges-Julien Ursule vient d'évoquer la technostructure régalienne. En effet, les architectes-conseils interviennent au dernier moment pour compléter les dossiers et font des remarques qui retardent les dossiers. Comment vivez-vous cela ? Cela contribue-t-il à la sous-consommation de la LBU ? Une critique est adressée aux collectivités qui ne seraient plus capables et aux bailleurs qui n'auraient plus l'expertise et l'ingénierie, pour faire aboutir leurs dossiers. M. Boyer, comment jugez-vous cela ?

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Je tiens à vous remercier pour les éléments éclairants que vous avez apportés et la précision de vos réponses. Vous avez indiqué des coûts de production différents dans l'agglomération de Pointe-à-Pitre par rapport à d'autres communes. Pourriez-vous nous préciser ce qui justifie cet écart ?

Mme Victoire Jasmin. - Nous sommes sur un territoire qui comporte des risques naturels majeurs. Vous avez évoqué la question des normes et du coût des matériaux. Cependant, en cas de situation innovante, quels seraient les freins au niveau des assurances ?

M. Jean-François Boyer. - Les architectes-conseils n'ont aucune capacité de décision. Ils sont mis à contribution pour faire évoluer la production de logement social vers plus de qualitatif et pas seulement du quantitatif. Cela a donné lieu à un référentiel qualité, que la plupart des acteurs se sont appropriés.

Par ailleurs, l'année 2019 a vu un décalage dans la réalisation. Avant cette évolution qualitative, nous dégagions plus du quart des montants engagés dans les années suivantes car les projets étaient financés très tôt, alors même qu'ils n'étaient pas encore finalisés. Sur les dernières années, nous sommes désormais à 3 % de dégagement. J'aimerais que les bailleurs nous disent ce qu'ils pensent de cette évolution.

Concernant la consommation de la LBU, la question n'a jamais été celle du financement et la LBU n'a jamais été un frein. Il s'agit plutôt d'avoir des projets qui entrent dans le dispositif. Nous consommerons davantage de LBU en 2021 et 2022, parce que nous avons plus de projets à financer, avec une grande quantité de logements en réhabilitation, permettant ainsi à des familles qui vivent dans des conditions déplorables de revenir à un standard d'habitat normal. Nous prévoyons 2 500 logements sur le seul parc social en 2021, avec des financements par la LBU qui seront plus importants.

Un sujet préoccupant concerne la difficulté d'arriver au terme des opérations car les raccordements, la voirie ou l'assainissement sont inexistants. Lors du lancement d'un projet, il faut que les collectivités disposent de l'ensemble des raccordements préalables nécessaires. Rester au plus proche de centres existants permet bien souvent de réduire ces problématiques de réseaux et d'assainissement.

Sur les permis de construire, neuf communes n'ont pas de PLU et sont revenues au règlement national d'urbanisme (RNU). Cette situation n'est pas viable, car elle constitue un frein majeur au lancement d'opérations. Il est primordial que les maires arrivent au bout de leurs procédure d'adoption des PLU pour reprendre la maîtrise du développement de leur territoire à travers la maîtrise de leurs autorisations d'urbanisme.

Je ne considère pas que tout va bien. Le changement de logique vers plus de qualitatif adapté au territoire demande beaucoup plus de travail pour l'EPF, pour nous-mêmes, pour les bailleurs et pour les élus. Cependant, au final le résultat sera bénéfique pour les populations qui ont besoin de se loger.

Mme Alix Huyghues Beaufond. - Je reviens sur la question de la LBU. Le problème ne porte pas sur les enveloppes globales, mais sur le plafond de la LBU qui n'est pas adapté aux différents types de coûts. Pour illustrer mon propos, je citerai le cas d'une entreprise qui, récemment et dans le cadre du PIV, était confrontée à des coûts trop importants, le chantier se situant hors de l'agglomération pointoise. Déplafonner la LBU serait une piste à explorer, car son montant ne prend pas en compte les coûts de transport et autres frais.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - Je veux bien reconnaître qu'il n'y a pas de problème d'enveloppe, mais tout de même, il y a quelques années, nous étions à 260 millions de LBU et 247 en crédits de paiement (CP). Aujourd'hui, nous sommes à 225 millions en LBU et 195 en CP. L'enveloppe de la Guadeloupe était à l'époque de 63 millions. Elle est descendue à 47 millions et nous serons à 31 millions cette année. Entretemps, la Guyane qui était à 20 millions est montée à 47 ; il en est de même pour Mayotte. Le problème porte sur la diminution de l'enveloppe globale et le redéploiement entre les territoires.

