Jeudi 24 février 2022

- Présidence de M. Guillaume Chevrollier, président -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de Mme Corinne Le Quéré, présidente du Haut conseil pour le climat

M. Guillaume Chevrollier, président. - Je vous remercie, madame Le Quéré de vous être libérée pour cette audition. Nous souhaitions naturellement vous entendre en raison de l'implication du Haut conseil pour le climat sur le sujet qui occupe notre mission d'information. Cette dernière a fait le constat de la grande impréparation de notre système de protection sociale aux défis posés par la transition climatique.

Ainsi, l'administration de la sécurité sociale a engagé une timide sensibilisation de ses parties prenantes, dans le cadre de la responsabilité sociale des organisations. Toutefois, elle reste trop fondamentalement axée sur une logique de soin. La politique de prévention demeure donc trop résiduelle.

Cette timidité se conjugue avec une articulation complexe entre le Plan national santé-environnement et de multiples plans sectoriels.

Aussi, nous souhaitions nous poser les questions suivantes : comment cette planification de la politique nationale de santé s'articule-t-elle avec la planification de la transition écologique ? Quelle place occupe-t-elle dans le Plan national d'adaptation au changement climatique ? Comment mieux sensibiliser les acteurs de notre protection sociale afin de les mobiliser davantage ? Interrogeons-nous enfin sur le pilotage de ce changement de paradigme et sur la possibilité de mieux articuler stratégie climatique et développement d'une politique de santé conforme à ces nouveaux enjeux.

À l'issue de votre propos liminaire, la rapportrice de la mission d'information, Mélanie Vogel, vous posera quelques questions. Les sénateurs présents sur place ou en visioconférence pourront également prendre part aux débats.

Un questionnaire vous a été adressé et je vous remercie par avance d'y répondre par écrit au cours des prochaines semaines.

Mme Corinne Le Quéré, Présidente du Haut conseil pour le climat. - Merci, monsieur le sénateur, de nous recevoir.

Le Haut conseil pour le climat est un organisme indépendant. Il a été créé il y a trois ans par la loi Énergie-climat. Cet organe est constitué d'un groupe d'experts chargé d'évaluer la stratégie du Gouvernement en matière climatique. Notre mission principale consiste à publier annuellement un constat sur l'évolution des politiques publiques. Celui-ci est associé à une série de recommandations.

Jusqu'à présent, nous avons estimé que la France avait les bons objectifs à long terme. Ainsi, atteindre la neutralité carbone d'ici 2050 nous semble à la fois nécessaire et possible pour un pays comme le nôtre. La réduction des émissions de gaz à effet de serre est par ailleurs souhaitable.

Toutefois, la France ne semble pas sur la bonne trajectoire en termes de réalisation. La diminution en émissions est trop lente pour nous permettre d'atteindre les objectifs fixés. La pénétration des mesures et actions est, pour sa part, insuffisante. Nous relevons, de plus, trop d'incohérences au sein des politiques publiques. La planification est enfin insuffisante, de même que la répartition d'actions et de financements spécifiques par ministère.

Il existe un lien très fort entre climat et santé. Les ramifications sont à la fois nombreuses et bien démontrées. Ainsi, la pollution de l'air est à l'origine de plus de centaines de milliers de décès prématurés en Europe. Cette tendance atteint le million à l'échelle mondiale. Les risques sur la santé sont également multipliés par les évènements extrêmes, à l'instar des vagues de chaleur, et des inondations. Citons également les maladies infectieuses, et les risques liés à la qualité de l'alimentation.

Le Haut conseil pour le climat a, pour sa part, travaillé sur plusieurs problématiques en lien avec la pollution de l'air.

La mobilité est, dans ce cadre, une question importante. En effet, le transport routier (voitures et poids lourds) est le premier émetteur de gaz à effets de serre. Il émet également des particules fines et du dioxyde de carbone.

Le bâtiment est un autre émetteur important, avec une forte utilisation de gaz, de pétrole, et de bois. Les particules fines liées à ces matériaux contribuent par ailleurs à la dégradation de l'air intérieur. Ce secteur, qui a donc des effets sur la santé, pose en outre la question de la précarité énergétique.

L'agriculture est aussi à l'origine d'un phénomène de pollution de l'air. L'usage des pesticides pose par ailleurs des problèmes de polluants.

Enfin, l'industrie et l'énergie produisent du soufre et des particules azotées.

