Mercredi 29 septembre 2021

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de représentantes du Medef, dans la perspective de l'examen au Sénat de la proposition de loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle

Mme Annick Billon, présidente. - Mesdames, mes chers collègues, la délégation aux droits des femmes auditionne aujourd'hui des représentantes du Medef dans la perspective de l'examen au Sénat, les 27 et 28 octobre prochains, de la proposition de loi de notre collègue députée Marie-Pierre Rixain visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle. Elle a été adoptée en première lecture à l'Assemblée nationale le 12 mai dernier.

Nous avons ainsi le plaisir d'accueillir ce soir Armelle Carminati-Rabasse, présidente du Comité entreprise inclusive du Medef ; Pia Voisine, directrice adjointe à la Direction emploi et relations sociales du Medef ; Charlotte Parez, responsable égalité femmes-hommes et Fadoua Qachri, chargée de mission à la Direction des affaires publiques.

La place des femmes dans l'entreprise et, plus largement, l'égalité économique et professionnelle sont des thématiques auxquelles nous sommes particulièrement sensibles au sein de la délégation, vous vous en doutez. Nous avons d'ailleurs publié en juillet dernier un rapport dressant le bilan d'application des dix ans de la loi Copé-Zimmermann, intitulé Parité en entreprise : pour de nouvelles avancées, dix ans après la loi Copé-Zimmermann, dont les trois co-rapporteures étaient nos collègues Martine Filleul, Joëlle Garriaud-Maylam et Dominique Vérien. Un rapport transpartisan, comme c'est souvent le cas des sujets que nous portons au sein de cette délégation.

La conclusion de ce rapport était la suivante : si le bilan de la loi est à la hauteur des objectifs assignés, en matière de parité au sein des conseils d'administration et de surveillance, l'effet de ruissellement espéré sur la place des femmes dans l'ensemble des instances de direction des entreprises se fait toujours attendre. Nous avions donc formulé des recommandations pour avancer davantage dans la voie de la parité en entreprise, notamment au sein des instances de direction et des postes à responsabilité.

Vous comprendrez que nous partageons largement les objectifs de la proposition de loi de notre collègue députée Marie-Pierre Rixain, par ailleurs présidente de la délégation aux droits des femmes de l'Assemblée Nationale.

Pour autant, il s'agit maintenant d'examiner le contenu exact de cette proposition de loi et ses implications pour les entreprises notamment.

C'est dans ce contexte que nous vous entendons ce soir. Si certaines dispositions peuvent apparaître comme de nouvelles contraintes pour les entreprises, je tiens à rappeler à titre liminaire les propos de Laurence Parisot, ancienne présidente du Medef entre 2005 et 2013, devant notre délégation le 21 janvier 2021 lors de notre table ronde sur le bilan des dix ans d'application de la loi Copé-Zimmermann : « je pense que l'étape naturelle prochaine est évidemment l'introduction des quotas dans les comités exécutifs et comités de direction. Il est évident que, d'une part, les quotas ont un effet bénéfique et que, d'autre part, on ne peut avancer sur les grands sujets qu'à partir du moment où on peut les mesurer. »

Dans cet esprit, nous souhaitons en premier lieu connaître votre position sur l'article 7 de la proposition de loi, qui vise à assurer une répartition équilibrée de chaque sexe parmi les cadres dirigeants et les membres des instances dirigeantes. Dans les entreprises d'au moins 1 000 salariés, l'employeur devra publier chaque année les écarts éventuels de représentation entre les femmes et les hommes parmi ses cadres. En outre, la proposition de loi fixe un objectif de parité de 30 % d'ici à cinq ans et de 40 % d'ici à huit ans après la publication de la loi. Un sujet peut également se poser, peut-être, sur le seuil des 1 000 salariés, mais également sur la définition du cadre dirigeant, qui pourrait être élargie pour intégrer d'autres représentations.

Chaque entreprise ne se conformant pas à ses obligations dans les délais prévus par la loi disposera ensuite de deux ans pour le faire. À expiration de ce délai, l'employeur pourra se voir appliquer une pénalité financière.

Nous souhaitons aussi connaître votre avis sur l'article 3 bis de la proposition de loi, qui facilite l'accès au télétravail pour les femmes enceintes dans les douze semaines précédant le congé de maternité. Pour ma part, je suis assez sceptique quant à l'avancée que constituerait cette proposition. Les périodes de télétravail que nous avons connues n'ont pas montré de gain de liberté et d'égalité professionnelle pour les femmes.

Que pensez-vous également de l'article 8 de la proposition de loi qui introduit des mécanismes paritaires pour guider les actions en fonds propres de la Banque publique d'investissement (BpiFrance), à la fois dans la composition des comités d'investissement et parmi les bénéficiaires des actions en faveur de l'entrepreneuriat ? Cet article prévoit aussi que l'octroi de financements en prêts ou en fonds propres est conditionné au respect de l'obligation de publication annuelle de l'index de l'égalité professionnelle, pour toutes les entreprises de plus de cinquante salariés.

De façon plus générale, comment l'index de l'égalité professionnelle est-il perçu parmi vos adhérents ? Avez-vous le sentiment que les employeurs s'en sont réellement saisis et en tirent les conséquences nécessaires ? J'ai le sentiment qu'il y a une volonté assez partagée de ne pas le modifier, en raison du manque de recul sur cet outil assez récent. Vous me le confirmerez ou me l'infirmerez peut-être.

Enfin pour aller plus loin, nous aimerions vous entendre sur les actions menées par votre organisation en termes de lutte contre les inégalités salariales - aujourd'hui encore, 8 à 10 % d'inégalités de salaire à poste égal entre les femmes et les hommes - et en termes de meilleure conciliation entre vie professionnelle et vie personnelle. De ce point de vue, pourriez-vous dresser pour nous un premier bilan de l'allongement du congé paternité applicable depuis le 1er juillet 2021 ? Les entreprises d'une part, les pères d'autre part, se sont-ils emparés de ce nouveau droit qui va dans le sens d'une plus grande égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ? Devons-nous aller encore plus loin ? Cette proposition de loi nous en donne peut-être l'occasion.

