Jeudi 27 mai 2022

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Audition de Mme Carole Bienaimé Besse, membre de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM)

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Mes chers collègues, nous avons décidé de travailler au premier semestre 2022 sur le thème de la pornographie. Nous nous pencherons à la fois sur le fonctionnement et les pratiques de cette industrie, les conditions de tournage, les représentations des femmes et des sexualités véhiculées, ainsi que sur l'accès de plus en plus précoce des mineurs aux contenus pornographiques et ses conséquences en matière d'éducation à la sexualité.

La presse s'est récemment fait l'écho de graves dérives dans le milieu pornographique, avec des pratiques de plus en plus violentes et dégradantes et des mises en examen pour viols de plusieurs acteurs et producteurs. Ces faits nous ont confortés dans notre choix de cette thématique de travail.

Quatre rapporteures ont été désignées pour mener ces travaux : Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et moi-même.

Je précise que cette réunion fait l'objet d'un enregistrement vidéo accessible en ce moment même sur le site Internet du Sénat, sur son compte Twitter puis en VOD.

D'après les chiffres récents dont nous disposons, on dénombre en France environ vingt millions de visiteurs uniques de sites pornographiques par mois. En outre, 80 % des mineurs ont déjà vu des contenus pornographiques, et à 12 ans, près d'un enfant sur trois a déjà été exposé à de telles images.

C'est précisément sur le sujet de l'accès des mineurs aux sites pornographiques que porte aujourd'hui notre audition. Nous accueillons en effet Carole Bienaimé Besse, membre du collège de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique, l'Arcom, née le 1er janvier 2022 de la fusion du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) et de la Haute Autorité pour la diffusion des oeuvres et la protection des droits sur internet (Hadopi).

Madame Bienaimé Besse, vous présidez au sein de l'Arcom le groupe de travail « Éducation, protection des publics et cohésion sociale ». Vous êtes à ce titre en charge du suivi du dossier de l'accès des mineurs aux sites pornographiques.

Peut-être pourriez-vous dans un premier temps nous rappeler les compétences historiques du CSA en matière de contrôle de l'accès des mineurs à la pornographie, lorsque ce contrôle s'exerçait essentiellement sur la diffusion de films pornographiques à la télévision, avant la diffusion de masse de la pornographie sur Internet.

En matière de contrôle de l'interdiction d'accès des mineurs à la pornographie, l'Arcom exerce aujourd'hui des compétences en amont et en aval. En amont, il s'agit notamment de mener des actions pour que les dispositifs de contrôle parental soient mieux connus, installés et activés. Nos collègues de l'Assemblée nationale ont d'ailleurs adopté la semaine dernière une proposition de loi visant à obliger les fabricants d'appareils connectés à inclure un contrôle parental gratuit et facile d'utilisation. En aval, il s'agit aujourd'hui de faire appliquer les dispositions de la loi du 30 juillet 2020, qui, grâce à un amendement de notre collègue Marie Mercier, oblige les sites pornographiques à mettre en place des systèmes efficaces de blocage de leur accès aux mineurs.

La loi du 30 juillet 2020 autorise en effet le CSA, aujourd'hui Arcom, à contrôler le fait qu'un site a bien mis en oeuvre une solution technique satisfaisante, qui va au-delà de la simple déclaration d'âge. En outre, le président de l'Autorité peut saisir la justice pour obtenir le blocage complet d'accès des sites qui auraient ignoré son injonction.

Cette procédure de mise en demeure a été appliquée pour la première fois en décembre dernier, lorsque le CSA a demandé à cinq sites de mettre en place un contrôle d'âge plus robuste et plus fiable. Ces cinq sites sont aujourd'hui menacés d'un blocage judiciaire si aucune solution technique satisfaisante n'est trouvée.

Pourriez-vous nous dire où en est aujourd'hui la procédure, et quels sont vos échanges à ce sujet avec les cinq sites concernés ? Quels sont les obstacles techniques et juridiques à la mise en place de systèmes efficaces de vérification d'âge et de blocage de l'accès aux mineurs ?

Notre délégation a auditionné la semaine dernière plusieurs associations féministes engagées dans la lutte contre la pornographie, dont Osez le féminisme ! qui s'est par ailleurs constituée partie civile dans le procès dit « du porno français », pour lequel on recense aujourd'hui une cinquantaine de victimes, avec des plaintes pour viol, proxénétisme et traite des êtres humains. Sa porte-parole, Céline Piques, nous a indiqué avoir fourni au CSA une liste de 118 sites qui devraient pouvoir faire l'objet d'une mise en demeure au même titre que les cinq déjà visés par votre autorité, et dont l'accès aux contenus devrait pouvoir être bloqué conformément à la loi en vigueur. Quelles seront les suites données par l'Arcom au signalement de ces 118 sites pornographiques ?

Mme Carole Bienaimé Besse, membre de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom). - Merci Madame la Présidente. Je suis accompagnée d'Alexandra Mielle, chef du département « protection des publics », de Géraldine Van Hille, cheffe du département « Cohésion sociale », et de Lucile Petit, directrice de la nouvelle direction « plateformes » de l'Arcom. Nous sommes venues en force pour vous montrer la détermination de l'Autorité sur ces sujets.

