Jeudi 16 décembre 2021

- Présidence de M. Bernard Jomier, président -

La réunion est ouverte à 10 h 30.

Audition de responsables de services d'urgence- Professeur Louis Soulat, Centre hospitalier universitaire de Rennes, docteur Benoît Doumenc, hôpital Cochin (Paris), docteur Caroline Brémaud, Centre hospitalier de Laval, docteur Tarik Boubia, Centre hospitalier de Clamecy, et docteur François Escat, médecin urgentiste libéral à Muret

M. Bernard Jomier, président. - Mes chers collègues, nous poursuivons nos travaux par une audition commune de responsables de services des urgences.

Je suis heureux d'accueillir le professeur Louis Soulat, chef du service des urgences du centre hospitalier universitaire (CHU) de Rennes et du service d'aide médicale urgente (SAMU) d'Ille-et-Vilaine ; le docteur Benoît Doumenc, chef du service des urgences médico-chirurgicales de l'hôpital Cochin à Paris ; le docteur Caroline Brémaud, cheffe du service des urgences du centre hospitalier de Laval ; le docteur Tarik Boubia, chef du service des urgences du centre hospitalier de Clamecy ; et le docteur François Escat, médecin urgentiste libéral à la clinique d'Occitanie de Muret.

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Il est pour nous très important d'entendre les responsables de services des urgences. Ces services illustrent de manière emblématique les tensions que connaît notre système hospitalier et les répercussions sur l'hôpital de certains dysfonctionnements dans l'organisation des soins. Il nous paraissait nécessaire d'entendre des acteurs de terrain représentant toute la gamme des établissements, y compris privés, situés aussi bien dans des métropoles que dans des villes moyennes ou des territoires ruraux.

Je remercie donc les médecins présents aujourd'hui de s'être rendus à notre convocation, en venant parfois de loin.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Mme Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal. J'invite donc chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Louis Soulat, M. Benoît Doumenc, Mme Caroline Brémaud, M. Tarik Boubia et M. François Escat prêtent successivement serment.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Je voudrais à mon tour remercier l'ensemble des intervenants de leur disponibilité.

Comme l'a indiqué M. le président, lorsque l'on parle des difficultés de l'hôpital, ce sont souvent les urgences que l'on cite en premier. Leur activité a doublé en vingt ans et les tensions dans les services d'aval conduisent à leur engorgement. La crise sanitaire a accentué ces phénomènes.

Mais, à travers les urgences, c'est aussi la question du recours à l'hôpital, de sa place dans notre système de santé et de sa vocation à offrir un accès permanent aux soins vingt-quatre heures sur vingt-quatre tous les jours de l'année qui est posée.

Nous souhaiterions que vous nous présentiez tout d'abord un point de la situation de vos services, notamment en matière d'évolution de l'activité, d'effectifs et de conditions de prise en charge des patients.

Nous pourrons ensuite évoquer plus particulièrement les aspects liés aux ressources humaines, à la gestion de l'amont des urgences - la permanence des soins, la prise en charge des soins non programmés - et aux difficultés d'hospitalisation en aval.

Professeur Louis Soulat, chef du service des urgences du centre hospitalier universitaire de Rennes et du SAMU d'Ille-et-Vilaine. - La médecine d'urgence est une jeune spécialité. La première promotion de ces nouveaux internes est arrivée au mois de novembre 2021. Nous aimerions leur donner une vision différente de la médecine d'urgence, ainsi que l'envie et la possibilité de vieillir comme urgentistes. La spécialité a trois composantes : une activité de régulation médicale SAMU très importante, une activité pré-hospitalière de soins d'urgence avec les services mobiles d'urgence et de réanimation (SMUR) et une activité dans les urgences hospitalières, qui est souvent celle dont on parle de manière très négative.

En parallèle, notre coeur de métier - beaucoup de collègues, en médecine de ville comme dans l'hospitalier, l'ont oublié - est de qualifier, d'évaluer, de trier et d'orienter un besoin de soins. La grande force de notre système français, qui est assez exceptionnel, est d'organiser des parcours très spécialisés pour des soins aigus : infarctus, accident vasculaire cérébral.

Le problème est que notre coeur de métier est censé être centré sur ces notions d'évaluation, de tri et d'orientation, c'est-à-dire sur la prise en charge initiale du parcours de soins. Mais l'activité est très forte, en amont du fait de à la venue de patients qui pourraient selon nous être gérés par des structures de soins non programmés, et en aval, principalement pour des patients âgés, aux pathologies multiples, plus difficiles à orienter vers des services ultraspécialisés dans lesquels les lits, réduits à la suite du virage ambulatoire, sont en outre en nombre insuffisant. Les patients relevant, selon nous, de soins non programmés viennent parce qu'ils n'ont plus accès à leur médecin traitant - c'est ce que l'on appelle l'offre ambulatoire -, avec un virage qui a été très net en 2002 : la réorganisation nécessaire de la médecine de ville s'est en partie traduite par le réaménagement de la permanence des soins sur la base du volontariat.

La situation est aujourd'hui extrêmement compliquée. La mise en place de la tarification à l'activité dans les hôpitaux, avec l'argument selon lequel les services des urgences voyant leur activité augmenter recevraient plus de financements, a été une manière de nous duper.

Notre coeur de métier est performant. Il nous permet d'apporter un bénéfice important pour les patients. Sur le papier, il est attractif pour les urgentistes. En plus, et c'est pour cette raison que je suis en hôpital public depuis trente-cinq ans, il repose sur un principe d'équité et d'accès aux soins pour tous.

Mais le report sur les urgences d'activités n'en relevant normalement pas a des conséquences : inadéquation entre les moyens et l'évolution de notre activité, épuisement des équipes, insatisfaction, sentiment de travail inachevé. Cela conduit à des départs et à des réorientations. Il y a une vraie inquiétude pour les fêtes de fin d'année. Un tiers des services sont en énorme difficulté, avec l'impossibilité de tenir toutes les lignes de garde, et un tiers sont saturés faute de lits d'aval disponibles, et pas seulement en raison des hospitalisations liées au covid, plutôt inférieures à ce que nous avons pu connaître. Notre problématique concerne donc l'attractivité. Comment donner envie aux urgentistes de travailler à l'hôpital pendant des années ?

Le système hospitalier est trop complexe. Nous avons besoin d'adaptabilité dans nos services d'urgence. Nous avons su le faire pendant la crise covid, mais il y a eu un retour en arrière complet après le Ségur de la santé. Cela creuse encore le fossé entre direction et soignants. On ne peut pas avoir une gestion purement comptable. Il faut pouvoir adapter les moyens selon l'activité. Que l'on nous permette au moins de mettre en place des organisations pour le tiers des services qui sont en difficulté à cause de problèmes de suractivité.

Il faut également valoriser les métiers des soignants, qui sont en souffrance. Si le Ségur a eu des effets en termes de salaires, je pense qu'il faut humaniser les métiers et, surtout, arrêter d'opposer les catégories de soignants entre elles. On remplace trop souvent des aides-soignants par des infirmiers. Or ce ne sont pas les mêmes métiers. Les ambulanciers qui sont en grève depuis des mois dans certains hôpitaux ont besoin d'une reconnaissance. Selon les directions hospitalières, il n'est pas possible de leur accorder le statut de soignants du fait des différences de grilles salariales. Cela démotive des professionnels pourtant très engagés.

Surtout, il y a une déqualification de la médecine d'urgence, avec une confusion entretenue par certains entre secours et soins urgents. La médecine d'urgence, ce sont des soins d'urgence ; le secours, c'est autre chose. Notre métier, c'est la médecine d'urgence hospitalière et extra-hospitalière. Les SMUR sont non pas des secours, mais des soins d'urgence et de réanimation. Nous sommes très opposés à la loi instituant un numéro unique pour les secours. Si nous voulons maîtriser l'aval, il faut mettre en place le service d'accès aux soins (SAS).

Ce qui nous dérange le plus, c'est l'image qui est donnée des urgences dans les médias : patients sans brancard, maltraitance, délais d'attente, services saturés, perte de chance, pénibilité du travail. Pourtant, le pacte de refondation des urgences prévoyait d'inverser la tendance.

De même, il est surprenant d'entendre parfois que les patients reçus aux urgences - « nos » patients - viendraient perturber l'organisation des services d'aval. On a beaucoup trop orienté ces services sur les soins programmés, pour réduire le nombre de lits. Aujourd'hui, nous sommes dans une impasse. On oppose trop souvent le programmé et le non-programmé alors que les flux de patients aux urgences sont prévisibles et peuvent être anticipés pour les périodes épidémiques.

J'insiste sur la confusion entre secours et urgences : pour nous, il est très difficile d'imaginer d'être sous la coupe d'un ministère autre que la santé.

