Jeudi 9 décembre 2021

- Présidence de M. Stéphane Artano, président -

Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Table ronde sur l'exploration et l'exploitation des fonds marins

M. Stéphane Artano, président. - Dans le cadre de la préparation du rapport de notre délégation sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, la délégation s'intéresse ce matin aux problématiques des grands fonds marins dont l'exploration constitue, comme vous le savez, un volet du plan « France 2030 » présenté par le président de la République.

Pour en appréhender les richesses mais aussi les défis à relever pour leur exploration, voire un jour leur exploitation, nous accueillons Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fonds de mer de l'Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer), Jean-Louis Levet, conseiller spécial pour la stratégie nationale des grands fonds marins au Secrétariat général de la mer (SGMer), accompagné de Xavier Grison, chargé de mission et Laurent Kerléguer, directeur général du Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM).

Nous vous remercions vivement d'avoir répondu à notre invitation afin de nous permettre de mieux saisir ces enjeux économiques et technologiques, au regard notamment de la situation actuelle de nos territoires ultramarins.

Vous allez avoir la parole sur la base de la trame indicative préparée par nos trois rapporteurs, Philippe Foliot, Annick Petrus et Marie-Laure Phinera-Horth, qui vous a été adressée en amont de cette audition.

Dans un premier temps, nous vous entendrons successivement pour un propos liminaire d'une dizaine de minutes chacun sur la base de cette trame. Dans un second temps, les rapporteurs et les sénateurs présents pourront vous interroger s'ils ont besoin d'éclairages supplémentaires.

M. Jean-Marc Daniel, directeur du département Ressources physiques et écosystèmes de fond de mer, Institut français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). - J'ai la charge d'un des quatre départements de recherche de l'Ifremer qui s'intéresse aux grands fonds marins. Nous appelons grands fonds toutes les zones qui sont situées en deçà de 200 mètres de profondeur, quand la lumière ne traverse plus la couche d'eau, ce qui nous pose des problèmes d'exploration.

80 % des fonds océaniques n'ont pas été cartographiés de manière détaillée et nous ne connaissons que 3 à 4 % des espèces marines qui y vivent. Ce sont donc des espaces largement inconnus.

L'Ifremer a lancé des travaux d'exploration pour les connaître car ce sont des éléments importants de la machinerie climatique et de la biodiversité. Nous sommes par ailleurs convaincus que nous ne pouvons protéger que ce que nous connaissons. C'est pourquoi nous sommes très mal à l'aise face aux demandes de moratoire sur les travaux d'exploration.

Nos travaux ont montré que les grands fonds marins étaient déjà impactés par les activités humaines. Explorer ces environnements, c'est aussi explorer pour notre société parce que nous y trouvons des ressources d'innovations biologiques. Une petite crevette qui vit à 4 000 mètres de profondeur, sans lumière, dans une eau à 1 ou 2°C, au voisinage de sources d'eau très chaude qui rejettent des métaux toxiques, a besoin d'être très innovante sur les mécanismes biologiques à développer pour survivre. Les tests PCR que nous utilisons aujourd'hui sont constitués de molécules récupérées dans les écosystèmes de ces grands fonds.

Ils représentent aussi un potentiel de ressources minérales et énergétiques avec, près des côtes, des enjeux de géothermie.

Enfin, plus de 95 % des communications internet passent par des câbles sous-marins posés dans les grands fonds qui représentent donc un enjeu économique. Pour que les câbles soient à l'abri d'aléas naturels, il est nécessaire de bien connaître les fonds sur lesquels ils sont posés.

Les grands fonds nécessitent des travaux d'exploration. Aujourd'hui, nous ne disposons pas d'informations exhaustives sur les ressources minérales existant dans les grands fonds de la Zone économique exclusive (ZEE) mais nous avons identifié des zones à explorer en priorité à l'aide de règles géologiques.

Nous avons réalisé trois campagnes en mer à Wallis-et-Futuna, avec des navires de la flotte océanographique qui ont embarqué une équipe de scientifiques pendant 40 jours. Elles nous ont permis de vérifier que des régions étaient intéressantes en termes de ressources minérales sous-marines. Il nous reste encore trois campagnes à mener pour préciser la cartographie détaillée des zones identifiées, qualifier et quantifier les ressources disponibles.

Ce travail n'a pas encore commencé dans la ZEE de la Nouvelle-Calédonie ni dans celle de la Polynésie française. Nos connaissances scientifiques nous permettent de définir des sources potentielles mais des travaux restent à mener pour les préciser.

Les travaux d'exploration et de surveillance nécessitent le déploiement de technologies qui seront de plus en plus autonomes. Ils ont deux effets. Ils incitent les différents acteurs à développer de nouvelles technologies sur le territoire français et ils induisent de l'activité locale sur les bases arrières d'exploration et de surveillance. Avec des collègues japonais, nous avons pour projet de créer un observatoire sous-marin dans la ZEE de Nouvelle-Calédonie.

Enfin, il est essentiel de dresser un inventaire précis de la biodiversité dans les grands fonds marins qui peut avoir des retombées en matière de biotechnologie. Ces découvertes seraient également susceptibles de générer de l'activité locale.

Lancer des travaux d'exploration des grands fonds marins est donc un enjeu important pour notre société !

M. Jean-Louis Levet, conseiller spécial pour la stratégie nationale des grands fonds marins, Secrétariat général de la mer (SGMer). - Le SGMer a été missionné fin 2019 sur la stratégie nationale d'exploration et d'exploitation des grands fonds marins par le Président de la République lors des Assises de la mer organisées à Montpellier en novembre 2019. Les Assises ont mis l'accent sur une meilleure connaissance des océans et sur une exploitation durable de l'ensemble de leurs ressources biologiques et minérales.

J'ai rencontré plus de 130 personnes en quelques semaines et j'ai lu de nombreuses publications, dont celles de l'Ifremer et du SHOM. J'ai constitué un groupe de travail regroupant l'ensemble des acteurs publics et privés pour élaborer cette stratégie. Cette stratégie a fait l'objet de réunions ministérielles et a été validée lors du Comité interministériel de la mer (CIMer) de janvier 2021 qui m'a chargé de la mettre en oeuvre, en relation étroite avec les sept ministères concernés et le groupe de travail. Sa mise en oeuvre est aujourd'hui très largement engagée, c'est la raison pour laquelle ma mission s'achèvera à la fin de l'année. Xavier Grison me succédera sur une nouvelle étape d'accompagnement des acteurs qui aura pour objectif d'identifier les complémentarités avec le plan « France 2030 » que vous avez évoqué, et qui consolide et élargit cette stratégie au-delà des ressources minérales.

Pour construire cette stratégie, nous avons tiré les enseignements du passé puisqu'une feuille de route avait été présentée au Comité interministériel de la mer qui s'est tenu fin 2015. Elle n'a pas été mise en oeuvre, à la fois par manque de volonté politique et en raison de l'absence d'évaluation des moyens humains, financiers et techniques indispensables à son déploiement. J'ai également souhaité que le groupe de travail ne limite pas ses travaux aux seules ressources minérales.

Le contexte général est celui de la relation entre l'océan et le climat. Nous savons que l'océan joue un rôle fondamental dans la régulation du climat. Par ailleurs, comme l'a dit António Guterres, secrétaire général de l'ONU, « la vie sous l'eau est essentielle à la vie sur terre ».

Le cadre est celui d'un modèle faisant le lien entre ces ressources minérales et notre modèle de développement. Tous les chercheurs conviennent que, si ce modèle de développement ne change pas, notre consommation de matières premières passera de 80 à 180 milliards de tonnes d'ici 2050, avec 2 milliards d'habitants supplémentaires en 2060. Même si nous nous inscrivons, comme le souhaite la France et l'Union européenne, dans le cadre d'une transition écologique et énergétique, les besoins en ressources minérales restent considérables. Le recyclage n'est pas suffisant et nous devons aller vers l'économie circulaire. Il y a environ 50 types de minerais dans un smartphone mais seuls dix d'entre eux peuvent être recyclés.

Face à ces défis, quelle gouvernance mondiale des fonds marins faut-il adopter ? Vous savez qu'il existe une Agence internationale des fonds marins qui a déjà octroyé une trentaine de permis d'exploration, dont cinq à la Chine. Dans cette perspective de gouvernance des océans sur la partie biologique et sur les ressources minérales, les enjeux sont multiples : éthiques pour fournir aux habitants de notre planète ce dont ils ont besoin pour vivre, mais aussi de la beauté et du bien-être, habités de la conscience que les générations futures devront pouvoir en profiter, environnementaux, géopolitiques, avec l'emprise croissante des états dans leurs ZEE mais aussi dans les eaux internationales ; juridiques ; économiques et technologiques.

Nous avons cherché à élaborer une compréhension globale de ces enjeux, à tirer les enseignements des actions déjà menées et des échecs, notamment parce que les enjeux socioculturels n'ont pas été pris en compte, à comprendre la mondialisation, le poids du mercantilisme qui prend de plus en plus le pas sur la coopération et l'emprise des États sur les grands fonds marins, à étudier la position de la France, ses points faibles, ses avantages, ses perspectives et enfin à définir une stratégie sur dix ans avec des priorités, un plan d'action et des projets.

Nous avons remis notre rapport au Premier ministre fin 2020 et il a été validé en janvier 2021. Il retient cinq priorités :

- poursuivre et amplifier une action, résolue et raisonnée dans la durée, d'acquisition des connaissances sur les écosystèmes des grands fonds, en lien avec les ressources minérales sous-marines ;

- amplifier les travaux sur les impacts environnementaux et partager les efforts de protection des fonds marins dans le cadre d'une stratégie de sauvegarde de ces écosystèmes et de poursuite d'une stratégie d'exploitation durable de leurs ressources ;

- valoriser les ressources des grands fonds marins en lien avec le potentiel industriel français et européen ;

- renforcer les partenariats avec les collectivités d'outre-mer, en particulier dans le Pacifique et engager une stratégie multipartenaires au niveau européen et au niveau mondial dans la zone indopacifique ;

- travailler à l'information des populations et des décideurs mais aussi à l'implication de toutes les parties prenantes dans les choix en matière d'exploration ou d'exploitation responsable des grands fonds marins.

L'objectif fonds marins de « France 2030 » consolide et élargit cette stratégie. Nous avons beaucoup travaillé avec Xavier Grison et nos correspondants de l'Ifremer, du SHOM et du groupe de travail, sur les points d'adhérence, sur les liens existants entre les projets de la stratégie nationale et « France 2030 ».

M. Xavier Grison, chargé de mission au Secrétariat général de la mer (SGMer). - Sur le lien entre la stratégie nationale et la stratégie indopacifique, vous noterez que plus de 90 % du domaine maritime français se situe dans la zone indopacifique, avec une part importante de grands fonds. Ce lien est donc assez naturel.

Par ailleurs, la France entretient des relations de longue date sur l'exploration sous-marine avec les pays de la zone, par exemple l'Inde, la Corée du Sud ou le Japon. C'est donc un axe naturel de développement. L'exploration sous-marine peut également constituer un moteur de la stratégie indopacifique de la France.

Se pose aussi la question de la surveillance des ressources supposées des grands fonds marins afin d'éviter tout pillage. Le risque est aujourd'hui relativement limité. En effet, les technologies permettant d'aller chercher des ressources à plusieurs milliers de mètres de profondeur ne sont pas encore très répandues et il n'a pas été démontré que cette extraction était rentable. Dans un avenir proche, l'exploitation de ces ressources passe par des navires de surface, aisément repérables par satellite. La Marine nationale travaille sur ces sujets mais son plus grand défi est l'immensité de la zone à couvrir et sa capacité d'intervention reste limitée. Les moyens positionnés en outre-mer ne permettent pas une couverture permanente de la zone.