Tout d'abord, concernant les droits des femmes, l'Arcom - et le CSA à l'époque - est engagée sur le respect par les médias d'une juste représentation de la société française et donc des femmes à l'antenne, en recensant leur nombre et en publiant un rapport annuel. La loi de 2014 nous a donné les moyens de réaliser ce recensement indispensable. Pour mesurer leur progression, les chaînes devaient pouvoir s'autoévaluer et comptabiliser le nombre de personnalités féminines à l'antenne.

Les missions de l'Autorité ne s'arrêtent pas là. Il ne s'agit pas uniquement de compter les femmes à l'antenne, mais aussi de s'assurer que les programmes audiovisuels ne diffusent pas de stéréotypes ou qu'ils n'encouragent pas les violences faites aux femmes. Cette mission est liée au sujet qui nous intéresse aujourd'hui.

En plus de la loi de 2014, citons celle de 2017, qui a donné compétence au CSA en matière de programmes publicitaires, considérant qu'ils pourraient eux aussi véhiculer des stéréotypes sexistes, sexuels et sexués.

Vous l'avez dit, la protection des mineurs est une mission historique du Conseil, et maintenant de l'Autorité. Cette notion est également très présente dans le cadre de la directive « Services de médias audiovisuels » (SMA). Au niveau européen et même international, les préoccupations sont les mêmes. S'il peut y avoir des divergences sur des sujets relatifs au soutien à la création, les problématiques sont les mêmes partout concernant la protection des mineurs. Comment s'assurer que ces derniers puissent continuer à être protégés sur les plateformes numériques comme ils le sont en regardant la télévision ?

À l'origine, notre mission visait à nous assurer, dans le cadre de la régulation, que les mineurs ne subissent pas trop de pression publicitaire, et que les programmes participent à leur épanouissement et à leur enrichissement culturel et intellectuel. Il s'agissait de faire en sorte qu'ils ne soient pas exposés à des images inappropriées : jeux d'argent, extrême violence et pornographie.

De ce point de vue, la signalétique développée par le Conseil est aujourd'hui connue. Les éditeurs se la sont appropriée. Grâce à leurs comités de visionnage en interne, ce sont eux qui décident d'apposer telle ou telle signalétique. Dès 2004, nous avons rédigé une recommandation leur demandant de ne diffuser des programmes pornographiques qu'entre minuit et cinq heures du matin, avec un verrouillage permanent au moyen d'un code personnel et d'une information régulière des abonnés à ce sujet. Auparavant, la signalétique empêchait les mineurs d'être exposés à ces programmes pornographiques ou d'une extrême violence en journée.

Ensuite, la délibération du 20 décembre 2011 s'appliquant aux services de médias audiovisuels à la demande, nous a permis d'étendre ce dispositif de verrouillage des programmes pornographiques à ces services. Nous nous adaptons sans cesse pour faire en sorte que le dispositif mis en place à l'origine soit cohérent avec les différents modes de diffusion. Ils ne sont plus uniquement sur les postes de télévision mais en mobilité sur les plateformes ou les tablettes. Le visionnage est désormais souvent solitaire. Les parents ne peuvent pas toujours s'assurer que leurs enfants visionnent un contenu approprié. Ceci est sans compter la multiplication des écrans au sein d'un même foyer. Souvent, chaque membre du foyer dispose de son propre appareil et les mineurs peuvent être exposés à des contenus inappropriés seuls dans leur chambre.

À l'Arcom, nous entendons toujours la régulation de deux manières : le droit, mais aussi l'incitation. C'est ce travail d'incitation, de droit souple, qui peut apporter une véritable évolution. Nous avons donc commencé à promouvoir les outils de contrôle parental, comme nous y incitaient les membres de notre comité d'experts du jeune public, composé et renforcé en 2017. Avec le changement des usages, il a semblé essentiel de nous appuyer sur des experts et des personnalités de la société civile, des chercheurs en neurosciences, des pédopsychiatres, qui nous accompagnent régulièrement.

En 2020, un protocole d'engagement pour la prévention de l'exposition des mineurs à la pornographie en ligne a été signé par les pouvoirs publics, les associations et des acteurs économiques du numérique. Il a été piloté conjointement par le CSA de l'époque, l'Arcom aujourd'hui, et par l'Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (ARCEP). Ce travail a été réalisé main dans la main et en bonne intelligence pour créer la plateforme Jeprotegemonenfant.gouv.fr. Ce site propose des conseils aux parents sur la vie affective des mineurs et rappelle les chiffres énoncés par la Présidente Billon. Effectivement, à 12 ans, bon nombre d'enfants ont déjà été exposés à des images pornographiques. Grâce à tous les opérateurs, y sont intégrés des tutoriels pour installer les outils de contrôle parental des différentes marques sur un ordinateur ou un smartphone. Cette profusion d'outils ne permet en effet pas aux parents de se les approprier rapidement, alors même qu'ils sont indispensables. Nous sommes conscients qu'ils ne suffisent pas et que la promotion et le dialogue sont aussi importants.

Dans le cadre de ce protocole d'engagement, nous avons par ailleurs conçu un baromètre permettant d'évaluer le taux d'utilisation de ces outils par les Français. Il est mis à jour de façon trimestrielle.