Par ailleurs, si nous donnons la priorité aux LLTS, qui sont une des priorités du nouveau PLOM, et que cette mesure se traduit par des distributions d'agréments systématiquement en faveur des LLTS, nous risquons de provoquer un blocage des opérations relevant des autres financements (les LLS, les PLS). Ce risque peut mettre à mal la réalisation de l'objectif de mixité sociale, comprise dans la loi Égalité et Citoyenneté et dans la loi Élan. Quelle projection faites-vous pour l'avenir ?

Action Logement a prévu 250 millions d'euros de subventions pour la démolition dans les logements sociaux, en zone B2, dans l'Hexagone et dans les opérations Actions coeur de ville. Cependant, notre territoire ne serait pas intéressé alors que nous sommes en zone B1. Pourquoi la Guadeloupe n'est-elle pas bénéficiaire de ce dispositif ?

Pouvez-vous m'indiquer les listes des subventions du PIV dans l'Hexagone et dans les outre-mer ? Apparemment, ne seraient prévus que 200 réfections de douches, toilettes par an dans les outre-mer. Est-ce exact ?

Par ailleurs, comment la problématique de l'amiante a-t-elle été prise en compte par Action Logement ?

Pour finir, j'aimerais un éclairage sur les prêts Action Logement et de la CDC. En effet, un prêt de la CDC constitue une subvention avec exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB), mais ce n'est pas le cas pour le prêt Action Logement. J'aimerais avoir l'avis des bailleurs sociaux sur ce montage financier.

Mme Vivette Lopez, présidente. - Mesdames et Messieurs, n'hésitez pas à nous envoyer vos contributions pour étayer notre rapport sur les sujets que nous n'aurions pas eu le temps d'aborder aujourd'hui.

Mme Véronique Roul, secrétaire générale de l'Association régionale des maîtres d'ouvrages sociaux (ARMOS) de la Guadeloupe. - L'ARMOS fédère les cinq bailleurs sociaux de notre département, dont certains sont également des aménageurs. Avec 11 000 demandeurs de logements sociaux, la production oscille entre 600 et 800 logements par an ces dernières années. L'accélération de la construction reste un enjeu fort et oblige les partenaires à aborder cette difficulté avec une plus grande coordination. La sanctuarisation de la LBU et le financement global du logement social en Guadeloupe ont toujours été une préoccupation pour notre territoire. Les financements existent et le travail est intense entre les services de l'État, les bailleurs sociaux et l'ensemble des partenaires. L'action conjuguée de la LBU, du crédit d'impôt et du PIV d'Action Logement nous ont permis de flécher certains financements, notamment sur les réhabilitations. Ces dernières évolueront de manière significative au cours des prochaines années grâce à un taux de LBU qui a été amélioré et un crédit d'impôt qui s'est élargi aux résidences hors quartiers prioritaires de la politique de la ville. Il est indispensable que ces enveloppes budgétaires perdurent dans le temps et puissent être captées par notre territoire en totalité. En contrepartie de l'amélioration des équilibres d'opérations, les bailleurs se sont engagés dans une politique de baisse importante des loyers et à adapter leur parc au vieillissement de la population. Nous prévoyons de réhabiliter entre 1 000 et 1 200 logements par an au cours des six prochaines années.

Il est important de rappeler certains freins qui doivent être levés. L'ensemble des partenaires y sont sensibles et vous l'avez évoqué. Je rappelle que l'élaboration des documents d'urbanisme et de planification est une obligation (PLU, PLH) mais aucune communauté d'agglomération n'a de PLH validé. Les financements sont abondants, mais il reste à trouver de nouveaux co-financeurs, notamment pour la production de logements très sociaux (LLTS). Je rappelle également qu'il faut raccourcir sensiblement les délais d'obtention des garanties d'emprunts en élargissant le spectre des collectivités qui pourraient compléter les tours de table.

Un autre point est à souligner, relatif au fléchage des financements en faveur des démolitions. Je sais que les services de la DEAL sont mobilisés sur ce point, mais il est important de mieux financer les démolitions afin d'éviter de réhabiliter des résidences trop vulnérables aux risques sismiques et cycloniques et éventuellement des passoires thermiques.

Je rappelle également la rareté et le coût du foncier. Le fléchage des constructions vers les programmes en centre-ville, en centre-bourg, en centre ancien, qui nous apparaissent légitimes et compréhensibles en termes de stratégie territoriale, oblige à concevoir des petites opérations avec peu de logements et donc une démultiplication des petits programmes. Cette approche se confronte au besoin de volume nécessaire sur le territoire.

Je ne serai pas plus longue sur les problèmes d'infrastructures, de réseaux, de dessertes électriques, d'assainissement qui bloquent la sortie de nombreuses opérations.

J'apporterai par ma contribution écrite des éléments plus précis sur les différents points que je viens d'évoquer.

