Jeudi 17 février 2022

- Présidence de M. Serge Babary, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Responsabilité sociétale des entreprises - Nomination de rapporteurs pour le suivi du rapport n°572, « Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) : une exemplarité à mieux encourager » de Mme Élisabeth Lamure et M. Jacques Le Nay, du 25 juin 2020

M. Serge Babary, président de la délégation sénatoriale aux entreprises - Le premier point de notre ordre du jour nous conduit à désigner des co-rapporteurs qui mèneront la mission sur la responsabilité sociétale des entreprises.

Pour cette mission m'est parvenue la candidature de deux de nos collègues particulièrement intéressés par ces questions : Florence Blatrix-Contat et Jacques Le Nay.

S'il n'y a pas d'autre(s) candidature(s), je vous propose de les désigner. Il en est ainsi décidé.

Les auditions des rapporteurs seront bien entendu conduites à des dates et horaires compatibles avec les autres travaux de la Délégation et ouvertes à tous ses membres.

Responsabilité sociétale des entreprises - Audition de Mme Frédérique Lellouche, présidente de la Plateforme RSE, et de M. Gilles Bon-Maury, secrétaire permanent de la Plateforme RSE

M. Serge Babary, président de la Délégation aux entreprises. - Je vous propose de commencer notre audition. Madame la présidente, Monsieur le secrétaire général, Madame la directrice des affaires publiques de la CPME, je vous remercie de votre présence au Sénat ce matin. Madame Lellouche, la CFDT vous ayant chargé des thématiques RSE et de gouvernance d'entreprise, votre implication dans ces questions vous amène à présider depuis janvier 2020 la plateforme RSE dont vous étiez vice-présidente depuis 2017. Cette instance de concertation réunit auprès du Premier ministre toutes les parties prenantes de ce sujet, de plus en plus important pour les entreprises.

C'est la raison pour laquelle la Délégation sénatoriale aux entreprises avait lancé à l'automne 2019, une mission d'information relative aux entreprises responsables et engagées ce qui recouvre notamment la responsabilité sociétale des entreprises, ou responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSE). Les propositions du rapport de l'époque de nos collègues Élisabeth Lamure et Jacques Le Nay, adoptées par notre Délégation aux entreprises en juin 2020 et intitulé « Responsabilité sociétale des entreprises, une exemplarité à mieux encourager », s'articulent autour de cinq axes : mettre la RSE à la portée des PME pour les mobiliser et les encourager dans cette démarche ; deuxièmement, privilégier une approche globale de la RSE avec un équilibre de ses dimensions environnementales et sociales ; troisièmement, demander à l'État d'être exemplaire, moteur et facilitateur en matière de responsabilité sociétale ; enfin, inciter l'Europe à donner aux entreprises les moyens de se doter d'une politique RSE globale et inclusive.

La plateforme RSE a, de son côté, publié une contribution aux travaux de la présidence française de l'Union européenne, qui évoque le reporting extra-financier, la finance durable, le devoir de vigilance. L'impact croissant de ces questions dans la vie économique, ainsi que dans la stratégie et la gestion des entreprises, nous conduit également à actualiser ce rapport en exerçant un droit de suite avec les rapporteurs que nous venons de désigner, à savoir Martine Berthet, qui est en visioconférence, Florence Blatrix-Contat et Jacques Le Nay qui sont présents, Jacques Le Nay ayant été le rapporteur du premier rapport en 2020. Ils travailleront de concert et en complémentarité avec nos collègues de la commission des affaires européennes du Sénat, nous apporterons le regard pragmatique des remontées de terrain et porteront en particulier la voix des PME parfois tellement démunies face à l'ampleur des défis sociaux et environnementaux qu'elles doivent relever. Après la présentation des priorités que vous recommandez au gouvernement de suivre pour 2022, un exposé liminaire d'une vingtaine de minutes, mes collègues vous poseront évidemment les questions pour avancer sur notre travail. Je vais vous donner la parole immédiatement, madame la présidente Lellouche, c'est à vous.

Mme Frédérique Lellouche, présidente de la Plateforme RSE. - Bonjour et merci Monsieur le président, merci à tous de nous accueillir pour cet échange. Nous sommes ravis de partager avec vous nos travaux et nos dernières réalisations. Effectivement on avait été auditionné dans le cadre de votre précédent rapport dont les conclusions convergent en grande part avec nos recommandations en ce qui concerne notamment l'équilibre des piliers de l'ESG, l'importance à donner à la formation en matière de RSE, qui nous tient particulièrement à coeur. Récemment à la plateforme, nous avons, comme ça ne vous a pas échappé, travaillé sur les questions européennes. Nous avons consulté les membres de la plateforme RSE qui sont au nombre de cinquante et qui, pour rappel, sont organisés en cinq pôles : le pôle économique, le pôle des organisations syndicales, la société civile, le pôle des chercheurs-développeurs et le pôle des institutions publiques.

De cette consultation est ressortie la nécessité d'une priorité très évidente : travailler sur l'Europe. On était en 2020, et en 2021 allait être à l'ordre du jour au niveau européen un certain nombre de textes que vous avez cité sur le reporting avec la directive CSRD sur la taxonomie et puis sur la gouvernance d'entreprise durable et le devoir de vigilance. Pour ces raisons, il nous est apparu important de se saisir des sujets à la fois pour suivre, mais aussi pour pouvoir porter la voix des acteurs français notamment au moment où la France s'apprêtait à présider le Conseil de l'Union européenne. Au sein de la plateforme, nous avions de l'expertise sur ces sujets-là, mais ce qui nous manquait, et qui a été un peu le point de départ de nos travaux, c'était une vision partagée et un besoin de mettre tous ces textes en cohérence. Ce besoin de cohérence, c'était vraiment ce qui a guidé nos travaux parce qu'il est facile d'avoir une vision en silo, sur des sujets parfois très techniques, qui s'adressent à différents types d'acteurs, et il nous apparaissait important d'essayer d'en comprendre les enjeux de façon très transversale au-delà de la spécificité de certains textes dont il fallait quand même entrer dans le détail. On a procédé par une série d'auditions comme nous avons l'habitude de le faire. On s'est attaché à comprendre et à réunir des experts autour des différents textes cités pour essayer ensuite de définir une vision globale et les principales attentes sur ces différents textes. L'idée était que la France étant pionnière en Europe et à l'origine d'un certain nombre de réglementations avec sa loi NRE, l'idée était de continuer à jouer ce rôle de pionniers, sans arrogance. C'était aussi un point de vigilance du groupe mais il s'agissait de voir comment valoriser l'expérience française et capitaliser sur cette expérience.

Ce qui ressort de nos travaux, se sont trois axes : le premier c'est tout ce qui tourne autour de la souveraineté. Ce qui nous est apparu important, c'est la nécessité d'affirmer une souveraineté européenne en matière de RSE en promouvant des standards européens et en s'assurant de l'ambition des travaux en cours au niveau de la Commission. Pourquoi ? Parce qu'on parle des normes avec toute une bataille de normes et il y a un vrai enjeu à ne pas se faire imposer des normes qui ne correspondent pas à notre histoire, à notre mode de fonctionnement, et qui ne seraient pas opérantes. Il y a tout un enjeu avec l'idée qui reste à creuser autour d'une réflexion sur la création d'une agence européenne d'évaluation publique de l'information ESG. La réalité, c'est que l'information ESG va être plus importante compte tenu de l'augmentation du nombre d'entreprises qui vont être soumises au reporting par la directive CSRD ; on multiplie par quatre le nombre d'entreprises qui vont y être soumises, avec l'abaissement des seuils à 250 , ce qui va produire plus d'informations. Donc voilà une piste qui est à réfléchir, autour de cette agence d'évaluation publique de l'information. Et puis l'idée aussi, de faire de l'exigence européenne en matière de RSE, un outil de différenciation avec l'idée d'étendre le champ d'application des différents textes en question aux entreprises non européennes, mais qui ont une activité au sein de l'Union européenne ; ça c'est un point très important pour les acteurs de la plateforme RSE.

Le deuxième axe est autour du fait d'asseoir les spécificités de la vision européenne de la RSE. Qu'est-ce que ça veut dire ? C'était un point de votre rapport, mais il est pour nous important d'avoir une vision équilibrée de la RSE.

En s'assurant de l'équilibre des différents piliers, car il peut y avoir un risque que les sujets environnementaux éclipsent parfois les sujets sociaux. On a cette vigilance de demander à ce qu'on ne privilégie pas certains enjeux au détriment d'autres mais d'avoir bien cette vision transversale et de vraiment consacrer cette notion de double-matérialité qui nous semble très intéressante. Il s'agit non pas de se situer seulement du point de vue des risques pour l'activité de l'entreprise, mais aussi dans un point de vue plus global des risques que l'activité de l'entreprise fait peser sur son écosystème et sur l'environnement.

Un autre point qui nous paraît être une spécificité européenne, c'est la méthode, et nous y revenons très souvent dans nos travaux. L'association des parties prenantes, c'est un peu l'ADN de la Plateforme RSE et c'est aussi l'esprit de la norme ISO 26000 qui guide les travaux en matière de RSE. Cette association des parties prenantes nous paraît absolument clé à tous les niveaux de l'élaboration des normes jusqu'à leur suivi, leur évaluation. Nous insistons sur cette méthode dans tous nos travaux.

On s'est accordé aussi à dire qu'il était nécessaire d'avoir un mécanisme obligatoire en matière de devoir de vigilance, inspiré du modèle français, et qui soit en fait généralisé au niveau européen. Et puis, il y a toute une série de points sur la nécessaire cohérence entre les différents textes, les différentes réglementations européennes pour pouvoir s'y retrouver, et pour s'assurer de l'harmonisation des textes à différents niveaux européen.