Le ressenti des urgentistes aujourd'hui est qu'il y a une désaffection. Je me qualifie de professeur low cost, ayant passé trente ans dans un service d'hôpital rural à devoir face à toutes les problématiques de désertification médicale. Aujourd'hui, les urgentistes ont l'impression d'une désaffection des collègues de la médecine de ville pour la permanence des soins ambulatoires, qui relève pourtant de leur compétence. On constate des déséquilibres très forts, notamment en termes de pénibilité et de charge de travail. Nous sommes l'une des rares spécialités à assurer une permanence des soins. On constate aussi des différences de rémunération, par exemple entre des praticiens qui font à peu près le même métier dans un centre de régulation médicale mais interviennent sous des statuts complètement différents. C'est parfois blessant, à tel point que certains font le choix de quitter l'hôpital.

L'hôpital a aussi souffert du recours à l'intérim, que la loi Rist vient encadrer. Cela a créé un déséquilibre important.

La réalité est que les urgences sont la seule lumière allumée. Il est nécessaire que le flux des urgences soit contrôlé, il faut que l'accès passe par un numéro d'urgence. Il faut donner de l'attractivité au métier d'urgentiste, ce qui implique une diversification de l'activité. Il faut décider d'organisations adaptées en « double gouvernance », entre direction et responsables de service. Il faut harmoniser et simplifier les statuts, notamment pour les ambulanciers. Il faut aussi être capable d'organiser nos équipes avec une évolution de l'activité : il n'est pas normal qu'à soixante ans, je fasse encore huit à dix gardes par mois. La pénibilité de la permanence des soins a été la grande oubliée du Ségur.

Il faut organiser l'aval des urgences, avec des cellules de gestion des lits structurées à l'échelon territorial, fonctionnant 24 heures sur 24. On peut définir le besoin journalier minimum en lits (BJML). Nous savons qu'il y a des périodes de tensions reproductibles, donc prévisibles chaque année. Malheureusement, nous avons du mal à mettre en place une telle organisation dans les hôpitaux, car la priorité a été donnée aux soins programmés sur les soins non programmés, alors que ceux-ci relèvent de toutes les spécialités.

Il n'y a pas que les services hospitaliers qui doivent prendre en charge les patients à la sortie des urgences. C'est aussi le rôle des structures permettant le retour à domicile dans de bonnes conditions, « l'aval de l'aval ».

Je suis intimement convaincu que l'expérimentation du service d'accès aux soins (SAS) est la priorité. Il faut développer ces systèmes, qui vont nous permettre d'organiser de véritables parcours de soins adaptés aux besoins de santé et, surtout, de diminuer le passage aux urgences. Cela passe par un numéro d'urgence santé.

La réorganisation de la permanence des soins ambulatoires (PDSA) est également importante. Il va falloir s'interroger sur la participation aux gardes de l'ensemble des collègues.

Enfin, actuellement, il y a plus de 600 structures d'urgence en France. Faut-il toutes les maintenir ouvertes en nuit profonde ? Le régime des autorisations des structures d'urgence est en cours de modification et il sera possible d'avoir des services ouverts sur une amplitude limitée. Peut-être faut-il accepter le principe de fermer la nuit celles qui ont une faible activité pour maintenir les SMUR qui assurent les soins d'urgence et renforcer en parallèle les services qui accueillent les patients réorientés en nuit profonde. C'est un vrai débat, qui nécessitera une grande pédagogie auprès des élus. À Vitré, les urgences ferment la nuit depuis un an. Cela a été précédé d'un travail avec les élus et les responsables hospitaliers pour trouver une solution adaptée aux besoins des patients.

Docteur Benoît Doumenc, chef du service des urgences médico-chirurgicales de l'hôpital Cochin à Paris. - Ayant exercé comme médecin généraliste en banlieue pendant plusieurs années, j'ai choisi de regagner l'hôpital. D'une part, en médecine générale, je me sentais un peu isolé ; dans un service d'urgence, on travaille plus en équipe. D'autre part, il n'y a aucune limite horaire pour un médecin généraliste. J'ai participé à la restructuration de plusieurs services d'urgence en Île-de-France : l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), hôpital du Kremlin-Bicêtre, Bichat. J'ai ensuite pris la responsabilité des urgences de l'hôpital Delafontaine à Saint-Denis ; nous avons restructuré ce service, qui était en perdition totale.

Depuis six ou sept ans, je dirige le service des urgences de l'hôpital Cochin et de l'Hôtel-Dieu, qui était dans une grande difficulté à l'époque. Avec mon adjointe, le professeur Florence Dumas, une pure urgentiste, nous en avons mis en place une structure avec un effectif médical quasiment complet. J'ai eu la chance, tant en Seine-Saint-Denis qu'à Paris, d'avoir une direction avec laquelle je pouvais discuter ; nous étions parfaitement conscients, les uns et les autres, de nos difficultés et de nos obligations respectives. Mais la direction a su prendre en compte les besoins, par exemple pour mettre en place une ligne de garde lorsque cela était justifié. Cela permet d'avoir un service qui fonctionne plutôt bien.

Je partage l'analyse globale du professeur Louis Soulat sur la France. Mais il n'y a pas un service d'urgence qui ressemble à un autre service d'urgence.

À Cochin, nous avons peu de malades très graves qui arrivent dans nos urgences grâce à la régulation en amont. Je pense qu'il n'y a pas un problème des urgences. Il y a de grandes difficultés que nous rencontrons tous, mais qui varient selon les endroits où nous exerçons. En moyenne, à Cochin, nous avons entre 160 et 190 passages par jour. Ce taux a évidemment diminué pendant la crise sanitaire. Notre activité est aujourd'hui supérieure à ce qu'elle était avant la pandémie.

Quand on est en effectif médical ou paramédical suffisant et complet, le nombre de passages importe peu. Nous notons actuellement une augmentation du taux d'hospitalisation. Avant la covid, dans ma structure, nous étions environ à 14 % d'hospitalisation. Actuellement, nous sommes plus près de 20 %. Toutefois, il y a une baisse du nombre de lits ouverts. À mon sens, il faut arrêter de dire que nous n'avons pas assez de lits. Mais les différentes spécialités dans l'hôpital doivent prendre conscience de la nécessité de réorganiser leurs services, en tenant évidemment compte de toutes les complexités, afin que les patients admis aux urgences puissent rapidement être pris en charge dans les autres services. Pour ma part, j'ai très peu de problèmes de lits en aval, mais l'accessibilité est très complexe : par exemple, la décision d'accepter un patient dans le service de médecine interne sera prise à dix heures du matin, mais l'admission effective n'interviendra qu'à seize heures, soit la perte de près d'une journée pour la prise en charge du patient, avec des conséquences sur l'efficacité de celle-ci.

J'ai la chance de n'avoir pratiquement jamais de lits brancards. Le fait d'être à effectifs constants permet de fluidifier et de mieux prendre en charge les patients. Les décisions sont prises plus rapidement, plus facilement. Les conditions de travail sont indispensables.

Je rejoins ce que disent mes collègues : dans beaucoup de services d'urgence, les conditions de travail sont inacceptables. Mais il faut aussi que tout l'hôpital travaille dans le même sens.

Si nous avons moins de difficultés pour trouver des lits d'aval, c'est que nous avons une « machine de guerre » : une cellule de gestion des lits, qui ne relève pas des urgences, travaille chaque jour de la semaine pour trouver des lits. Et mes collègues des autres services ont compris que cette cellule leur permettra de trouver des lits dans d'autres services plutôt que de renvoyer les malades vers les urgences quand ils n'ont pas de lit dans leur propre service. Cette cellule nous aide beaucoup.

Nous avons également la chance d'avoir une équipe mobile de gériatrie, vers laquelle nous pouvons orienter certains de nos patients.

Vous devez vous dire que vous entendez enfin un urgentiste qui a l'air heureux. Certes, mais il y a des limites. Avec la fermeture des lits, liée au manque de personnels, toute organisation, aussi bonne soit-elle - nous sommes l'un des services les plus fréquemment choisis par les internes de spécialité à Paris - ne fonctionne pas. Selon moi, l'hôpital est arrivé au bout d'un système.

Docteur François Escat, médecin urgentiste libéral à la clinique d'Occitanie de Muret. - Comme mes confrères, je suis médecin généraliste. J'exerce la médecine d'urgence depuis un peu plus de vingt-quatre ans dans un service d'urgences privé. Je suis également régulateur au sein du centre 15, en permanence de soins ambulatoires, et du service d'accès aux soins. En outre, je suis officier de réserve du service de santé des armées depuis vingt ans.

Je vous remercie de m'avoir convié pour porter la voix de mes confrères urgentistes libéraux, qui exercent dans les 120 structures d'urgences privées de notre pays. Les urgences privées représentent à peu près 15 % des presque 24 millions de passages annuels aux urgences, soit environ 3,5 millions de passages, avec de fortes disparités selon les départements. En effet, 15 %, cela reste conséquent, mais pas énorme ; en revanche, dans une ville comme Toulouse, par exemple, les urgences privées représentent 50 % du total des passages annuels, à l'instar de nombreuses grandes agglomérations de ce pays.

