Jeudi 10 février 2022

- Présidence de M. Serge Babary, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Table ronde sur le commerce extérieur avec des représentants des entreprises, en présence de M. Pierre Kuchly, vice-président de la CPME nationale, chargé de la coordination des unions territoriales ; M. Patrick Martin, président délégué du MEDEF ; M. Olivier Schiller, vice-président du METI et « Ambassadeur ETI »  et président de Septodont

M. Serge Babary, président de la Délégation aux entreprises. - Le point de départ de nos travaux consacrés aux difficultés des PME et ETI en matière de commerce extérieur est le constat de la dégradation continue de la balance commerciale française et la comparaison avec notre voisin allemand. Les derniers chiffres ne font que renforcer notre inquiétude puisque le déficit s'est creusé à 84,7 milliards d'euros. Au cours des premières auditions, nous avons abordé des thèmes connexes, tels que la souveraineté économique et nos vulnérabilités. La crise sanitaire les a mises en évidence en révélant notre état de dépendance dans la production de nombreux biens. Qu'est-ce qui, selon les entreprises que vous représentez, explique le déficit commercial français et quelles sont les pistes concrètes à envisager pour y remédier, notamment via les PME et ETI ? Quelles sont leurs difficultés au quotidien en termes de compétences, d'aides financières, d'information sur les marchés étrangers, de logique soutenant les stratégies d'exportation, d'accompagnement de l'État, etc. ?

M. Pierre Kuchly, vous êtes vice-président de la CPME nationale, chargé de la coordination des unions territoriales de la CPME, M. Patrick Martin, vous êtes président délégué du MEDEF, M. Olivier Schiller, vous êtes vice-président du METI. Je vous remercie de nous apporter votre éclairage ce matin.

M. Pierre Kuchly, vice-président de la CPME nationale, chargé de la coordination des unions territoriales. - Le déficit commercial s'est fortement creusé en 2021, atteignant 84,7 milliards d'euros : les importations sont supérieures à celles de 2019 et les exportations diminuent. La crise du Covid a douloureusement frappé les entreprises, la moitié des PME ayant dû cesser leur activité à l'export et se replier sur le marché français : des marchandises ont été bloquées en douane, des frontières ont été fermées, les délais d'établissement et de signature de contrat se sont allongés, quand ils n'étaient pas tout bonnement annulés.

Au-delà de la crise sanitaire, la situation est historique, avec une compétitivité qui s'est dégradée depuis de nombreuses années, notamment en raison du coût du travail. Dans l'industrie et les services marchands, il est passé de 24,4 euros en 2009 à 37,2 euros en 2018. Notre appareil exportateur s'est atrophié, conséquence directe d'un phénomène de désindustrialisation. Pour 100 entreprises exportatrices françaises, on en compte 171 en Italie et 265 en Allemagne. Le Brexit a également fragilisé les échanges franco-britanniques, avec de nouvelles formalités douanières, une instabilité juridique, une complexification du cadre des échanges et des retards d'acheminement des marchandises. Avec l'Allemagne, la comparaison est toujours difficile. Le plan de relance dévoilé aujourd'hui par la France comprend cependant un volet export ambitieux, proche du plan allemand en 5 mesures pour soutenir les exportations, qui comporte notamment l'amélioration des possibilités de financement pour les nouvelles activités d'exportation, l'introduction de la couverture de la ligne d'achat, l'allégement des charges pour les garanties de crédit à l'exportation, l'amélioration des possibilités de financement des exportations par les banques, et des améliorations technique des garanties du crédit à l'exportation, également connues sous le nom de couvertures Hermes). Néanmoins, en Allemagne, il y a environ 13 000 ETI aujourd'hui, alors qu'en France on en compte environ 5 300. Outre-Rhin, ce tissu d'entreprises qu'on appelle le Mittelstand est à l'origine de 35 % du chiffre d'affaires total en Allemagne, il emploie 60 % de l'ensemble des salariés et 82 % des apprentis.

La rareté des entreprises françaises de taille moyenne ou intermédiaire est à chercher du côté de la fiscalité exorbitante sur la transmission du patrimoine, notamment par rapport à nos voisins européens. En Allemagne, les entreprises restent dans la famille, alors qu'en France, c'est très compliqué. Les PME françaises sont plutôt de petite taille, employant moins de 10 personnes, ce qui de facto induit des ressources financières et humaines limitées, contrairement aux PME allemandes.

Outre la taille, ce que l'on peut constater, c'est le côté « réseau » des entreprises allemandes. De ce côté, il y a un vrai retard en France, les chefs d'entreprise français ayant encore un comportement un peu trop individualiste et il faut qu'on les incite à travailler ensemble.

M. Serge Babary, président. - La transmission d'entreprise fait en ce moment même l'objet d'une mission de travail par notre Délégation.

M. Patrick Martin, président délégué du MEDEF. - Le MEDEF, qui réunit 190 000 entreprises dont les grands groupes, les ETI, les PME, PMI et un certain nombre de TPE, est très concerné par le sujet du commerce extérieur. La balance commerciale est révélatrice de nos insuffisances et parfois de nos forces, bien qu'on ne sache pas toujours dans quel sens penche la balance. Nous possédons un certain nombre d'outils, notamment MEDEF International, notre bras armé pour accompagner à l'international des entreprises françaises qui veulent exporter ou s'implanter à l'étranger. Je suis personnellement à la tête d'une ETI intégralement familiale et bientôt bicentenaire, qui a réalisé l'année dernière un peu plus de 900 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 100 millions d'euros en l'Europe centrale, Afrique du Nord ou Afrique de l'Ouest. À ce titre, je connais bien les difficultés liées à l'exportation.