Je ne doute pas que mes collègues présents, en visioconférence ou en présentiel, auront des questions supplémentaires à vous adresser, mais je vous laisse sans plus tarder la parole.

Mme Armelle Carminati-Rabasse, présidente du Comité entreprise inclusive du Medef. - Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les Sénatrices et Sénateurs, merci de nous recevoir.

Je ne peux que cautionner vos premières observations, notamment celles inscrites en préambule de votre rapport que j'ai lu attentivement. Avant de commencer à vous répondre très directement, je vous dois peut-être un éclairage sur ce qui me permet de partager avec vous les positions du Medef, qui m'a donné mandat, et les observations de réalité car je suis moi-même une femme d'entreprise, engagée depuis longtemps sur la question des droits des femmes. En 2004, j'ai créé l'un des rares réseaux de femmes cadres. Lorsque je l'ai laissé, en quittant l'entreprise en 2013, il était riche de 2 000 membres. J'ai cofondé le Laboratoire de l'égalité en 2009. J'ai été personnalité qualifiée du Conseil supérieur de l'égalité professionnelle entre les femmes et les hommes (CSEP) pendant toute la durée de son existence, et de l'Observatoire de la laïcité. Je me bats sur plusieurs fronts pour améliorer l'égalité des chances dans ce pays.

Ce profil m'a valu un mandat au sein du Medef très tôt, ce qui peut éventuellement vous éclairer sur la façon dont l'organisation souhaite aborder ces sujets. Dès 2005, j'ai été invitée dans une commission. En 2009, sous la présidence de Laurence Parisot, j'ai créé « Richesse et diversité », sur le spectre de l'égalité des chances au sens large. Sous la présidence de Pierre Gattaz, en 2015, le sujet a été reconduit. Un focus particulier m'a été demandé sur l'égalité femmes-hommes et sur l'innovation managériale. Ce n'est qu'en modernisant l'entreprise qu'on y crée le climat pour que chacun, femme comme homme, puisse s'y épanouir. Sous la présidence de Geoffroy Roux de Bézieux, mon mandat a été reconduit au nom de l'entreprise inclusive. C'est vous dire à quel point ce sujet est important, bien qu'il soit complexe.

Après plus de dix ans de travail, je persiste à trouver nécessaire d'amplifier la voix de ces chefs d'entreprise progressistes, humanistes et nombreux, même s'ils ne sont pas les plus visibles à la télévision - il y a également des chefs d'entreprise frileux, et ils sont plus télégéniques - et à faire comprendre l'incroyable complexité du monde de l'entreprise, son immense diversité. Les entreprises ne se ressemblent pas, et heureusement.

Je m'adresse plutôt en général aux autorités publiques et à leurs élus. Je sais, Madame la présidente, que vous avez débuté votre carrière en entreprise, et que vous ne dénigrez pas ce terrain. Vous n'êtes certainement pas la seule sénatrice à ne pas ignorer l'entreprise. Malgré tout, il y a parfois une vision simplificatrice et une grande tentation à rendre les choses simples avec des mesures universelles qui s'appliqueraient à tous au même instant. Mon enjeu, mon travail et la valeur ajoutée que je souhaite apporter, c'est d'être à la fois l'écho et le témoin de ces très nombreux chefs d'entreprise qui agissent sans qu'on ait à leur placer le fusil sur la tempe, et de faire comprendre aux autorités publiques à quel point être simpliste ne rend service à personne. Un chef d'entreprise frileux et un élu simplificateur ont d'ailleurs l'ignorance pour point commun. Nul n'est coupable d'ignorance, mais il est tout de même nécessaire de travailler sur ces sujets. L'ignorance crée de l'impéritie, de la peur, de l'aveuglement. Voilà en quoi je suis tout à fait honorée de porter le mandat du Medef.

J'ai, avec les équipes et dès le mois de juillet, lu attentivement votre rapport. Il est intéressant dans ses constats sur la façon dont la loi Copé-Zimmermann s'est appliquée. J'ai d'ailleurs, dès 2009, travaillé pour Brigitte Grésy, à l'époque inspectrice générale de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS), lorsqu'elle préparait son rapport de quarante mesures à poser sur le bureau du ministre du travail. Parmi ces mesures figuraient celles qui allaient donner naissance à la proposition de loi de Marie-Jo Zimmermann, soutenue par Jean-François Copé. J'ai travaillé à l'époque sur le premier baromètre de confiance des femmes cadres, un corpus que l'on n'entendait pas. En général, lorsqu'on se penche sur la question des trajectoires des femmes, on se préoccupe peu de celle des plus nanties. Elles sont cadres, dirigeantes pour certaines. De quoi peuvent-elles se plaindre ? En réalité, dès 2009, et même si ce n'était pas mon avis à l'époque, je soutenais l'idée de quotas dans les conseils d'administration et de surveillance des entreprises. Ce sont des entités non quotidiennes, non exécutives et sur lesquelles la variété des profils et la faible durée des mandats permettent un brassage facile et présentent un grand intérêt à aller chercher un philosophe, une avocate ou d'autres personnes ne connaissant pas le monde de l'entreprise. Les comités exécutifs et de direction, nous allons y venir, sont un peu différents.

