Jeudi 13 janvier 2022

- Présidence de M. Bernard Jomier, président -

La réunion est ouverte à 16 heures.

Audition d'internes et de jeunes médecins : M. Gaëtan Casanova, président de l'intersyndicale des internes (ISNI), Mme Mathilde Renker, présidente de l'intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG), Dr Thiên-Nga Chamaraux Tran, vice-présidente en charge de la médecine hospitalière de Jeunes médecins, Dr Agathe Lechevalier, présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR)

M. Bernard Jomier, président. - Mes chers collègues, nous recevons cet après-midi en audition commune les représentants de quatre organisations d'internes et de jeunes médecins.

Je suis heureux d'accueillir M. Gaëtan Casanova, président de l'intersyndicale des internes (ISNI), Mme Mathilde Renker, présidente de l'intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG), le docteur Thiên-Nga Chamaraux Tran, vice-présidente en charge de la médecine hospitalière de Jeunes Médecins et le docteur Agathe Lechevalier, présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReAGJIR), en lien avec nous par téléconférence, en remplacement de son confrère le docteur Pinto, qui a eu un empêchement de dernière minute.

Vos organisations représentent à la fois des médecins en formation et des médecins diplômés en début d'exercice, tant à l'hôpital qu'en exercice de ville.

L'hôpital est pour vous un lieu de formation important, mais vous en êtes aussi des acteurs incontournables et indispensables : que serait l'hôpital sans les internes et les jeunes médecins ?

Cette audition est diffusée en direct sur le site internet du Sénat. Elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Avant de passer la parole à notre rapporteure, Catherine Deroche, je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

J'invite chacun d'entre vous à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Casanova, Mmes Renker, Chamaraux Tran et Lechevalier prêtent serment.

Madame la rapporteure, vous avez la parole

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Je vous remercie tous les quatre de votre présence.

Si nous avons souhaité réunir aujourd'hui des organisations représentant les jeunes médecins, qu'ils soient au stade de l'internat ou en début d'activité, dans les premières années suivant leur diplôme, c'est que, depuis le début de nos auditions, on a beaucoup insisté sur l'attractivité de l'exercice médical, que ce soit à l'hôpital ou en ville.

Beaucoup de nos interlocuteurs y ont vu à la fois une cause d'une partie des difficultés actuelles et un enjeu essentiel pour l'avenir de notre système de santé.

Notre commission d'enquête s'intéresse prioritairement à la situation de l'hôpital, mais il est évident que celle-ci est tributaire des conditions de prise en charge des patients en ville.

Nous connaissons les conséquences du numerus clausus. Son relèvement, avec le numerus apertus, ne produira des effets que dans plusieurs années.

Dans l'immédiat, la question qui se pose est bien celle de l'engagement et de la continuation dans la carrière médicale. Cela suppose des conditions d'exercice satisfaisantes, avec le sentiment de contribuer à la bonne prise en charge des patients.

Cela touche aux conditions de travail, à la rémunération, mais également à la satisfaction au travail dans toutes ses dimensions. Nous souhaitons aborder les questions liées à l'organisation et au fonctionnement de l'hôpital, mais également les moyens de concilier les aspirations des nouvelles générations de médecins et la couverture des besoins de santé de nos concitoyens sur les territoires.

M. Bernard Jomier, président. - Vous avez la parole.

M. Gaëtan Casanova, président de l'intersyndicale des internes (ISNI). - L'Intersyndicale nationale des internes (ISNI) représente en France 10 000 adhérents sur 30 000 internes. Les internes constituent 40 % du personnel médical des hôpitaux, selon les chiffres de la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (DREES), et connaissent un dépassement du temps de travail chronique et généralisé de 57 heures en moyenne, avec plus de 80 heures dans les disciplines chirurgicales, constat confirmé très récemment par une enquête du ministère de la santé.

Les internes représentent l'hôpital d'aujourd'hui et celui de demain, et constituent une sorte de thermomètre. Celui-ci est cassé car, selon une étude terrible à paraître, 23 % seulement des internes considèrent l'activité à l'hôpital public comme attractive.

J'insisterai sur trois points essentiels qui reviennent souvent, que le Ségur de la santé n'a fait qu'aborder.

Il s'agit tout d'abord de ce que j'appelle l'« hydre managériale hospitalière ». L'ISNI le répète depuis des années : le péché originel vient de l'absence de séparation du grade et de la fonction, dont le coût est extrêmement élevé. On trouve, d'un côté, les « mandarins », des professeurs d'université praticiens hospitaliers, qui forment l'aristocratie médicale. Celle-ci cumule quatre fonctions, l'enseignement, la recherche, la clinique et le management. C'est doublement problématique : il est en effet très difficile, dans une journée de 24 heures, de cumuler ces quatre fonctions de manière satisfaisante. Par ailleurs, ce sont des personnes qui, malgré leur bonne volonté, n'ont aucune formation.

Enfin, lorsque la possibilité de s'investir est trustée par un corps en particulier et que vous ne trouvez pas votre place, vous partez !

La deuxième tête de l'hydre est constituée par les directeurs d'hôpitaux, qui rencontrent les mêmes écueils que les personnes issues de l'ENA, qui a été très largement réformée et qui a même changé de nom. Même s'ils ont toute l'efficacité et la bonne volonté du monde, ils développent une forme de pensée unique, dans le cadre d'une école unique, avec un système d'avancement et de promotion unique géré par le Centre national de gestion, lui-même piloté par des directeurs d'hôpitaux.

Cette hydre connaît aussi un problème dû à une imperméabilité totale entre ses différentes têtes. L'aristocratie médicale - les professeurs, les chefs de service - et la direction hospitalière se parlent très peu et se détestent, souvent pour des guerres d'ego enfantines. Cette incompréhension coûte cher, et ce sont les médecins comme les administrateurs qui en sont responsables.

Cela fait des années que le financement des hôpitaux est basé sur l'activité. Il y a là un problème majeur : on s'est peut-être trompé sur ce que devait être la tarification à l'activité. Elle devient une gesticulation médicale et une gesticulation de santé, alors qu'elle doit porter sur le service rendu et la pertinence des soins, ce qui n'élude pas la question économique. La pertinence des soins, c'est le jute soin au bon moment.

Enfin, la France a imaginé le système de santé comme un agglomérat d'établissements et de professionnels, alors que la seule façon utile de le penser est de mettre le patient au centre du problème. C'est très démagogique, mais pensez au parcours d'un patient : il consulte un médecin libéral en ville, puis va éventuellement dans un hôpital ou une clinique. Or le meilleur moyen de communiquer est de parler la même langue. Cependant, les systèmes d'information sont différents, et il est impossible de transférer immédiatement les dossiers des patients.

On voit alors un patient arriver sur un brancard avec une pile de dossiers. On sait qu'il a réalisé des imageries, mais on attend parfois 48 heures avant de les recevoir, et l'on refait donc des examens qui ont déjà été réalisés. Ceci devrait constituer une priorité d'action.

Les internes sont un thermomètre, mais celui-ci est grippé car ils sont « séquestrés » dans les centres hospitaliers universitaires (CHU). Vous pouvez interroger tout le monde : on veut absolument qu'ils y restent et n'aillent pas se former dans le privé ni dans les hôpitaux périphériques, qui déplorent eux-mêmes cette situation.

La conséquence de tout ceci, c'est l'épuisement et le burn out. Il y a quelques mois, nous avons organisé un colloque à l'Assemblée nationale sur la santé mentale des internes : on a dénombré 25 % de dépressions chez les internes et étudiants en médecine en 2020.