Le troisième pilier de nos recommandations concerne la mise en oeuvre effective avec la nécessité d'avoir des informations extra-financières qui vont devenir informations de soutenabilité. L'idée, c'est qu'elles puissent être accessibles, claires et être utilisées par tous. Que ce ne soit pas seulement un sujet d'experts, mais que chacun puisse être acteur à son niveau et s'approprier l'information. Il y a aussi un point dans notre travail sur la nécessité d'une approche différenciée et sectorielle avec notamment, et je laisserai Sandrine Bourgogne développer ce point : du fait que l'on parle d'abaissement des seuils, un plus grand nombre d'entreprises vont être soumises notamment des entreprises de plus petite taille, et ainsi, existe le besoin d'accompagnement, le besoin de standards proportionnés qui puissent prendre en compte aussi la réalité des entreprises qui n'ont pas eu cette expérience ni forcément les moyens, pour mettre en oeuvre ces nouvelles obligations. Voilà, à grands traits, les différents axes de nos travaux récents sur l'Europe.

On a également, compte tenu des échéances électorales de 2022, proposé une synthèse qu'on vous remettra et qui s'appelle « Responsabilité sociétale des entreprises, une ambition partagée », qui est une synthèse de nos différents travaux des dernières années. Elle met l'accent sur ce qui nous paraît le plus important, les éléments un peu incontournables de nos recommandations sur différents volets, sur les différents leviers de la RSE.

M. Serge Babary, président. - Madame la présidente merci. Je vous propose peut-être un complément pour les PME, Madame Bourgogne et puis ensuite on passera aux questions.

Mme Sandrine Bourgogne, secrétaire générale adjointe de la CPME, représentante de Guillaume de Bodard, vice-président de la Plateforme RSE. - Merci Monsieur le président. Juste un point important dans le prolongement de ce que disait Frédérique, c'est que dans ces travaux européens qui arrivent, vous avez des textes très importants pour les PME et qui les impactent assez directement. Frédérique a évoqué la révision de cette directive européenne sur la publication d'informations extra-financières, qui jusqu'à maintenant est imposée aux entreprises de plus de 500 salariés. Aujourd'hui, avec cette révision, la Commission a souhaité avancer davantage parce qu'elle a considéré que ce reporting extra-financier n'était pas de qualité, que les informations publiées n'étaient pas comparables, elles n'étaient pas forcément fiables et elle donc a voulu revoir la directive. Aujourd'hui, les travaux européens font que le seuil de 500 salariés va être abaissé à 250 salariés et que toutes les entreprises de plus de 250 salariés, PME cotées comprises, seront assujetties à cette obligation de reporting extra-financier sur un certain nombre d'indicateurs. Si on peut tout à fait convenir de l'objectif d'avoir des données comparables, fiables, de qualité, tout ça pour encourager les investissements responsables, c'est bien l'objectif. Les PME, en tout cas s'interrogent un petit peu sur la façon dont ça va pouvoir se faire et sur les effets que ça va avoir sur elles. Je m'explique : effectivement, on a, et la plateforme l'a dit très clairement, des points de vigilance quant à l'extension de cette obligation de reporting extra-financier. Certes 250 et plus, ce sont plutôt les plus grandes entreprises, sauf qu'il y a un effet de seuil, évidemment qu'on ne peut pas méconnaître : quand vous êtes une entreprise de plus de 250 salariés, vous restez quand même une entreprise moyenne et vous allez avoir des effets de seuil qui ne sont pas neutres. Frédérique l'a dit, vous allez avoir sûrement des freins en matière financière, des moyens humains que vous n'aurez pas pour faire ce reporting parce qu'il s'agira d'un reporting très ambitieux, parfois technique. Vous allez aussi faire face à une augmentation des demandes d'informations sur la durabilité de la part des banques et des grandes entreprises qui seront elles-mêmes soumises à ces obligations, et donc il y a des effets en cascade sur l'ensemble de la chaîne de valeur, ce qu'ont souligné d'ailleurs les travaux de la plateforme.

Enfin, il peut y avoir un risque pour les PME d'être évincées de certains marchés ou d'avoir un accès limité au financement si elles ne parvenaient pas à faire ce reporting. Là, vous avez un enjeu important en matière de financement des entreprises, donc ce n'est pas neutre. Sur la façon dont le reporting doit être fait, on l'a vu, il sera obligatoire pour les entreprises de plus de 250 salariés avec des standards, des indicateurs qui seront harmonisés, et, pour les entreprises, les PME cotées ou les autres petites entreprises qui souhaiteraient faire ce reporting de manière volontaire, vous allez avoir des standards spécifiques. La plateforme l'a dit, et nous le disons aussi : il faut des standards qui ne soient pas les standards des grandes entreprises, juste parce que ce ne sont pas du tout les mêmes types d'entreprise. Il faut vraiment des standards adaptés aux spécificités des PME, qui soient clairs et simples d'accès. Et là, ce que la plateforme a souligné, c'est qu'il doit y avoir une dimension bien sûr différenciée, de la proportionnalité mais aussi une dimension sectorielle ; quand vous êtes une petite entreprise, vous vous retrouvez vraiment dans les enjeux de votre métier, dans les spécificités de votre métier. Quand vous êtes une entreprise de carrière de matériaux, vous avez des enjeux de biodiversité très importants, qui ne vont pas être les enjeux d'un prestataire de services. Il y a un vrai enjeu et encore une fois, il faut que ces indicateurs parlent aux PME, il faut que ce soit simple. C'est un point qui a été débattu au sein de la plateforme et qui reste un point de vigilance.

Pour terminer, dans ce texte, vous avez une nouveauté que la plateforme a souligné comme étant une avancée : c'est que figure l'obligation d'audit par un tiers indépendant des informations qui seront publiées. Cela répond à une exigence de la plateforme, une double exigence : d'abord d'avoir des démarches RSE qui sont robustes, des informations qui sont de qualité et donc elles doivent être attestées par une tierce partie pour en garantir la fiabilité, etc.

Enfin, et pour répondre à votre questionnaire, la plateforme a aussi souligné un point important : vous le savez, aujourd'hui c'est l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group) qui réfléchit à la l'élaboration de ces fameux standards qui permettront le reporting de ces normes de publication. Donc la plateforme a souligné l'importance d'une représentation équilibrée des parties prenantes dans ses travaux au sein de la task force pour représenter l'ensemble des parties prenantes, dont les PME. Elle a demandé aussi que les travaux de l'EFRAG soient visibles et partagés pour un meilleur échange.

M. Serge Babary, président. - Merci, je vous propose de donner la parole aux rapporteurs, peut-être en commençant par Jacques Le Nay puisqu'il avait été co-rapporteur du premier rapport dont on a parlé tout à l'heure ; et puis ensuite, Florence Blatrix Contat.

M. Jacques Le Nay, co-rapporteur. - Merci Monsieur le président. Je me replonge dans ce premier rapport dans lequel notre préoccupation était de voir comment pouvaient s'adapter les PME/PMI à cette démarche RSE. On comprend bien, et vous l'avez souligné l'une et l'autre, que ces difficultés d'adaptation sont leurs principales difficultés, et que les grandes entreprises ont plus de facilités. Les PME réclament de la simplification : dans les formulaires, mais aussi dans les dispositions adoptées.

C'est là tout le travail que nous avions mené, et je crois que le travail de la plateforme RSE va en être un complément, et va nous aider à poursuivre ces travaux. Nous lirons donc votre rapport avec attention. Nous engageons, dans le cadre de la Délégation, un suivi de notre rapport de 2020, qui répond notamment à cette étape intervenue au niveau européen. Je voudrais savoir comment vont s'organiser la suite des travaux de la plateforme RSE au regard du dispositif européen ? Nous avons évoqué l'enjeu de l'harmonisation de la notation extra-financière des entreprises, pouvez-vous donc nous présenter les perspectives des travaux du groupe de travail à ce sujet ?

Enfin, et le sujet sera peut-être davantage abordé lors de l'audition suivante, pourriez-vous nous dire ce qu'il en est de l'homogénéisation des indicateurs ESG, ainsi que de la construction d'un référentiel concret ?

Mme Frédérique Lellouche. - Merci beaucoup Monsieur le rapporteur. En effet, ces travaux sur la compréhension et l'accompagnement de ces textes européens en préparation nous ont occupés pendant plusieurs mois. Nos travaux ont été publiés en octobre dernier, mais cela ne s'arrête pas là évidemment, puisque c'est un travail en cours, que nous suivons de façon très attentive et qui fera l'objet d'un suivi régulier.

Il y a aussi des calendriers très différents entre l'adoption et la mise en oeuvre sur le volet taxonomie, et je vais peut-être laisser Sylvain Boucherand en parler. Sur la « CSRD » (Corporate Sustainability Reporting Directive), les travaux sont très avancés ; moins sur la directive « devoir de vigilance », car le texte n'a pas été encore publié ; il devrait l'être le 23 février prochain. On parle donc de sujets avec des dynamiques et des calendriers un peu différents, mais de toute façon ce sont des sujets que nous allons suivre et qui vont nous amener à nous positionner à nouveau. Ils poseront certainement par ailleurs des questionnements dans la pratique et seront donc à l'origine de nouveaux besoins d'accompagnement des acteurs. Nous chercherons à voir si le consensus peut émerger, en restant très proches des attentes de nos membres qui seront forcément concernés par ces nouvelles réglementations.

À ce propos, je souhaiterais revenir sur la plateforme que le gouvernement a lancée récemment, la plateforme impact.gouv.fr qui est un outil qui vise à la transparence de l'information EFG sur 47 indicateurs. La plateforme est renseignée de manière volontaire par les entreprises et se veut être un lien avec les travaux au niveau européen, elle préfigure ce qui va être demandé aux entreprises avec la nouvelle directive CSRD. La plateforme RSE est associée à ces travaux à travers le comité d'orientation et va donc être amenée à en suivre les évolutions. C'est un outil qui a été lancé il y a quelques mois et qui est amené à évoluer pour que l'information ESG prenne de plus en plus en compte cette notion de l'impact. La question de l'impact ne se limite pas à l'information ESG, et cela fera surement partie de nos travaux futurs car, dans une récente consultation de nos membres, le sujet de l'impact a été identifié comme un sujet de recherche, en particulier la question de la mesure de l'impact. Je laisse la parole à Sylvain Boucherand pour la taxonomie.