Notre pays s'enfonce. Les chiffres sont édifiants et cela depuis les années 2000, époque de l'entrée de la Chine dans l'organisation mondiale du commerce (OMC) et de l'instauration des 35 heures. Les 35 heures ont provoqué un décrochage en termes de compétitivité dans de nombreux métiers. Patrick Artus vient de produire pour Natexis une excellente note, où il explique que le déficit de la France s'est creusé beaucoup plus avec l'Europe qu'avec le reste du monde. Bien sûr, les importations depuis l'Extrême-Orient ont explosé au cours des dernières décennies, mais le solde avec ces pays émergents ne se dégrade pas. C'est bien avec l'Union européenne que notre déficit s'est le plus creusé, ce qui, d'une part, relativise l'explication par l'énergie, et, d'autre part, renvoie à l'éternel débat sur la compétitivité coût et hors coûts.

Je serai plus nuancé que mon prédécesseur sur les différentiels salariaux. Sur les salaires jusqu'à 2 fois et demie le SMIC, le différentiel avec nos principaux compétiteurs (incluant la Grande-Bretagne malgré le Brexit) s'est plutôt gommé. Le sujet des impôts de production est absolument central et nous nous réjouissons qu'il soit en débat dans le cadre de l'élection présidentielle et qu'il ait été en partie traité dans le cadre du plan de relance. Ce que nous demandons et proposons, c'est qu'à minima, nous rejoignons la moyenne européenne, ce qui se traduirait par une nouvelle réduction de ces impôts de l'ordre de 25 à 35 milliards. Nous ne méconnaissons pas les difficultés que cela pourrait créer pour les collectivités locales, mais ce n'est pas aux entreprises de définir qui doit supporter le coût du transfert.

Le débat sur la compétitivité coût et hors coûts est un peu théorique. Il appartient aux entreprises et au pays d'investir sur le soft, l'intelligence, les formations, notamment les formations scientifiques. Si les entreprises doivent innover dans l'investissement en R&D, il faut qu'elles le fassent massivement, beaucoup plus qu'aujourd'hui. Tout cela implique de dégager des marges.

Il y a bien des enjeux hors coût et en particulier dans le design. Le design n'est pas que la mode, c'est aussi des organisations et des process de production. Thierry Mandon, dorénavant à la tête de l'Institut du Design, a mené des études pointues et notamment de comparaison avec la Chine : celle-ci forme annuellement 100 000 designers. Concrètement, l'industrie chinoise est passé d'une offre rudimentaire il y a encore 20 ans, à des produits qui, aussi bien techniquement qu'en termes de facilité d'usage et de look, sont tout à fait comparables à ce que font les Français et les Italiens.

La France a aussi cette singulière propension à surtransposer des directives européennes, particulièrement dans le domaine de l'agriculture et l'agroalimentaire. Mon propos n'est pas dire qu'on doit s'extraire de considérations essentielles sur la défense de l'environnement ou la défense des consommateurs, mais l'évolution de notre balance commerciale dans les secteurs de l'agriculture et de l'agroalimentaire est la démonstration flagrante du fait que nous nous sommes créés des contraintes que nos compétiteurs directs n'ont pas. Il en va de même pour l'industrie, où l'on assiste à un empilage de réglementation et de législation bien au-delà de ce que l'Union européenne elle-même prévoit, empilage qui impacte directement l'efficacité de l'appareil productif français. Paradoxalement, certaines lois, la loi ASAP notamment, organisent de nombreuses dérogations. Ainsi, l'État fait lui-même la démonstration que le système de droit commun est pénalisant !

L'approche de ces sujets devrait être beaucoup plus systémique, afin de redonner à notre outil une réactivité et une capacité de manoeuvre qui participerait grandement au rééquilibrage de nos échanges extérieurs.

Enfin, je reviendrai sur le sujet de l'énergie. De manière assez trompeuse, on impute à l'énergie le creusement de notre déficit commercial. En réalité, quand on regarde la structure du mix énergétique français, cet argument de la dépendance aux hydrocarbures vaut moins pour la France que pour d'autres pays, singulièrement pour l'Italie, qui affiche chroniquement un excédent commercial considérable.

Le nucléaire constitue une source d'exportation et d'excellence pour la France, pourvu que nous réussissions à restaurer des compétences et un appareil productif délabré par des années d'indécision publique. C'est un facteur de compétitivité et de sécurité d'approvisionnement. Les Russes et les Chinois ne se privent pas d'aider massivement les acteurs du nucléaire, compte tenu de la lourdeur des investissements à réaliser. C'est très bien de développer des énergies renouvelables, mais la France est inexistante en termes d'offre d'éoliennes ou de photovoltaïque.

M. Olivier Schiller, vice-président du METI et « Ambassadeur ETI » et président de Septodont, - La situation du commerce extérieur s'explique aussi par le manque d'ETI en France : elles sont 5 400 en France, contre 12 000 en Allemagne et 10 000 en Angleterre. En 1980, il y avait autant d'ETI en France qu'en Allemagne, avant que des régions entières du territoire ne soient désindustrialisées. Les ETI représentent 25 % de l'emploi salarié, 34 % de l'emploi industriel et 33 % du chiffre d'affaires à l'international.

Avant la pandémie, nous avons bénéficié d'une politique adaptée aux entreprises, avec le transfert du CICE en baisse de charges sociales. Pendant la pandémie, il y a eu le plan d'urgence, aujourd'hui le plan de relance, notamment les 10 milliards d'euros de baisse des taxes de production, qui représentent beaucoup plus que toutes les subventions.