M. Bernard Jomier, président. - Merci pour le caractère très direct de vos propos !

Dr Thiên-Nga Chamaraux Tran, vice-présidente en charge de la médecine hospitalière de Jeunes médecins. - Je vous remercie d'avoir invité Jeunes médecins pour témoigner devant votre commission. Je remercie également mes collègues qui ont dû se réorganiser pour que je puisse venir devant vous aujourd'hui.

Je suis médecin anesthésiste-réanimatrice et j'exerce en tant que praticien hospitalier en réanimation chirurgicale aux hôpitaux universitaires de Strasbourg.

Je fais également partie des médecins à l'origine de la minute de silence qui a actuellement lieu tous les vendredis à 14 heures sur le parvis des hôpitaux, qui prend actuellement de l'ampleur.

Je témoigne en tant que vice-présidente de Jeunes médecins en charge de la médecine hospitalière.

Jeunes médecins est un syndicat professionnel représentant près de 5 000 adhérents de toutes les spécialités, tous modes d'exercice confondus. Son but est de défendre les jeunes médecins, sans parti pris pour une spécialité ou un mode d'exercice.

Comme beaucoup de soignants, les jeunes médecins mettent l'intérêt général au centre de leur exercice et s'attachent à défendre leurs missions auprès du public.

L'intérêt de votre commission est majeur : l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a en effet récemment alerté sur le risque d'effondrement de notre système de santé, notamment à cause de la pandémie de covid. Cet effondrement aura notamment lieu du fait de la souffrance des soignants. Celle-ci atteint son paroxysme, alors que les moyens pour soutenir les soignants sont si pauvres que les experts de l'Observatoire national de la qualité de vie au travail ont récemment démissionné.

Or cette souffrance a un retentissement sur le système de santé, car elle aboutit à la fermeture de lits faute de soignants, épuisés, parfois en arrêt maladie ou qui quittent leurs fonctions, dégoûtés par un Ségur qui n'a pas été à la hauteur et qui s'est même avéré cynique.

La revalorisation n'a concerné que les praticiens hospitaliers nommés depuis 2020. Pire, des mesures ont été prises pour déclasser les praticiens hospitaliers plus anciens qui étaient sur le front du covid. J'ai ainsi été déclassée de l'échelon 4 à l'échelon 1 en janvier 2021. D'anciens internes que j'ai encadrés pour leur mémoire de thèse ou de diplôme d'études spécialisées (DES) ont été nommés échelon 2. J'en suis heureuse pour eux, mais je ne comprends pas cette iniquité.

Jeunes médecins a d'ailleurs déposé un recours auprès du Conseil d'État, et plus de 8 000 praticiens hospitaliers ont saisi le tribunal administratif pour contester ce reclassement.

Le Ségur, qui concerne également les paramédicaux, n'a pas été suffisant à leur niveau et n'a pas permis de juguler l'hémorragie de soignants.

Dans mon CHU, on estime que 200 à 260 lits ont été fermés par manque de personnel paramédical. Les chiffres restent toutefois opaques.

Tout cela se passe dans un système de santé hospitalo-centré en termes de formation et de prise en charge. En effet, il faudrait profiter de ce contexte d'ouverture et du numerus apertus pour former plus de médecins généralistes, quitte à ce que ceux-ci se spécialisent dans une discipline ambulatoire supplémentaire, comme la pédiatrie, la gynécologie médicale ou les urgences.

Il faudrait également permettre aux internes d'accéder à davantage de stages ambulatoires et les former à la gestion des cabinets. Cette formation logistique est trop parcellaire au cours de leur internat. Cela aiderait à créer des maisons de garde pluriprofessionnelles de premier recours, permettant ainsi de désengorger les urgences, un des seuls remparts face à une désertification médicale galopante.

Quant à l'interconnexion ville-hôpital, elle est insuffisamment exploitée du fait de logiciels médicaux pluriels. Les professionnels sont insuffisamment formés au logiciel unique, comme l'espace numérique de santé (ENS), qui a succédé en début d'année au dossier médical partagé (DMP). La convergence de ces logiciels permettrait de faciliter les échanges et surtout d'améliorer la prise en charge des patients.

Un nouveau statut unique de praticien hospitalier doit prochainement voir le jour concernant l'exercice mixte. Or il ne répond pas aux besoins actuels concernant le resserrement du lien entre ville et hôpital à cause d'une clause de non-concurrence, qui empêchera les praticiens hospitaliers d'exercer dans un rayon de dix kilomètres, en contradiction avec l'objectif initial de ce nouveau statut.

Quant aux mesures prises en faveur de l'attractivité hospitalo-universitaire, elles sont insuffisantes. Il serait nécessaire de revaloriser les salaires de ceux qui s'engagent dans cette voie tout au long de leur carrière, et d'intégrer leur temps de travail hospitalier dans le calcul de la retraite, ce qui n'est pas encore fait.

Il faudrait également plus de transparence et de visibilité pour ceux qui veulent s'engager pleinement dans cette carrière, qui en déçoit plus d'un.

Enfin, du fait des changements sociétaux, il faut porter une attention particulière à l'équilibre entre vie personnelle et vie professionnelle.

Voici un panorama des difficultés actuelles et quelques solutions proposées par Jeunes médecins. Nous vous avons également remis, en début de séance, notre Livre blanc, qui comporte des propositions portant sur d'autres champs d'action.

Mme Mathilde Renker, présidente de l'intersyndicale nationale autonome représentative des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). - De très nombreux internes sont en ce moment même en extrême souffrance du fait de la situation de l'hôpital. J'aimerais donc profiter de cette intervention pour vous apporter quelques éléments de contexte et faire le lien avec la situation de la médecine de ville.

La pandémie actuelle n'a fait que mettre en lumière un mal-être déjà présent depuis de nombreuses années. Nos organisations en font le constat régulièrement à travers les enquêtes sur la santé mentale, dont les résultats sont toujours plus catastrophiques. L'enquête de 2021 a montré qu'un étudiant en médecine sur quatre a présenté un épisode dépressif caractérisé sur les douze derniers mois. Ce qui est à la base une vocation devient de plus en plus un fardeau.

Depuis plusieurs années, nous assistons à une lente agonie de l'hôpital public. Une réforme d'envergure doit être mise en oeuvre. Les jeunes médecins sont porteurs de solutions et d'initiatives pour améliorer cette situation.

L'attractivité de l'hôpital public doit être une des priorités des établissements. Les jeunes aspirent à une meilleure qualité de vie leur permettant de concilier vie professionnelle et personnelle. Actuellement, 70 % des internes déclarent travailler au-delà des 48 heures hebdomadaires légales, et ce en toute impunité.

Une remise en question globale des conditions de travail des internes doit voir le jour, avec une généralisation des tableaux de service permettant de suivre le temps de travail, mais cela doit aller plus loin : nous réclamons des sanctions à destination des établissements, la prise en compte du temps de travail et de la qualité de vie dans la délivrance des agréments de stage, et la possibilité de retirer ou de suspendre les agréments de stage en cas de violences.

De manière générale, il faut revoir la culture du monde hospitalier, qui normalise voire encourage les violences, les humiliations, les agressions. Les chiffres sont effarants : un étudiant en médecine sur quatre déclare avoir subi une forme de harcèlement. La même proportion rapporte des humiliations, et on dénombre jusqu'à 3 % d'agressions sexuelles.

Les annonces gouvernementales nous laissent espérer des améliorations en ce sens. Cependant, la maltraitance quasi institutionnalisée de nos services hospitaliers demande un investissement constant et des changements systémiques. Il est temps de remettre la bienveillance et la solidarité au coeur de notre système de soins.

