Mercredi 21 juillet 2021

- Présidence de M. Étienne Blanc, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Audition de Mme Gillian Bird, ambassadrice d'Australie en France

M. Étienne Blanc, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Son Excellence Mme Gillian Bird, ambassadrice d'Australie en France. Madame l'Ambassadrice merci d'avoir répondu à notre invitation.

Si vous êtes parmi nous aujourd'hui, c'est que votre pays est en pointe dans la prise de conscience de l'incidence sur le secteur universitaire des influences étatiques étrangères. Ainsi, le Gouvernement australien a identifié « des risques sans précédent » d'interférences étrangères sur un large panel de secteurs, dont l'université et la recherche. Le Parlement australien a créé en 2019 une commission conjointe du renseignement et de la sécurité et celle-ci a lancé une enquête dont les conclusions seraient prévues pour juillet 2021. Ces travaux nous montrent la voie.

Ce qui est particulièrement intéressant est que les universités australiennes se sont également emparées du sujet. Elles ont apporté leur contribution aux travaux parlementaires en constituant un groupe de travail dédié, « University foreign interference task force », et en publiant un rapport sur des bonnes pratiques et des lignes directrices.

L'objet de cette audition est donc l'occasion pour vous de présenter la position de l'Australie sur les constats et les réponses apportées par les pouvoirs publics : gouvernement, agences, Parlement, universités.

Nous partageons vos préoccupations car l'objet de notre mission d'information est précisément de sensibiliser le monde universitaire, par définition libre et ouvert sur le monde, aux menaces extérieures ou, en tout cas, aux tentatives de détournement de nos valeurs de liberté et d'intégrité scientifique.

M. André Gattolin, rapporteur. - Mes chers collègues, Madame l'Ambassadrice, c'est un plaisir de vous recevoir et je tiens tout d'abord à signaler la qualité du partenariat stratégique entre nos deux pays. Dans une autre audition, vous nous disiez que les relations et liens franco-australiens n'avaient jamais connu une telle richesse et une telle intensité.

Comme l'a rappelé notre Président, votre pays est certainement le pays le plus avancé dans l'identification des menaces d'interférence pesant sur les universités australiennes. Le fait que le gouvernement, le Parlement et le monde universitaire se coordonnent me semble être un modèle vertueux à prendre en exemple.

À cet égard, je suis entré en contact avec le sénateur James Paterson qui préside la commission australienne du renseignement et de la sécurité. Nous avons pour projet, avec le président, et avec votre aide, de réaliser une visioconférence avec nos collègues parlementaires australiens début septembre pour connaître les conclusions de leur rapport.

Pour en revenir à votre intervention, madame l'Ambassadrice, voici les sujets que nous aimerions aborder et qui vous ont été transmis pour préparer l'audition.

Tout d'abord, quelles sont les raisons et quels sont les constats qui ont conduit le gouvernement australien à considérer que les interférences étrangères présentent des risques pour les secteurs de l'université et de la recherche ?

Deuxième point, quels sont, outre la Chine, les États étrangers qui se montrent les plus actifs en termes d'influence et d'interférence dans le système universitaire australien ? J'ai cru comprendre que nombre d'instances de contrôle n'étaient pas exclusivement dirigées à l'endroit de la Chine mais aussi vers d'autres pays.

Comment les pouvoirs publics australiens s'organisent-ils et se coordonnent-ils pour identifier les menaces et pour se protéger ?

Quelles réformes, lois ou mesures, mises en oeuvre ou en préparation en Australie, pourraient servir d'exemple pour la France, en guise de conseil amical qui pourrait nous inspirer ?

Enfin, j'aimerais ajouter un dernier point qui m'intéresse : existe-t-il des coopérations internationales par lesquelles l'Australie et la France pourraient mieux affronter ces nouvelles menaces ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice d'Australie en France. - Je suis ravie de discuter et échanger avec vous sur ces sujets importants pour nos deux pays. Je vais commencer par quelques remarques introductives avant de passer aux questions.

Pour nous, la lutte contre l'ingérence étrangère est un sujet pressant. Il s'agit de questions importantes et pertinentes pour l'Australie ainsi que pour de nombreux pays, y compris la France. Je commencerai par évoquer l'environnement d'ingérence étrangère en général, puis l'approche adoptée par mon pays, avant de parler plus en détail de la lutte contre l'ingérence étrangère dans les secteurs de l'éducation et de la recherche.