Enfin, le cadre juridique a été renforcé, et le code pénal a été modifié. Je peux notamment citer l'article 227-23. Depuis la loi du 30 juillet 2020, le Président de l'Arcom peut mettre en demeure les sites pornographiques et saisir le juge si besoin. Nous mettons ces compétences en oeuvre depuis la parution du décret à l'automne dernier. Nous avons été saisis par de nombreuses associations de protection de l'enfance. Les sites disposent de quinze jours pour se mettre en conformité. Nous avons procédé par ordre, en nous appuyant sur les saisines qui nous avaient été communiquées sur les sites suivants : Pornhub, Xhamster, Xvideos, Xnxx, Tukif, ainsi que Jacquie & Michel TV et Jacquie et Michel TV2. Nous avons fait des constats d'huissier pour nous assurer que ces dispositifs n'étaient pas en place. Certains sites ont considéré qu'ils avaient mis en oeuvre les outils adéquats, mais la loi précise bien qu'ils doivent être efficaces. Il nous revient de nous assurer qu'ils répondent à ce qui est demandé. Par ailleurs, dans le cadre de la loi, l'Arcom peut adopter des lignes directrices concernant la fiabilité des procédés techniques mis en oeuvre. Ce sont des normes incitatives sans force coercitive. Elles n'ont pas réellement d'impact sur l'exigence de conformité à la loi.

Comme dans le cadre de la lutte contre le piratage de contenus culturels ou sportifs, la notion de sites miroirs est à prendre en compte. La procédure de l'article 23 de la loi du 30 juillet 2020 peut être enclenchée lorsqu'un site est accessible à partir d'une autre adresse, et que son contenu pornographique demeure accessible sans procédé technique permettant de s'assurer que les utilisateurs sont majeurs. C'est très important. Lorsqu'un juge décide de la fermeture d'un site, il arrive en effet fréquemment qu'on le voie renaître sous une autre adresse, et ce en quelques heures.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Merci pour ces propos liminaires qui démontrent la difficulté d'avancer sur ces sujets. Nous essayons d'agir avec des protocoles, des guides de bonne conduite. Ils ne seront pas suffisants. L'accès à ces sites et ces plateformes n'est pas une problématique uniquement nationale. Nous devons trouver des moyens de lutte à plus grande échelle, au niveau européen, mais aussi international.

Une affaire judiciaire est en cours. Nous ne sommes pas réunis pour la commenter, mais comment imaginez-vous son avancée ? Permettra-t-elle de mettre en lumière une problématique de la pornographie, en France notamment ? Les victimes sont nombreuses. Les violences dont elles témoignent sont ignobles et incompréhensibles. Nous ne les imaginions pas à cette échelle. La semaine dernière, des associations en ont témoigné.

Mme Carole Bienaimé Besse. - L'Arcom est responsable de ce qui est diffusé et non de ce qui se passe derrière la caméra, bien que nous soyons évidemment sensibles aux témoignages rapportés par la porte-parole de l'association Osez le féminisme !, Céline Piques. Nous avions organisé il y a deux ans une table ronde avec des associations de défense des droits des femmes, au cours de laquelle elle nous avait déjà alertées sur la situation, avec force témoignages.

Osez le féminisme ! nous a saisis sur une centaine de sites qui ne seraient pas conformes. Nous sommes en train de les instruire. Les associations de défense des droits des enfants avaient déjà lancé une alerte sur certains d'entre eux. Nous attendons de savoir ce que le juge va statuer à l'issue des différentes mises en demeure, ce qui ne nous a pas empêchés de déjà enclencher des constats d'huissier relatifs à la liste nous ayant été transmise. Si nous considérons qu'il n'y a aucune mise en conformité après quinze jours, la procédure habituelle sera lancée et le juge pourra fermer ces sites.

Gardons en tête, évidemment, que ces derniers sont opérés par des organisations très bien organisées, qui peuvent recréer la même plateforme dans l'heure.

Nous avons commencé par traiter les sites réalisant les volumes de vidéos les plus importants.

Concernant le traitement fait à ces femmes, nous n'avons pas de compétences sur ce qui se passe derrière la caméra, à moins de transmettre les dossiers par le biais de l'article 40 du code de procédure pénale. La délimitation de nos compétences n'a pas changé avec la création de l'Arcom.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Cette lutte, c'est le combat de David contre Goliath. Des associations vous saisissent d'un côté. De l'autre, l'industrie est très bien organisée. Notre délégation devra se pencher sur les moyens disponibles pour lutter contre les dérives de cette industrie.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Bonjour. Certaines de mes questions ont été élaborées avec l'association Osez le féminisme ! et avec Céline Piques, sa porte-parole. D'abord, pourquoi l'Arcom ne saisit-il pas le tribunal administratif pour ordonner le blocage des sites ? Pourquoi l'action des associations est-elle préalable ou même plus offensive que la vôtre, alors même qu'elles disposent de peu de moyens et que vous en avez davantage ? Ma question suivante porte sur les délais entre la création des sites illégaux et leur blocage. S'ils sont trop longs, les sites créent immédiatement un site miroir. Dans ce cas, devons-nous recommencer toutes les procédures à zéro ? Enfin, estimez-vous que vous manquez de dispositifs techniquement efficaces, ou des bases légales supplémentaires pour être plus efficace ?