Nous savons que l'implémentation de politiques fortes dans ces quatre domaines permet de réduire la production de polluants atmosphériques. De même, certaines solutions proposées dans le cadre de la lutte contre le changement climatique ont des effets directs sur la santé. C'est notamment le cas du transport actif, encouragé dans les villes (marche et vélo), de l'alimentation saine, et de la préservation des écosystèmes.

Ainsi, les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques sont étroitement liées, et malgré des diminutions, des blocages demeurent.

Avant de céder la parole à ma collègue, je souhaiterais rappeler un certain nombre de recommandations formulées par le Haut conseil pour le climat.

Nous estimons d'abord que les politiques publiques doivent être clarifiées, et que les questions climatiques doivent y être inscrites de manière centrale.

L'objectif à court terme mérite par ailleurs d'être rehaussé. Cette proposition avait été mentionnée à l'échelle européenne. Parallèlement, tous les acteurs impliqués doivent être mis au courant très clairement des enjeux en matière de réduction des émissions.

Nous avons également besoin d'un pilotage interministériel au niveau du Premier ministre afin que des stratégies fines voient le jour dans tous les secteurs et sous-secteurs impliqués. La mise en place de financements à long terme, de processus d'évaluation et d'une intégration de l'adaptation est par ailleurs nécessaire.

Mme Magalie Reghezza, membre du Haut conseil pour le climat. - Bonjour à tous. Je suis géographe et travaille principalement sur les enjeux de résilience, de prévention des catastrophes naturelles et d'adaptation au changement climatique. Comme vous l'a indiqué Corinne Le Quéré, le Haut conseil pour le climat a publié un rapport sur les enseignements à tirer de la crise Covid. À cette occasion, il a démontré que cette situation sanitaire, présentant des similitudes avec la crise climatique, pouvait constituer un retour d'expérience intéressant.

La crise Covid a révélé certaines vulnérabilités de notre société. Il est également apparu que ces vulnérabilités n'étaient pas équitablement réparties à l'échelle des territoires et des entreprises. Ses effets, décalés dans le temps et dans l'espace, ont par ailleurs nécessité de s'ajuster et d'anticiper.

D'autres comparaisons peuvent être établies entre crise Covid et crise climatique. La brutalité des évènements et le caractère chronique de ces deux phénomènes sont en effet à mettre en relation. Dans le second cas, les effets sur l'économie et les populations tendent à prendre une dimension systémique.

La première leçon que nous pouvons tirer de cette crise Covid concerne les lanceurs d'alerte et la prise en compte des signaux faibles. En effet, de nombreux avertissements avaient été lancés au sujet des coronavirus et de l'émergence d'une nouvelle maladie en Chine.

Or, au niveau du changement climatique, il existe désormais un constat scientifique robuste qui a été partagé avec les gouvernements. Les effets, notamment territoriaux, de ce changement, ont été observés et formalisés par le Haut conseil pour le climat dans son dernier rapport. Une alerte a été lancée sur les enjeux de la recherche et de son nécessaire maintien, y compris dans les domaines social et territorial.

La crise du Covid nous rappelle également l'importance de mettre en oeuvre les actions du Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe naturelle (2015-2030). La France est en effet signataire de ce texte qui repose sur quatre piliers : connaître, renforcer, prévenir, et préparer.

Nous disposons actuellement d'un indicateur d'exposition au risque climatique, élaboré par l'Observatoire national sur les effets du changement climatique (Onerc) en lien avec l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et l'Institut national de l'information géographique (IGN). Cet indicateur a ainsi été établi pour chaque commune du territoire métropolitain à l'aide de données relatives à la densité et au risque prévisible recensé. On note d'emblée qu'il n'existe aucun lien entre risque climatique, risque sanitaire, et risques naturels-technologiques (NaTech).

Au niveau européen, des progrès sont en cours sur l'acquisition et le traitement de ces données. La plateforme Climate-ADAPT est notamment très utile. Toutefois, ces premiers efforts doivent être renforcés et élargis, avec la création d'un Observatoire de la santé.

Si ces vulnérabilités intrinsèques aux territoires, entreprises, filières, et individus, nous intéressent, c'est parce qu'il a été établi qu'il existait un lien étroit entre inégalités et capacités de résilience des sociétés. Les inégalités suscitent des tensions, qui représentent une entrave à la mise en place de mesures visant au changement.

Il apparaît en outre que les populations les plus pauvres sont généralement les plus touchées par la crise. Ainsi, la Seine-Saint-Denis a été fortement impactée par le Covid, tout comme les outre-mer subissent de plein fouet la crise climatique.