Cette problématique du temps de travail touche durement les internes, qui sont pressurisés pour maintenir à flot un hôpital presque submergé. Le manque de moyens matériels, de moyens humains, la vétusté de certains locaux, l'épuisement des personnels aboutissent à une perte de sens de nos métiers, qui ne présentent plus d'attrait pour les jeunes générations pleines d'espoirs.

J'ai bien conscience que ces problématiques aggravent les difficultés de recrutement et de fidélisation du personnel médical déjà présentes. J'aimerais insister sur l'impact négatif de ce problème sur les internes, et tout particulièrement ceux de médecine générale, qui réalisent des stages dans les petits centres hospitaliers, encore plus durement touchés par la pénurie de médecins.

En effet, comment espérer obtenir une formation de qualité quand les médecins seniors, supposés nous épauler et enseigner, sont eux-mêmes bien trop débordés ou changent tous les mois ?

Une réorganisation de notre système de santé doit voir le jour pour permettre de libérer du temps médical en diminuant les charges administratives et en augmentant le temps passé auprès des malades.

Toutefois, le manque de temps et de moyens n'est pas l'apanage de notre hôpital.

Le milieu ambulatoire est également en souffrance. Les médecins généralistes, pierre angulaire du système, sont en tension et ne sont pas à même de répondre à la demande de soins. Le nombre de médecins généralistes a diminué au profit d'une augmentation du nombre total des autres spécialistes. Le constat est là : nous ne sommes pas assez nombreux.

En parallèle, l'augmentation et le vieillissement de la population ont créé un besoin de soins plus important, avec une augmentation des pathologies chroniques, des problématiques de maintien à domicile et des prises en charge toujours plus complexes et chronophages.

Les problématiques liées au vieillissement sont plus prégnantes que jamais et nécessitent de revoir l'organisation du système de soins afin de permettre une prise en charge coordonnée entre les différents professionnels, avec des moyens de communication adaptés.

Pour autant, les jeunes ont toujours l'envie de soigner et d'aider au mieux les populations. 80 % des internes de médecine générale envisagent un exercice en milieu rural ou semi-rural.

Qu'est-ce qui pourrait aider ces jeunes médecins qui souhaitent s'installer ?

La création de guichets uniques, facilitateurs d'installation pour les jeunes générations, permettrait de simplifier les démarches et supprimerait un frein important. Les aides financières seules ne peuvent suffire à résoudre ces problématiques. Elles doivent permettre d'engager un accompagnement du jeune médecin dans son installation.

La présence de services publics, de transports, d'un emploi pour le conjoint ou la conjointe sont autant de leviers permettant de rendre les territoires attractifs. Pour les internes, et selon l'enquête sur les déterminants à l'installation du Conseil national de l'ordre des médecins, le premier facteur déterminant l'installation est la proximité familiale et le second la présence de services publics.

L'aspect financier, bien que n'étant pas majoritaire, reste un des leviers possibles. En ce sens, le nouveau contrat de début d'exercice, lancé en février dernier, permet non seulement une aide financière, mais également une couverture sociale majorée. Il doit être développé et proposé le plus largement possible aux jeunes générations.

Autre levier d'action pour valoriser les territoires et encourager l'installation : le développement des stages en milieu ambulatoire. Pour permettre la découverte des territoires, les étudiants doivent pouvoir y être accueillis dans de bonnes conditions, notamment via le développement des hébergements territoriaux d'étudiants en santé, l'augmentation de l'indemnité de transport, actuellement à 130 euros par mois, figée depuis 2014.

La formation doit cependant rester qualitative et ne pas dégoûter préalablement les étudiants déjà éprouvés par un système maltraitant. Actuellement encore trop centrée sur le CHU, la formation doit s'ouvrir à la multitude des exercices possibles en médecine.

Si je devais choisir un mot sur ce qui manque aujourd'hui à notre système de santé, j'utiliserai celui de bienveillance.

Remettre la bienveillance au coeur de notre système de soin, c'est permettre à chaque étudiant de découvrir les multiples facettes de la médecine et de s'épanouir dans cette merveilleuse profession qu'ils ont choisie. C'est permettre à chacun d'exercer librement, sans contraintes à l'installation, et remettre la confiance aux mains des professionnels, garants d'un système de santé pour lequel ils s'échinent déjà.

La bienveillance, c'est garantir à tous les soignants un épanouissement professionnel permettant un équilibre entre vie privée et vie professionnelle, propice à la pérennité de notre système de soins,

Enfin, la bienveillance, c'est redonner à tous les soignants les moyens d'apporter des soins dignes et de qualité à l'intégralité de la population française.

La bienveillance pour les soignants, aujourd'hui, c'est permettre de construire un système de soins qui sera plus tard bénéfique à chacun de nos patients.

Dr Agathe Lechevalier, présidente du Regroupement autonome des généralistes jeunes installés et remplaçants (ReaGJIR). - Ma vision est celle des jeunes médecins généralistes qui ont un exercice majoritairement ambulatoire, mais on ne peut parler d'hôpital sans parler d'ambulatoire.

Comme l'a dit le docteur Renker, on constate une augmentation de la charge en ambulatoire liée à plusieurs facteurs, comme l'augmentation et le vieillissement de la population, avec ses pathologies chroniques, ainsi qu'une diminution du temps médical, les médecins généralistes n'ayant pas d'aspiration à avoir la même charge de travail que leurs aînés.

On assiste aussi globalement à une surmédicalisation de la société française, avec un recours à la consultation pour des motifs administratifs - certificats, arrêts de travail pour des pathologies bénignes ou qui pourraient être gérées à la maison, éventuellement avec l'aide des autres professionnels de santé, qu'il s'agisse des pharmaciens, des infirmières, etc.

Globalement, il existe assez peu d'éducation à la santé en France, d'où une demande de soins importante en ambulatoire, qui se répercute inévitablement vers les services d'urgence pour ce qui est des soins non programmés.

Ceux-ci sont saturés par des pathologies qui pourraient être traitées par la médecine de ville et qui ne le sont pas, faute de réponse du fait d'une surcharge de travail.

Les urgences constituent la porte d'entrée de l'hôpital. Pour un médecin généraliste, il est compliqué d'adresser directement un patient dans le service concerné par sa pathologie. On demande en effet aux médecins d'adresser les patients aux urgences, ce qui entraîne une charge de travail non justifiée pour ces dernières, le patient y étant réorienté vers le service hospitalier qui le concerne.

On observe en matière d'hospitalisation des prises en charge de plus en plus rapides, avec des objectifs de durée de séjour sans anticipation de la suite de la prise en charge en ambulatoire, une communication insuffisante entre médecins et une absence d'anticipation de certaines problématiques médicales et sociales.

Concrètement, les patients qui manquent d'autonomie sont renvoyés à la maison faute de possibilité de les garder à l'hôpital du fait des objectifs de durée de séjour. Ils se retrouvent dès lors avec des problématiques d'autonomie ou des problématiques médicales qui n'ont pu être gérées à l'hôpital par manque de temps et qu'on traite en ambulatoire, avec des moyens souvent insuffisants.

De façon plus générale, on déplore un manque de communication entre les hospitaliers et les libéraux. Il est très compliqué, en ville, d'avoir des avis de la part des hospitaliers, et on attend un dossier médical en ligne qu'on nous promet depuis plusieurs années.

