Mardi 29 mars 2022

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 15 h 30.

Mission d’information sur les perspectives pour l’aménagement du territoire sur les volets « inclusion numérique » et « accès territorial aux soins » – Examen du rapport d’information et vote sur les propositions des rapporteurs

M. Jean-François Longeot, président. – Nous examinons aujourd’hui en premier lieu les conclusions du travail mené par Patricia Demas, dont les propositions visent à renforcer l’inclusion numérique dans nos territoires à travers un meilleur accès aux réseaux internet, mais surtout l’apprentissage pour les usagers numériques.

L’Insee estimait en 2019 à 17 % la part de la population française touchée par l’illectronisme. Près d’un Français sur deux serait mal à l’aise avec les outils numériques. Ce constat est alarmant au vu de la place désormais incontournable du numérique dans la société, y compris pour l’accès aux services publics, qui se dématérialisent à marche rapide.

En 2020, le Sénat dressait dans un rapport d’information sur l’illectronisme un vaste état des lieux de l’exclusion numérique en France et des moyens mis en œuvre pour lutter contre ce phénomène à l’échelon national, auprès des citoyens, mais aussi à l’école et dans l’entreprise.

La mission d’information sur les perspectives pour l’aménagement du territoire a souhaité creuser ce sujet sous un angle plus local, pour s’intéresser aux outils mis à disposition des collectivités territoriales et aux difficultés que celles-ci rencontrent pour élaborer des projets d’inclusion numérique. La mobilisation de tous les territoires est nécessaire pour lutter contre la fracture numérique ; les élus locaux sont souvent en première ligne pour apporter des solutions d’accompagnement aux usagers rencontrant des difficultés avec les outils numériques.

Notre rapporteure a réalisé un important travail et effectué plus d’une vingtaine d’auditions ; elle s’est montrée à l’écoute des territoires en recueillant les témoignages sur ce sujet de nombreux élus locaux par une consultation en ligne.

Sur le fondement de ce travail, vingt propositions simples et pragmatiques vous seront soumises. Elles visent à mieux outiller les collectivités territoriales face au défi de l’exclusion numérique et à favoriser l’élaboration de politiques d’inclusion numérique plus claires et ambitieuses à l’échelle nationale et locale.

Mme Patricia Demas, rapporteure. – Je tiens à vous remercier, monsieur le président, ainsi que M. Didier Mandelli, pour la confiance que vous m’avez accordée pour l’accomplissement de cette mission.

J’ai le plaisir de vous présenter les conclusions du travail que je mène depuis le mois de janvier sur le thème « Renforcer l’inclusion numérique, indissociable de l’équité territoriale », qui m’a conduite à organiser près de quinze auditions, en plus des dix auditions communes auxquelles j’ai participé avec mes collègues rapporteurs sur les autres volets de la mission d’information.

Afin de mieux appréhender les enjeux de ce sujet dans les territoires, une consultation en ligne a permis de recueillir les témoignages de 1 668 élus locaux. Les répondants sont issus à 80 % de l’échelon communal et à 70 % de territoires ruraux ou à dominante rurale.

Consulter les élus locaux, en particulier ceux des territoires les plus éloignés des grandes métropoles et de la start-up nation, m’a semblé indispensable pour deux raisons : d’abord parce que les élus locaux sont en première ligne face à l’exclusion numérique, que ce soit pour détecter les publics fragiles ou pour leur proposer des dispositifs d’accompagnement ; ensuite parce que j’avais à cœur de proposer des solutions simples, pragmatiques et lisibles à ces élus, qui peinent déjà à se retrouver dans le « maquis » de l’inclusion numérique en France.

Alors, comment lutter plus efficacement contre l’exclusion numérique dans notre pays et combler les fractures territoriales qui existent en la matière ?

D’emblée, je souhaite relever deux difficultés méthodologiques liées à l’étendue du sujet : premièrement, l’inclusion numérique touche à de nombreux pans de l’action publique – économie, enseignement scolaire et supérieur, accès aux droits sociaux, santé –, comme en témoigne le riche travail effectué par le Sénat en 2020 sur la lutte contre l’illectronisme ; deuxièmement, si l’exclusion numérique a bien une dimension matérielle, autour de l’accès aux réseaux et aux équipements numériques, elle en a une autre, liée à la compétence, qui se rapproche de la notion d’illectronisme.