Enfin, un fort enjeu concerne la problématique de la baisse des coûts de construction. Le lancement d'un plan territorial d'ampleur pour des enveloppes dédiées à la recherche et au développement est essentiel. Nous nous inscrivons en tant que bailleur dans cette logique. Il faudra développer des nouveaux modes de construction et l'utilisation de matériaux innovants. Des partenariats avec de grands cabinets au niveau national ou local permettront de trouver des nouveaux modes d'expérimentation et de développer de nouveaux procédés de construction. Cela suppose une coopération régionale caribéenne un peu plus affinée, plus concrète. J'interpelle nos élus à avancer en ce sens.

Je terminerai en mentionnant le tissu local de nos petites entreprises qui doivent être soutenues et bénéficier d'une meilleure formation. Aujourd'hui, la plupart d'entre elles n'ont pas la possibilité de répondre à l'ensemble de nos appels d'offres, faute de compétences ou de formations. Les plus gros opérateurs locaux ont en revanche la capacité de répondre aux appels d'offres en termes de compétences humaines et d'ingénierie. Au regard de l'ampleur des besoins en matière de production et de réhabilitation, ce manque d'opérateurs pose forcément un problème dans la saturation des carnets de commandes. De plus, nous courrons le risque de voir une inflation des prix. Il faut favoriser cette concurrence en développant un tissu de très petites entreprises et les soutenir pour une meilleure insertion dans nos opérations de commandes publiques.

M. Laurent Boussin, directeur général de la Société d'économie mixte d'aménagement de la Guadeloupe (SEMAG). - La SEMAG est une société d'économie mixte qui, historiquement, a vocation à travailler sur l'aménagement du territoire. Elle s'est engagée, il y a une vingtaine d'années, dans la production de logements locatifs.

Je partage les propos précédents sur la problématique des outils de planification qui est un vrai frein à notre développement. Nous devons nous interroger sur l'opportunité de refondre le SAR. Nous ne disposons pas de Schéma de cohérence territoriale (SCoT), ni de programme local d'habitat (PLH). Nous sommes dans un département non pas dépourvu d'aménagement, mais où des opérations sont juxtaposées les unes à côté des autres.

Par ailleurs, il manque un organisme de régulation et de stabilisation des prix du foncier. Ces dernières années, les prix ont explosé, atteignant la limite supérieure de ce qu'un logement locatif peut accepter. Certes, certaines SEM ont des réserves foncières, mais elles s'épuiseront vite. Lorsque les prix dépassent 70-80-90 euros le m2 avec une nécessité de se raccorder sur 500-800 mètres ou 1 kilomètre à des réseaux qui ne préexistent pas, nous sommes à ce moment dans une limite de production qui nous amènera immanquablement à mettre les loyers au plafond.

Il pourrait être pertinent de favoriser les opérations d'aménagement à proximité immédiate de la ville, sur lesquelles nous pourrons avoir un effet levier, via le FRAFU, supérieur à celui que nous avons à ce jour. Cela permettrait non pas de faire uniquement de la production locative, mais de bâtir un quartier comprenant du logement locatif, du logement privé, des commerces, des stationnements, des bureaux, qui participe à la globalité de la ville et permet ainsi d'avoir une péréquation en maintenant un niveau de production élevé et des coûts maîtrisés sur du logement locatif.

Si on convainc les collectivités qui vont mettre en place les PLU et les futurs PHL, on doit pouvoir avoir à la marge les 7 000 logements que l'on doit créer ces six prochaines années.

La simplification des démarches administratives est un point clé, notamment en ce qui concerne les dossiers environnementaux qui se sont complexifiés. Par exemple, l'une de nos opérations a nécessité des dérogations et, au moment de l'enquête publique, il aurait fallu qu'un grand spécialiste vienne de l'Hexagone pour remplir le dossier environnemental permettant l'ouverture de cette procédure d'enquête publique. Ce spécialiste n'ayant pas été trouvé, l'enquête publique a été annulée. Ni à la DEAL, ni à la préfecture, ni à la SEMAG, nous ne savons comment satisfaire ces nouvelles normes liées à une évolution des dossiers environnementaux. Il serait utile d'alléger quelque peu les démarches.

En raison de difficultés d'entente avec les architectes-conseils, l'année 2019 a vu un repli, ce qui a significativement ralenti la production. Nous avons réussi à comprendre les enjeux, à nous mettre d'accord, même s'il me paraît nécessaire que les architectes-conseils comprennent aussi les spécificités des territoires ultramarins. Avec un peu d'intelligence de terrain, nous pourrions faire mieux et aller plus vite.