M. Sylvain Boucherand, vice-président de la Plateforme RSE. - Monsieur le président, Messieurs les rapporteurs, je suis vice-président de la plateforme RSE au titre du pôle des organisations de la société civile, je représente l'association Humanité et Biodiversité à la plateforme RSE.

Un sujet que nous allons suivre dans le cadre des travaux de la plateforme RSE, est celui de la taxonomie. Comme vous le savez, celle-ci a pour vocation de flécher les investissements dans les entreprises qui ont des contributions positives à un certain nombre d'objectifs environnementaux. Le climat en fait partie, mais pas uniquement, la biodiversité, la protection des ressources également. Il s'agit d'une matière qui devrait aussi devenir structurante pour les entreprises et au sujet de laquelle nous avons déjà travaillé au sein de la plateforme RSE, notamment sur la question des indicateurs. Je vous invite à consulter le rapport que nous avons publié il y a deux ans sur les indicateurs de reporting concernant la biodiversité, et dans lequel nous avions déjà souligné la nécessité d'avoir des travaux qui puissent, dans un certain nombre de cas, êtres sectoriels, pour qu'ils soient les plus proches possibles de la réalité des enjeux des entreprises, selon leurs secteurs d'activités. Nous avions fait un certain nombre de recommandations en ce sens.

Sur les enjeux de la taxonomie, mais plus largement, de l'ensemble des travaux européens en cours, nous insistons dans le rapport sur l'importance d'arriver à avoir une cohérence entre les différentes réglementations et c'est là un enjeu extrêmement fort. On a parlé de la CSRD par exemple ; ici, l'idée est que les règles relatives à la taxonomie puissent lui être alignées. J'insiste sur l'enjeu de la lisibilité et de la comparabilité des données : dans le cadre de ces différentes réglementations, il faut que l'on puisse s'assurer que, in fine, elles soient toutes compatibles et alignées.

Sur une suite possible du sujet de la taxonomie, qui est aujourd'hui « verte », fondée sur les objectifs environnementaux, est en discussion la question de la création d'une taxonomie sociale, qui pourrait donc traiter des questions sociales. À ce propos, nous avons publié récemment un rapport sur la question de l'affichage social où nous posons un certain nombre de questions et faisons des recommandations qui ont trait aux indicateurs relatifs aux questions sociales. Nous savons bien qu'il n'est pas tout à fait évident de définir les bons indicateurs et de pouvoir avoir un reporting cohérent, au niveau des entreprises, mais également au niveau des produits, dans le cas de l'affichage, et de l'affichage social que nous avons traité très récemment.

Sur l'enjeu global d'aligner les entreprises sur les grands objectifs internationaux, nous avions également publié un rapport il y a quatre ans, sur les objectifs de développement durable, dans lequel nous incitions déjà à avoir un alignement des politiques RSE des entreprises, des politiques d'investissement des fonds d'investissement, sur ces 17 objectifs de développement durable (ODD). Nous retrouvons aujourd'hui ces objectifs dans les enjeux de la taxonomie. Nous sommes donc toujours dans cette logique de pouvoir aligner à la fois les grands objectifs des politiques publiques sur ce qui peut être demandé en terme de reporting.

Sur l'accompagnement des PME, je souhaiterais citer un rapport qui a été publié il y a quelques semaines, relatif au secteur immobilier en France. Il s'agit d'un guide d'accompagnement des entreprises du secteur qui évoque comment la taxonomie va les impacter et comment ils peuvent créer du reporting. C'est peut-être un exemple à étudier dans vos travaux et qui illustre bien comment des secteurs peuvent accompagner les PME, les aider à comprendre ces enjeux, à trouver et à appliquer les bons indicateurs, spécifiques à leurs activités.

Pour terminer, je souhaiterais souligner l'enjeu extrêmement important qu'est la vision européenne de ces sujets. C'est un enjeu qui est au coeur de nos travaux à la Plateforme RSE, car il est indispensable d'avoir une vision européenne de la RSE et de pouvoir définir des grands objectifs en commun. Ensuite, si l'on est d'accord sur cet objectif global, il est possible d'avoir les outils qui permettent de le déployer ou d'accompagner une politique en ce sens. Dans le questionnaire que nous nous avez transmis, il est question des agences de notation et elles constituent une possibilité, mais il faut évidemment qu'elles s'inscrivent dans cette vision européenne de la RSE, que nous soutenons à travers les différents travaux que nous avons a pu mener.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Merci pour cet éclairage, en effet, vous l'avez très bien souligné, l'effet cascade est important, et cette directive impactera obligatoirement indirectement les entreprises en deçà de 250 salariés, et quelque part c'est bien l'objectif, pour que l'ensemble de notre tissu productif s'inscrive dans ces démarches.

J'ai une question, à laquelle vous avez déjà partiellement répondu, sur la différenciation sectorielle et l'accompagnement des branches. Vous avez cité l'immobilier, est ce que d'autres branches s'engagent dans un accompagnement de leurs entreprises pour s'adapter à ces nouvelles normes ? Sur l'efficacité du reporting, on a bien vu par exemple qu'Orpea avait une notation plutôt bonne et, finalement, on découvre qu'elle n'est pas forcément conforme à la réalité. L'un des défauts de ce modèle, est peut-être qu'on est sur un système quasi-déclaratif, avec la question de la fiabilité des informations. Comment renforcer la crédibilité des méthodes d'évaluation ?

M. Serge Babary, président. - Pour rebondir sur la question de Florence Blatrix Contat, pourriez-vous préciser la question de l'audit extérieur qui viendrait, j'imagine, en complément, pour certifier en quelque sorte ?

Mme Sandrine Bourgogne. - À l'image de l'immobilier, beaucoup de secteurs d'activité s'engagent aujourd'hui. À titre d'exemple, la CPME vient de publier un recueil avec une trentaine de fédérations professionnelles qui ont participé à une expérimentation que la plateforme RSE a lancé il y a environ 2 ans, sur des référentiels RSE, ces fameux labels dont votre précédent rapport avait souligné l'importance. L'idée est que des secteurs d'activité qui peuvent être très différents travaillent sur des référentiels, des indicateurs, concernant l'ensemble des piliers : environnement, social, sociétal, gouvernance, pour pouvoir vraiment s'évaluer.

Nous mettons en avant la qualité des informations, et il ne s'agit absolument pas de faire une espèce d'auto-déclaration, nous sommes absolument contre ce principe-là, mais bien d'engager les entreprises, à travers ces référentiels, à dire ce qu'elles font et de le mesurer de façon très documentée, et avec l'intervention d'un organisme tiers indépendant. Cela est très important pour nous. Il s'agira d'une tierce partie, cela peut être un auditeur qui, en amont de l'élaboration de ces référentiels, mais aussi en aval, va garantir le sérieux, la qualité, la robustesse de ces démarches.

La plateforme RSE dans son ensemble s'inscrit dans cette démarche et nous saluons, dans le cadre de cette révision de la directive CSRD, la nouveauté qui est cet audit systématique et obligatoire. Nous espérons vraiment que cela pourra permettre d'éviter le type d'écueils que vous avez soulignés et, pour cela, il faut que tout soit totalement documenté, garanti, et contrôlé, pour garantir la fiabilité et la comparabilité de ces informations.

Pour revenir sur le volet PME, l'idée est d'avoir une approche différenciée et proportionnée et de travailler avec les parties prenantes, dont l'EFRAG, afin de contribuer à l'élaboration d'indicateurs qui soient facilement applicables aux PME, mais qui soient également robustes.

Nous proposons de se limiter à un volume d'indicateurs peu nombreux car aujourd'hui, les premiers textes, destinés aux grandes entreprises, sont très compliqués, avec des centaines d'indicateurs difficiles à renseigner, et qui nécessitent d'avoir une expertise et d'être accompagnés dans ces démarches.

C'est pour cela que pour les PME, nous nous orientons vers quelque chose de plus simple, qui soit très directement lié à leurs enjeux sectoriels, à leur métier, qui soit transverse, et qui réponde à des critères de qualité. Je souhaite vraiment insister sur ce point, car, comme vous l'avez dit Madame la rapporteure, Monsieur le président, les indicateurs doivent répondre à des critères de qualité. Pour nous, ils doivent être lus à travers une grille de lecture qui serait la suivante : la pertinence de l'indicateur bien sûr, mais aussi sa comparabilité, le fait qu'il soit fidèle à la réalité de l'entreprise, et enfin qu'il s'agisse d'une information compréhensible et établie dans des conditions de fiabilité. Nous essayons donc d'avoir une démarche de qualité, de robustesse et de sérieux.

M. Vincent Segouin, sénateur. - J'ai plusieurs questions relatives à la RSE. Nous étudions parallèlement, dans le cadre des travaux de la Délégation aux entreprises, les questions de la compétitivité des entreprises et de la balance commerciale. Aujourd'hui, les chefs d'entreprise nous disent avoir un souci avec les coûts salariaux, avec le code du travail, avec les normes et la règlementation en général, qui sont à l'origine de pertes de compétitivité. La RSE est-elle un outil qualitatif, qui permettrait aux entreprises de vendre plus cher ? Y a-t-il une contrepartie en termes de qualité, ou est-ce un énième outil de normes environnementales et sociétales, qui affaiblit encore la compétitivité des entreprises ?

Une entreprise qui aurait un label « RSE France », qui serait reconnue pour ses qualités environnementales et sociétales, et qui aurait des fournisseurs dans le monde qui ne répondent pas du tout aux critères de la RSE, comment la classer ?

M. Rémi Cardon, sénateur. - J'ai cru comprendre que s'agissant des entreprises de plus de 20 salariés, 60 % environ ont déjà entendu parler de RSE ; auriez-vous une idée du taux de transformation, entre ceux qui en entendent parler, et ceux qui basculent vers une démarche RSE ?