Les ETI ont créé 37 000 emplois en 2021 et les investissements entre 2021 et 2019 ont augmenté de 40 % : lorsque l'État crée un environnement favorable au développement économique, les entreprises sont présentes. Il y a eu de nombreux projets de croissance organique, également sous forme d'acquisition. Ma propre entreprise Septodont, un laboratoire pharmaceutique dentaire, vient de racheter l'activité dentaire de Sanofi et nous allons participer à la relocalisation de l'industrie française en fabriquant à Saint-Maur-des-Fossés ce qui était fabriqué dans l'usine Sanofi de Francfort. C'est un exemple parmi beaucoup d'autres de réindustrialisation et de relocalisation.

Nos plus grandes difficultés viennent de la hausse du prix des matières premières et des difficultés de recrutement, qui ne sont pas spécifiques à la France et sont observables dans le monde entier.

Comment expliquer la dégradation du commerce extérieur depuis 1980 ? À côté du manque d'ETI, il y a également un manque de compétitivité du made in France. Pour y remédier, nous avons fait des propositions concernant les politiques de l'offre et de la demande.

La politique de l'offre doit nous permettre de regagner une compétitivité équivalente à la compétitivité européenne. Notre premier combat vise les taxes de production. Les 10 milliards d'euros ne représentent qu'une partie de l'écart avec l'Union européenne et l'Allemagne. Les taxes de production sont économiquement absurdes puisqu'elles constituent en quelque sorte des droits de douane à l'envers, c'est-à-dire que les produits made in France sont plus taxés que les produits qui sont importés ! Deuxième problème, elles ne sont pas uniformes sur le territoire français. Sur certains territoires désindustrialisés, la base taxable est faible, ce qui pousse les collectivités locales à fixer des taux très élevés et freine l'implantation de nouvelles usines. Qu'il s'agisse d'une source importante de financement des collectivités locales, nous ne le nions pas, mais ce n'est pas aux entreprises d'adapter les conduits fiscaux pour assurer à celles-ci des recettes pérennes.

Deuxième sujet essentiel, la simplification administrative. En rien, elle n'est incompatible avec la transition environnementale. Je rappelle que nous avons en France l'électricité la plus décarbonnée du monde, grâce au nucléaire, mais aussi à tous les énergies renouvelables. Le made in France a grandes vertus en terme environnemental, notamment comparé au made in Germany où l'électricité est partiellement produite à partir de charbon.

Pour préserver et faire grandir notre tissu d'ETI, pour que des PME deviennent des ETI, et que les ETI deviennent des grands groupes, il faut préserver la transmission des entreprises au sein des familles, il faut sanctuariser et amplifier le pacte Dutreil, car le coût de la transmission est plus élevé en France que dans beaucoup de pays, notamment l'Allemagne.

Nous avons également des problématiques de formation : 45 % des ETI nous disent manquer de ressources pour se développer à l'international. L'apprentissage est une réponse, mais pour résoudre l'ensemble de nos problématiques, il faut rapprocher le monde des grandes écoles et des universités du monde de l'entreprise. À ce sujet, une convention est en cours de signature entre le ministère de l'industrie et le METI pour rapprocher ces deux mondes qui s'ignorent encore trop.

S'agissant du développement d'une politique de la demande, je signalerai que le réflexe d'une administration allemande est de privilégier le made in Germany, ce qui est parfaitement autorisé par le droit européen. L'administration française, hélas, regarde le prix. La demande doit se porter sur les produits locaux et à cet égard, un vrai changement de culture doit être opéré.

Il faut également associer les ETI à la diplomatie économique, comme le fait très bien l'Allemagne. J'attends toujours que l'ambassadeur de France, à l'instar de l'ambassadeur d'Allemagne, fasse le tour du monde avec nos entreprises pour clamer que la France est une formidable porte d'entrée de l'Europe !

Je partage ce qui a été dit sur l'entrée de la Chine dans l'OMC, mais malheureusement il n'y a pas que la Chine. Au Brésil, tout est fait pour que les produits importés ne soit pas compétitifs localement. Notre entreprise y a perdu de l'argent pendant des années, jusqu'à ce que nous rachetions une entreprise brésilienne. Dans les échanges internationaux, il n'y a aucune réciprocité : l'Europe est complètement ouverte à l'importation des produits du monde entier, mais elle est loin d'avoir le même accès à de nombreux marchés.

Il y a enfin des enjeux d'attractivité. L'ambassadrice du Canada, où nous avons une usine, fait le tour du monde avec les différentes provinces pour expliquer aux entreprises françaises que le Canada constitue une excellente porte d'entrée pour les États-Unis. Il faudrait être un petit peu plus agressif commercialement.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - La question des impôts de production doit être résolue. Ceci dit, ne perdons pas de vue que la France consacre 6 % de son PIB à l'aide aux entreprises, contre 3 % en Allemagne. Lesquelles de ces dépenses sont efficaces ? Par ailleurs, comment améliorer la formation initiale ? Faudrait-il généraliser le système d'apprentissage, comme en Allemagne ? Enfin, il nous manque des ETI. Comment accompagner les PME pour passer le cap ? Au-delà des aspects fiscaux, il me semble qu'il y a aussi des enjeux de financement.