Je commence donc par évoquer l'environnement d'ingérence étrangère en Australie. En mars 2021, le directeur général de la sécurité de l'Australie a déclaré que « au cours des trois dernières années, l'organisation a observé des tentatives d'espionnage et d'ingérence étrangère à tous les niveaux de la scène politique australienne, dans chaque État et territoire ». Le gouvernement australien prend donc très au sérieux la menace d'ingérence étrangère. Nous reconnaissons que cette ingérence représente un défi national qui nécessite une approche de même échelle. En Australie, le coordinateur national de la lutte contre l'ingérence étrangère coordonne donc les efforts transnationaux de lutte contre l'ingérence étrangère au sein du gouvernement, de la société et avec nos partenaires internationaux. Le coordinateur national est soutenu par le centre de coordination de la lutte contre l'ingérence étrangère au sein du ministère de l'Intérieur.

L'Australie adopte une approche agnostique, et ne se concentre pas sur un pays ou un auteur en particulier. Nous nous efforçons plutôt de renforcer la résilience des secteurs de la société australienne les plus exposés à l'ingérence étrangère.

Cela m'amène à la lutte contre l'ingérence étrangère dans les secteurs de l'éducation et de la recherche. Nous évaluons que les objectifs des acteurs étrangers cherchant à s'engager dans ce secteur sont les suivants : tout d'abord, le vol et le développement d'une série de technologies nouvelles ou améliorées ; deuxièmement, la réduction des temps et coûts nécessaires à la reproduction d'une technologie souhaitée ; troisièmement, l'obtention d'un avantage commercial sur les marchés concurrentiels ; quatrièmement, la censure ou l'encouragement à l'autocensure sur des sujets sensibles dans le but de contrôler les discours internationaux ; enfin, l'identification, l'influence et le recrutement d'individus pour de futures activités d'ingérence et d'espionnage.

En août 2019, le ministre australien de l'éducation a annoncé la création d'un groupe de travail universitaire sur l'ingérence étrangère. Il l'a chargé d'élaborer des lignes directrices fondées sur des principes afin d'aider les universités à atténuer le risque d'ingérence étrangère. Au sein de ce groupe, le Gouvernement et le secteur universitaire sont représentés de manière égale, ce qui a facilité une approche collaborative réussie entre les agences gouvernementales et ce secteur.

Les principes directeurs de ce groupe sont les suivants : la sécurité doit préserver la liberté universitaire, les valeurs et la collaboration en matière de recherche ; les activités de recherche, de collaboration et d'éducation doivent tenir compte de l'intérêt national : la sécurité est une responsabilité aussi bien collective qu'individuelle ; la sécurité doit être proportionnelle au risque organisationnel ; la sécurité de notre communauté universitaire est primordiale.

Les lignes directrices de lutte contre l'ingérence étrangère ont été publiées en novembre 2019. Elles se concentrent sur cinq domaines clés : les cadres de gouvernance et de risque, la diligence raisonnable, la communication et l'éducation, le partage des connaissances et la cybersécurité. Depuis le lancement de ces lignes directrices, les universités et le Gouvernement ont pris des mesures pour les mettre en oeuvre. La nature collaborative de l'élaboration et de la mise en oeuvre des lignes directrices a été accueillie positivement par les secteurs universitaires. J'insiste sur ce point. L'université a adopté une approche pro-active en s'engageant auprès des organismes gouvernementaux pour atténuer les risques. En raison de la nature évolutive de la menace d'ingérence étrangère, nous travaillons actuellement à l'actualisation des lignes directrices avec les universités. Leur mise à jour portera sur des expériences et des leçons tirées de leur mise en oeuvre au cours des deux dernières années et examinera des questions émergentes en matière de renforcement de la résilience dans l'ensemble du secteur. Ces lignes directrices révisées devraient être rendues publiques dans le courant de l'année.

Comme en France, cette question intéresse notre Parlement. Le comité parlementaire conjoint sur le renseignement et la sécurité mène actuellement une enquête sur les risques de sécurité nationale touchant le secteur australien de l'enseignement national. Ce rapport est prévu pour le 31 juillet, d'ici dix jours. La mise à jour des lignes directrices tiendra compte de ses recommandations, et je vous le transmettrai dès qu'il sera publié. Je me réjouis de l'échange que vous avez prévu avec le comité parlementaire.