Mme Carole Bienaimé Besse. - Nous suivons la procédure. Nous nous autosaisissons ou sommes saisis par les associations. Dans le cas présent, celles-ci l'ont d'ailleurs fait avant même la parution du décret. Cette situation peut laisser penser que nous avons attendu d'être saisis avant de nous mettre en action. Ce n'est pas le cas. Nous avions bien en tête les sites faisant partie de la liste qui nous a été transmise.

Ensuite, c'est le tribunal judiciaire, et non administratif, qui est compétent en la matière.

En effet, les moyens des associations sont très faibles. Sachez tout de même que ceux de notre direction des plateformes sont eux aussi limités, bien que notre détermination soit entière. Il y a aujourd'hui une urgence, vous l'avez dit.

Nous constatons que de nombreuses sociétés réfléchissent aujourd'hui à des modèles d'outils ou de dispositifs de vérification d'âge efficaces. Nous avons assisté à plusieurs démonstrations en présence de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil), de l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (Anssi) et des pouvoirs publics. La solution viendra de là, selon moi. Les solutions mises en place par certains sites pornographiques ne nous semblent pas répondre à tous les critères. Il est nécessaire de développer des solutions. Certaines existent au Royaume-Uni. Plusieurs outils se développent au niveau européen. Les sites doivent ensuite se les approprier. Certaines des démonstrations auxquelles nous avons assisté nous ont semblé convaincantes. Je crois que certains sites pornographiques ont pris contact avec l'entreprise les proposant, ou l'inverse, pour commencer à installer ces dispositifs et ainsi se mettre en conformité.

La procédure nous demande de laisser quinze jours après la mise en demeure pour que les sites se mettent en conformité ou prouvent qu'ils le sont déjà. Pour saisir le tribunal, l'Arcom doit en outre s'appuyer sur des constats d'huissiers solides, afin que la démarche soit concluante.

Je comprends la démarche d'Osez le féminisme ! qui a réalisé un travail remarquable. Pour autant, l'outil est celui que nous connaissons. En plus du cadre juridique, le cadre technique doit lui aussi être développé et renforcé. L'Arcom n'a pas vocation à le créer. Nous sommes en revanche contactés depuis quelques mois par des sociétés nous présentant des solutions qui nous semblent en mesure de répondre à ces problématiques. J'espère que les sites pornographiques vont s'en emparer. Il est évidemment toujours possible de contourner les blocages, grâce notamment à des VPN. Pour autant, si tous les sites s'équipent, nous aurons vraiment parcouru une bonne partie du chemin.

Mme Laurence Cohen, co-rapporteure. - Bonjour et merci pour cette introduction. En vous écoutant, j'ai le sentiment qu'il manque un outil. Dans le cadre de votre mission, vous nous répondez en évoquant un cadre très précis et une certaine technicité. Nous-mêmes, nous avons lu et vu des reportages, nous avons reçu des associations telles qu'Osez le féminisme !, le Mouvement du Nid ou les Effronté.es. Nous avons également pu entendre un certain nombre d'avocats. Nous sommes face à une activité prostitutionnelle, à de l'esclavage et à d'autres choses abominables. Nous constatons donc un décalage.

Que veut dire « mettre un site en conformité » ? Je peine à saisir cette notion, parce qu'il y a des violences de l'autre côté de la caméra. J'entends bien que vous n'intervenez pas sur cet aspect. Alors, que faisons-nous des conséquences de ce visionnage ? Ces violences terribles, extrêmes, ont un impact sur les hommes et les femmes qui regardent ces films, sans parler des mineurs. Elles structurent un rapport à l'autre absolument épouvantable, de domination, de violence.

Si nous ne restons que dans ce cadre, les organisations tirant beaucoup d'argent de ces productions ont de beaux jours devant elles.

Dans le cadre de votre mission, qui me semble extrêmement limitée, avez-vous la possibilité d'avoir un soutien, un point d'appui avec ceux qui mènent les enquêtes ?

Enfin, vous qui êtes au coeur d'affaires à instruire, quelles solutions envisagez-vous ? De mon côté, j'en imagine deux : élargir vos missions ou créer un autre organisme assurant des missions beaucoup plus directives. En l'état, ce qui vous est demandé est insuffisant. Je ne remets aucunement en cause votre travail, mais nous avons besoin d'émettre des recommandations utiles.

Mme Carole Bienaimé Besse. - Nous étions le Conseil supérieur de l'audiovisuel, nous sommes aujourd'hui l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. Nous sommes compétents sur les contenus audiovisuels et numériques, mais pas sur leur chaîne de fabrication, ou sur ce qui se passe au sein des entreprises, sur les recrutements et la manière dont sont traitées les personnes en leur sein. Je comprends vos préoccupations, je pourrais même dire que je les partage, mais nous ne sommes pas compétents en la matière.