Je me suis concentrée sur deux thématiques : la réduction de la fracture numérique territoriale, qui inclut la question de l’accès aux réseaux internet, facteur d’exclusion numérique majeur dans de nombreux territoires ruraux, et le renforcement des capacités des collectivités territoriales à élaborer des projets d’inclusion numérique adaptés pour améliorer les compétences numériques des Français.

Au fil des auditions, trois axes se sont dégagés de manière distincte : d’abord, la nécessité de clarifier et de renforcer le pilotage de la politique d’inclusion numérique à l’échelon national, afin de permettre aux acteurs locaux de s’inscrire dans un cadre global à la fois clair et ambitieux ; ensuite, le besoin de mettre de la cohérence dans la gouvernance locale de l’inclusion numérique ; enfin, l’opportunité de renforcer les efforts pour combler les inégalités territoriales liées au numérique et de tisser plus étroitement la toile de l’inclusion numérique à l’échelle locale.

Pour chacun de ces axes, je vais à présent vous exposer mes principaux constats et les recommandations qui seront soumises à votre vote.

Au sein du premier axe – clarifier et renforcer le pilotage de la politique d’inclusion numérique au niveau national –, plusieurs constats sont ressortis des auditions et de la consultation en ligne des élus locaux.

Tout d’abord, on manque en France de données précises et actualisées sur l’exclusion numérique. Comment pouvons-nous concevoir des politiques d’inclusion numérique efficaces, que ce soit nationalement ou localement, sans connaître et comprendre finement le phénomène qu’il s’agit de combattre ? Une étude a bien été réalisée en 2019 par l’Insee sur l’illectronisme, mais les données n’ont pas été mises à jour depuis lors, alors même que les comportements des Français à l’égard du numérique ont été bouleversés par la crise sanitaire. Les autres données disponibles sur l’inclusion numérique sont éclatées entre de multiples sources, dont le Conseil national du numérique, l’Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT), ou même l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep). Nous avons besoin de centraliser les données sur l’exclusion numérique, afin qu’elles soient facilement accessibles à tous et puissent être mises à jour de façon régulière suivant l’évolution constante des pratiques et des outils numériques.

C’est la raison pour laquelle la première proposition de mon rapport est la création d’un Observatoire national de l’inclusion numérique.

Ensuite, de l’avis de nombreux acteurs locaux, le pilotage national de la politique d’inclusion numérique manque de clarté : une multitude d’acteurs interviennent et la stratégie nationale pour un numérique inclusif n’a pas été actualisée depuis 2018.

Je propose donc de refonder la stratégie nationale pour un numérique inclusif et de l’accompagner d’une feuille de route aux objectifs clairs pour les acteurs locaux et d’un calendrier pour les atteindre.

Par ailleurs, le financement de la politique d’inclusion manque encore cruellement d’ampleur, alors qu’un Français sur deux rencontre des difficultés dans l’usage des outils numériques. Des moyens additionnels ont été prévus dans le cadre du plan de relance, mais ils restent en deçà des enjeux. Or, face à l’accélération de la dématérialisation des services publics, mettre en place une politique ambitieuse dotée de moyens financiers de long terme est impératif pour garantir l’accès aux droits des usagers.

Je préconise donc de dédier des financements pérennes à la politique d’inclusion numérique, en s’appuyant par exemple sur les préconisations formulées par le Sénat en 2020 sur ce sujet, comme l’institution d’un fonds dédié à la lutte contre l’exclusion numérique.

Enfin, j’ai constaté que les collectivités locales, en particulier les communes et les EPCI de petite taille, avaient du mal à s’approprier les dispositifs nationaux d’inclusion numérique. Lors de la consultation en ligne, certains élus issus de la ruralité ont indiqué ignorer l’existence du pass numérique, ou encore des hubs territoriaux pour un numérique inclusif, qui sont pourtant les clés de voûte de la stratégie nationale définie en 2018. D’autres ont souligné un manque d’information et de pédagogie de la part de l’État pour diffuser ces outils.

Je propose donc d’élaborer un guide national présentant de façon pédagogique l’ensemble des outils mis à la disposition des collectivités.

J’en viens à présent au deuxième axe de mon rapport – mettre de l’ordre dans la gouvernance locale de l’inclusion numérique.

Trois problématiques me semblent importantes au sein de cet axe : clarifier l’articulation des différentes interventions territoriales sur l’inclusion numérique, à commencer par celles des collectivités territoriales ; mieux prendre en compte l’inclusion numérique dans les outils de planification locale ; enfin, renforcer le rôle des hubs territoriaux de l’inclusion numérique dans les écosystèmes locaux.