M. André Gattolin, rapporteur. - Je souhaite entrer dans l'histoire du processus australien. On parle d'ingérence étrangère mais il y a un rapport intense et particulier, commercial et culturel, entre l'Australie et la République populaire de Chine. En 2015, le pays a passé un accord de libre-échange et d'investissement. On a l'impression qu'à partir de 2017-2019, le gouvernement et les autorités ont adopté des législations. Pouvez-vous nous rappeler de ce processus ? La France et l'Europe ne vivent pas la même relation avec la Chine que vous, eu égard à la proximité et au degré d'échange qui existent.

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Comme je l'ai dit, l'approche australienne est agnostique : elle ne cible aucun pays en particulier. L'accent est mis plutôt sur les aspects de la société australienne les plus menacés par l'ingérence étrangère et sur l'intérêt national le plus touché par ces activités. Je préfère ne pointer aucun pays du doigt.

Vous dites que cela fait plusieurs années que le Gouvernement australien s'inquiète à propos de l'ingérence étrangère dans ce secteur. Ces préoccupations ont été mises en évidence par une série de reportages dans les médias, en 2019. Ils semblaient montrer des cas de transfert de connaissances non désiré des universités australiennes vers des pays étrangers. Cela fait partie de notre approche. Les universités sont un secteur sensible et ciblé : on a donc créé ce groupe de travail universitaire sur l'ingérence étrangère. J'insiste sur l'égale représentation du gouvernement et des universités dans ce groupe. Les universités n'ont pas intérêt à subir cette ingérence étrangère : elles travaillent donc étroitement avec le gouvernement.

Vous avez mentionné les lois que nous avons adoptées pour contrer l'ingérence internationale. L'une d'elles, d'un intérêt tout particulier, concerne les accords conclus entre les États, les territoires, les gouvernements locaux, les universités et les gouvernements étrangers. Cette loi, adoptée en 2020, prévoit que chaque université, chaque institution, chaque État, chaque gouvernement d'un État ou d'un territoire doit notifier tout accord avec un pays étranger ou une université étrangère. Le gouvernement examine ces accords pour évaluer s'ils sont conformes à l'intérêt national. C'est un grand travail à faire puisque nous avons reçu près de 9 000 notifications, dont plus de 7 000 du secteur universitaire.

M. André Gattolin, rapporteur. - Il existe donc une forme de coordination nationale. Vous vous intéressez aux accords fédéraux mais aussi aux accords régionaux, provinciaux ou d'établissement. Y a-t-il un ministère qui est plus précisément chargé de cela : l'Enseignement supérieur, l'Intérieur, les Affaires étrangères ? Comment fonctionnent cette coordination et cette centralisation d'information pour avoir un jugement équitable et normé des situations ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - En Australie, il existe plusieurs niveaux gouvernementaux : le niveau fédéral, les États, les territoires, et les autorités locales. Il a fallu mettre en place un système de coordination à tous ces niveaux afin d'obtenir une cohérence d'approche. Pour cela, le gouvernement a créé en 2018 ce poste de coordinateur national de la lutte contre l'ingérence étrangère, qui relève du ministère de l'Intérieur, de même que le centre de coordination qui soutient l'action du coordinateur national. Je me suis entretenue hier avec le coordinateur national par intérim pour préparer cette audition.

J'ai mentionné le système de notification des accords. L'équipe que nous avons créée pour examiner s'ils sont conformes à la politique étrangère du pays et à nos intérêts nationaux se trouve au sein du ministère des Affaires étrangères.

La coordination relève du ministère de l'Intérieur, mais de nombreux ministères et organisations jouent aussi un rôle, comme le directeur général de la sécurité australienne que j'ai mentionné.

M. André Gattolin, rapporteur. - Concernant les ingérences - je crois que vous utilisez plutôt le terme d'interférence - on peut en imaginer de plusieurs niveaux : le financement de bourses de recherche, d'établissements in situ. La question des étudiants étrangers est compliquée : c'est une ressource financière et budgétaire pour les universités, ainsi qu'une ouverture à l'international. On pense aussi aux associations d'élèves ou d'étudiants étrangers, voire les relations avec certaines ambassades qui visent à contrôler ces étudiants ou à orienter des demandes d'informations, aux stages dans certaines entreprises stratégiques.

Pouvez-vous nous dresser un panorama des instruments d'interférence ou d'ingérence utilisés ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Je souligne tout d'abord la différence entre l'influence et l'ingérence étrangère. L'influence étrangère, c'est ce que je fais en France en tant que diplomate ! Mais c'est fait de manière ouverte et transparente. En revanche, l'ingérence étrangère recouvre des procédures coercitives, et qui vont à l'encontre de la souveraineté d'un pays et de ses intérêts nationaux.