L'Arcom a pour mission de mettre les sites pornographiques en conformité avec la loi en vigueur et donc de s'assurer qu'ils ne sont pas accessibles aux mineurs. Il s'agit de notre seule mission. Nous ne sommes pas compétents pour faire ce que vous nous demandez. D'autres autorités le sont peut-être. Vous pourriez le cas échéant échanger avec elles dans le cadre de votre délégation. Il y a peut-être un malentendu sur ce que nous sommes en mesure de faire et sur nos compétences.

Jusqu'au mois de juillet 2020, celles-ci s'exerçaient sur les médias classiques : la télévision, la radio et les services de médias de rattrapage. La loi de 2020 a donné des compétences au président de l'Arcom pour faire en sorte que ces sites pornographiques ne soient pas accessibles aux mineurs. Il ne s'agit pas d'interdire la pornographie, mais de protéger les plus jeunes et de préserver leur droit à l'innocence.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Vous le dites, votre travail vise à éviter que les contenus pornographiques soient accessibles aux mineurs, tant sur le numérique que sur l'audiovisuel. Simplement, au sein de cette délégation, nous avons l'impression que cette mission sur cette unique question n'est déjà pas remplie. Disposez-vous des moyens nécessaires pour y répondre ? Dans le cas contraire, de quels moyens avez-vous besoin ?

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Nous comprenons bien que le CSA ne peut agir que dans le cadre de ses compétences. Les outrepasser occasionnerait des risques de nullité des procédures engagées. Ce serait contre-productif. Ceci étant, pourquoi a-t-il fallu que ce soit les associations qui enclenchent les procédures et fassent des signalements sur des sites supplémentaires ? Pourquoi le CSA n'a-t-il pas agi en amont ? Ensuite, pensez-vous que vous manquez de bases légales, et pas uniquement techniques, pour atteindre l'objectif fixé par l'esprit de la loi ?

Enfin, la loi de 2014 sur l'égalité réelle entre les femmes et les hommes vous donne compétence pour étudier la place des femmes dans les médias audiovisuels et pour intervenir et faire des mises en demeure. Elle a été étendue à la publicité. Pouvez-vous me confirmer que vous n'avez pas la compétence sur les contenus sur le net ?

Mme Carole Bienaimé Besse. - Vous pouvez avoir le sentiment que nous avons tardé et que nous ne sommes pas suffisamment efficaces. Je rappelle que la loi a été votée en juillet 2020 mais que le décret n'a été publié que le 7 octobre 2021. Sans lui, nous ne pouvions rien faire. Une notification à la commission européenne a été nécessaire. Nous pouvons le regretter. Les associations nous avaient saisis bien avant. Maintenant que nous avons une nouvelle compétence, nous pouvons nous autosaisir et décider de nous occuper de tel ou tel site.

En résumé, le décret a été publié le 7 octobre 2021. Nous sommes fin janvier 2022. Une liste de sites nous a été communiquée. Des constats d'huissier doivent être faits, et bien faits, sous peine d'occasionner une nullité. Nous devons ensuite laisser quinze jours aux plateformes pour qu'elles se mettent en conformité. Je pense que nous sommes dans les délais. Je comprends toutefois que vous ayez le sentiment que nous n'allons pas assez vite face à cette urgence. Les associations ont elles aussi la capacité d'agir devant la justice sur la base de l'article 227-24 du code pénal. L'Arcom ne pourra pas tout faire, puisqu'elle n'est compétente que sur la limitation de l'accès aux mineurs.

Madame Rossignol, nous sommes compétents sur les services de médias audiovisuels, mais notre compétence n'est pas la même sur les médias linéaires et sur le net. Concernant nos compétences liées à la déontologie et à l'information sur le net, la loi de 2018 nous donne un pouvoir systémique. Nous ne traitons pas le sujet contenu par contenu. Nous devons nous assurer que les plateformes ont mis en oeuvre des outils pour lutter contre la désinformation. Sur les médias linéaires, nous agissons en revanche contenu par contenu, séquence par séquence, émission par émission. Nous apprécions dans ce cas le contenu, le travail réalisé par tel ou tel journaliste, pour nous assurer que telle ou telle émission ne véhicule pas de désinformation.

Prenons l'exemple de notre compétence relative aux discours de haine, liée à la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République. Sur le linéaire, nous étudions chaque émission, chaque contenu, chaque propos qui pourrait mener à des discriminations comme le veut la loi du 30 septembre 1986. Sur les plateformes, en revanche, nous assurons uniquement une vérification systémique en exigeant des plateformes qu'elles mettent en place des outils pour ne pas permettre aux discours de haine de se diffuser sur leur support.

Du fait du volume de contenus en ligne sur le numérique, le législateur a considéré que la situation devait y être appréciée de façon plus systémique, et pas contenu par contenu.

M. Bruno Belin. - J'ai bien compris que l'Arcom traitait ce qui se passe dans l'offre du contenu, et pas derrière la caméra. J'ai le sentiment que le terme de « mise en conformité » signifie que nous analysons ce qu'il y a. Nous devrions peut-être trouver une autre expression. J'ai également l'impression que vous courrez après la tempête. La semaine dernière, on nous a parlé de plusieurs millions de vues mensuelles de sites pornographiques, de milliards de dollars de chiffre d'affaires pour certains sites. Nous affrontons une vraie mafia qui n'a qu'un intérêt, celui de contourner les lois ou de s'y adapter. Collectivement - vous agissez dans un cadre légal, et nous sommes là pour y veiller -, nous courrons après la tempête.