Les services d'urgences privés fonctionnent exactement comme les autres : les médecins ont reçu la même formation, dans les mêmes CHU et les mêmes hôpitaux périphériques. Nous ne faisons aucune sélection de patients. Seuls des critères de capacité en termes d'effectifs et de plateaux techniques peuvent intervenir pour récuser certains patients proposés par la régulation.

Je suis venu vous lancer un appel au secours. Pour en avoir discuté avec les infirmières et les aides-soignantes, les agents de régulation médicale du SAMU 31, mes confrères urgentistes de l'hôpital public et du privé, mes confrères médecins généralistes de ville et mes collègues spécialistes, nous sommes tous épuisés physiquement et nerveusement. Je n'ai pas de solution miracle, mais il est certain que la situation actuelle ne peut plus continuer. Un médecin généraliste débordé : les urgences. Une consultation de spécialité débordée : les urgences. Un désert médical : les urgences. Un cabinet fermé : les urgences. Des délais de rendez-vous allongés : les urgences. Un centre 15 débordé : les urgences. Et les urgences font ce qu'elles font depuis des années, ce que j'appelle les 3T : tout, tout le temps, tout de suite.

Pour faire de la médecine, il faut des médecins, des infirmières, des aides-soignants, des agents des services hospitaliers (ASH). Comme à l'hôpital public, nous faisons face à des vagues de démissions. Pour en avoir longuement discuté avec elles, je peux vous dire que les infirmières craquent. Faire toujours plus avec toujours moins, ce n'est plus possible. J'exerce dans une petite ville, au sud de Toulouse, dans une petite clinique avec 200 lits d'hospitalisation. Notre service des urgences accueille 36 000 personnes par an ! Quand nous l'avons ouvert, voilà vingt-trois ans, on dénombrait 6 000 passages par an. La progression est significative.

Nous sommes six médecins équivalents temps plein (ETP) : deux pendant la journée et un seul la nuit. De la médecine d'urgence, nous sommes passés à la médecine de catastrophe, avec un afflux massif de blessés. Mais c'est une catastrophe permanente : le flux ne s'arrête jamais ; il peut ralentir un petit peu la nuit, mais il ne s'arrête jamais. Nos équipes sont épuisées, et pourtant Dieu sait que nous les aimons et que nous essayons d'en prendre soin.

Comme l'ont déjà souligné mes confrères, nous sommes, nous aussi, confrontés au poids d'une administration folle, faite de formulaires, de protocoles, de réunionite, de référentiels, de normes chronophages sans intérêt réel pour le coeur de notre métier, à savoir le patient et le soin.

Depuis des années, le système essaye désespérément de faire rentrer la médecine dans des cases. Et comme cela est impossible, on tape fort ; mais un carré n'est jamais rentré dans un rond. Cela fait des années que nous tirons la sonnette d'alarme et, chaque année, nous arrivons à passer la période hivernale, classiquement la plus rude. En 2017, l'épidémie de grippe fut plus importante que d'habitude. Je me rappelle partir travailler la boule au ventre : un service plein, des ambulances qui arrivent continuellement, sans aucun lit brancard pour accueillir les patients. Cette année, nous risquons d'avoir la grippe et le covid et je crains que nous ne nous passions pas. Nous sommes débordés, submergés même, à tous les niveaux. Le SAMU, dans sa partie régulation, fait face à des volumes d'appel ingérables. Dimanche dernier, nous avons fini la journée avec plus de 1 700 dossiers. Les temps d'attente, après décroché et avant régulation, sont montés à 1 h 40 : c'est long. Et quand il y a trop d'appels, trop de temps d'attente, on régule un peu moins bien, on envoie vers les urgences.

Les demandes faites par le président de la Fédération hospitalière de France (FHF) aux médecins libéraux de reporter leurs congés de fin d'année ou par le directeur de l'AP-HP de racheter les périodes de congés pour quelques milliers d'euros ressemblent à une manoeuvre de cavalerie. Cela peut fonctionner pour quelques semaines, mais guère plus.

Comme je le disais, pour faire de la médecine, il faut des médecins et des soignants. Une étude récente montre que 50 % des médecins sont au bord du burn-out. Beaucoup de mes confrères se désengagent et cherchent des activités moins intenses psychologiquement.

Je dis souvent en plaisantant que je suis l'énième rejeton d'une vieille dynastie médicale toulousaine. J'entends parler de médecine depuis ma naissance, avec un père professeur d'université, un oncle professeur d'université, un grand-oncle, un grand-père, un arrière-grand-père médecins. J'ai vu évoluer la médecine et les médecins : le système mis en place depuis quelques années a réussi à faire disparaître la sérénité. Or il est essentiel d'être serein lorsque vous remettez en jeu votre diplôme et votre vie à chaque patient. Lorsque le risque médico-légal devient fou, cela nous amène, et c'est humain, à penser par moments plus à nous qu'à nos patients.

L'heure est grave : notre système de soins est au bord de l'implosion, et ce n'est plus une figure de style. Nous sommes tous en train d'y laisser notre peau. Lorsque je prends ma garde et que je récupère des confrères en larmes et des infirmières en pleurs, ce n'est pas normal. C'est indigne d'un pays comme le nôtre. Je n'accable personne, mais c'est le résultat de quarante ans de politiques de santé basées sur une gestion industrielle de la médecine. Il n'y a pas d'économies d'échelle en médecine : les gros groupes, les grands hôpitaux ne réalisent que très peu d'économies d'échelle, sinon à la marge. Et on ne gère pas un hôpital comme une usine de petits pois !

Il faut des humains pour soigner des humains. Et maintenant, il va falloir s'occuper des soignants. C'est une priorité absolue : sans soignants, il n'y a plus de médecine et des drames sont à venir. Voilà quelques mois, je discutais avec le directeur du SAMU 31 à la suite d'une récrimination des pompiers sur le fait que certains médecins urgentistes n'avaient pas été aimables. À la question de savoir combien de fois cela était arrivé, la réponse a été : une fois par mois. Soit douze fois par an sur 36 000 passages... C'est comme le pourcentage d'erreur du SAMU 31, qui doit être équivalent à celui de tous les SAMU de France, à savoir 4 pour 1 000, c'est-à-dire 99,6 % de succès. Plutôt que de saluer ce succès, on regarde les 4 pour 1 000...

Regardons ce qui fonctionne, prenons soin des médecins, favorisons les passerelles entre le public et le privé, décloisonnons, simplifions et redonnons le pouvoir à ceux qui savent.

Le diplôme d'études spécialisées de médecine d'urgence, le fameux Desmu, avec un exercice exclusif en service d'urgences des médecins formés à l'urgence absolue, les CCMU 4 et 5, qui représentent un peu moins de 2 % des passages, est un exemple de la fausse bonne idée : qui va réorienter les 98 % restants ? Qui va faire des sutures, des plâtres ? Qui va s'occuper de ces gens ? Il n'y a plus que nous, à partir de minuit : ni permanence de soins ambulatoires ni médecin généraliste de garde... Seules les urgences sont ouvertes.

Les urgentistes font tout : du rhume à l'infarctus, en passant par l'embolie pulmonaire ou l'AVC. Nous allons avoir besoin de toutes les bonnes volontés. La formation des internes doit également se faire dans le privé. Un stage, ce n'est pas énorme, mais cela permettra de rendre les discussions public-privé plus fluides et de faire disparaître les inimitiés dues à une méconnaissance du travail de l'autre. Nous faisons le même métier, nous prêtons le même serment, nous soignons les mêmes patients.

Utilisons au mieux les compétences, optimisons les ressources disponibles ; il y en a encore un tout petit peu... Une direction totalement administrative, comme l'a décrété la loi Hôpital, patients, santé et territoire (HPST), ne fonctionnera jamais : l'administration doit être au service des médecins et des soignants, pas l'inverse.

Pour conclure, je réitère mon appel au secours pour l'ensemble des médecins et personnels soignants de ce pays. Nous sommes à bout, en train de craquer. Toute forme de contrainte supplémentaire ne fera qu'augmenter l'hémorragie de compétences qui, comme vous le savez, sont longues à remplacer. Remettons du bon sens, de l'humanité et de la gentillesse. Arrêtez de nous transformer en machines à soigner, cela ne marche pas. Aidez-nous à continuer à être fidèles à notre serment.

M. Bernard Jomier, président. - Il était plus que nécessaire d'entendre votre témoignage, qui illustre l'unité des problèmes auxquels font face secteur privé et secteur public.

Docteur Caroline Brémaud, cheffe du service des urgences du centre hospitalier de Laval. - Le centre hospitalier de Laval, qui fait partie des villes moyennes, draine un bassin de population de 100 000 habitants. Nous avons 35 000 passages par an. Nous sommes l'hôpital support du département. Nous sommes trois médecins durant la journée et deux la nuit. Nous accueillons des internes, des externes et des docteurs juniors. Nous avons un beau plateau technique : une réanimation polyvalente, une salle de coronarographie, une pédiatrie, des chirurgies de diverses spécialités, une maternité de niveau 2B...