Il existe une série de pratiques d'ingérence étrangère, y compris les pressions économiques. C'est un moyen d'exercer de l'influence sur l'université. On peut solliciter ou recruter des chercheurs post-doctoraux, ou des personnels de l'université. Il existe aussi des cyberintrusions. J'ai mentionné les cas de 2019 sur lesquels portaient une série de reportages dans les médias : on a découvert des cyberattaques contre les universités, et l'on a dû exfiltrer des renseignements et des informations en urgence.

M. André Gattolin, rapporteur. - Quelle était la nature de ces informations ? Concernaient-elles des recherches stratégiques, les étudiants ou la politique publique de relations internationales menées par les universités ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Il s'agissait plutôt d'informations sur les universitaires eux-mêmes.

M. André Gattolin, rapporteur. - J'ai appris, en regardant les travaux du Parlement et en échangeant avec la sénatrice Kimberley Kitching, que certains représentants de minorités étrangères n'osaient pas s'exprimer, témoigner, par peur de rétorsion, sur leurs familles, par leur pays d'origine. Cela fait-il partie des pressions qui existent ? Là aussi, des organisations et populations extra-australiennes pèsent-elles sur des étudiants, les populations, les enseignants ou les gens d'origine du pays concerné ? Est-ce d'un niveau élevé ou acceptable dans une démocratie comme la vôtre ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - L'un des effets préoccupants de l'ingérence étrangère est la censure ou l'autocensure de certaines populations ciblées. Cela fait partie du travail international : il faut engager un travail avec les communautés plus sensibles.

Encore une fois, nous nous concentrons sur la résilience de notre système : nous souhaitons que tous les acteurs en Australie (les gouvernements, les universités, la société civile) soient en mesure de résister à l'ingérence étrangère. C'est pour cela que je n'ai pas voulu pointer du doigt un pays.

M. André Gattolin, rapporteur. - Pour être précis, puisque ce sont des choses qui n'existent pas en France, je souhaite vous interroger sur l'obligation de transparence concernant les conflits d'intérêt, le financement de travaux universitaires, voire de certaines recherches ou de publication dans des revues prestigieuses, qu'elles relèvent des sciences exactes ou des sciences humaines. L'Australie prévoit-elle des règles de transparence spécifiques ? Depuis quand ont-elles été renforcées ? Pensez-vous que c'est une bonne pratique qui mériterait d'être généralisée dans le monde académique international ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Je pourrais me tromper : je vérifierai pour être sûre et vous adresserai une réponse écrite sur le financement des universités. Je connais en revanche bien la loi visant à assurer la transparence sur les dons aux partis politiques venant de l'étranger. En ce qui concerne la transparence dans le secteur universitaire, j'ai mentionné les accords signés entre les universités ou centres de recherche et les autres pays. Les universités doivent notifier ces accords, qui sont désormais intégrés dans un registre, publié sur un site de façon à assurer la transparence et l'ouverture.

M. André Gattolin, rapporteur. - L'Australie est un pays soucieux de protéger ses frontières, notamment au niveau écologique - je me souviens des contrôles auxquels j'ai eu affaire lorsque je suis venu, pour vérifier si je n'apportais pas d'espèces invasives nuisibles à votre écosystème si particulier. J'imagine qu'en matière d'immigration, et notamment de visas accordés à des étudiants étrangers ou chercheurs, des procédures en amont existent. En France, nos consulats dans les pays d'origine donnent un avis. Parfois les services d'intelligence nous font part de leurs suspicions. Une fois arrivés sur place, dans chaque université française, il semble qu'il y ait un référent auprès de qui on pourrait signaler des anomalies. Quelle est la chaîne de contrôle que vous avez mise en place face à l'intrusion de personnes qui peuvent se faire passer pour étudiants sous une identité falsifiée ? Est-ce que cela se passe dès en amont dans les consulats de vos pays d'origine ? Comment procédez-vous aux contrôles en amont et en cours d'études, tout en respectant la liberté de circulation et les échanges académiques ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Il existe un système en amont, surtout dans les secteurs sensibles, comme le nucléaire, et surtout pour les niveaux d'études les plus élevés (post-doctoraux, etc.), pour vérifier que les étudiants le sont bel et bien et qu'ils ne sont pas en réalité des personnes présentes pour des raisons plus néfastes. Nous faisons cela depuis plusieurs années en Australie.

