Jeudi 24 février 2022

- Présidence de M. Bernard Jomier, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Audition de M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé

M. Bernard Jomier, président. - Nous accueillons M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. L'hôpital a abordé la pandémie, alors qu'il était déjà fragilisé. Votre prédécesseur avait d'ailleurs fait adopter un plan d'urgence. Au fil des nombreuses auditions, nous avons pu constater à quel point ces fragilités avaient été accentuées, mais elles étaient préexistantes à la crise sanitaire.

Ces fragilités proviennent à la fois de l'hôpital lui-même, de ses moyens humains et financiers, de son organisation et de sa gouvernance, mais aussi de notre système de santé. Elles tiennent aussi aux conditions d'accès aux soins et aux parcours de soins entre la ville et l'hôpital, parfois complexes.

Nous avons entendu les institutions de santé, les acteurs du soin et les élus. Arrivés au terme de ces auditions, nous souhaitons aborder ces points avec vous et avoir votre vision de l'avenir de l'hôpital.

Comme vous témoignez devant une commission d'enquête, je vous rappelle qu'un faux témoignage est passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14, 434-15 du code pénal. Je vous invite à dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant « je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Olivier Véran prête serment.

M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie Monsieur le ministre. Madame la rapporteure, vous avez la parole.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Je vous remercie pour votre présence, Monsieur le ministre. Après deux mois d'échanges, et après avoir reçu une grande variété d'acteurs, plusieurs thèmes importants émergent. Le premier thème est celui de l'état des ressources humaines. Ce point était déjà sensible avant la crise. Or la situation ne s'est pas améliorée, notamment pour le personnel paramédical. L'inquiétude reste forte, du fait de fortes difficultés de recrutement, ce qui impacte les capacités hospitalières et suscite des interrogations sur l'avenir lorsqu'on constate des abandons en cours d'étude.

La deuxième série d'interrogations porte sur le fonctionnement de l'hôpital, une fois la crise franchie : allons-nous revenir aux pratiques antérieures ou repartir sur des bases différentes ? Qu'en est-il de la marge d'autonomie laissée aux équipes et des modalités de financement, et leur articulation avec les finalités de soin ?

Enfin, un large consensus s'est manifesté sur la nécessité de renforcer la relation entre la ville et l'hôpital et de mieux coordonner le parcours entre l'hôpital et la médecine de ville, qui souffre également. Sur le terrain, les acteurs semblent prêts. Le foisonnement des outils et l'implication sont toutefois inégaux sur le terrain, ce qui rend difficile l'atteinte des objectifs affichés.

M. Bernard Jomier, président. - Nous vous écoutons, Monsieur le ministre, pour votre exposé introductif.

M. Olivier Véran, ministre des solidarités et de la santé. - Monsieur le président, Madame la rapporteure, mesdames et messieurs les sénateurs, vous m'invitez à faire un point sur la situation hospitalière, qui me préoccupe. J'ai toutefois la prétention d'en comprendre de nombreux tenants et aboutissants.

Si nous ne découvrons pas les problèmes à l'hôpital, la crise sanitaire a démontré plusieurs choses. En premier lieu, les problèmes sont aigus et chroniques, mais l'hôpital est capable de réagir et a conservé suffisamment de capacités de réaction pour faire face à l'impensable. J'en veux pour preuve le dédoublement des lits de réanimation et l'organisation des lits de rééducation. L'hôpital, bien qu'en difficulté sur le plan financier, après près de vingt ans de politique de réduction budgétaire, est un outil incroyable, grâce à ses soignants, que j'ai appelés Hussards blancs de la République. Ils ont réussi à tenir vague après vague. Les capacités en termes de lits ont augmenté progressivement. Après deux années de pandémie, il apparaît que l'hôpital a fait front. En France, nous n'avons pas vu certaines scènes observées dans d'autres pays dotés de systèmes sanitaires modernes, comme l'Italie. En outre-mer, confronté à une vague estivale particulièrement intense, des milliers de renforts ont été sollicités pour soutenir les équipes sur place. Le nombre de lits intensifs a été multiplié par quatre, cinq, voire six, sur place, en dépit de conditions très difficiles. Le premier enseignement est donc que l'hôpital a tenu.

Ayant dit cela, j'ai évoqué une politique de réduction budgétaire et de contraintes sur l'hôpital. Ce propos reposait sur deux constats. En premier lieu, les dépenses de santé prenaient une part croissante du PIB. Une politique de maîtrise médicalisée a donc été mise en place, avec l'instauration du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI), pour quantifier les actes à l'hôpital, comparer la durée moyenne des séjours, évaluer les prises en charge hospitalières, afin de sortir d'un système de dotation globale qui ne tenait pas compte de la réalité de l'activité de l'établissement.

Deuxièmement, face à ce qu'ils percevaient comme de l'hospitalo-centrisme, pas forcément à mauvais titre, de nombreuses responsables politiques ont considéré que la médecine de ville devait prendre plus de place et prendre en charge davantage de malades. L'hôpital devait intervenir en second recours, en qualité de plateau technique. Le virage ambulatoire devait contribuer au développement de la médecine de ville, l'hôpital devant se consacrer à ses seules missions. Ce dernier a donc été privé de sa capacité à développer l'offre de premier recours et l'offre générale de soins pour les maladies chroniques. Une telle démarche aurait pu être valable s'il n'y avait eu, dans le même temps, un phénomène de désertification médicale. Deux hôpitaux distants de 100 kilomètres pouvaient ainsi se voir empêchés de soigner les patients diabétiques, alors qu'il n'y avait aucun diabétologue installé entre eux. Il en a résulté un recul de l'accès aux soins.

Cette prise de conscience ne date pas de la crise. À mi-chemin du mandat précédent déjà s'était forgée la conviction qu'il fallait arrêter d'assécher budgétairement l'hôpital et sortir progressivement du système de tarification à l'activité (T2A). En 2017, l'engagement du candidat Macron était ainsi de réduire à 50 % la part du financement par la T2A. Cela correspond à un bon niveau de T2A, dans la mesure où cette tarification demeure valable pour des actes techniques et reproductibles, mais il faut en sortir pour la prise en charge médicale, en particulier des maladies chroniques.

Il y a eu peu d'oxygène apporté lors du précédent mandat, malgré l'intention de la ministre de l'époque, faute d'arbitrage budgétaire en ce sens. En 2017, nous avons pris l'engagement d'avoir un objectif pluriannuel d'Ondam hospitalier. La croissance des dépenses hospitalières a ainsi été fixée à 2,3-2,4 %, soit environ 50 % de plus qu'au cours du mandat précédent. La crise sanitaire a bouleversé tout cela. L'hôpital est devenu une priorité aux yeux des Français. La part du PIB qui lui est consacrée n'a plus semblé exorbitante. Ainsi, dans un contexte de crise, nous avons pu libérer des budgets, soit 30 milliards d'euros lors de l'année de la crise sanitaire, ce qui n'avait jamais été fait par le passé. D'autres auraient probablement fait des choix similaires. Je ne vois pas un gouvernement de gauche ou de droite refuser de donner de l'argent à l'hôpital.

