Mardi 15 juin 2021

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Proposition de loi pour la prévention en santé au travail - Audition de M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, chargé des retraites et de la santé au travail

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons cet après-midi M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, chargé des retraites et de la santé au travail, sur la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale pour la prévention en santé au travail.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Notre commission examinera ce texte la semaine prochaine, avant un examen en séance publique qui aura lieu au cours de la première semaine de la session extraordinaire de juillet.

La proposition de loi a fait l'objet de travaux préparatoires importants, tant à l'Assemblée nationale, avec le rapport de la députée Charlotte Lecocq, qu'au Sénat, avec les travaux de nos collègues Pascale Gruny et Stéphane Artano, qui ont permis à la commission de se forger une opinion très en amont.

Je vais vous donner la parole, monsieur le ministre, pour présenter ce texte d'origine parlementaire, certes, mais dont je ne doute pas qu'il fait désormais l'objet d'une bonne appropriation par le Gouvernement et ses services.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, chargé des retraites et de la santé au travail. - Madame la présidente, madame et monsieur les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, je suis heureux d'être ici et de vous consacrer le temps que vous souhaiterez pour échanger sur cette proposition de loi qui, vous l'avez dit, madame la présidente, porte sur la santé au travail et suit désormais son parcours parlementaire.

Cette audition constitue un temps d'échange précieux pour vous apporter le regard du Gouvernement, tant sur sa méthode originale que sur son contenu. Je voudrais tout d'abord, madame la présidente, saluer l'engagement de votre commission sur les questions de santé au travail et, en particulier, celui de Mme Gruny et de M. Artano.

Le rapport d'information que vous avez réalisé tous deux en 2019 a, je crois, largement ouvert la voie à l'accord national interprofessionnel (ANI) sur la santé au travail et à la proposition de loi dont nous allons débattre aujourd'hui.

Je tiens également à souligner la qualité et la richesse du travail que nous avons pu réaliser avec Mmes Charlotte Lecocq et Carole Grandjean, rapporteures de la proposition de loi à l'Assemblée nationale. Charlotte Lecocq, vous le savez, a également été sollicitée dans le cadre de rapports sur la santé au travail, notamment celui remis en 2018, en commun avec Bruno Dupuis et Henri Forest.

Je sais pouvoir compter sur l'engagement de l'ensemble de la commission des affaires sociales en faveur de la prévention et de la rénovation de notre système de santé au travail. Au-delà des propositions individuelles qui pourront émerger au cours des débats, je formule le voeu que nous puissions collectivement construire un consensus le plus large possible sur cette réforme au sein du Sénat.

Je voudrais prendre quelques instants pour revenir sur le caractère novateur de ce texte, tant dans la méthode que dans le contenu.

Cette proposition de loi a été déposée le 23 décembre dernier, quelques jours seulement après la signature de l'accord national interprofessionnel. Elle constitue un vecteur pour traduire dans la loi cette fructueuse négociation.

Comme vous le savez, celle-ci a été menée sur proposition du Gouvernement à partir de mars 2020, sur la base du document d'orientation transmis aux partenaires sociaux par Muriel Pénicaud.

La signature de l'accord national interprofessionnel sur la santé au travail par le Medef, la CPME, l'U2P, la CFDT, Force ouvrière, la CFE-CGC et la CFTC doit nous permettre de trouver des terrains de convergence, car il existe une très large adhésion des partenaires sociaux à cet accord.

Le Gouvernement se félicite de cette méthode inédite de transposition, qui devra veiller jusqu'au bout, à l'issue de la navette, au respect des équilibres qui ont été trouvés. C'est là toute la difficulté pour le législateur, à l'Assemblée comme au Sénat. Je sais que vous avez la volonté de respecter l'équilibre qui a été trouvé entre les partenaires sociaux, qui y sont très sensibles - et c'est légitime.

Cet accord, conclu dans la nuit du 10 décembre dernier, ne se limite pas malgré tout à un ensemble de procédures législatives : un chantier réglementaire important est engagé. Il doit associer les partenaires sociaux et s'accompagner d'une appropriation de ces dispositions par les acteurs de terrain. Je pense par exemple à la mise en place de la nouvelle gouvernance en santé au travail, aux travaux sur l'offre socle, dont je sais que les rapporteurs auront à coeur de parler, à la certification des services de prévention et de santé au travail, ou même à la prévention de la désinsertion professionnelle, pour ne citer que ces exemples.

Voilà pour la méthode.

S'agissant du contenu, nous constatons avec cette proposition une accélération de la transformation et de la modernisation de notre système de santé au travail. Il est vrai que c'est une tâche de long cours qui trouve sa déclinaison dans cette proposition de loi.

Je pense que nos échanges devraient nous permettre d'approfondir certains des objets de la proposition de loi. Dans l'immédiat, je veux souligner ici quelques éléments que je trouve particulièrement significatifs, comme le renforcement de l'approche préventive, qui marque l'entrée de la prévention en santé au travail et à la traçabilité de l'exposition aux risques professionnels, certes collective mais très importante, notamment en matière de risques chimiques.

L'amélioration de la qualité des prestations des services de santé au travail interentreprises (SSTI) constitue aussi un grand pas en avant, grâce à la définition d'une offre socle de services qui devrait être déployée pour l'ensemble des entreprises, quelle que soit leur taille. Nous voyons bien l'avancée que cela représente. La question qui nous est posée par toutes les entreprises est de savoir ce que cette cotisation amène à l'employeur. C'est souvent visible pour les grandes entreprises et peut-être pour les entreprises de taille intermédiaire (ETI), mais la question se pose également pour les TPE-PME.

Je pense aussi que la création d'une procédure de certification de ces services, associée à la transparence des tarifs, devrait permettre de soutenir les efforts de qualité et de savoir ce que l'on trouve en face de la cotisation.

J'ai dit tout à l'heure un mot de la lutte contre la désinsertion professionnelle. Je préfère parler de maintien dans l'emploi. Deux dispositifs me paraissent importants en la matière : la visite de mi-carrière, qui permet de vérifier l'adéquation entre le poste et l'état de santé, et le rendez-vous de liaison, qui a fait l'objet de plusieurs échanges à l'Assemblée nationale pour aboutir à un consensus.

Le terme n'est peut-être pas forcément le plus ajusté, mais c'était l'expression de la volonté de vos collègues de l'Assemblée nationale et des partenaires sociaux, lorsqu'on est loin de l'emploi pour des raisons de santé, d'avoir un échange tripartite entre médecin du travail, employeur et salarié, de manière à préparer le retour à l'emploi. C'est souvent parce que certaines situations durent qu'on a du mal à retrouver un emploi.

Avec le portefeuille que je porte depuis plus d'un an, j'ai pu mesurer la très forte attente des salariés des entreprises envers les services de santé au travail. Je sais que vous en avez aussi conscience. Il est intéressant de constater les attentes réciproques et la façon dont la crise sanitaire a pu interpeller les uns et les autres dans leurs attentes et leurs pratiques.

La santé au travail est totalement intégrée dans le système de santé publique, notamment avec la vaccination contre la Covid-19.

Je le répète, je pense que les acteurs sont prêts à accepter les évolutions présentées dans la proposition de loi. Je ne vous surprendrai pas en vous disant que le Gouvernement la soutient résolument, et je ne doute pas que nous parviendrons, à l'issue de nos débats, à trouver un consensus.

Le Gouvernement est cependant réservé sur le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) pour toutes les entreprises, quelle que soit leur taille. Je suis moi-même fils d'artisan. Demander au boulanger d'Armentières, quel que soit son engagement en matière de prévention des risques au travail, d'écrire un programme pluriannuel dans son domaine me semble relativement décalé par rapport à la réalité que vivent ces entreprises.

Je partage votre intérêt pour cette proposition de loi et je suis à votre disposition pour en débattre.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci, monsieur le ministre. La parole est aux rapporteurs.

Mme Pascale Gruny, rapporteur. - Monsieur le ministre, je tenais à vous remercier pour la qualité des échanges que nous avons déjà eus.

Cette proposition de loi doit arriver à son terme. Elle suscite une véritable attente. La santé au travail est aussi un sujet de santé publique. J'espère donc que votre collègue ministre de la santé sera aussi ouvert sur ces sujets.

La prévention est certes très importante, mais certains nous ont fait part de leur crainte que l'on oublie le volet consacré à la réparation. Je ne le crois pas, mais c'est ce que nous avons pu noter lors de nos auditions.

Il faut bien entendu adapter le texte pour les TPE et les PME, sans quoi elles décrocheront. C'est essentiel car, que l'on soit salarié d'une petite ou d'une grande entreprise, on doit bénéficier de la même attention dans ce domaine.

Ma première question porte sur le principe d'une durée minimale de conservation du document unique d'évaluation des risques professionnels fixé par l'Assemblée nationale à 40 ans. Les conditions vous semblent-elles réunies pour que cette conservation soit effective, compte tenu de la durée de vie moyenne des entreprises ? Comment encourager, conformément aux souhaits des partenaires sociaux, la mise en oeuvre d'une version numérisée du DUERP ?

Par ailleurs, l'ouverture à des services complémentaires facturés peut laisser craindre que les services de prévention et de santé au travail interentreprises privilégient ceux-ci au détriment de la prévention. Or c'est l'effet inverse qui est recherché à travers la création de l'offre socle de services. Comment garantir que ces services proposeront à l'ensemble des entreprises adhérentes et à leurs salariés l'offre la plus homogène possible ? Semble-t-il possible d'écrire que l'offre socle de services devra couvrir l'intégralité des missions prévues par la loi en matière de prévention des risques professionnels, de suivi individuel des travailleurs et de prévention de la désinsertion professionnelle ?

En effet, l'offre complémentaire devrait être accessoire par rapport au sujet qui nous intéresse. Or nous avons constaté que les services sont très différents d'un département à l'autre et même à l'intérieur d'un département.

En matière de prévention de la désinsertion professionnelle, le texte dote obligatoirement les services de prévention et de santé au travail de cellules pluridisciplinaires auxquels sont confiées, pour l'essentiel, des missions déjà existantes. Si la loi ne peut tout uniformiser, ne pourrait-elle fixer des garanties quant aux moyens dont disposeront ces cellules ?

En outre, que pensez-vous de la proposition d'ouvrir la possibilité de mutualiser cette cellule entre plusieurs services de prévention et santé au travail opérant dans la même zone géographique ?

Enfin, l'article 17 prévoit que les travailleurs indépendants pourront, s'ils le souhaitent, adhérer à un service de prévention de santé au travail. Malgré les risques auxquels sont exposés ces travailleurs, on sait qu'il existe souvent un déni de leur part au sujet de leurs problèmes de santé, ainsi qu'un manque de temps. Pensez-vous que les indépendants se saisiront réellement de cette possibilité d'adhésion et, surtout, comment peut-on les inciter à s'engager dans le suivi de leur santé au travail qui, parfois, a des conséquences sur la santé de leur entreprise ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - La question de la durée de conservation du document unique d'évaluation des risques professionnels est en effet pertinente par rapport à la durée de vie moyenne d'une entreprise. L'ANI est relativement silencieux sur ce sujet, et on ne trouve pas beaucoup plus d'éléments dans les débats en première lecture.

Il s'agit de questions extrêmement pragmatiques : un grand dispositif informatique de conservation des données doit être développé et représente aussi un coût : qui va payer ? L'idée des partenaires sociaux est d'assurer la traçabilité collective, notamment des risques chimiques. Il faut qu'ils continuent à travailler sur ce sujet et nous disent comment ils veulent procéder. Je ne suis pas persuadé que ce soit au législateur ni même à l'exécutif que je représente de trancher. Il faut évidemment se donner les moyens de ses ambitions, et je partage donc vos interrogations.

En second lieu, vous l'avez dit, il ne s'agit pas de dire que les PME ne conduisent pas d'études des risques. Il doit y en avoir de la même façon qu'ailleurs. Pour reprendre l'exemple du boulanger, il doit fournir des gants pour éviter à ses salariés de se brûler en sortant les baguettes du four à sole. Ce sont des éléments extrêmement concrets de la vie de tous les jours. On ne peut demander à ce même boulanger de rédiger une note sur la programmation pluriannuelle de la prévention autour du four à sole !

Seulement 38 % des PME remplissent le document unique. Mon ambition est de convaincre tout le monde de la nécessité d'en rédiger un. Si on ajoute des contraintes, je crains qu'on soit en dessous de 38 % ! Il faut donc s'adapter aux PME.

J'ai eu la chance de travailler dans une très grosse entreprise : j'ai écrit moi-même, à l'époque, plusieurs documents avec les membres du CHSCT. Cela faisait partie de mon travail, avec l'ingénieur prévention, de rédiger les mesures adaptatives. Un boulanger ne va pas payer un ingénieur qualité pour écrire un programme pluriannuel, mais il doit protéger ses salariés des brûlures.

Votre troisième question concernait l'offre complémentaire de services par rapport à l'offre socle. L'offre socle ne peut pas être, au regard de la loi, une offre a minima. Elle doit couvrir impérativement l'ensemble des obligations qui existent pour les services de santé au travail. Si un service de santé au travail, pour des raisons économiques, ne souhaite pas imaginer une procédure compliquée, son offre socle ne sera pas validée.

Par exemple, réaliser une mesure du bruit d'un atelier fait partie de l'arsenal que peut proposer la médecine du travail. Si on lui demande de venir mesurer chaque poste tous les ans, il s'agit d'une offre complémentaire. Si on lui demande de mesurer une fois l'insonorisation, cela fait partie de l'offre socle. Il en va de même concernant les poussières.

On pourrait aussi considérer que la vaccination n'a pas à figurer dans l'offre socle. Ce sont des questions qui doivent être posées.

J'ai particulièrement apprécié votre proposition concernant les cellules pluridisciplinaires : une approche territoriale est extrêmement pragmatique. Lorsqu'on doit effectuer des reclassements, ceux-ci sont réalisés en effet par territoire, par bassin d'emplois. Les cellules de lutte contre la désinsertion professionnelle ou de maintien dans l'emploi sont des SSTI. Qu'est-ce qui les empêche de discuter ensemble ? Les services de santé au travail sont certes déjà très territorialisés, mais je trouve l'idée intéressante, même si elle n'est pas exprimée ainsi dans l'accord.