M. André Gattolin, rapporteur. - Vous avez parlé d'une approche agnostique. En France, nous avons des débats sur les influences religieuses, politiques, extrémistes - qui ne concernent d'ailleurs pas l'objet de notre travail. Des critères d'ordre « culturalo-politique », d'influence - comme l'islam radical - font-ils partie des objets de surveillance, ou bien restez-vous sur une logique d'influence d'État dirigée par des pays non démocratiques ou illibéraux ? Où s'arrête la frontière de la question des influences ? Touche-t-elle des questions philosophiques reliées à des mouvements radicaux mais pas nécessairement à un État en particulier ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - C'est plutôt au niveau étatique. On contrôle les accords entre les universités et soit un pays, soit une université étrangère sans autonomie institutionnelle. Sont visées les activités et ingérences qui nourrissent un autre intérêt national - ce qui est une définition large. Nous débutons le travail sur les accords dont j'ai mentionné les 7 000 notifications dans le secteur universitaire.

On pense que la majorité des accords ne poseront pas de problème. Nous n'avons annulé jusqu'ici que quatre accords, concernant surtout les États. Deux touchaient les nouvelles routes de la soie, et les deux autres la Syrie et l'Iran. On est au début de ce travail, dont les lignes directrices visent tout ce qui est contre la politique étrangère du pays ou nuit à nos intérêt nationaux.

M. Pierre Ouzoulias. - Merci, madame l'Ambassadrice, pour votre intervention explicite. Nous sommes deux pays alliés de très longue date. Vous me permettrez mes questions très franches, mais bienveillantes.

J'ai lu que la fermeture des frontières australiennes, à la suite de l'épidémie de Covid, avait fait perdre, par le manque d'étudiants étrangers en Australie, environ 40 milliards de dollars australiens par an à l'économie australienne. Donc l'accueil des étudiants étrangers est un des moteurs essentiels de l'économie australienne. Il existe une forme de dépendance par rapport à la venue de ces étudiants. Du point de vue de leur accueil, l'Australie est un modèle pour la France. Pourriez-vous nous donner des conseils sur la façon dont nous pourrions organiser une montée en puissance de l'arrivée des étudiants étrangers ?

D'autre part, sur le contingent des étudiants étrangers, les étudiants chinois constituent 20 % de ceux qui voyagent dans les universités dans le monde. N'y a-t-il pas un risque d'une forme de chantage de la Chine vis-à-vis de l'Australie, qui imposerait des conditions d'accueil, sans lesquelles elle fermerait totalement la possibilité, pour les étudiants chinois, de venir étudier en Australie, ce qui priverait les universités australiennes de ressources économiques importantes. Je comprends bien les mesures que vous mettez en place. Avez-vous, par ailleurs, sans vraiment le dire, une politique de quota par nation, incitant les universités à limiter l'accueil à un pourcentage déterminé d'étrangers de tel ou tel pays ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Les étudiants étrangers sont importants pour nous et notre secteur universitaire, du point de vue des échanges, et du point de vue économique. Autant que je sache, il n'existe pas de quota. Les universités accueillent des étudiants d'un peu partout, et on aimerait bien avoir de nombreux étudiants, y compris de France et d'Europe.

En ce qui concerne la menace, nous avons montré récemment que, s'il existe un chantage, l'Australie ne s'y pliera pas. Nous souhaitons avoir des bonnes relations avec la Chine, qui est un partenaire important pour nous au niveau commercial, et incontournable de façon générale dans la région et le monde. Il y a des problèmes actuellement, dont tout le monde est conscient, mais si nous avions de réelles inquiétudes, nous n'aurions pas adopté les mesures que nous avons prises.

Il est donc important que ce groupe de travail universitaire sur les ingérences étrangères travaille étroitement avec le Gouvernement. Ce n'est pas dans l'intérêt de l'université de subir les ingérences étrangères ! J'ai échangé hier avec le coordinateur national par intérim, qui m'a répété que la coopération est très étroite et collaborative.

M. Jean-Michel Houllegatte. - Je voudrais souligner l'excellence des relations qui unissent nos pays, et notamment le partenariat stratégique. Je souhaite également rappeler le succès du sommet France-Océanie du 19 juillet dernier, qui a dû beaucoup vous mobiliser et a entraîné une déclaration commune sur les enjeux climatiques et sanitaires.