Je vais répondre à vos recommandations et vos questions en gardant cet éclairage en tête. Nous ne pouvons rien faire progresser en demandant simplement poliment. Il faut aussi forcer un peu, quand ça ne vient pas tout seul. Il faut le faire intelligemment. Lorsque la base n'est pas dans une très grande demande, le premier couac peut décourager même les premiers motivés. Le sujet des quotas est un exercice très complexe. On nous brandit partout la méritocratie, en France mais aussi dans tous les pays où j'ai été amenée à exercer. Elle supposerait que le talent soit à ce point observable de façon neutre qu'il ne faille même pas nous méfier de nos propres stéréotypes. Les quotas, aussi désagréables soient-ils - et nous les avons vus fonctionner sous Copé-Zimmermann -, correspondent au fond à une méritocratie transparente. Elle est aussi exigeante que la méritocratie tout court. Elle demande une finesse, du discernement, de la bienveillance, des temps d'observation et de ressaisissement parce que dans ces sujets, il faut plutôt donner envie d'avancer, de façon à ce que les efforts de parité soient faits avec qualité, et non à la va-vite, lorsqu'ils commencent à s'observer. Nous l'avons d'ailleurs constaté dans les premières applications de la loi, les premières nominations d'administratrices étaient très similaires, ou correspondaient à des profils plutôt suiveurs, capables d'être d'accord avec le reste du conseil d'administration historique qui avait déjà posé ses marques. Très rapidement, dès les deuxièmes, troisièmes ou quatrièmes années de nomination, nous avons vu émerger des profils pertinents et extrêmement compétents, parce que les présidents de conseils n'avaient plus peur du manque de compétences supposées de ces spécimens qu'ils n'avaient pas l'habitude de coopter comme membres des conseils d'administration. Nous voyons à quel point les premiers pas de mise en application des quotas donnent souvent lieu à réticences. Ce n'est qu'avec le temps que nous pouvons nous rendre compte que ce n'est que de la valeur ajoutée qui arrive, pour peu que nous nous prenions le temps de trouver les bons profils.

Dans le cadre de la proposition de loi Rixain, un grand nombre d'articles ne font pas l'objet de questions. De notre côté aussi, nous soutenons les dispositions relatives à l'obligation de versement du salaire sur un compte bancaire au nom du salarié, l'accès à la formation, l'accès à des crèches pour le trop grand nombre de familles monoparentales portées par des femmes notamment. Je suis également sensible au volet sur les écoles d'ingénieurs, étant moi-même ingénieure et mère de trois filles. Trente ans après moi, j'ai été désespérée de voir que le pourcentage de filles dans les promotions d'ingénieurs était à peine meilleur qu'à mon époque. Il a dû passer de 7 à 14 % dans l'intervalle. Ensuite, nous ne voyons pas forcément ces filles persister dans les métiers techniques. Ça a d'ailleurs été mon cas.

Sur les articles qui vous intéressent, et avant même de discuter de l'article 7, j'avais envie de revenir sur l'article 6 bis. Il est intéressant, car il est récent et porte sur l'obligation faite à l'acteur public d'émettre un rapport relatif aux écarts de rémunération constatés entre postes genrés observés comme étant de même niveau de façon universelle sur le territoire national, destiné aux branches professionnelles. Il est pour moi le symptôme d'une idée conceptuellement séduisante, mais qui pragmatiquement n'a pas de sens. Cette idée qui consisterait à pouvoir peser des postes dans des métiers, des branches, des filières totalement différents, à leur donner un poids et donc une valeur de rémunération, fait fi de la situation économique du marché. Il peut paraître contre-intuitif de dire qu'on soumettrait des valeurs de poste à la situation de marché. Pour autant, regardez la façon dont la branche hôtellerie-restauration, par exemple, est en train de se ressaisir face au manque d'attractivité sur ces postes. Post-Covid, ce sont des centaines de milliers de salariés qui ne sont pas revenus dans le métier, qui n'est pas attractif et qui est très contraignant en matière d'emploi du temps personnel et familial, tout en étant rémunéré de façon modeste par rapport à d'autres branches. Nous voyons à quel point, dès lors qu'un métier est peu attractif et rémunère faiblement, la branche se ressaisit. Elle discute en ce moment avec le Gouvernement de la façon de redonner de l'intérêt à ses métiers, en réaménageant l'organisation mais aussi en retravaillant sur la question des rémunérations et notamment des pourboires, qui ont pratiquement disparu du paysage français.

Nous voyons à quel point la loi de marché est intéressante. Lorsqu'on atteint un point où un métier n'est plus attractif, les branches ont tout intérêt à travailler et à reproposer une offre plus valorisée. Ce sont elles qui consolident le secteur et la façon dont il attire beaucoup de vocations, fait de la profitabilité et va redistribuer de la valeur. L'idée d'une nomenclature universelle qui ferait qu'un poste A et un poste B, dans un point de vente et à l'usine, devraient être payés de la même manière, fait abstraction des dynamiques de marché. Elle nous confisquerait d'ailleurs le point de vue compétent des branches. Nous le voyons également dans la façon dont les grands groupes s'organisent.

Je ne veux pas faire de point spécifique sur une entreprise ou une autre. Pour autant, lorsqu'Orange ouvre Orange Bank, vous pensez bien qu'ils vont appliquer la convention collective de la banque à toute l'entreprise qu'ils sont en train de créer, plutôt que celle des télécommunications. Elle fait sens et est pertinente. C'est un réflexe immédiat lors de la création de l'entité. Toutes les frontières de notre monde sont en train de bouger. Vous pouvez téléphoner avec les messageries WhatsApp ou Telegram. Vous vous faites livrer par vos taxis ou VTC. Tous les métiers sont en train d'évoluer. Les branches qui observent les filières métiers sont celles qui sont au plus près du terrain pour observer la valeur ajoutée des postes, le poids qu'on peut leur donner et la façon dont on peut répartir le profit. C'est à mes yeux une question de bon sens. Pourtant, j'ai exercé le métier de consultante pendant très longtemps. Les consultants ont envie d'organiser et de trouver une loi universelle. Pendant vingt-cinq ans de carrière dans cette profession, je me suis méfiée de la tentation d'arriver à une nomenclature universelle applicable sur des points de détail. La richesse d'un tissu économique résulte de la grande liberté et de la grande diversité du paysage, et pas de l'uniformisation. D'ailleurs, le Gouvernement lui-même, une fois passé le pic de crise, fait du cas par cas pour accompagner les entreprises. Les aides sont débranchées progressivement et au cas par cas. Des plans de relance sont élaborés au cas par cas. Dès que nous sortons de l'hystérie d'une pandémie ou d'une crise, nous redevenons raisonnables, et le Gouvernement, en chef de file, reprend sa gestion branche par branche ou filière par filière.