N'existe-t-il pas une manière beaucoup plus simple d'agir ? Il est aujourd'hui très facile de se connecter à un site pornographique. Il suffit de cliquer sur le bouton « j'ai plus de 18 ans ». C'est la seule vérification. Pourtant, si je veux effectuer un simple virement sur un compte en banque, je vais avoir besoin d'un code d'accès pour lequel je me serai inscrit, et d'un numéro de portable sur lequel je recevrai un code confidentiel permettant de sécuriser cette information. Par ailleurs, nous utilisons chaque jour l'outil SI-DEP pour les informations liées à la pandémie de Covid. Il est possible de donner des informations confidentielles et sécurisées à un site Internet pour lequel nous savons à qui nous avons affaire, avec des données que nous pouvons croiser à l'aide d'un simple numéro de portable. Ce qui est faisable sur des informations hautement sécurisées, concernant par exemple la santé, devrait être possible pour Jacquie & Michel ou d'autres sites.

Nous avons tous conscience que la pornographie génère une image qui se résume à de la violence chez les jeunes. Nous devons trouver une solution technique et l'ancrer pour faire barrage à cet accès. Je suis convaincu que nous devrions agir bien en amont de la construction. Est-ce possible ? Je ne le sais pas. Je vous livre ma réflexion.

Mme Carole Bienaimé Besse. - Nous dressons depuis très longtemps ce constat sur la facilité d'accès à ces sites. Vous évoquez ici des plateformes vous demandant si vous avez bien 18 ans. Toutes ne le font pas. Vous recevez parfois des bandes annonces que vous n'avez pas sollicitées. Nous en sommes conscients. L'article 23 de la loi de 2020 constitue une étape importante pour endiguer ce fléau.

Nous l'avons rappelé, les moins de 12 ans sont exposés à ces contenus de plus en plus tôt. Ce n'est pas sans impact sur leur développement, ni même sur la société. Nous les connaissons. Nous avons co-construit le site Jeprotègemonenfant.gouv.fr avec l'Arcep et les signataires d'un protocole d'engagement de lutte contre l'exposition des mineurs à la pornographie. Cet outil vise à commencer à endiguer ce fléau. Nous insistons également sur le caractère indispensable d'un outil de contrôle parental sur tous les écrans du foyer.

Concernant nos moyens, je rappelle que nous sommes une autorité administrative indépendante. Nous appliquons la loi. Nous ne pouvons pas agir en dehors du cadre légal et règlementaire qui nous est fixé. Nous appliquons d'abord une loi sur la liberté de communiquer. D'une façon générale, nous ne nous inscrivons absolument pas dans une interdiction ou une censure.

Sur ce point précis, il nous est demandé que les mineurs n'aient pas accès à ces sites, pas d'interdire les sites pornographiques. Nous n'avons aucun pouvoir sur le nombre de plateformes existantes. Nous devons nous appuyer sur tous les outils existants : le code pénal, les tribunaux, la brigade des mineurs ou les forces de l'ordre. Nous avons participé à un groupe de travail sur la prostitution des mineurs via des outils en ligne. Nous sommes conscients de la situation. Nos compétences n'en sont pas moins limitées.

Je comprends que le terme de mise en conformité puisse vous sembler inapproprié pour un site pornographique, mais c'est ce qu'a voulu le législateur.

M. Bruno Belin. - Vous pourriez exiger le double verrouillage. Ce ne serait pas de la censure.

Mme Carole Bienaimé Besse. - Que faisons-nous des données des personnes sur ces sites ? Ces derniers sont souvent opérés par des organisations mafieuses. Souhaitons-nous que les données des utilisateurs soient captées par ces sites, dont nous ne savons même pas où ils sont hébergés ? Cette question des données complique encore le développement d'un outil répondant à tous les critères de protection des mineurs et de non-accessibilité de ces plateformes, tout en respectant la confidentialité des données. Les processus que vous décrivez, très intéressants, s'inscrivent dans des cadres légaux, de santé. Lorsque vous transmettez des données dans ce cadre, vous savez qui se trouve derrière le site. Dans le cas présent, nous avons affaire à des sites n'étant pas nécessairement hébergés en France et parfois reliés à des entreprises mafieuses.

Je l'indiquais plus tôt, plusieurs sociétés développent des outils qui nous ont convaincus. Ils échangent actuellement avec les sites pornographiques pour les y intégrer et ainsi les mettre en conformité. Nous sommes au début du processus.

M. Bruno Belin. - J'entends qu'un travail de verrouillage est en cours. Nous serons très attentifs à sa production. Il me semble essentiel de mettre en place des barbelés pour éviter aux très jeunes enfants d'avoir accès à ces sites.

Nous nous intéresserons également à ce qui se passe derrière la caméra, qui relève peut-être des contrats de travail, mais pas de l'Arcom. L'accès à l'information se trouve en revanche dans le spectre de vos compétences.