J'ai une question dans la prolongation de celle de M. Ouzoulias. Nous sommes dans des économies interdépendantes : les mesures que l'on peut prendre s'inscrivent dans du bilatéralisme, ce qui peut nous mettre en situation de faiblesse, car ce n'est jamais agréable de dire à un pays avec qui on entretient des relations économiques qu'on a des choses à lui reprocher. Pensez-vous qu'il faut élargir le cadre et prendre des initiatives multilatérales dans ce domaine, d'autant plus que le problème de l'ingérence n'est pas le seul problème ? L'actualité, avec le logiciel Pegasus, montre qu'au-delà de l'ingérence active il peut y avoir de l'ingérence passive, mais aussi de la malveillance. L'Australie serait-elle prête à s'impliquer dans des initiatives multilatérales ?

J'en viens à ma seconde question. Le Covid a entraîné une fermeture des frontières. N'y a-t-il pas une opportunité, avec leur réouverture, notamment aux étudiants, pour redéfinir un nouveau cadre d'accueil post-Covid, avec un paquet global non seulement sanitaire, mais aussi avec un contrôle plus pointu d'éventuelles sources d'ingérence ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Félicitations pour le sommet France-Océanie, qui a eu lieu il y a quelques jours, et auquel le Premier ministre australien a été ravi de participer. Je crois que le Président va se déplacer prochainement en Polynésie française : c'est formidable car nous aimons avoir votre Président dans cette région du monde. Sa visite en mai 2018 a été la première visite bilatérale officielle d'un Président français en Australie (le Président Hollande était venu mais dans un autre cadre). Nous étions ravis, et aimerions avoir plus de visites !

En ce qui concerne l'approche multilatérale, je pense que c'est une bonne question. Figure aussi, parmi les responsabilités du coordinateur national, celle d'échanger avec ses homologues à l'étranger. Nous échangeons beaucoup avec les pays de notre région, mais aussi avec les pays comme la France, qui partagent les mêmes valeurs et ont les mêmes approches que nous. Nous tissons des liens, et je suis ravie que cela se passe aussi au niveau parlementaire. C'est important.

Nous sommes ouverts à ce type d'échanges, pour voir ce qu'on peut faire ensemble. Je ne sais pas s'il y a une proposition précise sur la table, mais si on oeuvre ensemble sur un problème de cette nature, nous serons plus forts. Cela fait partie d'une coordination nationale, mais il faut aussi avoir des liens avec d'autres pays.

M. Olivier Cadic. - Je voudrais vous interroger sur l'approche de l'Australie vis-à-vis des télécoms - notamment Huawei - et de ce que cela peut impliquer pour nos travaux.

L'Australie a banni Huawei pour la 5G, et a dit que c'était un acteur à haut risque. C'est une démarche que nous avons trouvé très courageuse. Depuis ces annonces, y a-t-il eu une forme de rétorsion de la part de la Chine ? Qu'a-t-elle fait ? Vous avez un recul de près de 18 mois : qu'est-ce que cela vous a coûté vis-à-vis de la Chine d'avoir pris cette décision ?

Nous parlions de l'intérêt d'universitaires qui pourraient venir en Australie. Mais vivant au Royaume-Uni, j'ai remarqué que les entreprises chinoises venaient y chercher les jeunes universitaires pour leur proposer des salaires parfois supérieurs. Recruter est une façon de rendre la Chine plus attrayante. Effectuez-vous un contrôle pour alerter les universitaires australiens amenés à aller en Chine pour un à deux ans, avant de revenir ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Tout d'abord, le Gouvernement australien a pris la décision de bannir Huawei sur la 5G pour protéger nos intérêts nationaux. Nous avons été clairs sur les raisons de cette décision. Nous avons été parmi les premiers à le faire : nous n'avons pas emboîté le pas à qui que ce soit.

En ce qui concerne les conséquences, des mesures de rétorsion économique ont été adoptées par la Chine. Mais je crois surtout que la Chine n'a pas apprécié que l'Australie soit l'un des premiers pays à demander une enquête internationale sur les origines du Covid. Ces mesures de rétorsion ne nous ont pas conduits à changer d'approche, et nous n'avons pas l'intention de le faire.

En ce qui concerne ce qui pourrait se passer avec les visites et les échanges de chercheurs ou d'étudiants, cela fait partie du travail du coordinateur national et du groupe de travail universitaire. Des campagnes de sensibilisation existent.