Par ailleurs, les services de santé au travail autonomes (SSTA) des grandes entreprises ont des rapports directs avec le médecin du travail pour accompagner les salariés en matière de maintien dans l'emploi. Ce sont ces sociétés qui auront plus de facilités à maintenir leurs salariés dans l'emploi, grâce aux rendez-vous de reprise et de mi-carrière. Ces leviers seront sans doute plus faciles à actionner par les SSTA, les SSTI pouvant davantage agir par le biais des cellules de maintien dans l'emploi.

S'agissant des travailleurs indépendants, la loi, si elle est votée, leur ouvrira la possibilité de recourir aux services de santé au travail. Certes, cela ne peut être financé par d'autres, mais ce sera proposé dans l'offre complémentaire et le service de santé au travail devra le justifier. Mes parents étaient indépendants : ils auraient peut-être trouvé cela très sympathique, mais il faut rester soucieux des équilibres de notre protection sociale.

M. Stéphane Artano, rapporteur. - Monsieur le ministre, le premier point sur lequel je voudrais intervenir concerne le document unique. L'établissement d'un programme n'est aujourd'hui obligatoire qu'au sein des entreprises de plus de 50 salariés, vous l'avez rappelé. C'est ce que prévoit du reste l'ANI. Nos collègues de l'Assemblée nationale s'en sont un peu écartés. Aujourd'hui, si on s'en tient au texte qui nous a été livré, toutes les entreprises, et notamment les TPE-PME devront, en plus du document unique, avoir un programme annuel.

Cela nous paraît excessif pour entraîner l'ensemble des TPE-PME, qui constituent 98 % du tissu économique français, dans un mouvement de prévention de la santé au travail. Je vous rejoins évidemment sur cette préoccupation, qui est remontée lors de nos auditions durant notre travail préparatoire.

J'aimerais connaître votre sentiment sur deux autres sujets. Compte tenu de la démographie de la médecine du travail, on voit bien que l'objectif est d'autoriser les médecins praticiens correspondants à contribuer au suivi de l'état de santé des travailleurs. En revanche, cette possibilité ne devrait-elle pas être encadrée par des garanties plus exigeantes en termes de formation en santé au travail des médecins non spécialistes ?

Ne serait-il pas pertinent de limiter le recours aux médecins praticiens correspondants aux zones sous-dotées en médecine du travail ? C'est du reste une des préconisations que nous avions identifiées en octobre 2019, dans notre rapport d'information. Notre objectif n'est pas de dire que la médecine du travail doit disparaître, bien au contraire, mais de continuer à la valoriser et, dans les zones sous-denses où le déficit démographique est plus important qu'ailleurs, de trouver des alternatives qui permettent de former, dans une dizaine d'années ou plus, d'autres médecins du travail qui viendraient occuper les places vacantes.

Mon troisième sujet concerne les mesures en faveur d'une plus grande attractivité de la médecine du travail. Ne pensez-vous pas qu'elles auraient pu trouver leur place dans cette proposition de loi, voire au sein de l'ANI ? L'extension du droit de prescription du médecin du travail justifiant de compétences additionnelles dans les domaines en lien avec la santé au travail - allergologie, addictologie - ne pourrait-elle selon vous constituer une piste d'amélioration et d'attractivité supplémentaire de la profession de médecin du travail ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Monsieur le rapporteur, vos auditions corroborent ce que j'ai entendu de la part des partenaires sociaux, en tous les cas des organisations patronales. Cela va également dans le sens de mon expérience personnelle. Il est intéressant de se rejoindre sur ces points.

Vous avez raison s'agissant des médecins praticiens correspondants (MPC) : la proposition de loi le mentionne, mais il nous faut être très vigilant - et je le serai - à propos du fait qu'on ne peut devenir médecin praticien correspondant sans une formation en médecine du travail. La proposition de loi prévoit que le collège des enseignants en médecine du travail se penche sur cette question. Ils ont commencé à le faire. On va donc avoir quelque chose à présenter.

J'ai la chance de compter dans mon équipe le professeur Fantoni. Il existe en France très peu de professeurs de médecine du travail. Cette question fait partie de ses sujets de prédilection. C'est un engagement politique que je partage. La formation des médecins du travail et des infirmières et infirmiers du travail est un sujet sur lequel nous sommes pleinement engagés.

Je crois d'ailleurs percevoir une volonté de la part des professionnels de santé au travail de voir les choses avancer si je me réfère à mon expérience professionnelle d'il y a quinze ou vingt ans. Nous sommes donc pleinement d'accord.

Il existe cependant des limites à l'activité du MPC. L'ANI avait acté qu'il n'était évidemment pas question que celui-ci réalise les visites annuelles obligatoires, notamment dans le cas de visites nécessitant un suivi renforcé. Il n'est pas non plus possible qu'il s'agisse du médecin référent. Certaines choses sont bordées. Cela fait partie de l'équilibre de l'ANI. Les partenaires sociaux ont mis du temps pour y parvenir.

J'entends bien que vous souhaitez y être attentif. C'est pourquoi je vous apporte ces précisions, en vous confirmant l'intérêt que portent les partenaires sociaux à ce qu'on respecte les équilibres en la matière.

Par ailleurs, si l'on part du principe qu'on écrit la santé au travail des quinze ou vingt prochaines années, cela vaut la peine de se demander comment attirer plus de monde dans cette spécialité. À ce titre, elle permet d'établir des prescriptions centrées sur la prévention, comme les examens de sang, mais non des médicaments.

Le fait qu'on ait ouvert un certain nombre d'autres spécialités en lien avec l'activité professionnelle renforce l'attractivité de cette discipline. Les examens complémentaires sont du coup un peu plus élargis.

On peut avoir à ce sujet une lecture évolutive des choses. Prenons l'allergologie ou l'addictologie, compétences dans lesquelles un médecin du travail peut choisir de se renforcer. Cela me semble intéressant. Le droit de prescription n'est pas déconnecté du rôle de prévention, mais nous renforçons ainsi l'attractivité du poste.

Ce qui est vrai à la sortie de l'internat n'est pas forcément vrai en milieu de carrière professionnelle : une des principales ressources de recrutement de la filière de médecins du travail, c'est la deuxième carrière professionnelle, un certain nombre de généralistes s'engageant dans cette spécialité à mi-carrière.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci. La parole est aux commissaires.

Mme Élisabeth Doineau. - Monsieur le ministre, nous avons récemment adopté une proposition de loi sur les cotisations de prévoyance des assistants maternels et des salariés des particuliers employeurs. Cette proposition de loi prévoit la mutualisation de la gestion des cotisations par l'intermédiaire d'une association paritaire qui agit au nom des employeurs. On a tous été séduits par cette nouvelle formule, ce secteur comportant quelques oublis.

Je souhaitais donc vous interroger sur la santé au travail de ces professionnels, dont le suivi est presque inexistant, alors qu'ils sont exposés à des risques importants.

L'article 17 ter introduit à l'Assemblée nationale prévoit qu'un décret fixe les modalités de suivi de l'état de santé de ces salariés. Que prévoyez-vous dans ce décret pour leur permettre d'accéder aux services de santé au travail ?

M. Martin Lévrier. - Monsieur le ministre, pour pallier le manque d'attractivité de la médecine du travail, ne faudrait-il pas simplifier les parcours de formation et imaginer des formations en alternance qui permettent aux futurs médecins du travail de rencontrer des salariés des entreprises, leurs confrères, et acquérir ainsi une expérience de terrain ? On pourrait peut-être ainsi générer une approche de prévention de la santé dans l'entreprise à la fois managériale et médicale.

Par ailleurs, pensez-vous que les pratiques de gestion de certains SSTI, dont les fonds alimenteraient des organismes sociaux, sont bien intégrées dans la proposition telle qu'elle est faite ? Va-t-on parvenir à les éviter ?

En outre, ne faut-il pas obliger à une interopérabilité des logiciels et avoir des outils communs pour l'ensemble des acteurs du secteur de la médecine du travail ?

Enfin, pour quelle raison conserve-t-on une structure monopolistique dans certains départements ?

M. Philippe Mouiller. - Monsieur le ministre, on voit bien les difficultés qui existent aujourd'hui pour trouver du personnel pour les services de santé au travail. A-t-on aujourd'hui les moyens d'assurer le volume de missions complémentaires prévues par ce texte, d'autant que le calendrier est relativement court ?

On a évoqué le système de l'offre socle et de l'offre complémentaire. Ne risque-t-on pas de tomber dans une logique concurrentielle ? Je suis plutôt favorable à la concurrence, mais comment les SSTI vont-ils se restructurer ?

Par ailleurs, un certain nombre de SSTI ont mis en place des équipes dédiées au maintien dans l'emploi, parfois même avec des spécialisations autour de la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé (RQTH) et des conventions passées avec Cap emploi sur les territoires. Quid, demain, de cette organisation ? Comment, dans ces délais très courts, les choses peuvent-elles évoluer, alors que tout ceci vient se croiser avec la fusion entre Cap emploi et Pôle emploi ? Les territoires éprouvent beaucoup d'inquiétudes à ce sujet.

Enfin, la certification apparaît comme une bonne démarche qui permet d'évaluer les choses et de les contrôler. La certification va-t-elle remplacer les agréments ou s'agit-il de deux mesures qui vont se juxtaposer ? Cumuler les deux représenterait un chantier énorme et générerait énormément de lourdeurs administratives.

M. René-Paul Savary. - Monsieur le ministre, la visite de mi-carrière peut être un élément intéressant, car au-dessus de 45 ans on est considéré comme senior ! Avec Monique Lubin, nous avions rédigé un rapport sur l'emploi des seniors et sur tout ce qu'il conviendrait d'améliorer. Cela vous concerne directement, en tant que secrétaire d'État en charge des retraites.

N'y a-t-il pas là quelque chose à faire dans le cadre de cette proposition de loi, sans revenir sur le débat sur l'espérance de vie, concernant l'allongement éventuel de la durée de travail et les dispositifs de préparation à la retraite ? On sait qu'une personne sur deux n'a plus d'emploi au moment de liquider sa pension. L'important est de conduire une véritable politique d'emploi des seniors, qu'on pourrait d'ailleurs plutôt désigner comme « personnes expérimentées ».

Les partenaires sociaux ont-ils envisagé des formations spécifiques pour qu'ils conservent leur emploi au sein de l'entreprise, éventuellement sous forme adaptée ? On sait en effet que, dès l'instant où personnes sont sur la touche, les choses sont finies pour elles.

Ma deuxième question rejoint celle de Martin Lévrier à propos de l'interopérabilité, mais aussi vos propos sur la vaccination. Il faut prendre en compte le dossier médical partagé (DMP). J'espère qu'on va y parvenir et que chacun va le créer, avec une rubrique prévention, qui peut s'articuler avec la vaccination dès l'instant où l'on trouve une garantie de protection des données, avec des possibilités pour le médecin du travail d'y rentrer ou non selon les accords qui auront été passés. C'est un problème technique. Ne pensez-vous pas que cela pourrait être la solution ?

Le texte parle d'un passeport prévention. On crée par ailleurs un passeport sanitaire. Il en faut également un pour se déplacer. Sans interopérabilité, on va encore arriver à des choses abracadabrantes, comme on en a connu lors de la crise sanitaire ! Quelle est votre position sur ce sujet et comment peut-on avancer dans ce domaine ?

Mme Cathy Apourceau-Poly. - Il y a énormément de choses à dire sur la santé au travail mais, pour rester sur le sujet, la crise sanitaire a mis en lumière d'importants dysfonctionnements en la matière, comme dans un grand nombre de domaines. On a parlé d'inégalités territoriales, de systèmes complexes, et on peut évoquer une pénurie de médecins du travail dans tous les territoires.

Pour rappel, ce texte s'intègre dans la continuité de la suppression des Comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), en 2017, et de la suppression des critères de pénibilité. Nous regrettons, avec ma collègue Laurence Cohen, que vous ne reveniez pas sur ces réformes qui ont entraîné un recul considérable pour les droits des salariés.

Vous parlez de prévention, de traçabilité, de risques professionnels : je rappelle que les CHSCT jouaient un grand rôle dans ces questions.

Six cents médecins du travail ont lancé une alerte sur les dangers de cette proposition de loi qui entraîne la délégation de certaines des missions des médecins du travail à des professionnels de santé moins protégés. Ne pensez-vous pas que vous aggravez la soumission des médecins du travail aux impératifs économiques des entreprises ?

Par ailleurs, alors que nous connaissons une véritable pénurie de médecins du travail, avec seulement un médecin du travail pour 4 000 salariés dans le secteur privé, beaucoup moins qu'il y a quinze ans, nous pensons qu'il y a urgence à ouvrir des postes, à revaloriser la formation dans les universités et à améliorer les conditions de travail et d'exercice des professionnels. Ceci passe par plus de postes dédiés à la médecine du travail aux épreuves classantes nationales (ECN).

Enfin, en créant des certifications d'organismes privés, nous pensons que vous ouvrez un nouveau marché très lucratif sans gage d'amélioration de l'accès aux soins. En créant des visites de mi-carrière obligatoires, ne pensez-vous pas que vous allez introduire une visite de contrôle et d'adaptabilité des entreprises ?

M. Daniel Chasseing. - Monsieur le ministre, le dossier médical de santé au travail (DMST) sera-t-il consultable par le médecin du travail ou faudra-t-il l'autorisation du médecin traitant ou du patient pour ce faire ?

Deuxièmement, une durée de quatre ans de formation n'est-elle pas trop importante pour les médecins et n'explique-t-elle pas la pénurie de médecins du travail ?

Une infirmière en pratique avancée (IPA) ne pourrait-elle pas, dans certains cas, remplacer le médecin en cas de reprise de travail lorsqu'il n'y a aucun problème ? Pourquoi oblige-t-on dans ce cas le patient à consulter le médecin du travail ?