Compte tenu des enjeux climatiques, faudrait-il rendre obligatoire cette démarche RSE ? Je me doute que vous allez peut-être répondre oui, mais faudrait-il passer par un palier intermédiaire ? Dans le cadre de la Délégation aux entreprises, nous travaillons également à un rapport sur la transmission d'entreprise ; faudrait-il rendre obligatoire lors d'une transmission d'entreprise cette bascule RSE ? Je pense que cela pourrait être un bon moyen, pour un repreneur, de repartir sur de bonnes bases et d'avoir un état des lieux des impacts environnementaux et sociaux de l'entreprise.

Mme Frédérique Lellouche. - Sur la question des effets sur la compétitivité de l'entreprise, c'est un sujet qui nous a déjà mobilisés, et je parle sous le contrôle de Gilles Bon-Maury, mais France Stratégie a effectué une étude il y a quelques années sur les gains de compétitivité du fait de l'engagement de l'entreprise en matière sociale et environnementale.

M. Gilles Bon-Maury, secrétaire permanent de la Plateforme RSE. - Effectivement, à la demande de la plateforme RSE lors de son lancement en 2013, France Stratégie a essayé d'explorer cette question compliquée. L'idée est que si la RSE est un levier de transformation des entreprises, c'est bien parce que les marchés sont plus attentifs aux entreprises plus performantes en termes de RSE, aussi bien sur les marchés des biens et services, que sur les marchés financiers, que sur les marchés de l'emploi. Il s'agit donc d'un signal qui est donné au client dans la rencontre du marché, et qui permet à une entreprise qui démontre une performance plus importante, d'être plus intéressante et donc d'être plus forte sur les marchés, et donc plus compétitive.

Cette étude n'a pas été simple, et elle a conduit à mettre en évidence une corrélation entre la bonne santé et la bonne compétitivité des entreprises, et celles qui déclarent s'engager en termes de responsabilité sociale. J'en profite pour souligner que pour mener ces études, il faut pouvoir s'appuyer sur des données de statistiques publiques riches. L'enquête sur les entreprises et le développement durable de l'Insee, qui est l'enquête qui couvre le mieux ces sujets-là, a donné lieu à deux vagues de données séparées de 5 ans, et la plateforme a eu l'occasion de dire plusieurs fois combien il était nécessaire de multiplier les enquêtes de ce type. Différents types d'études sont produites à ce sujet, qui n'ont pas forcément toutes la même robustesse en terme de réponse statistique, et donc les travaux que nous menons à France Stratégie s'appuient, en règle générale, sur les enquêtes de statistique publiques qui sont les plus robustes, mais aussi peut-être plus les plus difficiles à rassembler.

M. Sylvain Boucherand. - Peut-être en complément, il me semble que le sujet n'est pas binaire, c'est vrai que souvent, selon la manière dont on l'aborde, on le voit au travers d'un prisme. Cela peut être celui de la plateforme RSE, celui du monde économique avec les entreprises, ou du monde des syndicats de salariés, ou des associations environnementales et de consommateurs. On a souvent un peu cette dichotomie binaire, le tout réglementaire face au tout volontaire. Il me semble que si l'on veut être un peu pragmatique et faire avancer des sujets, il faut que l'on trouve un bon équilibre entre les deux.

À ce propos, il y avait un rapport de l'OCDE qui n'est pas très souvent cité, mais qui avait démontré que les pays avec les réglementations environnementales les plus exigeantes étaient ceux qui exportaient le mieux, donc il y a aussi peut-être certaines idéologies ou certaines approches sur lesquelles on peut essayer d'avancer. Cela étant, au-delà de savoir si c'est un gain de compétitivité ou non, s'il faut le rendre obligatoire ou pas, je pense que la RSE va quand même s'imposer plus ou moins d'elle-même. Une entreprise où il y a une mauvaise ambiance au travail et qui va vouloir recruter, ne trouvera pas de salariés demain, quelles que soient les réglementations en place.

C'est un enjeu qui va aussi s'imposer pour les entreprises, il ne s'agit pas uniquement de la question des coûts en plus ou en moins, une entreprise qui veut faire de la qualité et une entreprise qui va avoir une stratégie marketing, c'est un investissement auquel elle consent, et qui, il me semble, s'aligne avec les attentes des parties prenantes d'aujourd'hui. En réalité c'est bien cela l'essence de la RSE, et on l'a rappelé extrêmement souvent, c'est comment l'entreprise comprend-elle les attentes des parties prenantes d'aujourd'hui et comment elle se prépare aussi à anticiper les attentes des parties prenantes de demain, si elle veut être performante sur l'ensemble des champs.

Mme Frédérique Lellouche. - La RSE est déjà de l'ordre de l'obligation dans un certain nombre de cas. On a parlé de la loi sur le devoir de vigilance. Elle s'adresse aux plus grandes entreprises actuellement, et en concerne plus de 5 000 en France et plus de 10 000 à l'étranger. Elle vient répondre à votre question sur « quid d'un fournisseur qui ne respecterait pas un certain nombre d'engagements, un certain nombre de conventions internationales en matière de respect et de protection des droits de l'Homme et en matière d'environnement ? ». La question est celle de la responsabilisation de la chaîne de valeur et l'esprit de cette loi française, mais qui a vocation à devenir un projet européen, c'est de viser justement à responsabiliser les différents acteurs. Nous avons déjà mis en avant cet enjeu d'accompagnement, de procéder de manière proportionnée quand c'est nécessaire, mais il y a un peu une histoire en marche, et un mouvement général qui devient un mouvement européen, sans parler d'un projet au niveau international de traité des Nations Unies en matière d'entreprises et de droits de l'Homme. Finalement, il y a un mouvement général pour ne plus pouvoir considérer l'entreprise uniquement dans ses enjeux propres ; il y a une demande à l'entreprise de se situer dans son écosystème et de prendre en compte les attentes de ses parties prenantes, de ses riverains, etc.

Sur la question des indicateurs et en complément de ce que disait Sandrine Bourgogne sur la nécessité d'avoir une information la plus fiable possible, la plus robuste possible, la plus comparable et compréhensible de tous, il y aura aussi certainement à l'avenir à réfléchir autour de : comment prendre en compte la progression, la dynamique ? Nous sommes actuellement dans l'information en matière ESG sur des informations d'État, prises à un moment T, mais demain, comment prendrons-nous en compte la progression des acteurs en la matière ? Cela fait partie des pistes de travail au sein la plateforme impact.gouv.fr : lorsque qu'elles se situent dans une dynamique de transformation, comment prendre en compte les efforts réalisés par les organisations et par les entreprises ?

M. Vincent Segouin. - En premier lieu, je voulais répondre par rapport l'étude de France Stratégie que vous avez citée. Si j'ai bien compris, vous avez dit que le fait d'être label RSE permet de vendre plus cher, cela va rentrer dans les esprits. C'est ce qui se passe sûrement en ce moment avec les masques que l'on porte : l'État va vers les produits français, RSE de préférence... !

En second lieu, vous nous dites que les entreprises sont bien obligées, pour pouvoir recruter des salariés, de faire attention aux normes environnementales et sociétales. Je suis complètement de votre avis. Mais a-t-on réellement besoin de faire de la réglementation pour cela. Le marché ne va-t-il pas se réguler tout seul ?

Enfin, la RSE, d'après ce que j'ai compris, c'est une loi française, elle n'est pas européenne, elle n'est pas mondiale. Est-ce que la loi du marché est en adéquation avec la RSE, avec la loi française ? Parce que nous sommes en train d'accuser le coup sur une balance commerciale qui se dégrade et elle continue de se dégrader, de semaine en semaine ; ne faudrait-il pas se dire que nous sommes peut-être allés trop loin ? Il faudrait peut-être que nous nous régulions davantage par rapport à l'ensemble du marché mondial, pour essayer de retrouver un souffle en termes d'industrie ? À moins qu'on ne veuille plus d'industries...

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Tout d'abord, comment faire en sorte que ces reporting ne soient pas juste un document de plus, mais infusent dans la culture d'entreprise ? Ensuite, pour rebondir sur les propos de mon collègue, je comprends son inquiétude qui est tout à fait légitime, mais n'a-t-on pas intérêt, justement, à être robuste au niveau des normes européennes, pour pouvoir les imposer au niveau international ? Comment faire pour que ce mouvement se fasse assez rapidement et pour éviter qu'on ait peut-être ces difficultés de compétitivité ? Je pense que, de toute façon, ces règles vont s'imposer à tout le monde, compte tenu des enjeux auxquels nous faisons face. Comment être proactifs sur le sujet ?

M. Serge Babary, président. - Est-il prévu d'intégrer la cybersécurité à ces indicateurs ? Un tel indicateur permettrait aux entreprises de démontrer une certaine résilience et toucherait aussi à ses responsabilités vis-à-vis de l'extérieur, des données de ses clients, de ses fournisseurs, et sur le l'éthique du stockage des données.

Mme Frédérique Lellouche. - Au sujet de la régulation par le marché, la Commission européenne a dit justement, pour expliquer son projet de directive sur le devoir de vigilance, que la régulation des acteurs par eux-mêmes n'était pas suffisante. Un équilibre entre les deux est nécessaire. Ici, nous avons un socle de normes fondamentales qui s'adresse à tous, ce qui n'empêche pas l'entreprise d'aller plus loin si elle le souhaite.

On a ce dispositif en France avec la loi PACTE, qui permet aux entreprises qui le souhaitent de se doter d'une raison d'être, de devenir société à mission, etc. Mais il y a un certain nombre d'attendus, en fonction des seuils d'entreprises, de devoir rendre compte. Il y a un enjeu de redevabilité, de transparence et donc il y a une attente sociétale.

Cela n'est pas uniquement un sujet français puisque nous sommes en train de réviser la directive de 2014, le reporting extra-financier est déjà une obligation au niveau européen. M. de Cambourg qui interviendra dans l'audition suivante pourra vous en parler bien plus précisément !