Les lignes directrices, et notre action dans le domaine, existent depuis deux ans. Nous les mettons à jour. Au cours de cette année, des lignes directrices actualisées seront publiées, après la parution du rapport parlementaire et des recommandations qu'il contient, prévue d'ici dix jours.

Mme Béatrice Gosselin. - À Canberra, en juin 2018, cette série de lois assez précises constituaient sans doute une bonne approche pour éviter de subir trop d'ingérences. J'entends bien la différence entre influence et ingérence, mais pour certains pays - et cela arrive de toutes parts et dans tous les domaines - il faut être très vigilant. Ma question rejoint celle de M. Houllegatte. Peut-être que les pays qui rencontrent les mêmes problèmes pourraient trouver des lignes de conduite communes pour détecter les endroits où il est suspecté qu'il y a danger et ingérence - tout en gardant leur souveraineté. Peut-être que nos pays respectifs pourraient travailler en ce sens.

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Vous avez raison car nous faisons face aux mêmes problèmes. Il vaut mieux partager les leçons tirées de nos expériences. Vous avez évoqué que nous avons un cadre législatif solide. Il faut partager les lois que nous avons mises en place et qui fonctionnent. C'est récent, mais nous avons adopté plusieurs lois importantes. Il faut échanger et oeuvrer ensemble, je suis d'accord.

M. Étienne Blanc, président. - Pouvez-vous nous dire quel a été, dans l'économie, l'opinion publique, le monde politique australiens, le facteur déclencheur de cette prise de conscience ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Je ne suis pas sûre qu'il y ait eu un seul facteur déclencheur, je crois qu'il s'agit plutôt d'une accumulation d'événements et de faits. Ce qu'a dit très clairement le directeur général de la sécurité australienne de l'époque portait sur des faits d'ingérence à tous les niveaux et dans tous ces secteurs. Cela nous a galvanisés, et dans la foulée nous avons adopté ces lois et formé des groupes de travail.

M. André Gattolin, rapporteur. - La question du financement étranger de certains partis politiques, qui a mis en cause le coeur de la démocratie, n'aurait-elle pas été le révélateur amenant, non seulement les universitaires et l'État mais aussi les politiques et chercheurs, à se préoccuper d'autres formes d'ingérences ?

Nous avons un enseignement supérieur complexe, avec des universités souvent publiques, des écoles et grandes écoles parfois publiques mais surtout privées, ainsi qu'une floraison d'écoles de commerce privées. Certains pays sont particulièrement intéressés, outre la recherche fondamentale et technologique, par les écoles de commerce. Ce spectre d'acteurs, sans compter les entreprises privées qui oeuvrent également dans le domaine de la recherche, présente-t-il des difficultés particulières en Australie pour être pris dans sa globalité ? Vous avez parlé d'universités privées. De notre côté, nous pouvons parler aux présidents d'université, c'est plus difficile pour les présidents d'école de commerce et des grandes écoles. Quant à la recherche opérée par des entreprises françaises, qui bénéficient souvent de subventions ou de crédits d'impôt, on a beaucoup de mal à leur interdire ou les obliger d'agir dans tel ou tel sens. Comment cela se passe-t-il en Australie ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Qu'un sénateur australien ait eu des problèmes avec les dons venant des pays étrangers fait partie des événements-clés ayant conduit à la loi de 2018 sur la réforme du financement électoral.

En ce qui concerne le champ d'application de notre action, elle se concentre sur les universités et centres de recherche publics. En Australie, il y a très peu d'institutions privées dans ce domaine.

M. André Gattolin, rapporteur. - Ma question portait plutôt sur la différenciation entre nos deux sociétés. Vous avez plutôt une tradition de l'enseignement supérieur public, alors que nous avons une dualité, qui fait que le domaine de l'enseignement privé est par nature plus compliqué : il dépend moins d'aides publiques, il est plus difficile d'avoir des exigences car cela serait perçu, en l'occurrence, comme une « ingérence » de l'État.

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Oui, en Australie, ce secteur est public.

M. André Gattolin, rapporteur. - En France ou en Europe, quand on parle d'ingérence extérieure, on pense à la Chine, la Russie ou à la Turquie. Vous avez évoqué l'Iran et la Syrie. On le sent moins en France, mais ce n'est peut-être pas la même chose dans les pays du Commonwealth, comme au Royaume-Uni. Du côté de l'Iran, qui n'est pas un pays avec lequel on a une grande coopération, on a remarqué peu d'incidents. La situation géostratégique de l'Australie, son appartenance au monde anglophone et au Commonwealth joue probablement beaucoup.