Je termine sur un point qui m'inquiète énormément, s'agissant de l'inflation des prix sur nos appels d'offres. Certes, la crise du Covid perturbe significativement notre économie mais, pour autant, je n'arrive pas à comprendre certaines formations de prix qui me paraissent déconnectées par rapport aux réalités et au prix initial. Nos appels d'offres sont systématiquement supérieurs de 15, 20, voire 25 % et nous arrivons à la limite de l'exercice. Cette inflation contribuera à freiner la production. C'est un point sur lequel il faut veiller car les mois qui viennent sont à fort enjeu.

M. Dominique Joly, directeur général de la Société pointoise d'HLM de la Guadeloupe (SPHLM). - J'ai reçu ce matin une circulaire de la part de la Fédération des coopératives. Le premier paragraphe m'a enchanté, puisqu'il est mentionné qu'Action Logement accordera une prime de 10 000 euros pour les familles qui accèdent à la propriété dans la limite des conditions sociales requises. Cependant, la suite de la circulaire est plus compliquée. En effet, les bénéficiaires doivent être salariés, primo-accédants, avoir un contrat de travail, mais ne pas relever de la MSA. L'opération doit être finançable, avec des coûts de revient maîtrisés, et inscrite dans un programme Action coeur de ville ou dans un NPNRU. De quoi freiner mon enthousiasme !

Pourquoi n'y a-t-il que 500 000 euros prévus sur le fonds Friches ouvert pour la Guadeloupe ? Nous avons besoin de ce fonds Friches pour récupérer du foncier. Nous travaillons en synergie avec l'EPF. Sur toutes les opérations où l'EPF nous apporte un terrain, le fonds Friches est pertinent et pourrait venir nous aider. Alors, pourquoi cette limitation ?

La SPHLM est un bailleur social, semblable à la SEMAG qui a commencé à développer un parc locatif depuis les années 90. Notre coopérative HLM a été créée dans les années 70 pour faire émerger une offre à l'accession sociale à la propriété. Après avoir mis cette activité en sommeil entre 1990 et 2010, nous avons depuis la particularité de développer des programmes de construction pour les vendre au travers d'un dispositif de location-accession en utilisant un montage qui repose sur le prêt social de location-accession.

La location-accession à la propriété représente 80 % de la production de la SPHLM. Nous ne faisons pas de publicité grand public et pratiquons une diffusion limitée. Nous avons cependant 800 demandeurs dans notre fichier, des familles éligibles qui souhaitent acheter un logement par le biais des produits que nous proposons. Nous n'arrivons à proposer que 100 à 150 logements par an. Nous rencontrons les mêmes difficultés qu'énoncées précédemment. Je m'y associe totalement, aussi bien sur les PLH que les PLU qui font défaut sur le territoire. Avec un RNU (règlement national d'urbanisme), souvent la constructibilité est beaucoup plus limitée que dans un PLU. Concernant le PLH, la conséquence directe est le rallongement de nos délais puisque les EPCI qui ont pris la compétence habitat ne peuvent pas l'exercer tant qu'elles n'ont pas de PLH approuvé. Par exemple, nous ne pouvons pas aller auprès de la communauté d'agglomération de Cap Excellence pour demander une garantie puisqu'elle ne peut exercer sa compétence habitat pleinement, tant qu'elle n'a pas approuvé le PLH.

Notre proposition est, qu'à titre dérogatoire, les communautés d'agglomération - pendant la phase d'élaboration de leur PLH - puissent garantir nos emprunts. Nous pourrions ainsi gagner énormément de temps. Auparavant, la durée des études préalables était de 2 à 3 ans. Aujourd'hui, la durée s'est allongée à 4 ou 5 ans. Dans les collectivités un peu moins bien notées auprès de la Caisse des Dépôts, la ville garantirait 50 %. Il faudra chercher les autres 50 % auprès du conseil départemental ou à la région. Nous multiplions donc à ce jour par deux le délai d'instruction pour aboutir à la signature du contrat de prêt auprès de la banque. L'impact négatif est direct sur notre activité.

Les surcoûts en centre-ville sont indéniables. La SPHLM sort des opérations autour de 1 900-2 000 euros le m2 en zone peu dense. En centre-ville, avec les récentes augmentations de coûts, le surcoût atteint 25 %. Sur le territoire de Pointe-à-Pitre, plus les fondations doivent être profondes, plus les approvisionnements et l'installation de chantier sont compliqués. Les autres surcoûts potentiels dans nos opérations concernent l'équipement, l'assainissement, les transformateurs EDF.