Votre première question portait sur l'article 7. Il se penche sur la question des instances dirigeantes et sur la façon dont on peut enfin voir progresser plus vite le rééquilibrage - je n'aime pas le mot « féminisation » - des instances dirigeantes, comités exécutifs ou de direction. Sur ce sujet, nous identifions un enjeu de stimulus, la situation n'évoluant pas assez vite - nous comptions l'année dernière onze directrices générales au SBF 120, contre zéro au début de Copé-Zimmermann. Elle évolue, mais trop lentement. Sur ce terrain, nous devons vous faire part de plusieurs observations. La première concerne le périmètre des profils que nous allons considérer comme étant sous surveillance et sur lesquels nous voulons voir progresser le rééquilibrage entre les femmes et les hommes. Il est vrai que la proposition de loi a évolué au fil du temps, et s'est stabilisée sur une définition désignant aujourd'hui deux viviers, et demandant que le rééquilibrage s'opère dans chacun des deux viviers. C'est en tout cas notre compréhension d'un texte alambiqué. L'intention, si je l'ai bien comprise, est louable. Elle vise à s'assurer que toute la caravane se mette en marche en dirigeant le projecteur sur l'instance dirigeante pour s'assurer que les viviers sont en train d'être constitués. Une entreprise qui doit remplir des objectifs en matière d'instance dirigeante va s'occuper de ses viviers. C'est sur la définition même des viviers que nous avons une objection. Aujourd'hui, la proposition de loi vise à la fois les instances dirigeantes, qui font d'ailleurs l'objet d'une nouvelle définition, et les cadres dirigeants. Cela paraît simple lorsque nous nous arrêtons sur le vocabulaire français. Si nous nous appuyons sur le dictionnaire Larousse, nous avons l'impression que sont ici évoqués les cadres dirigeants nommés dans l'instance, au Comex, et ceux qui n'y seraient pas encore, dans l'antichambre. Dans la réalité des entreprises, ce n'est pas du tout cela. Les cadres dirigeants correspondent à une distinction visible sur nos fiches de paie. Cette dénomination est utilisée par le management des entreprises pour désigner les postes occupés par des personnes, parfois débutantes, qui ont une autonomie de gestion, un emploi du temps hautement variable et un peu aléatoire, et qui ont une assez grande indépendance dans leur organisation. Typiquement, des entreprises sur le marché n'ont pas besoin d'utiliser cette distinction de cadres dirigeants de façon abondante, et elles s'en servent avec parcimonie pour commencer à donner des signaux favorables et positifs. D'autres entreprises vont au contraire selon leur métier ou leur champ géographique désigner comme cadre dirigeante la gérante d'une parfumerie à la tête de trois salariés. Dans ce secteur du retail ou de la grande distribution, que je ne veux pas stigmatiser, beaucoup d'établissements ou de lieux d'opération ont besoin d'un chef d'équipe avec une poignée de gens, très loin du siège, capables de réagir en temps réel face à la clientèle, des flux et des fournisseurs. Ainsi, bon nombre d'entreprises utilisent cette classification pour désigner « cadre dirigeant » quelqu'un qui est finalement le chef opérationnel d'une petite entité, sans aucune autorité sur son personnel pour savoir qui nommer, qui faire évoluer, qui promouvoir.

J'ai moi-même vécu cette situation. Vous pouvez vous dire qu'un patron de centre commercial à la tête d'une telle surface et d'un effectif conséquent est « musclé ». Pas du tout. Tout est sous-traité. Le patron du centre commercial a dix équipiers au maximum. Puisqu'il y a des horaires d'ouverture, des ouvertures le dimanche, des aléas ou des escalators en panne, ce sont des jeunes diplômés de 27, 28 ans qui occupent ces postes. Autant vous dire qu'il ne s'agit pas du vivier. Je leur souhaite un jour de devenir membres d'une instance dirigeante, mais ils en sont bien loin. Je souhaite aux patrons de boutiques, quel que soit le réseau, d'être un jour dans l'ascenseur social, à la manière McDonald, et de potentiellement faire partie de l'instance dirigeante du Groupe un jour, ou au moins de la France. C'est très aléatoire. Ce n'est pas du tout le vivier qu'il faut travailler pour essayer d'avoir plus de femmes là où il y en aurait trop peu, ou plus d'hommes d'ailleurs.

Cette définition du vivier part d'une intention louable, mais elle se heurte à la réalité de la géographie des entreprises. Par ailleurs, les cadres dirigeants, et même les cadres tout court, correspondent à une classification purement française, et même à une distinction purement française pour les premiers. Dans un Groupe, si on vise plus de 1 000 salariés et même s'ils ne sont pas tous internationaux, on souhaite une balance commerciale de plus en plus favorable, et des opérations à l'étranger. Ce réservoir de cadres dirigeants qui, vous l'aurez compris, ne représente pas nécessairement l'avenir de l'instance dirigeante, n'est généralement pas français pour toutes les entreprises qui travaillent leur capital humain, qui veulent faire grandir la relève. Le grand enjeu des Groupes français d'une certaine taille consiste à ne pas rester franco-français. Si vous travaillez dans le pétrole, vous voulez des ressortissants très au fait du terrain au Nigéria et en Malaisie. C'est cela, votre combat. Être strictement français, c'est rater un peu cette idée du vrai capital humain que les entreprises travaillent. Nous voyons tous les grands Groupes avancer sur des plans de mixité femmes-hommes depuis de nombreuses années. Il y a donc une question de vivier et une question de périmètre strictement français.