Nous l'avons fait avec une attention particulière portée aux hôpitaux des territoires. Nous avons d'abord mobilisé 19 milliards d'euros pour désendetter les hôpitaux et investir massivement dans le bâti et dans l'organisation des établissements, soit 3 000 hôpitaux et Ehpad. 75 % de l'enveloppe budgétaire est consacrée aux petits et moyens hôpitaux, alors que les plans précédents - Hôpital 2007 et Hôpital 2012 - portaient à 80 % sur les gros hôpitaux. Certains établissements de taille moyenne pensaient ne pas survivre à la décennie. Au contraire, ils survivront et seront reconstruits. C'est un signal très fort envoyé à la communauté hospitalière et il a été très bien reçu par cette dernière.

Quant à l'attractivité des métiers, les problèmes ne sont pas récents. Avant la crise, 300 000 infirmières diplômées n'exercent pas leur métier. Le passif date d'il y a 50, voire 60 ans. Ce sont des métiers féminins, donc historiquement mal payés. Je l'affirme pour le dénoncer. Or il convient de prendre soin de ceux qui prennent soin de nous. Nous avons pu déployer une politique massive lors du Ségur de la santé. Cinq semaines de travail intensif avec les syndicats ont permis de conclure des accords majoritaires dans la Fonction publique hospitalière.

La revalorisation des salaires représente 10 milliards d'euros pour 1,5 million de salariés. Elle était nécessaire. Ces augmentations (200, 250, 300 euros de plus par mois) comptent énormément et contribuent à relancer l'attractivité des métiers, mais elles ne suffisent pas.

L'aspect salarial est essentiel, comme le bâti et l'outil de travail, mais d'autres leviers doivent être actionnés.

En premier lieu, il faut revenir sur la gouvernance de l'hôpital. L'hôpital est-il gouvernable aujourd'hui ? Nicolas Sarkozy disait en 2007 qu'il ne devait y avoir qu'un seul patron à l'hôpital, son directeur. Il en a résulté la loi HPST. Auparavant, on affirmait que l'hôpital ne pouvait pas être gouverné.

J'ai souhaité que l'on ne rentre pas dans ce débat et préféré me fonder sur ce qui avait fonctionné pendant la crise. Les équipes médicales et de direction avaient toutes le regard tourné dans la même direction, sauver des vies et soigner la covid. Il n'y avait plus d'indicateurs, de critères, de paramètres, de normes ou de contre-arbitrage. Tout le monde a agi dans le même sens, ce qui signifie que c'est possible. Ce qui l'est pendant une période de crise doit l'être en dehors. Dans le cadre du Ségur, avec les médecins, les soignants, les directeurs d'hôpitaux, nous avons conçu une boîte à outils qui est à disposition de tous les établissements pour leur permettre de s'organiser comme ils le souhaitent. On rend non opposable une partie du code de la santé publique. S'ils le souhaitent, ils peuvent recréer des services, voter pour désigner leurs responsables, intégrer de nouveaux membres dans les commissions médicales d'établissement. Il convient de faire vivre la démocratie interne au sein de l'établissement, notamment dans le cadre des commissions médicales d'établissement. Les établissements doivent s'organiser dans cette optique. Il ne s'agit pas de dire qui, du médecin ou du directeur, doit décider. Les différents acteurs doivent travailler ensemble.

Il faut aussi renforcer les investissements du quotidien pour les équipes et leur attribuer des budgets, par exemple pour rénover les locaux, mettre en place une tisanerie, acheter des pousse-seringues ou des lève-malades. Des moyens leur seront donnés à cet effet.

On paie mieux, on reconstruit, on modernise, on donne plus d'argent aux équipes, on donne plus de flexibilité et de fluidité à la gouvernance en favorisant les accords au niveau local.

L'autre enjeu en matière d'attractivité pour l'hôpital est celui de la formation et de l'évolution des carrières et des métiers. Je souhaite que l'on arrive à ce qu'i n'y ait plus de retour à l'institut. Lorsqu'une aide-soignante veut devenir infirmière, et qu'elle dispose de l'expertise et de l'expérience requises, un tel retour est démotivant, voire insultant au regard des compétences acquises par ces personnels. Au ministère, nous prônons la médicalisation progressive de personnels paramédicaux, en attribuant le statut d'infirmier en pratique avancée (IPA) aux puéricultrices, aux infirmières anesthésistes, aux infirmières de bloc opératoire. Il s'agit aussi de reconnaître la place de l'apprentissage, de l'alternance, de la validation des acquis de l'expérience (VAE) et de la VAE inversée, afin de permettre aux soignants d'acquérir de nouvelles compétences et d'évoluer dans leur métier. Si une personne exerce le même métier à 60 ans qu'à 20 ans dans les mêmes conditions sans qu'il ait été tenu compte de l'expérience acquise, cela ne participe pas à l'attractivité des parcours.

Au cours des prochaines années, cet axe est prioritaire. Certes, le corporatisme existe. Des médecins considèrent que l'on donne trop de compétences aux infirmières. Je réponds que la France ne peut pas être le seul pays de l'OCDE ne prévoyant aucun statut intermédiaire entre bac+3 et bac+12. De même, il faut donner des perspectives d'évolution aux aides-soignantes.

Le système de santé est assez cloisonné et fonctionne en silos. J'ai néanmoins de bons rapports avec les partenaires sociaux et les corps intermédiaires. Nous parvenons à avancer. Je crois profondément à la possibilité de continuer à réformer.

S'agissant des lits fermés, quel est le bilan de la situation ? Un rapport du conseil scientifique en avait parlé. On cite beaucoup de chiffres sans toujours les maîtriser. Nous avons effectivement un problème de remontée d'indicateurs. Je souhaite néanmoins vous faire part des résultats de l'enquête que j'avais fait réaliser sur la situation des ressources humains à l'hôpital. Plus de 1 100 établissements y ont répondu. L'absentéisme a augmenté d'un point entre 2019 et 2021, pour atteindre 5 % du personnel médical, 10 % des infirmiers, 15 % des aides-soignantes, hors absences liées à la covid. Sur les mois d'octobre à novembre 2021, la baisse des effectifs représente 1 000 ETP sur le panel d'établissements. Elle fait suite aux départs de soignants, qui masquent des réalités différentes d'une profession à l'autre. Ce constat confirme les besoins d'une hausse des capacités de formation, telles que mises en place dans le cadre du Ségur de la Santé. 6 000 places supplémentaires ont été mises en place dans les IFSI et les IFAS, pour former 6 000 infirmiers et aides-soignants supplémentaires.