Sur le lien avec les collectivités locales, je considère que l'exploitation sous-marine ne peut se faire qu'en synergie avec elles. En effet, pour certaines collectivités, l'exploitation minière relève de leur compétence, tant que les ressources ne sont pas considérées comme stratégiques au sens du code minier. Par ailleurs, pour explorer les grands fonds marins, nous avons besoin de points d'appui locaux, même si cette exploitation est autonome.

Les territoires français dans la zone indopacifique constituent des atouts indéniables pour l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins sur lesquels nous devons nous appuyer. Il est également logique que les populations locales soient associées aux projets.

Nous avons identifié plusieurs facteurs limitant l'intérêt de l'exploitation de ces ressources. Le premier est environnemental. Les études soulignent la fragilité des écosystèmes locaux et il est essentiel de bien les connaître pour limiter les perturbations ou se limiter aux zones dans lesquelles il n'y a plus d'écosystème. Le second porte sur les investissements importants à consentir pour l'exploitation de ces ressources, sans garantie de rentabilité. Ces incertitudes constituent des freins importants pour les industriels.

M. Laurent Kerléguer, directeur général, Service hydrographique et océanographique de la Marine (SHOM). - Le SHOM est présent outre-mer à travers des unités stationnées en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française. Il opère également des déploiements de longue durée dans l'océan Indien tous les deux ans et dans la zone Antilles Guyane tous les quatre ans. Nos bâtiments sont déployés entre 100 et 120 jours par an outre-mer.

Les missions du SHOM sont focalisées sur les enjeux de sécurité de la navigation, donc sur les petits fonds marins. Nous avons achevé la couverture des outre-mer en cartes électroniques de navigation. La France dispose, grâce à ses outre-mer, de la deuxième ZEE du monde et est présente dans tous les océans, à l'exception de l'océan Arctique. Elle est membre de six commissions hydrographiques régionales

Le SHOM a également établi un référentiel du littoral des outre-mer à l'aide de lasers embarqués sur des aéronefs. C'est une démarche importante en termes de développement économique et de risques naturels, notamment pour la vigilance vague/submersion, dont le SHOM est acteur aux côtés de Météo France et sur l'alerte aux tsunamis avec son réseau de marégraphes, en partenariat avec le Commissariat à l'énergie atomique et aux énergies alternatives (CEA).

Enfin, le SHOM soutient le SGMer pour l'établissement des lignes maritimes et la délimitation des ZEE au-delà de l'extension du plateau continental. Aux côtés de l'Ifremer, il a mené des travaux pour permettre à la France de porter des dossiers devant les Nations Unies sur le plateau continental. Toutes ces limites sont documentées dans un portail réalisé pour le SGMer.

Le SHOM s'intéresse peu aux grands fonds puisque ses missions de soutien de la défense, de soutien à l'économie bleue et de sécurité de la navigation se concentrent sur le littoral. Il ne s'intéresse aux grands fonds qu'en soutien à la Force océanique stratégique (FOST) pour la connaissance des zones dans lesquelles évoluent les sous-marins.

Les enjeux liés à l'exploration et à l'exploitation des fonds marins ne laissent pas indifférent le ministère des armées qui élabore une stratégie de maîtrise des fonds marins. Elle est dictée par les études sur l'exploitation des ressources minérales et par le besoin de surveiller les infrastructures sous-marines, notamment les câbles sous-marins par lesquels transite l'essentiel des communications.

Ces zones sont très méconnues. Même sur des critères simples comme la bathymétrie, c'est-à-dire la mesure des profondeurs, nous ne connaissons que 20 % des grands fonds. Sur d'autres critères tels que la biodiversité, les ressources, la nature des fonds nous sommes bien en deçà de ce pourcentage.

Pour y remédier, nous devrons renouveler nos capacités. Le SHOM a engagé un programme de renouvellement de sa flotte hydrographique qui fera une large place aux engins autonomes dont les capacités d'intervention seront très supérieures et complémentaires des navires de surface. Ces engins nous permettront d'explorer des zones hostiles, difficiles d'accès, avec de fortes pressions. Ce seront des vecteurs importants pour mieux appréhender la connaissance de ces zones à enjeux.

S'il est important de disposer d'une très vaste ZEE et de chercher encore à l'étendre à travers l'extension des plateaux continentaux, nous devons nous donner les moyens de la connaître, de la surveiller, voire d'agir pour faire respecter nos droits.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie et je donne la parole à nos trois rapporteurs.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - Je vous remercie d'avoir accepté de nous aider dans nos travaux.

Aujourd'hui, les priorités de la stratégie nationale pour les grands fonds marins sont-elles l'exploration et exploitation ou l'une prend-elle le pas sur l'autre ?

Sur la cartographie, vous nous avez expliqué qu'il restait un certain nombre de campagnes à mener, notamment à Wallis-et-Futuna. Disposerons-nous d'une cartographie des gisements des ressources stratégiques dans l'espace maritime ultramarin plus ou moins avancée ?

Enfin, quels sont les projets de la France pour les deux permis obtenus auprès de l'Autorité internationale des fonds marins ?

M. Philippe Folliot, Rapporteur. - Concernant le SHOM et les éléments de connaissances des fonds marins, il y a un intérêt évident pour nos FOST de disposer d'éléments précis. Sans trahir de secret, pouvez-vous nous éclairer sur ce point ?

Vous nous avez dit que la connaissance des fonds marins se ferait à l'aide de véhicules autonomes que je qualifie de drones sous-marins. La France maîtrise-t-elle ces technologies, contrairement aux drones aériens pour lesquels nous sommes très dépendants de l'étranger, de l'Asie en général et de la Chine en particulier ?

Vous nous avez également dit que le permis de recherche à Wallis-et-Futuna s'était traduit par un échec car les enjeux socioculturels n'avaient pas été pris en compte. Pouvez-vous détailler vos propos ?

Enfin, vous affirmez que nous devons connaître, surveiller et agir dans notre ZEE. Comment envisagez-vous de surveiller et d'agir dans la ZEE de l'île de la Passion / Clipperton ou dans la ZEE des Terres australes et antarctiques françaises ?

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Je considère que l'Ifremer ne vulgarise pas suffisamment les travaux qu'il mène en Guyane.

Quels sont aujourd'hui les facteurs bloquants qui empêchent le lancement des campagnes d'exploitation ? À quelle échéance et sous quelles conditions ces campagnes pourront-elles être mises en place ?

Disposez-vous de données sur les impacts environnementaux des extractions minières sous-marines ?

Comment allier activité économique et gestion durable de ces fonds sans réitérer les erreurs commises pour d'autres types de ressources ?

Enfin, quelles sont les projections en termes de développement économique pour les outre-mer de l'exploitation des fonds marins ?

M. Stéphane Artano, président. - Je vous invite à répondre à ces trois séries de questions.

M. Jean-Marc Daniel. - La communication de l'Ifremer constitue un véritable enjeu. Notre nouvelle direction de la communication a pour objectif de faire connaître nos travaux le plus largement possible.

Il n'existe pas de cartographie des ressources minérales sous-marines dans la ZEE mais nous avons défini, dans le cadre du rapport de Jean-Louis Levet, les zones à explorer en priorité à partir de connaissances géologiques générales. Ainsi, grâce à des données satellites et bathymétriques révélant l'existence de volcans sous-marins à proximité d'une fosse sous-marine, nous estimons qu'il est possible de trouver des ressources de type sulfures polymétalliques. Cependant, nous ne l'avons pas vérifié. J'ajoute que la géologie de l'arc antillais n'en fait pas une zone préférentielle d'exploration pour ce type de ressources.

Sur l'échec de Wallis-et-Futuna, je laisse Jean-Louis Levet répondre.

Aujourd'hui, on parle beaucoup des observations autonomes qui représentent un enjeu important pour les observations dans le milieu maritime. Il existe plusieurs catégories d'engins autonomes, des navires de surface ou des sous-marins. Ces engins peuvent embarquer des moteurs qui utilisent du carburant ou qui ont recours à l'énergie disponible dans le milieu naturel comme le vent ou les courants.

La France dispose d'un des leaders mondiaux des navires autonomes de surface équipés de moteurs à explosion avec iXblue qui produit le DriX. En revanche, nous ne savons pas fabriquer des engins de surface autonomes qui utilisent les énergies renouvelables comme le vent ou le soleil, alors que les Américains sont capables d'envoyer des navires qui traversent l'Atlantique sans recourir aux énergies fossiles.

Nous disposons d'un savoir-faire dans les engins sous-marins autonomes, motorisés ou non, allant jusqu'à 1 000 mètres de profondeur avec des entreprises comme RTsys qui travaille pour le ministère de la défense ou Alseamar mais nous ne sommes pas leaders. L'Ifremer a développé avec ECA Robotics un engin autonome sous-marin qui est en cours de validation opérationnelle. Sa première mission portera sur le permis français pour l'exploration de sulfures polymétalliques en juillet 2022.

Pour aller au-delà de 1 000 mètres de profondeur, les leaders sont les gros industriels de l'offshore pétrolier norvégien.

Sur les deux contrats opérés par l'Ifremer pour le compte de l'État dans les eaux internationales (nodules dans la zone de Clipperton et sulfures polymétalliques dans l'Atlantique), nous mènerons des travaux d'exploration jusqu'en 2026. Les licences délivrées par l'Autorité internationale des fonds marins ne portent que sur l'exploration. La moitié de nos efforts portent sur l'évaluation de la ressource, l'autre sur la connaissance et la résilience des écosystèmes.

De nombreux acteurs font pression pour que les nodules polymétalliques soient exploités dans la zone de Clipperton au plus tard dans deux ans. Pour exploiter les autres ressources, il reste à lever des verrous technologiques.

Les trois freins principaux à l'exploitation des ressources géologiques sous-marines sont l'impact écologique, la rentabilité économique qui n'est pas démontrée et l'absence de règles internationales pour la délivrance de permis d'exploitation dans les eaux internationales.

M. Jean-Louis Levet. - Il s'agit bien d'une stratégie nationale visant à développer l'exploration et à se préparer à l'exploitation durable des grands fonds marins. Nous avons privilégié une démarche d'anticipation collective. De nombreux pays comme l'Allemagne, la Norvège, les États-Unis, le Japon, la Corée du Sud, l'Inde et la Chine ont de grandes ambitions dans l'exploration et probablement, à terme, dans l'exploitation de ces grands fonds marins.

La Chine dispose de cinq permis d'exploration dans les eaux internationales, dont l'un sur les amas sulfuriques qui arrive à échéance en 2026 et il est probable qu'elle demande à son terme un permis d'exploitation. Il y a quelques semaines, ce pays a réussi à envoyer un engin sous-marin autonome à plus de 6 000 mètres de profondeur tout en créant une liaison avec l'extérieur.

Notre objectif est de mettre en oeuvre dans le même temps l'ensemble des priorités et des huit projets de la stratégie nationale. Cela implique un programme de recherche important, holistique, sur l'ensemble des liens entre colonnes d'eau, écosystèmes, connaissances des écosystèmes et de leurs liens avec les ressources minérales, ce qui nous permettra d'avoir des axes de développement et de partenariat très forts avec nos collectivités d'outre-mer et l'Union européenne.

Je crois que cette question des fonds marins peut toucher notre jeunesse, tant en métropole que dans les collectivités d'outre-mer. De nouveaux métiers vont se développer. Nous voyons à quel point les sciences de la vie et les sciences de la terre jouent un rôle essentiel dans l'étude du fonctionnement des écosystèmes et combien les sciences humaines et les sciences sociales vont jouer un rôle important.