Les vulnérabilités intergénérationnelles et le statut précaire des femmes sont enfin mis en lumière par les épisodes de crise.

Les inégalités se retrouvent enfin dans les sources d'émissions (air et eau) puisqu'il apparaît que les plus riches émettent davantage que les plus pauvres.

Les ressorts permettant une transition climatique juste sont similaires à ceux mobilisés pour faire face au Covid. Ainsi, le renforcement des politiques publiques au niveau de la protection sociale, et la solidarité face aux grands risques (chômage, maladie, vieillesse) apparaissent, dans les deux cas, essentiels.

La crise Covid a également mis en évidence la nécessité d'une coopération internationale. Sur le plan du changement climatique, cette problématique s'applique aux phénomènes de mouvements de population, de pénurie alimentaire, de pénurie de l'eau, de nouvelles pandémies. Toutefois, en ce qui concerne le climat, les capacités de réaction multilatérales doivent, pour être efficaces, être largement supérieures à celles démontrées pendant la crise Covid.

S'il existe d'ores et déjà un système européen d'entraide, mis en place pour les inondations ou les incendies, la multiplication des évènements extrêmes risque de fragiliser le système. La répartition des forces et des moyens pourra par ailleurs être mise en question.

La France, qui se présente comme un ardent défenseur du multilatéralisme, de la construction européenne et de la lutte contre le changement climatique, pourrait jouer un rôle particulier sur ces problématiques liées aux risques. Son influence pourrait être mise à profit d'une diplomatie préventive des crises, et d'une diplomatie environnementale plus normative.

M. Guillaume Chevrollier, président. - J'aurais à présent aimé avoir votre réaction sur la proposition de sécurité sociale écologique sur laquelle nous travaillons actuellement.

Mme Corinne Le Quéré. - Cette proposition est tout à fait cohérente avec celles formulées par le Haut conseil pour le climat. Nous considérons en effet qu'il est important que les politiques publiques s'approprient davantage les questions climatiques. Ainsi, les ministères même indirectement liés à la transition écologique doivent être invités à intégrer dans leurs missions des décisions liées au climat. Nous sommes donc favorables à cette proposition de sécurité sociale écologique.

Mme Mélanie Vogel, rapportrice de la mission d'information. - Nous partageons l'idée qu'il existe un lien très fort entre inégalités sociales et crise climatique. Les populations les plus vulnérables sont en effet celles qui subiront le plus durement les conséquences environnementales du dérèglement.

Dans le cadre de cette mission d'information, nous aurions aimé connaître votre point de vue sur les outils à mobiliser dans le cadre d'un système de sécurité sociale écologique. En effet, si un certain nombre de risques sont déjà couverts par notre système actuel, d'autres en sont encore absents. Aussi, à votre avis, quelles prestations nouvelles et quels moyens mériteraient d'être mobilisés ?

Mme Corinne Le Quéré. - Dans nos recommandations, nous préconisons la mise en place par le Gouvernement d'un grand nombre de mesures climatiques. Nous souhaitons par ailleurs que ces dernières fassent systématiquement l'objet d'un examen d'impact sur les inégalités sociales. Nous avons en effet constaté que beaucoup de mesures climatiques avaient tendance à creuser les inégalités plutôt qu'à les diminuer. Évoquons, à titre d'exemple, les subventions aux véhicules électriques. En définitive, celles-ci s'adressent davantage aux ménages qui ont déjà les moyens d'une telle acquisition, ce qui accentue les disparités.

En ce qui concerne les nouveaux risques, nous constatons que ceux-ci sont très localisés. Le travail d'identification et de priorisation doit donc être réalisé au niveau régional. Or, aujourd'hui, très peu de régions ont constitué un programme d'adaptation au changement climatique.

Il est par ailleurs important de souligner que le Gouvernement est en train de mettre en place une révision de sa stratégie nationale bas carbone. Cette démarche, intitulée « stratégie française énergie climat » (SFEC) inclue une réflexion sur l'adaptation au changement climatique. L'examen des priorités régionales et des instruments à mettre en place pour avancer au niveau de l'identification des impacts régionaux devrait donc avoir lieu dans ce cadre.

Le Haut conseil pour le climat est enfin constitué d'une petite équipe. C'est la raison pour laquelle nos recommandations sont souvent très générales. Toutefois, au niveau météorologique, Météo France pourrait être davantage mobilisée pour identifier les conséquences régionales du changement climatique.