Sur le plan des capacités hospitalières, nous observons une légère diminution du nombre de lits par rapport à 2019, soit 2 %. On est loin des 20 % évoqués. Elle est plus marquée en chirurgie mais contrebalancée par un développement important de la chirurgie ambulatoire, en hausse de 8 %, et une hausse très importante de l'hospitalisation à domicile (+ 26 %). Cette diminution du nombre de lits est temporaire et liée à la désorganisation des services en raison de la gestion de la crise sanitaire. On a transformé des chambres doubles en chambres simples, et donc fermé des lits. Parmi les grands projets annoncés lors du Ségur de la santé, par exemple à Nancy, j'ai demandé que des ouvertures de lits soient mises en oeuvre là où des suppressions étaient prévues, en portant une attention particulière aux unités de soins critiques et de réanimation, parce que nous avons pu constater que nous en manquions.

Parmi ce qui a bien fonctionné pendant la crise sanitaire, on peut évoquer la sortie dérogatoire du code des marchés publics. Il s'agit parfois d'un boulet attaché à la cheville des hôpitaux et certains achats peuvent coûter plus cher. Cette sortie dérogatoire a permis aux établissements d'acheter de grandes tentes extérieures pour créer un service d'accueil d'urgences séparé. Dans le cadre du code des marchés publics, il aurait fallu suivre des procédures qui auraient duré plusieurs mois. Nous ne pouvons pas le faire, car cela relève du droit communautaire européen. Ces normes peuvent encore peser sur nos établissements.

Quant aux liens ville-hôpital et entre l'hôpital et le secteur médico-social, ils se sont avérés efficaces pendant la crise sanitaire, y compris entre le public et le privé. J'ai participé à des réunions de coordination dans les territoires, avec le président du Conseil de l'ordre, les présidents de syndicats, les directeurs d'hôpitaux, leurs présidents de CME, les directeurs de cliniques et d'Ehpad. Les acteurs se parlent, planifient et mettent en commun. Ces démarches ont été efficaces et ont permis à l'hôpital de tenir. C'est un autre enseignement de la crise que nous devons conserver pour la suite : arrêtons de diviser entre ville et hôpital, entre hôpital et clinique privée. Arrêtons de cloisonner les professions. Prônons la liberté et la flexibilité. Au fond, c'est une des principales demandes des professionnels.

M. Bernard Jomier, président. - Merci, Monsieur le ministre. Madame la rapporteure va vous poser plusieurs questions.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Merci, Monsieur le ministre. Je vais poser une première série de questions sur les ressources humaines. Nous sommes un peu étonnés de ce manque de vision précise. Des chiffres circulent sur les postes vacants et sur les fermetures de lits. Le ministère a réalisé une enquête, mais la situation ne semble pas suivie de manière régulière au niveau central ou régional. Il en va de même pour le taux d'abandon en cours d'études pour les étudiants infirmiers, ce qui est pourtant un grand facteur d'inquiétude. Avez-vous des éléments plus récents que ceux recueillis à l'automne ? Il est nécessaire de procéder à un suivi plus étroit pour être plus réactif.

Vous avez souligné le caractère historique des revalorisations du Ségur, mais pour apprécier cet effort, il faut le replacer par rapport à l'évolution des rémunérations du personnel hospitalier depuis plusieurs années. Dans le questionnaire de la commission d'enquête, des questions précises ont été posées au ministère sur ce point, notamment la rémunération des soignants depuis dix ans, les écarts entre le public et le privé ou les éléments de comparaison européens, mais aucune réponse n'a été apportée, alors que ces éléments sont nécessaires pour évaluer le rattrapage effectué. Pouvez-vous nous donner ces précisions ou vous engager à nous transmettre les réponses ?

Nos auditions font également ressortir certaines mesures du Ségur mal ressenties par les praticiens et soignants, en particulier des reclassements dans de nouvelles grilles indiciaires, qui bénéficient aux nouveaux personnels recrutés, mais font perdre de l'ancienneté à certains personnels en poste et retardent leur promotion. Les critères des primes de soins critiques excluent certains personnels soignants travaillant dans ces services. Enfin, il faut souligner l'absence de revalorisation du travail de nuit ou de week-end. Avez-vous l'intention de corriger ces points ?

Nous avons enfin échangé avec des établissements ayant bénéficié des aides du Ségur pour redresser leur situation financière dégradée, notamment le CHU de Nancy. Des réductions d'effectifs sont prévues dans le cadre des projets de modernisation des infrastructures. L'engagement a pourtant été pris de porter ces efforts sur les fonctions supports, et de ne pas réduire le nombre de postes de soignants, voire de les augmenter. Y a-t-il une doctrine en la matière ? A-t-on renoncé à poursuivre la suppression de postes de soignants ? Quelle est, selon vous, la marge de manoeuvre pour les fonctions supports s'agissant des réductions d'effectifs ?

M. Olivier Véran. - Concernant les chiffres et les indicateurs, chaque fois que nous en demandons, il faut mobiliser du personnel administratif pour faire remonter les informations. Il faut trouver le bon équilibre. Nous avons une vision très jacobine de l'hôpital tout en ayant un discours politique qui se voudrait girondin. Il m'est demandé de donner plus de latitude aux hôpitaux pour gérer comme ils l'entendent, tout en vérifiant que tout est parfaitement conforme et millimétré. Il faut savoir ce que l'on veut. Un des retours d'expérience de la crise est que notre organisation actuelle est très jacobine et pyramidale. L'administration centrale passe des commandes aux territoires, aux agences déconcentrées et aux établissements de santé. Des normes, des directives, des circulaires sont émises dans cette optique. Un système dans lequel le central serait au service des territoires, et non l'inverse, pourrait être essayé. Les fonctions centrales seraient des fonctions supports pour les territoires et les établissements de santé. Cette question mérite d'être posée.

Je me suis penché sur les raisons relatives aux abandons d'études - j'avais cité le chiffre de 1 300 - par les étudiants en soins infirmiers. Plusieurs paramètres l'expliquent. Cela peut s'expliquer par une externalité négative de Parcoursup, puisqu'il n'y a plus d'entretien motivationnel, la sélection se faisant par dossier, ce qui empêche d'apporter des informations indispensables à ces jeunes. Il faut aussi noter une démédicalisation de l'accueil des soignants. Les médecins ne connaissent pas le nom des stagiaires qui passent plusieurs mois dans leur service. Si ces derniers ne se sentent pas accueillis, ils auront tendance à ne pas rester. Ce sont des éléments d'amélioration à envisager.