S’agissant de l’articulation des interventions territoriales en matière d’inclusion numérique, je me suis heurtée à une difficulté majeure. Dans un premier temps, la solution la plus évidente pour mieux coordonner l’action des différents échelons de collectivités m’a semblé être la désignation d’un chef de file dans le code général des collectivités territoriales. Toutefois, les nombreuses auditions menées sur le sujet m’ont conduite à réviser ma position pour deux raisons principales : premièrement, chaque échelon de collectivité a sa pertinence d’intervention sur le sujet de l’inclusion numérique, qu’il s’agisse de la région, du département, ou du bloc communal ; deuxièmement, désigner un chef de file ne permet pas de tenir compte des dynamiques locales, qui varient fortement d’un territoire à l’autre : si dans les territoires ruraux le département apparaît comme l’interlocuteur principal en matière d’inclusion numérique, dans les territoires urbains l’EPCI semble davantage identifié comme l’acteur incontournable. Il m’a dès lors semblé préférable, plutôt que de désigner un chef de file, de faciliter la constitution de coalitions locales de l’inclusion numérique de manière souple.

Je propose donc d’encourager la constitution de commissions territoriales de l’inclusion numérique.

S’agissant de la prise en compte de l’inclusion numérique dans les outils de planification locale, j’ai constaté avec surprise que très peu de territoires avaient mis en place des schémas directeurs d’inclusion numérique, alors que le Gouvernement avait annoncé leur généralisation dès 2018.

Je propose donc d’inclure dans les schémas directeurs d’aménagement numérique prévus par le code général des collectivités territoriales un volet consacré à l’inclusion numérique.

Enfin, s’agissant du rôle des hubs pour un numérique inclusif, j’ai constaté avec inquiétude que certains d’entre eux rencontraient de réelles difficultés à se financer et étaient amenés à développer des activités économiquement rentables pour assurer leur survie, ce qui les éloigne de leur mission originelle de coordination des réseaux d’inclusion numérique et d’accompagnement des collectivités territoriales pour élaborer des projets d’inclusion numérique.

Je propose donc d’attribuer aux hubs une dotation financière pérenne, destinée à assurer l’accomplissement de leurs missions les plus centrales.

J’en arrive au troisième et dernier axe de mon rapport – renforcer les efforts pour combler les inégalités territoriales liées au numérique et tisser plus étroitement la toile de l’inclusion numérique au niveau local.

Deux problématiques m’ont ici intéressée : les disparités territoriales dans l’accès aux réseaux internet et les difficultés rencontrées par les collectivités pour accompagner les publics éloignés du numérique.

S’agissant d’abord de la fracture numérique territoriale, si le déploiement de la fibre avance à bon train, y compris dans les zones à réseaux d’initiative publique (RIP), il reste beaucoup de chemin à parcourir : seule la moitié des locaux prévus a été raccordée dans les RIP et les derniers raccordements seront sans doute les plus difficiles à effectuer. En outre, les alternatives à la fibre peinent à se déployer dans les territoires, alors que le Gouvernement vient de renouveler le dispositif « Cohésion numérique des territoires », qui permet aux ménages dotés d’une connexion internet inférieure à 8 Mbits/s de bénéficier d’une subvention pour recourir à l’une de ces alternatives.

Je formule donc deux propositions : d’une part, pérenniser le fonds de financement des raccordements complexes à la fibre aussi longtemps que nécessaire et l’augmenter si besoin est ; d’autre part, encourager les ménages à recourir au dispositif « Cohésion numérique des territoires » en communiquant plus largement sur cet outil et, surtout, permettre à tout ménage ne disposant pas d’une connexion à très haut débit d’y recourir. Je souhaite également que ce dispositif soit reconduit jusqu’en 2025 a minima.

S’agissant à présent de l’accompagnement des usagers éloignés du numérique à l’échelon local, je souhaite tout d’abord que les cartographies de l’exclusion numérique et des acteurs de l’inclusion numérique soient plus largement diffusées au niveau local, avec l’appui des hubs. Ces instruments sont un préalable indispensable à l’élaboration de toute stratégie locale d’inclusion numérique ; ils permettent, à partir du diagnostic de la fragilité numérique de la population, de faciliter la bonne répartition des moyens d’accompagnement dans chaque territoire.

Ensuite, il importe d’outiller les collectivités territoriales afin qu’elles soient en mesure de concevoir de véritables parcours d’accompagnement. À cet égard, plusieurs évolutions me paraissent essentielles.