Mme Carole Bienaimé Besse. - C'est ce sur quoi nous travaillons. Les mises en demeure que nous avons initiées le prouvent. Nous allons poursuivre le travail sur cette liste de plus de cent sites. Surtout, nous allons continuer le travail pédagogique sur la plateforme Jeprotegemonenfant.gouv.fr. Nous continuerons également à échanger avec toutes les entreprises qui créent des outils techniques de contrôle d'âge pour qu'ils soient mis en place sur un maximum de sites.

J'entends votre impatience et votre frustration. C'est un sujet d'une extrême importance car il concerne nos jeunes. Le décret a été publié en octobre 2021, nous sommes en janvier 2022. Nous n'en sommes qu'au début de notre travail.

M. Bruno Belin. - Notre rôle consistera à toujours nous répéter sur le sujet pour faire oeuvre de pédagogie.

Mme Alexandra Borchio Fontimp, co-rapporteure. - Je voudrais revenir sur le propos de Bruno Belin concernant l'éducation des enfants par les parents. Le CSA s'est donné l'objectif de renforcer son soutien à la parentalité numérique. Comment mesure-t-on l'efficacité des tutoriels qui leur sont destinés ? La fréquentation de la plateforme Jeprotegemonenfant.fr est-elle concluante à vos yeux ? Avez-vous envisagé le déploiement d'une stratégie de communication pour améliorer sa notoriété ? Je l'ai moi-même découverte dans le cadre de cette mission. Étant maman, je n'en avais pas eu connaissance par un autre biais.

Mme Dominique Vérien. - Si j'ai bien compris, vous vous intéressez au contenu à la télévision, mais pas sur le net, pour lequel vous ne vous intéressez qu'au système. Vous veillez à ce que la plateforme installe des verrous et s'autorégule, y compris sur les contenus. Nous sommes d'accord, la pornographie n'est pas interdite. Elle n'a pas à être censurée dans ce cas. Pour autant, que se passe-t-il lorsque son contenu est explicitement un viol ou une incitation à la haine raciale, par exemple, lorsqu'il est totalement répréhensible ? Dans ce cas, l'Arcom a-t-il une mission, ou le juge est-il seul à pouvoir agir ? Dans ce cas, qui peut le saisir ? Est-il possible de ne faire interdire que certaines vidéos sur l'ensemble d'un site ?

Enfin, vous dites que le décret a été publié en octobre, mais de quelle année ?

M. Bruno Belin. - Il date d'octobre 2021.

Mme Dominique Vérien. - La loi a été votée en 2020. Pourquoi un tel délai a-t-il été nécessaire pour signer un papier ?

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je crois que cette question est valable sur un certain nombre de sujets. Nous sommes là pour vérifier l'application de la loi et sa mise en oeuvre. La promulgation des décrets intervient souvent très tard. Je ne suis pas surprise.

Mme Carole Bienaimé Besse. - Nous étions très impatients que ce décret soit publié.

L'éducation des parents aux médias nous paraît essentielle car beaucoup d'entre eux n'ont pas conscience du problème. Les études que nous avons pu mener ont montré qu'ils sont souvent préoccupés par le temps d'écran mais pas par les contenus regardés, considérant que leurs enfants sont raisonnables ou responsables. Il est donc nécessaire de leur expliquer comment installer un outil de contrôle parental en fonction de chaque marque. Il est aussi primordial de les informer sur la vie affective et la sexualité des adolescents et d'encourager le dialogue. Nous avons élaboré tous nos tutoriels avec des pédopsychiatres et des professionnels de l'enfance.

Nous mesurons les connexions et le nombre de visites trimestriellement. Nous pourrons vous transmettre ces chiffres dans le cadre de votre questionnaire. Vous avez raison, le site manque de notoriété. Nous avons fait en sorte d'améliorer son référencement sur les moteurs de recherche cet été, pour qu'il soit affiché en priorité dans le cadre de recherches sur la protection de l'enfance. Il rencontre un vrai succès, même s'il a fallu du temps au démarrage. Nous avons décidé de l'étendre à d'autres sujets que la pornographie, en en faisant un site référent sur la protection des mineurs.

Nous réfléchissons, avec le comité de pilotage, à la réalisation d'une campagne et à ses modalités. Plusieurs pistes sont à l'étude. Cet outil pédagogique doit être promu. S'il ne permettra pas de réduire le nombre de sites, il constituera tout de même un moyen d'alerter les parents et le personnel encadrant, pour que chacun soit plus au fait de ces questions.

Madame la Sénatrice, si j'ai insisté sur nos missions et sur la dimension systémique de la régulation, je crois important de rappeler que les contenus que vous évoquez sont problématiques.. Les discours de haine sont de vrais fléaux. Nous avons créé un observatoire de lutte contre la haine en ligne. Nous avons réfléchi à la définition des discours de haine, aux outils à mettre en place dans le cadre juridique, mais aussi en termes d'éducation aux médias. Évidemment, nous sommes préoccupés. Quand nous demandons aux sites de créer des outils permettant d'endiguer les discours de haine ou de désinformation, nous nous intéressons évidemment aux contenus. Nous ne sommes pas insensibles à ce qui se dit.

Nous sommes également attachés à l'application du Règlement général sur la protection des données, le RGPD.