Ma consoeur a décrit la vision que l'on peut avoir du système hospitalier, avec un manque de modernisation du système informatique, un manque d'homogénéité des systèmes en place, qui sont parfois obsolètes. On voit d'ailleurs que les hôpitaux sont régulièrement victimes de malwares, le système ne permettant malheureusement pas une protection optimale.

En matière de santé mentale, les places en hospitalisation et les ressources hospitalières ou celles des centres médico-psychologiques sont largement insuffisantes, que ce soit pour les adultes ou en pédopsychiatrie, où la situation dépasse le champ de la médecine générale, les patients en souffrance ne pouvant recevoir de réponse.

On constate, s'agissant plus spécifiquement de l'attractivité, vu de l'hôpital et même de l'extérieur, des conditions financières insatisfaisantes, avec des échelons bloqués pendant plusieurs années, et un recours au CDI pour les paramédicaux plutôt qu'à la titularisation, avec des avantages inférieurs.

Mes consoeurs et mon confrère en ont parlé : les internes étudiants sont utilisés comme main-d'oeuvre bon marché, avec un encadrement lacunaire qui les dégoûte du travail hospitalier. On constate aussi une externalisation des prestations à l'hôpital, avec des recours à certaines entreprises plutôt qu'à des embauches. Je pense ici à l'entretien des locaux et aux facturations supplémentaires des patients - chambres seules, coûts de stationnement et dépassements d'honoraires, de plus en plus pratiqués dans l'hôpital public.

Enfin, les conditions de travail à l'hôpital sont déplorables : charge de travail importante pour les personnels médicaux ou paramédicaux, horaires longs, manque de reconnaissance du travail fourni, impression de courir après le temps sans possibilité de réaliser un travail de qualité, manque de matériel, personnels ballottés dans les services et, surtout, manque d'accompagnement psychologique, particulièrement pour les services concernés par l'épidémie de covid, toujours en cours.

Or les soignants qui s'engagent dans l'hôpital public le font avec le goût du service public et l'envie d'aider les autres, sans question de rentabilité. Un espoir est né durant la crise du covid, avec le « quoi qu'il en coûte », celui de se focaliser à nouveau sur le soin et d'abandonner la logique de rentabilité - mais je crains qu'on soit revenu sur cette question.

M. Bernard Jomier, président. - Merci à vous quatre de nous avoir exposé toutes ces problématiques en un temps restreint.

La parole est à Mme la rapporteure.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Merci à tous les quatre d'avoir synthétisé les problématiques qu'on sentait poindre et qu'on avait pour certains déjà identifiées au fil de nos travaux parlementaires, mais dont on a eu confirmation depuis le début de cette commission d'enquête.

Notre commission d'enquête a voulu se concentrer sur l'hôpital, mais aussi sur l'exercice à la sortie des études.

On constate un recul de l'attractivité de l'hôpital. Ce que vous dites à propos des échelons et de la progression de carrière est ubuesque. Nous l'avions signalé, après le Ségur, à Olivier Véran, qui nous avait affirmé que ce n'était pas le cas - mais les chiffres sont là.

Quelles seraient, selon vous, les mesures susceptibles d'avoir un effet rapide sur l'hôpital ? Comment mobiliser rapidement et durablement un nouveau vivier de praticiens ? On pourra avoir la même question au sujet des autres professionnels, mais nous resterons sur les médecins.

Vous avez abordé les conditions actuelles de formation lors de l'internat. C'est notamment vrai pour la médecine générale, qui a désormais une volonté de s'ouvrir sur l'extérieur.

Par ailleurs, on l'a dit, les tâches administratives plombent une partie de vos journées. Quelles sont les pistes d'amélioration que l'on pourrait suivre ?

On dit que l'hôpital est suradministré. C'est un lieu commun. Si l'on veut en décharger les soignants, il faudra que quelqu'un assume ces tâches, sauf à penser qu'on peut les rationaliser. Si c'est à enveloppe constante, quelqu'un d'autre devra les accomplir, et l'on va renchérir l'administratif.

L'informatisation constitue une piste substantielle pour améliorer le temps consacré à la charge administrative, mais en existe-t-il d'autres ?

Vous avez par ailleurs abordé l'exercice mixte et la permanence des soins.

Je voudrais revenir sur la dimension territoriale, car si l'on veut que l'hôpital retrouve un souffle, il faut aussi, en amont ou en aval, développer une organisation pertinente du soin à l'échelle d'une population.

Qu'est-ce qui pousse un médecin à s'installer sur un territoire ? La présence des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) peut-elle y contribuer ? Quels obstacles entrevoyez-vous ? Qu'est-ce qui attire le plus un jeune médecin qui termine ses études ?

M. Bernard Jomier, président. - J'ai été frappé par ce que vous avez dit à propos de la culture du monde hospitalier, qui encourage la violence et les agressions. Si les Français entendent cela, ils vont tomber de leur chaise car, pour tout le monde, la culture du monde hospitalier repose sur la bienveillance et l'empathie !

Est-ce la dégradation qui en est responsable, ou existe-t-il d'autres causes structurelles à ces agressions ?

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - La commission des affaires sociales recevra, le 26 janvier, l'association des étudiants qui a publié un Livre blanc sur la maltraitance. Elle entendra par ailleurs ce matin-là la Conférence des doyens.

Dr Agathe Lechevalier. - Mes collègues l'ont dit et les études le montrent, les étudiants, les internes en médecine et les professionnels paramédicaux sont en souffrance. Quand on est en souffrance, on ne peut être ouvert à la souffrance de l'autre ni en prendre soin. Quand on est maltraité dans son travail, on n'a pas envie de bien traiter l'autre. Quand on n'a pas de temps pour bien s'occuper de l'autre, on est maltraitant.

Un patient est, par définition, une personne en situation de vulnérabilité. Les patients sont alors bien plus sensibles à la façon dont on les traite - et je ne parle pas seulement d'un point de vue physique, mais aussi psychique.

On ne peut attendre d'un professionnel en souffrance qu'il s'occupe bien d'un patient. On parle de l'hôpital, mais c'est pareil en ambulatoire, pour le médico-social ou les Ehpad. Si on ne règle pas ce problème, on ne peut régler la question de la maltraitance des patients.

Je reviens sur les questions se rapportant aux jeunes généralistes. Qu'est-ce qui les pousse à s'installer dans tel endroit plus que dans tel autre ? La question est mal formulée : le problème vient de ce que l'on manque de temps médical pour répondre aux besoins de santé de la population.

Vous pouvez tenter de pousser tous les médecins remplaçant à s'installer : vous n'arriverez pas à résoudre le problème de l'accès au médecin traitant. La consommation de soins de la population croît pour des raisons de vieillissement, d'augmentation des maladies chroniques. Je l'ai dit, pour des pathologies bénignes, une éducation à la santé pourrait suffire. Malheureusement, certaines consultations ont un but administratif - certificats médicaux, arrêts de travail, enfants malades, etc. On demande là l'expertise d'un médecin, alors qu'elle n'est pas nécessaire. Cette paperasse ne sert à rien et fait perdre du temps à tout le monde !

Comment gagner du temps administratif ? Comment faire en sorte que le médecin fasse de la médecine et moins de papiers ? Je l'ai dit pour ce qui est des consultations, mais la simplification de l'entreprise libérale reste un des facteurs déterminants. Cela a notamment été fait avec les assistants médicaux...

M. Bernard Jomier, président. - Les questions de Mme la rapporteure portent sur l'hôpital...

Dr Agathe Lechevalier. - Dernier point : les CPTS sont-elles attractives ? Pas directement, mais les maisons de santé pluri-professionnelles le sont. Comme Mme Renker l'a expliqué, l'enquête sur les déterminants à l'installation a démontré qu'avoir des attaches familiales sur un territoire, y trouver des services publics ou y avoir fait ses études constituent des facteurs attractifs.