M. Patrick Martin, président délégué du MEDEF. - Le sujet de la formation est fondateur et nous avons tous en tête le décrochage de la France à tous les niveaux d'enseignement dans les classements internationaux, singulièrement dans les disciplines scientifiques, alors que, dans la profonde mutation de nos économies, la science des mathématiques va jouer un rôle capital. Il semble d'ailleurs que le ministre de l'Éducation nationale lui-même ait convenu que la réforme du bac avec une forme de d'hyperspécialisation des filières scientifiques était probablement une erreur et que des corrections seraient apportées. Mais le problème est beaucoup plus vaste. Dans l'étude de Patrick Artus, on observe de façon spectaculaire une corrélation entre le niveau d'enseignement, et singulièrement, le niveau de l'enseignement scientifique, avec le taux d'industrialisation des pays, la compétitivité et la balance commerciale. Concernant l'apprentissage, nous nous réjouissons tous d'un succès collectif, avec, enfin, cette augmentation très significative de l'apprentissage, qui s'est confirmée et amplifiée à la rentrée 2021. Soyons cependant attentifs à ce que le soufflé ne retombe pas. Nous avons un point d'interrogation sur l'effet des aides de 5 000 et 8 000 euros qui ont été mises en place. L'augmentation du nombre d'apprentis explique le tiers des créations nettes d'emplois en 2021. Nous devons également veiller à ce que l'apprentissage continue à se développer à tous les niveaux de formation : post-bac, bac et pré-bac. Je crois que le ministère du Travail s'interroge sur les effets d'aubaine. Des effets d'aubaine, il en y en toujours ! Pour nous, l'apprentissage a des effets extrêmement concrets sur l'ascenseur social, en permettant à des jeunes de milieux modestes d'accéder à des niveaux de formation qui leur seraient inaccessibles par la voie classique.

Le stock d'alternants, toutes promotions confondues, s'élève aujourd'hui de 1,2 à 1,3 million d'élèves. Il faudrait très rapidement monter à 2 millions. Pour les entreprises, c'est la voie la plus intéressante pour desserrer les difficultés de recrutement.

Nous soutenons également fortement le projet d'Erasmus de l'alternance, qui devrait contribuer à renforcer nos soft skills et à acculturer les jeunes à travers les entreprises à l'international. De manière générale, il faut aller beaucoup plus loin sur l'alternance dans le supérieur et sur ces ouvertures à l'international.

Les financements ne constituent pas vraiment un problème. Il y a actuellement beaucoup d'argent via le financement classique bancaire ou les fonds propres. Pour se renforcer ou se projeter à l'international, les moyens financiers les plus sains sont évidemment la capacité d'autofinancement des entreprises. L'Agence française de développement (AFD) devrait d'ailleurs être beaucoup plus sélective dans ses financements. C'est très bien d'aller financer des projets d'infrastructures dans tel ou tel pays d'Afrique, mais si cela profite à des entreprises chinoises ou turques, c'est un peu dommage. De même, si vous prenez le plan de relance européen, il n'y a aucune conditionnalité quant à l'utilisation de ces financements. La Roumanie va bénéficier de 29 milliards d'euros, qu'elle va pour une bonne part consacrer à des travaux d'infrastructures qui vont bénéficier à des entreprises turques. Je crois qu'il faut qu'on se départisse d'une forme de naïveté et d'angélisme sur ce sujet des financements européens.

Il y aurait beaucoup à faire sur les mesures d'accompagnement. Business France bénéficie surtout à des entreprises assez matures en termes d'exportation à l'international. En réalité, on s'occupe très mal des primo-exportateurs qui sont les premiers à avoir besoin d'un soutien en termes d'expertise et de financement.

M. Serge Babary, président. - Il y a moins de titulaires de master en commerce international en France que dans la seule université de Leeds en Grande-Bretagne. Cette force de frappe nous fait défaut.

M. Pierre Kuchly. - Tant mieux pour ces bons chiffres de l'apprentissage, mais nous n'en verrons pas les effets du jour au lendemain. Il est primordial de mettre en place un patriotisme économique. Les Français doivent acheter français, les entreprises françaises doivent acheter français. En temps de crise, les Allemands achètent allemand, les Italiens achètent italien, les Français achètent au moins cher ! Il faut à tout prix changer ces réflexes, à toutes les échelles.

Des mesures ont été mises en place récemment pour les PME, les TPE, PME, notamment le compte numérique personnalisé de l'exportateur, qui offre un accès en temps réel aux informations sur l'état des marchés, le chèque relance export, le renforcement de l'assurance-prospection, l'assurance prospection d'accompagnement et les vitrines digitales. Nous souhaiterions que le nombre de chèques relance export soit augmenté de 4 à 6 du fait de la prolongation des mesures du volet export du plan de relance, et que le chèque VIE (volontaires internationaux en entreprise) soit davantage utilisé. Le VIE est un superbe outil qui devrait être simplifié, de même que le Fasep (fonds d'études et d'aide au secteur privé). Enfin, la publication d'un bilan détaillant toutes les mesures du volet export aiderait les petites entreprises à y voir clair. Nous avons besoin de dispositifs simples et accessibles.

M. Olivier Schiller. - Pour réindustrialiser le pays, il faut attirer les jeunes vers l'industrie, ce qui est loin d'être le cas aujourd'hui. Les entreprises doivent faire un effort de pédagogie et il faut absolument rapprocher le monde de l'entreprise du monde de l'éducation.

Ce qui fonctionne bien sur le terrain, c'est quand un entrepreneur (chef de service d'un département par exemple) collabore avec le directeur d'un M1 ou M2 d'une université, qu'ils font les programmes ensemble, que l'entrepreneur participe aux enseignements, qu'il prend des stagiaires, etc. C'est par un travail de maillage fin sur le terrain qu'on pourra développer ces liens.