Pour les éléments salariaux, nous vous enverrons les éléments que vous souhaitez. Une enquête a été réalisée par la Drees afin de comparer les salaires français aux salaires moyens dans l'OCDE. À niveau horaire équivalent, il apparaît que nous avons gagné de nombreux rangs dans les classements. Dans les grilles salariales, personne n'a rien perdu. Toutes les transformations de grille salariale dans la fonction publique répondent aux mêmes règles. Les syndicats l'ont d'ailleurs signé. Lorsque les grilles sont modifiées dans la fonction publique hospitalière ou dans la fonction publique territoriale, l'impact se situe au niveau des entrants, et non au niveau des personnes déjà insérées dans la grille. De surcroît, les personnes déjà dans la profession ont obtenu un réel gain salarial grâce au reclassement. Lorsque l'on supprime les premiers échelons d'une grille pour en ajouter en haut de grille, il n'est pas possible de faire basculer toutes les personnes en fonction à un échelon supérieur. Cependant, dans les faits, nul ne perd rien. Pas un médecin n'a perdu de l'argent en raison des mesures du Ségur. Certes, certains médecins soulignent que de jeunes médecins ayant moins d'expérience qu'eux obtiennent des salaires de même niveau, mais telles sont les règles lorsqu'on modifie les éléments indiciaires.

En outre, une prime de 100 euros a été accordée aux infirmières en réanimation, comme le proposait le rapport de l'Inspection générale des affaires sociales. Les autres aspects du volet soins critiques doivent être détaillés et emporteront d'autres conséquences.

Sur la valorisation du travail de nuit et le week-end, je suis d'accord avec vous. Lors de la négociation avec les organisations syndicales dans le cadre du Ségur, j'avais soumis une première proposition valorisant davantage les périodes de temps de travail additionnel. La majorité des syndicats n'ont pas fait ce choix. Nous avons donc privilégié l'indemnité de service public exclusif. Un médecin ne travaillant pas dans le privé mais exclusivement dans le public obtient une revalorisation sensible de son salaire. Des efforts financiers ont été consentis pour revaloriser les salaires, mais nous n'avons pas pu aller au-delà. Une réflexion devrait toutefois être menée dans un cadre statutaire unifié de la fonction publique. Ne pourrions-nous pas moduler certains paramètres afin de tenir compte de la charge liée à la permanence de soin propre à certaines spécialités ? Plutôt que de majorer la rémunération des gardes, ne pourrait-on prévoir, quand, dans une spécialité, cinq gardes par mois sont prévues, une revalorisation de la rémunération de base.

Quant au personnel soignant, nul n'a la volonté de supprimer du personnel. Aucun hôpital ne souhaite une réduction du nombre d'infirmières. L'objectif des établissements est au contraire d'en avoir plus. Les hôpitaux en manquent et en cherchent. Si des lits ne sont pas ouverts, cela ne signifie pas qu'ils ont été intentionnellement laissés fermés par les pouvoirs publics pour faire des économies. Avoir des lits fermés coûte bien plus cher, puisqu'il faut solliciter l'intérim pour remplacer les médecins et les infirmières. Il peut en outre en résulter des retards de soins. En tant que ministre de la santé, mon bonheur serait d'apprendre que les hôpitaux ont pu recruter tout le personnel souhaité. La situation est encore pire en santé mentale et en psychiatrie. Le budget existe. Nous avons renforcé l'attractivité de ces métiers via des hausses de salaire, une amélioration de l'outil de travail et la mise en place de formations. La situation va aller en s'améliorant, mais il était largement temps.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Le mode de tarification actuel (T2A et enveloppe fermée de l'Ondam) est-il dépassé à vos yeux ? Faut-il le revoir ? Au-delà des dotations complémentaires pour compenser les effets pervers de la T2A, des réflexions sont-elles entreprises sur la tarification en parcours de soins ? Comment les ARS définissent-elles l'adéquation entre le besoin de santé d'un territoire et les équipements sanitaires disponibles ? La directrice générale de l'offre de soins n'a pu nous répondre sur ce point. L'organisation territoriale des soins, par la coordination des acteurs concernés, est revenue lors de chaque audition. Où en est la réflexion du ministère à ce sujet ?

Enfin, s'agissant de l'intérêt médical, où en est-on de la suspension des dispositions de la loi Rist sur ce point ? Le président de la CME de l'AP-HP nous a alertés sur la situation des unités neuro-vasculaires, en précisant qu'il y avait 30 % de lits fermés à Paris fin 2021. Il en résulte une réelle perte de chance pour les patients. Des dispositions particulières ont-elles été prises à ce sujet ?

M. Olivier Véran. - Sur la T2A, la France a été excessive dans la mise en place de ce dispositif. Elle est allée trop loin, en allant jusqu'à près de 100 % de T2A, excepté la psychiatrie. Lorsqu'elle a été mise en place, les économistes de la santé avaient considéré qu'il y aurait un contre-pouvoir. Il y aurait certes un outil de mesure des soins effectués pour pouvoir payer l'hôpital, mais le salaire d'un médecin étant identique à la fin du mois, quelle que soit l'activité de l'hôpital et l'éthique étant très forte, les médecins contre-balanceraient une éventuelle pression administrative sur la T2A.

En réalité, les médecins se sont retrouvés sous le feu nourri d'un pilotage par les indicateurs. Des effets pervers se sont produits. Tout système de financier génère des effets pervers et doit donc être revisité, rénové. La charge administrative liée à la T2A est excessive. J'ai rédigé un rapport à ce sujet en 2015, que j'ai remis à Marisol Touraine à l'époque. Nous en étions presque arrivés au stade de chronométrer les actes des ergothérapeutes pour quantifier le temps auprès d'un malade en fonction des actes. L'évaluation des soins en termes quantitatifs représentait 5 à 10 % du temps efficace de soin, ce qui n'a pas de sens. C'est pourquoi nous souhaitons sortir de ce système.

Prenons l'exemple de la réanimation : l'ARS demande à l'hôpital de maintenir dix lits ouverts. Or chaque lit ouvert suppose un effectif spécifique de personnel soignant. Il faut alors payer pour les lits, qu'ils soient ouverts ou pas. Il faut sortir de ce système. La réforme du financement des soins de suite et de réadaptation (SSR) va en ce sens. On tend donc à réduire à 50 % la part de la T2A et à développer la dotation populationnelle et le financement de la qualité. Des garanties de financement ont aussi été instituées depuis eux ans.

Sur les besoins de santé, le problème est qu'on ne sait pas les évaluer. Je ne sais pas dire combien de consultations chez un médecin doit faire en moyenne un Français en fonction de sa pathologie. Les économistes réfléchissent à l'identification de ce qu'est un besoin, mais nous ne pouvons fonctionner qu'en termes d'offre, et non de besoin. Certains indicateurs sont probants : l'accès en trente minutes à la maternité, aux urgences... Pour le reste, la situation est complexe. Combien de fois une personne de 60 ans en bonne santé doit-elle voir son médecin chaque année pour obtenir un gain réel en matière de santé ? Il est difficile de le dire.