Madame la sénatrice, vous évoquiez la nécessité d'informer sur ce qui se passe dans les fonds marins et nous en avons pleinement conscience. C'est un univers extraordinaire. Chacun a lu 20 000 lieues sous les mers de Jules Verne. J'étais, il y a quelques jours, à la Cité de la mer à Cherbourg et nous apprenons énormément sur la source de médicaments que peuvent constituer les océans. Ce sont des éléments très importants en direction des jeunes, pour les collectivités d'outre-mer et pour le développement d'entreprises locales. Dans la cadre du déploiement de la stratégie nationale, en lien avec l'objectif fonds marins « France 2030 », nous avons rencontré de nombreuses entreprises des deux pôles de compétitivité mer en Bretagne et en Méditerranée mais aussi des entreprises en Nouvelle-Calédonie où dans d'autres territoires d'outre-mer. C'est un facteur de mobilisation sur lequel nous travaillons.

Je souhaitais que le groupe de travail tire les enseignements du passé, et notamment de l'opération menée à Wallis-et-Futuna qui avait été mise en avant par le Comité interministériel de la mer fin 2015. Elle a montré la capacité de la France à se mobiliser collectivement avec l'Ifremer, Eramet, Technip et Areva, même si elle s'est in fine révélée un échec. J'ai tenu à ce que nous l'analysions avec nos amis de l'IRD pour en comprendre les enjeux socioculturels.

Les premières explorations entre 2010 et 2012 ont fait l'objet d'une action collective dans le cadre d'une autorisation de prospection préalable financée par un partenariat public/privé. Elles ont révélé un fort potentiel de la zone pour la formation de minéralisations hydrothermales. Le ministère de l'écologie avait soutenu cette opération et les données bathymétriques indiquaient la présence d'un important domaine volcanique au sud et à l'est de l'île. C'est sur la base de ces découvertes que les partenaires privés ont déposé en 2013 une demande de permis d'exploration. Cette demande n'a pas abouti, à la fois pour des raisons juridiques, car la partie réglementaire du code minier devait être étendue, mais aussi en raison des difficultés d'acceptation par les autorités coutumières locales. Cet échec a entraîné la démobilisation de l'ensemble des acteurs.

Le rapport de mission de l'IRD est confidentiel mais j'ai pu en rédiger une synthèse publique. L'institut soulignait que Wallis-et-Futuna constituait « un exemple particulièrement clair des conséquences politiques d'une absence de concertation et de cadre participatif et des difficultés pour l'ensemble des acteurs concernés de restaurer les conditions d'un débat productif ».

La question de l'acceptabilité sociale et de l'implication des populations le plus en amont possible est fondamentale et fait partie de nos grandes priorités.

À l'échelle microéconomique pour une entreprise, l'exploration et l'exploitation des grands fonds marins est une équation à quatre inconnues : l'impact environnemental, la technique, la rentabilité économique et l'acceptabilité sociale.

Certaines de ces inconnues le sont de moins en moins. Des progrès ont été réalisés au niveau technique et des concepts ont été élaborés pour exploiter les fonds marins avec un impact environnemental minimal. Par ailleurs, la question de la rentabilité économique n'a pas le même poids dans tous les pays et il est possible d'imaginer que ce critère pèse moins pour la Chine. Certains États ont des stratégies d'exploration, et demain d'exploitation, des fonds marins.

Parmi les projets que nous avons mis en oeuvre, j'ai évoqué l'ambitieux programme de recherche et les chantiers d'actions relatifs à la mer. En Polynésie française, le gouvernement local a lancé depuis plusieurs années des travaux sur cette question. L'IRD a réalisé une expertise collégiale entre 2013 et 2016 sur l'ensemble des enjeux liés à l'exploration. Une PME dans le domaine de la recherche abyssale dispose d'un contrat avec le gouvernement polynésien depuis fin 2019 pour étudier les conditions d'exploration de la ZEE. Enfin, en Nouvelle-Calédonie, il existe une expertise bâtie à partir de l'expérience de l'exploitation des mines terrestres. Il y a donc de nombreux partenariats à construire avec nos collectivités d'outre-mer sur les différents axes de travail.

Sur l'Indopacifique, la France a signé des accords bilatéraux avec l'Inde, le Japon, la Corée du Sud ou l'Indonésie. Nous devons veiller à ce que l'océan et les grands fonds marins fassent partie des échanges avec ces partenaires

Il existe également un observatoire franco-japonais en Nouvelle-Calédonie pour la connaissance des océans.

M. Laurent Kerléguer. - L'approche que nous avons des grands fonds pour la Force océanique stratégique (FOST) et ce qui est visé par les problématiques d'exploration, d'exploitation ou de surveillance des infrastructures sont très différentes.

Les besoins de la FOST sont couverts par des bâtiments hydrographiques de surface qui mesurent la bathymétrie, la gravimétrie et d'autres paramètres géophysiques, avec des résolutions suffisantes pour décrire la topographie des fonds. C'est le critère essentiel recherché par la FOST pour ses problématiques de navigation et de localisation. Quand nous étudions depuis la surface des fonds de 3 000 mètres, nous obtenons des résolutions de l'ordre de 30 à 50 mètres.

À l'occasion de la recherche du sous-marin Minerve en Méditerranée qui gisait par 2 300 mètres de fond, nous avons constaté qu'il aurait été impossible de le retrouver par des investigations menées depuis la surface puisque les résolutions que je viens d'évoquer sont de l'ordre de grandeur du sous-marin. Il est donc nécessaire de se rapprocher du fond à l'aide d'engins autonomes.

Pour la Minerve, nous avons passé un contrat avec la société américaine Ocean Infinity qui a mis à notre disposition des drones sous-marins fabriqués par une entreprise norvégienne. Cela ne signifie pas que la France ne dispose pas de capacités industrielles mais la Norvège dispose d'un grand savoir-faire dans ce domaine, porté par le secteur pétrolier.

ECA Robotics est un industriel très présent dans le domaine de la guerre des mines et a développé une grande variété d'engins. Il travaille aujourd'hui sur un engin autonome permettant d'atteindre les grands fonds. Si nous voulons que les industriels français puissent développer leurs compétences dans le secteur des drones sous-marins pour les grands fonds, il est essentiel de leur donner une visibilité, de leur assurer des carnets de commandes, éventuellement dans le cadre de « France 2030 ».

La stratégie du ministère des armées en cours d'élaboration pour les grands fonds marins porte sur le triptyque « connaître, surveiller, agir ». Nous avons un grand déficit de connaissances et il est essentiel de les mettre à niveau. Les dimensions « surveiller » et « agir » sont appréhendées sous l'angle des infrastructures sous-marines, notamment les câbles, pour prévenir le sabotage ou l'espionnage ou y mettre un terme. Le besoin capacitaire est encore plus important sur ces aspects que sur la connaissance.

Enfin, le SHOM a moins de légitimité sur vos autres questions et je remercie les autres intervenants d'avoir apporté des éléments de réponse.

Mme Vivette Lopez. - Nous vous remercions pour toutes ces explications.

Que pensez-vous du projet de Polar Pod de Jean-Louis Etienne ?

Allez-vous demander que ces questions relatives aux fonds marins soient portées par la présidence française du Conseil de l'Union européenne ?

Les chutes de neige sont actuellement très nombreuses en montagne. Certains nous disent que la pandémie a limité le trafic aérien et que l'atmosphère reprend ses droits. Par comparaison, la perturbation des grands fonds marins risque-t-elle d'accentuer le dérèglement climatique ? Je sais que nos chercheurs sont très respectueux des fonds marins mais toutes les précautions sont-elles réellement prises ?

M. Thani Mohamed Soilihi. - Il y a trois ans, un volcan est né à 50 kilomètres au large de Mayotte et a suscité des inquiétudes. Pouvez-vous nous dire où en sont les explorations ?

M. Teva Rohfritsch. - Le Sénat a lancé une mission d'information sur les grands fonds marins dont les membres seront désignés cet après-midi et nous aurons ainsi l'occasion de creuser davantage ces sujets.

Pouvez-vous nous donner un macroplanning et les grandes étapes de la mise en oeuvre de la stratégie nationale sur les grands fonds marins ?

Quelle part l'Europe peut-elle prendre dans cette stratégie ? Pensez-vous qu'elle puisse s'en emparer alors que la France souhaite et doit rester motrice sur le sujet ? C'est bien grâce à la France et à ses outre-mer que l'Europe est présente sur l'ensemble des océans.

Enfin, redoutez-vous une course aux fonds marins qui ressemblerait à la course aux étoiles ou sommes-nous dans une approche plus raisonnée, plus concertée ?

M. Jean-Marc Daniel. - Je peux répondre sur Mayotte puisque ce sont des équipes de mon département qui ont été impliquées dans la mise en route des missions en mer. Tous les scientifiques ont été pris de court par la naissance de ce volcan.

Par ailleurs, si la Marine a fait appel à Ocean Infinity pour rechercher la Minerve, c'est parce que des engins ont été mobilisés pour se rendre à Mayotte. Nous avons donc un problème capacitaire.

Des équipes restent mobilisées pour la surveillance du nouveau volcan et nous sommes en négociation avec différents ministères sur les moyens qui seront engagés l'année prochaine. La crise n'est pas encore terminée et nous envisageons d'utiliser des systèmes de surveillance autonome à la place des navires océanographiques pour bénéficier d'une surveillance en continu. Quand les scientifiques sont sur place, ils rencontrent les populations concernées et cet événement ne fait que renforcer la nécessité d'explorer ces environnements.

Pour tous les travaux scientifiques que nous menons, nous veillons à ne pas perturber l'environnement des grands fonds. Le rôle de l'océan profond sur la machinerie climatique globale est un sujet d'exploration. Aujourd'hui, nous le connaissons très mal.

Enfin, ces sujets ont vocation à être traités au niveau européen car nous avons besoin de moyens importants et j'espère que ce sera un des messages envoyés par le One Ocean Summit qui se réunira à Brest au mois de février 2022.

M. Jean-Louis Levet. - Sur la course aux fonds marins, nous observons depuis une vingtaine d'années une emprise croissante des États à travers les permis d'exploration. Ils sont aujourd'hui au nombre de 30, dont 5 pour la Chine. Nous rentrons dans un siècle d'inspiration de plus en plus mercantiliste, avec le retour en force des États qui sont simultanément aptes au commerce et à la puissance souveraine. La France et l'Union européenne se battent au sein de l'Autorité internationale des fonds marins pour une démarche multilatérale.

La stratégie industrielle et minière de la Chine est au service d'une montée en gamme permanente dans la plupart des filières techno-industrielles. La Chine dispose de cinq permis même si sa ZEE n'est que la 32ème du monde par son étendue, derrière celle de l'Espagne. C'est pourquoi il lui est indispensable d'accroître sa présence dans les eaux internationales. Elle doit par ailleurs partager toutes ses mers bordières avec ses voisins. Ces éléments permettent de comprendre pourquoi elle cherche à affirmer son contrôle sur plusieurs archipels en mer de Chine du sud. L'intérêt géostratégique et la sécurisation des approvisionnements sont les deux objectifs majeurs de ce pays.

Le groupe de travail a classé les États en fonction de leurs objectifs. L'Allemagne, la Corée du Sud, le Japon ou les États-Unis, qui disposent d'une industrie importante et qui n'ont pas laissé s'installer la désindustrialisation, contrairement à la France, ont un objectif d'approvisionnement en métaux.

Dans d'autres pays comme le Brésil, l'Inde, la Norvège ou certains États insulaires, l'exploitation des fonds marins sert un objectif économique.

Enfin, des pays comme le Danemark ou la Nouvelle-Zélande y voient un intérêt scientifique et d'acquisition des connaissances.