Certains de nos adhérents nous remontent également un manque de clarté ou une ambiguïté. Certaines entités vont dépasser les 1 000 salariés et seraient soumises au texte tel qu'il est aujourd'hui. Elles sont une entité d'un Groupe. Dans les très grands groupes, le département informatique a souvent été filialisé. Nous le savons tous, nous sommes ici sur les carrières du digital, du numérique. Les candidatures de femmes y arrivent à trop petite vitesse. Ces entreprises se demandent si, lorsqu'elles sont à trois ou cinq ans - parfois moins - d'obtenir la parité au niveau du Comex du Groupe, elles sont exposées à la menace d'une part et des sanctions d'autre part, puisque certaines de leurs entités importantes vont demander bien plus de temps pour la mettre en oeuvre. Parlons-nous d'une moyenne sur le Groupe, ou observons-nous chaque entité en elle-même ? Nous voyons à quel point cette définition est complexe. Pour ne pas exposer les entreprises à plus d'ambiguïté que nécessaire ou à une incompréhension qui les ferait abandonner, nous recommandons de s'en tenir aux instances dirigeantes. Elles sont compliquées à définir. La proposition de loi a donné une seconde définition. Ce n'est déjà pas simple. Si l'on y ajoute cet univers du cadre dirigeant qui n'a pas la même signification d'une entreprise à l'autre, des entreprises vont trouver totalement injuste d'être confrontées à des feux clignotants ou rouges alors qu'elles approchent de leur objectif en termes de parité au Comex. Voilà pour le vivier.

Notre deuxième objection porte sur le délai universel, qui est complexe pour les entreprises. Il nous semblerait utile, et même encourageant pour tous, de ne pas laisser tomber la guillotine à huit ans, mais plutôt à dix, afin de leur laisser le temps de monter dans leurs viviers. Enfin, nous demandons que la sanction soit raisonnable, qu'elle soit appliquée sur la base des salariés concernés et pas des salariés de tout le Groupe ou de toute l'entreprise. Sinon, l'injustice serait totale entre les différents secteurs. Certains sont peu gourmands en taille d'équipe, et sont de vrais ascenseurs pour les équilibres femmes-hommes. Je pense notamment aux secteurs de l'investissement, de la finance. J'étais moi-même membre du directoire d'une entreprise bien placée au CAC 40, qui comptait 2 000 salariés. À l'inverse, certaines ont une part très significative d'emplois non cadres, ouvriers ou non qualifiés. Vous voudriez appliquer la sanction sur 100 % de la masse salariale ? C'est insensé. Ce serait vécu comme une inégalité par les chefs d'entreprise, qui ont au fond une démographie représentative de leur secteur. Ils seraient exposés à un effet de ciseaux complètement aléatoire selon le secteur économique dans lequel ils opèrent.

Ce pourcentage qui est déjà très lourd devrait donc être appliqué à la masse salariale de l'équipe dirigeante dont on parle, et pas à celle de l'intégralité de l'entreprise. Les textes ne sont pas toujours très simples à lire, mais c'est ce que nous comprenons. La masse salariale de référence est complètement décorrélée de l'enjeu de ces très gros postes. Bien entendu, nous parlons d'une instance dirigeante et de très gros salaires. Les sanctions sont donc conséquentes, mais elles doivent être proportionnelles au problème.

Vous nous interrogiez ensuite sur l'article 3 bis, sur le télétravail pour les femmes en situation de future maternité. Je vous rejoins. La crise de la Covid-19 et le télétravail forcé, subi, ont mis en exergue une vraie inégalité de répartition des tâches domestiques, même sans parler d'enfants, dans les couples hétérosexuels. Effectivement, le télétravail n'est pas toujours un cadeau. C'est aussi une forme d'invisibilisation. Nous ne disposons pas de statistiques nationales, mais nous en avons quelques-unes aux États-Unis au sujet de la façon dont les femmes ont été les oubliées des promotions ou des augmentations. Elles n'ont pas été les héroïnes visibles dont on se souvient. Elles n'ont pas marqué l'esprit de leur patron comme étant présentes. Font figure d'exceptions celles de la première ligne. Celles qui ont été en télétravail ont en revanche été invisibles. Elles sont déjà peu visibles dans la vie classique, mais cette situation s'est empirée avec le télétravail.

Dans ce cadre, nous ne demandons absolument pas un télétravail obligatoire. La situation doit dépendre des métiers. Nous le voyons aujourd'hui, les entreprises qui prévoient des aménagements sont très nombreuses. Elles doivent le faire au cas par cas. Même dans le même métier, une salariée vivant à l'autre bout de la ville ou à quarante kilomètres du bureau devra faire l'objet d'un regard différencié en termes de télétravail ou de place de parking. Ce cas par cas doit, à mon avis, échapper à tout texte législatif pour conserver tout bon sens.

Votre troisième question concerne l'article 8 et les financements, et notamment ceux issus de BpiFrance. Nous affichons un soutien total. Même Sista, ce groupement de femmes dans le monde des start-ups, s'est émue, campagne d'affichage sur les flancs des autobus à l'appui, du fait que seuls 5 % des financements étaient accordés à des start-ups dirigées par des femmes. C'est vrai aussi aux États-Unis, et partout. Linda Gates elle-même, avec sa fortune personnelle, appuie les sociétés d'investissement qui investissent auprès des femmes. 2 % des financements là-bas sont dédiés aux fondatrices et 8 % des associés des sociétés d'investissement sont des femmes. Le sujet coince donc dans le monde entier. Notre seule alerte serait ici de se préoccuper d'un seuil, bien qu'il puisse être compliqué de le fixer. Exiger un niveau de mixité, tant dans les entreprises demandeuses que dans les jurys capables d'accorder les investissements, peut être disproportionné selon les tailles.