Sur la question de l'intérim médical, nous avons repoussé l'application d'une mesure qui me semble juste sur le plan social et efficace en matière de lutte contre les dérives de l'intérim. Cela était inapplicable pendant un telle vague épidémique. Il s'agit d'une mesure que nous souhaitons mettre en oeuvre cette année. Il convient néanmoins de laisser aux soignants la possibilité de souffler, sans rajouter une pression supplémentaire en matière de ressources humaines.

Sur les unités neurovasculaires, cet enjeu n'est pas national, mais le sujet de l'AP-HP. Il est aussi lié aux prix de l'immobilier à Paris. Une infirmière travaillant à l'AP-HP perçoit le même salaire qu'une infirmière de Montluçon ou de Grenoble, alors que les loyers sont bien plus élevés à Paris. Or elle doit parfois commencer en horaires décalés, à 7 heures, à 14 heures ou à 21 heures, alors qu'elle vit à une heure de son établissement. Elle n'a donc plus de vie. Le ministère travaille à l'identification de centaines de logements sociaux destinés au personnel soignant des hôpitaux parisiens.

M. Bernard Jomier, président. - C'est une bonne nouvelle, car je suis intervenu à de nombreuses reprises sur cette question dans le cadre de fonctions antérieures. Je voudrais compléter les interrogations de la rapporteure. Pendant un certain nombre d'années, on n'a pas recruté de soignants, parce qu'il fallait réduire les coûts. Même si les ratios n'étaient pas formalisés, de facto, le nombre d'infirmières diminuait dans les hôpitaux, la masse salariale représentant la principale dépense annuelle.

Vous avez rappelé que les lits étaient fermés, faute d'un nombre suffisant d'infirmiers. Les institutions, les établissements, les directeurs d'hôpitaux et les soignants ont confirmé, lors des auditions, que de nombreux lits étaient fermés. Ma question est la suivante : supposons que l'hôpital redevienne attractif et que les infirmières postulent à nouveau, jusqu'à quelle limite va-t-on recruter des professionnels ? Allons-nous revenir aux ratios Copermo, non écrits sur le papier et non réglementaires, ou allons-nous privilégier des ratios plus élevés ? Il y a un mot que vous n'avez pas prononcé, alors qu'il a été évoqué tout au long de ces auditions, c'est « crise de sens du métier ». Les directeurs nous ont confirmé que si les mesures du Ségur sont significatives sur le plan des revalorisations, les soignants ne reviennent pas à l'hôpital. Cette question de la crise de sens de leur métier, qui ne touche d'ailleurs pas que les soignants, nécessite d'autres réponses.

Il faut proposer un cadre de travail adapté et satisfaisant aux soignants. Cette réponse est importante. Il y a trois jours, à Strasbourg, une infirmière nous rappelait qu'elle éprouvait avant une grande fierté à exercer son métier, mais que ce n'était plus franchement le cas, à cause de ses conditions de travail. Ce discours est récurrent. Lors des auditions, je constate une grande différence de discours entre les institutions et les soignants. Elle est réellement marquante : un fossé tend à se créer. Ce ne sont pas les mêmes mots qui sont utilisés. Les soignants, y compris les jeunes soignants, décrivent l'hôpital comme un lieu de violence institutionnelle, et utilisent des mots très durs. Ce constat est inquiétant. A contrario, les institutions représentant l'État utilisent un discours et des processus en décalage total avec la réalité vécue par les soignants. Ce fossé explique une partie de la crise que connaît l'hôpital. Cette dernière ne se résoudra pas seulement par l'apport de moyens financiers.

M. Olivier Véran. - Je suis d'accord avec vous, Monsieur le président. Je représente l'institution, je suis médecin hospitalier et j'ai auparavant exercé des fonctions de soin. Ce discours n'est pas nouveau, je le comprends. Je n'ai pas employé les mots « perte de sens » dans mon intervention liminaire, mais lorsque je parle de donner un pouvoir décisionnel à l'équipe, de lui attribuer un budget, d'investir dans son quotidien, d'accroître les rémunérations, de sortir de la logique administrative et financière, de lui ôter la pression comptable liée à la T2A, de revaloriser la charge liée à la permanence des soins, de permettre d'évoluer dans ses métiers et ses compétences, je ne dis pas autre chose. Cependant, entre l'annonce et la réalisation, il s'écoule du temps.

Faites-moi confiance : le Ségur ne joue pas uniquement sur la feuille de paie. Certaines actions sont immédiatement visibles, alors que d'autres démarches prennent cependant un peu plus de temps. Lorsque l'on rénove des structures hospitalières, il faut trois à quatre ans pour réaliser les travaux. Ce temps de réorganisation interne des hôpitaux et de changement de la gouvernance est incompressible. Existe-t-il des éléments déterminants non mis en place susceptibles de changer radicalement la donne à très court terme ? Il convient d'accroître le personnel, de former davantage de personnel et d'embaucher 15 000 soignants supplémentaires, de remplir les postes non pourvus et d'ouvrir 4 000 lits à la demande. Lorsqu'une infirmière est rappelée chez elle, le soir, pour lui demander de venir travailler le lendemain, ainsi que le week-end suivant, il en résulte un sentiment de violence institutionnelle. Vous mettez la personne sous pression. Ce constat est encore plus manifeste dans les gros hôpitaux. Il faut s'appuyer sur des équipes bien dimensionnées.

En tant que ministre, ma première décision a consisté à demander qu'aucun départ anticipable de plus de 48 heures ne soit pas remplacé. Lorsqu'une infirmière part en congé pendant dix jours et ne peut pas être remplacée, ce n'est pas tolérable. Cela fait partie des mesures qui comptent, de la qualité de vie au travail.

Il faut aussi traiter la question des conflits. Je constate de nombreux conflits au sein des équipes, qu'il faut apaiser. Plus la pression est grande, plus il y a de conflits, et inversement. Ce travail d'apaisement est fondamental.

Comment expliquer le fait que l'année dernière, le nombre de soignants a diminué, alors même qu'on a augmenté les salaires et que nous essayons de recruter ? De nombreux établissements ont indiqué que de nombreux départs ont été différés. Les soignants ont préféré ne pas partir en pleine crise sanitaire. Une fois la vague passée, ils sont partis. Le renouvellement des effectifs est insuffisant. Cela explique notre volonté de développer la formation. Avec Amélie de Montchalin, nous déployons l'apprentissage, l'alternance et la VAE.