Mme Michelle Meunier. - Monsieur le ministre, la crise sanitaire que nous connaissons depuis plus d'un an nous montre qu'il convient de prendre en compte les facteurs systémiques. Or en matière de santé au travail, je trouve toutes les données très morcelées et compartimentées.

Vous avez raison de vous appuyer sur des recherches universitaires, mais je trouve que celles-ci manquent en France. On ne peut que le regretter et les développer.

Une chercheuse, Nina Tarhouny, préconise une autorité indépendante qui regrouperait l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (ANACT), l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (ANSES), Santé publique France, l'Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS) et toutes ces structures ou satellites qui possèdent des données qui ne sont pas partagées, globalisées ou contextualisées. On en est loin avec cette proposition de loi. Avez-vous, monsieur le ministre, l'intention d'appréhender ces questions et ces risques de manière systémique ?

Mme Catherine Deroche, présidente. - Monsieur le ministre, vous avez la parole.

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - Tout d'abord, une expérimentation est en cours concernant le suivi des salariés du particulier employeur. Il n'est pas question pour moi de créer un service de santé au travail national : les services de santé au travail sont des services de proximité.

Vous me demandez de vous détailler le contenu du décret qui portera sur ce sujet : nous allons inciter au rattachement de proximité. Nous suivons avec intérêt l'expérimentation qui est actuellement menée, mais nous en sommes aux prémices. On n'est pas en situation de pouvoir la généraliser.

Ce sujet est complexe, et c'est d'ailleurs une très bonne chose que la Fédération des particuliers employeurs de France (FEPEM) se penche sur ce sujet, car on se retrouve parfois avec des salariés qui ont cinq ou six employeurs. Cela pose la question de la cotisation, du suivi, du type de tâches qui est réalisé. La FEPEM souhaite trouver une solution, mais la réponse n'est pas unique et il faut suivre l'expérimentation.

Quid du médecin du travail et des salariés protégés ? Je parle d'expérience : dans les entreprises, cela ne fait pas débat, le médecin du travail est tenu par sa déontologie. Il ne faut pas penser que les médecins du travail ne respectent pas le secret médical.

Je rappelle que la médecine du travail est une spécialité. Lorsque j'étais employeur, jamais un médecin du travail ne m'a communiqué d'éléments concernant la santé de mes salariés. Leur rôle est de dire à l'employeur que la santé du salarié n'est pas adaptée au poste de travail, mais l'employeur n'a pas à savoir pourquoi. Ne nous faisons pas peur avec cette question. Les médecins du travail respectent leurs obligations.

Par ailleurs, il existe dans cette proposition de loi tout un dispositif sur les infirmières et infirmiers de pratique avancée (IPA). Ils agiront sous la délégation et sous le contrôle du médecin du travail. Les choses sont claires. Il s'agit d'un levier de prévention, et c'est bien là qu'on attend l'ensemble de l'équipe pluridisciplinaire.

Je ne voudrais pas donner le sentiment de tout voir en rose, mais je trouve que cette proposition de loi apporte des améliorations. Je suis favorable aux équipes pluridisciplinaires. Madame la sénatrice se posait la question des effectifs d'IPA. On sait bien qu'on n'a pas beaucoup plus de ressources en médecine du travail qu'on en a en médecine générale. Les choses vont évoluer, mais cela va prendre un certain temps. On a libéré le numerus clausus et on sait qu'il faut attendre plusieurs années pour que les choses bougent.

Nous devons donc nous organiser pour que le temps médical, aussi bien en médecine du travail qu'en médecine générale, soit le plus utile possible. C'est tout l'intérêt de ces équipes pluridisciplinaires : plus on aura recours à celles-ci, plus on dégagera du temps médical rationalisé.

J'y crois beaucoup. Le médecin du travail reste celui qui anime et dirige cette équipe pluridisciplinaire. On m'a fait remarquer que tous les médecins du travail ne sont pas forcément des managers. Ce n'est en effet pas si facile que cela. On doit peut-être prévoir des formations. Le sujet n'est pas tabou. Ces équipes ne comptent pas un trop grand nombre de personnes. La proximité y existe bel et bien.

Concernant la RQTH, on peut tout à fait conduire des partenariats. Il n'y a pas de lien entre la réforme en profondeur de la santé au travail et les Cap emploi, mais j'entends bien qu'il peut y avoir un rapport opérationnel entre les deux. Les cellules de maintien dans l'emploi et de lutte contre la désinsertion professionnelle peuvent et doivent bien sûr travailler avec l'ensemble des acteurs qui interviennent en matière de handicap. C'est sur le fond un des éléments qu'on attend d'eux afin de réaliser un maillage entre les différents intervenants. On ne trouve en effet jamais seul une réponse en cas de difficulté de maintien dans l'emploi.

Quelques précisions s'agissant de la formation et des postes de l'ECN. J'ai eu moi-même l'occasion d'être formé et c'est encore le cas tous les jours. Je suis tout à fait d'accord pour prévoir des formateurs. Cependant, la moitié des postes que l'on offre ne sont pas pourvus. Nous partageons la même ambition, mais il faut aussi des réponses sur le terrain.

Pour ce qui est de la formation en alternance, c'est quasiment le cas pour tous les internes en médecine du travail, qui font beaucoup de stages dans cette spécialité. Plus de la moitié s'effectue dans des services de santé au travail, au moins deux ans sur quatre. Quand on a choisi cette spécialité, on a été en contact avec ses pairs. Il est important de le rappeler. C'est d'ailleurs une obligation européenne.

Pour les collaborateurs médecins, la formation peut être adaptée en fonction de l'expérience et des acquis. Des généralistes qui veulent devenir médecins du travail ont pu, pour des raisons de background personnel et professionnel, avoir à connaître des éléments de médecine du travail. En général, quand on a de l'appétence pour le sujet, c'est qu'on a déjà construit professionnellement un certain nombre de choses.

Monsieur le sénateur Savary, vous avez raison de dire que cette visite de mi-carrière s'opère à 45 ans, mais on pourrait en décider autrement dans les branches. Je me souviens qu'on recevait autrefois un livret destiné aux seniors. J'en avais rédigé un et sa réception m'a permis de comprendre l'effet que cela pouvait produire lorsqu'on le recevait !

Il ne s'agit surtout pas de sortir du débat qu'on a eu il y a dix ans. Ce n'était selon moi pas du tout l'ambition du législateur d'alors de stigmatiser les personnes de plus de 45 ans, plutôt de créer un échange. Dans le cas présent, on le fait sous un angle extrêmement précis, celui de la santé au travail, afin de déterminer si l'état de santé du travailleur est en cohérence avec le poste et de savoir quelles évolutions envisager.

Je me souviens des débats au sujet des retraites : la question est effectivement de savoir comment évolue notre employabilité au regard d'un certain type de métiers - je dirais même d'activités. On comprend bien que quelqu'un qui monte des murs en béton ou qui travaille sur les toits, à un moment donné, en fonction des situations personnelles, n'est plus au meilleur endroit pour travailler.

Cela permettra de mettre en perspective les parcours professionnels et d'anticiper une éventuelle dégradation de la santé. On se retrouvera du coup avec moins de monde dans la cellule de prévention de la désinsertion professionnelle. C'est là notre difficulté : ces cellules ont d'autant plus d'intérêt aujourd'hui qu'on n'a pas beaucoup d'actions préventives. On est plutôt dans le curatif. Il faut donc que l'on actionne ces deux leviers afin de pouvoir construire un parcours de vie professionnelle en lien avec sa santé. Ce n'est pas tabou. On peut se dire les choses, sans pour autant pointer les plus de 45 ans - et j'en fais partie !

Nous sommes sûrement quelques-uns ici, mais nous faisons un job un peu différent.

Vous m'avez également posé la question des outils et de la technique. L'interopérabilité existe entre les différents outils. On doit pouvoir passer l'écueil de l'informatisation que vous avez évoqué.

Pour ce qui est du DMP et du DMST, il y aura une possibilité. La loi le prévoit. Ce n'était pas dans l'ANI. C'est un élément qui a été porté avec force et conviction par vos collègues de l'Assemblée nationale, avec un assez large consensus. Ils ont cadré les choses, en prévoyant une autorisation, afin que l'accord soit éclairé. En effet, le médecin du travail est aussi le médecin qui déclare l'inaptitude - ou l'aptitude. Il faut donc que le salarié soit pleinement conscient de ce qu'il fait. Il s'agit d'une autorisation qu'on doit donner à chaque fois. Vos collègues rapporteurs de l'Assemblée nationale ont réussi à convaincre les autres députés.

Quant à l'agrément, c'est un peu l'arme atomique. On pourrait vérifier ensemble combien ont été retirés et dans quelles conditions, monsieur le sénateur. Si on retire l'agrément à un service de santé au travail, cela pose un problème pour tous les salariés qui sont suivis par celui-ci. Il ne faut le faire qu'en cas d'événement très important, sous peine de casser la machine et de causer indirectement préjudice à des salariés et à des employeurs.

L'ANI a donc mis en place une certification. Son avantage vient du fait que l'on va pouvoir délivrer des certifications avec ou sans réserves, alors qu'on ne peut octroyer un agrément avec des réserves. La certification offre davantage de souplesse et va surtout, contrairement à l'agrément, intégrer des dispositions comme celles qu'on a évoquées, comme l'offre socle et l'offre complémentaire, qu'on n'a pas aujourd'hui avec l'agrément.

J'entends ce que vous dites, mais je tiens à vous rassurer. J'aurais pu me poser la même question que vous il y a quelques semaines. J'ai instruit les choses, et je vois bien la souplesse que cela introduit. L'enjeu est de faire progresser collectivement les services de santé au travail. Il faut donc le faire avec un autre outil que l'agrément.

Certaines questions portaient sur les offres complémentaires. Celles-ci peuvent être soumises à concurrence, mais il s'agit pour les employeurs de mesures destinées à protéger la santé des salariés. Ce n'est pas un élément de marketing, plutôt un élément utile et concret. Cela se fait avec les partenaires sociaux. Je comprends que le sujet puisse nous séparer, mais pas tant que cela, car je partage la conviction que c'est la qualité du dialogue social qui fait que cela fonctionne bien dans l'entreprise.

Concernant les CHSCT, je ne peux pas dire ni laisser dire qu'on aurait perdu des prérogatives en matière de protection.

On a créé des commissions spécialisées dans les entreprises où existent des risques de type Seveso ou dans les entreprises au-delà d'un certain nombre de salariés. Pour le reste, je préfère personnellement faire une réunion d'une journée avec les mêmes personnes que deux fois une demi-journée avec des gens qui changent de casquette durant l'heure du midi. On gagne un peu de temps et on est plus efficace. Je crois que les choses fonctionnent mieux et qu'on ne peut considérer cela comme une source de dysfonctionnements en matière de protection de santé. C'est plutôt une simplification destinée à agir plus vite.

Mme Michelle Meunier. - Qu'en est-il en matière de recherche en santé au travail ?

M. Martin Lévrier. - Je n'ai pas eu de réponse concernant les structures monopolistiques dans certains départements.

Par ailleurs, la loi améliore certes les choses, mais est-ce suffisant pour ce qui est du choix des membres des conseils d'administration ?

M. Laurent Pietraszewski, secrétaire d'État. - C'est un sujet sensible. Le poste de trésorier est dévolu aux représentants des salariés. Un poste de vice-président leur est à présent également octroyé. Est-ce suffisant ? Je ne parlerai pas à la place des partenaires sociaux. Je trouve que les employeurs, qui sont à l'origine de ce dispositif de santé au travail, laissent de la place dans leur gouvernance aux salariés et affichent un souhait de co-construction.

Votre question sur les IPA renvoie à la façon dont on va pouvoir les former. Des dispositions existent dans la proposition de loi. Vous le savez, les parcours de formation sont assez disparates. Le professeur Fantoni a beaucoup amélioré les choses de ce point de vue. Je ne détaillerai pas ici le décret, mais il existe des moyens pour une formation de niveau master.

Quant à la recherche en matière de santé au travail, je pense que nous avons encore des pistes à explorer. Nous disposons de chercheurs extrêmement compétents et très engagés en la matière. Ceci est articulé dans le plan santé au travail. La façon dont les partenaires sociaux et les autorités politiques veulent insister sur ce sujet reflète bien notre volonté de faire de la prévention. C'est un levier complémentaire.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci beaucoup, monsieur le ministre.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 20.

Mercredi 16 juin 2021

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Stratégie vaccinale au Royaume-Uni - Audition de Mme Kate Bingham, ancienne responsable de la UK Vaccine Taskforce

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous entendons ce matin Mme Kate Bingham, ancienne responsable de la UK Vaccine Taskforce, sur la stratégie vaccinale et l'approvisionnement en vaccins au Royaume-Uni. J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Mme Bingham travaille dans le domaine de la santé, mais n'est pas, à la différence de notre « M. Vaccins », une spécialiste des vaccins : elle est investisseuse en capital-risque au sein de la société SV Health Investors, et c'est à elle que le Premier ministre britannique s'est adressé, en mai 2020, pour prendre la tête de la task force sur les vaccins, avec la mission périlleuse de sécuriser un approvisionnement en vaccins sûrs et efficaces contre un virus encore inconnu quelques mois plus tôt. Cette mission a duré six mois, puisqu'elle a quitté ce poste pour reprendre ses activités au sein de son entreprise en décembre dernier.

Si notre culture collective sur les vaccins a fortement progressé au cours de cette année, c'est surtout le raccourcissement spectaculaire de leur durée de développement qui doit être salué, alors que l'effort consenti en recherche pourrait bénéficier à d'autres pathologies.

Madame Bingham, comment avez-vous géré cette question de la prise de risque dans la négociation avec les industriels ? Nous savons que le Royaume-Uni a très tôt soutenu financièrement le travail de l'université d'Oxford, avant même qu'AstraZeneca n'apporte son savoir-faire industriel. Le risque était grand, et sa gestion a été décisive dans un dossier marqué par de grandes incertitudes.

Notre réflexion porte également sur l'organisation de l'État pour faire face à ce type de crise. Le Royaume-Uni envisage la création d'une agence dédiée aux vaccins ; certains en France souhaitent une agence de l'innovation. Quel regard portez-vous, à la suite de votre expérience, sur l'organisation nécessaire au sein d'un État pour soutenir les innovations dans un dialogue exigeant avec les industriels ?