Mme Mathilde Renker. - Nous avons tous, concernant les mesures immédiates en faveur de l'hôpital, insisté sur la qualité de vie. C'est sur ce point qu'il faut faire porter les efforts.

Il est très important d'attirer les soignants vers l'hôpital. Or cela ne pourra se faire si les soignants pensent avoir une mauvaise qualité de vie en travaillant dans l'hôpital public. Ce sont des questions qui peuvent se résoudre, notamment en matière d'horaires de travail et de tâches administratives.

Aujourd'hui encore, une des tâches courantes des externes consiste à faxer des documents dans les différents services !

M. Bernard Jomier, président. - Un certain nombre d'hôpitaux sont cependant bien équipés de systèmes informatiques ! On y trouve encore des fax ?

Mme Mathilde Renker. - C'est ce que j'ai vécu, et mes collègues pourront en témoigner certainement également.

Cette problématique pourrait facilement se résoudre grâce à l'outil numérique. Les externes sont censés apprendre leur métier. Commencer ses études dans un milieu hospitalier dans lequel la tâche principale consiste à passer des fax ne donne pas envie d'y retourner par la suite, ce qui est compréhensible.

Je ne reviendrai pas sur les déterminants à l'installation, sujet que j'ai déjà abordé. L'enquête du Conseil de l'ordre a démontré l'importance de la proximité familiale dans ce domaine, ainsi que le fait de disposer de services publics - transports, gares, etc.

Enfin, s'agissant de la maltraitance hospitalière, la grande enquête sur la santé mentale a démontré que 76 % des violences déclarées ont été subies à l'hôpital.

Dr Thiên-Nga Chamaraux Tran. - Comment juguler l'hémorragie, voire inciter les praticiens hospitaliers à retourner vers l'hôpital ? Il faudrait reprendre leur ancienneté. Actuellement, beaucoup de médecins aimeraient revenir à l'hôpital avec leur ancienneté, mais celle-ci n'est pas prise en compte. Ils seraient alors classés à des échelons assez bas.

Une note stipule même que les praticiens hospitaliers qui démissionneraient pour repasser le concours ne bénéficieront pas de la nouvelle grille salariale. Ils seront reclassés à un échelon correspondant à la rémunération qui était la leur avant la démission.

La correction salariale pourrait immédiatement stopper cette hémorragie, de même qu'une revalorisation de la permanence des soins. Une nuit de garde n'est pas chère payée et guère prise en considération, alors que l'hôpital est le dernier recours des patients. On se retrouve, la nuit, dans des situations catastrophiques et épuisantes.

On enregistre une surcharge de travail même sur les secteurs où tous les postes sont occupés, mais où la nécessité de création d'emplois n'a pas été réévaluée. Beaucoup d'hôpitaux ne veulent pas créer de nouveaux postes dans certains services.

Il existe beaucoup de tâches administratives à l'hôpital qui pourraient être accomplies par des secrétaires médicales. Malheureusement, il n'y en a pas beaucoup sur le marché. Tous les hôpitaux enregistrent un réel déficit de secrétaires, et nous sommes amenés à prendre rendez-vous nous-mêmes pour nos patients lorsqu'on a besoin d'un avis spécialisé.

M. Bernard Jomier, président. - A-t-on supprimé des postes de secrétaires médicales ?

Dr Thiên-Nga Chamaraux Tran. - Je sais que cela ne suit pas. De toute façon, il n'y en a pas assez sur le marché, que ce soit en libéral ou dans le public.

Il existe toutefois des pistes : on pourrait recruter des aides-soignantes en arrêt maladie pour des problèmes de lombalgie et les former, car leur culture médicale pourrait faciliter leur réaffectation. Il semble toutefois qu'il soit plus facile de les maintenir en arrêt maladie plutôt que de les former à des tâches administratives. Il y a cependant là une piste à explorer.

On pourrait également faciliter le concours de praticien hospitalier pour conserver les chefs de clinique et les assistants dans le giron de l'hôpital. L'hôpital pourrait aider à envoyer le dossier au Centre national de gestion (CNG), alors que c'est celui qui veut devenir praticien hospitalier qui doit monter son dossier. Or il est parfois difficile d'obtenir la preuve de son engagement dans les différents centres que l'on a fréquentés.

On a déjà parlé de la rationalisation grâce à l'informatisation. On perd en effet beaucoup de temps à récupérer les examens. Il est donc parfois plus facile de demander un nouvel examen que d'essayer de récupérer les résultats dans un cabinet ou un autre hôpital.

L'organisation régionale de la santé est une piste intéressante. Les Allemands ont par exemple un ministre de la santé dans chaque Land. C'est sûrement une voie à explorer en matière d'optimisation des besoins de santé régionaux.

Les facilités de garde d'enfants sont attractives pour les jeunes médecins et personnels paramédicaux en âge de procréer. Il y avait autrefois beaucoup de places en crèche dans mon hôpital. Il y en a aujourd'hui de moins en moins. Les centres aérés ont même été supprimés. Cela peut ôter une charge mentale à tous les soignants, qu'il s'agisse des femmes ou des hommes, du fait des changements sociétaux.

Quant à la culture de la violence, même si j'ai la chance de travailler dans une équipe qui reste emphatique et qui se serre les coudes, j'ai déjà entendu, au cours de ma formation des phrases comme : « La gentillesse n'a jamais sauvé de vie ». On a d'autre part une culture de la performance jusqu'au-boutiste. Les gardes de 24 heures étaient à l'origine destinées à forger le caractère des médecins, alors que les décisions sont vraiment difficiles à prendre au bout de 24 heures. Je ne pense pas qu'il soit intéressant de maintenir une garde aussi longtemps.

M. Gaëtan Casanova. - Imaginer qu'on pourrait, en un coup de baguette magique, changer ce qui a mis quinze ans à être construit - ou déconstruit - serait pure folie. Je n'ai donc aucune réponse immédiate à apporter à la question de savoir comment sauver l'hôpital.

En revanche, je crois en l'espérance et au fait qu'on puisse apercevoir le bout du tunnel. Aujourd'hui, la perspective de l'évolution de l'hôpital est plus à l'affaissement total qu'à l'amélioration, en tout cas dans la vision des soignants - et j'ai l'impression que personne ici ne me contredira.

Amorcer un mouvement pour essayer de sortir de cette situation donnerait de l'espoir aux soignants et serait porteur d'engagements. Aujourd'hui, la lassitude est immense. Il existe une grande différence entre les moyens extraordinairement élevés qui ont été engagés, ce qui est incontestable, et la capacité à les visualiser de façon concrète. Cette dichotomie est infernale et décourageante.

Lorsque j'ai entendu le ministre dire qu'on n'aurait plus besoin de réformer l'hôpital pendant dix ans après le Ségur de la santé, j'ai eu un serrement de gorge. Je me suis demandé comment il pouvait parler ainsi. Soit il en est convaincu, et c'est excessivement inquiétant, soit il ne l'est pas, et cela l'est tout autant. Voilà des propos qui vont encore valoir une grande célébrité au ministère de la santé !

Tous les soignants ont ressenti les choses de cette façon. Encore une fois, énormément de bonnes choses ont été réalisées, notamment en matière numérique. Comment esquisser ce mouvement ? Il convient de communiquer pour ne pas retrouver l'exemple de ce patient sur le brancard avec sa pile de dossiers dont j'ai parlé. Il ne suffit pas de passer un appel téléphonique pour obtenir les documents !