Enfin, concernant la crise des vocations, il apparaît que sur Parcoursup, la formation la plus demandée est celle d'infirmière (687 000 demandes), suivie de la formation de médecin (660 000 demandes). Si ce problème de vocation existait, nous le constaterions à ce niveau. En revanche, nous observons de nombreuses sorties, parce que le métier est trop dur. Il faut y ajouter le rapport au travail, puisque lorsqu'on fait un métier du soin, on travaille la nuit et le week-end. Cela fait partie des engagements indispensables, qui doivent être rappelés aux jeunes. Il faut reconnaître ce travail et faire en sorte que ces heures ne soient pas excessives. Le risque d'épuisement existe, mais nous ne souhaitons plus de telles situations. Avec Frédérique Vidal, nous avons pris l'engagement total de la tolérance zéro sur toutes les dérives rencontrées par les étudiants en santé.

Ces mesures sont une réponse à cette crise de sens. S'agit-il d'une situation franco-française ? Je ne le pense pas. À titre d'exemple, une moitié de maternité sont en cours de fermeture en Suède. Les difficultés en matière de ressources humaines sont considérables en Angleterre. Le ministre allemand de la santé estime que la situation est catastrophique dans les établissements allemands. Il ne faut pas imaginer que ce problème ne concerne que la France. C'est une tendance que l'on observe dans tous les pays de l'OCDE depuis environ vingt ans, marquée par une tentation de l'économie persistante.

M. Bernard Jomier, président. - Je vais passer la parole à mes collègues. Avant cela, pouvez-vous revenir sur les ratios ?

M. Olivier Véran. - Je pense qu'il faut sortir de la logique des ratios. Nous devons confier aux établissements et aux équipes au niveau local le soin d'évaluer les charges en termes de soins. Le ratio peut être un garde-fou, mais si vous donnez suffisamment de moyens à une équipe et tenir compte de la réalité de chaque unité hospitalière, cela constitue une meilleure garantie en termes de qualité de prise en charge. Je crois qu'il ne faut pas tendre vers la mise en place de ratios, mais au contraire prévoir une organisation plus flexible.

Mme Catherine Deroche, rapporteure. - Vous affirmez que l'on ne sait pas évaluer les besoins en santé, mais les schémas régionaux sont établis sur la base d'une évaluation des besoins en santé. Si l'on ne sait pas les évaluer, comment faire ?

M. Bernard Jomier, président. - Cela rejoint les échanges que nous avons eus avec la DGOS.

M. Olivier Véran. - Pour les soins de premier recours, les soins spécialisés de second recours et les soins ultraspécialisés, ils correspondent à des strates territoriales différentes. Il n'y a aucun sujet sur ce point. C'est ce que nous évaluons avec le SROS. J'évoque par ailleurs le besoin du citoyen. J'ai constaté une décorrélation entre le nombre de consultations par an sur un territoire donné et la densité médicale sur le territoire. Dans certaines régions, le nombre de consultations est plus élevé, alors que la densité médicale est plus faible. J'avais suivi des travaux à Sciences Po avec le professeur Tabuteau sur la question du besoin en santé. A contrario, le besoin en organisation de système de santé peut être évalué sur la base d'indicateurs.

Mme Laurence Cohen. -Merci, Monsieur le ministre. Je ne vais pas revenir sur nos points de désaccord, dans la mesure où nous ne parviendrons pas à nous convaincre, mais je souhaite revenir sur certains de vos propos. Je m'appuie sur les auditions que nous avons pu avoir depuis le début de la commission d'enquête et le vécu des personnels de santé. Personnellement, j'ai été particulièrement frappée par l'état des urgences, ce qui correspond aux témoignages que j'ai reçus dans mon département. Ce n'est pas un problème nouveau, qui ne date pas de la crise sanitaire. Les urgences constituent un problème à ne pas traiter séparément du reste de notre système de santé. Je pense que nous sommes d'accord à ce sujet.

Il a été dénoncé le fait que lorsqu'on est urgentiste, on l'est à vie. Je vous avais interrogé à ce sujet ; vous considérez à juste titre que ce métier est particulièrement épuisant et qu'il faudrait ne pas l'être à vie. Il conviendrait dès lors de décloisonner cette spécialité d'urgence et de rétablir la capacité de la médecine d'urgence. Il s'agit de permettre à un médecin d'être urgentiste tout en travaillant dans un centre de santé. Je n'ai pas eu le sentiment dans vos propos que vous étiez hostile à cette perspective. Comment mettre en place ces mesures au niveau gouvernemental ?

Sur les urgences, nous constatons un affaiblissement du niveau 2, c'est-à-dire des hôpitaux de proximité tels qu'ils existaient par le passé. Des services d'urgences disparaissent ou doivent réduire leur temps d'ouverture, ce qui crée une catastrophe, compte tenu du maillage actuel de la médecine de ville. Comment y remédier ? Il me semble nécessaire de raisonner en filière de soins, mais nous en sommes loin.

Vous avez évoqué la formation. Il nous a été affirmé à plusieurs reprises que les médecins ou les infirmières bénéficieraient d'une formation de « moins bonne qualité ». Le nombre de professeurs disponibles pour enseigner est en diminution, ce qui est problématique. Compte tenu des conditions de travail dans les hôpitaux, la notion de compagnonnage a disparu. Ce compagnonnage assuré par les anciens n'est plus possible, en raison du nombre de professionnels qui exercent et du nombre de professeurs chargés d'enseigner. Nous avons auditionné des professionnels qui ont alerté sur la dimension catastrophique de la situation. 30 % des étudiantes et des étudiants infirmiers n'achèvent pas leurs études. Comment agir ? Au niveau de l'attractivité des métiers, ne faut-il pas prévoir un ratio entre patients/soignants et revenir sur les statuts ?

Enfin, nous avons été alertés à plusieurs reprises sur la gouvernance. Les soignants sont soumis ou démis dans de nombreux endroits. Le pouvoir des directions d'hôpital est absolu. Depuis la loi HPST, les médecins sont nommés par l'administration. Il en résulte beaucoup de souffrance au sein des personnels médicaux. Des médecins-chefs des urgences sont obligés de revenir de vacances pour assurer leur mission et ne reçoivent même pas un remerciement de leur direction. Il faut remettre de l'humain au sein de l'hôpital. Que comptez-vous faire pour remédicaliser la gouvernance ? La direction médicale doit être soutenue par un accompagnement administratif, nécessaire, mais non dominant. Dans mon esprit, il ne s'agit pas de donner le pouvoir aux médecins, mais au secteur médical dans son sens large en intégrant des élus et des usagers dans les conseils d'administration.