Mme Kate Bingham, ancienne responsable de la UK Vaccine Taskforce. - Le 6 mai 2021, le Premier ministre m'a assigné trois objectifs : assurer un approvisionnement de vaccins suffisant pour la population britannique ; faire en sorte que ces vaccins soient distribués internationalement ; mettre en oeuvre un plan capable de préparer le Royaume-Uni à une éventuelle prochaine épidémie.

Les deux premiers mois, nous avons constitué une équipe aux missions élargies, chargée à la fois de la détermination des vaccins à acquérir et de leur distribution, mais aussi de l'organisation des essais cliniques et la constitution d'un registre de volontaires pour ces essais. Très tôt, nous avons construit notre stratégie et déterminé nos priorités. Nous nous sommes également assez vite accordés sur le fait que le gouvernement aurait à prendre des décisions rapides, en dehors du processus habituel. De même, nous avons écrit des lettres d'intention, afin d'activer rapidement nos relations avec les usines de production. Le Department of Health and Social Care (DHSC), l'équivalent de notre ministère de la santé et des affaires sociales, a également été notre partenaire privilégié pour le déploiement de ce plan.

Au cours des mois de juillet et d'août, nous avons procédé à la due diligence et nous avons défini un cadre pour attirer les entreprises au Royaume-Uni, à la fois pour le déploiement et la fabrication des vaccins, mais aussi pour les essais cliniques et les tests standardisés. De septembre à décembre, nous sommes passés à la phase d'exécution. Il s'agissait de signer les contrats et d'arrêter les bases légales définitives, de déployer les essais cliniques, mais également de venir en appui de toutes les étapes de mise à l'échelle et de déploiement. Nous devions également veiller à obtenir toutes les autorisations nécessaires à celui-ci.

Les membres du comité de pilotage de la cellule « vaccins » étaient tous des spécialistes dans leurs propres domaines. En tant que présidente, j'ai été placée sous l'autorité du Premier ministre et du ministère des affaires, de l'énergie et des stratégies industrielles - Department for Business, Energy and Industrial Strategy (BEIS) -, et non pas du ministère de la santé. La moitié de l'équipe était constituée d'experts issus de l'industrie, l'autre moitié d'experts issus du gouvernement.

Nos missions se sont articulées autour de plusieurs axes. Tout d'abord, nous étions chargés du tri et de la sélection des vaccins, sous la responsabilité de M. Clive Dix, un entrepreneur de la biotechnologie très expérimenté. Une équipe venait également en appui de M. Clive Dix sur la partie due diligence, qui incluait les aspects réglementaires. La deuxième sous-cellule travaillait quant à elle en relation avec les laboratoires pharmaceutiques pour comprendre leurs besoins et les aider à recruter des citoyens britanniques pour leurs essais cliniques. La troisième sous-cellule était chargée des contrats pour la fabrication et l'approvisionnement. Ces trois premiers secteurs constituaient en réalité les plus cruciaux de la stratégie vaccinale. En outre, une personne expérimentée était chargée du déploiement du vaccin, et un autre sous-groupe était responsable de la coopération internationale. Enfin, le président de l'association professionnelle pour la bio-industrie était chargé des aspects industriels. Nous avions donc, pour chaque secteur, des professionnels de premier rang. Pour la prise de décision, le comité ministériel d'investissement - Ministerial Investment Panel - était présidé par le secrétaire d'État aux entreprises et assisté par un certain nombre de personnes issues du gouvernement. Si nous n'avions pas d'autorité en termes de financement, nous leur fournissions toutefois des recommandations, comme nous l'aurions fait dans le cadre du capital-risque. L'idée était d'avoir des documents juridiques opérationnels pour la phase d'exécution. Un program board a également été constitué, au titre de la supervision gouvernementale et interministérielle. Enfin, le comité consultatif externe - External Advisory Board -, a été présidé par Sir Patrick Vallance, conseiller médical en chef du Premier ministre. L'idée était de trouver pour ce comité une caisse de résonance experte. J'insiste également sur le fait que tout projet situé en deçà de 150 millions de livres était envoyé directement au BEIS. Ainsi, nous avons pu constater une vaste implication à tous niveaux, allant du cabinet aux différents ministères précités.

Concernant le portefeuille de vaccins, il faut souligner que beaucoup de tentatives de développement échouent. Selon les experts, la probabilité qu'un vaccin réponde aux impératifs d'efficacité et de sûreté était de 15 %. Nous nous sommes donc d'abord attelés aux vaccins les plus avancés dans leur développement. En l'espèce, les vaccins à base d'adénovirus semblaient plus sûrs en termes d'essais cliniques. Les vaccins à base d'ARN messager semblaient quant à eux moins sûrs, mais plus avancés. Si ces deux premiers formats échouaient, nous avions des solutions de repli avec des vaccins à base d'adjuvants de protéine, des vaccins sur base de virus inactivés, et des vaccins à base d'anticorps neutralisants. Dès le départ, nous avons dépensé 900 millions de livres, sans savoir si l'un de ces vaccins allait se concrétiser, et 3,7 milliards de livres pour acquérir 357 millions de doses en 2020, au moment où j'ai quitté la task force.

L'élément déterminant pour le passage à la fabrication de masse a été d'identifier toutes les entreprises en capacité potentielle de fabriquer ces vaccins, et de fournir à celles-ci un financement leur permettant d'accroître leur capacité de fabrication. Oxford/AstraZeneca a été un fournisseur majeur, avec un site de production très important. Wockhardt et Symbiosis se sont occupés des étapes de finition, comme l'enflaconnage. Nous avons conclu un contrat de dix-neuf mois avec Wockhardt, qui leur a à la fois permis de développer leur capacité pour la finition des vaccins, mais aussi de recevoir des vaccins étrangers en vrac pour un enflaconnage au Royaume-Uni. L'entreprise Valneva, basée en France, dispose d'un site en Écosse. Des crédits lui ont été accordés pour la construction d'un deuxième site, avec l'idée de pouvoir fournir des doses supplémentaires pour un export à l'étranger. Nous avons également travaillé avec Novavax, avec une entreprise de vaccins vétérinaires, et enfin avec l'entreprise Catapult pour le vaccin CureVac.

En contrepartie de l'effort qu'elles allaient déployer, il fallait également permettre aux entreprises de disposer d'un registre de patients volontaires pour les essais cliniques. Le registre citoyen a donc été lancé avec le National Health Service (NHS), ce qui a permis un recrutement extrêmement rapide des volontaires. En tout, 500 000 personnes se sont portées volontaires, dont un tiers avaient plus de 60 ans. En effet, il apparaissait absolument nécessaire d'effectuer des essais sur les personnes présentant le risque de développer des formes graves. Nous avons également veillé à recenser suffisamment de personnes issues des minorités ethniques, mais également des personnes souffrant de comorbidités. Par ailleurs, nous avons financé des études permettant de tester des vaccins de nouvelle génération et des traitements sur des personnes saines. Enfin, nous avons considérablement développé notre capacité à évaluer et tester les données en immunologie par le biais de tests standardisés, mis en place par le groupe Porton Down PHE, financé par le gouvernement, mais aussi l'entreprise privée Oxford Immunotec.

La clé de réussite de cette cellule « vaccins » a d'abord été cet état d'esprit propre au capital-risque. En effet, nous avons l'habitude de la prise de risque, et nous savons gérer celle-ci par le biais d'une approche de portefeuille. Nous savons prioriser ce qui a les meilleures chances de réussir. De plus, l'aval du gouvernement a été essentiel à notre rapidité. Ensuite, nous avons bénéficié d'un mandat très clair de la part du Premier ministre, qui nous a permis de nous affranchir des différents niveaux hiérarchiques de la décision. Nous avons également été mis en contact avec des experts au sein du gouvernement, ce qui nous a permis, avec l'industrie, de bénéficier de deux sources d'expertise conjointes. De la même manière, nous avons pu tirer parti d'une gouvernance considérablement rationalisée. En outre, nous avons pu profiter des investissements du gouvernement dans la recherche industrielle et universitaire, qui nous a fourni une base très dynamique pour le développement des vaccins. Enfin, nous avons collaboré pleinement avec l'agence britannique du médicament, la Medicines and Healthcare products Regulatory Agency (MHRA), qui a réécrit les termes d'engagement par le biais d'examens au fil de l'eau. J'ai moi-même beaucoup écrit sur ce que nous avons réalisé : outre des publications dans des revues telles que Nature et Lancet, j'ai réalisé un rapport complet sur nos accomplissements au sein de la task force.

Mme Catherine Deroche, présidente. - La différence entre la France et le Royaume-Uni dans la gestion du conflit d'intérêts me frappe particulièrement.

En parallèle du vaccin, le Royaume-Uni a-t-il une stratégie concernant le traitement contre la covid-19 ?

M. René-Paul Savary. - À l'image de la France, vous êtes-vous rapprochés de l'Europe pour effectuer des achats groupés ? Si tel n'est pas le cas, est-ce en raison du Brexit, ou d'éventuelles difficultés à travailler avec l'Europe ?

Comment avez-vous procédé pour trier et labelliser les vaccins candidats ?

L'entreprise Valneva nous a révélé avoir interrompu ses négociations avec l'Europe en raison de leur trop grande complexité. Quel est votre regard sur les difficultés qui pourraient être rencontrées par l'Europe à ce sujet ?

Mme Kate Bingham. - Dès ma prise de fonctions, la France avait proposé de réaliser des approvisionnements groupés entre la France, l'Allemagne et le Royaume-Uni. Nous étions effectivement intéressés, et nous avons mené des discussions sur le sujet, qui se sont ensuite élargies à l'Italie et aux Pays-Bas. Cependant, la Commission européenne a rapidement établi qu'une telle alliance ne pouvait se poursuivre sans elle. Dès lors, le message donné a été que nous pouvions toujours participer aux discussions - nous étions toujours dans l'Europe -, mais que nous n'aurions ni pouvoir décisionnel ni garantie de date de livraison des vaccins. En outre, nous aurions dû cesser immédiatement nos discussions avec les laboratoires pharmaceutiques. Eu égard à ces contraintes, la décision du gouvernement a été de poursuivre la stratégie vaccinale de notre côté.

Dès février, des fonds ont été accordés à la recherche pour mettre à l'échelle les essais cliniques. Mes contacts avec l'industrie de la biotechnologie nous ont aussi permis de travailler en étroite collaboration avec l'association professionnelle des bio-industries. Tout cela a donc été mis en place bien avant que la cellule « vaccins » ne soit lancée, en mai. Les due diligence ont donc été réalisées avec les experts. Dans notre ordre de priorité, le premier élément déterminant était de savoir si les vaccins pouvaient passer en phase clinique en 2020.

Le deuxième élément à examiner était la possibilité d'une production à grande échelle, capable de fournir suffisamment de doses pour protéger les personnes vulnérables. Le troisième aspect étudié comprenait les données cliniques et précliniques, qui permettent d'évaluer les vaccins en termes d'efficacité et d'innocuité. D'autres éléments du domaine de la qualité ou de la conformité réglementaire ont été importants, sans toutefois constituer les moteurs principaux de notre choix. S'agissant du prix, celui-ci n'était pas au coeur de nos préoccupations, et à l'arrivée, nous avons payé 10,30 livres par dose, soit un peu plus que le prix payé par l'Union européenne.

Nous avons financé les entreprises pour qu'elles déploient leurs installations à plus grande échelle, au travers de crédits débloqués dès le départ. Ces prépaiements relèvent d'un financement risqué, dans la mesure où certains vaccins ne sont toujours pas approuvés, mais ils nous permettront de nous procurer des doses rapidement le cas échéant.

Je ne peux me prononcer sur les négociations menées par la Commission européenne, car j'ai quitté la task force en décembre 2020.

Les discussions avec Valneva ont été directes et simples. Dans bien des cas, nous connaissions nos interlocuteurs, car l'entreprise avait été appuyée par le biais du capital-risque pour son lancement. Je connaissais moi-même beaucoup de membres de l'équipe Valneva. Je ne peux en revanche vous en dire plus sur les négociations avec la Commission, qui n'étaient pas de mon fait.

Mme Élisabeth Doineau- Quelle a été la marge d'autonomie de la cellule « vaccins » britannique pour décider des vaccins candidats à soutenir et des industriels avec lesquels contracter ? Vos propositions ont-elles été facilement validées par le gouvernement britannique ? Avez-vous associé les départements ministériels de l'économie et de la santé très en amont pour vous assurer que le gouvernement validerait les choix que vous proposeriez ? Et les ministères vous ont-ils imposé des plafonds de dépenses, ou vous ont-ils laissé une certaine marge de manoeuvre pour la négociation des prix avec les industriels ?

Pourriez-vous revenir sur les adaptations des procédures d'autorisation et d'accès au marché que vous avez envisagées pour garantir un déploiement rapide de la vaccination au Royaume-Uni ? Avez-vous alerté très tôt la MHRA pour qu'elle se prépare suffisamment tôt à examiner les demandes d'autorisation des industriels avec lesquels vous négociez des contrats ? Quel bilan faites-vous de la réactivité de l'agence du médicament pour autoriser les vaccins au Royaume-Uni ?

Mme Kate Bingham. - Dès juin, nous avons avancé notre argumentaire commercial pour l'achat des douze vaccins qui constitueraient notre portefeuille. Des études de cas poussées ont été réalisées, avec des enveloppes prévisionnelles précises. Évidemment, cette approche était basée non pas sur des faits, mais sur des estimations fondées sur le vaccin Oxford/AstraZeneca, que nous savions moins coûteux à fabriquer. Par la suite, nous nous sommes rapprochés du Trésor afin de sanctuariser ces enveloppes de dépenses, de manière à ne plus avoir à en discuter ultérieurement.

Notre autonomie a été totale, une condition essentielle à mes yeux lorsque j'ai accepté de mener cette cellule. L'idée de départ était de pouvoir examiner vingt vaccins, pour pouvoir ensuite en sélectionner sept.