En second lieu, il faut définitivement séparer le grade de la fonction. Si voulez une mesure choc, il suffit de supprimer l'école de Rennes des directeurs d'hôpitaux et de recruter les personnels sur les compétences et le projet et non en fonction d'une école ! Il en va de même des médecins.

Pour ce qui est des tâches administratives, je l'ai dit : le numérique, le numérique, le numérique !

Je sais qu'au Sénat, comme à l'Assemblée nationale, la question de l'accès aux soins fait parler, tout comme dans les médias. Pour nous, jeunes médecins, c'est toujours inquiétant, notamment parce que les propositions des deux assemblées sont probablement inefficaces !

Un rapport de la Drees sorti en décembre analyse les mesures efficaces ou non pour favoriser l'installation dans les zones sous-denses. Il relève que l'on s'installe plus facilement là où sont ses proches. C'est d'une évidence folle !

Peut-être devrait-on réfléchir à établir une certaine mixité sociale dans les études de médecine, car elles sont de celles où le taux de boursiers est le moins élevé. Il faudrait que des jeunes médecins viennent de quartiers défavorisés, qui constituent aussi des zones sous-denses, ou de zones rurales. Dès lors, le problème s'améliorera durablement, même s'il ne va pas se résoudre tout de suite.

Enfin, cela fait un an que l'INSI se bat contre les violences, qui constituent un problème gravissime. Il ne s'agit pas de dire que les médecins et les soignants sont plus violents que les autres, mais le monde médical et l'hôpital en particulier permettent aux violences de prospérer. Lorsque vous êtes interne, vous êtes « séquestré » durant trois, quatre ou cinq ans dans un établissement. Plus l'établissement est petit et plus vous êtes sûr de vivre un amour plus ou moins contrarié avec votre chef de service. Il faut être sage et conciliant pour ne pas vivre un véritable enfer.

En médecine, un interne ne peut changer de ville. On est affecté à un établissement jusqu'au bout. On est donc totalement à la merci du chef de service...

M. Bernard Jomier, président. - Vous changez bien tous les semestres ?

M. Gaëtan Casanova. - Oui, mais imaginons que vous soyez dans un centre hospitalier de taille modeste. Vous allez passer le plus clair de vos semestres dans un service où le chef de service et le coordonnateur sont souvent la même personne, qui jouera de tout son poids sur votre cursus universitaire et votre évolution hospitalière. On y est pour un temps suffisamment significatif pour que cela puisse être dangereux. C'est ce contexte qui permet à tout ceci de prospérer.

L'exemple le plus marquant est l'affaire de Poitiers. Il y a quelques années, à Paris, la directrice de l'hôpital Georges Pompidou, Anne Costa, a été mise en examen pour homicide involontaire, dans un contexte de harcèlement. Certains internes ont pu écrire que tous les matins, lorsqu'ils allaient travailler, ils attendaient de se prendre un mur pour pouvoir en finir ! J'ai vu certaines personnes en larmes, des années après, alors même qu'elles avaient changé de spécialité, quitter la ville pour éviter d'évoquer ce qui s'était passé là-bas. On en a évidemment parlé à la directrice, les personnes concernées étant le chef de service et le chef de pôle. Elle a répondu : « Ces personnes sont de bons praticiens ». C'est la bonne vieille formule qui veut qu'il faut séparer l'homme de l'artiste. C'est excessivement inquiétant, et c'est pourquoi tout le monde quitte l'hôpital de Poitiers pour La Rochelle. Personne ne veut plus y rester. Je viens d'apprendre que la seule personne qui voulait occuper un poste universitaire à Poitiers dans le service de gynécologie-obstétrique est partie.

La directrice est toujours en poste, le chef de service et le chef de pôle ont perdu leurs fonctions administratives, mais demeurent en place. C'est ce qui fait que les choses sont très difficilement vécues.

M. Bernard Jomier, président. - Je ne ferai pas de commentaire. La parole est aux commissaires.

Mme Florence Lassarade. - Merci d'être venus devant nous dire tout ce que nous pressentions. Le dossier numérisé me paraît une priorité, mais le plus prégnant dans vos témoignages concerne la maltraitance.

Celle-ci semble le fait de professeurs de CHU, où vous êtes tous formés. Pourquoi ne pas délocaliser votre formation dans des centres plus modestes, ce qui vous permettrait de respirer dans votre cursus, les médecins et les praticiens hospitaliers, dont j'ai fait partie, étant prêts à former des étudiants externes ou même internes ?

Dans les établissements périphériques, comme à Langon, on souffre de ne pas avoir d'internes pour aider au fonctionnement des services, alors que ceux-ci peuvent être relativement épanouissants.

En second lieu, les patients sont aujourd'hui avides d'informations. Ils sont plus ou moins bien informés, mais ont besoin qu'on passe auprès d'eux plus de temps qu'avant. La maltraitance peut-elle venir de l'usager ?

Mme Laurence Cohen. -Vos propos liminaires corroborent ceux déjà recueillis par la commission d'enquête ainsi que les remontées du terrain.

Le problème que vous avez souligné porte sur la gouvernance de l'hôpital. Il me semble qu'il s'agit de redonner du pouvoir au personnel et aux usagers d'une manière générale, et de faire en sorte que les gestionnaires accompagnent sans diriger, alors qu'aujourd'hui on leur demande de réduire les dépenses en exerçant une certaine toute puissance sur les choix budgétaires de l'établissement.

Cette maltraitance, pour une part, me parait liée à la gouvernance et à cette forme de toute puissance. À Poitiers, les choses sont claires : on a préféré garder des professionnels qui auraient dû être renvoyés - cela n'engage que moi - pour conserver les compétences. C'est une question de gouvernance. Qu'en pensez-vous ?

Par ailleurs, dès lors que les conditions de travail sont dégradées et qu'il manque du personnel, on n'a plus cet accompagnement qui constituait les lettres de noblesse de l'hôpital. Le salaire était peut-être moins élevé, mais le tutorat était de qualité. Modifier les conditions de travail pourrait donc permettre de redresser la barre.

En mai 2020, sur ma proposition, Catherine Deroche avait organisé une audition d'Emmanuel Durand, président du Syndicat national des médecins hospitaliers, qui avait dénoncé les rétrogradations de praticiens hospitaliers. Nous avions posé la question à Olivier Véran, qui n'avait pas voulu répondre. Peut-on avoir plus d'éléments concernant les revendications et la façon dont elles sont accueillies ?

Enfin, vous avez évoqué le lien avec l'ambulatoire. L'ambulatoire ne fonctionne correctement qu'à partir du moment où il est très encadré et qu'il y a des personnels en nombre suffisant, notamment paramédicaux, métiers où l'on enregistre une très forte pénurie.

Pensez-vous que les jeunes médecins puissent être attirés par la création dans tous les territoires de centres de santé, qui correspondraient à ce que beaucoup souhaitent, à savoir une réduction des horaires de travail, un statut salarié et un travail en équipe, en lien avec l'hôpital ?

Mme Nadia Sollogoub. - On sait que 90 % des étudiants en médecine viennent de la ville. Il ne faut donc pas s'étonner qu'ils n'aillent pas ensuite s'installer en milieu rural.

Disposez-vous de la typologie des étudiants ? Peut-être faut-il établir des passerelles pour que les jeunes ruraux aient accès aux études de médecine...

Mme Florence Lassarade. - Il y en a en première année...