Premièrement, il convient de mieux former les agents publics territoriaux chargés de l’accueil des usagers à la détection et à l’orientation des personnes rencontrant des difficultés numériques. Il importe aussi que ces agents soient en mesure d’apporter une aide d’urgence à ces personnes pour la réalisation de démarches en ligne, notamment dans les mairies, en particulier dans les territoires ruraux qui pâtissent de la fermeture de nombreux points d’accès administratifs.

Deuxièmement, il faudrait diffuser plus largement les bonnes pratiques d’inclusion numérique identifiées dans les territoires, afin que les collectivités territoriales puissent s’en inspirer.

J’en arrive au dernier point de mon propos, qui porte sur les moyens de renforcer l’offre de médiation numérique dans les territoires.

Dans le cadre de la consultation en ligne, 52 % des répondants ont indiqué ne pas disposer d’une offre de médiation numérique sur le territoire de leur commune ou à proximité. Plus inquiétant encore, 81 % d’entre eux ont indiqué ne pas disposer sur leur territoire d’une offre de médiation numérique en itinérance, alors qu’il s’agit d’une innovation très intéressante pour les territoires ruraux. Près d’un quart des participants ont indiqué que l’insuffisance de moyens financiers était le principal obstacle à l’élaboration d’une politique d’inclusion numérique sur leur territoire.

La dotation d’équipement des territoires ruraux (DETR) constituerait un outil adapté pour financer plus largement des équipements destinés à l’accompagnement numérique des habitants au sein des communes et des EPCI de la ruralité. Or, sur les 20 000 projets financés par cette dotation en 2020, moins de 500 concernaient des équipements numériques et tous n’étaient pas liés à l’élaboration d’un service de médiation numérique.

Je souhaite donc que les commissions départementales intègrent l’inclusion numérique parmi les catégories d’actions prioritaires de la DETR.

Je propose également que le financement par l’État des 4 000 conseillers numériques France Services soit pérennisé au moins jusqu’en 2025 et que leur nombre soit augmenté si besoin est.

Enfin, je me suis penchée sur le pass numérique, dispositif qui est au cœur de la stratégie nationale pour un numérique inclusif et qui est censé permettre aux personnes en difficulté numérique d’accéder à une formation gratuite. De l’avis de la Cour des comptes et de nombreux acteurs, cet outil produit des résultats peu convaincants : moins de 600 000 pass ont été déployés depuis 2019, alors que le Gouvernement avait fixé pour objectif d’en déployer plus d’un million. Plusieurs facteurs sont invoqués pour expliquer ce chiffre, parmi lesquels la complexité de la procédure d’achat, l’insuffisance de l’offre de lieux de médiation numérique, ou encore la durée de validité du pass, limitée à un an, et sa valeur insuffisante. En outre, on observe une forte déperdition entre l’achat du pass par la collectivité, sa distribution et son utilisation par l’usager, notamment du fait de l’insuffisance des relations entre les multiples acteurs de cette chaîne de distribution.

Je préconise, à court terme, de consolider cet outil afin de tenter d’intensifier son déploiement, notamment en simplifiant la procédure de commande et en encourageant l’institution d’une véritable chaîne de distribution des pass. À plus long terme, il me semble indispensable d’évaluer l’efficacité et la pertinence de ce dispositif afin, si cela se révèle nécessaire, de le recalibrer ou d’envisager l’élaboration d’un outil plus opérationnel.

Tels sont, mes chers collègues, mes principaux constats et l’essentiel des recommandations contenues dans mon rapport.

M. Jean-François Longeot, président. – Merci pour ces constatations et ces préconisations. Le volet DETR peut être intéressant, il faudra le faire entendre dans chaque département.

Mme Martine Filleul. – Merci à notre rapporteure pour la qualité de son travail et de ses propositions. Mon groupe partage ces éléments de diagnostic quant au manque de connaissances sur l’illectronisme et à l’éparpillement des initiatives et des intervenants, ce qui brouille la lisibilité de la stratégie et empêche certains de nos concitoyens d’avoir accès aux dispositifs mis en œuvre. La stratégie bottom up de l’État empêche d’atteindre les personnes les plus concernées. Nous partageons aussi son constat sur l’insuffisance des moyens consacrés à la lutte contre l’illectronisme, alors même que la numérisation s’accélère : l’État n’est pas au rendez-vous pour la mise en place d’alternatives humaines ou téléphoniques lors de chaque numérisation d’un service public. Nombreux sont ceux de nos concitoyens qui n’ont plus accès à leurs droits et ne se sentent plus partie prenante de la République. C’est gravissime : le Défenseur des droits avait parlé de rupture d’égalité.