Il ne s'agit pas de courir après les autres pays mais de comprendre quelles sont leurs stratégies et de nous préparer à une éventuelle exploitation des fonds marins, en respectant nos valeurs éthiques et les enjeux environnementaux. C'est dans ce cadre que, parmi les 8 projets (programme de recherche, des chantiers d'actions en mer, la réalisation d'une cartographie des espaces à protéger et des espaces ouverts à une éventuelle exploitation durable, etc.) que la France met en oeuvre et qui ont été validés par le Premier ministre au cours du Comité interministériel de la mer en janvier 2021, il y a le projet de création d'un démonstrateur à l'échelle 25 % pour tester l'impact, le cadre et la faisabilité d'une exploitation durable des grands fonds marins.

La mise en place de ce pilote nous permettra de mesurer précisément, à chaque étape, l'impact environnemental et donc de nous donner les moyens d'arrêter ou non. C'est un projet que nous souhaitons développer avec plusieurs États européens et nous sommes en relation avec certains d'entre eux comme l'Allemagne et la Norvège, mais la Pologne et le Portugal seraient aussi intéressés. Nous avons organisé des webinaires en juin et en septembre et nous avons la possibilité de nous différencier de projets dans lesquels les enjeux environnementaux ou d'acceptabilité sociale sont beaucoup moins pris en compte.

L'Union européenne s'est engagée sur l'économie bleue, elle dispose depuis 2016 d'un véritable programme dans ce domaine et joue un rôle important dans le programme de la décennie 2021-2030 des sciences de l'océan lancé par les Nations Unies.

Enfin, deux études pilotées par l'IRD démarreront en janvier 2022 sur les collectivités d'outre-mer, l'une pluridisciplinaire pour mieux comprendre les enjeux éthiques, environnementaux, géostratégiques, techno-économiques et de gouvernance, l'autre sur la gouvernance participative avec l'examen des moratoires à l'échelle régionale et internationale et le développement d'une gouvernance participative sur des projets de découverte, d'exploration, voire de préparation à une éventuelle exploitation.

M. Laurent Kerléguer. - Le One Ocean Summit et le plan « France 2030 » témoignent de la volonté de la France de mettre les fonds marins au centre des débats.

J'ai l'intuition que les fonds marins ne sont pas menacés par l'action directe de l'homme dans leur exploration ou dans leur exploitation, mais plutôt par les impacts des activités humaines sur la machine climatique océan/atmosphère. Je rappelle que certains scénarios du GIEC avancent l'hypothèse d'un arrêt du Gulf Stream !

Sur la compétition internationale, il ne faut pas faire preuve d'angélisme. La Chine n'hésite pas à artificialiser des îles pour étendre sa ZEE. Ce serait faire preuve d'une grande naïveté que d'imaginer que les moratoires décidés par l'Europe sur l'exploration ou l'exploitation des fonds marins seront respectés à l'échelle internationale. Nous devons être très actifs sur ces sujets pour développer et mettre en oeuvre des bonnes pratiques qui ont peut-être plus de chances de faire école que des moratoires.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie pour le caractère précis et concis de vos propos.

La délégation est preneuse des supports que vous voudrez bien lui communiquer pour la rédaction de son rapport.

Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Audition de M. Jean-Louis Fillon, délégué général,
Institut français de la mer (IFM)

M. Stéphane Artano, président. - Nous accueillons Jean-Louis Fillon, délégué général de l'Institut français de la mer (IFM), association d'utilité publique qui oeuvre au développement durable des activités maritimes de la France, afin de connaître ses propositions concernant la question de la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale.

M. Jean-Louis Fillon, délégué général de l'IFM. - Commissaire général de la Marine de métier, j'ai exercé 35 ans dans la Marine nationale : chef du bureau du droit de la mer, puis adjoint du préfet maritime de la Méditerranée pour l'action de l'État en mer, je demeure engagé dans les questions maritimes en tant que délégué général de l'Institut français de la mer (IFM) et président de la section droit et économie de l'Académie de marine.

Il y a quelques mois en juillet 2021, nous avons publié une étude, parue dans le numéro 520 de la revue maritime que nous vous avons fait parvenir, intitulée : « 11 millions de km², pour quoi faire ? ». Cette étude faisait le constat d'une absence de stratégie maritime globale pour la France, au bénéfice de stratégies dispersées comme la stratégie nationale pour la mer et pour le littoral, ou encore la stratégie nationale de sûreté maritime. Il y a là une défaillance méthodologique qui rend difficile l'appréhension d'une stratégie globale, à laquelle nous avons tenté de remédier en créant une grille d'analyse valable pour l'ensemble de nos espaces maritimes, métropole comprise. Nos moyens étant limités, nous avons ciblé deux zones symboliques, la mer Méditerranée en métropole et la Nouvelle-Calédonie en outre-mer.

Nous sommes également partis de l'idée que l'unicité géographique de la mer et l'interpénétration des sujets doit conduire à une politique maritime intégrée prenant en compte à la fois les sujets économiques, environnementaux et stratégiques.

Plusieurs constats et propositions ont émergé de cette étude.

Premier constat, le caractère disparate de notre présence maritime et la diversité des politiques locales.

Deuxième constat, l'insuffisance des moyens de protection de nos espaces maritimes dans un contexte général de montée des tensions dans tous les espaces maritimes.

Troisième constat, notre pays a un atout : l'action de l'État en mer est aujourd'hui dotée d'une organisation administrative cohérente et efficace, en métropole autour des préfets maritimes et en outre-mer, autour des délégués du Gouvernement, assistés des commandants de zone maritime. Cette organisation est plutôt adaptée, et la future DGMer devrait contribuer à la pérenniser. Les questions maritimes étant des questions interministérielles, il est très important que le lien actuel qui existe entre le ministère de la mer, la Direction générale de la mer et le Premier ministre soit préservé, voire renforcé. Nous préconisons absolument de maintenir le rattachement du Secrétariat général de la mer au Premier ministre, ce qui n'était pas le cas dans la version précédente du ministère de la mer.

Par ailleurs, depuis quelques années, les collectivités territoriales et des citoyens entrent sur la scène de la gouvernance locale : lors du « Grenelle de la mer », on a évoqué une gouvernance à cinq. C'est une évolution positive, mais qui ne doit pas se faire au détriment de la présence unitaire de l'État en mer. En effet, l'absence de délimitation physique affichée en mer rendrait tout morcellement administratif particulièrement néfaste.

L'IFM est également à l'origine d'une proposition visant à considérer que l'océan est un bien commun de l'humanité. À ce titre, nous estimons que la conception de la souveraineté doit évoluer d'une souveraineté de propriétaire vers une souveraineté de responsabilité devant l'humanité. Et ce ne sont pas des vains mots : bon nombre de questions maritimes sont traitées devant des instances qui regroupent à la fois les États, les citoyens, notamment au sein des conférences des parties (COP).

Enfin, il faut tenir compte de la dimension européenne, qui a récemment fait l'objet d'un colloque à l'occasion du centenaire de l'Académie de marine.

Mme Annick Petrus, rapporteure. - J'aurai plusieurs questions à vous poser. Les outre-mer ont-ils été suffisamment intégrés dans la stratégie maritime nationale 2017-2022 ? Quelles sont les faiblesses principales de la politique maritime française et comment y remédier à l'avenir ? La création du ministère de la mer et de la Direction générale de la mer au 1er janvier 2022 permettront-elles selon vous de renforcer la politique maritime française ?

M. Philippe Folliot, rapporteur. - Pour ma part, j'ai les interrogations suivantes. Compte tenu des ruptures capacitaires de la Marine nationale outre-mer et connaissant les limites de la surveillance satellitaire, comment assurer le contrôle des espaces maritimes ultramarins ? Dans l'océan Indien, comment garantir durablement la souveraineté de la France sur ses zones maritimes, notamment autour des îles Éparses et de Tromelin ? Comment les outre-mer peuvent-ils être intégrés dans la stratégie indopacifique française et bénéficier aux collectivités de l'océan Indien et du Pacifique ?

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - En ce qui me concerne, j'ai les interrogations suivantes. Comment articuler la politique maritime nationale avec les politiques maritimes locales définies par les collectivités territoriales ? Comment mieux adapter les moyens d'action de l'État en mer à l'ampleur des phénomènes de narcotrafic et de pêche illégale dans la ZEE guyanaise et au niveau de violence des contrevenants ? Comment adapter les moyens d'action de l'État en mer à l'éloignement et à l'absence d'infrastructures, comment envisager le développement de campagnes d'exploitation des ressources marines dans les ZEE françaises ?

M. Jean-Louis Fillon. - Concernant la stratégie maritime nationale mise en place pour les années 2017-2022, nous sommes contre toute distinction entre la métropole et les outre-mer. Bien sûr, les outre-mer représentant 97 % de notre espace maritime, une forme de priorité doit leur être accordée, mais c'est d'une politique commune dont nous avons besoin, et c'est ce qui nous a conduits à définir une grille d'analyse valable pour tous nos espaces maritimes. Nous devons également sortir d'une approche souverainiste, souvent teintée d'une forme de nostalgie impériale, pour définir une vraie politique maritime. Pour cela, il est indispensable de nous doter d'une méthode globale qui prouvera la nécessité d'y mettre les moyens. Nous avons tendance aujourd'hui à demander des moyens pour préserver notre souveraineté sur des espaces maritimes dont l'usage n'a pas été défini. Il y a là une vraie question de méthode.

Nous avons aussi constaté, notamment lors des négociations sur la haute mer (accord BBNJ), un manque d'implication de nos industriels, par rapport notamment à des pays comme le Japon, l'Allemagne, mais aussi la Chine et la Russie. Il faudrait développer leur appétence pour les questions maritimes.

Autre faille, la politique portuaire manque de dynamisme, le multimodal est à la traîne.

Mais nous avons, je l'ai souligné, des points forts : notre organisation administrative, une recherche scientifique de très bon niveau avec des moyens, et une Marine à la fois armée de mer et de service public tenant l'ensemble de la question maritime entre ses mains, ce qui constitue un atout extrêmement fort.

La re-création d'un ministère de la mer est une excellente initiative, d'autant qu'il est en train de se doter d'une ossature administrative qui laisse présager de sa pérennité. Cela n'a pas été sans difficultés, les anciens titulaires de ses attributions, qu'il s'agisse des ministères de l'environnement, de l'agriculture et de la pêche, ne les ayant pas abandonnées de plein gré. La mer est une question éminemment interministérielle, avec des questions de défense impliquant le ministère des armées, des questions diplomatiques impliquant le ministère des affaires étrangères, mais aussi la culture, la recherche scientifique... Le tandem ministère de la mer et Premier ministre est donc fondamental.

Les ruptures capacitaires de la Marine nationale outre-mer résultent de mesures d'économies sur les armées qui ont été faites dans les vingt dernières années, de façon, j'ose le dire, presque irresponsable, par certains pouvoirs publics qui doivent le regretter amèrement aujourd'hui. En attendant les projets Batsimar et Afsimar, on pourrait imaginer de multiplier les déploiements depuis la métropole, mais la flotte de la Marine nationale est déjà très sollicitée. La coopération internationale est une voie intéressante, avec des surveillances partagées comme cela a été fait dans l'océan Indien pour la pêche, avec l'Afrique du Sud et avec l'Australie. Mais cela demande peut-être aussi que notre conception de la souveraineté évolue un peu.

Comment garantir la souveraineté sur les îles Éparses et Tromelin ? Les problématiques juridiques sont différentes : Tromelin, c'est une assise historique qui est contestée ; aux îles Éparses, notre présence est moins contestée, car il y a moins d'États en cause, mais il subsiste cette question des richesses potentielles du canal du Mozambique, très fréquenté, avec la revendication malgache qui est une suite de la décolonisation. L'assise juridique des îles Éparses est assez bonne, celle de l'île de Bassas da India, qui est à la fois couvrant et découvrant, l'est moins.