Nous connaissons une augmentation de notre activité depuis dix ans d'environ 20 %. Nous sommes cinq équivalents temps plein pour une cible comprise entre 16 et 18 ETP pour fonctionner correctement. Nous sommes un peu moins de trois équivalents temps plein à avoir le droit d'exercer la nuit. Voilà dix ans, nous n'étions pas beaucoup plus : nous étions 6,5, mais le recours à l'intérim était plus facile. Aujourd'hui, c'est beaucoup plus difficile, en raison d'une perte d'attractivité due à la grande pénibilité de notre métier. À salaire équivalent, les intérimaires préfèrent se rendre dans des structures plus petites, où la charge de travail est moins importante. Le recours à l'intérim est donc quasi inexistant.

Notre temps additionnel est colossal : entre 400 et 500 heures par an. Nous souffrons d'un manque d'effectifs de paramédicaux : il nous manque 37 infirmières. En dix-huit mois, nous sommes passés de 340 lits à 280.

En ce qui concerne la prise en charge des patients, je crois que le mot « indigne » est le qualificatif le plus simple et le plus parlant.

On peut attendre plusieurs heures avant d'être pris en charge. Cette semaine, une dame de quatre-vingt-quinze ans est restée trente-six heures dans le couloir des urgences. On ne souhaite ça à aucun membre de sa propre famille. C'est juste intolérable. Chaque nuit, plusieurs personnes dorment dans le couloir des urgences. Avant la crise covid, on affichait sur les murs le nombre de personnes qui dormaient dans les couloirs. Pour des raisons sanitaires, on a arrêté de mettre des feuilles sur les murs, mais les personnes sont toujours là. Certains patients doivent uriner derrière un petit paravent. Parfois, on n'a pas assez de brancards. On met alors les gens sur des fauteuils. D'autres fois, on manque de couvertures et les patients ont froid. En fait, on n'a pas assez de place. Il y a une mise en danger des patients, il y a des défauts de surveillance... Notre hôpital est sous-dimensionné par rapport à notre activité.

Je vous ai dressé un tableau rapide de mon quotidien aux urgences, de ce que je vis tous les jours. Mais comprendre les urgences, c'est aussi comprendre l'amont et l'aval. Comme vous l'avez très bien expliqué, les urgences souffrent d'un effet domino qui leur retombe toujours dessus. Quand la médecine générale est débordée ou plus disponible : allez aux urgences. De même pour les spécialités de ville ou les spécialités d'hôpital : allez aux urgences. Le centre de soins non programmés est fermé pendant les fêtes de fin d'année : allez aux urgences. Mais moi, je ne suis pas sûre que les urgences soient ouvertes pour la fin d'année. Il y aura peut-être des nuits fermées. Et nous sommes en train de nous battre pour qu'il n'y ait pas de jours fermés. Je vous rappelle que nous sommes l'hôpital support du département.

Voilà quelques années, comme l'a très bien dit Louis Soulat, on orientait, on triait, on faisait des soins urgents. Maintenant, on prend en charge tout cet effet domino parce que la lumière est allumée. On est là tout le temps, parce qu'on est les urgences. On est à la fois et le premier et le dernier recours des gens. Quand on ne sait plus quoi faire ni où aller, on va aux urgences.

Mon département est le cinquième désert médical de France : il y a 6,3 médecins pour 10 000 habitants ; 10 % des plus de seize ans n'ont pas de médecin traitant. Dire aux gens d'aller voir leur médecin traitant, c'est une façon très polie de leur dire de se débrouiller. Ce n'est pas entendable.

Comment ouvrir des lits quand il n'y a pas de paramédicaux ? Mon agence régionale de santé ne demande qu'à en ouvrir, mais les paramédicaux sont dégoûtés. Un soignant, ce n'est pas un technicien. Il faut revoir les ratios soignants-patients. Un soignant doit être en forme et en bonne santé pour prendre en charge un patient qui, par définition, est en détresse. Nos soignants sont usés, paramédicaux et médecins, en raison de leur charge de travail, de leurs conditions de travail... Tout est difficile. Quand tout va mal, on regarde dans le détail ce qui ne va pas : pourquoi les ambulanciers ne sont-ils pas reconnus comme des soignants ?

On cherche à trouver ce qui nous motive, ce qui nous donne envie de nous lever le matin, ce qui fait qu'on a, ou pas, la boule au ventre pour aller au travail.

Le Ségur a oublié le médico-social. La rentabilité ne doit pas être l'objectif du soin. Le premier médicament, c'est l'humain. Quand vous arrivez aux urgences, vous avez envie qu'on vous accueille avec douceur et gentillesse, qu'on prenne en compte votre problème et qu'on soit humainement disponible à recevoir votre détresse. Aujourd'hui, nous n'en sommes plus capables.

Lundi dernier, j'ai fait plus de 25 heures de garde. Je suis rentrée chez moi, je me suis reposée, je me suis levée, j'ai mangé et puis j'ai fait mon travail de cheffe de service : j'ai fait une réunion avec mon équipe pour préparer la certification et puis je suis allée à la commission médicale d'établissement (CME), j'ai fait d'autres réunions... En définitive, je n'ai pas dormi une minute sur mon repos de garde. Le flux est constant. Nous n'avons plus de temps off. Et c'est aussi pour cela qu'on a du mal à enchaîner : aujourd'hui, je mets au défi n'importe qui de travailler 48 ou 72 heures. C'est juste impossible.

Je souhaite poser des congés à la fin de l'année. Depuis que je travaille, je n'ai jamais eu de congés en entier. J'ai décalé mes congés de deux jours : au lieu d'être en congés vendredi soir, je le serai dimanche, et je reviendrai mercredi soir, au milieu de mes congés, pour faire une garde. Autrement, les urgences seront fermées. Vous rendez-vous compte de cette pression ? Je suis une maman de quatre enfants et je vais leur dire, en plein milieu des vacances : « Dormez bien, mes chéris, maman part travailler. » Ils m'ont demandé une fois si le préfet était au courant qu'on était dimanche ou que j'étais en vacances. Je leur ai répondu qu'il y avait des choses plus importantes. Ces paroles d'enfant font mal.

Je vous livre mon témoignage avec tout mon coeur et ma sincérité. J'ai reçu les mêmes d'autres chefs de service, dans d'autres établissements de villes moyennes, qui vivent la même chose.

Nous ne sommes pas systématiquement dans la dénonciation : il y a des solutions. D'abord, nous sommes en très fort décalage avec l'administratif : pour un urgentiste, attendre une heure, c'est déjà beaucoup... Nous ne demandons qu'à avancer, mais les contraintes administratives nous bloquent.

Il faudrait également envisager une régulation de l'installation : il n'est peut-être pas drôle d'exercer dans un désert médical, mais y vivre sans médecin traitant, cela l'est encore moins...

Autre proposition, revoir les projets architecturaux, les dimensionner pour mieux accueillir les patients et être attractif. Il est important d'avoir un beau cadre de travail, mais surtout un cadre adapté aux capacités qui sont demandées à l'établissement en termes de passages de patients.

Enfin, il faut valoriser nos soignants. Le Ségur a prévu des mesures en faveur des infirmières de fin de carrière. Mais il n'y a plus d'infirmières de fin de carrière : elles arrêtent avant. Il faut favoriser précocement les soignants, dès le début de carrière. Il faut également favoriser tout ce qui est innovant : les infirmiers en pratique avancée (IPA), les délégations de tâches, les services d'accès aux soins, le lien ville-hôpital. La personne qui devait prendre en charge la cellule ville-hôpital dans mon hôpital est partie, écoeurée par les conditions de travail.

Nous avons beaucoup d'idées et de projets, mais il y a de moins en moins de monde pour les mener. Je fais le plus beau métier du monde et je crois en l'hôpital public ; c'est pourquoi je continue à me battre. Trop longtemps, on a considéré la santé comme l'affaire des soignants, alors que c'est l'affaire de tous les citoyens. Il faut redonner ses lettres de noblesse à la santé.

Docteur Tarik Boubia, chef du service des urgences du centre hospitalier de Clamecy. - Je suis chef de service des urgences du centre hospitalier de Clamecy, praticien hospitalier en médecine d'urgence, diplômé de la faculté de médecine de Dijon. Médecin généraliste, j'ai suivi une formation complémentaire, la capacité de médecine d'urgence et de médecine de catastrophe. C'est une lourde erreur d'avoir supprimé cette capacité : 80 à 90 % des urgentistes en France ont suivi ce cursus. Les nouveaux urgentistes, même s'ils ont une meilleure formation, sont beaucoup moins nombreux. Si nous n'y changeons rien, nous programmons à court terme la pénurie.

De plus, cette formation permettait la polyvalence, puisque l'on pouvait poursuivre sa carrière dans la médecine d'urgence ou dans d'autres branches. Les jeunes médecins sont attirés par l'activité partagée, qui consiste par exemple à ouvrir un cabinet dans une maison médicale de garde tout en exerçant aux urgences.