Votre quatrième question porte sur l'index et sa perception. Je rappelle que dès 2018, le Medef a été extrêmement actif dans les réunions de concertation, au point d'être force de propositions. Charlotte Parez m'a d'ailleurs accompagnée sur ce sujet à l'époque. Les présidences du Medef ont toujours constitué un appui fort sur ce sujet. Le mandat de concertation a, à l'époque, été obtenu par Pierre Gattaz. Il m'a été confirmé par le président Roux de Bézieux en 2018. C'est vous dire qu'il y a une continuité d'intérêts. Toute la subtilité de ce travail de concertation visait à faire atterrir un index le plus réaliste possible, qui ne provoque pas des effets de bord statistiques saugrenus, et donc disqualifiants et ridiculisants selon les tailles d'entreprises et d'équipes. Je pense que ce travail collectif a abouti à un résultat raisonnable, bien que je vous rejoigne sur le fait qu'il n'est peut-être pas parfait. Ce n'est toutefois pas le moment de le démonter, puisque les entreprises de plus de cinquante salariés ne sont concernées que depuis mars 2020. Ils n'ont produit que deux mesures.

Nous observons tout de même que l'index a constitué un vrai thermomètre de l'évaluation des politiques engagées depuis longtemps dans les 1 500 entreprises soumises à cette obligation depuis mars 2019. Certains ont été un peu déconfits. Certains sont tombés de haut en réalisant que la rémunération des femmes de retour de congé maternité n'était pas au rendez-vous, alors même qu'elle figurait dans les textes depuis vingt-six ans. Ils se sont ressaisis depuis. Même les grands Groupes, déjà en avance et proches des notes parfaites, ont été aidés par l'index.

Charlotte Parez a passé l'année et demie suivant la mise en place de l'Index à faire le tour des Medef territoriaux, domestiques et d'outre-mer, pour travailler sur la thématique avec les représentants d'entreprises locaux. C'est finalement avec les PME, qui découvraient la plupart du temps le sujet, que l'index est devenu un outil éclairant, après un premier accueil assez frais et un certain déni de la part des entreprises. D'un sujet que beaucoup considéraient comme acquis d'avance dans le pays de l'égalité, il est devenu ce qui a permis de mettre un coup de projecteur sur cinq thèmes extrêmement précis. Là où des dysfonctionnements ont été mis en évidence, les acteurs savent désormais où travailler. Au lieu d'être dans le plaidoyer pour assurer que tout se passe bien chez eux, ils ont mis en exergue deux, trois, quatre sujets de travail pour améliorer leur index l'année suivante. Lorsque ce n'est pas simple, ils demandent des conseils à leur Medef territorial ou au Medef national.

Les outils et tableurs précalibrés proposés par le ministère ont été très utiles. Comme le prélèvement à la source, les calculs ne sont pour l'essentiel par très compliqués, à l'exception de l'indicateur numéro 1, qui donne lieu à un travail de dentellière ne présentant pas forcément un grand intérêt. Mais nous devons laisser les entreprises utiliser ce qui leur permet d'éclairer le sujet avant de leur dire que nous modifions le baromètre. Pour les TPE en revanche, lorsque nous sommes descendus jusqu'au seuil de cinquante salariés, nous voyons que les statistiques ne sont plus réalistes. Elles ne s'appliquent pas à de petites équipes. Un grand nombre de TPE sont contentes de calculer l'index, mais n'obtiennent que des mentions « non applicables » sur trois critères. Il est tout de même intéressant de constater leur progression sur les deux critères qu'ils sont en capacité de calculer, mais nous voyons bien que les effets de seuil n'ont rapidement plus de sens sur ces petites entreprises.

Votre cinquième question portait sur le congé parental. Il a été mis en place au 1er juillet. Nous n'avons donc aucun recul. Nous ne savons pas comment cela s'est passé. Nous avons vu ensemble comment la réforme de 2015 n'a pas été l'occasion pour les pères français de solliciter un congé paternité, puisqu'ils étaient à peine 1 % à en profiter. C'était décevant. Quelles que soient les cultures nationales, voir même ancestrales, lorsqu'il y a un mouvement sociétal, il est impressionnant lorsqu'il s'enclenche. Intéressez-vous au Portugal. Il affiche les mêmes taux d'adoption du congé paternité que les pays nordiques. 40 % des pères du pays se sont saisis de cette opportunité. C'est la culture méditerranéenne. Au-delà même du congé paternité, l'Allemagne, de son côté, a du mal à voir les mères de famille travailler sans faire grincer des dents le voisinage. Le regard social sur les mères qui travaillent est très défavorable. C'est la Rabenmutter, la maman corbeau qui fait élever ses petits dans le nid d'un autre et vaque à son plaisir. 25 % des pères allemands prennent leur congé depuis 2010, bien qu'il ne soit pas très long. Nous voyons une progression. Nous avons bon espoir.

Pour l'instant, je n'ai pas beaucoup plus d'observations, à l'exception d'une seule, qui vient de Sylviane Giampino, du Haut Conseil de la famille, de l'enfance et de l'âge (HCFEA), ayant écrit des livres intéressants sur la question des pères au travail. Elle observe que la peur du regard professionnel sur celui qui prend du champ pendant un congé de paternité ou parental un peu long, la peur du déclassement social, du ridicule, de la disqualification dans la compétition interne, est presque moindre par rapport à la peur à titre personnel. Pourquoi, dit-elle ? Dans notre pays, un ménage sur trois divorce, et même un ménage sur deux dans les grandes villes. 75 % de ces divorces sont déclenchés par les femmes. Au fond, nous sommes encore dans un pays dans lequel le capital social que vous détenez au travail est presque plus stable que celui que vous détenez dans la famille, avec sa fragilité d'aujourd'hui. C'est une observation de psychologue. J'espère que nous arriverons à la faire mentir.