Mme Magalie Reghezza. - Le Haut Conseil pour le climat n'a malheureusement pas les moyens de répondre aux questions que vous posez. Toutefois, en tant que chercheuse, il m'est possible d'apporter quelques éléments de réponses.

Au sujet de l'évolution des systèmes d'indemnisation, de prévention et de protection, il est important de différencier ce qui relève du non assurable et de l'assurable. En effet, les risques que nous devons considérer aujourd'hui dans le cadre du changement climatique ne sont pas nouveaux, mais leur fréquence et la difficulté à les couvrir posent question. Ainsi, il est possible qu'à l'avenir, pour des questions de rentabilité, ils ne soient plus assurables. Or, selon les comparaisons internationales, l'absence d'assurance creuse inévitablement les inégalités.

Au sujet des assurances maladie, chômage et vieillesse, une réflexion mérite également d'être menée puisque le changement climatique est susceptible d'affecter ces trois domaines.

Le Haut conseil recommande ainsi d'intégrer la question du climat dans tous les instruments dont nous disposons. Or, actuellement, il n'existe aucune prise en compte des impacts territoriaux du changement climatique.

La mesure et l'évaluation de ces impacts doivent être menées en fonction de scénarii qui, pour leur part, ont déjà été établis. Les documents d'information communaux sur les risques (DICRIM), et les dossiers départementaux sur les risques majeurs (DDRM) peuvent, dans ce cadre, se révéler très utiles.

Vous avez par ailleurs noté qu'il existait une difficulté du côté des politiques préventives sur le climat. Quelles réponses sont par exemple apportées en cas de déplacement provisoire et de relocalisation ? Sur ce plan, nous ne disposons pas encore de diagnostics territoriaux. Ces derniers sont pourtant indispensables, tant au niveau régional qu'au niveau communal. Nous avons en effet besoin de savoir quels territoires sont menacés, et de quelle manière ils le sont.

L'ensemble de ces réflexions montre l'importance d'articuler les politiques existantes avec la question du changement climatique.

Au sujet enfin de la sécurité sociale et environnementale, c'est évidemment un sujet important, qui nécessite la mise en place d'évaluations d'impacts. Il semble ainsi pertinent que la politique fiscale ou le versement de subventions soit conditionné aux conséquences prévisionnelles des mesures sur le changement climatique. La dotation de nouveaux indicateurs, notamment de bien-être, d'espérance de vie, ou de santé est, dans ce cadre, nécessaire.

La rénovation thermique de l'habitat, l'accompagnement du chômage technique lié, par exemple, à des périodes de sécheresse, pourraient ainsi être intégrés à une éventuelle sécurité sociale environnementale.

Il semble enfin indispensable d'identifier et de mobiliser les outils déjà à notre disposition au niveau national d'une part, et local d'autre part, car ce sont eux qui permettront de mesurer les impacts du changement climatique.

Mme Mélanie Vogel, rapportrice. - Nous savons par ailleurs que l'alimentation a une forte influence sur l'état de santé, et qu'il existe des inégalités sociales dans ce domaine. J'aurais donc aimé savoir si vous étiez favorables à des propositions telles que le chèque alimentaire ou l'allocation universelle alimentaire. Pensez-vous que la sécurité sociale pourrait participer à atténuer la crise en finançant un modèle de transition agricole vertueux ?

Mme Corinne Le Quéré. - Les émissions provenant du secteur agricole sont très importantes. Elles représentent environ 18 % des gaz à effet de serre, ce qui est considérable. En outre, à ce stade, nous ne disposons pas de solution alternative à l'instar de la voiture électrique dans le transport routier. La pression sur ce secteur agricole doit donc être réduite si l'on veut parvenir à nos objectifs.

Nous pensons qu'une évolution par le biais de l'alimentation pourrait être pertinente et efficace. Ainsi, une réduction de la pression sur la production de viande et de lait serait tout à fait bénéfique. En effet, ces deux industries produisent un volume important de gaz à effet de serre, et notamment de méthane.

Toutefois, pour qu'un tel outil fonctionne, il est nécessaire qu'il soit intégré dans une politique publique d'ensemble. Des feuilles de route de réduction des gaz à effet de serre ont été établies par chacun des ministères et si cette idée de chèque était mise en application, elle mériterait d'être inscrite dans celle du ministère de l'agriculture.