Mme Nadia Sollogoub. - Je voudrais enfin vous livrer un témoignage. Je me suis rendu compte, lorsque j'ai rencontré Mme Renker à Arleuf, dans le Morvan, lors d'un congrès d'internes en médecine, que le coeur du problème repose sur l'attractivité. J'étais favorable à l'amendement obligeant les internes à suivre une année supplémentaire dans les territoires ruraux. Or Mme Renker m'a expliqué que si on les obligeait à venir sans vérifier la qualité ni les conditions d'encadrement des stages, ils partiraient en courant. Elle a insisté sur le fait de mieux organiser les choses, en affirmant que les internes viendraient alors avec plaisir.

Je tenais à livrer ce témoignage, car il faut être constamment en lien avec vous, sous peine de faire fausse route !

M. Jean Sol. - Ma première question concerne le mal-être. Est-il corrélé à vos conditions de travail ou à la représentation que vous vous faisiez de votre médecin avant vos études et à la réalité de nos établissements de santé, publics ou privés, ou de nos cabinets ?

Par ailleurs, avez-vous, au sein des institutions dans lesquelles vous travaillez, des espaces d'écoute, de dialogue et de partage qui peuvent peut-être vous permettre de décompresser ?

Enfin, pourriez-vous nous rappeler en quelques mots en quoi consiste la charge administrative que vous avez évoquée les uns et les autres ?

Mme Sonia de La Provôté. - Ce que j'entends m'attriste beaucoup. J'ai quant à moi un souvenir formidable de mes études de médecine. J'ai fait du périphérique. À l'époque, on était pris en charge, et on apprenait plein de choses en dehors du CHU. On était respecté, même si on était peu payé, et on était récompensé par la formation et par ce qu'on nous transmettait.

Les choses ont-elles changé à ce point ? Certes, on était de temps en temps un peu « martyrisés », mais on était nombreux à se défendre. J'ai le sentiment que la situation s'est terriblement dégradée. Tout ce que vous signalez existait, mais pas dans les mêmes proportions, et on arrivait à lutter. Comment les choses ont-elles pu changer à ce point ? Y a-t-il un manque de convivialité entre les étudiants ? On disposait de soupapes. Cette dimension a-t-elle complément disparu ? Cela reste néanmoins des études fantastiques et des métiers formidables.

Par ailleurs, je peux témoigner du fait que des postes de secrétaire ont disparu au profit de plateformes de prise de rendez-vous. C'est le cas à l'AP-HP. On a renforcé l'administration à l'hôpital et diminué le travail de terrain, qui était utile et qui participait du collectif de soins dans les services. Le secrétariat et les soignants travaillaient ensemble. Peut-être est-ce cette proximité qu'il est nécessaire de rétablir.

L'exercice mixte ville-hôpital se pratiquait beaucoup autrefois. On échangeait énormément. Les médecins venaient effectuer des vacations. Vous l'avez proposé. Pensez-vous que ce serait un élément moteur pour permettre l'installation en ville et dans des hôpitaux généraux moins dotés, dans les secteurs ou l'on enregistre une forme de désertification médicale ? C'est ce qui a été supprimé en premier dans les hôpitaux pour des raisons budgétaires.

Enfin, la spécialisation dans d'autres exercices médicaux - pédiatrie, gynécologie, etc. - relevait des certificats d'études supérieures (CES) avant que tout passe en DES. Je fais partie de ceux qui ont connu cette époque. On arrive à la fin des CES en ville. Tout le monde part, qu'il s'agisse de la cardiologie, de l'ophtalmologie, de la gynécologie ou de la pédiatrie. Cela crée une carence supplémentaire de spécialistes qui n'étaient pas des DES, mais qui réalisaient une grosse partie de la prise en charge ambulatoire. Ce sont ceux-là mêmes qui réalisaient des vacations hospitalières et qui créaient le lien entre la ville et l'hôpital. Pensez-vous qu'il faille favoriser cette spécialisation des exercices médicaux de façon à développer les liens avec l'hôpital ?

M. Gaëtan Casanova. - Il existe un moyen de régler la maltraitance en général et l'absence de formation. La formation médicale n'est pas un caprice d'étudiant, mais la possibilité de prendre en charge des patients de la meilleure façon qui soit pour les années à venir.

Il existe dans les hôpitaux périphériques deux commissions pour accueillir des internes dans un établissement ou un service, la commission d'agrément et la commission de répartition des postes.

Des avancées majeures ont été réalisées à notre demande dans ce domaine par le ministère de la santé. Même si le règlement le prévoyait, il n'existait en effet en pratique aucune lisibilité. Les personnes n'étaient pas toutes convoquées. Il n'y avait ni procès-verbal ni signature. Le maître mot était le « copinage », qui a tendance à renvoyer vers le CHU.

C'est en train de se régler - du moins je l'espère. Des engagements ont été pris par le ministre, et je les salue. Cela va changer les choses, je le crois.

S'agissant de la gouvernance, peut-être faut-il se poser la question de la décentralisation des nominations des directeurs d'hôpitaux et du rôle des élus à l'échelon local. On a un système de santé excessivement centralisé. Est-ce une bonne chose ? De moins en moins de personnes le pensent. Peut-être faut-il revoir le poids des élus et des acteurs de terrain.

Il faut redonner aux territoires la main sur leurs hôpitaux. On sait l'importance que cela peut avoir en termes d'aménagement du territoire et en termes économiques. Il me semblerait donc logique que les territoires puissent se saisir à nouveau de ce problème.

Vous avez parlé de centres de santé. Avec notre réseau de médecine générale, nous avons travaillé sur la question des pépinières d'internes. L'idée est d'avoir de grands axes de communication dans des zones qui ne sont pas forcément bien dotées.

Partir seul dans un endroit qu'on ne connaît pas ne donne pas toujours envie. En revanche, le fait de pouvoir se former avec des maîtres de stage à trois, quatre ou cinq, pendant six mois, est probablement plus attractif. C'est ce genre de perspectives qu'il faut développer.

Connaître un territoire est un facteur qui favorise également l'installation.

Les choses ont-elles tant changé ? En effet, et le monde hospitalier n'est plus du tout le même. C'est un problème que l'on a avec les générations les plus anciennes, qui voient la réalité à travers le filtre de leur vision d'autrefois. Le monde a changé, et pas seulement à l'hôpital. Vous parliez des DES. À une certaine époque, il existait une vraie flexibilité. On commençait à suivre une spécialité, puis on s'orientait finalement vers une autre. Aujourd'hui, on passe le concours, puis on doit préparer une spécialité sans pouvoir en changer, sauf rares exceptions.

Il existe de plus en plus de spécialités qui sont étriquées, enfermées, et vous avez intérêt à bien travailler, parce que c'est ce qui va déterminer la suite de votre vie. Cela donne des personnes dures, déprimées, souvent peu solidaires. Comment voulez-vous éprouver la moindre once d'empathie ? Cette machine qui vous broie produit des personnalités dont les valeurs humaines sont très discutables.

Dr Thiên-Nga Chamaraux Tran. - Les choses allaient déjà mal en matière de conditions de travail avant le covid, mais elles sont désormais insupportables.