Mme Sonia de La Provôté. - Merci beaucoup. J'ai deux questions. Ma première question concerne cette fameuse crise des vocations. Vous avez confirmé un réel engouement sur Parcoursup. Cependant, 30 % des étudiants engagés dans ces formations ne finissent pas leurs études. Parmi ces derniers, un grand nombre d'étudiants sont perdus de vue. Dans les promotions d'étudiants reçus, le décalage est si considérable que nombre d'entre eux préfèrent jeter l'éponge, en raison souvent de problématiques de mise à niveau. L'accompagnement n'est pas à la hauteur des besoins. La bienveillance et la remise à niveau sont nécessaires. L'afflux sur Parcoursup ne signifie pas que la vocation se concrétise par une volonté d'exercer le métier.

En outre, la taille des promotions est conditionnée par la capacité à former les jeunes. Les problématiques de stage doivent être prises en considération. Or, sur le terrain, et en fonction des secteurs, il est parfois difficile de trouver des terrains de stage. La taille des promotions s'en trouve limitée. En termes de financement, la modernisation des établissements a certes été accompagnée dans le cadre du Ségur, mais peu de moyens ont été consacrés à la formation de plus grandes promotions. Des moyens seront-ils déployés pour permettre la formation de plus grandes promotions ? Tout temps perdu d'année en année représente des soignants en moins sur le terrain, d'autant plus que de nombreux départs en retraite se profilent au cours des années à venir.

Ma deuxième question porte sur les besoins de santé, qui sont normalement évalués au travers des plans régionaux de santé. Nous constatons une grande difficulté à réaliser ces évaluations, car il est difficile de recueillir des données de santé dignes de ce nom. Certains territoires sont particulièrement en difficulté sur ce plan. En parallèle de cette restructuration, voire de ce sauvetage de l'hôpital public et du système de soins, ne faudrait-il pas mettre en place un système de recueil des données, parce que l'évaluation des besoins repose d'abord sur l'évaluation de la santé et de l'état de santé de la population ? Je vous remercie.

M. Jean Sol. - Monsieur le ministre, je souhaite revenir sur les vocations, que vous avez évoquées avec satisfaction et optimisme a priori. La principale préoccupation de ces jeunes ne porte-t-elle pas plutôt sur l'accès à la sécurité de l'emploi que sur une véritable vocation pour ce noble métier ? C'est ce que je pense.

La sélection via Parcoursup mérite d'être revue. Certains jeunes brillants, ayant obtenu une mention, se retrouvent recalés, alors que leur motivation est importante. La formation est-elle adaptée à nos besoins, à l'évolution de la prise en charge médicale au sein de nos établissements ? Je constate un fossé entre la formation théorique et la pratique. Lors de leur première prise de fonction dans les établissements, ces jeunes sont rapidement angoissés, inquiets et souhaitent rapidement quitter l'établissement dans lequel ils se sont engagés.

Vous avez évoqué la possibilité de donner du pouvoir décisionnel aux établissements et aux acteurs. J'y suis favorable, mais c'est un changement de paradigme, un changement radical de gouvernance, auquel les professionnels de santé ne sont pas habitués. Il va falloir instituer un dispositif d'accompagnement important. La gouvernance se fera de la base vers le sommet stratégique, et non plus du sommet vers la base. Ne pouvons-nous pas travailler sur des modèles et sur des maquettes à expérimenter ? Je crains que les soignants, dans le feu de l'action et alors que nous ne sommes pas sortis de la crise sanitaire, ne puissent pas avoir cette capacité à être force de proposition et à faire preuve de créativité et d'innovation.

M. Olivier Véran. - Je vais commencer par la fin, Monsieur le sénateur. Reprendrez-vous un peu de jacobinisme dans votre intervention girondine ? Vous dites « donnons plus de responsabilité et de pouvoir décisionnel au local, mais cadrons bien les choses ».

M. Jean Sol. - Le président de la Cour des comptes a dit « la santé, c'est l'État ».

M. Olivier Véran. - Il suffit que je dise que les ratios n'étaient pas l'alpha et l'oméga de l'organisation des équipes. On m'a répondu « oh là, il faut mettre des ratios ». Je n'affirme pas qu'il ne faille pas donner les moyens aux équipes de soigner comme il faut, mais je dis qu'à chaque fois qu'on applique des critères normatifs au niveau national, on prive les équipes de la capacité de penser les organisations de façon différente. La flexibilité, la liberté et l'autonomie des établissements supposent de le faire en confiance et d'évaluer les résultats. Demander aux établissements d'expliquer comment ils seront autonomes ne relève plus de l'autonomie.

Même les partisans de l'autonomie prônent une autonomie bien contrôlée. Vous constatez l'ampleur du changement. C'est parce que les établissements l'ont fait pendant la crise sanitaire qu'on dit qu'ils savent faire. Ils l'ont démontré pendant la crise sanitaire. Ce n'est pas avec mes petites mains que j'ai doublé les lits de réanimation. Ce ne sont pas les médecins ou le directeur seuls qui ont décidé de transformer les blocs opératoires en unités de réanimation bis pour soigner les malades de la covid. C'est l'équipe tout entière. Ce que les établissements ont réussi dans ce contexte peut l'être hors de ce même contexte. C'est le seul moyen d'éviter que les mauvais réflexes du passé reviennent. Nous avons connu une période assez incroyable à l'hôpital, avec un regain de sens et la latitude d'agir, mais une fois la crise passée, le naturel revient au galop. Non, cela ne doit pas être le cas.

Madame Cohen, vous m'avez posé de nombreuses questions. La première porte sur les urgences, qui sont toujours de fait sous-dimensionnées. Entre la conception d'un service d'urgence et son ouverture, plusieurs années se sont écoulées. L'activité des urgences aura explosé dans l'intervalle, pressurisant ainsi ce service. Les urgences souffrent d'une augmentation massive, continue et régulière du nombre de passages par an. Vous en avez cité quelques causes : le fait de ne pas trouver de médecin en ville ou la nuit, le fait de ne pas savoir ce que l'on a. Les urgences souffrent ainsi d'une explosion de leur activité, constatée année après année. Des mesures correctives importantes ont ainsi été mises en oeuvre. Le service d'accès aux soins (SAS) est expérimenté dans 18 sites pilotes et génère des résultats probants. Il prévoit une régulation commune à la médecine de ville et l'hôpital, les patients étant orientés vers des médecins de ville qui peuvent accueillir des patients dont l'état ne justifie pas un passage aux urgences. Ce dispositif fonctionne.

Par ailleurs, les urgentistes ne doivent pas rester urgentistes à vie. Nous avons réformé l'internat en 2017, en créant une spécialité « médecine d'urgence », à la demande des acteurs, qui leur permet d'avoir de la formation continue et d'accéder à un deuxième DES. Par ailleurs, nous constatons parfois une mauvaise compréhension des choses. Il n'est pas obligatoire d'avoir un urgentiste par ligne aux urgences, mais un urgentiste par service. Les urgentistes peuvent être accompagnés par des médecins qui ne le sont pas. Parfois, il est compliqué de recruter des médecins qui ne sont pas urgentistes pour venir participer à la permanence des soins, parce que chacun doit réaliser ses propres gardes, a son propre rythme, mais les règles en la matière sont plus souples que ce que l'on imagine généralement.