Mme Magalie Reghezza. - Je crois qu'il convient également de parler de l'eau, qui s'inscrit pleinement dans la problématique alimentaire. Or, dans ce domaine, nous disposons d'un certain nombre de retours d'expérience montrant que les difficultés d'accès à l'eau, y compris dans des pays développés, participent au creusement des inégalités.

Dans les territoires et notamment dans les métropoles et régions, les plans climat-air-énergie territoriaux (PCAET) et les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET) commencent à intégrer cette question. Cette dernière doit impérativement faire l'objet d'une régulation et nécessite par ailleurs d'importants travaux d'aménagement. Les communes doivent également être accompagnées dans la rénovation de leurs infrastructures d'assainissement. Le transfert de l'eau est en outre une problématique qui doit être traitée au niveau interrégional.

Sur ce sujet, il est à nouveau possible d'établir un parallèle avec la crise Covid. En effet, des chercheurs ont montré qu'à La Nouvelle-Orléans, la population, plus pauvre, avait été très touchée par la maladie. Nous savons qu'aux États-Unis, la sécurité sociale a fortement régressé depuis le mandat de G. W. Bush. L'accès difficile aux infrastructures de soin, et l'eau de mauvaise qualité ont été d'autres éléments déterminants dans l'explosion du nombre de victimes du Covid.

Ce phénomène pose la question de l'échelle de traitement des problématiques d'inégalités liées au climat. Celles-ci peuvent en effet être abordées au niveau national ou régional.

À ce titre, nos rapports sur l'empreinte environnementale peuvent vous intéresser. Ils montrent que les impacts du changement climatique ne sont pas les mêmes partout et qu'ils ne sont pas superposables à ceux des émissions. Une justice et une transition justes nécessitent donc de réaliser des arbitrages en matière, notamment, de subventions accordées aux collectivités territoriales.

M. Guillaume Chevrollier, président. - Merci. Madame Reghezza, vous êtes géographe et vous nous avez parlé de diagnostics des risques à établir au niveau local. Toutefois, les exercices de planification sont d'ores et déjà conséquents (plans d'urbanisme, PCAET, SRADDET, etc.). Aussi, selon vous, qui pourrait établir ces diagnostics et quelles compétences nécessitent d'être mobilisées ? Comment, par ailleurs, rendre ces documents opposables ?

Madame Le Quéré, j'aurais ensuite aimé savoir quels risques mériteraient à vos yeux d'être couverts par cette sixième branche de la sécurité sociale que vous appelez de vos voeux. Selon vous, quelles sont les modalités de financement qui sont envisageables ?

Mme Magalie Reghezza. - Nous constatons que, hormis sur les plans de submersion marine, la question du changement climatique n'est pas prise en compte. Aussi, afin de progresser au niveau de la planification, il serait possible, lors de la mise à jour des plans de prévention des risques, d'intégrer plusieurs scénarii relatifs au changement climatique. Nous pourrions également travailler sur un certain nombre de territoires prioritaires, ou sur des territoires identifiés à l'aide de Caisse centrale de réassurance (CCR).

Il convient par ailleurs de noter que les territoires ne sont pas tous impactés de la même manière par le changement climatique. Certains sont très exposés à des risques extrêmes, représentant un danger réel pour les vies humaines. D'autres territoires sont, en revanche, la cible d'évènements récurrents qui fragilisent sur le long terme les infrastructures territoriales.

Aussi, l'objectif n'est pas de créer un nouveau document, mais plutôt d'imposer, lors de la réactualisation de ceux qui existent, la prise en compte du climat qui change. Cette démarche nécessiterait un rapprochement des prévisions climatiques et des données démographiques.

En ce qui concerne l'opposabilité, celle-ci est nécessaire, mais pas toujours simple. En effet, dans de nombreux cas, les territoires sont déjà construits. Toutefois, des actions sont possibles dans le cadre du renouvellement urbain, de la rénovation, et de la réhabilitation notamment des réseaux dits « critiques ». Ainsi, le changement climatique et ces impacts doivent être pris en compte dans le droit de l'urbanisme, dans la construction, et dans l'acquisition foncière.

Il arrive parfois que la main d'oeuvre qualifiée soit trop peu suffisante pour entreprendre ces démarches. Les régions peuvent alors agir sur la formation professionnelle, dans les lycées et dans le bassin d'emploi.