À l'IFM, nous sommes pour la coopération internationale, fondée sur la notion de l'océan, comme bien commun de l'humanité. Notre proposition a fait l'objet, du moins dans l'affichage, d'une forme de consécration, puisqu'elle a été reprise par le Président de la République, en ouverture de son grand discours maritime aux assises de Montpellier, en décembre 2019. Il faut faire évoluer notre conception de la souveraineté et envisager les coopérations de façon beaucoup plus ouvertes que nous avons pu le faire jusqu'ici : partager les richesses, partager les connaissances scientifiques, partager les outils de défense. Cette voie nous semble plus porteuse que celle qui consiste à s'arcbouter sur des positions qui, d'ailleurs, risquent d'être contestées devant des juges internationaux : le différend entre la Chine et les Philippines en 2015 a montré qu'il pouvait conduire à des positions, s'agissant de la définition des îles, qui n'iraient pas forcément dans le sens des intérêts français.

Comment les outre-mer peuvent-ils être intégrés dans la stratégie indopacifique française ? La question est un peu prématurée car je dois m'y pencher dans le cadre de l'Académie de marine et de l'Institut français de la Mer, pour le compte du chef d'état-major de la Marine. Je vous donnerai donc volontiers un rendez-vous ultérieurement. À ce stade, je peux indiquer que s'agissant de l'océan Indien, la Marine est très largement impliquée dans une coopération qui est l'Indian Navy Ocean Symposium, actuellement présidée par le chef d'état-major de la Marine française, l'amiral Pierre Vandier, et que des travaux vont être initiés sur la protection environnementale, écologique et sur la sécurité.

Comment articuler la politique maritime national et les politiques locales ? Dans le cadre de la stratégie nationale pour la mer et pour le littoral, des stratégies de bassin ont mises en place permettant des dialogues entre acteurs économiques. Le Cluster maritime français et les clusters maritimes ultramarins travaillent beaucoup et constituent de très bonnes instances de concertation. Bien sûr, la prise en compte des souhaits des collectivités territoriales doit être améliorée, mais je rappelle que la compétence en mer est régalienne, elle appartient à l'État à partir de la laisse de basse mer, ce qui est une raison de plus pour engager le dialogue. Je suis plutôt optimiste car, depuis une dizaine d'années, les instances de dialogue fonctionnent de mieux en mieux.

Comment mieux adapter les moyens d'action de l'État en mer à l'ampleur des phénomènes de narcotrafic et de pêche illégale dans la ZEE guyanaise et au niveau de violence des contrevenants ? C'est une question qu'il faudrait poser aux autorités politiques locales. S'agissant des narcotrafics, l'action des marines repose en bonne part sur la coopération internationale, avec la garde-côte américaine, la marine américaine, les Pays-Bas. Il y a un important travail d'échange de renseignements. Les opérations impliquant la marine, avec l'aide des autres armées, le commandant de zone maritime, sous l'autorité du délégué du Gouvernement de Martinique, fonctionnent, et couvrent tout l'arc antillais jusqu'à la Guyane. Ce suivi est fait mais il est insuffisant, en témoigne l'explosion des prises car ce trafic est encore en voie d'expansion. Les procédures de coopération internationale et les procédures juridiques fonctionnent également, tout est une question de moyens.

S'agissant des pêcheurs illégaux, je rappelle que nous sommes dans le cadre d'opérations de police : l'emploi de la force est contraint par le code pénal et la police ne peut agir qu'en cas de légitime défense. Même si les règles d'engagement sont de plus en plus affinées et ajustées, nous ne sommes pas dans le cadre d'une opération de guerre et donc tout emploi de la force qui serait par trop préventif serait condamné par le juge. Il y a une contrainte juridique et, je dirais même plus, une contrainte de civilisation qui fait qu'on ne fait pas la guerre aux contrevenants, on fait une répression dans le cadre de la loi, ce sont à la fois les contraintes et ce qui fait la grandeur de l'État de droit.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie pour la qualité de nos échanges. Vous avez bien compris l'intérêt que notre délégation porte à ces problématiques, tout particulièrement sur le volet Indopacifique.

Étude sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale - Table ronde sur les atouts et les spécificités de la Guyane

M. Stéphane Artano, président. - Nous reprenons cet après-midi nos travaux sur la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale. Nous nous consacrons cette fois au seul territoire ultramarin qui ne soit pas insulaire, la Guyane. Eu égard à ses spécificités, nous avons souhaité nous pencher sur les atouts et défis de développement de l'économie bleue pour cette collectivité. Ce sera l'occasion de revenir sur la situation des activités traditionnelles, comme la pêche, dont il a beaucoup été question lors de nos précédentes auditions, mais également des filières maritimes prometteuses d'avenir à développer.

Nous accueillons à présent Roger Aron, vice-président de la Collectivité territoriale de Guyane, en charge de l'agriculture, de la pêche et de la souveraineté alimentaire, accompagné de Gilles Le Gall, conseiller territorial en charge de l'aménagement du territoire, Thierry Queffelec, préfet de la Guyane, Aland Soudine, président du Comité régional de la pêche maritime de Guyane, accompagné d'André Florus, premier vice-président, de Léonard Raghnauth, deuxième vice-président, Michel Nalovic, ingénieur halieutique, et Robert Cibrelus, conseiller du président. Sont présents également Éric Sagne, président et Didier Magnan, vice-président du Cluster maritime de Guyane et président de la CPME Guyane, Joël Pied, président d'Agromer Guyane, accompagné de Jocelyn Médaille, vice-président et directeur général de la compagnie guyanaise de transformation des produits de la mer (Cogumer). Nous vous entendrons pour une durée de 10 minutes, sur la base de la trame que la délégation vous a adressée. Je passerai ensuite la parole à nos rapporteurs, Philippe Folliot et Marie-Laure Phinera-Horth, sénatrice de Guyane, ainsi que nos autres collègues, qui vous interrogeront s'ils le souhaitent pour avoir des éclairages complémentaires. Je vous demande de bien vouloir respecter votre temps de parole et de garder votre vidéo allumée, car cette séance fait l'objet d'une captation retransmise en direct sur le site du Sénat et consultable à la demande.

Je vais à présent donner la parole à Monsieur Roger Aron, vice-président en charge de l'agriculture, de la pêche et de la souveraineté alimentaire de la collectivité territoriale de Guyane.

M. Roger Aron, vice-président de la Collectivité territoriale de Guyane, en charge de l'agriculture, de la pêche et de la souveraineté alimentaire. - Bonjour à tous. Merci encore de cette concertation. Notre équipe étant fournie, notre réponse sera diverse. Gilles Le Gall, en charge de l'aménagement du littoral, est également présent. Notre délégation participe aujourd'hui en nombre pour aborder notamment un problème maritime auquel nous sommes confrontés en Guyane : la pêche illégale. Nous constatons depuis un certain nombre d'années que la France n'assure pas sa souveraineté sur le respect de ces zones maritimes. Ce non-respect pose des problèmes de sécurité pour les pêcheurs, des difficultés économiques, car la filière pêche sombre, et pose la question de savoir quand nous pourrons disposer pleinement de nos ressources halieutiques. La Guyane se sent dépouillée par ceux qui viennent se servir sur son territoire. Je laisse maintenant les professionnels entrer dans les détails.

M. Thierry Queffelec. - Le rapport de la Guyane au fait maritime aurait dû être évident pour la population. Les eaux territoriales et la zone économique exclusive française au large de la Guyane représentent une superficie de près de 140 000 km², contre une superficie terrestre de 84 000 km², à laquelle il faut ajouter le plateau continental, l'ensemble recouvrant un important potentiel économique et une biodiversité très riche, qui peut être enviée. Par ailleurs, 84 % de la population guyanaise habite une commune littorale et l'essentiel des échanges commerciaux s'effectue par voie maritime, à près de 95 %, tout comme l'entrée d'une partie du matériel du CNES.

Pour autant, le développement de la Guyane, seul outre-mer français non-insulaire, s'est historiquement tourné vers l'exploitation de sa partie terrestre, bien plus que maritime. La mer y est longtemps restée associée, dans l'imaginaire collectif, au danger, à tel point que l'architecture de Cayenne tourne le dos à la mer. L'enjeu est donc bien celui de l'appropriation par le territoire de son espace maritime, porteur de très fortes opportunités économiques et abritant un patrimoine naturel à préserver. L'État et les acteurs publics tiennent un rôle dans cette démarche.

Celle-ci doit d'abord passer par la connaissance du milieu. Le territoire maritime au large de la Guyane est insuffisamment connu et recensé, ou de manière très inégale selon les zones. Notre objectif est d'ouvrir la voie à l'ensemble des activités économiques. Par exemple, nous avons un potentiel d'exploitation de plusieurs gisements de granulats marins qui aideraient l'effort de construction sur la Guyane. L'état des stocks halieutiques doit quant à lui faire l'objet d'un recensement pour établir une gestion durable de la ressource et connaître les perspectives de développement de la filière pêche. Ce sujet est suivi avec attention par le Comité régionale des pêches maritimes et des élevages marins (CRPMEM), et la démarche actuelle de suivi de certains stocks devra être prolongée.

Le milieu marin est également soumis aux risques naturels, bien que nous échappions aux cyclones. L'érosion côtière nous pose ainsi certains problèmes.

Nous souhaitons en outre revenir sur la notion de responsabilité de l'État concernant la sécurité, la navigation et l'exercice des polices en mer, une mission régalienne. Nous dépendons du Centre régional opérationnel de surveillance et de sauvetage (CROSS) Antilles-Guyane, basé à Fort-de-France. Les équipes de la Direction générale des territoires de la mer (DGTM) sont parfaitement opérationnelles et s'emploient à d'autres missions, comme l'entretien et la mise à jour de la signalisation maritime, nécessaires à la sécurité de la navigation. Le chenal de Kourou en est un exemple. Les missions de police contre les activités illégales en mer existent bel et bien. L'effort des services de l'État en la matière est constant. Les deux dernières semaines de l'année dernière, deux destructions ont été réalisées à l'est et une saisie de matériels et de cargaisons à l'ouest. Nous finalisons actuellement une opération qui conduira à la saisie de petits et de gros bateaux, qui passent à la découpe en moins de 48 heures. Des peines de prison sont appliquées aux personnes en rébellion avec les forces de l'ordre, qui sont incarcérées avec des peines allant jusqu'à deux ans de prison au Brésil. Notre synergie est assez forte, alliant les actions du procureur, des armées, ou encore des services administratifs de la DGTM. En termes de communication, la population et les personnes qui ont la responsabilité de la mer sont informées des moyens qui se mettent en place.

L'action suivante est l'instauration d'une gouvernance dédiée aux politiques publiques maritimes. Le conseil maritime ultramarin (CMU) de Guyane est la seule instance réunissant les représentants des différents acteurs du maritime. Après une période de ralentissement liée à la pandémie, ses travaux ont repris en 2021 avec deux réunions plénières et plusieurs commissions et réunions dédiées à l'élaboration du document stratégique de bassin maritime (DSBM), qui sera un document fondateur des actions que nous devons entreprendre. Les échanges au sein du CMU ont été riches et ont permis d'identifier des points de désaccord entre acteurs, mais également de nombreuses orientations consensuelles. Sur cette base, le projet de DSBM est actuellement soumis à la consultation du public. Il sera complété d'un plan d'action, et soumis à un cycle de consultations pour avis en 2022. L'objectif est de pouvoir doter la Guyane de ce document de planification stratégique maritime en novembre 2022.