Ma proposition serait de recréer une ligne spécifique au sein du FRAFU. Il y a une vingtaine d'années, une partie de ce FRAFU était baptisé « surcoût architectural ». Il contenait tous les points qui venaient renchérir une opération, de façon exceptionnelle. Peut-être serait-il possible de relier ce FRAFU « surcoût architectural » au FNAP (Fonds national d'aide à la pierre). En effet, malgré nos cotisations, nous ne bénéficions outre-mer d'aucune prestation du fait de la LBU. Nos cotisations sont donc perdues. Ma proposition serait de flécher une partie de nos cotisations versées au FNAP pour venir abonder la LBU, ce qui permettrait au ministère des outre-mer de flécher le FRAFU « surcoût architectural » vers nos opérations.

Le programme Action coeur de ville est très positif. Il nous apporte des financements sur des aménagements, notamment pour des commerces en pied d'immeubles. La Caisse des Dépôts peut nous accompagner pour le financement de ces commerces. Cependant, pour quelles raisons limiter ce dispositif à trois communes sur la Guadeloupe ? Comment financer les commerces situés en pied d'immeuble pour les opérations en centre-ville ? Les crédits de la Caisse des Dépôts ou d'Action Logement qui viennent en complément sur la partie accession peuvent être une source de financement qui facilitent nos opérations.

Par ailleurs, dans la mesure où nous remplissons une mission d'intérêt général, je propose que nous ne subissions pas les taxes sur nos matériaux, notamment l'octroi de mer. Les produits qui entrent dans la fabrication de nos logements sociaux pourraient être reconnus comme des produits de première nécessité afin de faciliter l'émergence de nos opérations. L'État pourrait compenser auprès des collectivités locales cette réduction d'octroi de mer.

Je conclurai sur le sujet de l'accession très sociale à la propriété. L'accession sociale permet de loger une famille qui gagne entre 2 000 et 4 000 euros par mois. Avec l'accession très sociale, il s'agit de familles qui gagnent moins de 1 000 euros par mois et qui sont dans des situations d'habitat très précaires (copropriété dégradée, logement insalubre, zone à risque). Nous avons réalisé, avec la participation active et volontariste de la DEAL, une première opération d'accession très sociale, où nous relogeons dans des logements certaines familles qui sont au RSA. Elles bénéficient d'un parcours accompagné sur 15 ans au travers d'un contrat location-accession avec une charge mensuelle de 100 euros. À l'issue des 15 ans, le logement leur est vendu à l'euro symbolique. Les besoins sont énormes. Il faudrait inciter le ministère des outre-mer à créer un groupe de travail pour étudier les solutions afin de produire des logements en accession très sociale à la propriété pour ces familles.

M. Laurent Pinsel, directeur général délégué de la SEMSAMAR. - La SEMSAMAR est une société d'économie mixte de 13 500 logements avec un parc en Guadeloupe de 8 000 logements. Nous avons beaucoup construit en Guadeloupe. Néanmoins sur les dix dernières années, notre patrimoine s'est majoritairement développé en Guyane. SEMSAMAR reste un acteur unique, car elle continue à construire des logements évolutifs sociaux et expérimente, en partenariat avec la SPHLM, des programmes de prêts sociaux location-accession (PSLA) très sociaux afin de répondre aux besoins d'accession à la propriété. Sa filiale santé gère actuellement des logements seniors pour proposer une offre de logements adaptés au vieillissement de notre population.

La SEMSAMAR s'est dotée en 2020 d'un plan à moyen terme qui fixe ses objectifs en matière de développement et de réhabilitation de son parc. Sur le territoire, ce plan repose sur la mobilisation de son stock foncier pour la production de plus de 500 logements diversifiés (locatif, accession sociale et logement libre) et sur la réhabilitation de 700 logements sociaux. En 2020, nos principales difficultés ont résidé dans une maîtrise délicate du foncier avec des contestations et conflits de propriété à régler. Nous avons également rencontré des difficultés pour la validation des projets et des procédures d'urbanisme à mettre en oeuvre. En 2021, nous initions des projets de recyclage de certains fonciers qui sont tenus par des collectivités, soit en centre-ville, soit en centre constitué, et nous répondons aux appels à projets lancés par l'EPF et les collectivités.

Pour développer l'offre LLTS, il faudra renforcer principalement le financement de nos opérations d'aménagement foncier. La SEMSAMAR dispose d'un stock important de foncier à valoriser. Il nous faudra valider ces projets d'aménagement, minorer les charges foncières, voire les céder à d'autres opérateurs comme c'est le cas avec l'EPF. Nous accordons un important volet au recyclage foncier. Pour développer les LLTS, il faut être en capacité de développer des logements à coûts maîtrisés. M. Georges Julien Ursule de l'Ordre des architectes évoquait l'utilisation de la procédure de conception-réalisation. Il ne s'agit pas forcément de la généraliser dans le processus de production de logement, mais nous disposons d'expériences réussies tant en matière de maîtrise des délais qu'en maîtrise des coûts, pour les opérations initiées selon cette procédure. La principale difficulté apparaît en cas de liquidation de l'entreprise principale. Nous avons constaté ces deux dernières années, la disparition de trois entreprises de gros oeuvre, ce qui impacte le champ concurrentiel.