Le choix des vaccins a été décidé par le comité ministériel d'investissement, mais sur la base de nos recommandations. Nous avons beaucoup collaboré et discuté avec les différents ministères, notamment par le biais des différents comités. Nous avons agi de la même manière que ma société de conseil en capital-risque l'aurait fait, en présentant les risques et les opportunités. Jonathan Van-Tam, notre conseiller médical en chef, réalisait un point quotidien avec le ministère de la santé. Nous avons également informé le Trésor des modalités des contrats signés et du calendrier. Mais malgré le rôle important joué par ces discussions, nous étions véritablement à la tête de la négociation des contrats, sous l'égide de Maddy McTernan.

La MHRA a été informée de notre progression, mais n'a pas été incluse dans les négociations avec les laboratoires pharmaceutiques, celles-ci devant rester privées entre le régulateur et les développeurs de vaccin.

Nous avons effectivement utilisé une procédure d'urgence, et le MHRA a agi de manière très rapide et efficace. Les calendriers, rendus publics, sont la preuve de cette rapidité dans l'autorisation des essais cliniques.

Mme Corinne Imbert. - Le Royaume-Uni a innové pour convaincre les industriels de conclure des contrats d'approvisionnement, en proposant l'accès à un registre national de volontaires prêts à participer à des essais cliniques. Comment vous est venue cette idée ? Dans quelle mesure l'accès à ce registre a-t-il intéressé les industriels ? Quelles sont les conditions d'accès à ce registre que vous avez définies, notamment pour protéger la sécurité des données de santé ? Le Royaume-Uni a-t-il organisé un suivi en vie réelle des personnes à qui des vaccins ont été inoculés ?

Mme Laurence Garnier- Quel est le panel des vaccins disponibles au Royaume-Uni, par rapport à la France où nous en avons trois ? Cette stratégie de diversification présente-t-elle des opportunités ou des difficultés particulières, à la fois au regard de la résistance possible de certaines populations à certains types de vaccins, mais aussi de la résistance aux différents variants ?

Mme Michelle Meunier- Le fait que votre stratégie soit menée sous l'autorité du Premier ministre et du ministère de l'industrie plutôt que de celui de la santé résume parfaitement la philosophie retenue, qui semble d'ailleurs couronnée de succès. En comparaison, quelle est votre analyse sur les stratégies européenne et française ?

Pensez-vous que les critiques que vous avez essuyées lors de votre prise de fonctions soient liées à l'organisation de la task force, ou bien au fait qu'elle soit dirigée par une femme ?

Mme Annick Jacquemet. - Le variant Delta semble inquiéter les autorités britanniques, et M. Boris Johnson a déclaré ces derniers jours vouloir retarder la dernière phase du plan de déconfinement, afin de laisser plus de temps aux populations pour recevoir les deux doses de vaccin. La France doit-elle s'inquiéter, sachant que nous vaccinons principalement avec les vaccins Pfizer et Moderna, qui semblent moins efficaces face à ce variant ?

Vous êtes-vous appuyés sur l'expertise des vétérinaires, par exemple dans la mise en place de tests ou dans la gestion de l'épidémie ?

Mme Kate Bingham. - La mise en place du registre a été cruciale dans notre stratégie. Nous voulions montrer aux entreprises que nous étions capables de recruter très rapidement, et ces dernières étaient très intéressées à l'idée de pouvoir compter sur ce registre. C'est Divya Chadha Manek, qui fait partie de la branche « Recherche » du NHS, qui a été chargée de mener à bien ce projet. Les premières discussions ont commencé en juin, pour un test bêta lancé début juillet et une version définitive le 21 juillet. Novavax a été la première entreprise à utiliser ce registre, ce qui a permis à l'entreprise de terminer sa troisième phase de tests avant même que les États-Unis ne l'aient commencée.

La protection des données personnelles est gérée par le NHS, et ce de manière totalement anonymisée et sécurisée.

Nous constatons une adhésion très importante des populations à la vaccination. Pour un vaccin de grippe classique, le taux d'acceptation est de 75 %. Nous sommes au-delà concernant les vaccins contre la covid-19.

Notre stratégie a été l'achat et l'évaluation des vaccins. Pour cela, nous nous sommes reposés sur les experts du développement de vaccins. L'objectif était aussi la détermination d'un plan visant à mieux nous préparer pour d'éventuelles futures pandémies. Il nous fallait donc prouver notre capacité à sélectionner ces vaccins et à en apprécier l'efficacité. Je pense qu'il s'agit là de la bonne approche. Je n'ai pas de commentaire à faire sur la stratégie française, que je n'ai malheureusement pas suivie avec assiduité.

J'ai subi les critiques d'une partie des politiques britanniques, méfiants à l'idée de nommer à de telles fonctions une personne issue du secteur privé. Les accusations de conflit d'intérêts à mon encontre étaient fausses, car j'ai suivi toute la procédure consacrée, comme n'importe quel autre fonctionnaire. Le fait que je sois mariée à un membre du Trésor a aussi fait émerger l'idée que j'aurais pu être « parachutée » par les conservateurs, ce qui n'est pas le cas.

Les dernières données de l'agence Public Health England montrent que le vaccin Oxford/AstraZeneca aurait une efficacité de 92 % contre le variant Delta, contre 96 % pour Pfizer. La différence est donc marginale, et tous les vaccins dont nous disposons sont efficaces contre ce variant. À mes yeux, l'Europe a les outils nécessaires pour contrer cette pandémie. Nos outils sont cependant différents, puisque le Royaume-Uni a ouvert la possibilité du mélange vaccinal entre la première et la seconde dose. Les premières données cliniques dont nous disposons sur ces mélanges vaccinaux sont d'ailleurs très encourageantes. Dans notre stratégie contre les variants, nous étudions également la possibilité d'administrer une troisième injection, mais aussi de modifier la séquence génétique du vaccin ARN-messager, sous réserve de la rapidité des procédures d'autorisation qui seront mises en oeuvre.

Le déploiement de la campagne vaccinale a effectivement bénéficié du concours des vétérinaires, aux côtés de beaucoup d'autres personnes.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous vous remercions pour votre présence et pour la qualité de votre intervention.

Responsabilité civile de certains professionnels de santé - Examen du rapport d'information

Mme Catherine Deroche, présidente. - Nous examinons maintenant le rapport d'information relatif à la responsabilité civile de certains professionnels de santé.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Vous m'avez confié le soin de dresser un bilan de l'assurance responsabilité civile médicale des professionnels de santé libéraux, sujet qui a connu d'importantes évolutions législatives entre 2002 et 2012 : durant cette période, cette question retenait toute l'attention de notre commission, mais aussi, de manière générale, des pouvoirs publics, des assureurs et des professionnels de santé. C'est moins le cas aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle je souhaite retracer brièvement les grandes étapes législatives qui ont jalonné ce dossier et vous rappeler les caractéristiques de ce risque médical singulier.

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, dite « loi Kouchner », a posé le principe de la responsabilité des professionnels et établissements de santé à l'égard des conséquences des actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'ils dispensent, dès lors que les dommages résultent d'une faute.

S'agissant des accidents graves, mais non fautifs, c'est la solidarité nationale, au travers de l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (Oniam), établissement public institué par cette même loi, qui prend en charge l'indemnisation des victimes.

La loi Kouchner a également rendu obligatoire, afin de prévenir les risques d'insolvabilité, l'assurance responsabilité civile des professionnels de santé. Ceux qui exercent au sein d'un hôpital comme salarié sont couverts par l'assurance souscrite par l'établissement, tandis que ceux qui exercent à titre libéral, comme c'est le cas, par exemple, dans une clinique privée, doivent s'assurer à titre individuel.

La couverture de ce risque a pour première caractéristique le temps très long dans lequel s'inscrivent les dossiers d'indemnisation. La loi Kouchner a fixé le délai de prescription à dix ans à compter de la consolidation du dommage. Celui-ci s'apprécie à partir de la majorité de la personne : si la victime est un nouveau-né, elle peut engager la responsabilité du professionnel de santé vingt-huit ans après les faits. Les procédures, souvent par la voie judiciaire pour les cas complexes, sont très longues et impliquent des expertises itératives pour déterminer s'il y a faute du praticien, mais aussi arrêter le niveau de l'indemnisation requise, souvent sous la forme d'une rente à vie, d'une compensation de perte de revenu ou d'aides humaines ou matérielles, qui vont devoir être revues tout au long de la vie de la victime.

Une autre caractéristique tient aux particularités des contrats d'assurance en responsabilité civile (RC) médicale. D'une part, les garanties qu'ils proposent sont plafonnées : la loi Kouchner a renvoyé au décret la définition de ces plafonds a minima, qui étaient de 3 millions d'euros par sinistre entre 2002 et 2012, avant d'être relevés. D'autre part, à la suite d'une proposition de loi initiée fin 2002 par l'ancien président de la commission des affaires sociales, Nicolas About, le principe courant dit en « base fait générateur », selon lequel la garantie d'assurance couvre les activités effectuées pendant la durée du contrat, a été remplacé par celui de « base réclamation » : les contrats ne couvrent plus indéfiniment les conséquences des actes passés, mais seulement ceux qui font l'objet d'une première réclamation par la victime pendant la période de validité du contrat. Quand un praticien arrête son activité ou prend sa retraite, son dernier contrat le couvre pendant une période de dix ans.

Cette réforme avait alors entendu répondre aux fortes tensions rencontrées sur le marché de la responsabilité civile médicale : plusieurs compagnies d'assurances menaçaient de ne plus assurer des médecins ou certains hôpitaux, dans un contexte de développement du contentieux médical.

Ces évolutions ont rassuré les assureurs. Mais finalement, les dispositions qui résultent des lois Kouchner et About ont pu créer des « trous de garantie », c'est-à-dire des défauts de couverture par l'assurance en cas d'épuisement ou d'expiration des garanties : rares fort heureusement, ces situations faisaient tout de même peser une menace sur l'exercice libéral de spécialités particulièrement exposées à des risques graves comme les obstétriciens, les chirurgiens ou les anesthésistes, qui s'acquittent tout au long de leur carrière de primes élevées. Notons toutefois que ces dernières sont partiellement prises en charge par l'assurance maladie, dans certaines conditions.

Après diverses initiatives, notamment celle de notre commission dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 à la suite d'une proposition de loi déposée par Alain Milon et Dominique Leclerc, une solution a été proposée par le gouvernement de l'époque lors de la loi de finances pour 2012. Faisant suite à un travail de concertation entre les pouvoirs publics, les assureurs et les professionnels, cette solution a consisté en la création d'un fonds de garantie, le Fonds de garantie des dommages consécutifs à des actes de prévention, de diagnostic ou de soins (FAPDS), permettant une plus large mutualisation du risque sur ce segment très restreint du marché.

Ce fonds est destiné à prendre en charge les montants d'indemnisation non couverts par les contrats d'assurance « de base », soit parce qu'ils dépassent les plafonds de garantie, soit parce que la validité du contrat a expiré - notamment si la plainte est déposée alors que le professionnel est en retraite depuis plus de dix ans.

Le fonds est alimenté par une contribution forfaitaire annuelle à la charge des professionnels de santé libéraux, dont le montant oscille entre quinze et vingt-cinq euros selon les professions et spécialités. Sa gestion a été confiée à la Caisse centrale de réassurance (CCR), qui assure la gestion d'autres fonds publics, comme le « fonds Barnier ».

Ce nouveau dispositif est entré en vigueur à compter du 1er janvier 2012, pour les contrats souscrits à partir de cette date. Il s'est accompagné d'un relèvement des plafonds de garantie a minima des contrats, passés de 3 à 8 millions d'euros par sinistre.

Près de dix ans après la création de ce fonds, où en est-on ?

Un premier constat est que les caractéristiques du marché de la RC médicale n'ont guère changé : cela reste un marché « de niche », très concentré ; les cinq premiers acteurs représentent 81 % du marché.

Pour la Fédération française de l'assurance (FFA), la réforme engagée en 2012 a contribué à stabiliser le marché précaire de la RC médicale, même si celui-ci demeure déficitaire : le ratio « sinistres sur primes » augmente de manière régulière depuis 2013 et s'établissait à 103 % en 2019, pour atteindre 122 % dans une spécialité comme la gynécologie-obstétrique, et 111 % en chirurgie. Les prestations versées dépassent les primes perçues, ce qui ne va pas sans poser la question de la soutenabilité de cette activité à terme. Certains assureurs étrangers qui pratiquaient des prix plus bas ont quitté le marché.

Le fonds géré par la CCR a, quant à lui, une activité pour l'instant réduite. Au 31 décembre 2020, soit sur une période d'activité de neuf ans, son intervention a été sollicitée dans 75 dossiers : 61 dossiers sont en cours et 14 autres sont clos, pour lesquels le principe de l'intervention du fonds a été rejeté au contentieux. En outre, 35 % des dossiers en cours concernent l'obstétrique, 18 % la chirurgie orthopédique, 7 % l'anesthésie réanimation et 7 % la médecine générale.

La trésorerie du fonds s'établissait à près de 70 millions d'euros en 2020, quand le montant de ses provisions relatives aux indemnisations des sinistres était de 36 millions d'euros, soit un ratio de 51 %. Les sinistres pour lesquels l'indemnisation pourrait dépasser 8 millions d'euros, à savoir le plafond réglementaire des contrats d'assurance, ne concernent pas moins de onze dossiers.

Toutefois, la plupart des sinistres n'ont pas encore été indemnisés : des procédures judiciaires et des expertises sont en cours, sur la fixation du montant des préjudices pour les victimes et sur le principe même de leur prise en charge par le fonds ; dans certains cas ces dossiers opposent la CCR aux assureurs sur des dossiers complexes, sans conséquence donc pour les praticiens concernés.

Fin 2020, seuls 40 195 euros d'indemnisations ont été effectivement versés par le fonds, au titre d'une seule affaire dans laquelle la CCR a décidé de faire appel du jugement... Il nous faudra donc du temps, compte tenu de la durée des procédures, de la lourdeur et de la complexité des dossiers impliqués, pour apprécier la montée en charge de ce dispositif et sa réelle portée.