Du point de vue de la protection et la gestion durable du milieu marin guyanais, seules 0,64 % des eaux sous juridiction française au large de la Guyane sont couvertes par une aire marine protégée. Ce chiffre très faible doit progresser, dans l'acceptabilité et le respect de la notion de besoins de ressources et de la souveraineté alimentaire. La connaissance et la protection des milieux sont ressorties comme des enjeux forts lors de l'élaboration du DSBM. Elles renvoient à des engagements internationaux ou nationaux, mais également à des préoccupations du quotidien des citoyens : qualité des eaux de baignade, préservation des paysages, pêche de loisir durable, etc. Ce document fertile et fécond sera donc tout à fait porteur.

Enfin, s'agissant de l'accompagnement des porteurs de projets maritimes, le développement de projets économiques maritimes doit être une priorité. Qu'il s'agisse de projets de grande envergure (plateforme portuaire offshore, dragage du chenal d'accès au port de Saint-Laurent, création d'une offre touristique pour la croisière, dragage de granulats marins) ou plus modestes (construction d'un navire de pêche, manifestation sportive ou culturelle, visite guidée, etc.), les initiatives privées sont nécessaires pour développer l'économie maritime guyanaise.

La Guyane compte plusieurs avantages comparatifs : une cohabitation en mer apaisée avec peu de conflits spatiaux entre acteurs économiques locaux, un bassin géographique international dynamique, par exemple avec la prospection et l'exploitation pétrolière prochaine au large du Guyana et du Suriname, et enfin un statut de RUP permettant de bénéficier des fonds structurels et d'investissement européens pour cofinancer des projets lourds et majeurs, à hauteur de plusieurs dizaines de millions d'euros.

M. Aland Soudine, président du Comité régional des pêches maritimes de Guyane. - En tant que président du CRPM, je vous présente mes conseillers : Robert Cibrelus et Michel Nalovic, ingénieur halieutique. Nous allons aborder les sujets de la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN), des infrastructures, des exportations de produits, la pêche hauturière et les activités de la filière.

M. Michel Nalovic, ingénieur halieutique au Comité régional des pêches de Guyane. - Bonjour à tous. Il est très important de connaître la ressource. Or l'Ifremer rencontre des limites en termes d'embauche, alors que les travaux restent nombreux. De plus, au vu des protocoles sanitaires, il n'est pas capable de mener de campagne scientifique en mer. Depuis deux ans, nous ne disposons ainsi plus d'échantillonnages en mer. L'amélioration des connaissances sur la ressource est dès lors bloquée. Il importerait de permettre aux flottilles guyanaises d'occuper l'espace avec ses propres bateaux, dans l'attente de la reprise des travaux de l'Ifremer. Pour ceci, les bateaux doivent partir en mer et ont besoin des marins, qui ont aujourd'hui beaucoup de difficulté à régulariser leur situation administrative. Un guichet unique permettant aux marins de clarifier leur situation serait ainsi utile.

Les rapports internationaux aujourd'hui publiés indiquent que les ressources à l'échelle du plateau des Guyanes sont en situation de surpêche. Les indices en Guyane française ne sont pas aussi drastiques ; cela est le résultat d'une pêche limitée et durable par la profession depuis plus de 30 ans. Des exercices de gestion durable ont ainsi été mis en oeuvre par les professionnels, avec le soutien de la collectivité locale. Il serait ainsi utile que la collectivité territoriale de Guyane (CTG) demande la délégation des 100 000 nautiques auprès de la France, qui pourrait le signaler à la Commission européenne. Ceci n'a pas pour effet de supprimer les responsabilités régaliennes de l'État, mais confère un droit de regard local sur la gestion des ressources, dont nous nous sommes montrés capables.

Concernant le manque d'infrastructures, nous disposons de deux structures de catégorie « port » : le port du Larivot et le port de Sinnamary, qui manquent d'éléments permettant de les rendre compatibles avec les règlements européens. Nous disposons également de 10 points de débarquement, qui ont parfois une cale. Il nous est donc très difficile d'envisager une évolution de nos pratiques et une valorisation de nos ressources, si nous ne disposons pas du minimum d'infrastructures nécessaires. Le premier point de débarquement en Guyane, la Crique, à 200 mètres de la direction de la mer et moins d'un kilomètre de la préfecture, est une zone de non-droit, avec un abandon complet de la direction des services vétérinaires, de la douane, de la PAF,...

Je souhaitais également aborder les projets d'une pêche hauturière pour les Guyanais et par la Guyane. Pour ceci, une pêche expérimentale devrait être conduite. Des demandes sont soumises depuis 2018, qui ont été remontées à la direction des pêches maritimes et de l'aquaculture (DPMA). Celle-ci a demandé au Comité national son avis sur cette pêche expérimentale, pratiquée par des flottilles déjà présentes sur le territoire de la Guyane. Le Comité national a remis un avis extrêmement défavorable. Depuis quatre ans, nous ne pouvons avancer sur ce dossier, pourtant très pertinent. Taïwan, la Chine, le Panama, le Venezuela, le Surinam, le Guyana et le Brésil viennent pêcher dans le hauturier de Guyane, mais nous, nous ne le pouvons pas. Nous souhaiterions que soit permise une pêche qui reviendrait aux Guyanes. Il n'est pas utile d'importer des flottilles de Bretagne.

Je passe à présent la parole à Robert Cibrelus concernant l'accès aux fonds financiers et le développement de l'exportation.

M. Robert Cibrelus, conseiller du président du Comité régional des pêches de Guyane. -L'intégration de la Guyane dans l'économie bleue passe essentiellement par une remise à niveau complète des moyens nécessaires au développement de cette filière. Aujourd'hui, nous travaillons en Guyane comme il y a un siècle. Nous n'avons pas de port de pêche digne de ce nom. Nous disposons de quelques pontons flottants, où les pêcheurs déchargent leur cargaison à la brouette. Il est inconcevable de vivre dans un pays européen et d'assister à de telles scènes. Même si nous souhaitons exporter notre poisson, compte tenu des lieux de déchargement et des méthodes utilisées, les grands acheteurs nous tournent le dos. Il faudrait une volonté politique forte pour rattraper ce retard, tant sur le plan des infrastructures que sur le plan bancaire. Très peu de pêcheurs peuvent aujourd'hui prétendre à un financement bancaire pour travailler dans de bonnes conditions. Les usiniers peinent à trouver des banques pour réaliser des avances de trésorerie, car notre pêche est souvent saisonnière.

Vous l'avez dit dans votre propos liminaire ; la Guyane est la seule collectivité ultramarine qui ne soit pas insulaire. Nous sommes toutefois insularisés, puisque nous avons des difficultés à faire sortir le poisson frais de Guyane par la voie aérienne. Nous travaillons actuellement pour trouver des compagnies étrangères permettant d'expédier ce poisson chez nos voisins. Le développement de la filière passe nécessairement par l'exportation de nos produits. Nous sommes 280 000 habitants. Il s'agit du seul secteur autosuffisant. Nous avons de nombreux cours d'eau et la pêche de loisir est conséquente au sein de notre département.

Les fonds européens sont quant à eux difficilement mobilisables par nos pêcheurs. N'ayant pas de trésorerie, ceux-ci ne peuvent pas préfinancer leurs investissements. Ce point obère l'avenir de la pêche en Guyane.

M. Stéphane Artano, président. - Merci messieurs. Je vous propose de passer au Cluster maritime et à la CPME.

M. Didier Magnan, vice-président du Cluster maritime de Guyane. - Après avoir entendu vos propos autour de la filière pêche, ayant moi-même commencé ma vie professionnelle comme marin-pêcheur, étant le petit-fils du fondateur de la Pêcherie internationale de Guyane, et ayant fini ma carrière de professionnel maritime en 2007 en fermant mon entreprise, reproduire des études conduites des années 1960 aux années 2000 ne me semble pas pertinent. Nous disposons d'un historique riche d'études sérieuses et rigoureuses. La pêche hauturière, la petite pêche et les différents modes de pêche ont été largement étudiés. Il ne me semble pas utile de perdre du temps à réaliser de nouvelles études.

Nous avons aujourd'hui une réelle problématique d'occupation de l'espace halieutique. Nous avons une véritable difficulté infrastructurelle en ce qui concerne le milieu fluviomaritime. Nous avons vu ces 30 dernières années une réduction drastique des infrastructures qui orientent les personnes, les professionnels et les plaisanciers vers le milieu fluviomaritime. Nous avons proposé au grand port maritime de Guyane une réunion sur le cas du port de pêche et de plaisance de Dégrad des Cannes en son enceinte. Le grand port maritime nous a adressé une réponse étonnante et inquiétante, réduisant les possibilités qu'offre cette infrastructure à l'accès au milieu fluviomaritime. Nous sommes préoccupés de cette réponse, mais rédigerons une note et tenterons de provoquer un débat et une réunion élargie avec le grand port maritime.

S'agissant de la filière pêche, lorsque j'ai commencé mon activité de marin-pêcheur, nous étions 45 000 habitants et exportions 99 % de notre production. Nous sommes aujourd'hui presque 300 000 habitants, avec 95 000 jeunes scolarisés, ce qui suppose de fournir des cantines, et nous avons l'avantage d'un marché économique porteur pour les circuits courts, qui permettent d'écouler une grande partie de notre production sur le territoire, tout en visant un modèle d'exportation dont les règles doivent être strictement définies. La filière pêche, dans sa situation actuelle, mériterait un grand débat et une grande réflexion sur ses objectifs, les ressources à exploiter, par quels moyens et les marchés à viser, dans l'objectif de définir un marché commercial pour les produits capturés, transformés et mis sur le marché commercial en circuit court ou à l'export. La valeur commerciale doit être suffisamment rémunératrice, afin de relancer un secteur productif permettant une rémunération correcte qui soit un atout et un attrait pour la jeunesse guyanaise intéressée par cette filière. Tant que nous n'aurons pas redéfini ces règles et que notre marché conservera une très faible valeur commerciale pour le produit facturé, je ne pense pas qu'un jeune soit susceptible de s'intéresser à la filière, si celle-ci correspond à une rémunération de 500 ou 600 euros. La restructuration de cette filière est donc urgente.

Nous avons l'avantage d'avoir une ressource abondante, notamment en poissons à forte valeur commerciale, puisque nous avons du poisson à chair blanche, l'acoupa, qui est voisin du bar, ainsi que des crevettes. Après les études menées ces 30 à 40 dernières années, nous maîtrisons aujourd'hui largement les aspects commerciaux de nos produits. La question qui se pose est de savoir comment les pêcher et les transformer, et pour quel circuit. Une réflexion aussi large et rapide que possible me semble urgente pour redéfinir les contours d'une filière artisanale, voire industrielle. La possibilité de la pêche hauturière a notamment été évoquée, en particulier sur des poissons pélagiques. Des recherches poussées conduites entre les années 1990 et 2000 par l'Ifremer portaient sur ce dossier. Celles-ci nous éclaireraient peut-être sur la non-sédentarisation de cet armement, qui a migré vers l'île de La Réunion. Nous avons donc suffisamment d'éléments en notre possession pour identifier les points faibles et forts de la filière.