En effet, le Président de la République, à Mulhouse, le 25 mars 2020, alors qu'on avait dû monter un hôpital militaire sur un parking, avait dit : « Beaucoup a été fait, sans doute pas suffisamment vite, pas suffisamment fort. L'engagement que je prends ce soir pour eux et pour la Nation tout entière, c'est qu'à l'issue de cette crise, un plan massif d'investissement et de revalorisation de l'ensemble des carrières sera conduit pour notre hôpital. C'est ce que nous leur devons. C'est ce que nous devons à la Nation. Cette réponse sera profonde et dans la durée. »

Vous m'avez par ailleurs posé la question de savoir quelles étaient les charges administratives que nous rencontrons en plus des tâches inhérentes à notre activité médicale. Lorsque j'ai besoin d'un nouvel appareil de monitorage hémodynamique dans mon service de réanimation, il nous faut, après que plusieurs industriels nous aient présenté les différents appareillages, monter un dossier qui va passer devant une commission. Or nous n'obtenons jamais de réponse. On nous explique au bout d'un moment qu'on ne renouvellera que le matériel nécessaire, faute de possibilité d'investissements supplémentaires.

On a perdu du temps à monter un dossier pour justifier notre demande, en expliquant ce que cet appareillage pourrait changer dans notre pratique, et cela ne sert finalement à rien. Ce sont ces charges administratives qui nous empêchent de faire notre travail correctement.

Il y a également tout ce qui a trait aux certificats totalement stupides que nous devons remplir pour attester qu'un enfant a le droit de faire de la danse, etc. ou, en réanimation, pour les assurances des personnes accidentées.

On a évoqué la nécessité d'un lien entre ville et hôpital. Le statut unique de praticien hospitalier prévoyait de définir pour chacun un pourcentage d'exercice à l'hôpital et en ville. Ceci pourrait effectivement favoriser un exercice mixte, qui a disparu avec la suppression, pour raisons budgétaires, des postes de praticiens attachés.

Cette dichotomie ville-hôpital serait selon moi plus saine qu'une activité privée dans l'hôpital public, qui engendre des dépassements. Sanctuariser l'hôpital public serait plus utile, notamment en termes de relations interpersonnelles.

On a évoqué le virage ambulatoire nécessaire pour désengorger l'hôpital. Cela ne peut se faire qu'en augmentant le nombre de médecins généralistes. Des ratios 50-50 seraient au minimum nécessaires pour pouvoir réinvestir la ville. La restauration des CES pourrait ajuster les besoins en pédiatrie, en gynécologie médicale.

Qu'en est-il de la grille des praticiens hospitaliers ? Jeunes médecins a déposé un recours devant le Conseil d'État. Nous n'avons pas de nouvelles pour l'instant. 8 000 praticiens hospitaliers ont par ailleurs exercé un recours auprès des tribunaux administratifs. Ils n'ont pour le moment pas non plus de nouvelles à propos de leur déclassement.

Mme Mathilde Renker. - Le numérique est évidemment un outil à développer au plus vite, nous sommes tous d'accord.

En ce qui concerne la maltraitance, 60 % des violences sont commises par des supérieurs, entraînant une omerta extrêmement importante à l'hôpital. On a peur de perdre un poste, de voir son stage invalidé. Évoquer ces situations, c'est faire preuve de faiblesse, et on ne veut pas paraître faible devant ses collègues.

Il faut que les agresseurs ne restent pas impunis. C'est ce qui empêche les victimes de parler. Pourquoi parler si cela ne change rien ? C'est souvent le discours d'internes qui nous rapportent les faits.

Je n'ai pas de chiffres concernant la répartition des internes entre CHU et CH. Je ne suis pas persuadée qu'il existe une différence. Les internes de médecine générale se retrouvent très souvent dans les centres hospitaliers périphériques, les CHU prenant plutôt des internes d'autres spécialités.

Étendre la possibilité de stage aux centres hospitaliers de périphérie permet une autre pratique de la médecine et de découvrir un autre monde, les CH n'ayant pas les mêmes moyens que les CHU. Le lien entre la ville et l'hôpital n'y est pas le même. Le développement de ces stages hospitaliers va devenir une nécessité pour les externes en médecine avec l'augmentation du numerus clausus.

La médecine générale a la chance de se voir proposer des stages en milieu ambulatoire. Il faudrait les ouvrir à d'autres maîtres de stage, comme les sages-femmes, les pédiatres ou de gynécologues par exemple, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il existe des stages en pédiatrie ou en gynécologie, mais majoritairement dans des centres hospitaliers, alors qu'il pourrait être intéressant de le faire en ambulatoire, puisque c'est l'exercice qui va le mieux nous convenir par la suite. C'est une demande que nous portons.

L'exercice partagé, cela a été dit, peut créer un lien assez fort et permettrait de faire en sorte que le maillage territorial se fasse entre la ville et l'hôpital.

Il existe cependant un souci concernant les stages en périphérie par rapport aux étudiants qui n'ont pas les moyens d'y aller. Il faut bien évidemment les développer, mais dans des conditions adéquates, avec des hébergements et des moyens de transport. Les internes peuvent être amenés à déménager tous les six mois. Cela peut être très compliqué de trouver un logement en deux semaines. Nous recevons parfois nos affectations trois semaines avant. En l'absence d'hébergements territoriaux - les anciens internats ruraux - il peut être très difficile de trouver à se loger dans ces territoires, ce qui explique que les candidats demeurent dans la ville où ils habitaient initialement.

On retrouve les mêmes problématiques avec les formations initiales, celles-ci étant réalisées dans les villes où se trouvent les centres hospitaliers. Par exemple, en Auvergne-Rhône-Alpes, on compte quatre facultés, alors qu'il n'y en a qu'une en Centre-Val-de-Loire.

Enfin, les centres de santé constituent une pratique qui peut être intéressante pour les jeunes médecins installés. Cependant, il faut que ces centres soient construits avec les professionnels. Souvent, une collectivité territoriale ou une collectivité locale construisent des bâtiments inadaptés, sans pharmacie ni laboratoire de biologie à côté, et alors que l'hôpital le plus proche se trouve à 70 kilomètres. Il faut développer ces centres avec les professionnels qui vont s'y installer. Ils seront à même de déterminer leurs besoins.

Dr Agathe Lechevalier. - L'attractivité passe-t-elle par la création de centres de santé ? Je suis d'accord avec Mme Renker sur la philosophie des centres de santé, qui doit s'élaborer avec les médecins. Le salariat peut être attractif pour les jeunes professionnels, que ce soit en centre de santé ou dans des structures hospitalières, mais il faut un nombre suffisant.

J'aimerais connaître votre regard sur la problématique concernant les médecins généralistes. Que pensez-vous que font les jeunes médecins généralistes à la fin de leurs études ? Ils travaillent ! Soit ils s'installent, soit ils effectuent des remplacements, mais c'est une minorité. Ils contribuent donc déjà au système de santé.

Notre vision est certainement très différente, et je vous avoue que j'ai du mal à comprendre certaines propositions...

M. Bernard Jomier, président. - Je crois que votre organisation échange avec les uns et les autres. Si vous souhaitez nous rencontrer, vous obtiendrez beaucoup de réponses positives pour dialoguer autour de la question que vous soulevez.

Vous avez raison d'appeler à poursuivre le dialogue entre les élus et les organisations de jeunes médecins et d'internes - comme avec tous les champs professionnels. C'est pour cela que vous êtes là aujourd'hui.

Cette audition restera marquée par votre discours sur les violences et les agressions que vous décrivez, même si nous disposions déjà de remontées en ce sens. Vous êtes la jeune génération. C'est entre vos mains que se trouve l'avenir de notre système de soins et de notre système hospitalier.

Ne désespérons pas. Nous entendons ce que vous dites. Cela ne restera pas lettre morte. Ceci fera l'objet d'un rapport, assorti de propositions. Nous avons tous à coeur de faire progresser les choses.

Merci à chacun.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 17 h 35.