L'aide de l'État français aux entreprises représente 6 % du PIB, à comparer aux 3 % allemands. Mais les subventions sont peu efficaces : l'entreprise prend beaucoup de temps à monter les dossiers, parfois elles les font monter par des sociétés qui prennent 30 % du montant de la subvention. Ensuite, l'État doit revoir les dossiers. Nous préférerions nettement qu'il y ait moins de subventions et moins d'impôts.

Sur le passage des PME vers ETI, il faut 21 ans en moyenne à une PME pour devenir une ETI. Pour cela, il lui faut de la stabilité au niveau des normes et au niveau fiscal. Il y a aujourd'hui trop de changement de règles en fonction des changements politiques.

M. Jean Hingray, co-rapporteur. - Comment vos organismes se différencient-ils par rapport aux entités publiques qui aident les entreprises à l'international ? Celles-ci sont-elles trop nombreuses ? Quel regard portez-vous sur l'accompagnement de la puissance publique par le plan de de relance et l'aide publique en général ? Enfin, si les 35 heures ont signé la fin de la compétitivité en France, que proposent vos organismes ?

M. Patrick Martin. - Le sujet des 35 heures est devenu un totem qu'il ne faut pas aborder frontalement. De toute façon, il va falloir travailler plus pour financer nos retraites. Or, si nous avons aujourd'hui une durée hebdomadaire du travail comparable à celle des pays voisins (40,5 heures par semaine avec les assouplissements au régime des 35 heures), cela n'est pas vrai sur l'année ni sur l'ensemble de la vie. Nous trouverons des solutions à travers la défiscalisation des heures supplémentaires, l'augmentation du quota d'heures supplémentaires, la possibilité d'imputer sur les comptes épargne-temps plus de de journées de RTT, voire de congés payés, et de faciliter la monétisation de ce compte épargne temps. Mais le sujet fondateur, c'est évidemment la réforme des retraites.

S'agissant de nos dispositifs, le MEDEF a une commission Europe et international assez institutionnelle qui nous permet d'avoir des contacts gouvernementaux. Avec Geoffroy Roux de Bézieux, nous avons mis en place une commission « souveraineté et sécurité économique » il y a trois ans et qui, depuis la pandémie, a largement montré son utilité. MEDEF international est, quant à elle, une structure très opérationnelle, qui organise des déplacements à raison de 30, 40, 50 entreprises par destination. Ces déplacements donnent systématiquement lieu à l'établissement de relations commerciales, parfois même à la signature d'accords, notamment sur des projets d'infrastructures.

Enfin, nous avons beaucoup progressé en termes d'attractivité, mais sommes inquiets de la réduction des moyens budgétaires de Business France, qui les pousse à s'intéresser au « gras » du marché, c'est-à-dire aux entreprises qui ont déjà une expérience à l'international, et à délaisser ceux qui ont le plus besoin de ses services, les primo-exportateurs. Dans la définition de la stratégie et des objectifs de Business France, il faut assumer un rôle de service public, c'est-à-dire, d'aller au plus difficile. Les opérateurs privés savent accompagner les entreprises qui ont déjà une maturité à l'international. Pour le MEDEF, la vocation de Business France est d'abord de susciter des vocations à l'international, de les épauler en termes de compétences et de moyens financiers.

M. Olivier Schiller. - Nous nous sommes installés à Saint-Maur-des-Fossés où nous bénéficions auparavant du soutien de l'Agence de développement du Val-de-Marne, une structure de soutien très efficace. Avec la loi NOTRe, la responsabilité du développement économique a été transférée du département à la région, l'agence a été dissoute et n'a pas été remplacée. Or, la région ne dispose pas de la granulométrie nécessaire pour travailler efficacement sur chaque territoire. Théoriquement, les EPT (établissements publics territoriaux) des intercommunalités sont chargés de mettre en oeuvre le développement économique localement, mais ça ne fonctionne pas. On se retrouve effectivement avec un empilement administratif où ceux qui travaillent au sein de ces entités ne savent pas clairement qui est responsable de quoi.

Je suis moi-même adhérent de MEDEF International, qui est très efficace pour ouvrir des marchés aux PME et ETI. La Team France export fonctionne également très bien, mais le dispositif est peu connu des ETI. Nous voudrions organiser des webinaires au sein des clubs ETI régionaux pour mieux le faire connaître.

Quant au plan de relance et à l'aide publique, 70 % de nos adhérents nous disent que le plus impactant pour eux est la baisse des taxes de production, plutôt que les subventions.

M. Pierre Kuchly. - Le chapitre international est très important à la CPME. Nous avons une commission des affaires européennes ainsi qu'une commission internationale, placée sous la présidence de Matthias Fekl, ancien secrétaire d'État au commerce extérieur. Nous promouvons la création de commissions internationales sur tous nos territoires pour aider nos adhérents, en général des TPE et PME, à se développer à l'international. La tâche n'est pas facile pour les petites entreprises : souvent, le dirigeant est en même temps le responsable export, il est seul, sans véritable expérience. Nous tentons de l'aider, de le former, autant que nous pouvons. Nous organisons souvent des missions à l'étranger, dont le but est de rencontrer d'autres chefs d'entreprise, plus que des institutionnels. Nos entreprises privilégient le contact direct qui leur permet de faire du business rapidement. Ce qui fonctionne très bien, c'est quand un entrepreneur expérimenté à l'international emmène avec lui ses copains inexpérimentés. J'ai moi-même emmené des entrepreneurs français au Danemark que je connais bien et leur ai fait rencontrer d'autres chefs d'entreprise. Ces opérations fonctionnent bien.

J'aimerais que la réindustrialisation de la France ne soit pas un effet de mode lié à la pénurie de masques, qui s'éteindra avec la fin du covid. Cela implique que les acteurs, y compris publics, acceptent de payer plus cher quelque chose qu'ils vont trouver moins cher en Chine, au Vietnam ou en Birmanie. Et cela implique également des mesures pour inciter à la réindustrialisation dans la durée.