Pour répondre à votre dernière question sur comment faire en sorte que ces obligations infusent dans l'entreprise ? Comment faire en sorte que l'entreprise s'approprie le sujet, qu'il ne soit pas vécu comme une énième obligation, qui n'irrigue pas la stratégie de l'entreprise ? Il y a quelque chose qui revient de façon très régulière dans nos travaux en réponse à ces questions : c'est faire porter au plus haut niveau ces sujets de RSE, au niveau de la gouvernance, au niveau des instances dirigeantes de l'entreprise, que ce soit véritablement un sujet pris en compte dans la stratégie, et pas un sujet à côté.

Peut-être un dernier mot, puisque vous avez parlé de cybersécurité et de l'enjeu des données, je vous invite à prendre connaissance de nos travaux sur le numérique responsable. Nous nous sommes auto-saisis de ce sujet, comme un nouveau champ de la RSE, un nouveau sujet de redevabilité des entreprises, avec tout l'enjeu des données et toute la question des impacts sociaux et environnementaux du numérique.

M. Serge Babary, président. - Merci, effectivement, il y a beaucoup de sujets à évoquer mais nous arrivons au terme de cet échange. Je voulais vraiment vous remercier et nous n'hésiterons pas à revenir vers vous pour peut-être aller un peu plus loin sur certains points. Merci beaucoup de vos interventions et nous allons passer à l'audition de Monsieur de Cambourg.

Responsabilité sociétale des entreprises - Audition de M. Patrick de Cambourg, président de l'Autorité des normes comptables, président de la commission Climat et finance durable de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)

M. Serge Babary, président de la Délégation aux entreprises. - Mes chers collègues, Monsieur le président, nous allons entamer notre échange. Comme vous l'avez vu, nous venons d'entendre les responsables de la plateforme RSE nous présenter les priorités de cette dernière pour la présidence française de l'Union européenne, évoquer la finance durable, le devoir de vigilance et le reporting extra-financier des entreprises. Ce sont des sujets que vous connaissez bien et qui nous avaient conduit à vous auditionner dans le cadre du rapport de nos collègues, Élisabeth Lamure et Jacques Le Nay, adopté par notre Délégation aux entreprises en juin 2020 et intitulé « Responsabilité sociétale des entreprises, une exemplarité à mieux encourager ». Notre Délégation aux entreprises lance le suivi de cette mission et vient de désigner à cette fin, comme rapporteurs Martine Berthet, qui est en ligne en visioconférence, Florence Blatrix-Contat et Jacques Le Nay, qui sont tous les deux présents. Ils travailleront de concert et en complémentarité avec nos collègues de la commission des affaires européennes du Sénat qui travaillent parallèlement sur ces sujets.

Dans le rapport que vous aviez remis le 21 juin 2019 au ministre de l'Économie et des Finances, vous prôniez l'élaboration par l'Union européenne d'un cadre normatif au niveau international en matière d'information extra-financière, élément essentiel pour garantir une finance durable et responsable. Je dis bien par l'Union européenne et non par des organismes privés d'inspiration anglo-saxonne afin de ne pas réitérer l'erreur du début des années 2000, d'avoir délégué à une instance indépendante mais anglo-saxonne, la détermination des normes comptables, avec l'International Financial Reporting Standards, l'IFRS. Vous nous raconterez donc les coulisses de cette bataille de la normalisation à laquelle vous avez pris part, d'autant plus essentielle que la nouvelle stratégie industrielle de l'Union européenne de mai 2021, fait de la normalisation, un moyen d'assurer l'autonomie stratégique du continent. Vous nous direz comment l'EFRAG (European Financial Reporting Advisory Group), organisme auquel vous participez, entend simplifier le processus de reporting grâce à l'interopérabilité des critères ESG. Ces standards homogènes devant être par ailleurs accessibles aux PME, les plus importantes d'entre elles allant devenir juridiquement concernées par la publication de ces informations extra-financières, c'était l'objet d'une audition précédente.

Après votre exposé liminaire d'une vingtaine de minutes mes collègues vous poseront évidemment quelques questions. Monsieur le président je vous donne la parole.

M. Patrick de Cambourg, président de l'Autorité des normes comptables, président de la commission Climat et finance durable de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR). - Monsieur le Président, Mesdames et Monsieur les rapporteurs, bonjour merci. Effectivement, je suis déjà venu il y a un an vous parler de l'avancement du projet européen en matière de normalisation extra-financière que l'on appelle aujourd'hui information de durabilité. Je ne reprendrai peut-être pas tous les épisodes antérieurs et si vous le souhaitez, on pourra y revenir, mais ce qui est important, c'est de noter les étapes qui viennent d'être franchies et qui l'ont été depuis cette dernière audition. Si je remonte un tout petit peu en arrière, la Commission a publié son projet de directive le 21 avril 2021. Ce projet de directive est effectivement un pas relativement important, je dirais plus que symbolique parce qu'au fond, il y a des traits particuliers de cette proposition qui crée un véritable environnement de reporting sérieux et de qualité dans l'Union européenne.

Ce pas est très important, il avait été précédé -mais je crois que je vous en avais parlé- par un travail préparatoire que l'EFRAG avait conduit à la demande de la Commission. Je dirais pour simplifier, qu'il y a convergence assez forte entre les recommandations que nous avions pu faire au niveau de la task force qui avaient été constituée à l'EFRAG et ce projet de directive. Quels sont les points principaux de cette directive ? La directive organise un régime obligatoire de reporting extra-financier dans l'Union pour toutes les entreprises dites « grandes entreprises ». Les critères, comme vous le savez sans doute, pour qualifier une entreprise de « grande entreprise », si j'en retiens un, ce sont les entreprises de plus de  250 salariés. Ce sont 50 000 entreprises européennes qui vont être visées. Ce qui représente une part très importante du PNB européen. On peut se poser immédiatement la question de savoir ce qu'il en est pour les PME. Si une PME est cotée, ce qui n'est pas la majorité des cas, elle sera également conduite à faire un reporting obligatoire. Mais un reporting obligatoire selon des modalités simplifiées. Quant aux autres PME, elles auront la possibilité d'adopter ce modèle simplifié pour participer de façon volontaire au mouvement de reporting financier, tant il est vrai que les PME se trouvent inscrites dans la chaîne de valeur et aussi dans le système de financement durable, donc à plus d'un titre, elles sont inscrites dans le besoin d'information que peuvent avoir soit les donneurs d'ordre plus grands en amont ou en aval, soit évidemment les institutions financières.

C'est le premier trait ; le deuxième trait c'est que le champ couvert par le reporting de durabilité est large. Il couvre à la fois les sujets environnementaux ; les sujets sociaux et sociétaux ; et les sujets de gouvernance. C'est effectivement ESG ou RSE dans son acception large.

Troisième élément, au-delà de la directive, il y a un niveau de normes. C'est-à-dire que la directive fixe des principes, mais que le détail de la préparation du reporting est délégué au niveau normatif. On dirait en France à un niveau réglementaire, qui organise immédiatement l'harmonie dans l'Union européenne puisque l'élaboration serait du fait de l'EFRAG qui ferait une proposition à la Commission. La Commission procèderait elle-même à un processus de consultation d'un certain nombre d'autorités publiques et d'États membres avant de prendre la disposition par voie d'acte délégué. Je rappelle que l'acte délégué n'implique pas de transposition ce qui permet immédiatement, dans l'Union, de créer une unité de reporting.


Quatrième trait fondamental de cette directive, les informations sont auditées. La qualité devra être vérifiée par un tiers certificateur. C'est un aspect technique mais pendant quelques années d'acclimatation, c'est une assurance de niveau qu'on appelle modéré. Ensuite on passe à l'assurance raisonnable qui est le niveau d'assurance que l'on a sur les comptes financiers. On évolue progressivement.

Cinquième trait, il faut bien évidemment que ce soit interopérable internationalement. C'est-à-dire que la directive suggère que l'on prenne en compte les initiatives internationales sans d'ailleurs être aligné par principe mais qu'on ait en tout cas une volonté qui est très conforme à l'Europe de participer au mouvement de normalisation internationale. Cette fois-ci plutôt à la fois en émetteur et en récepteur, c'est-à-dire pas seulement comme cela a été le cas pour les normes financières en récepteurs une fois la norme écrite. Le calendrier est serré, celui qui est prévu dans la directive est une application en 2024 sur les comptes de 2023.

Je dis tout de suite que la plupart des discussions au niveau du Conseil et au niveau du Parlement européens considèrent que c'est un peu trop court. Il y aura probablement un différé partiel de cette mise en oeuvre qui me paraît assez réaliste.

Voilà la proposition, c'est le premier point que je voulais évoquer. La Commission s'est dit : « on a un calendrier serré, donc il faut commencer l'élaboration des normes très vite ». L'EFRAG a été sollicité et a choisi de réactiver la task Force qui avait été constituée pour effectuer le travail préparatoire. Depuis juin dernier, j'ai repris du service et les membres de la task force aussi. La plupart d'entre eux ont répondu présents. Je rappelle que cette task force, c'est trente-cinq experts issus de treize pays de l'Union européenne, représentant la diversité des parties prenantes que nous connaissons bien. Elle a repris du service à partir de début juin et établi des projets de normes que nous entendons livrer d'ici la fin du mois d'avril. Ce qui est d'ailleurs un véritable défi parce que même si nous travaillons beaucoup à partir de choses qui ont déjà été proposées par tel ou tel organisme, c'est un travail de mise en cohérence, c'est un travail d'approfondissement, c'est un travail de transformation en texte, je dirais de niveau réglementaire qui est lourd et se fait dans des conditions selon ce que les spécialistes appellent en mode projet c'est-à-dire pas sous la forme d'une équipe permanente.

A compter de juin j'ai non seulement appelé tous les membres de la task force pour leur demander s'ils étaient prêts à recontribuer, réponse favorable à 95 %. J'ai aussi constitué un secrétariat à partir de contributions en nature d'une grande variété d'organismes, soit d'ONG, soit des préparateurs, soit des normalisateurs nationaux qui ont mis des personnes à disposition. De gros efforts collectifs pour avancer.