Sur le développement des opérations d'accession sociale à la propriété, la SEMSAMAR a construit sur les 15 dernières années près de 750 logements évolutifs sociaux, principalement dans les opérations RHI. Ce type de logement a répondu aux besoins, mais la faiblesse des financements, la difficulté de la maîtrise foncière, le profil social des ménages ont généré des difficultés importantes. En conséquence, nous n'avons toujours pas clôturé financièrement nombre d'opérations. Nous aurons donc à constater des pertes financières dans nos comptes. Ces dernières années, pour remplacer ce produit, nous avons réalisé, en partenariat avec la SPHLM, deux programmes de prêt social location-accession (PSLA) très social qui ont permis de remplacer le LES. Le montage financier a pu être opéré grâce à des subventions importantes de l'État pour neutraliser complètement les charges foncières.

Concernant les coûts de construction, il faudrait intervenir sur les prix liés à l'importation, soutenir la commande publique et lisser l'activité. Avec la disparition de trois entreprises de gros oeuvre, le manque de concurrence en découlant aura un impact direct sur les marchés de construction de logements, avec entre 8 et 40 logements pour lesquels les grandes entreprises montrent peu d'intérêt. Il faudra subventionner la prise en compte de l'évolution de la réglementation et des surcoûts, par exemple 7 millions supplémentaires pour la rénovation du CHU en raison de la prise en compte de l'évolution de la réglementation concernant les phénomènes cycloniques de catégorie 5.

M. Thierry Romanos, président de la SIKOA. - La SIKOA est une entreprise affiliée au groupe Action Logement, qui compte 7 500 logements.

Les interventions de M. Boyer, Mme Vingataramin, Mme Roul et M. Ursule ont synthétisé l'ensemble des problématiques du logement social en Guadeloupe. Même si chaque bailleur a sa propre spécificité, les problématiques restent communes.

Le secteur du logement social est un véritable acteur de la cohésion sociale, mais aussi un vrai régulateur sociétal. Il participe activement au développement économique du territoire. Il faudrait revoir complètement le modèle économique du logement social en Guadeloupe et penser à un modèle économique à taille humaine, avec des bâtiments et des résidences pourvus d'un peu moins de niveaux pour éviter les tours et les barres d'immeubles. Se tourner davantage vers des logements R+5 ou R+6, à taille humaine, permet de créer plus de cohésion sociale, plus de lien.

L'objectif est de produire des logements de qualité à moindre coût pour réussir à tirer le prix du loyer vers le bas. 83 % de la population est éligible au logement social. Ce chiffre est important et reflète une situation très grave. Malheureusement, nous rencontrons des difficultés pour construire des LLTS. Nous sommes face à des maires et des collectivités qui refusent sur leur territoire des logements très sociaux, au profit de logements intermédiaires, de logements libres et éventuellement de PSLA.

Le premier PLOM proposait une approche quantitative avec 10 000 logements pour l'ensemble des outre-mer et 2 000 logements par DOM. Cette politique a rencontré quelques freins. Le nouveau PLOM s'appuie sur une approche plus qualitative qui nous permettrait de flécher des financements vers les EPCI pour mettre en place les PLU et PLH. Une enveloppe financière est prévue dans le nouveau PLOM pour accompagner ces EPCI. C'est un point positif qui va permettre de ralentir ce déficit de logement.

L'accompagnement de l'EPF permet de bénéficier d'un coût du foncier minoré. Cela va dans le bon sens. La LBU a certes diminué à la Guadeloupe, mais il faut porter des projets de manière à pouvoir augmenter cette ligne budgétaire. Plusieurs projets inter-bailleurs ou individuels permettront d'augmenter cette LBU qui mérite d'être sanctuarisée.

Il faudrait prévoir un nouveau modèle économique pour le logement social afin d'infléchir le coût et la rareté du foncier ainsi que les coûts de construction. L'idée de Dominique Joly sur l'exonération de l'octroi de mer sur les matériaux de construction est pertinente. Si nous parvenons à réunir tous ces éléments, conjugués à des petits artisans plus nombreux et mieux formés pour répondre aux appels d'offres, nous arriverons peut-être à diminuer le coût de la production de logement en Guadeloupe.

M. Jules Goval, directeur général de la SIKOA. - De vrais enjeux pèsent sur le logement social. Il nous est demandé d'assurer une certaine mixité sociale et intergénérationnelle, d'assurer le parcours résidentiel de nos locataires, d'adapter des typologies de logement par rapport aux besoins du marché, de dédensifier des zones, de redynamiser les centres-bourgs, et d'éradiquer le parc insalubre et d'assurer la démolition.