Les hôpitaux de proximité sont en plein développement. Ce dispositif a été initié par Marisol Touraine, puis prolongé par Agnès Buzyn. Je l'accentue en développant des hôpitaux de proximité et en y intégrant des plateaux techniques, de la biologie et de la radiologie, afin de réinstaller ces établissements de proximité dans leur vocation première.

Sur la question des postes d'encadrants, nous augmentons le nombre de personnels hospitalo-universitaires de 250 en cinq ans, afin d'améliorer l'encadrement des étudiants. Les Assises ont permis la création supplémentaire de 12 postes hospitalo-universitaires en trois ans. Un sujet reste néanmoins fondamental, la péréquation des postes hospitalo-universitaires. Il y a de gros écarts entre universités, par exemple entre Paris-Descartes et Lille II. Il faut s'interroger sur la juste répartition de ces postes et leur corrélation à la charge en matière de formation.

Quant à la réforme de l'accès aux études de santé, nous avons augmenté les capacités d'accueil qui ont été accrues de 15 % en médecine. Nous avons prévu des locaux supplémentaires et nous développons les stages en ambulatoire. Six millions d'euros ont été engagés en 2021 dans l'enseignement par simulation, qui se déploie progressivement. Cet enjeu est important.

S'agissant des questions d'attractivité, je ne souhaite pas que l'on donne l'impression que les directeurs et personnels administratifs des hôpitaux seraient des bourreaux insensibles aux difficultés. Ils se trouvent en grande souffrance. Les contraintes médico-économiques auxquelles ils sont confrontés les empêchent parfois d'accompagner les projets qu'ils souhaiteraient. Les contraintes de gestion des personnels soignants sont aussi les leurs, et ils ne le vivent pas bien. C'est pourquoi je leur tire mon chapeau. Ils sont indispensables.

Je considère néanmoins qu'il faut proposer un CDI à tout le monde à l'hôpital. Je pense que les contrats intermittents, d'un mois ou de six mois, ne sont pas souhaitables. Le CDI doit être la règle d'emblée. Comment rompre un contrat de travail lorsque cela se passe mal ? S'agissant des médecins, les chiffres ne vous donnent pas complètement raison Madame Cohen. Le nombre de procédures disciplinaires à l'encontre des médecins est très faible, une vingtaine par an pour la France entière. Sous ce gouvernement, nous avons rendu possible la rupture conventionnelle dans la fonction publique, comme dans le secteur privé, mais ce dispositif n'est pas ouvert aux médecins hospitaliers, dont le statut est hybride.

Enfin, sur les questions de formation, on dit que les professions sont trop cloisonnées. Tout médecin que je suis, il me semble qu'il faudrait donner plus de compétences aux soignants et leur permettre d'évoluer au long de leur carrière. Une idée avait été émise par Lionel Jospin, la mise en place d'une première année de licence santé, commune aux différentes professions de santé, mais elle ne s'est pas concrétisée. Il s'agissait de faire acquérir aux différents acteurs des professions de santé (infirmiers, soignants et médecins) des rudiments de connaissances en anatomie, en physiologie, en sciences humaines et sociales, en éthique et en écoute. Des modules communs pourraient être institués, ainsi que des démarches d'apprentissage par des pairs. En deuxième année de médecine, une semaine de stage infirmier est prévue, pas plus. Cela ne permet pas de connaître la diversité des métiers à l'hôpital. Il faut créer plus de lien et de liant dans le début de carrière des futurs professionnels de santé. Dans le cadre de Parcoursup, un entretien motivationnel est indispensable. Il ne faut pas engager les jeunes dans des études qu'ils ne suivront pas. Il en résulterait du temps perdu pour ces étudiants et des soignants en moins dans notre pays. Tel est le travail de Frédérique Vidal.

M. Bernard Jomier, président. - Ce point fait l'unanimité, il n'y a pas de doute.

Mme Marie-Christine Chauvin. - J'ai réagi lorsque vous avez indiqué que le personnel administratif était indispensable. Le personnel dit hôtelier l'est également. Je pense notamment aux agents de service, dont la mission est fondamentale. Lorsqu'ils sont absents, elle doit être assumée par les aides-soignantes. Il en résulte une surcharge de travail. On se rend compte, malheureusement, d'une perte d'attractivité de ce métier. L'hygiène des locaux revêt une grande importance. Ce personnel a besoin de reconnaissance.

M. Olivier Véran. - Dans le cadre du Ségur, la demande portait sur une augmentation de 300 euros pour les infirmières. Finalement, l'augmentation est de plus de 200 euros pour tout le personnel, y compris le personnel hôtelier. J'ai souhaité que la même revalorisation (183 euros nets de socle) soit attribuée à la cantinière, à l'électricien ou à l'infirmière. Lorsqu'on s'engage dans un exercice au service du soin, c'est une vocation. Je crois profondément à la vocation de nos soignants. Je ne souscris pas à l'opinion du sénateur Sol concernant la sécurité de l'emploi. On ne se tourne pas vers les métiers du soin pour la sécurité de l'emploi, mais pour l'envie d'aider l'autre. On sait qu'on s'engage dans une carrière faite de joies et de bonheur, mais aussi de tensions et de difficultés, avec l'appréhension d'être confronté à la maladie et à la mort. On se demande toujours si l'on sera à la hauteur et si l'on sera en mesure d'accompagner les autres. Le simple fait de se poser ces questions montre que l'on a une vocation chevillée au corps.

C'est cette vocation extraordinaire qui a permis à nos établissements et à la médecine de ville de tenir. Personne n'a jamais rien lâché. Si les soignants sont exigeants vis-à-vis de leur outil de travail, ce n'est pas pour eux-mêmes, mais pour ceux dont ils prennent soin. Lorsqu'un soignant estime ne plus être en mesure de faire de la bientraitance et de bien accompagner les gens qu'ils soignent, il y a un problème. Ce sont des sentinelles. C'est pourquoi je les appelle Hussards blancs de la République. J'y crois profondément.

M. Bernard Jomier, président. - Je vous remercie onsieur le ministre. Cette audition clôt le cycle de nos auditions plénières. La rapporteure a prévu l'organisation d'auditions complémentaires les  7 et 8 mars. La prochaine réunion plénière se déroulera le mardi 29 mars à 17 heures pour l'examen du rapport. Le projet de rapport sera mis en consultation pour les membres de la commission d'enquête la semaine précédente. Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 25.