La principale question que nous avions en tête en engageant ce bilan était de savoir si la réforme de 2012 avait mis fin aux situations résiduelles de « trou de garantie » pour des professionnels de santé.

Un juriste ayant représenté l'intérêt des professionnels libéraux a alerté notre présidente sur le fait qu'une dizaine de praticiens - ou leurs proches dans le cadre de successions - seraient responsables sur leurs propres deniers et menacés de ruine. Comme cela concerne des réclamations antérieures à 2012, date de création du fonds, ces acteurs demandent au législateur d'étendre l'intervention du fonds pour la faire rétroagir aux plaintes portées avant 2012.

Mes investigations ne m'ont pas permis d'avoir une évaluation fine de la situation et ne me conduisent donc pas à vous proposer aujourd'hui de soutenir cette demande de modification des textes.

Une première raison est que nous manquons de recul et de données. Pour les rares situations individuelles portées à ma connaissance, les procédures judiciaires - lourdes et complexes - sont en cours et l'évaluation des dommages corporels impliquera des expertises successives et itératives, tout au long de la vie de la victime. D'après la CCR, l'intervention du fonds pour un contrat souscrit avant 2012 ou une réclamation portée avant 2012 a été rejetée par le juge dans une dizaine de dossiers, dont un seul dans lequel le sinistre était de nature à dépasser le plafond de garantie, alors de 3 millions d'euros. Nous ne connaissons pas la réalité de la situation pour les cas ayant fait l'objet de démarches par la seule voie amiable et non judiciaire. L'Oniam ne dispose d'aucune donnée à ce sujet alors même qu'il peut être amené à se substituer aux assureurs ou praticiens en cas d'épuisement des garanties et engager ensuite des actions récursoires à leur encontre.

L'autre raison, qui découle de ce premier constat, est qu'il ne semble exister aucune évaluation du nombre de cas qui pourraient être concernés ni aucun chiffrage des montants d'indemnisation potentiellement impliqués. Nous ne pouvons guère apprécier si un élargissement du champ d'intervention du fonds est justifié et un tel élargissement aurait, le cas échéant, un impact non maîtrisé sur son équilibre financier.

Or, ce fonds est financé, je vous le rappelle, par les cotisations des professionnels de santé et repose sur le principe d'une mutualisation très large : il ne faudrait pas fragiliser, en augmentant le montant de la cotisation, la solidarité des paramédicaux - les plus nombreux à cotiser - envers les quelques spécialités médicales les plus exposées aux risques de sinistres lourds.

Avant 2012, le plafond a minima de garanties des contrats d'assurance était de 3 millions d'euros et non de 8 millions. Or, d'après la FFA, de nombreux praticiens avaient souscrit des contrats offrant de meilleures garanties que le minimum réglementaire proposé souvent par des assureurs étrangers, insuffisant face aux montants d'indemnisations requis dans les préjudices corporels les plus graves. Au problème d'équilibre financier s'ajouterait donc un problème d'équité et d'aléa moral.

Si je ne vous propose pas de modifier la loi, étant par ailleurs opposée à titre personnel au principe de lois rétroactives destinées à répondre à des cas individuels, je souhaite, pour autant, attirer votre attention sur l'absence de suivi et même sur le désintérêt que semble susciter ce dossier depuis le vote de cette réforme.

D'abord, ce qui ne vous étonnera pas, le rapport d'évaluation prévu dans la loi de finances pour 2012 n'a jamais été transmis au Parlement. En outre, l'Observatoire des risques médicaux (ORM) institué par la loi et adossé à l'Oniam ne fournit plus de données depuis 2015, ce qui ne permet pas de disposer d'éléments d'analyse sur l'évolution des accidents médicaux. Or, les dernières versions de ce rapport présentaient d'intéressantes données sur les sinistres les plus graves. Seules les données des assureurs, collectées par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sont réunies dans un rapport annuel aux ministres concernés, rapport non public que j'ai obtenu non sans difficulté.

J'ai également constaté que la CCR ne montrait pas un intérêt particulier dans la gestion du fonds, qui ne relève pas de son champ d'expertise, qui est plutôt celui des catastrophes naturelles et de la réassurance au sens strict : ses responsables souhaiteraient déléguer la gestion des dossiers à l'Oniam, ce qu'avait prévu une convention signée en 2017, mais jamais appliquée. L'Oniam pourrait être, certes, plus compétent sur le fond du sujet, mais sa direction actuelle estime ne pas disposer des moyens adaptés et ne souhaite pas intervenir en sous-traitant de la CCR.

Je regrette que le « service après vote » sur ce dossier soit très réduit par les organismes publics concernés, ce qui ne permet pas d'assurer l'information complète du Parlement. Je prends notre part de responsabilité, car nous n'avons nous-mêmes jamais interrogé les services sur ce dossier. Or, il serait intéressant de disposer d'éléments prospectifs sur la soutenabilité à moyen et long termes du dispositif voté en 2012.

Le plafond de 8 millions d'euros, sur lequel les contrats se sont alignés, est-il encore suffisant au regard des montants d'indemnisation effectivement requis ? Quelles sont, précisément, les situations individuelles qui échappent à une couverture assurantielle complète pour les praticiens et quelles conséquences cela fait-il courir aux victimes ? Ces situations semblent aujourd'hui totalement échapper à la connaissance des acteurs chargés du sujet.

Il serait intéressant de faire remonter ces informations et de confier à un groupe de travail ad hoc, qui pourrait notamment réunir la CCR et l'Oniam ainsi que les autres acteurs concernés, l'étude de ces cas individuels.

S'il est donc prématuré de vous proposer d'adapter la loi, il me semble important de garder un oeil attentif sur ce dossier et de solliciter la mise en place pour l'avenir d'un système plus structuré de suivi et d'évaluation de ce risque particulier.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Merci pour cette étude éclairante, qui mérite effectivement une suite. Nous avions été alertés par des spécialistes qui nous ont dit manquer de garanties, et je confirme que nous avons eu le plus grand mal à obtenir certains éléments d'information.

Mme Élisabeth Doineau. - Le problème est important et peut le devenir plus encore, car le manque de garantie peut décourager de jeunes médecins à choisir la spécialité d'obstétrique en particulier, et entrainer un manque de spécialistes... Il faut que les professionnels soient garantis à hauteur des risques qu'ils prennent.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Actuellement, la garantie des contrats d'assurance porte automatiquement jusqu'à 8 millions d'euros. Il ne nous a pas été rapporté que ce plafond de garantie n'était pas suffisant. Les procédures dont nous avons eu connaissance datent d'avant 2012 : le plafond de garantie des contrats était alors de 3 millions d'euros a minima et le fonds de garantie n'existait pas. Cependant, il est vrai que la cotisation d'assurance dont s'acquittent certains professionnels dans des spécialités à risque est très élevée.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Effectivement.

M. René-Paul Savary. - La question de la soutenabilité du mécanisme actuel se pose aussi : s'il y a plus de dépenses que de recettes, comment les assurances vont-elles réagir ?

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Pour le moment, les assureurs estiment que l'équilibre n'est pas encore menacé, et ils ne nous ont pas dit qu'il faudrait augmenter les primes, les ratios sinistres sur primes étant moins élevés et inférieurs à 100 % dans certaines professions ou spécialités. J'ajoute que depuis 2004, l'assurance maladie aide les professionnels de 21 spécialités médicales à payer leurs primes d'assurance, l'aide varie entre le tiers et les deux tiers de la prime, dans la limite d'un plafond qui est par exemple de 25 200 euros pour l'obstétrique ou de 21 000 euros pour des spécialités chirurgicales.

J'ai interrogé nos interlocuteurs sur les conséquences éventuelles du covid-19, ils m'ont répondu n'en rien savoir. Or, la responsabilité du médecin pourrait être mise en cause, par exemple pour défaut de diagnostic ou de respect du protocole sanitaire ; il faut faire attention.

M. René-Paul Savary. - Nous sommes plutôt ici dans le domaine de la faute professionnelle, pas de l'erreur de diagnostic médical. Mais il peut y avoir effectivement une imputabilité, comme cela se passe pour les maladies nosocomiales ou encore lorsque les personnels soignants ne sont pas vaccinés, c'est une prise de risque.

Mme Catherine Procaccia, rapporteur. - Il faut effectivement y réfléchir. À Houston, aux États-Unis, l'hôpital a licencié des personnels soignants qui refusaient la vaccination.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous propose d'envoyer votre rapport au ministre de la santé, avec un courrier déplorant le manque de suivi de ce dossier. Je propose à la commission d'autoriser la publication de ce rapport.

La commission des affaires sociales autorise la publication du rapport.

La réunion est close à 11 h 10.

- Présidence de Mme Catherine Deroche, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 35.

Audition de M. Luc Broussy, auteur du rapport sur l'adaptation de l'habitat au vieillissement

Mme Catherine Deroche, présidente. - Mes chers collègues, nous entendons cet après-midi M. Luc Broussy, directeur de l'executive master de « Politiques du vieillissement et silver économie » à Sciences Po Paris, pour la présentation à la commission de son rapport sur l'adaptation de l'habitat au vieillissement.

J'indique que cette audition fait l'objet d'une captation vidéo retransmise en direct sur le site du Sénat et disponible en vidéo à la demande.

Alors que nous célébrerons bientôt l'anniversaire de la création d'une branche autonomie qui n'a toujours pas de traduction concrète et que le projet de loi Grand âge est en train de se muer en arlésienne législative, c'est bien volontiers que j'ai donné suite à la demande de notre collègue Michelle Meunier de procéder à cette audition.

Si la perspective d'un projet de loi s'éloigne, les enjeux du vieillissement sont toujours devant nous à un horizon qui lui, se rapproche, au cours de la décennie à venir.

Dans un rapport récent, nos collègues Bernard Bonne et Michelle Meunier ont plaidé pour un véritable changement de modèle dans l'accompagnement des personnes âgées pour donner véritablement corps au « virage domiciliaire ». L'adaptation de l'habitat est un enjeu crucial afin de permettre au plus grand nombre de vieillir sinon dans leur domicile, du moins dans un domicile adapté et d'inscrire nos priorités dans une logique de prévention.

Monsieur Broussy, je vous remercie pour votre présence aujourd'hui et je vous donne la parole pour un propos introductif et la présentation de vos conclusions, avant d'avoir un échange avec les sénateurs qui souhaiteront vous interroger.

M. Luc Broussy. - Merci Madame la présidente.

Je voudrais, tout d'abord, donner une petite précision sur mon CV. Je suis directeur d'un master à Sciences po mais mon intervention aujourd'hui se justifie à deux autres titres. Je préside la filière silver économie depuis 2014 et j'ai été également vice-président d'un conseil général de 2008 à 2015, ainsi que vice-président de la commission sociale de l'Assemblée des départements de France. Je ne suis donc pas, à proprement parler, un universitaire, même si j'ai créé ce master.

Permettez-moi aussi de replacer le rapport que je viens de remettre dans son contexte. J'ai été sollicité à la fin novembre pour le rédiger car le Gouvernement préparait un projet de loi sur le grand âge et souhaitait enrichir le texte sur les aspects non médico-sociaux. Plus précisément, il était question de réactualiser un rapport que j'avais remis au Premier ministre en mars 2013 sur l'adaptation de la société au vieillissement (ASV) et qui avait été à l'origine de la loi ASV. La réactualisation de ce travail devait être très rapide puisque le rapport était attendu pour la fin janvier. Finalement, Gabriel Attal, porte-parole du Gouvernement, a annoncé le report du projet de loi sur le grand âge à la fin de la crise sanitaire. J'ai donc considéré disposer de davantage de temps pour mener à bien ma mission et le rapport a été rendu le 26 mai.

Je voudrais aussi souligner que ce rapport a été commandé par trois ministres et qu'il s'agit là d'une différence intéressante par rapport à ma mission de 2013, dont la ministre déléguée aux personnes âgées était seule à l'origine. En effet, en étant missionné par Brigitte Bourguignon, ministre déléguée chargée de l'autonomie, Emmanuelle Wargon, ministre déléguée chargée du logement, et Jacqueline Gourault, ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales, j'ai pu bénéficier du concours et de l'expertise d'organismes habituels comme la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie ou la direction générale de la cohésion sociale mais également de la direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages du ministère du Logement, de l'Agence nationale de la cohésion des territoires ou bien de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine. Ces derniers ne sont pas des organismes avec lesquels on parle naturellement des questions du vieillissement.

J'ai voulu centrer ce rapport sur la capacité à organiser une société qui permet de vieillir chez soi. J'ai donné comme objectif au rapport de dé-médico-socialiser, si je puis dire, la question de la vieillesse. Toutes les personnes âgées ne sont pas des GIR et les résidents des Ehpad ne sont qu'une petite partie des 15 millions de seniors en France.

Je souhaiterais vous donner à présent quelques éléments de nature démographique et sociologique. Ce n'est pas suffisant de dire que la France vieillit. Le nombre de personnes âgées de 85 ans et plus dans notre pays stagnera de 2020 à 2030. Ce nombre augmentera ensuite fortement à partir de 2030. En revanche, c'est bien le nombre de personne âgée de 75 à 84 ans qui va connaitre une brutale accélération dans la décennie à venir. Leur effectif passera de 4 millions à 6 millions de personnes soit une hausse attendue de 47 % d'ici à 2030. En termes de politiques publiques, l'urgence est donc l'adaptation de la société à ce public caractérisé par son âge de 75 ans à 84 ans qui présente des fragilités mais assez peu de perte d'autonomie. Cette part de seniors n'a besoin de personne pour accomplir les actes de la vie quotidienne mais elle nécessite une ville bienveillante en termes de transport, de logement et autres. J'ai voulu me concentrer sur cette population en soulignant que si on veut vieillir chez soi ce n'est pas seulement un enjeu de tarification de SIAD et SAAD. La question du bien-vieillir chez soi doit être traitée dans un continuum, qui relie le logement adapté aux mobilités aménagées jusqu'à une ville bienveillante, mais doit aussi prendre en compte la diversité des territoires - centre-ville, péri-urbain, rural - dans lesquels on ne vieillira pas de la même façon.