M. Vincent Segouin, co-rapporteur. - La semaine dernière, j'interrogeais Mme la ministre Pannier-Runacher sur le déclin de la balance commerciale, nous étions à 78 milliards d'euros de déficit. Et pourtant, ce n'est pas faute d'avoir dépensé des milliards dans les plans d'urgence, plan de relance, etc. Une semaine plus tard, nous sommes à moins 84 milliards ! Nous avons mis 1 100 milliards dans notre plan de relance, contre 1 130 en Allemagne, qui a maintenu sa balance commerciale excédentaire de 180 milliards. L'économiste Patrick Artus précise que la balance commerciale en France est négative, la balance des services est positive et la balance des valeurs est juste sur la ligne de flottaison. Au total, notre déficit s'élève à 0,9 % du PIB.

J'ai l'impression que plus l'État se mêle du sujet, plus on s'enfonce ! On entend aussi dire que des entreprises du CAC 40 ne jouent pas le jeu, qu'elles achètent des entreprises de territoire, et bien souvent, elles vont s'implanter à l'étranger.

L'emploi des jeunes nous inquiète beaucoup. Un jeune sur cinq ne travaille pas et n'étudie pas : il ne se cherche même plus un avenir ! On entend partout que le chômage n'a jamais été aussi bas et que l'entreprise repart, mais les vecteurs pour l'avenir sont effrayants. A-t-on pris la mesure de ce déclin, en particulier au niveau de l'opinion générale ? Ne faut-il pas les laisser les entreprises plus libres ?

M. Serge Babary, président. - Voilà un manifeste libéral qui est le bienvenu !

M. Patrick Martin. - Cette affection de notre pays pour l'industrie est en effet très heureuse, mais je ne peux m'empêcher d'avoir un petit doute. Tout le monde s'accorde à dire qu'il faut de l'industrie mais quand il faut passer à l'acte, personne n'en veut près de chez soi. Nous nous réjouissons que les émissions de carbone de la France baissent alors que l'empreinte carbone a augmenté parce qu'on a déplacé les productions. La France n'étant pas une bulle, il faudrait qu'on ait une vision un peu plus globale.

Si on partage cette conviction que je qualifierais d'industrialiste, c'est notre responsabilité collective de porter très haut, très fort et systématiquement ce message : « Si vous voulez un emploi, si vous voulez que vos enfants aient un emploi qualifié et beaucoup mieux rémunéré dans l'industrie que la plupart des métiers de service, convenez qu'il faut développer des usines à proximité de chez vous et donc ne pas exercer des recours matin, midi et soir en faisant appel à des associations qui nous font tous perdre du temps ».

Sur les prélèvements obligatoires, il faut conserver et développer deux dispositifs essentiels dans une économie de la connaissance : le crédit d'impôt recherche, qui est un véritable élément d'attractivité et de compétitivité pour les entreprises, et le crédit d'impôt innovation pour les PME, un dispositif assez méconnu qui doit être beaucoup plus développé.

Nous sommes face à un énorme mur avec la transition profonde que nos économies vont connaître autour de la thématique environnementale. C'est certainement une opportunité pour notre économie, si le sujet est pris d'une manière très résolue et raisonnée, mais cela va amener la collectivité nationale à investir massivement, y compris sur des technologies qui, pour certaines, ne sont pas matures et qui ne sont pas utilisées aujourd'hui pour une bonne raison. Je connais peu de chefs d'entreprise climato-sceptiques, ou qui se plaisent à polluer la planète. S'il y a des technologies aujourd'hui polluantes, c'est parce que les technologies non polluantes sont beaucoup plus coûteuses et qu'on a des enjeux de compétitivité.

Pour le MEDEF, il va falloir que les entreprises soient soutenues parce qu'elles vont devoir investir sur des technologies, des process, des offres de produits et de services. Ce qui nous amène à l'état assez glaçant de nos finances publiques en termes de déficit et d'endettement. Il va falloir remettre à plat un certain nombre de services votés, notamment des dépenses de fonctionnement, car je ne pense pas qu'on puisse monter à 300 % d'endettement public.

M. Sébastien Meurant. - Le malheur français me fait penser à une devise de l'armée « res non verba ». Voilà des années que l'on fait le même constat sur les 35 heures ! Il y a un double discours, on le voit avec l'exemple de Renault dont les nombreuses délocalisations ont été orchestrées par un président qui était l'ancien directeur de cabinet d'un ancien Premier ministre, lequel siège au Conseil constitutionnel ! Les murs sont nombreux, de la formation de nos jeunes jusqu'à nos systèmes pour faciliter les exportations.

Avez-vous eu récemment des financements français ou européens qui ont bénéficié à des entreprises qui n'étaient pas françaises - dans les domaines militaires, notamment ?

Il est plus difficile de soutenir le tissu économique depuis la région que depuis le département. Suite à la loi NOTRe, la plus ancienne agence de développement économique d'Île-de-France, située dans le Val-d Oise, a été supprimée, et ses compétences transférées à la région. Depuis, nous peinons à maintenir des liens avec les pays étrangers. Comment revenir sur ces points pénalisants ?