Troisième élément d'information dans le même temps, l'EFRAG conduit la réforme de sa gouvernance. Il s'agit de créer un deuxième pilier. Il y a le pilier qui travaillait sur les avis d'homologation à la Commission pour les normes financières. Il faut créer un deuxième pilier qui aura pour fonction d'élaborer et d'approuver les projets de normes qui sont transmis à la Commission. Ceci est très avancé, sous la houlette du président de l'EFRAG, Jean-Paul Gauzes, ancien parlementaire européen. Il va y avoir ce qu'on appelle un conseil qui devrait être opérationnel à partir du 1er mars. Et ensuite un organe subordonné mais qui examine les questions techniques et qui fait la proposition au Conseil, un groupe d'experts, celui-ci devait être opérationnel à compter du 1er avril.

Les appels à candidatures ont été lancés, tout ceci se passe dans un cadre où la Commission joue un rôle relativement clé puisqu'elle finance assez largement, même si on peut toujours discuter du caractère satisfaisant du budget qui est alloué. Elle a, par ailleurs, la haute main sur la désignation du président du conseil technique qui a donc la responsabilité avec ses collègues d'arrêter les projets de normes qui sont transmis à la Commission.

L'organisation ancienne a été révisée pour créer une sorte de conseil administratif qui gère l'infrastructure, mais qui n'a pas de rôle technique et qui coordonne le pilier financier et le pilier extra-financier sous l'angle organisationnel, les questions techniques étant du ressort exclusif du Conseil et préalablement du conseil technique, le dernier mot appartenant au Conseil. Tous les appels à candidatures ont été lancés, les entretiens de sélection sont en cours ; c'est une composition qui a été élargie au niveau de l'EFRAG, notamment l'EFRAG qui traditionnellement avaient les préparateurs, les auditeurs et les normalisateurs nationaux et les utilisateurs mais plutôt financiers, a créé un nouveau chapitre qui est celui de la société civile pour qu'il y ait bien la représentation que l'on souhaite dans le domaine du Sustainability reporting. C'est le troisième élément, élément fondamental.

Quatrième point : où en est-on de l'élaboration de ces normes ? Les projets de normes commencent à être publiés par la task force que j'ai l'honneur de présider. Nous avons déjà publié mi-janvier ce que l'on a appelé les normes transversales et une norme climat qui correspond d'ailleurs à la suite d'une publication que nous avions fait en septembre sur le climat.

Nous allons rendre publiques cette semaine trois autres normes sur les autres sujets environnementaux c'est-à-dire l'eau, la pollution et l'économie circulaire. Dans les quatre semaines qui viennent, le reste des sujets va être couvert, c'est-à-dire la gouvernance, mais aussi le côté social, sociétal. Ce sont des documents que nous rendons publics, ils ont été préparés par des groupes de travail ; ensuite ça se passe en task force collective, ce qu'on appelle une discussion de consensus, on essaie de corriger le tir si le groupe de travail a été trop dans un sens ou pas assez. Dans le même temps, on soumet cela à des groupes d'experts qui ont été constitués en fin d'année dernière et on raffine le texte pour en faire ce qu'on appelle un exposé-sondage qui sera livré aux organes définitifs de l'EFRAG, que j'ai évoqués, à savoir le conseil constitué à partir du 1er mars et le conseil technique à partir du 1er avril, avec pour objet de lancer selon les normes de l'EFRAG, une consultation publique européenne mais aussi internationale à partir du 1er mai. Consultation de trois mois à la suite de laquelle, bien évidemment, il faudra prendre en compte les leçons tirées de cette consultation et modifier les projets de normes, les exposé-sondages pour en faire des projets définitifs que nous livrerons à l'EFRAG avant la fin de l'année.

C'est un travail très important, évidemment, il nous restera un travail important dans le cadre de la consultation, à la fois en parallèle et dans le cadre de la consultation, afin de déterminer les priorités parce que, quand on demande à des groupes de travail d'élaborer des normes, généralement ils font un travail approfondi et nous pourrions avoir une accumulation un peu lourde. Il faudra peut-être considérer les priorités possibles pour la première application.

Point suivant, dans le même temps, le Conseil et le Parlement européen travaillent. On s'attend à avoir ce qu'on appelle le trilogue dans le courant du mois d'avril avec pour objectif une adoption avant la fin de la présidence française le 30 juin.

Pour l'instant, j'étais au Parlement européen la semaine dernière, pour une audition devant le comité qui en est chargé, c'est le comité jury. Il y a des points qui sont discutés mais il n'y a pas de remise en cause fondamentale de la dynamique d'après ce que j'entends du côté du Conseil et du Parlement. Il y a des réglages de détails comme vous le faites souvent vous-même.

Point suivant, qu'en est-il des dates parce que, comme je l'évoquais tout à l'heure, la date de 2024 par référence à l'exercice 2023 -ce qui impliquerait un point de départ le premier janvier 2023, soit dans moins d'un an- est apparu un peu trop ambitieux. Il est possible que les co-législateurs décident d'un report de l'ordre d'une année. Ça ne change rien à la dynamique, à mon avis, alors ça aurait été bien évidemment mieux de respecter un délai, mais je crois qu'il faut aussi être pragmatique parce que c'est un changement d'une assez grande ampleur que celui qui est considéré par ce texte. On innove vraiment profondément dans l'Union, puisque plus de 50 % du PNB va devoir faire un reporting assez large en incorporant à la fois des éléments rétrospectifs et prospectifs, et aussi l'amont et l'aval de l'entreprise elle-même sur sa chaîne de valeur. C'est un changement de paradigme relativement important. Évidemment ça fait peur à certains, et je dirais que classiquement le normalisateur, qui est subordonné aux institutions politiques, prend une voie médiane entre ceux qui en voudraient moins et ceux qui en voudrait beaucoup plus. On essaie de tenir un cap.

Dernier point : dans le même temps. et probablement stimulés assez largement par ce qui se passe en Europe, les normalisateurs internationaux se mobilisent. Lorsque je parle de normalisateurs, il faut faire une distinction entre les normalisateurs liés à la puissance publique et les normalisateurs privés.

Si l'Europe a dit clairement qu'elle crée un système obligatoire, fondé sur la directive et des normes, les autres juridictions, les autres grandes zones économiques sont restées pour l'instant relativement prudentes sur ce qu'elles vont faire. En revanche, certaines d'entre elles, sont favorables au fait d'avoir un élément de référence globale. Donc aujourd'hui, on note deux acteurs qui ont une vision potentiellement globale. Premièrement, le Global Reporting Initiative (GRI), qui est un organisme avec lequel l'EFRAG a signé un accord de coopération. Ce dernier travaille comme nous sur la double-matérialité, c'est-à-dire à la fois l'impact de l'entreprise sur son environnement au sens naturel et son environnement au sens social, et sur la matérialité financière, c'est-à-dire les risques sur la profitabilité de l'entreprise et aussi les opportunités.

Tandis que le mouvement anglo-saxon prend une approche tournée vers les besoins de l'investisseur financier. Tandis que, l'Europe -comme je vous l'ai dit- a une vision beaucoup plus large du rôle de l'entreprise par rapport à son environnement, d'où la notion d'impact. L'Algérie est très proche de la démarche européenne et, en vous quittant tout à l'heure, je vais assister à une réunion de prise de contact. Nous avons des contacts approfondis mais j'ai suscité des discussions avec la Commission elle-même parce que ce sont des gens qui ont une volonté de contribuer à ce que l'Europe réussisse dans ce domaine, et je pense que dans la durée ce sont de véritables alliés.

L'autre normalisateur, qui est relativement récent d'un point de vue de la tradition historique, c'est la Fondation IFRS. Ils ont incontestablement fait du bon travail dans le domaine de la normalisation financière. On peut discuter de certains aspects, mais il est vrai que cela a créé un langage commun, en tout cas en Europe, qui manquait cruellement depuis près de 20 ans. Le revers de la médaille, c'est qu'on a délégué, ce qui n'était pas une très bonne chose, mais du coup, on a mis en place un langage commun, qui comporte des défauts. Justement le fait que l'Europe garde la main sur son langage extra-financier, qui est à mon avis l'un des éléments clés du défaut de ce langage, est un très bon rééquilibrage de la situation. La Fondation IFRS a fait plusieurs choses : d'une part, ils ont avancé sur le plan institutionnel, c'est-à-dire qu'ils ont annoncé la création d'un conseil appelé ISSB (International Sustainability Standards Board), et ont désigné les dirigeants, dont le président est français, en la personne d'Emmanuel Faber, ancien dirigeant de Danone, et dont la vice-présidente est une néozélandaise qui s'appelle Sue Lloyd, une grande professionnelle qui était la vice-présidente du board financier. La suite du board est en train d'être constituée. Un peu plus tard, il y a eu, du côté européen, un groupe de travail préparatoire qui s'appelle le TRWG (Technical Readiness Working Group). Ila publié deux projets de normes, l'un sur le climat et l'autre sur une norme générale. Ces travaux ont été rendus publics début novembre dans le cadre de la COP 26.

Je crois que l'Europe a une claire détermination d'avancer : elle a tendu et elle continue de tendre la main aux autres initiatives (GRI ou la Fondations IFRS) pour essayer de co-construire dans le panorama international.

Les Américains sont relativement peu présents au niveau de la puissance publique aujourd'hui, c'est-à-dire qu'il y a eu des déclarations de la part du président de la SEC (Securities and Exchange Commission). On sait qu'il y a des travaux, mais ça ne progresse pas très vite et, par ailleurs, il faudra l'accord du Congrès probablement pour aller jusqu'au bout et on ne sait pas très bien ce que donneront les élections mid-terms qui approchent à grands pas. Or on sait que si la majorité devait évoluer au Congrès, elle n'irait pas dans un sens nécessairement favorable au développement de l'extra-financier. Ceci étant, il y a des acteurs privés très actifs et très présents : la Chine, le Japon, l'Inde disent qu'ils sont très intéressés, qu'ils regardent de près, mais on n'a pas encore une direction très claire. Les Britanniques ont dit qu'ils allaient se placer plutôt dans l'orbite de la Fondation IFR, ce qui n'est pas franchement étonnant. La fondation IFRS sortira probablement son projet de normes climat assez rapidement, mais pour le reste, on ne sait pas quelles sont les autres normes qui seront proposées. Alors que nous, Européens, nous sortirons probablement entre 15 et 20 normes ; je dirais, pour l'instant, que la fondation IFRS envisage de sortir dans l'année une ou deux normes peut-être. Il est vrai qu'une fois sorties, qui appliquent ces normes ? Sont-elles adoptées à titre individuel par des entreprises ou est-ce qu'elles sont adoptées par des États qui les reconnaissent comme étant obligatoires ? C'est un développement qui reste à faire.