Mme Annick Billon, présidente. - Merci pour cet exposé extrêmement clair.

Des sénatrices présentes ou en visioconférence souhaitent-elles faire des commentaires quant à cette intervention ? J'avais fait part de quelques remarques au début de cette présentation. Sur les instances et cadres dirigeants, je vais m'intéresser au sujet d'un peu plus près.

Mme Armelle Carminati-Rabasse. - La question concerne plutôt la mention « ou ». Je sens que je n'ai pas été claire. D'une entreprise à l'autre, ce sera pertinent ou non. Dans ce texte, c'est aujourd'hui le « et » qui est gênant. Nous demandons de laisser l'entreprise choisir lequel des deux viviers fait sens. J'ai donné l'exemple de ceux qui nommeront cadres dirigeants des responsables de points de vente alors qu'il y en a 1 200 sur le territoire. À l'inverse, certains grands Groupes auront une usine assez importante, comprenant plus de 1 000 salariés, avec un seul dirigeant.

Mme Annick Billon, présidente. - Il est vrai que cet exemple est parlant. Vous avez fait référence à ma vie professionnelle. J'ai été cadre dirigeante en sortant de mes études, puisque je gérais un secteur géographique de douze départements. Nous étions très peu de femmes à l'époque, c'était il y a très longtemps, dans une autre vie.

Mme Armelle Carminati-Rabasse. - Cette dénomination désigne des gens de valeur, mais qui ne sont pas sur cette trajectoire qui mènera dans quatre, cinq ou huit ans à un comité exécutif. Nous demandons de laisser l'entreprise choisir.

Mme Annick Billon, présidente. - Vous seriez donc prêts à intégrer dans la loi « l'instance dirigeante ou les cadres dirigeants ».

Mme Armelle Carminati-Rabasse. - Exactement. L'entreprise pourra choisir le périmètre « instance » ou « cadres dirigeants » afin de communiquer ses chiffres.

Mme Martine Filleul. - Merci pour votre réaction très directe et franche à cette proposition de loi. C'était très intéressant et très riche mais j'ai eu le sentiment que vous étiez très frileuse par rapport à presque toutes les propositions importantes, et que vous trouviez qu'elles devaient être modulées ou revues. Seule la question des financements des entreprises dont les femmes pourraient être à l'initiative paraît faire exception. Celle-là vous semble très positive et intéressante.

Au nom de votre organisation, quelles propositions seriez-vous en mesure de faire ? J'ai eu l'impression que les propositions de Marie-Pierre Rixain ne suscitaient pas vraiment d'enthousiasme de votre part. Quelles sont donc vos propositions ? Nous pourrions peut-être nous en inspirer, ou nous-mêmes déposer une proposition de loi qui conviendrait davantage et serait directement applicable.

Lors de la dernière réunion de cette délégation, nous avons auditionné le directeur du Bureau pour la France de l'Organisation internationale du travail (OIT), Cyril Cosme, sur la convention n° 190 relative à l'élimination de la violence et du harcèlement au travail. J'ai découvert que lors de la négociation à Genève en 2019, si le Medef avait voté la convention, il avait été une des rares organisations patronales au plan mondial à s'abstenir sur la recommandation n° 206 qui l'accompagne, au sujet des violences domestiques. Cette recommandation concerne les entreprises qui pourraient prendre des dispositions particulières pour les salariés victimes de violences. Les victimes pourraient trouver dans l'entreprise des accommodements, un accueil, un accompagnement pour les aider ou leur permettre d'y rester salariés, et pour trouver des moyens de résoudre leurs difficultés. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi le Medef a réagi de cette manière ?

Mme Annick Billon, présidente. - Merci beaucoup, chère collègue. Je souhaite dire que la proposition de loi de Marie-Pierre Rixain constitue une chance extraordinaire. Cela fait très longtemps que nous n'avons pas travaillé le sujet, la loi Copé-Zimmermann datant de dix ans, à une époque où l'égalité hommes-femmes n'était pas sur le devant de la scène comme elle l'est aujourd'hui. Comme je le disais à Laurence Garnier, rapporteure au Sénat sur ce texte au nom de la commission des affaires sociales, c'est une réelle chance d'examiner ce texte. Nous devons nous en emparer et faire des propositions. Marie-Pierre Rixain a réussi à le faire adopter à l'Assemblée nationale avec un certain nombre de mesures. Nous sommes là pour améliorer le texte, chère Martine. Nous pouvons apporter des ajustements, qui ne signifient pas que nous ne partageons pas l'ambition générale du texte.

Mme Martine Filleul. - Ce texte est très intéressant et progressiste. Il va dans le sens de l'égalité entre les hommes et les femmes. Je soutiens totalement cette proposition de loi. J'ai plutôt senti de la part du Medef une certaine frilosité. Je me demandais quelles évolutions imaginaient ses membres, et quels amendements nous pourrions, de notre côté, proposer pour l'améliorer.

Mme Armelle Carminati-Rabasse. - Merci pour votre question. Je sais que vous avez été co-rapporteure de ce rapport. Nous avions peu de temps pour vous répondre. J'ai voulu donner beaucoup d'illustrations. J'aimerais que vous reteniez que je me suis concentrée, à la française, sur ce qu'il faut redresser. Je n'ai absolument pas pris de temps pour évoquer tout ce que nous soutenons. Nous sommes en soutien avec un principe de réalité, comme nous l'avons fait lors des concertations sur l'Index de l'égalité professionnelle, de façon à ne pas nous tromper d'outil. C'est pour cela que nous évoquons quelques aménagements, tels que la mention « ou » et non « et » à l'article 7 concernant les deux viviers, ou la temporalité un peu plus longue, ce qui n'empêche personne de se mettre en ordre de marche. La loi Copé-Zimmermann avait laissé aux entreprises jusqu'en 2017 pour mettre en place les mesures de parité dans leurs instances de gouvernance ». Les sanctions n'ont jamais été appliquées.