Ma question parallèle résulte de ce que des chercheurs français nous ont dit lors de nos auditions. Avant l'arrivée d'une communauté importante d'étudiants chinois, les universités françaises accueillaient de nombreux étudiants de la communauté chinoise de Taïwan. Cela donnait une forme de pluralisme, pour l'apprentissage de la langue, de la civilisation. Même si des étudiants taïwanais viennent encore en France, ils sont un peu submergés par les Chinois continentaux. Accueillez-vous beaucoup d'étudiants de Taïwan, ce qui pourrait expliquer des relations délicates avec Pékin, ou ne s'orientent-ils pas du tout vers l'Australie ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Je suis presque sûre que des étudiants viennent de Taïwan, mais je n'ai pas en tête les chiffres et les pourcentages. Je pourrai vous les fournir.

M. André Gattolin, rapporteur. - Pouvez-vous nous en dire plus sur l'Iran ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Je n'ai pas les détails, mais je crois que beaucoup d'accords de longue date existent, qu'il a fallu notifier, comme les autres. Quatre accords ont été refusés, dont deux concernaient l'Iran et la Syrie.

M. André Gattolin, rapporteur. - Nous serions très intéressés en effet par un panorama des étudiants étrangers en Australie.

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Oui, nous pourrons vous fournir les détails. Il y avait de nombreux étudiants chinois, mais il y en a moins avec la pandémie. Nous accueillons des étudiants d'un peu partout. J'ignore pourquoi, mais de nombreux étudiants d'Amérique latine viennent également chez nous. Je me dois aussi de mentionner l'Inde, dont viennent beaucoup d'étudiants. Enfin, les étudiants d'Europe, des États-Unis, du Canada sont aussi les bienvenus. Les chiffres que je vous donnerai ne concerneront toutefois que la période d'avant le Covid.

M. André Gattolin, rapporteur. - Avez-vous une stratégie « post-Covid » ? Vous dites-vous, et pas seulement à cause des ingérences, qu'il faut faire évoluer votre système universitaire, devenu extrêmement dépendant financièrement de la présence d'étudiants étrangers ? On n'est malheureusement pas à l'abri d'une pandémie qui bouleverse ce fonctionnement. Menez-vous une réflexion sur l'avenir de l'université australienne au regard de cette pandémie, ou considère-t-on que c'est un accident ?

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Pour le moment, et des échanges entre le secteur universitaire et le gouvernement vont dans ce sens, l'accent est plutôt mis sur la façon de faire revenir les étudiants en Australie, même si la situation sanitaire reste précaire. Des discussions portent sur les bulles, les systèmes envisagés pour que les étudiants soient logés pour respecter la quarantaine, etc. Nous sommes toujours dans la crise, et nous nous demandons comment la gérer. Nous essayons de faire en sorte que les étudiants étrangers reviennent car c'est pour le moment très difficile.

M. Jean-Michel Houllegatte. - La commission parlementaire va rendre son rapport très prochainement. Qui la préside ? C'était le député Andrew Hastie, mais il a été promu assistant du ministre de la défense. Nous pouvons faire jouer le groupe d'amitié interparlementaire.

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - C'est actuellement le sénateur James Paterson. Le rapport est prévu pour le 31 juillet.

M. André Gattolin, rapporteur. - Sur le principe, il m'a donné son accord pour organiser une visioconférence en septembre, pour avoir le temps d'étudier le rapport et en retenir, le cas échéant, les bonnes idées.

M. Étienne Blanc, président. - Merci, madame l'Ambassadrice, pour cet échange nourri qui va nous permettre de faire avancer notre rapport.

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Merci pour votre intérêt, j'attends avec impatience votre rapport.

M. André Gattolin, rapporteur. - Je voulais souligner qu'on fête les 30 ans du protocole de Madrid, ajouté au traité sur l'Antarctique. Michel Rocard, avec qui j'ai beaucoup travaillé sur l'Arctique, rappelait combien l'Australie - avec son Premier ministre - et la France s'étaient battues pour faire de l'Antarctique une terre de paix et de science. J'espère que nous nous situerons dans le prolongement de cet esprit pour construire une paix, une coopération et une science ouvertes.

Mme Gillian Bird, ambassadrice. - Notre action était importante pour protéger l'environnement en Antarctique. Encore un exemple de la coopération bilatérale, qui ne cesse de s'accroître !

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 h 35.