Relancer une filière sans disposer d'infrastructures susceptibles d'accueillir l'outil de production qu'est le navire, tant hauturier que de petite pêche, me semble compliqué. Nous avons ainsi un dossier complexe nécessitant une réflexion tant sur la problématique des infrastructures permettant de recevoir ces navires que sur la mise en place de filières de formation permettant d'intégrer des marins français guyanais sur ce navire. Je n'accepte pas que des bateaux vénézuéliens pêchent à la place des bateaux français. Nous devons privilégier ces derniers, qu'ils soient martiniquais, guadeloupéens ou bretons. Nous devrions nous appuyer sur ces savoirs et un transfert de technologie le cas échéant, pour lancer une formation française, au travers éventuellement du lycée agricole de Matiti. Il est inconcevable de ne pas bénéficier de l'assistance de ces bateaux, à la place des bateaux vénézuéliens, et qui permettraient d'accueillir nos marins français guyanais, avec une rémunération motivante, mais aussi de mettre en place des outils de transformation qui, par une fiabilisation d'une production certaine à l'année, sur les circuits courts ou à l'exportation, offriraient une rentabilité assurée. À l'inverse, nous avons mis en place des outils de transformation sans avoir la garantie d'une production leur permettant d'être à l'équilibre. Un opérateur dans le circuit de la transformation représente en moyenne cinq personnes dans le secteur productif. Il est donc urgent de traiter la problématique de l'occupation spatiale de la mer. Nous devons travailler rapidement sur un modèle de redéveloppement de la filière pêche pour occuper l'espace tant au niveau du large, occupé par les bateaux vénézuéliens, que côtier. Nous devons également travailler sur la problématique des infrastructures, que nous ne pourrons pas multiplier sur le territoire.

M. Joël Pied, président d'AgroMer Guyane. - Bonjour à tous. La question qui nous préoccupe aujourd'hui est de savoir quelle place retrouver au sein de la stratégie globale de la France sur le plan maritime. Nous ne pouvons ignorer deux aspects. D'abord, 80 % de la biodiversité de la France est située dans les outre-mer. Ensuite, la Guyane est la seule région de l'Europe et de la France située sous la ligne de l'équateur dans la zone sud. Bien qu'il soit logique que la géostratégie s'oriente davantage sur le Pacifique et les grands axes maritimes de l'Antarctique, la zone régionale qui nous préoccupe évolue beaucoup. La Guyane est le parent pauvre de cette politique, puisque rien, en termes de perspectives et d'infrastructures, ne traduit la stratégie de la France dans l'économie bleue sur cette zone, contrairement par exemple au domaine spatial. D'un point de vue régional, nous sommes à côté d'un géant, le Brésil. Le Guyana évolue quant à lui avec la découverte de ressources pétrolifères. Sur le plan de l'exploitation des ressources, notre voisin le Suriname, qui a des caractéristiques semblables à la Guyane, pêche près de 50 000 tonnes à l'année, contre 4 000 tonnes pour la Guyane. La question n'est donc pas tant de savoir comment se porte la ressource, qui est suivie depuis longtemps, en dépit des lacunes des programmes de recherche, mais pourquoi elle est dans cet état. La filière crevettière a été dépecée, sans que des réponses soient apportées sur la question de la ressource. On est parti d'une flottille de 63 navires, avec 4 200 tonnes à l'année, à une production réduite à moins que rien avec quelques navires sur zone.

Nous devons nous donner les moyens d'intégrer cette géostratégie locale. Notre territoire est en effet livré à la captation de ses richesses stratégiques. Nous sommes les spectateurs de ce pillage. Il est donc nécessaire de changer la dynamique. Je rejoins de ce point de vue les intervenants précédents : nous devons parvenir à occuper l'espace, en repensant les filières sur le plan local mais aussi en consolidant l'existant. En effet, de nombreux opérateurs travaillent de façon acharnée et des initiatives sont menées, qui représentent des frais importants. La logique communautaire, avec les normes et protections que nous confère le statut de région ultrapériphérique de l'Europe, devient une contrainte. Nous devons faire basculer ce sentiment, en instaurant un cadre plus favorable à la conduite d'initiatives et à leur développement. L'Europe s'est évertuée, avec les accords ACP, à faciliter l'entrée de la production de ces pays sur le marché communautaire, grâce à des dispositions qui suppriment un certain nombre de taxes. Or le vivaneau qui est pêché dans les eaux communautaires est taxé à hauteur de 15 %. Comment comprendre ces anomalies ? Cette taxation rend automatiquement la production de nos outils de transformation non concurrente par rapport à des produits qui arrivent sur le marché communautaire. Nous devons exploiter la zone de façon raisonnée, en utilisant l'outil de la coopération régionale. Assurer la sécurité des approvisionnements est pour nous déterminant. Nous devons trouver les voies et moyens de garantir les approvisionnements et leur diversité, ce que ne peut offrir actuellement le secteur productif de la pêche. Cela passe par un dispositif de coopération. Il n'y a nulle raison que nous tournions le dos à nos voisins. L'activité avec les ligneurs vénézuéliens est un modèle de coopération extraordinaire, qu'il semble nécessaire de reproduire dans l'état actuel. En Guyane, la production frôle à peine 4 000 tonnes. Le Surinam produit 10 fois plus, et le Brésil plus encore. Il est donc essentiel d'être présent. Ceci nous permettra de répondre au sujet de la pêche illégale.

M. Stéphane Artano, président. - Merci beaucoup pour ce tour de table. Je vais à laisser la parole aux rapporteurs, Philippe Folliot et Marie-Laure Phinera-Horth. Vous pourrez ensuite répondre aux questions qui n'auraient pas été traitées.

M. Philippe Folliot, rapporteur. - Merci, Monsieur le préfet et messieurs, pour les propos que vous avez tenus. Monsieur le Préfet, je reviendrai vers vous plus particulièrement sur la problématique des moyens qui doivent être ceux de l'État pour assurer les missions de contrôle et de souveraineté effectives sur la zone économique exclusive de la Guyane. Au regard des propos qui nous ont été tenus et de ceux de ma collègue, qui ne manquera pas d'attirer notre attention sur ces questions avec passion, conviction et dynamisme, les comportements agressifs, pour ne pas dire belliqueux, de la part de pêcheurs étrangers sur la zone économique exclusive guyanaise, interpellent. La France, qui est la 5e puissance économique mondiale, se doit d'être respectée dans ce cadre. C'est une question de principe, eu égard à la souveraineté, mais aussi de sécurité, du point de vue des pêcheurs concernés. Nous ne devons pas attendre que survienne un drame pour réagir face à cette situation.

Nous avons conscience de l'ensemble des difficultés, au regard de décisions prises par le passé. Nos outre-mer ont été sacrifiés, à certains égards, par rapport aux moyens de la Marine ou de la gendarmerie nationale, en termes de capacité d'intervention. Pensez-vous que l'État, au travers de moyens pérennes ou en provenance des Antilles ou de l'Hexagone, puisse traiter cette question dans de bonnes conditions ?

Nous avons compris les enjeux sur la structuration de la filière. L'État doit se doter de moyens et faire preuve d'une volonté forte et affirmée afin de répondre aux attentes des acteurs locaux.

La Guyane est un territoire auquel nous sommes attachés. Depuis l'Hexagone, il est considéré comme forestier et terrestre, mais vous nous montrez que la mer fait partie des enjeux.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth, rapporteure. - Monsieur le préfet, messieurs les présidents et vice-présidents. Vous avez eu l'opportunité d'évoquer les problématiques que vous rencontrez. Je vous contacte souvent en ce qui concerne la situation des pêcheurs. J'espère que nous saurons trouver des solutions pour pérenniser cette profession. Comme l'a rappelé mon collègue, à chaque audition, qui concerne la place des outre-mer dans la stratégie maritime nationale, j'évoque systématiquement vos problèmes. L'État est aujourd'hui représenté par Monsieur le préfet, qui apportera des éléments de réponse notamment en ce qui concerne les agressions et la pêche illégale.

J'aborderai pour ma part d'autres aspects. Selon vous, quelles solutions faut-il apporter face au vieillissement de la flotte de pêche guyanaise ? Quelles difficultés d'applications persistent s'agissant des aides européennes au renouvellement de flottes ? Comment améliorer les capacités d'accueil du grand port maritime de Guyane ? Quelles sont les solutions prioritaires pour faire face aux faibles tirants d'eau et à l'absence d'outillage de déchargement ? Le développement du port de Saint-Laurent du Maroni peut-il constituer une réponse ? Enfin, comment mieux mobiliser les réserves foncières du port de Dégrad des Cannes pour y permettre l'installation d'entreprises maritimes ?

Le rapport que nous préparons sera remis au Gouvernement. Nous vous auditionnons dans ce cadre, et je vous demande, comme toujours, d'être francs et directs.

M. Thierry Queffelec. - Les pêcheurs illégaux sont divers, provenant du Surinam, du Brésil et du Guyana.

Les forces luttent contre deux phénomènes : la lutte contre l'orpaillage illégal et la lutte contre la pêche illégale. Une lettre de mission très précise a été adressée au ministre des Outre-mer sur la notion de souveraineté de ce département.

Sur la partie maritime, les Surinamiens utilisent des petits bateaux et se cachent la journée dans les mangroves. Ils sont environ cinq à bord. Plus à l'est, nous observons des bateaux beaucoup plus grands, de 15 à 20 personnes qui ramènent du poisson. Ceux-ci sont particulièrement agressifs. Depuis un an, nous avons augmenté le dispositif opérationnel. Pour autant, les petits bateaux se voient appliquer de simples contraventions par la police administrative et sont privés de leurs filets et poissons. En revanche, nous avons durci les règles contre le modèle de pêche brésilien, ce qui a donné des résultats. Depuis le début de l'année, plus de 152 tonnes de poisson ont été saisies, 173 km de filets et un peu moins d'une tonne de vessies natatoires qui se vendent très bien. Les contrevenants arrivaient pour leur part à échapper à la gendarmerie maritime. Lorsque nous avons commencé à recevoir des tirs de mortier, j'ai demandé à ce que ces opérations soient plus offensives. Il est en outre apparu que les modes opératoires nécessitaient des renforts supplémentaires, que nous avons obtenus rapidement. Nous avons ainsi pu bénéficier de commandos marines de haut niveau, qui appartiennent aux forces spéciales. Face à l'agressivité des équipages brésiliens, nous avons débuté des actions en juillet, que nous venons de renouveler. Les assauts menés sont pour ainsi dire militarisés. Toute la chaîne administrative y participe. Nous obtenons ainsi des résultats tangibles, avec des peines de prison plus fortes prononcées. L'esprit de défense est très clair. Nous disposerons dorénavant de quatre affectations de commandos marines dans des périodes de contrôle renforcé. La gendarmerie maritime développe quant à elle son savoir-faire. Enfin, des outils d'optronique seront prochainement testés, qui nous permettront d'acquérir très rapidement des images, qui nous serviront notamment auprès du procureur.

M. Aland Soudine. - Pour revenir sur la pêche clandestine, comme vous l'indiquez vous-même, Monsieur le préfet, les pratiques sont agressives. Vous pouvez donc imaginer ce que nos pêcheurs subissent en mer. Ils ne peuvent rejoindre leur zone de pêche, en raison de la présence de ces bateaux. Nos pêcheurs ont peur. Des bateaux ont été braqués puis laissés à la dérive, les marins ligotés à bord. Il est donc nécessaire de trouver des moyens qui nous permettront de pêcher davantage et de gagner correctement notre vie.

M. Gilles Le Gall, conseiller territorial de la collectivité territoriale de Guyane. - Je suis membre du Conseil maritime ultramarin depuis quelques années et nouvellement élu à la collectivité territoriale de Guyane, en charge de l'aménagement du littoral. Il est grand temps que la Guyane se tourne vers la mer. Nous avons 70 ans de retard. L'État doit faire le nécessaire en ce sens. Nous avons évoqué les 500 km de côte ; seuls 10 % sont utilisés. Il s'agira d'investir tous les moyens nécessaires pour occuper cet espace littoral maritime.