Or le nouveau système a certes amélioré la formation des urgentistes, en créant des praticiens formés au même titre que les cardiologues, pneumologues ou autres, mais il a aussi réduit les effectifs et emprisonné ces médecins dans la médecine d'urgence. Cela ne répond pas à la demande sociale.

Le centre hospitalier de Clamecy dessert un bassin de santé de 25 000 habitants dans un territoire hyper-rural, constitué de petites communes dispersées dans un diamètre de 50 kilomètres. Comme nous sommes à l'écart des grands axes de transport, les temps de déplacement sont plus longs : il faut compter 50 minutes de Clamecy à l'hôpital de référence d'Auxerre et 1 heure 10 jusqu'à celui de Nevers. Il convient de noter que les transports sanitaires primaires vers Clamecy sont assurés par les pompiers volontaires. La population, enfin, compte une proportion importante de retraités et de personnes socialement défavorisées.

C'est un hôpital de proximité ayant le statut d'hôpital isolé, avec 40 lits de médecine polyvalente à dominante gériatrique. Nous n'avons plus de lits d'hospitalisation spécialisée. Deux établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) se trouvent dans l'enceinte de l'hôpital.

En 2008, la fermeture de la maternité a été vécue comme un traumatisme. En 2012, c'était le tour du service de chirurgie générale, qui assurait la chirurgie orthopédique et viscérale, dont le plateau technique a été transféré vers le centre pivot le plus proche, à Auxerre, où se trouve la direction générale du groupement hospitalier de territoire (GHT) dont nous faisons partie. En compensation de ces fermetures, un SMUR a été créé, ainsi qu'une unité de surveillance continue (USC) de quatre lits sous la responsabilité des urgentistes, et un centre périnatal de proximité.

Enfin, en 2018 a été présenté un projet de fermeture des urgences la nuit. Compte tenu de l'historique récent, le territoire s'est mobilisé, avec une forte médiatisation. Les élus ont menacé de démissionner, comme les pompiers volontaires ; les entreprises ont fait part de leurs craintes pour la pérennité de leur implantation - la ville de Clamecy a sur son territoire une entreprise chimique classée Seveso.

Le service des urgences comporte un service d'accueil avec cinq boxes dont deux de déchocage, deux lits de courte durée, un SMUR et une USC de quatre lits pour les patients instables. Nous assurons également la permanence des soins nocturnes en semaine pour les patients hospitalisés en médecine. Depuis deux ans, nous sommes dotés d'une aire d'atterrissage nocturne d'hélicoptères. Nous avons un système de télémédecine depuis cinq ans, qui permet de traiter les AVC en phase précoce sans pertes de chances, en collaboration immédiate avec le CHU de Dijon et l'unité neuro-vasculaire (UNV) : le taux d'AVC est plus important dans notre bassin de population. Nous avons une biologie performante délocalisée, disponible en moins de quinze minutes, qui nous permet de balayer tout ce qui relève de l'urgence vitale. Enfin, nous sommes équipés d'un scanner opérationnel 24 heures sur 24.

Les effectifs s'élèvent à 3,3 ETP sur un effectif théorique de 8 ETP : deux praticiens hospitaliers (PH) à temps plein et deux contractuels à temps partiel. Pour assurer le planning, nous effectuons des heures supplémentaires et faisons appel à des vacataires pour limiter l'intérim. Nous enregistrons 10 000 à 11 000 passages par an, dont 450 sorties SMUR.

Nous sommes confrontés à trois problématiques spécifiques. D'abord, l'absence d'attractivité de l'établissement pour les praticiens urgentistes, que nous constatons depuis le début 2020. La modernisation de l'USC et des « lits portes » est reportée depuis 2007.

Ensuite, ce sont les pompiers volontaires qui assurent la majorité des transports primaires ; ils n'ont pas vocation à assurer le transport vers les hôpitaux référents d'Auxerre et de Nevers. Ils ont annoncé qu'ils démissionneraient s'il leur était demandé de le faire.

Enfin, nous sommes confrontés à la fragilisation des filières d'urgence chirurgicale, surtout depuis la fermeture, il y a deux ans, de la clinique de Cosne-sur-Loire. Cette clinique, en contrat de service public, était ouverte 24 heures sur 24 et opérait la nuit. C'était un établissement de recours, à 50 kilomètres de Clamecy, lorsque l'hôpital pivot d'Auxerre ne pouvait absorber les urgences. Un exemple de cette fragilité : un homme de plus de 90 ans victime d'une fracture du col fémoral est resté quatre jours dans nos lits-portes, cet été, avant d'être transféré vers un hôpital éloigné. Il faut raisonner en termes de filières de soins : c'est le coeur de métier de la médecine d'urgence.

Clamecy, c'est donc un petit service d'urgences, adossé à un petit hôpital, mais un service vital pour une population rurale isolée.

M. Bernard Jomier, président. - Merci à tous. Vos propos sont parfois durs à entendre, mais nous connaissons ces réalités que vous vivez au quotidien. En tant que parlementaires, nous essayons de comprendre les raisons de cette situation, et surtout de trouver les bons outils pour y répondre rapidement.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Les interventions du docteur Brémaud et du docteur Boubia mettent en évidence les disparités territoriales qui ne réclament peut-être pas les solutions uniques que l'on cherche à imposer depuis longtemps. Il faudra réfléchir à des solutions adaptées aux territoires, aux bassins de vie, à l'organisation des soins. Ainsi, comment les professionnels des autres territoires réagissent-ils aux propos du docteur Boubia sur la formation ? La perception n'est pas nécessairement la même à Cochin.

Le Ségur a été présenté comme une avancée, avec une revalorisation indéniable des salaires. Mais les disparités de traitement ont créé des frustrations, ce qui a en partie annihilé ses effets bénéfices.

Docteur Doumenc, vous avez obtenu une cellule de gestion des lits, une équipe mobile de gériatrie. Ces propos nous donnent du baume au coeur ; rencontrez-vous des obstacles venus de votre administration ? Nos auditions font ressortir une empreinte forte de l'administration sur le médical, qui est une conséquence de la loi HPST que nous allons évaluer. Dans le cas contraire, qu'est-ce qui fonctionne bien ?

Vos propos mettent aussi en évidence l'équilibre difficile à trouver entre la sécurité et la proximité : des établissements qui réalisent trop peu d'actes peuvent mettre en péril la sécurité des patients. Avez-vous des solutions ?

Y a-t-il beaucoup de patients qui viennent directement aux urgences sans y être orientés ?

La coopération public-privé est une piste à explorer : les cliniques assurent un huitième des urgences.

Des textes récents ont apporté des modifications à la tarification des urgences. Ont-elles été positives ou négatives ? Nous avons besoin de solutions à long terme, mais aussi à court terme : nous ne pouvons pas laisser perdurer des situations comme celles que vous décrivez à l'hôpital de Laval. Former des médecins est une partie de la solution, mais comment faire revenir ceux qui sont partis de l'hôpital ?

Docteur Tarik Boubia. - L'abandon de la capacité de médecine d'urgence est une perte quantitative : 70 % des effectifs de futurs médecins urgentistes environ. Il est indispensable de rétablir la double filière de formation, et de permettre une activité partagée, par exemple entre maison de santé et hôpital. Cela fluidifierait et renforcerait le lien entre la médecine de ville et l'hôpital. Il faut, à mon sens, rétablir la capacité de médecine d'urgence et rendre aux médecins la possibilité de faire de la médecine d'urgence, de la médecine libérale ou les deux simultanément. Nous avons perdu un outil remarquablement efficace.

Nous connaissons tous les tracasseries administratives avec les directions d'hôpitaux. Nous avons le savoir-faire et l'expertise des soignants, mais nous n'avons pas la main sur la gouvernance. Même des professeurs des universités de l'AP-HP, considérés comme l'aristocratie du système hospitalier français, ont démissionné. C'est du jamais-vu ! C'est le signe d'un véritable malaise.

Tout cela devrait permettre à nos représentants élus de faire évoluer les choses, en tenant compte de notre expérience de terrain : nous prenons en charge les patients, nous constatons les carences, et nous connaissons la différence entre la prise en charge d'une urgence à Cochin, au CHU de Rennes, dans le secteur libéral à Toulouse et en zone rurale. C'est le mérite de la médecine d'urgence que de s'adapter à ces configurations. Dans les urgences, il est impossible de fixer un quota de patients à traiter par jour. À Cochin, pour la prise en charge d'un infarctus, la salle de coronarographie est à côté des urgences. À Clamecy, je dois attendre une heure avant de transférer le patient vers l'hôpital pivot d'Auxerre, où se trouve la salle de coronarographie.

Il est indispensable de raisonner en termes de filières de soins, faute de quoi nous passerons toujours à côté du sujet.