M. Pierre Kuchly. - Il se trouve que, quand je ne suis pas à la CPME nationale, je suis aussi le président de la chambre de commerce et d'industrie du Val d'Oise. M. Segouin, vos propos sur le chômage m'ont interpellé car en effet, le Val d'Oise est le département le plus jeune de France métropolitaine et, quand vous êtes à l'Est, les taux de chômage sont affolants. Il n'y a plus aucun projet structurant : les derniers étaient la ville nouvelle de Cergy en 1970, l'aéroport de Roissy en 1973 et j'ajoute l'université de Cergy en 1992. Le Premier ministre a récemment annoncé un plan Val-d'Oise, sur lequel on porte beaucoup d'espoir. Si on ne propose pas de développement économique près de chez eux à ces jeunes dans les cités, soit ils s'en vont, soit ils font des bêtises. Je me suis présenté un jour à la maire de Paris en tant que président de la chambre de commerce et d'industrie du Val d'Oise. Celle-ci m'a demandé pourquoi je venais ! Tout est fait pour que les Valoisiens restent dans leur département, ne viennent surtout pas à Paris ni dans le reste de l'Île-de-France. Cet exemple se retrouve dans beaucoup de territoires en France. Là où je suis inquiet, c'est bien entendu ce qu'explique Sébastien Meurant par rapport aux aides aux entreprises étrangères, l'abandon des comités d'expansion économique sur les départements qui sont extrêmement utiles ; mais d'une manière générale, on dit « on va réindustrialiser la France », mais est-ce qu'on peut vraiment le faire ? Vous avez cité l'exemple d'une usine qui a mis trois ans pour obtenir un permis de construire, mais c'est un exemple parmi d'autres. On ne peut pas construire ici, c'est trop vert, là, vous avez des crapauds qui passent... Alors on passe aux friches, mais je doute qu'il y en ait assez et qu'elles soient forcément adaptées. Dans le Val d'Oise, dès que vous dites « on va construire une usine à tel endroit », vous avez 20 à 25 personnes qui se mettent au rond-point, qui bloquent tout et on n'entend plus que ça. Si le préfet, moi-même ou la ministre donne une interview au Parisien pour défendre le projet, ces 20 personnes ont un droit de réponse et on arrive à des ouvertures d'usines avec 3, 4, 5 ans de retard. Pendant ce temps-là, devinez ce que font les Chinois, les Coréens, les Vietnamiens, les Italiens et les Allemands ? Ils avancent !

Dans le Val d'Oise, nous avons beaucoup d'entreprises étrangères, un peu plus de 65 entreprises japonaises notamment. Bien sûr qu'elles profitent des aides publiques.

M. Patrick Martin. - Quand on parle de dépendance à des entreprises étrangères on pense aux biens physiques mais il y a un cas emblématique qui est celui du recours d'entreprises publiques ou d'administrations au service du cloud d'Amazon, AWS, et là il s'agit de milliards d'euros, premièrement, et ensuite, d'un risque de dépendance et de souveraineté. Et cela concerne le digital, un secteur d'ores et déjà déterminant et qui le sera plus encore demain, pour notre compétitivité et pour notre indépendance nationale. N'allons donc par chercher bien loin : nous avons des opérateurs européens, nous avons un opérateur français dans le cloud, et il est bien déroutant voire même choquant que la puissance publique elle-même, celle qui appelle de ses voeux le développement de ces opérateurs européens et français, la réindustrialisation de la France, la souveraineté économique et singulièrement la souveraineté digitale, se tourne vers de grands opérateurs internationaux qui sont aussi efficaces que menaçants.

Deuxième point, nous sommes très demandeurs d'un small business act au niveau européen. Pour l'avoir encore évoqué la semaine dernière avec la commissaire en charge des dossiers de concurrence, et avec nos homologues patronaux d'autres pays, nombre d'entre eux y sont réticents car cela fausserait la concurrence. Il y a toujours cette doctrine libérale, même si elle s'infléchit un petit peu. À tout le moins, dans les accords internationaux que l'on passe, il faut qu'on exige une réciprocité et que, de la même manière que des entreprises brésiliennes, chinoises ou indonésiennes peuvent facilement accéder au marché européen, nos entreprises puissent accéder aux marchés de ces pays. Cela n'est pas le cas ! J'ai cependant l'impression que nous sommes en train de nous départir d'une forme d'angélisme et je m'en réjouis.

M. Olivier Schiller. - Je serai un petit peu plus optimiste que mes collègues. Ce sont trente ans de politique qui ont conduit à cette diminution du poids de l'industrie dans le PIB français. Une politique différente se met en place, laissons-lui le temps de porter ses effets, préservons la et amplifions la surtout. Il y a des ressorts de rappel assez importants, notamment juridiques : les collectivités locales recommencent à augmenter la taxe foncière puisque les taxes sur les entreprises ont diminué. Les entreprises sont gagnantes. Nous plaidons pour la mise en place d'un indicateur de taxes de production pour vérifier que la baisse est pérenne et va s'amplifier. Nous avons également un grand besoin de stabilité.

Le small business act est essentiel. Il faut profiter de la présidence française de l'Union européenne pour pousser la création de la catégorie ETI au niveau de l'Union européenne. Il est légitime qu'on exige de nous plus que des PME mais nous ne sommes pas des grands groupes. Or, la loi Sapin II anti-corruption s'applique aux ETI comme aux grands groupes, la loi sur le « devoir de vigilance » va s'appliquer à toutes les entreprises au-dessus de 250 salariés, etc. On ne peut pas exiger de nous les mêmes moyens que ceux des grandes entreprises. Il faudrait adapter les directives et règlements à notre taille, ainsi que les aides.

M. Serge Babary, président. - L'affaire des masques est tout aussi symbolique. Nous avons incité nos PME à investir, une trentaine de PME-PMI se sont lancées avec souplesse, inventivité et réactivité. Puis, on s'est aperçu que la puissance publique continuait à acheter des masques chinois ! Les appels d'offres vont toujours au plus offrant.