La plupart des plateformes ne sont pas accessibles aux mineurs, ou du moins au moins de 13 ans. C'est même le cas sur WhatsApp, qui n'est normalement accessible qu'à partir de 16 ans. Là aussi, nous devons faire en sorte que la loi s'applique. Rappelons aux parents qu'ils ne doivent pas inscrire leur enfant sur un réseau social à 8 ans.

Les entreprises développant un outil pour empêcher les mineurs d'accéder aux sites pornographiques réfléchissent également à des moyens de faire en sorte que les mineurs n'aient plus accès à ces plateformes. Il est facile de mentir sur son âge lorsqu'un site s'enquiert de votre âge. Personne ne viendra s'en inquiéter. Là aussi, il est proposé que ces nouvelles applications et ces logiciels permettent de s'en assurer.

La question des données se pose ici encore. Nous devons en effet nous assurer que les données des mineurs ne soient pas captées par une entreprise qui ne devrait pas le faire.

Mme Dominique Vérien. - Je ne parlais pas uniquement des mineurs, mais aussi des adultes, qui n'ont pas à voir certaines images incitant à la haine raciale, ou dont le titre est explicite, contenant par exemple le terme « viol collectif ». Que l'on soit adulte ou mineur, nous n'avons pas à visionner ces contenus, à les mettre en ligne, ni encore moins à les réaliser. Pourtant, nous sommes en train d'accepter de visionner ces films.

Mme Carole Bienaimé Besse. - Ces contenus illicites sont supprimés. La plateforme Pharos lutte contre les contenus que vous décrivez.

Aujourd'hui, lorsque nous parlons de systémique, nous sommes sur un niveau plus subtil d'appel à la haine. Je peux par exemple citer les insultes envers une personnalité publique ou politique. Ce que vous décrivez est pénalement répréhensible.

Les plateformes doivent supprimer ces contenus. La masse est telle qu'elles nous indiquent ne pas disposer des moyens humains nécessaires pour passer en revue tous les contenus. Des outils d'intelligence artificielle sont développés pour s'en charger. Nous nous assurons qu'ils sont bien calibrés pour repérer les contenus qui posent problème, et que les boutons permettant de signaler un contenu remplissent bien leur rôle pour que les solutions soient apportées dans un délai raisonnable. Bien évidemment, nous ne sommes pas passifs face à cette situation. La loi ne l'est pas. Ces contenus illicites n'ont pas à figurer sur ces plateformes. Dans leurs conditions générales d'utilisation, elles indiquent d'ailleurs qu'elles ne proposent pas ce type de vidéos de désinformation ou d'appel à la haine, et qu'elles les suppriment, le cas échéant.

Mme Dominique Vérien. - C'est pourtant leur fonds de commerce.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous avons pu constater ce matin que ni le législateur, ni l'Arcom ne sont là pour jouer le rôle de censeur. Les contenus pornographiques vont toutefois au-delà de ce qui est acceptable dans toutes les autres sphères de la société.

Mme Dominique Vérien. - J'ai tapé « film viol sexuel » sur Google. Le résultat « films viol complet sexuel - vidéos porno et sex HD gratuit » m'a immédiatement été proposé. Et je pense que je n'ai pas besoin d'avoir 18 ans pour y accéder.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - C'est ce qui nous a été exposé la semaine dernière lors d'une audition poignante des associations. Aujourd'hui, ni l'Arcom, ni le législateur ne souhaitent se poser en censeurs. Pour autant, nous le voyons, les contenus sont très faciles d'accès, et souvent d'une grande violence. Une mission vous a été allouée, mais je pense que les moyens accordés ne sont pas à la hauteur de cet enjeu. Nous parlons ici de millions de vues, de millions de personnes visionnant chaque mois ces vidéos. Les associations réalisent un travail fabuleux. Les pouvoirs publics semblent submergés.

Nous pouvons conclure de cette audition que vous n'êtes aujourd'hui pas dotés des outils adaptés pour lutter contre cette pornographie criminelle de grande ampleur, qui est une industrie. Vous avez évoqué la plateforme Pharos. Nous parlons toutefois de millions de vues. Si nous n'avons pas les moyens d'actionner des personnes pour les identifier, nous ne parviendrons jamais à les supprimer.

Les associations, malgré leur travail de terrain formidable, ne sont pas, elles non plus, en capacité de visionner tous ces films. Nous l'avons entendu la semaine dernière, les regarder revient parfois à se confronter à des contenus d'une barbarie et d'une horreur inimaginables. Certaines personnes auditionnées nous ont indiqué en faire des cauchemars régulièrement.

L'Arcom doit remplir sa mission de contrôle de l'accès des mineurs aux sites pornographiques. À l'issue de cette audition, je ne suis pas sûre que vous en ayez réellement les moyens. Les images proposées tant sur le numérique qu'à la télévision ne sont pas acceptables. Nous n'y consentirions pas de la part d'une autre industrie. Il y a un vrai problème d'acceptation de la violence dans la pornographie aujourd'hui.

Nous démarrons ce cycle d'auditions. Merci d'être venue répondre à nos questions. Nous serons vigilants à l'application de la loi. Bien que les décrets mettent du temps à sortir, ils doivent être appliqués à partir du moment où ils sont publiés.