Docteur Caroline Brémaud. - Il faut commencer par assumer les difficultés du système de santé, car on ne traite pas un problème qui n'existe pas. Nous avons toujours peur de réduire l'attractivité de notre établissement en mettant en avant ce qui ne va pas. Or il faut dire ce qui ne va pas, pour faire un état des lieux et penser l'amélioration. C'est ce qui est en train de se produire, de manière inédite. Les langues se délient, ce qui nous permettra de mettre les choses à plat. Voilà la première difficulté avec nos ARS : elles ont peur de dire ce qui ne va pas.

Comment faire revenir les soignants ? Une part croissante d'entre eux ne finissent pas leurs études - jusqu'à 30 % pour les écoles d'infirmières. Lisser les différences de statut enverrait un message politique très fort.

Il faut également traiter le travail supplémentaire de façon homogène : en fonction des directions des ressources humaines (DRH), il est versé sur un compte épargne temps ou traité en heures supplémentaires. Parfois il est choisi, parfois non. Dans mon hôpital, les heures supplémentaires sont majorées de 50 % ou non, selon le service où elles sont effectuées : d'où ce système aberrant où des soignants de réanimation préfèrent aller faire les heures supplémentaires en unité covid, où elles sont mieux payées ! Ce sont des aberrations profondément toxiques pour l'hôpital. Il faut assainir cela et retravailler les statuts des ambulanciers, des soignants, pour rétablir de la confiance.

Nous faisons un métier de passion : le mot de médecin, ou d'infirmière, fait rêver les enfants. Normalement, nous devrions recruter sans difficulté, mais nous cassons les vocations.

Concernant le recours aux urgences, notre ARS Pays de la Loire a conçu une campagne d'affichage pour inciter à appeler le médecin traitant, le 15 ou le 116-117 avant de se rendre aux urgences. Cela donne des résultats, mais il faudrait un message répétitif, fort et national.

Originaire de Tours, je suis venue travailler en Mayenne parce que la permanence des soins fonctionne dans ce département. Un généraliste peut fermer sa porte le soir et le week-end sans avoir l'impression d'abandonner ses patients. Le SAS offrira une solution à court terme aux patients.

Il faut aussi créer des structures de médecins salariés. La lourdeur administrative peut dissuader les jeunes médecins de s'installer. Il faut diversifier les propositions, car un désert médical ne nécessite pas les mêmes mesures que Paris, les grandes villes ou les villes moyennes.

Docteur François Escat. - Je partage l'avis du docteur Boubia sur l'effet contre-productif de la spécialité de médecine d'urgence, qui enferme ses titulaires dans un exercice dont ils ne peuvent sortir. En voici un exemple : médecin généraliste, titulaire de la capacité de médecine d'urgence (CAMU), j'essaie depuis quelques mois de créer un centre de consultations non programmées dans une cité-dortoir proche de Toulouse, Colomiers. La mairie nous a très bien accueillis. Mais le président du conseil départemental de l'Ordre des médecins, que je connais très bien, m'a dit que, puisque je n'exerçais plus la médecine générale depuis plus de trois ans, je devais faire un stage de trente jours chez un médecin généraliste ! Nous essayons de prendre des initiatives, mais c'est épuisant...

Concernant la tarification, la nomenclature CCAM avait totalement oublié la médecine d'urgence. C'était une cote mal taillée, mais nous nous y étions habitués, avec quelques aberrations : l'extraction d'un corps étranger dans l'oeil était mieux rémunérée qu'un infarctus du myocarde... Au 1er janvier 2022, elle sera remplacée par un système de forfaits en fonction de l'âge et d'autres critères, qui fera varier la rémunération annuelle de 15 % à la hausse ou à la baisse. Pour ceux qui seront défavorisés, ce n'est pas tenable. Nous discutons depuis plusieurs mois avec la direction générale de l'offre de soins (DGOS). La Caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de Seine-Saint-Denis annonce que, le système n'étant pas prêt, les urgentistes libéraux ne seront pas rémunérés en janvier ni en février, peut-être en mars... La Caisse nationale dément, mais il y a une Caisse nationale de l'assurance maladie (CNAM) et une centaine de caisses primaires. Nous revenons aux travers administratifs. Nous ne comprenons rien, et des drames s'annoncent : des services vont fermer.

Je crois savoir que le stage obligatoire est spécifique à la Haute-Garonne : le conseil départemental de l'Ordre a appliqué un texte qui visait les praticiens n'ayant pas exercé depuis trois ans en raison d'une longue maladie ou d'un congé maternité.

M. Bernard Jomier, président. - Preuve que l'approche bureaucratique n'est pas le propre de l'État !

Docteur Benoît Doumenc. - Mes propos seront quelque peu à contre-courant de ceux de mes collègues. La spécialité de médecine d'urgence est à mes yeux la meilleure chose qui nous soit arrivée. Auparavant, les urgentistes n'étaient pas considérés. Quand j'étais externe, les services d'urgence étaient soient sous la responsabilité du réanimateur médical, soit sous celle de la médecine interne. On y envoyait les médecins qui n'avaient aucun avenir hospitalier, qui n'avaient pas de place en spécialité ou en chirurgie. Beaucoup sont donc venus à contrecoeur, et on a également recruté des médecins étrangers. Avec cette capacité, nous avons enfin une reconnaissance administrative, qui nous place au même rang que les autres spécialités. Naturellement, il faut prévoir des passerelles, mais nous sommes enfin une spécialité à part entière. C'est fondamental dans nos discussions avec nos collègues de l'hôpital.

Mon confrère a fait référence aux démissions de professeurs des universités de l'AP-HP ; pour ma part, j'en ai assez que des médecins qui n'exercent pas dans notre spécialité prennent la parole pour dire ce qui ne va pas aux urgences. Cela nous dessert.

L'ennemi n'est pas l'administration en tant que telle, mais, parfois, les personnes qui la représentent, comme ce président de conseil départemental de l'ordre qui demande au docteur Escat de faire un stage. Ce n'est pas une question administrative, mais de confraternité.

Pour ma part, je suis peut-être né sous une bonne étoile, mais j'ai la chance d'avoir au sein de l'AP-HP une administration qui m'écoute, qui est capable, lorsqu'elle me dit non, d'en expliquer les raisons. Nous n'obtenons pas tout, mais la discussion est possible. Cessons de stigmatiser des hôpitaux entiers sur la foi d'une mauvaise expérience avec un individu ; arrêtons aussi de stigmatiser au sein de l'hôpital en opposant le professeur à l'administration, ou le praticien hospitalier au professeur : cela nous fait beaucoup de mal.

Cela fait des années que les urgences vont mal - depuis que je suis externe. Elles ont été un avant-coureur de ce qu'est devenu l'hôpital. Vous, les politiques, en êtes responsables, parce que vous n'avez pas entendu les messages. On a laissé la situation se dégrader, et les urgences ont eu un effet domino sur l'hôpital.

Monsieur Boubia, l'urgentiste doit être capable de dire : « non ». Nous avons des missions sur le plan réglementaire ; nous n'avons pas vocation à pallier tous les dysfonctionnements de l'hôpital. Dire non, ce n'est pas laisser les autres services se débrouiller, mais leur demander de s'organiser. Il faut une discussion générale : si nous n'abordons le problème que sous l'angle des difficultés aux urgences, nous obtiendrons ici un brancard, là 100 euros de plus pour la journée, mais les choses ne changeront pas. Il faut considérer les difficultés de l'hôpital dans leur ensemble.

Dans mon hôpital, le plan Zéro brancard a été mis en oeuvre pour réduire le nombre de brancards ; il ne concerne pas exclusivement l'activité des urgences. Une assistante sociale a également été embauchée, le tout dans un dialogue avec l'administration et avec des collègues de l'hôpital.

Le numerus clausus a diminué de manière catastrophique depuis des années, mais notre spécialité n'est pas la seule que cela plonge dans les difficultés. Ainsi la psychiatrie est dans un état catastrophique : à Cochin, la demi-garde va être arrêtée, par manque d'effectifs de psychiatrie dans l'ensemble du groupement hospitalier. Il n'y aura pas de solution miracle, le temps que les nouveaux étudiants soient formés.

Pour retrouver de l'attractivité, il faut s'organiser différemment au sein de l'hôpital, en mettant tous les services autour de la table.

M. Bernard Jomier, président. - La rapporteure vous a interrogés sur les textes récemment adoptés. Vous avez interpellé le monde politique, en soulignant que la situation n'est pas récente.

Depuis quatre ans que je suis parlementaire, nous avons voté quatre dispositions principales touchant les urgences : le forfait réorientation, le forfait patient urgences, une modification du financement qui introduit une dotation populationnelle et des critères de qualité, et le 85SAS. Quel est votre avis sur ces dispositions ?