Nous avons échangé sur la pêche. Si celle-ci est importante, nous devrons également nous occuper d'autres formes d'économie, qui n'existent que très peu en Guyane. Nous avons développé un grand port maritime à Cayenne. Madame la Sénatrice, il est nécessaire de développer le second, sur le Maroni, pour réaliser des approvisionnements au profit d'une ville qui comptera plus de 100 000 habitants dans quelques années. Il existe des soucis de tirants d'eau, qui peuvent néanmoins être réglés, par exemple par du dragage, comme à Kourou. Au-delà, il s'agira de développer des marinas de façon conséquente, ce qui demande des efforts considérables de la part de l'État, à hauteur de plusieurs centaines de millions d'euros. Ceux-ci sont actés dans les accords de 2017, avec le plan additionnel de 2 milliards d'euros. Ces marinas pourraient être implantées facilement et font déjà l'objet de projets depuis de nombreuses années, comme à Stoupan et à Kourou, où la marina pourrait accueillir 300 ou 400 anneaux de bateaux. Ces deux projets peuvent être dupliqués sur le Maroni. Ces marinas sont situées sur « l'autoroute » entre les Caraïbes et l'Amérique du Sud, notamment le Brésil ; nous pourrions accueillir une multitude de bateaux, ce qui se traduirait par une économie considérable. En conséquence, 5 000 emplois directs seraient immédiatement créés sur la façade maritime.

Je citerai également toutes les structures de loisirs. Tous les clubs nautiques méritent d'être développés et dupliqués sur la façade guyanaise, ce qui se traduira par une économie touristique très importante.

M. Michel Nalovic. - La lutte contre la pêche illégale en mer rejoint la lutte contre l'immigration clandestine en Guyane et contre l'orpaillage illégal, sans parler des flux de Covid transitant par cette voie maritime. Nous avons un engagement de l'État sur 120 jours dédiés à la pêche illégale en mer, ce qui laisse à l'inverse un nombre conséquent de jours pour la pêche illégale et d'autres activités dans l'année. L'armée guyanaise compte 2 800 personnes, dont 800 personnes dans l'air et 80 dans la marine nationale. Nous comprenons qu'il existe des problèmes de recrutement. Le vire-filet la Caouanne est un navire magnifique, conçu spécifiquement pour la lutte contre la pêche illégale, qui saisit 200 km de filets par an, soit les filets de 10 à 20 navires illégaux au total. Ce navire pourrait saisir beaucoup plus de filets, s'il était équipé : il n'est pas armé, et est donc vulnérable.

En 2014, l'État s'est fermement engagé à équiper les zones transfrontalières de radars, pour réaliser de la surveillance depuis la terre. En 2017, d'autres engagements ont été pris pendant les accords de Cayenne pour mettre en place des moyens ultra légers, des bateaux de type « caïd », en aluminium à très faible tirant d'eau et équipés de moteurs hors-bord. Les moteurs in-bord, en effet, ne sont pas adaptés à la Guyane. Si ces moyens légers étaient en permanence présents sur les zones transfrontalières, nous n'aurions pas besoin de déployer des bâtiments de guerre.

Un très fort appui politique à l'échelle européenne est en outre indispensable, afin que le Brésil, qui pêche illégalement depuis 20 ans en Guyane, soit informé de l'existence d'un règlement sur la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (INN) et qui prévoit des « cartons » jaunes et rouges. Un règlement INN s'impose en effet.

Enfin, au lieu de payer 12 000 euros pour mettre à la casse un navire saisi, ce qui représente 600 000 euros pour 50 navires, l'État pourrait s'équiper des moyens permettant de le faire à moindre coût, plutôt que de recourir à des prestataires.

M. Stéphane Artano, président. - J'ai quelques interrogations sur le volet de la pêche. J'ai présidé l'organisation des pêches de l'Atlantique nord-ouest (Opano), une organisation internationale de pêche, pendant six ans. J'ai également siégé comme chef de délégation pour Saint-Pierre-et-Miquelon pour la pêche aux thonidés dans votre région lors de la 23e réunion de la mission internationale pour la conservation des thonidés (ICCAT). La France participe à des instances de pêche internationales et régionales. Généralement, celles-ci prennent des dispositions sur les pêches illicites ou illégales. Est-ce votre cas ?

J'ai entendu une remarque concernant le fait que les quotas français doivent être pêchés par les bateaux français. Cette même question se pose à Saint-Pierre-et-Miquelon, et suppose que nous soyons en capacité de les pêcher. Dans le cas contraire, les accords commerciaux doivent profiter à l'industrie locale. Ceci peut renvoyer à une question de politique d'attribution des quotas par le Gouvernement français. Cette question a-t-elle été abordée ?

M. Thierry Queffelec. - S'agissant des quotas, 45 licences de pêche vénézuéliennes sont délivrées.

M. Michel Nalovic. - Celles-ci ne correspondent pas à un quota mais à des licences octroyées par la Commission européenne. Il n'y a donc pas de total admissible de capture pour le vivaneau par exemple. La limite de l'effort se fait par le nombre de jours en mer pour les bateaux présents. Si 45 licences sont délivrées, il n'y a jamais 45 bateaux sur la zone. La pêcherie crevettière s'est quant à elle réduite drastiquement suite aux analyses de l'Ifremer, qui restent néanmoins lacunaires, car fondées sur un modèle d'analyse de population virtuelle (VPA), qui n'est pas adapté à une phase de décroissance d'un type de pêche. Pour mettre en oeuvre le modèle de dynamique de population de type SS3 (stock synthesis), il est nécessaire de conduire des campagnes en mer, ce qui n'a pu être fait depuis deux ans.

Concernant l'absolu besoin de renouvellement de la flotte, qui est avéré en Guyane, l'une des conditions pour l'octroi par la Commission européenne des financements alloués à ce renouvellement est la disponibilité de la ressource, qui dépend de ces évaluations. La pêche illégale porte donc préjudice à la ressource, mais nous ne pouvons renouveler notre équipement pour protéger notre ressource. Nous ne pouvons mobiliser des études datées de 20 ans. Pour mener à bien nos ambitions, le renouvellement de la flotte devra se faire en parallèle de celui des études.

M. Stéphane Artano, président. - Sur Saint-Pierre-et-Miquelon, nous avons un processus de contractualisation entre la collectivité et l'État sur le développement d'un plan pêche et de la filière pêche, qui permet de structurer une démarche et de fixer des objectifs, voire d'obtenir au niveau européen des crédits dédiés.

M. Michel Nalovic. - Un plan pêche a été élaboré il y a quelques années. Les sujets que nous relevons sont des points de blocage avérés au sein de ces actions.

M. Philippe Folliot, rapporteur. - Monsieur le préfet, je voudrais revenir sur certains points que vous avez identifiés. Vous avez indiqué que les moyens dont vous disposez vous permettent d'assurer une surveillance effective 120 jours par an. Quid des autres jours ? Quels moyens spécifiques pourraient vous être octroyés à cette fin ? Il a par ailleurs été indiqué que la Guyane comptait 2 800 militaires, dont 80 dans la Marine. Force est de constater que 97,5 % de notre zone économique exclusive est liée aux outre-mer, mais que plus de 90 % des moyens de la Marine, en tonnage, sont dans l'Hexagone. Comment pourrions-nous vous appuyer pour disposer de moyens supplémentaires pour assurer une permanence de cette mission ?

S'agissant des bateaux de pêche illégale, certains d'entre eux pourraient-ils être saisis et réaffectés ? Enfin, l'utilisation de drones permettrait-elle d'assurer la surveillance nécessaire ?

M. Thierry Queffelec. - Nos moyens aéromobiles sont parfois un peu désuets. Nous ne pouvons pas perdre la vie d'un homme ultra-formé pour quelques kilos de poissons. En conséquence, lorsque nous avons besoin d'éléments performants, nous nous adressons à la métropole, avec de plus en plus de succès. Pour intervenir sur des sites d'orpaillage, par exemple, nous avons besoin de personnes spécialisées dans le combat rapproché et la légitime défense. Ils se sont adaptés à l'utilisation d'armes non létales. La découpe de bateaux donne en outre lieu à une image retransmise en direct, qui a de l'importance en termes de communication.

Je m'étonne en outre de l'annonce de 120 jours. En 2021, je peux vous assurer que les acteurs sont opérationnels. La police de l'aire et des frontières (PAF) est associée à la capture des navires.

Les marins, à leur arrivée, réalisent un test PCR et sont pris en charge dans le cadre de l'immigration clandestine, et donc raccompagnés.

L'enjeu est de traiter la chaîne administrative dans sa totalité. Nous avons démarché la CTG dans le cadre de l'aide sociale à l'enfance, car nous savons que parmi les jeunes marins pêcheurs arrêtés, il y a des mineurs.

S'agissant des radars, ils supposent des forces d'intervention immédiates dont nous ne disposons pas. Nous ne réalisons que du contrôle de zone.

Les armées ont un regard très favorable sur les actions que nous menons. Quatre opérations de renfort des commandos marines sont planifiées.

M. Stéphane Artano, président. - Nous sommes très heureux d'avoir pu organiser cette table ronde et de revenir sur les sujets qui nous préoccupent. Sentez-vous libres de nous faire part de contributions écrites, dont les rapporteurs pourront se nourrir.

Je cède la parole au Cluster maritime de Guyane.

M. Didier Magnan. - Nous rencontrons une problématique sur le développement d'infrastructures sur le territoire guyanais, en raison d'un certain nombre de contraintes liées au Schéma d'aménagement régional (SAR), qui sera prochainement révisé, en collaboration avec la collectivité territoriale. Un projet privé très ambitieux de marina a été voté mais ne peut se poursuivre à ce stade, pour deux raisons : le SAR, qui restreint deux tiers du projet, et la loi « littoral », qui l'empêche dans sa totalité.

M. Éric Sagne, président du Cluster maritime de Guyane. - Il est indispensable de disposer rapidement d'une infrastructure portuaire à Saint-Laurent, afin de développer ce territoire, qui présente un potentiel industriel et économique. En tant que président du Syndicat des pilotes maritimes, je participe aux travaux de recherche de solutions concernant le dragage, qui avancent difficilement.

Concernant le grand port maritime, une étude a été conduite sur le cabotage dans la grande région, allant du Brésil à Georgetown. Il sera intéressant de développer cet aspect de cabotage régional.

M. Jocelyn Medaille, Agromer Guyane. - La pêche illégale reste présente, en dépit des efforts de l'État. L'année 2021 fut la pire depuis 15 à 20 ans. La production débarquée a drastiquement chuté, en poissons, en crevettes ou en vivaneau. La pêche illégale y est pour beaucoup. Au-delà de l'impossibilité de pêcher dans certaines zones en raison de la présence de bateaux étrangers, les bateaux de pêche guyanais restent en outre à quai par manque de marins, faute de renouvellement de cartes de séjour notamment.

Il est nécessaire que la filière se rassemble pour avancer sur les points d'achoppement que nous observons.

M. Stéphane Artano, président. - Je vous remercie pour ces précisions. Je cède la parole au premier vice-président de la CTG pour conclure cette table ronde.

M. Roger Aron. - Merci à tous d'avoir participé à cet échange très riche. Monsieur le préfet, le chiffre de 120 jours nous a été fourni par le ministère lors de notre dernière rencontre.

Nous avons ici initié un dialogue ; je souhaiterais que nous adoptions des mesures plus ambitieuses sur la pêche illégale. Il en va de la survie du secteur de la pêche et de la souveraineté alimentaire de la Guyane. Nous devons changer de logique et parvenir à faire avancer notre territoire, dont nous sommes tous fiers.

M. Stéphane Artano, président. - Merci Monsieur le président et messieurs, pour vos contributions.