J'ai donc émis des réserves de façon à ce que nous puissions vous recommander et vous demander des aménagements du texte là où il peut trouver un champ d'application plus réaliste, au vu de la granularité des entreprises.

Concernant votre question sur l'OIT et les violences, le sujet date d'au moins un an et demi, il me semble. À titre général, avant même cette discussion et dès juin 2019, le Medef a lancé une grande campagne qui a duré plus d'un an. Le 13 juin, une journée s'est tenue dans les locaux parisiens autour des questions des violences sexuelles et du délit de sexisme, sur tout le spectre allant du harcèlement jusqu'au pire. Nous avons organisé des ateliers et agi avec pédagogie, puis nous en avons tiré des enseignements pour faire le tour des Medef territoriaux. Nous avons mis à l'ordre du jour d'une demi-journée, voire d'une journée complète, le sujet des rémunérations et de l'égalité salariale, mais aussi celui des violences. Sur le terrain, nous sommes véritablement dans l'accompagnement. Nous avons d'ailleurs gagné un appel à projets du ministère de l'égalité femmes-hommes de l'époque. Le Grenelle de lutte contre les violences conjugales avait également dressé un inventaire de mesures possibles, qui ne sont pas toutes à la main ou à la taille des entreprises. De très grands groupes avec des carrières historiques stables, et des salariés qui feront leur carrière entière dans des entreprises avec une quantité de métiers et d'établissements importante, la prise en charge d'une mobilité pour protéger la victime et des accompagnements matériels sont possibles. La plupart des entreprises ne disposent toutefois ni de ces moyens, ni de cette géographie.

Notre travail, avant même d'être dans l'obligation, vise à faire comprendre que la réalité des violences est quasiment quotidienne sur le terrain des entreprises, y compris pour les personnels exposés aux violences domestiques. Nous sommes convaincus d'avoir déjà fait un grand pas en ayant sensibilisé les chefs d'entreprise de nos territoires sur le fait que ces deux terrains les concernent, non pas en termes de responsabilité, mais en termes de devoir de précaution et de bienveillance dans l'accompagnement.

Mme Charlotte Parez, responsable égalité femmes-hommes du Medef. - Il est vrai que nous avions également produit à l'époque un guide sur l'accompagnement des femmes victimes de violences. Nous avons été signataires de différentes chartes, dont la charte européenne pour les femmes victimes de violences. Le Medef s'est réellement engagé.

Mme Victoire Jasmin. - Merci Mesdames pour les réponses que vous avez déjà apportées aux questions de la délégation, de la présidente et de ma collègue. Je viens moi-même du milieu hospitalier. J'étais cadre de santé. Il est vrai que les parcours sont différents. Je comprends tout à fait ce que vous dites.

Concernant le télétravail, je suis aussi assez d'accord. Sa mise en place au cas par cas, lorsque c'est nécessaire, serait bien plus pertinente.

J'ai rencontré un panel de femmes exerçant des activités différentes à l'occasion d'un colloque organisé par la délégation aux droits des femmes et la délégation sénatoriale aux outre-mer. Parmi ces femmes, des cheffes d'entreprises faisaient part de difficultés rencontrées par le passé pour réussir à se positionner par rapport à leur hiérarchie et leurs compétences. Nous savons que beaucoup de choses évoluent aujourd'hui. Il y a dans certaines entreprises des référents égalité, par exemple. Dans les bilans d'activité que vous dressez, tenez-vous compte des travaux de ces référents ? En termes de management pur, les femmes affichent une plus-value de par leurs diplômes et prérequis, mais aussi par leur façon de manager les entreprises. Tenez-vous compte de ces éléments pour impulser de nouvelles dynamiques dans les entreprises ? Quel est votre regard, de façon générale ?

Mme Armelle Carminati-Rabasse. - Sur la question des carrières de femmes cadres, qui peuvent par exemple prétendre à diriger des entreprises, je peux citer une initiative à branche multiple que nous opérons au sein du Medef. Nous avons créé le réseau Femmes du Medef qui consiste à repérer sur le territoire des femmes cheffes d'entreprise ou dirigeantes dans des entreprises très importantes, qui sont non seulement des battantes dans leur univers professionnel, mais qui veulent en plus agir en prenant des mandats consulaires ou au Medef, par exemple. Ce réseau grandit petit à petit. Nous l'avons commencé de façon capillaire, avec d'abord un repérage des quelques femmes présidentes de Medef territoriaux, régionaux ou locaux. Nous sommes en train de travailler sur l'organisation de réunions et formations d'apprentissage sur les mandats. C'est une chose de faire son métier plus que convenablement, d'être repérée et de progresser dans une entreprise, ou de la piloter quand on l'a créée. C'en est une autre de se résoudre à prendre un mandat de plus, en dehors de son champ strictement professionnel pour lequel on est rémunérée, pour aller se battre pour représenter les entreprises et amener plus de femmes à exercer des mandats. À ce titre, le Medef a adopté en juillet 2019, au sein de son conseil exécutif, une charte s'engageant à faire progresser le pourcentage de femmes ayant des mandats Medef, au niveau territorial ou national. Ce mouvement commence à porter ses fruits.

Mme Annick Billon, présidente. - J'ai été très heureuse de vous recevoir. Nous allons prendre toute la mesure des articles de la proposition de loi visant à accélérer l'égalité économique et professionnelle, en y apportant éventuellement des ajustements afin d'améliorer l'égalité professionnelle tout en conservant un texte opérationnel. Voter des lois, c'est bien, mais si elles ne sont pas applicables, c'est plus compliqué !