Docteur François Escat. - Pour réorienter quelqu'un, il faut l'examiner. Auparavant, l'examen et le diagnostic ou l'ordonnance étaient faits par la même personne. Avec le nouveau système du forfait réorientation, il faut deux, voire trois personnes pour gérer le problème. Cela suscite, en plus, l'incompréhension des généralistes : l'hôpital touchera 60 euros pour examiner le patient - il y a les coûts de structure, mais le généraliste ne les perçoit pas - et l'orienter vers le médecin de ville, qui ne recevra que 25 euros. Cela ne passe pas.

M. Bernard Jomier, président. - Ce forfait n'entrera en vigueur qu'au 1er janvier 2022.

Docteur Benoît Doumenc. - Je ne partage pas cet avis. La réorientation est effectuée par l'infirmier d'accueil et d'orientation (IAO). Pour ma part, je trouvais aberrant que nous perdions de l'argent sur cet acte, alors qu'il impliquait une prise de constantes et une décision d'un personnel de santé.

Il y a aussi un enjeu de valorisation de l'acte infirmier. L'infirmier d'accueil et d'orientation est un poste clé dans les services d'urgences, car il opère un tri. Il est inadmissible qu'on ne le trouve pas dans toutes les urgences, car son absence induit une perte de chances pour les malades. L'administration locale a un rôle fondamental dans ce domaine.

La réorientation aux urgences ne me pose pas de problème. En deux minutes, on peut établir un diagnostic et faire sortir le patient. Tout le monde s'y retrouve, en particulier les structures de médecine d'urgence ou de soins non programmés qui s'installent à côté des hôpitaux. Ces structures sont prêtes à recevoir les patients. Encore faut-il trouver vers qui réorienter les patients.

Une seule chose me gêne : le fait que la tarification va à l'encontre de ce que l'on nous apprend dans la médecine d'urgence, à savoir faire le bon examen pour le bon patient. La réforme va nous inciter à réaliser davantage d'examens complémentaires, qui feront rester nos patients plus longtemps. Or nos ressources de biologie et d'imagerie s'épuisent.

Professeur Louis Soulat. - Je suis un fervent défenseur de la réorientation, même s'il y a des difficultés à trouver un médecin effecteur. On ne peut pas la rejeter tout en se plaignant de ne pas pouvoir maîtriser l'amont ni limiter l'accès aux urgences. Cette question est liée à celle du SAS. L'objectif est d'éduquer la population à appeler un numéro santé avant de se rendre aux urgences. Il y a une certaine logique à ce dispositif, qui est analogue à celui du SAMU.

Je rappelle que l'examen par les infirmiers est validé par un médecin référent. Certes, c'est peut-être aussi lourd que de voir directement le patient. Mais depuis 2002, avec l'extension de l'activité des 15 et des SAMU, il nous a été reproché de capter des patients de médecine générale, avec l'incitation que représentait la tarification à l'activité. Cette réforme est donc bienvenue.

La réforme du financement repose sur un critère populationnel, avec deux types de patients pris en charge, et un critère de qualité. Il y aura des gagnants et des perdants, mais cela reflètera plus honnêtement ce qui est réellement fait dans les urgences. Cette réforme nous semble nécessaire et cohérente. Au niveau de la région Bretagne, nous pourrions espérer 2,6 millions d'euros en plus.

Il y a des services d'urgences de l'Est parisien où les hospitalisations après passage aux urgences ne dépassent pas 15 %, alors qu'elles atteignent 30 à 40 % à Laval et Rennes. La modulation de tarification est intéressante pour répondre à ces différences.

Le SAS, c'est ce qui doit nous permettre de contrôler l'accès aux soins des urgences. Il s'agit de replacer le médecin traitant au coeur du parcours du patient, et pas, pour l'hôpital, de récupérer des appels à travers son SAMU.

Il ne faut pas confondre formation des urgentistes et organisation des services d'urgence. La médecine d'urgence est désormais une spécialité reconnue et choisie par les jeunes médecins, parce qu'elle est devenue très complète : on fait des échographies aux urgences. Cela réclame un certain niveau.

Mais dans la pratique, le premier principe incontournable à respecter est celui de la proximité. Les patients les plus graves que nous voyons aux urgences, les consultations cardiologiques d'urgence (CCU) sont les mêmes sur tout le territoire, mais la périodicité est différente : on voit davantage d'infarctus à Laval qu'à Clamecy. Il faut donc la même technicité partout, et par conséquent un niveau de formation élevé. Évitons les combats d'arrière-garde : nous avons tous été formés sur le terrain, mais cette époque est terminée.

En revanche, l'organisation des services doit être intelligente : un service d'urgence peut tout à fait associer des généralistes, des urgentistes et des gériatres.

Pour répondre au besoin de proximité, il faut s'interroger sur le nombre de services d'urgence qui seront ouverts en permanence. C'est l'objet de la réforme du régime des autorisations. Peut-être faudrait-il organiser les soins d'urgence de proximité en maintenant en priorité les SMUR. Deux lignes de garde ne se justifient pas pour une activité limitée. On a aujourd'hui vraiment intérêt à partager la pénibilité des services et à maintenir un bon niveau de technicité. Il faut que les urgentistes tournent sur les sites, en priorisant les choses. À titre personnel, je ne suis pas sûr qu'il faille s'évertuer à maintenir ouvertes toutes les structures d'urgence, même si cela pose des problèmes de transport. J'ai audité l'hôpital de Laval : on ferme les urgences dans le chef-lieu alors qu'il y a deux lignes de gardes complètes dans chacune des deux structures d'urgence périphériques. Pourquoi en est-on là ? La pénibilité n'est certainement pas la même ; nous n'avons pas réussi à mettre en place l'uniformité de prise en charge sur un territoire.

Docteur Caroline Brémaud. - Je partage le propos mais il faut rester vigilant. L'hôpital qui reste ouvert doit être dimensionné pour accueillir la population. Les deux services d'urgence voisins de Laval enregistrent 24 000 passages par an. Ce n'est pas négligeable. C'est pourquoi il faut bien prendre en compte les partenariats possibles et la complexité d'un territoire sur lequel il y a déjà beaucoup de médecins partageant leur temps sur plusieurs établissements. Il y a une question de distance, s'il s'agit d'aller la nuit dans un autre service lorsque le leur est fermé, et donc de qualité de vie et d'attractivité. Le changement sera complexe et politiquement très difficile ; il nécessiterait du temps et de la préparation sur le terrain. Il paraît certes assez incompréhensible qu'un chef-lieu de département ferme les urgences alors qu'elles restent ouvertes dans de plus petits hôpitaux. Pour autant, le centre hospitalier de Mayenne draine beaucoup de passages. C'est une zone en désertification médicale et les urgences ont fermé à Vitré et Fougères. En outre, il se trouve au carrefour de trois régions : Bretagne, Normandie et pays de la Loire. Ne simplifions pas trop la cartographie médicale.

Mme Laurence Cohen. - Je salue tous les intervenants, et notamment le docteur Brémaud que j'ai eu la chance de rencontrer à Laval et dont je connais la passion pour son métier.

Il y a, certes, la diversité des territoires, mais surtout une organisation de notre système de santé autour des GHT qui a bouleversé le paysage, avec la fermeture d'hôpitaux de proximité. On a d'abord fermé des lits au nom de l'ambulatoire, alors que l'ambulatoire devrait intervenir de manière complémentaire. Aujourd'hui, on ferme des lits par manque de personnel. Le desserrement du numerus clausus reporte la responsabilité sur les universités, mais elles n'ont pas de moyens... Nous ne verrons pas un afflux immédiat de professionnels.

Deuxième enjeu, celui de l'attractivité : les témoignages abondent sur l'épuisement du personnel, les conditions de travail. Pour faire revenir des personnels à l'hôpital, il faut modifier le statut. Mais il y a également un enjeu de formation interne. J'ai été frappé de voir que les aides-soignants qui souhaitent faire une formation pour devenir infirmiers devront parfois attendre deux ou trois ans parce que l'enveloppe de formation ne le permet pas. Il faut abonder ces enveloppes dès maintenant.

Beaucoup d'infirmières ont quitté l'hôpital parce qu'elles n'en pouvaient plus. Certaines d'entre elles ne pourraient-elles pas revenir si nous travaillions sur le salaire, les conditions de travail et le statut ?

Enfin, docteur Doumenc, l'individu entre en ligne de compte, comme partout, mais nous entendons régulièrement parler des pesanteurs de cette administration, avec ses protocoles figés qui contraignent les soignants à passer plus de temps devant l'ordinateur qu'au chevet des patients. Il faut modifier cette organisation, mais pas en traitant l'hôpital comme une entreprise.

Mme Véronique Guillotin. - Merci pour ces témoignages, dont certains étaient assez émouvants et témoignent de vos difficultés dans vos métiers.

Quel rôle jouez-vous dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) ? Vous estimez-vous assez intégrés et moteurs ? Je crois en une approche plus large associant l'hôpital et la ville. Certaines maisons d'accueil ou maisons de santé pluridisciplinaires jouent le jeu en réalisant des soins programmés jusqu'à 22 heures ou 23 heures, d'autres non. Dans certains endroits, les médecins traitants ne font plus de gardes. Pour décharger l'hôpital et les urgences, ne devriez-vous pas prendre plus de place au sein des CPTS et autres organisations populationnelles ?