Le coût de la démolition est lié à la problématique de l'amiante. En Guadeloupe, aucune filière amiante n'est en place. La démolition est inévitable et son coût très élevé. Des jeunes pourraient être formés à cette notion d'amiante pour relancer l'activité économique.

Les bailleurs doivent développer davantage des offres spécifiques PSLA. Dominique Joly a déjà développé ce point.

Par ailleurs, nous bénéficions de financements, notamment au niveau du PIV et de la part de l'EPF. Nous comptons sur l'EPF pour qu'il continue à développer la minoration foncière qui permettra d'améliorer les problèmes de coûts de construction.

Nous sommes sur un département exigu avec peu de foncier. Redynamiser les centres-bourgs et les centres-villes est donc une piste à poursuivre.

Pour agir, les bailleurs rencontrent plusieurs contraintes, notamment l'augmentation du prix du foncier, les typologies de logements à revoir avec l'évolution de la démographie, l'augmentation des coûts de construction, et surtout les problèmes d'assainissement. Avec au final des coûts élevés, qui rendent difficile la baisse des loyers.

Le volet des contraintes administratives n'est pas négligeable. Avec les difficultés rencontrées par les sociétés, le nombre d'entreprises en mesure de nous aider à rénover devient très restreint. Si nous ajoutons à ces difficultés des délais d'instruction et d'obtention des autorisations (analyse de site, loi sur l'eau, défrichement, permis de construire), on comprend qu'il devient impératif de fluidifier ce processus. Les procédures sont longues et ont un impact sur le nombre de logements construits.

Le dernier point que je souhaite aborder est la situation financière des communes qui nous met dans l'impossibilité de garantir nos emprunts. La garantie d'emprunt est un vrai verrou qui bloque le développement du logement social.

M. Antoine Rousseau, directeur général de la Société immobilière de la Guadeloupe (SIG). - La SIG est une société qui compte, au 31 décembre 2020, 17  165 logements et foyers. Elle a une activité de bailleur social et une activité d'aménageur puisqu'elle est concessionnaire de la rénovation urbaine de Pointe-à-Pitre et co-concessionnaire de la rénovation urbaine des Abymes. La SIG gère également un mandat de gestion du patrimoine de la ville de Pointe-à-Pitre qui représente 1 821 logements et commerces.

Nous devons penser la ville et les besoins de nos locataires pour les 30 prochaines années, à l'aune d'une évolution démographique et d'une évolution des attentes. Nous devons prendre en compte également l'évolution normative, le développement durable et éviter l'expansion de la zone urbaine. La conjonction de toutes ces attentes sur la construction et les enjeux rejoint un besoin d'optimiser le coût des opérations. Nous devons nous concentrer sur les coûts de construction, notamment avec de nouveaux procédés que nous avons intérêt à engager sur le territoire, par exemple un mix béton/bois, ou encore la décarbonation partielle de nos travaux à l'aune du coût futur du ciment carboné. Il faut se demander si ces nouveaux procédés peuvent accompagner une ingénierie qui permette de répondre efficacement et à moindre coût aux enjeux de vulnérabilité sismique dans les constructions.

Mais le nerf de la guerre demeure le foncier. Nous sommes sur un territoire insulaire avec l'envie partagée d'éviter de bâtir dans les champs de canne à sucre. Il est primordial de retravailler la « ville sur la ville ». Pour cela, l'EPF nous accompagne et libère progressivement du foncier qu'elle a mobilisé ces huit dernières années. Il est un atout pour nos territoires. C'est une condition nécessaire - puisqu'il permet de remettre du foncier dans les circuits après les avoir portés et rendus opérationnels - mais pas pour autant suffisante, puisque pour accompagner l'effort de construction de logement social, il faut que la programmation portée par les collectivités locales dans le cadre de leur PLH tienne compte de cette volonté de produire de nouveaux quartiers ou des opérations de logement social au sein des villes.

Le volume de la LBU est en baisse puisque moins d'opérations sortent. En contrepartie, les bailleurs ont largement bénéficié et profiteront dans les prochaines années d'une bonne conjonction concernant la réhabilitation. Jusqu'alors, la reprise en main du parc vieillissant était insuffisamment financée pour que le coût d'opportunité nous conduise à le réhabiliter massivement. Aujourd'hui, au travers de la LBU et du crédit d'impôt, nous bénéficions d'une réelle opportunité de réaliser des opérations que nous n'avions pas engagées et que nous n'aurions pas engagées en dehors de la rénovation urbaine. En 2020, les financements ont permis à la SIG l'engagement d'opérations de réhabilitation pour 583 logements. L'accélération et le déplafonnement des financements en 2021 doivent nous permettre d'atteindre 987 logements en bénéficiant de demandes de financement, dont 785 au titre du renforcement parasismique.