Voilà ce que je voulais vous dire, Monsieur le président, Mesdames, Messieurs, en introduction peut-être un petit peu plus longue que prévu, je m'en excuse.

M. Serge Babary, président. - Merci Monsieur le président de ce très large tour d'horizon sur un sujet qui évolue et qui a des applications maintenant dont on voit se rapprocher le terme. Je vais m'adresser aux rapporteurs, à commencer par Jacques Le Nay.

M. Jacques Le Nay, vice-président de la délégation, rapporteur. - Monsieur le Président, une question de portée générale et en même temps d'ambiance. La France faisait figure de pionnière dans la démarche RSE. À ce stade, comment se situe-t-elle aujourd'hui par rapport à nos voisins européens dans la démarche qui se prépare ? Je voudrais là parler des perspectives d'application de la directive, dont vous nous avez donné d'ailleurs le calendrier : comment est perçue par les entreprises, la perspective d'application de la directive au regard de l'expérience du dispositif déjà en vigueur en France ? Et enfin, nos PME, et PMI d'une manière générale appellent de leurs voeux, on en parlait tout à l'heure, une simplification administrative et normative ; cette démarche RSE qu'on leur demande, progressivement, n'est-elle pas vécue par elles comme contraire à la simplification souhaitée, et si oui, comment les convaincre du contraire ?

M. Serge Babary, président. - On peut commencer par les questions de Jacques Le Nay.

M. Patrick de Cambourg. - Monsieur le rapporteur. Je dirais que la France continue à garder son leadership, me semble-t-il ; ça nous est d'ailleurs parfois un petit peu reproché au niveau européen. Beaucoup de Français gravitent parce que la communauté française est très présente sur ces sujets-là, elle y contribue. Il y a peu, vous auditionniez la plateforme RSE : il y a un vrai rôle d'incitation. Le choix d'entreprendre des réglementations nationales alors qu'on est confronté à un problème global, ou de jouer un rôle d'entraînement dans un cadre européen, sont deux enjeux distincts. Je pense cependant que les deux sont compatibles, mais aujourd'hui on est dans une phase où c'est successivement l'un et l'autre. Nous sommes aujourd'hui dans une phase où à l'évidence, il faut réussir le pari européen qui est un pari d'ampleur, comme je l'ai dit, et essayer de capitaliser au maximum sur les meilleures pratiques nationales, qu'elles soient d'origine législative ou réglementaire ou qu'il s'agisse des meilleures pratiques. Donc c'est ce que nous avons dans les faits, c'est ce que nous essayons de faire.

Et la France ? Ce n'est peut-être pas un hasard, que le président de l'ISSB ait été choisi comme cela a été fait : je peux vous dire que les Français jouent un rôle significatif dans la task force. Nous verrons pour la présidence du SRB (Sustainability reporting board). Jean-Paul Gauzès préside le board et est très proche évidemment des thèses européennes et françaises. Comme cela se doit, lorsqu'on est au niveau européen, on doit faire la place à tout le monde, c'est évident.

J'ai omis de préciser un point important, Monsieur le Président, c'est que vous aviez proposé un amendement créant une compétence à l'ANC (Autorité des normes comptables), mais le Conseil constitutionnel a jugé que c'était peut-être un peu prématuré, ou en tout cas pas suffisamment lié au texte. Je pense, si je puis me permettre, que nous avons été un dommage collatéral. Mais en attendant, le ministre m'a demandé de constituer un comité sur l'information durabilité au sein de l'ANC, qui préfigure ce que le gouvernement m'a dit vouloir introduire dans la loi de transposition de la directive. Donc, nous avons constitué ce comité à l'ANC, un comité multi-parties prenantes, à savoir 25 membres ; ila tenu sa première réunion début février et va donc jouer le rôle que nous attendions d'un forum français destiné à contribuer à la normalisation européenne. Nous nous félicitons de l'initiative que vous aviez prise et qui n'a pas trouvé le cheminement exact que l'on souhaitait mais qui, dans les faits, fonctionne depuis janvier.

Quant aux PME, alors là c'est un problème compliqué parce que je ne pense pas qu'on rende service aux PME en les laissant en dehors du dispositif. C'est-à-dire que le danger, c'est effectivement de les surcharger d'une démarche que l'on pourrait qualifier de « bureaucratique » mais si on n'inscrit pas les PME en tout cas, probablement la tranche supérieure des PME dans le mouvement de l'information durabilité qui va devoir nourrir l'information des plus grandes entreprises, car on leur demande de faire un rapport qui inclut ce qui se passe chez leurs fournisseurs ou leurs clients... Et, par ailleurs, le système financier est incité à ne fournir des capitaux, que ce soit sous forme d'investissements ou sous forme de prêts de financement, en regardant ce qui se passe sous l'angle durabilité. C'est le président de la Commission Climat et finance durable de l'ACPR que je suis qui le dit : aujourd'hui, on note une pression très forte sous l'effet des institutions financières, banques et assurances, et comme je suis membre du collège de l'AMF (Autorité des marchés financiers) aussi, je peux dire qu'il y a une pression très forte aussi sur les gestionnaires d'actifs pour que les labels, les modes d'attribution des financements, les sélections d'investissement, se fassent en prenant en compte des critères durabilité aussi, et pas simplement des critères financiers.

Sous l'angle finance durable, il faut trouver un système proportionné qui permette aux entreprises moyennes et petites de rentrer dans le dispositif, sinon, le danger serait qu'elles soient marginalisées en termes d'accès aux financements ou tout simplement à l'accès à certains marchés.

En conséquence, il faut trouver une ligne qui soit à la fois pragmatique qui permette de s'adapter aux conditions d'activité des PME, c'est-à-dire ne pas faire des choses qui soient déraisonnables, mais plutôt que leurs conseils peuvent les aider à réaliser. De plus, il faut sensibiliser les chefs d'entreprise au fait que c'est une dimension essentielle dans leur gestion d'avenir ; et que s'ils veulent prospérer puis transmettre leur entreprise, il faut qu'ils s'inscrivent dans ce mouvement-là qui, à mon avis, est relativement irréversible. Il convient de faire quelque chose d'adapté, de proportionné et qui permette de les insérer pleinement dans la dynamique que j'évoque et qui à mon avis est une dynamique. On est en train de créer la deuxième jambe de l'information d'entreprise : il y aura la jambe financière et la jambe extra-financière, et cela sur un pied d'égalité. Cette orientation vers ces deux piliers fait que le premier bénéficiaire de cette sensibilité aux enjeux environnementaux sociétaux et de gouvernance, c'est le chef d'entreprise, c'est la gouvernance de l'entreprise, parce qu'on gère mieux quand on prend ces facteurs en considération.

M. Serge Babary, président. - Je me tourne vers Florence Blatrix-Contat, peut-être pour une question.

Mme Florence Blatrix Contat, co-rapporteure. - Merci, Monsieur de Cambourg pour vos éclairages qui ont été très pédagogiques et très complets. Je pense que je partage cette vision des choses, selon laquelle le financier et l'extra-financier sont aujourd'hui intimement liés. C'est pour cela qu'il est important que l'ANC se saisisse de ce sujet, soit vraiment partie prenante, et qu'il y ait pas d'un côté, le financier et, de l'autre, l'extra-financier ; c'est le pire de ce qui pourrait nous arriver.

Vous avez évoqué les auditeurs ; dans la même lignée, ne pourrait-on pas imaginer que les commissaires aux comptes puissent être également auditeurs en matière extra-financière ?

Est-ce envisagé dans la profession ou est-ce que ce seront des auditeurs spécifiques hors champ financier ?

Concernant l'impact de la réglementation européenne, des normes européennes, vous avez noté que les IFRS aujourd'hui seraient sur deux normes seulement : pensez-vous que la directive européenne et les normes qui en découleront pourront vraiment influer les IFRS pour qu'elles se mettent à un niveau relativement proche, et à quelle échéance ?

M. Patrick de Cambourg. -- Sur la première question, sur les auditeurs, aujourd'hui la CSRD prévoit les commissaires aux comptes parmi les intervenants possibles, et les États membres pourront élargir, s'ils le souhaitent, le champ des intervenants. C'est une discussion en ce moment au Parlement européen et au Conseil. S'il y a un élargissement, la question est de savoir si les autres intervenants seront soumis aux mêmes règles d'indépendance, de déontologie, de contrôle technique et de supervision technique. Il est vrai que c'est un problème compliqué ; il y a encore sept ans j'étais moi-même dans cette profession, où j'ai fait une bonne partie, sinon toute ma carrière précédente. Je crois effectivement qu'il y a un intérêt à ce que ce soit ceux qui regardent les comptes, et qui regardent les systèmes qui aboutissent aux comptes -- c'est-à-dire les systèmes de collecte de l'information, de traitement de l'information -- qui regardent également le côté extra-financier. À condition qu'il n'y ait pas de captation, parce que je pense qu'il ne faut pas donner un tour trop financier, il faut que l'information extra-financière garde sa spécificité, qui est indépendante à bien des égards.