Quoi qu'il en soit, il me semble important d'éviter l'écueil rencontré lors les diagnostics territoriaux sur les plans de prévention des risques. En effet, dans une logique de politique du chiffre, ce sont alors les petits bassins versants qui avaient d'abord été traités sans qu'aucun effort de priorisation ne soit mis en oeuvre.

Or, le Centre européen des risques d'inondation a remis un rapport sur la priorisation de la connaissance du risque. La question se pose de savoir qui doit être prioritaire, tout en sachant que les évènements les plus dommageables ont eu lieu en dehors des territoires à risque important d'inondation (TRI).

Il s'agit là d'un sujet important car nous savons que les territoires ruraux et ceux d'outre-mer sont très concernés par ces problématiques, mais qu'ils n'auront pas forcément les moyens d'effectuer ces diagnostics.

Mme Corinne Le Quéré. - Les effets du changement climatique sont déjà visibles et si la couverture des risques existe, elle doit s'intensifier.

Nous observons une belle dynamique internationale depuis la signature des Accords de Paris en 2015. Ces accords sont révisés chaque année, et de nouvelles réunions suivront celle de Glasgow. Ainsi les prochaines Conférences des parties (COP) auront lieu en Égypte, puis en Arabie-Saoudite. Il n'en demeure pas moins que les pays doivent financer eux-mêmes leur transition. La meilleure réponse au changement climatique est l'investissement dans des infrastructures bas carbone soutenant la société. Il s'agit là d'un financement qui doit être prévu sur le long terme et bien évalué.

Lors de la crise Covid, des financements spéciaux ont été octroyés, et environ 30 % d'entre eux ont permis de répondre dans le même temps au changement climatique. La filière bâtiment a, notamment, eu la possibilité de s'organiser et d'être renforcée. Il serait bénéfique que ces financements soient pérennisés à travers différents instruments.

Certains de ces instruments viendront de l'Union européenne. Je pense notamment au système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre (SEQE). Le Haut conseil pour le climat préconise par ailleurs d'examiner les règles de stabilité financière européennes afin de permettre les investissements bas carbone dans les limites permises.

Quoi qu'il en soit, ces investissements, publics et privés, représentent des dizaines de milliards d'euros chaque année, et il est important que le Gouvernement mette en place des mesures. En France, la taxe carbone a été gelée, et il est essentiel que d'autres mesures européennes ou nationales prennent le relais via un éventuel travail d'accompagnement ou de réglementation.

En ce qui concerne la planification, il serait en outre intéressant d'observer les bénéfices de cette dernière au niveau de la santé publique. Cela reste cependant à chiffrer.

Mme Magalie Reghezza. - Au sujet des branches de la sécurité sociale, il est d'abord important que les cinq premières prennent en compte le climat qui change dans leurs prévisions. Celui-ci a en effet des conséquences sur les retraites, le chômage, la maladie, etc.

La sixième branche, telle qu'elle avait été conçue par les économistes, consistait à mutualiser les risques qui n'étaient pas tenables par l'assurance individuelle et qui mettaient le système CatNat en péril. Car, en cas d'échec sur ce plan, ce sont les finances de l'État, et donc la dette qui doivent procéder au remboursement d'un certain nombre de catastrophes. Ce nouveau volet de la sécurité sociale pourrait donc avoir une forme identique aux précédents, mais nécessiterait de faire l'objet d'un débat sur les possibilités de financement.

Aussi, en cas de création de cette sixième branche, il conviendrait de déterminer, en amont, le niveau de protection nécessaire et non négociable ainsi que les territoires que l'on considère comme habitables ou non habitables. Ces derniers pourraient faire l'objet d'activités et de propriétés, mais ne pourraient pas être couverts en raison d'un coût trop important à assumer au vu des risques existants.

En ce sens, les travaux d'Eloi Laurent me semblent très éclairants, bien qu'ils ne posent pas, en préambule, les questions de déplacements ou d'expropriation. Le Haut conseil pour le climat ne dispose malheureusement pas du mandat ni des forces nécessaires pour étudier cette dernière problématique, qui est pourtant essentielle. Elle mériterait d'ailleurs d'être soumise à des psychologues, des sociologues, des géographes, qui pourraient mesurer les impacts de la relocalisation sur la santé mentale des populations. En effet, la protection ne suffira pas à mettre à l'abri un certain nombre de territoires par rapport aux menaces qui les attendent.

M. Guillaume Chevrollier, président. - Merci pour vos interventions très précieuses sur ce sujet important.

La réunion est close à 10 h 40.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.