Mme Marie Mercier. - Exercer à Cochin, à Clamecy ou à Laval implique un rapport de forces différent avec l'ARS. Dans mon département, l'hôpital de Chalon-sur-Saône, qui est de taille importante, n'a pas les mêmes facilités que les hôpitaux parisiens pour s'adresser à son agence régionale.

Les nouveaux praticiens ont déjà assimilé la culture administrative. Ils veulent faire ce métier, mais dans des horaires encadrés. Désormais, il n'est pas rare de voir des internes arrêter le travail pour partir déjeuner, ce qui n'était pas imaginable lorsque j'étais étudiante. Ce n'est pas critiquable : n'offrons pas un visage triste de la médecine si nous voulons la rendre attractive.

On voit maintenant, dans les couloirs des hôpitaux, des gens courir d'une réunion à l'autre avec des dossiers sous le bras. La maltraitance administrative est une réalité, et elle fait beaucoup de dégâts. Nous avons perdu le contact avec la réalité.

Le covid a replacé les médecins au coeur des décisions. Votre voix porte, même si elle ne porte pas partout. J'estime néanmoins que l'idée que l'hôpital devrait être rentable et la tarification à l'activité ont fait du tort. Il n'est pas tolérable, en 2021, qu'une personne souffrant d'une fracture du col du fémur attende quatre jours d'être opérée, ou que des patients puissent laisser des avis sur Google. Cela donne une mauvaise image de notre métier, le plus beau du monde. Nous avons un potentiel humain, mais il est dégradé par une suradministration pathologique.

Docteur François Escat. - Je suis membre de deux CPTS, et je ne comprends pas à quoi elles servent. Elles sont supposées nous faire travailler ensemble, mais c'est ce que nous faisons tous les jours. Nous avons déjà des correspondants que nous appelons en cas de besoin, pour placer un patient par exemple.

Docteur Benoît Doumenc. - Les couloirs d'hôpitaux que je parcours ne sont pas différents de ceux de mes confrères... Stigmatiser Pierre, Paul ou Jacques ne fera pas avancer les choses. Je ne suis jamais invité aux réunions de l'ARS, ce qui ne me dérange pas outre mesure... Quand je parle de l'administration, je fais avant tout référence à l'administration locale.

J'ai entendu dire que l'on ne pouvait pas gérer un hôpital comme une entreprise
- comme si le mot « entreprise » était synonyme de maltraitance. Beaucoup d'entreprises traitent très bien leurs salariés et les personnes qu'elles accueillent. Nous pouvons nous inspirer de ce monde.

Pendant très longtemps, pour être nommé chef de service aux urgences, il fallait être professeur. Médecin généraliste, praticien hospitalier, j'ai été placé à la tête d'un service avec un adjoint professeur des universités. J'ose espérer que nous le devons à nos compétences... Il faut, à la tête des services d'urgences, des personnes capables de manager, de discuter avec l'administration.

Professeur Louis Soulat. - Par rapport au temps de travail, le changement générationnel n'est pas propre aux professions de santé. Je suis l'un de ceux qui font le plus d'heures postées dans mon service, mais je constate que cela ne constitue plus un exemple. Il faut faire avec ce changement. Je suis fils de boulanger ; eux non plus n'ont pas les mêmes conditions de travail qu'il y a cinquante ans, et c'est heureux.

Pour ma part, je crois aux CPTS, qui fédèrent les métiers de la santé à l'extérieur de l'hôpital. C'est une dynamique très intéressante. Nous avons quatre CPTS constituées, quatre autres en projet en Ille-et-Vilaine. Le SAS ne fonctionnera que si la CPTS fonctionne, en regroupant des réseaux en partie existants de médecins, de soignants, de pharmaciens, de cabinets de radiologie. Les CPTS mutualisent une offre de soins et la mettent à disposition des patients, notamment ceux qui n'ont pas de médecin traitant. Cela permet un dialogue, même si pour les hospitaliers, il faut se contraindre à aller au-devant des collègues en charge de la permanence des soins. Il est trop tôt pour faire un bilan, d'autant que la dynamique des SAS n'est pas encore généralisée.

Les fermetures de lits par manque de soignants sont un problème grave. Nous payons les réorganisations de lits au profit de l'hôpital de jour, alors que nous sommes confrontés au vieillissement de la population. On manque de souplesse sur l'ouverture des lits. Les organisations sont rigides, avec des ratios de soignants. Elles devraient être beaucoup plus agiles pour répondre aux pics saisonniers d'hospitalisation. Ce sont surtout des lits de médecine polyvalente qu'il faut créer, et non dans des services hyperspécialisés, peut-être en revoyant notre organisation : aux États-Unis, les lits ne sont pas affectés à un service, mais attribués aux spécialités en fonction des besoins.

Quant aux fractures du col du fémur à plus de quatre-vingt-dix ans, il faut surtout se demander pourquoi le patient ne peut plus rester à son domicile dans les mêmes conditions qu'avant sa chute. Le manque de personnel est un cercle vicieux : faute de lits, les patients restent aux urgences, les personnels s'épuisent et s'en vont et il faut essayer de les faire revenir.

Il n'est pas normal qu'il soit aussi compliqué de stagiairiser une infirmière qui donne satisfaction. À Vitré, trois infirmières vont changer d'orientation pour cette raison. Le système est trop rigide. J'ai, dans mon hôpital, un médecin dont le dossier est présenté pour la deuxième année consécutive au Centre national de gestion des praticiens hospitaliers (CNG) pour la procédure d'autorisation d'exercice (PAE) : on lui demande de faire six mois de médecine polyvalente, alors qu'il exerce depuis trois ans dans ce domaine...

Il faut favoriser les promotions internes. Je tiens particulièrement à la reconnaissance des ambulanciers SMUR. Il y a trop de grilles salariales, qui conduisent à opposer les catégories les unes aux autres.

Docteur Tarik Boubia. - Sur le principe des CPTS, je suis tout à fait d'accord. Cela permettrait de fluidifier les relations avec la médecine de ville. Le problème, c'est que les médecins sont concentrés à Clamecy et éparpillés en nombre insuffisant sur tout le territoire. Il faudra réévaluer ce dispositif pour les zones rurales. On ne réévalue pas suffisamment en France. Pourquoi s'entêter dans un système qui ne marche pas ? Quand un traitement ne fonctionne pas, un médecin passe à un autre. Pourquoi en va-t-il autrement pour les projets ?

La CPTS de Clamecy, qui couvre le nord de la Nièvre, touche un territoire très vaste, rural. On y trouve aucun établissement avec de la chirurgie ou des spécialités. Il faut donc établir des relations allant au-delà du territoire de la CPTS, ce qui complique encore les choses. À Cochin, par exemple, vous n'avez pas de difficulté à trouver des spécialistes, même s'ils sont débordés. Nous, nous n'en avons pas ! Et les délais sont incommensurables. Mes collègues qui ont toujours vécu dans le système hospitalo-universitaire ont beaucoup de mal à le comprendre. Je sais que M. Soulat a fait l'essentiel de sa carrière dans un hôpital pivot, où il a développé de très belles choses, notamment en cardiologie.

Je suis pour le décloisonnement et les pratiques partagées. Ce n'est pas un combat d'arrière-garde. J'y insiste, la formation du certificat d'aptitude à la médecine d'urgence dure deux ans, mais les gens sont opérationnels avec une obligation de formation continue. Un médecin ayant une capacité de médecine d'urgence, une capacité de médecine de catastrophe et qui a l'obligation d'avoir un diplôme universitaire (DU) en échographie ou en polytraumatologie a l'expérience nécessaire pour prendre en charge les urgences dans des territoires dont les zones périphériques ne seront pas pourvues en jeunes médecins.

Docteur Caroline Brémaud. - En ce qui concerne l'organisation des lits et la formation, je partage entièrement les propos de Louis Soulat.

Sans communication, les dispositifs ne servent à rien. Il faut travailler sur la communication en interne, sur la lourdeur administrative et communiquer vers l'extérieur, entre soignants, vers la population et vers le médico-social.

On ne nous apprend pas, à l'école de médecine, à communiquer. Je suis cette année un diplôme d'établissement de médecin manager à l'École des hautes études de santé publique. J'y apprends le langage des administratifs, qui est différent du nôtre. Il faut rentrer dans leurs locaux et il faut qu'ils viennent nous voir pour que nous apprenions à nous comprendre. J'ai rencontré des directeurs formidables, qui maîtrisaient le langage médical. Ces interactions sont essentielles.

M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie tous d'être venus témoigner devant notre commission d'enquête. Soyez assurés que vos contributions sont essentielles pour nos travaux. Nous avons entendu votre unité de médecins urgentistes, attachés à leur travail ; nous avons aussi entendu une grande diversité de points de vue, tout à fait légitimes.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 12 h 45.