Au plan sociologique, les personnes qui auront 85 ans en 2030 seront ceux qui avaient 25 ans en mai 1968, donc nés en 1945 : c'est le début de la génération du « baby-boom ». Il ne suffit pas dire que la France va vieillir : il faut préciser que ces personnes qui n'auront pas les mêmes envies, pas les mêmes désirs, pas les mêmes attentes que leurs propres parents. D'abord parce que c'est la première génération qui a vécu la dépendance de ses propres parents, et puis enfin parce qu'elle a été biberonnée à la liberté, à l'autonomie, au consumérisme. Les opérateurs de juke-box des maisons de retraite peuvent délaisser Piaf et Aznavour : le résident de 2030 était peut-être à Woodstock.

Le chapitre sur le logement du rapport s'ouvre par conséquent l'examen de ce que veut dire vieillir chez soi. Dans notre imagerie commune, vieillir chez soi, c'est rester dans la maison où l'on a construit son couple et élevé les enfants. Mais une fois le mari décédé et les enfants partis, rester seule, sans voiture, à cinq kilomètres de la boulangerie n'est plus possible. Je parle à un moment donné de blablacarisation du logement, car la génération dont je parle sera davantage tentée par l'usage que par la propriété, par ce qui permet d'être heureux et de vivre harmonieusement plutôt que de posséder.

Vous le voyez dans vos territoires : certains songent à vendre leur maison, parce qu'elle est impraticable ou isolée des commerces, pour louer. D'où l'actuel boom des résidences services senior. Si les maires autorisaient tous les projets qui leur sont soumis, il y en aurait à tous les coins de rue ! La résidence services senior correspond à cette envie de ne plus vivre seul chez soi. Les personnes sont sans doute contraintes d'aller en Ehpad parce qu'elles ne peuvent faire autrement ; elles vont en résidence services, en revanche, parce qu'elles en ont envie. Le cas typique est celui de la veuve de 80 ans, qui représente 75 % des résidents d'un groupe comme Domitys - car les femmes sont plus souvent veuves que les hommes ne sont veufs. C'est alors un moyen de se recentrer au coeur du quartier ou au coeur de la ville ; le rayon d'action d'une personne âgée qui n'a plus de voiture est de 300 ou 400 mètres.

On pourrait dresser un parallèle avec le concept de ville du quart d'heure, de l'urbaniste franco-colombien Carlos Moreno : la ville de demain, la ville silver-friendly, sera celle dans laquelle une personne âgée aura les services et les commerces dans un rayon d'un quart d'heure autour de chez elle.

Je redéfinis donc la notion de « chez soi » et ce « chez soi » peut être divers : résidence services senior, résidence autonomie... Il faut arrêter de tourner autour du pot sur les résidences autonomie. Il y en a 2 000 dans notre pays. L'immense majorité sont la propriété de bailleurs sociaux qui ne les ont jamais rénovées. Les maires finiront par se résoudre à leur disparition ou à leur transformation en foyer de jeunes travailleurs. La réalité, c'est que nous sommes en train de perdre un patrimoine qui héberge plus de 100 000 personnes en France et qui est, si je puis me permettre, la résidence services du pauvre. Nous risquons de nous priver d'un atout formidable pour les personnes âgées modestes. Je rappelle que plus de 70 % des résidences autonomies en France sont gérées par les CCAS et qu'elles sont pour l'immense majorité la propriété de bailleurs sociaux.

Dans le cadre du plan de relance, un milliard et demi d'euros doivent être délégués à la CNSA pour améliorer l'immobilier des Ehpad ; le forfait pour les résidences autonomie y occupe une faible part. Je propose de réserver 10 % à 15 % de cette enveloppe pour les résidences autonomie : avec 200 millions d'euros, il y aurait de quoi faire.

D'autres phénomènes sont plus nouveaux et nous paraissent plus anecdotiques, mais j'ai découvert en faisant cette étude qu'ils l'étaient de moins en moins. Par exemple, les résidences intergénérationnelles. Les bailleurs sociaux les théorisent désormais, et elles sont appelées à se développer de même que, plus largement, toutes les formules d'habitat inclusif dont parle le rapport Piveteau-Wolfrom. Ce sont des éléments de cet « habiter autrement » dans lequel je crois beaucoup.

Certaines personnes resteront néanmoins chez elles - je rappelle que 75 % des seniors sont propriétaires de leur logement et ils ne vont pas tous déménager. Il y aura donc des travaux d'adaptation à réaliser le plus tôt possible, mais pas trop tôt non plus, pour ne pas leur faire injure...

En tout état de cause, notre système est d'une complexité folle : nul ne sait à qui s'adresser, entre sa mairie, qui n'y peut rien, la CNAV ou l'Agence nationale de l'habitat (Anah)... Ce que je propose - mais le ministère du logement y a réfléchi aussi - c'est de transposer le système MaPrimeRenov', que j'appelle MaPrimeAdapt', afin de constituer un guichet unique pour une allocation unique avec des critères d'éligibilité uniques. Car les aides de l'Anah sont réservées aux GIR 1, 2, 3, ou 4, ce qui est un crime contre la prévention car cela revient à attendre que les gens soient tombés dans leur escalier pour leur proposer une aide à l'adaptation ! Je prône également la quasi-systématisation des visites d'ergothérapeutes. Un ergothérapeute audite un logement pour 300 euros, qui peuvent économiser des dépenses bien plus élevées qui n'auraient aucun sens mais que certains ont intérêt à provoquer. Il faut donc un système et un guichet uniques, probablement autour de la CNAV et de l'Anah, une possibilité de délégation au département si celui-ci le demande.

Je rappelle un dernier chiffre pour dire l'urgence de cette question : 9000 personnes âgées de plus de 65 ans meurent chaque année de chutes domestiques. Peut-on vivre avec ce chiffre sur la conscience ? Les politiques publiques ont permis de passer de 18 000 morts par an sur les routes à 3 500 en 40 ans, et les différentes évolutions législatives sur le tabac ont permis de commencer à avoir des résultats. Nous pouvons obtenir des résultats aussi en matière de chutes domestiques.

La ville doit encore être bienveillante - par où l'on arrive au coeur des compétences des maires, des EPCI, des agglomérations. La dépendance, c'est d'abord et avant tout la compétence de l'État et des départements, et la question n'est souvent abordée qu'au travers du prisme médico-social : qui va tarifer l'Ehpad ? Qui va autoriser le SAAD ? Ceux qui sont pourtant en train de prendre une place majeure dans l'adaptation de la société au vieillissement, ce sont les maires. Car lorsqu'un promoteur présente un projet de résidence services senior, lorsqu'une association demande un habitat intergénérationnel, lorsqu'il faut améliorer la mobilité des personnes âgées, c'est le maire qui décide. C'est le maire, encore, qui est compétent pour la voirie, le trottoir, la synchronisation des feux rouges, les toilettes publiques, les bancs publics, le mobilier urbain, et tout ce qui renvoie au label de ville amie des aînés.

Les outils contractuels entre liant l'État aux territoires ont un poids indéniable. Tout récemment, le Premier ministre a créé les contrats régionaux de transition écologique (CRTE), mais je songe aussi aux dispositifs Petites villes de demain (PVD) et Action coeur de ville (ACD). Tout élu local connaît ces instruments : 1600 villes sont concernées par PVD et 222 par ACD. Or dans ces deux programmes, le terme de vieillissement n'apparaît nulle part. Je l'ai proposé, et un programme va donc être mis en place sur l'habitat inclusif et les PVD et, dans le cadre de la renégociation d'ACD, le vieillissement constituera un des trois axes. Il s'agit de 5 milliards d'euros, avec la participation de la Caisse des dépôts, de la Banque des territoires, de l'Anah, d'Action Logement. Voilà encore, au-delà des acteurs habituels du médico-social, une façon de transformer la ville et les quartiers.

Un autre enjeu fondamental est celui des mobilités. Faute de pouvoir se mouvoir en ville, nous sommes assignés à résidence. Or entre les bus qui conduisent à toute vitesse, la signalétique obscure, et la billettique difficile à manier pour un certain nombre de personnes âgées, il faut commencer par constater le divorce entre les transports en commun et les personnes âgées. Le soir même où sortait mon rapport, j'ai entendu à la radio le PDG de la SNCF présenter sa nouvelle tarification spéciale pour les seniors. À mon sens, ce n'est pas le problème : les seniors ne sont pas a priori des pauvres. Beaucoup de personnes âgées seraient prêtes à payer le prix si le chauffeur conduisait autrement, si la signalétique était lisible et si les arrêts de bus n'étaient pas en plein soleil - ce qui ne veut pas dire qu'il ne faut pas prévoir une carte de réduction pour le senior qui n'a pas les moyens.

Lorsque la personne âgée n'utilise pas les transports en commun, c'est un piéton. Et là, elle s'expose à davantage de dangers encore. Un piéton sur deux qui décède à plus de 65 ans. Cela représente 400 à 500 décès par an. Or dans les villes vont se multiplier les trottinettes et les vélos, ce qui risque d'aggraver l'insécurité des piétons les plus fragiles. Comment accompagner la mobilité des personnes âgées fragiles qui marchent en ville ? Voilà un vrai sujet à traiter - certes, pas par la loi.

Il faut avoir à l'esprit encore ceci : on ne vieillira pas de la même façon selon les territoires. Le cas de la Loire-Atlantique m'a frappé, car on y rencontre trois situations bien distinctes - mais c'est sans doute vrai aussi dans d'autres départements. La Baule est quasiment un Ehpad à ciel ouvert : population très âgée, prix de l'immobilier délirants... Les actifs qui viennent en aide à ses habitants n'ont donc aucune possibilité d'y loger. La ville sera de plus en plus vieillissante, et entourée d'un bandeau de villes peuplées de davantage d'actifs. Autre cas de figure : Châteaubriant, à la limite du Maine-et-Loire : commune plus rurale, vieillissant tout autant mais avec un déficit d'actifs. Enfin, troisième cas de figure : Nantes-métropole, dynamique, active, jeune mais qui, quantitativement, connaîtra la plus forte croissante de personnes âgées ! C'est la différence entre le vieillissement et la gérontocroissance. Qu'est-ce à dire ? Que les territoires n'appellent pas du tout les mêmes politiques : il faudra créer beaucoup plus d'Ehpad demain à Nantes-métropole qu'à Châteaubriant, même si la population sera plus vieille ici que là. Songez qu'il nous faudra demain créer plus de places en Ehpad dans un seul quartier de ville que dans toute la Creuse, quand bien même la Creuse resterait le département le plus âgé de France ! On ne peut donc pas mener des politiques uniformes, car les situations diffèrent fortement selon les territoires infradépartementaux.

D'où des conséquences précises en termes de gouvernance. Les schémas gérontologiques ne servent plus à rien ! J'en ai pourtant fait lorsque j'étais vice-président de département, et ils servaient, dans les années 1990, lorsque les départements programmaient encore les équipements. Puisque ce ne sont plus eux qui créent les maisons de retraite, ces schémas ne sont plus que du papier. Je propose donc que le département se dote d'un schéma de la transition démographique, grâce auquel il sera plutôt le stratège du vieillissement sur son territoire : alors seulement on parlerait utilement logement, mobilité, médico-social avec les CCAS, les bailleurs sociaux, les EPCI, etc. C'est ainsi, je crois, que le conseil départemental s'épanouira, plutôt qu'en se contentant d'assurer à Mme Durand que l'APA qu'elle perçoit, c'est bien grâce à lui.

Ces politiques doivent être interministérielles. C'est pourquoi je propose également la création d'un conseil interministériel de la transition démographique, sur le modèle du conseil interministériel du handicap, qui se réunit une fois par an, afin de concevoir la politique du vieillissement de manière stratégique sans réduire le tour de table aux seuls ministres de la santé et des affaires sociales.

Mme Catherine Deroche, présidente. - Je vous remercie beaucoup pour cette présentation, qui rejoint mon expérience au conseil régional des Pays de la Loire. Nous avions naguère souhaité orienter l'action du gérontopôle vers des élus locaux, pour accompagner les EPCI et les communes dans leur transition démographique. Vous avez raison d'insister sur le fait qu'on ne saurait conduire une politique uniforme en la matière - comme dans le domaine sportif ou culturel, du reste.

Mme Michelle Meunier. - Je vous remercie à mon tour pour cette présentation du rapport - un de plus, certes, alors que nous attendons la grande loi, apparemment renommée « Générations solidaires » pour une présentation en conseil des ministres fin juillet... En attendant, le projet de loi 3DS fournira peut-être un véhicule utile pour mieux outiller les départements. Bernard Bonne et moi-même sommes en phase avec vos propositions et l'objectif de permettre aux personnes de vieillir à domicile.

Les députés Mireille Robert et Josiane Corneloup ont récemment rendu un rapport sur l'accueil familial. C'est une piste intéressante, notamment pour les personnes atteintes d'Alzheimer, ou pour apporter des solutions aux aidants. Les conseils départementaux, qui connaissent bien les familles accueillantes dans le cadre de la protection de l'enfance, ne pourraient-ils pas encourager cette solution pour les personnes âgées également ?

M. Daniel Chasseing. - À mon tour de vous remercier pour cette présentation. Je vous rejoins largement : il faut un guichet unique pour adapter les logements - et je suis en la matière, moi aussi, départementaliste. Mais lorsque l'on a des troubles cognitifs, la résidence ou l'accueil de jour en Ehpad s'impose. En cas de déficience physique seulement, les résidences seniors sont une autre possibilité. Ne pensez-vous pas que pour garantir le maintien à domicile, le financement des Saad et des Ssiad devraient être transférés au niveau des départements, pour fluidifier les prises en charge en sortie d'hôpital ?

M. Alain Milon. - Permettez-moi de poser les questions que souhaitait vous adresser M. Philippe Mouiller, rapporteur de la branche autonomie, qui a dû se rendre en séance publique.

Le projet de loi 3DS prévoit, à son article 36, de donner compétence au département pour « coordonner le développement de l'habitat inclusif et l'adaptation du logement au vieillissement de la population » : qu'en pensez-vous ? Les municipalités, dont vous avez parlé, pourraient être des échelons plus adaptés.