L'état des désuétudes nous amène à faire des arbitrages. Face à des logements à la fois désuets et exposés à une vulnérabilité sismique forte, la tentation pour les bailleurs est plutôt d'aller vers des démolitions que vers des réhabilitations. La SIG a engagé cette réflexion et promeut ces arbitrages sur les 7 prochaines années avec 2 000 logements à conforter. Sur les 10-15 prochaines années, au rythme de la faisabilité des relogements, nous aurons 1 700 logements à démolir. Ces démolitions sont justifiées par une vulnérabilité et une incapacité de réaliser des réhabilitations dans des conditions économiques acceptables. Ces démolitions peuvent être financées dans le cadre de l'ANRU. Elles sont financées partiellement dans le cadre du PIV national hors ANRU sous forme de subventions ou de prêts. Nous disposons donc d'une palette d'outils. Une mobilisation du FNRT permettrait d'alléger l'arbitrage. En effet, lorsque les bâtiments sont à la fois vulnérables, difficiles à conforter, avec un coût d'opportunité de réhabilitation nul, nous avons tout lieu de financer la démolition plutôt que la réhabilitation de ce parc.

J'ajoute une nuance sur les contraintes d'intervention dans les centres anciens. Dans 20 % des cas, nous avons affaire à des réseaux, surtout dans les faubourgs de Pointe-à-Pitre, qui sont largement obsolètes. Ils constituent de gros sujets d'ingénierie et des coûts importants à exposer à leur encontre.

Un dernier levier qui pourrait accélérer et renforcer la transition du modèle de construction et la diversification des procédés de construction est l'investissement dans la R&D. Une politique régionale incitative à la R&D pourrait aider les entreprises à franchir le cap. C'est une piste à creuser.

M. Victorin Lurel, rapporteur. - J'aimerais remercier tous les participants de cette table ronde très complète et informative qui permettra de faire des propositions dans notre rapport. Merci pour la qualité de vos interventions et je sollicite vos éclairages écrits sur d'autres points.

Concernant notamment la gouvernance et la coordination, existe-t-il un Conseil départemental de l'habitat et de l'hébergement ?

Qu'en est-il du conflit entre l'USH et USHOM ? M. Romanos pourrait-il faire une contribution écrite à ce sujet suite aux démissions des partenaires ultramarins de l'USH, ce qui pose aujourd'hui un problème de représentation ?

L'Office foncier solidaire reste un outil à créer. Serait-il possible de découpler le coût du foncier de la location ? Cela existe dans l'Hexagone et pourrait exister ici.

Pour faire face au vieillissement de la population, pourquoi les outre-mer ne disposent-il pas de forfait autonomie ? Pourquoi le forfait Habitat inclusif est-il aussi peu abondé ?

Concernant la garantie, j'ai entendu l'allusion aux problèmes de déficit financiers des communes. Le département et la région font le nécessaire, me semble-t-il. Un problème subsiste avec la Caisse générale du logement locatif social (CGLLS) à laquelle vous payez une cotisation sans actions professionnelles en retour. Des amendements ont été refusés mais nous continuons à travailler sur ce point.

Pourquoi en termes de loyers, sommes-nous souvent au plafond ? Pourquoi ne disposons-nous pas d'une conférence intercommunale du logement ou d'attribution en Guadeloupe ?

Mme Micheline Jacques, rapporteure. - Je rejoins mon collègue sur la qualité de cette table ronde et vous remercie pour les éléments éclairants que vous avez apportés. J'aurais moi aussi beaucoup d'autres questions à poser.

Lors d'une précédente audition, il nous a été signalé que les crédits de l'éco-PLS sont sous-consommés. Répondent-ils vraiment à un besoin ?

Pensez-vous que le développement de la recherche en matériaux innovants serait opportun dans les territoires ultramarins ?

Les superpositions administratives et les différents schémas d'aménagement sont-ils source de complexité pour le déploiement des opérations de logement ?

Comment prenez-vous en compte la dimension sociale, autrement dit la manière de vivre, dans vos cahiers des charges ? Quelle place est-elle accordée à cet aspect ? Les contraintes de coûts que vous avez soulignées permettent-elles de les prendre pleinement en compte ?

Mme Vivette Lopez, présidente. - Cette table ronde a été très riche en informations. Je propose que nos intervenants répondent par des contributions écrites. Merci à tous pour vos interventions.

M. George Julien Ursule. - Je souhaite ajouter que nous n'avons pas abordé la question des anticipations des modes d'habitation et des modes de construction.

Mme Vivette Lopez, présidente. - N'hésitez pas à nous faire parvenir ces éléments par écrit. Merci à toutes et à tous.