C'est pour cela que je parle de deux jambes, nous n'aurons jamais la fusion des deux jambes, je pense que ce serait une mauvaise idée pour plein de raisons qu'il serait peut-être un peu trop long d'évoquer ici. En revanche, il y a quelque chose de fondamental, c'est que l'information d'entreprise est « une » : il faut que la connexion entre les deux jambes fonctionne. À ce propos, vous avez des éléments qui commencent à apparaître, comme des informations de durabilité, qui transitent, petit à petit, vers une comptabilisation. C'est le cas du carbone aujourd'hui. Au départ, il ne coûte pas très cher, on émet gratuitement dans l'atmosphère, on sait que ce n'est pas bien et qu'il faudra trouver des moyens de le réguler. Ces moyens vont finir par se traduire par des comptabilisations : comptabilisation d'investissement pour réduire l'émission, prix du carbone que l'on devra payer, les quotas de CO2, etc. On nourrit la réflexion qui se traduit un jour par des flux financiers, c'est ce qu'on appelle la matérialité dynamique : d'un impact, on évolue petit à petit vers un risque financier. C'est ce qui en fait toute la difficulté, mais la complémentarité.

Je pense et j'espère que le leadership pris par l'Europe en la matière aura une influence sur la rédaction des normes internationales ; nous appelons à la co-construction. Nous pensons que c'est le bon sens et que le défi est suffisamment large pour que l'on ne joue pas la dispersion. L'Europe avancera, la commissaire l'a répété devant le Parlement européen la semaine dernière, après notre propre audition. Je dis « notre » parce que j'étais avec le président de l'EFRAG, Jean-Paul Gauzès. Elle a dit : « écoutez, nous avançons, nous avons des objectifs très particuliers à l'Europe, nous ne sommes pas du tout contre le fait de travailler internationalement, mais nous devons satisfaire nos objectifs stratégiques en la matière ».

Et à vrai dire, je crois que c'est un avantage compétitif pour l'Europe et, au sein de l'Europe, pour la France, qui est assez pionnière comme cela a été dit, si l'on est raisonnable et mesuré dans ce que l'on fait. Selon moi, c'est un avantage compétitif significatif, à la fois pour les entreprises, pour les gestionnaires d'actifs et pour l'ensemble des parties prenantes.

M. Vincent Segouin. - Je vais reposer la même question que j'ai posée aux auditionnés précédents. J'entends la démarche RSE. Je pense que quand vous interrogez les Français, l'ensemble des gens, ils préfèrent se diriger vers des produits où il y a une valeur ajoutée environnementale et sociétale que vers les produits qui sont faits par des enfants, etc., ça c'est clair.

Maintenant ma question est la suivante. Nous sommes quand même à l'heure de la mondialisation, ce n'est pas à vous que je vais apprendre cela, c'est la loi du marché. Ne pensez-vous pas que le produit va être, certes responsable et de qualité, mais qu'au final on va toujours aller vers le produit le moins cher ? Alors, je vous rejoins, il faut sûrement casser cette dynamique du toujours moins cher, qui n'est pas la solution, mais est-ce que déjà l'État montre l'exemple ? Je crois connaître la réponse... j'en suis même sûr.

Cette démarche RSE, si on l'a à l'échelle de la France, on peut être pionnier, on peut se dire qu'on va être un modèle dans le monde qui, j'espère, d'un point de vue environnemental, sera suivi. Mais cela marche seulement si ce n'est pas qu'à l'échelle de l'Europe, mais à l'échelle des États-Unis et de la Chine, enfin à l'échelle mondiale. Aujourd'hui, on constate que notre balance commerciale se dégrade de semaine en semaine, avec des entreprises qui sont désespérées, où on sent qu'il y a un désamour pour l'entreprise, par le code du travail, par les coûts salariaux, par les normes. On veut exporter un modèle, et je pense qu'il sera la solution demain, mais ce modèle, il faut qu'il soit adopté à l'échelle mondiale. Et si les produits mondiaux qui sont importés ne répondent pas aux critères RSE que l'on se fixe, dans ce cas-là, on les taxe. Mais on ne peut pas créer des contraintes à nos entreprises fondées sur un espoir de marketing, puis les voir mourir et demain se dire : et bien, nous sommes allés trop loin ou nous n'avons pas assez régulé.

M. Patrick de Cambourg. -- Sur l'exemplarité de l'État, vous me permettrez de ne pas me prononcer, vous ne m'avez d'ailleurs pas posé la question, vous avez été très affirmatif, donc je ne me permettrais pas de surajouter.

En revanche, effectivement, nous sommes confrontés à la difficulté de savoir comment faire avancer ces sujets avec nos partenaires. Je considère que l'échelle pertinente aujourd'hui est celle de l'Union Européenne. Le rôle des États membres est important, la France joue un rôle de premier plan et, si vous posez la question en Europe, les États membres qui sont les plus réticents disent que, dans le fond, « c'est trop français, tout ça ». Cela consacre à mon avis le rôle que la communauté française dans son ensemble joue en la matière. Pour moi, le niveau pertinent est là.

Alors, est-il suffisant ?, la réponse est évidemment non. En revanche, nous sommes confrontés à de tels défis sur un plan global que c'est devenu un sujet politique dans beaucoup d'endroits. Dans ces endroits, ce sujet n'a pas encore abouti, comme en Europe, à une décision politique de créer un système de transparence, mais cela évolue. C'est un sujet qui n'était pas à l'ordre du jour il y a cinq ans. Depuis, les grands gestionnaires nord-américains ont tous mis l'accent sur ces sujets. Alors, la question est : quelle est la qualité des données qui permet de prendre effectivement des décisions ? Mais pratiquement tous les grands investisseurs nord-américains ont dit que désormais la durabilité allait devenir un critère d'investissement pour eux. Vous avez donc à la fois le marché qui pousse et les citoyens qui poussent par le biais de leur expression politique quand on est dans des régimes démocratiques.

Vous avez des défis qui sont très clairs : est-ce que je continue à faire des investissements charbon ou non ? Comment je les finance ? Est-ce que j'ai le droit d'aller sur le nucléaire, de revivifier mon nucléaire? Vous avez vu les décisions importantes qui ont été prises en ce domaine dans le cadre de la taxonomie.

Comment faire pour avancer ? Moi je crois quand même à l'exemplarité. Vous avez parlé de de prudence vis-à-vis de produits importés qui ne seraient pas compatibles avec la réglementation européenne. C'est très facile, effectivement, de ne plus produire en Europe, de faire produire ailleurs sans respecter la règlementation européenne. Il faut qu'on soit cohérent. La démarche CSRD, elle a un mérite : elle crée de la transparence, et, certes, la transparence ne fait pas tout, la transparence ne dicte pas les comportements, mais elle contribue à l'évolution de ces comportements.

Il y a d'autres mesures qui permettent de faire évoluer les comportements. Par exemple, la Commission va publier son projet de Sustainability Governance, ce qui sera un pas complémentaire. Là c'est du comportemental, c'est-à-dire : « Est-ce que vous faites ci ? Est-ce que vous faites ça ? Vous devez faire ci. ». Ce n'est pas ce que nous faisons de notre côté, chez nous la norme demande : « Dites-nous ce que vous faites ». Et déjà, vous mettez sur la table de façon transparente votre comportement. On ne dit pas qu'il est bon ou qu'il est mauvais, et c'est ceux qui lisent l'information qui vont, à ce moment-là, faire des labels etc.

D'ailleurs, j'avais vu dans votre questionnaire, un point sur les agences de notation, dont je ne suis absolument pas expert. Cependant, j'avais défendu l'idée, et je vous la soumets, qu'à partir du moment où la donnée était normée en conformité avec nos politiques -- et nous sommes plutôt avancés en ce domaine -- que la notation, certes, est stratégique, mais que la donnée est encore plus stratégique. Donc le fait d'avoir une donnée normée et de qualité, change fondamentalement la donne de la notation. Comme vous le savez, la notation jusqu'à maintenant a été en fait à 80 % de la collecte de données qui n'existaient pas, et 20 % de l'appréciation. Donc, quand vous enlevez une bonne partie des 80 %, parce que vous avez normé la donnée, et vous l'avez rendue publique, je pense qu'il y a un progrès considérable, et que d'ailleurs ça pose la question du modèle d'affaires des agences de notation. Elles vont devoir non plus collecter de la donnée, dans des conditions de questionnaires compliqués etc., mais l'analyser. Et il est évident que quand on collecte de la donnée, et qu'ensuite on en dispose de façon privée pour vendre un service de collecte et/ou de distribution de la donnée, c'est un modèle d'affaires. Le modèle d'affaires qui se concentre sur l'analyse, puisque la donnée est publique, normée, préparée au plus près de la source et auditée, on a de la donnée de qualité, disponible pour tout le monde, cela réduit le coût d'entrée dans l'analyse.

Je crois qu'il faut être à la fois mesuré, trouver les mesures comportementales qui permettent d'éviter les déviances, et puis parier sur la transparence.

M. Serge Babary, président. - Pour terminer, en restant un peu sur la même idée, je pense qu'on peut dire que les PME qui feront l'effort de respecter les normes, auront plutôt un avantage concurrentiel qu'une distorsion de concurrence à leur désavantage. Le sujet qui se pose au niveau européen, est celui des appels d'offres publics, des marchés publics. Ne faudrait-il pas inscrire, d'une façon quasi obligatoire, dans les éléments de sélection des entreprises, l'avantage à celles qui respecteront les normes RSE ? Sinon, ce sera toujours le critère prix qui l'emportera, comme cela a été dit. Dans le cas contraire, on les met dans une situation concurrentielle plus compliquée, alors qu'elles sont dans un cycle positif.

M. Patrick de Cambourg. -- Cette question est malheureusement presque en dehors de mon champ de compétences. J'ai toujours été partisan des appels d'offres multicritères parce que je trouve que le seul critère financier n'est pas pertinent. Il y a une logique à ouvrir le champ des critères que l'on retient pour les sélections.

M. Serge Babary, président. - Merci beaucoup pour cet échange extrêmement riche. Merci d'avoir expliqué avec facilité la mécanique complexe que vous pratiquez et dont nous allons essayer de tirer le meilleur profit pour nos travaux.

La réunion est close à 11 heures.