Pouvez-vous nous préciser la manière dont vous voyez la possible simplification des dispositifs d'aide à l'adaptation des logements ?

La question des mobilités adaptées et de l'accessibilité de l'environnement urbain est un autre chapitre intéressant du rapport. Peut-on toutefois sortir des logiques d'encouragement, de labellisation et autres dispositifs de droit mou ?

Vous avez aussi publié récemment une étude sur l'Ehpad du futur. D'abord, pouvez-vous nous préciser votre conception de l'Ehpad comme plateforme de services aux personnes en perte d'autonomie ?

Vous faites ensuite de nombreuses propositions sur l'amélioration du bâti et la conception spatiale des établissements. Quels sont, selon vous, les outils juridiques les plus pertinents pour entreprendre ces changements d'environnement ?

Enfin, le rapport de Michelle Meunier et Bernard Bonne sur la prévention de la perte d'autonomie insiste beaucoup sur l'importance de maintenir une activité physique, intellectuelle et sociale le plus longtemps possible. Comment peut-on introduire ces dimensions dans la prise en charge en Ehpad ?

M. René-Paul Savary. - Il est vrai que le schéma gérontologique était un outil intéressant, mais très médico-social.

Je suis très départementaliste moi aussi, surtout en matière médico-sociale. Votre concept de schéma de transition démographique me plaît bien, mais je le conçois à l'échelle d'un bassin de vie. J'habite une petite ville de 6000 habitants dans un secteur fait de champs et de vignes - il y a en tout 600 communes dans la Marne, pour 500 000 habitants, c'est vous dire... Les gens habitent volontiers à la campagne et, arrivés à la vieillesse, achètent un logement en ville ! Les bourgs-centres comptent ainsi de plus en plus de personnes âgées, ce qui permet d'expliquer pourquoi les statistiques leur accordent de plus en plus de foyers, quand le nombre d'habitants diminue. Seule l'intercommunalité peut gérer cette transition générationnelle, qui s'effectue sur le temps long. Ne faudrait-il pas décliner le schéma à cette échelon ?

Vous n'avez pas parlé du numérique. Cette génération qui avait dix-huit ans en 1968 a évolué avec le numérique, qui offre désormais des possibilités extraordinaires, notamment en termes de domotique, de transports ou de sécurité. Nous pourrons sans doute, à l'avenir, rendre aux personnes âgées un meilleur service à un meilleur coût grâce à ces outils, car ils permettront de soulager les professionnels du soin des tâches répétitives pour les recentrer sur leur coeur de métier. Qu'en pensez-vous ?

Mme Annick Jacquemet. - Je rejoins M. Savary sur ce dernier point ; dans le département du Doubs, une enveloppe de 12 millions d'euros permettra en effet, par le développement du numérique, de libérer du temps de travail du personnel, au profit des résidents.

Vous avez parlé des ergothérapeutes pour l'adaptation des logements. Nous en manquons terriblement, c'est vrai. Des formations ou des incitations sont-elles prévues ?

Quel bilan faites-vous de la conférence des financeurs de la prévention de la perte d'autonomie, créée en 2016 ? Ont-elles réellement conduit à des améliorations ?

M. Luc Broussy. - Je veux d'abord rendre hommage au rapport de Michelle Meunier et Bernard Bonne, qui est remarquable - et je ne dis pas cela uniquement parce que les rapports sénatoriaux sont souvent les plus consistants, ni parce que nous convergeons sur de nombreux sujets...

S'agissant de l'accueil familial : oui ! Maintenant, il n'y a plus qu'à... Je n'en ai guère parlé car je ne souhaitais pas redire ce qui avait déjà été dit. J'avais naguère un peu de mal à me faire une opinion sur l'accueil familial, en raison de certains dérapages, ou de la difficulté du contrôle. Mais la professionnalisation de cette pratique, grâce à des structures intermédiaires qui salarient les intervenants, permet désormais de sécuriser les solutions apportées aux familles. Les propositions récentes devront en effet figurer dans la loi - si loi il y a.

Avec Sébastien Podevyn, secrétaire général de la filière silver éco, qui m'accompagne, nous réalisons en ce moment un tour des régions. La région est la bonne instance pour le développement économique de cette filière. La silver économie, c'est toute une série d'entreprises qui oeuvrent, par exemple, pour le repérage des fragilités - je songe en particulier à La Poste, qui a d'ailleurs fait l'objet d'un autre excellent rapport du Sénat, dont je me suis beaucoup servi.

Je diverge toutefois de l'analyse du rapport Bonne-Meunier sur l'Ehpad. L'interruption des créations de places, qu'il préconise à court terme, a en quelque sorte déjà eu lieu ces dernières années, en raison de la situation démographique et de l'équilibre à peu près atteint entre l'offre et la demande. Or ce ne sera plus le cas en 2030 ! Et le système actuel ne sera pas capable d'organiser le maintien à domicile dans les volumes que l'on anticipe, et il faudra donc des Ehpad.

Monsieur Milon, vous faites référence au rapport que j'ai réalisé avec Jérôme Guedj sur l'Ehpad du futur. Il est distinct, et nullement contradictoire, avec le présent rapport. Nous y montrons que l'Ehpad devra se réinventer, en termes d'architecture, d'espace personnel, d'usages. Dans la situation démographique où nous nous trouvons, nous pouvons soit ne rien faire et voir toujours dans l'Ehpad le lieu du long séjour des dernières années de la vie, ou le réinventer et l'ouvrir sur l'extérieur. Je milite pour ma part pour l'Ehpad-plateforme, et nous avons d'ailleurs fait une proposition de rédaction d'un nouvel article du code de l'action sociale et des familles pour aller dans ce sens. Songez que près de 70 % des personnes ont un Ehpad à moins de cinq kilomètres de chez eux : ni les bureaux de poste, ni les hôpitaux, ne maillent le territoire avec une telle finesse ! Que n'utilise-t-on ces 7000 établissements comme une ressource, notamment dans les déserts médicaux - sous réserve, sans doute, de développer la télémédecine !

L'Ehpad, loin de se replier sur lui-même et de disparaître, doit être une plateforme qui s'occupe non seulement de ses 80 résidents mais aussi, en « in » et en « out », d'un territoire donné. Une personne âgée est chez elle et a besoin qu'on vienne la voir ? L'Ehpad pourrait organiser la visite à domicile. Si une personne a besoin d'une visite gériatrique, elle pourrait venir consulter le médecin de l'Ehpad... C'est cela qui doit être l'avenir de l'Ehpad. Tous les établissements ne seront sans doute pas volontaires, mais il faut en donner les moyens à tous ceux qui veulent le faire. Cela nécessite de casser le modèle actuel d'autorisation et de financement pour aller vers un régime d'autorisation globale : on n'aurait plus une autorisation de places mais une autorisation populationnelle. On contractualiserait avec un opérateur qui saurait comment prendre en charge la population. On ne fera pas un Ehpad-plateforme avec la législation actuelle. A défaut de loi « grand âge », il y a le PLFSS : maintenant qu'il y a une cinquième branche, le législateur a une plus grande marge de manoeuvre pour y intégrer des articles en ce sens.

Dans la dernière version de l'avant-projet de loi, la tendance serait de considérer qu'il n'y a plus, d'une part, des services de soins et, d'autre part, des services d'aide, mais des services d'aide et de soins. Les services polyvalents d'aide et de soins à domicile (Spasad) n'ont pas marché. Il faut que le tout soit géré plutôt par les départements, au moins par délégation pour la partie soins. À l'évidence, il faut non seulement décloisonner établissements et services d'aide, mais aussi, à l'intérieur des services d'aide, décloisonner aide et soins.

Sur l'article 36 de la loi « 4D » ou « 3DS », nous sommes plutôt d'accord pour dire que l'adaptation du logement ne doit pas relever du département mais rester dans l'orbite du ministère du logement. Le guichet unique doit s'organiser autour des réseaux de la CNAV et de l'ANAH. Autant j'étais favorable au schéma départemental de la transition démographique, autant j'estime contre-productif de faire des départements les opérateurs de l'adaptation du logement, car de nombreux départements ne s'en occupent pas du tout. Je suis donc contre l'article tel qu'il est rédigé aujourd'hui. J'ai d'ailleurs l'impression que ses propres promoteurs sont contre ! Le ministère du logement semble être sur la même longueur d'ondes que moi.

Concernant la simplification des aides au logement, mon rapport montre qu'il existe les aides de la CNAV, celles de l'ANAH, celles d'Action Logement, celles des départements, toutes ces portes d'entrée ayant des conditions différentes : il faut unifier et harmoniser tout cela.

Je n'aborde pas la question de la prévention en Ehpad. C'est un problème de tarification qui est hors du champ du rapport.

Le numérique ne prend peut-être pas dans le rapport toute la place qui lui revient. Demain, aucune adaptation du logement ne pourra se faire sans penser numérique et domotique. Avec les ministres Bourguignon et Wargon, nous avons rendu visite à Dijon à une bénéficiaire de logement adapté qui a indiqué qu'elle aurait plutôt besoin d'équipements de domotique : il faut écouter les besoins des personnes, changer les baignoires en douches n'est pas l'alpha et l'oméga de l'adaptation ! Il est temps d'abandonner l'idée que les personnes âgées sont déconnectées. Dans quelques années, on ne parlera même plus de l'illectronisme. Mon père, à 84 ans, est sur les réseaux sociaux...

Vous avez parlé de la conférence des financeurs et de la mobilisation de 12 millions d'euros. Je vous invite à avoir un regard acéré à ce sujet. Dans le cadre du plan de relance, 600 millions d'euros ont été affectés à un plan numérique pour les établissements et services médico-sociaux (ESMS). Je n'ai pas compris à quoi cela servait. Les fonds sont alloués aux ARS qui lancent des appels à projets locaux. Comme souvent, on n'a pas fixé d'objectifs : refondre les systèmes d'information, numériser les services... ? Faute de vision d'ensemble, cette somme risque de ne financer que des opérations particulières.

On délègue 150 millions d'euros par an à la conférence des financeurs, sans savoir ce qu'elle en fait. Avant de distribuer de l'argent, il faut des objectifs. Par exemple, je propose de fixer pour l'an prochain une règle : 20 % des dotations affectées à la conférence des financeurs seraient affectées à la domotique. On pourrait ainsi financer des programmes nationaux. Par ailleurs, on n'est pas arrivé à rassembler tous les financeurs autour de la table.

Ce type d'actions peut être mené dans les départements mais, on le voit, les appels à projets sont morcelés. Cela ne permet pas aux start-up répondant à ces appels à projets de grandir.

Il est vrai que nous manquons d'ergothérapeutes. On est passé de 8 000 à 13 000 depuis 2013, mais cela reste 5 à 10 fois moins qu'au Danemark, en Suède, voire en Belgique. L'État doit considérer la formation d'ergothérapeutes comme une priorité car c'est un métier de prévention qui est utile et une autre façon d'aborder la vieillesse.

J'attire votre attention sur la situation de la Martinique et de la Guadeloupe. La Martinique est aujourd'hui le 74e département le plus âgé de France - donc l'un des plus jeunes -, la Guadeloupe est 84e, la Creuse étant première. En 2050, la Martinique sera le département le plus âgé de France devant la Creuse, la Guadeloupe sera 6e. On n'a jamais vu des territoires vieillir aussi rapidement et à ce point-là. Je passe sur les autres handicaps que peuvent avoir la Martinique et la Guadeloupe. Je prône un « plan 2050 » pour ces territoires, où la silver économie peut être une solution.

Je ne sais pas s'il y aura un projet de loi « grand âge ». Je sais cependant qu'en ce moment, le ministère mène des concertations dans cette optique. Si ce texte est présenté un jour, il faut qu'il se fixe comme horizon 2030 sur l'Ehpad du futur, la tarification à domicile ainsi que toutes les questions que j'aborde dans mon rapport. Or, il n'est pas naturel pour le ministère chargé de l'autonomie d'intégrer tous ces éléments. S'il est saisi de ce projet de loi, le Parlement devra tenir compte de son caractère interministériel et entendre les ministères du logement et de la cohésion des territoires.

Mme Catherine Deroche. - Avez-vous travaillé sur la formation des personnels des Ehpad à la bienveillance et à la prise en compte des résidents comme des personnes à part entière ?

M. Luc Broussy. - Cela dépasse le cadre de ce rapport mais j'ai évidemment réfléchi à ce sujet.

Ce qui a révolutionné le monde des maisons de retraite depuis 20 ans, c'est une loi et surtout un arrêté. La loi de janvier 1997 instituant l'APA a en même temps prévu la réforme de la tarification. Cette réforme prévoit que chaque maison de retraite doit signer une convention pluriannuelle tripartite. Le cahier des charges de cette convention tripartite est fixé par un arrêté du 26 avril 1999 qui a durablement modifié la qualité de l'accueil en Ehpad. Or, ce document n'a plus jamais été actualisé, alors qu'il aurait fallu le réévaluer au moins tous les 10 ans.

L'Ehpad du futur devrait reposer sur un cahier des charges « nouvelle génération ». Si l'on veut que l'Ehpad soit un substitut du domicile, il faut qu'il ressemble à un logement. La bonne taille, selon les architectes, se situe entre 26 m2 et 30 m2 : à partir de ces surfaces, le lit n'est plus central, ce qui laisse plus d'espace. C'est sans doute moins pratique pour le personnel. Les contraintes de l'institution et du personnel ont tendance à l'emporter sur ce dont les résidents ont vraiment besoin.

Les maisons de retraite ne sont sans doute pas idéales mais n'étaient pas « mieux avant ». La formation des personnels n'a plus rien à voir avec ce qu'elle était il y a vingt ans. Il y a toujours des cas de maltraitance mais les progrès en termes de relations avec les résidents sont indéniables. Maintenant, il est temps de refaire un saut qualitatif.

Il y aura toujours des centaines de milliers de personnes hébergées en Ehpad. Il reste à rendre l'Ehpad beaucoup plus désirable qu'aujourd'hui.

Mme Catherine Deroche. - Nous vous remercions pour cet éclairage important en vue de l'examen des textes à venir sur le sujet.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 50.