M. Olivier Schiller. - La ministre Agnès Pannier-Runacher a depuis fait circuler un guide d'achat par la puissance publique pour privilégier le made in France.

M. Serge Babary, président. - Hélas, il faut toujours un scandale pour qu'on s'intéresse au sujet.

M. Michel Canévet. - Merci d'avoir évoqué l'action de l'AFD. Nous avons récemment mobilisé son président sur la nécessité d'accompagner les entreprises françaises. Il serait ridicule et incohérent que cette aide finance des opérations construites par nos principaux concurrents.

Y a-t-il, au plan des formalités administratives, une modification ou simplification nécessaire pour favoriser l'exportation et le commerce extérieur ?

Comment doper le dispositif des VIE, qui compte actuellement 7 500 bénéficiaires ?

Enfin, comment inciter les grands groupes à être moteur pour entraîner les PME dans leur sillage à l'international ?

M. Pierre Kuchly. - Nous avons émis des propositions concernant les VIE. C'est effectivement un très bon dispositif qu'il faut renforcer et nous avons proposé d'étendre leur financement jusqu'à un minimum de 80 %, contre 50 % aujourd'hui en moyenne, en mettant notamment à contribution les régions, notamment pour limiter les distorsions de concurrence entre les entreprises de même secteur mais implantées dans des territoires différents, et atteindre un plus large spectre d'entreprises. Deuxième frein, la mission du VIE est relativement courte, par rapport au projet de l'entreprise. Comment inciter les bénéficiaires à rester au-delà de leur mission ?

Rien n'incite les grands groupes à aider les TPE-PME. Il faut les valoriser par un prix du patriotisme économique, la fiscalité, etc.

M. Patrick Martin. - Je suis entièrement d'accord sur les VIE. C'est Business France qui est en charge du dispositif, il faudrait les amener à être plus toniques et à alléger le formalisme.

Sur la chasse en meute, MEDEF International essaye de mettre en place un format assez efficace, celui des tasks force spécialisées. Par exemple, nous avons une task force « ville durable » où les grandes majors de l'aménagement urbain - dans les transports publics, les infrastructures, l'eau, etc. - emmènent avec elles leurs sous-traitants ou partenaires français, et cela donne d'assez bons résultats.

C'est beaucoup plus difficile dans certains secteurs, par exemple dans l'agro-alimentaire, où les clients sont des distributeurs, le secteur public intervient peu et il n'y a pas de grands majors français qui puissent entraîner dans leur sillage des PME, alors que les PME sont extrêmement nombreuses dans ce secteur. Il faut donc avoir des approches sectorielles, aidées ou encouragées par la puissance publique.

Ce réflexe de chasse en meute, qu'on appelle de nos voeux depuis des décennies, va malgré tout monter en puissance parce que je pense que cela fait partie de la responsabilité sociétale des grands groupes (RSE) que d'assumer leurs responsabilités territoriales. C'est peut-être un peu optimiste, mais je pense que cela peut être un élément de valorisation pour ces grands groupes que de dire : « on entraîne dans notre sillage des petites entreprises et moyennes entreprises françaises de nos territoires ».

Nous avons également un enjeu majeur autour de la souveraineté de l'euro. Mon entreprise a dû se replier d'Iran en 24 heures parce que les Américains, au titre de l'extraterritorialité de leur juridiction, ont considéré que toute entreprise qui commerçait en dollars - il est impossible de faire autrement en Iran - était justiciable devant les tribunaux américains. Avant d'être condamné, on aura déjà 2 ou 3 millions de dollars d'honoraires d'avocat : de quoi être refroidi. Il y a un vrai enjeu et pour l'instant, les initiatives imaginées au niveau de l'Europe n'ont pas abouti.

Enfin, soyons très attentifs à ce qui se met en place, au niveau européen, autour du Green deal, du programme « fit for 55 » et de la taxonomie. C'est très bien de se réjouir de la prise de conscience française concernant la réindustrialisation, mais à bien des égards, nous sommes en contradiction avec les directives européennes en cours d'élaboration. S'agissant par exemple de la taxonomie sur l'énergie, il est probable qu'on aboutisse sur le nucléaire, à part que dans l'acte délégué, il est précisé que le nucléaire ne pourra pas bénéficier d'aides d'État. Or, on ne peut pas financer d'énergie nucléaire sans aide d'État, c'est d'ailleurs ce qui se pratique dans tous les pays du monde, y compris aux États-Unis, y compris en Grande-Bretagne. Il faut donc que nous soyons sur tous les fronts et nous y sommes.

M. Olivier Schiller. - Le dispositif des VIE est excellent mais il est surtout utilisé par les grandes entreprises. Il faut travailler de façon étroite avec Business France pour le porter à la connaissance des ETI, PME et TPE.

Avant de simplifier, il faut arrêter de complexifier, et malheureusement, la tendance est inquiétante. Dans le domaine médical, le nouveau règlement européen intitulé MDR (medical device regulation) est le plus exigeant au monde. Le devoir de vigilance a été évoqué. Toutes ces réglementations s'ajoutent aux réglementations existantes. De surcroît, la transposition à la française cherche à protéger le consommateur alors qu'en Allemagne, est visée la compétitivité de l'entreprise.

M. Serge Babary, président. - Je vous remercie chaleureusement pour vos riches interventions, qui alimenteront nos travaux en cours sur la cybersécurité, le commerce extérieur, la transmission d'entreprise et la RSE. Nous continuerons d'avoir besoin des représentations que vous assurez avec tant d'efficacité.

La réunion est close à 11 heures.