Mon groupe ajouterait quelques suggestions à ce rapport déjà fort pertinent. La première serait de faire de la lutte contre l’illectronisme une grande cause nationale, dotée de moyens substantiels ; l’école devrait en être partie prenante, elle est l’interlocuteur nécessaire pour ne pas reproduire des générations d’éloignés du numérique.

Nous estimons ensuite que le département pourrait être le chef de file, ou d’orchestre, de la lutte contre l’illectronisme, en tant que collectivité chargée de la solidarité. Son périmètre raisonnable lui permet de conserver le lien avec toutes les communes et les associations, de rassembler et coordonner les efforts, voire de lancer des initiatives dans les territoires laissés vacants. L’Assemblée des départements de France en convient, d’autant que de nombreux départements travaillent déjà en ce sens.

Enfin, notre troisième suggestion porte sur la démarche d’« aller vers ». Bien des initiatives sont offertes dans des lieux, des centres sociaux, où les plus éloignés du numérique ne se rendent jamais ; il faut donc faire appel à des acteurs comme les auxiliaires de vie, mais aussi La Poste, qui a une présence extraordinaire au travers de ses agences et des facteurs.

M. Éric Gold. – J’adresse mes félicitations à notre rapporteure. Je retrouve dans son travail certains éléments déjà mentionnés dans le rapport d’information de Raymond Vall sur l’illectronisme. L’un des enjeux principaux est de passer d’une logique de 100 % numérique à une logique de 100 % accessible. Installer la fibre sur tous les territoires est une solution ; il faut faire attention aux alternatives qui seraient accolées au réseau cuivre, dont la disparition est envisagée dès 2030. Pour une meilleure inclusion, il faut un débit suffisant, du matériel renouvelé régulièrement et une formation continue. Si même un seul de ces facteurs est défaillant, l’accès des citoyens à leurs droits est menacé.

Dès lors, pourrait-on envisager le financement par la DETR de la connexion des particuliers et de leur matériel ? Il faut également songer à développer la formation au numérique tout au long de la vie, car on est tous frappés d’illectronisme à un moment ou à un autre ; la formation dans le milieu professionnel ne doit pas être négligée.

M. Michel Dennemont. – Je suis satisfait du déploiement intégral de la fibre dans mon département. En revanche, je souhaite attirer l’attention sur les problèmes relatifs aux déclarations d’impôts en ligne, que de nombreuses personnes ne savent pas faire. Or, du moins quand j’étais maire, le code confidentiel requis pour ces déclarations ne pouvait pas légalement être partagé, ce qui posait des difficultés aux collectivités voulant aider ces personnes. Une solution a-t-elle été trouvée ?

Mme Patricia Demas, rapporteure. – Nous sommes tous d’accord pour faire de la lutte contre l’illectronisme une cause nationale. Cette mission d’information devait rester dans un cadre d’investigation et de propositions, il était donc difficile d’aborder tous les sujets liés à l’exclusion numérique. Il faut faire de ce combat l’une des premières causes nationales, notamment dans l’enseignement.

Quant à faire du département le chef de file en la matière, l’idée m’a certes « titillée », ce serait sans doute le plus facile. Or, au fil des auditions, il s’avère que le département est certes le chef de file naturel dans les zones rurales, mais beaucoup moins dans les zones urbaines, où les EPCI et les centres communaux d’action sociale (CCAS) jouent un rôle bien plus important. Il convient de se fonder sur les caractéristiques de chaque territoire pour ne pas casser les dynamiques locales. Il faut aussi prendre en considération tous les acteurs, publics, privés et associatifs. C’est ce que je propose de faire dans les commissions territoriales de l’inclusion numérique, pour ne pas oublier les volets économiques et culturels de cette action.

Quant à l’« aller vers », nous sommes d’accord. Pour apporter des réponses aux Français, La Poste est un maillon indispensable. J’évoque aussi dans mon rapport les aides à domicile, auxquelles on pourrait délivrer une certification « Aidants Connect ». Il faut aussi offrir une formation aux agents des collectivités territoriales, notamment aux secrétaires de mairie.

Concernant l’accessibilité, des alternatives peuvent être offertes pour une connexion internet dans les endroits les plus difficiles ; c’est tout l’intérêt du guichet « cohésion numérique des territoires ». Ce guichet reste trop peu connu. Je recommande aussi une boîte à outils lisible sur les sites des préfectures.

Quant aux déclarations d’impôts, la certification « Aidants Connect » vise justement à résoudre ces problèmes. Je propose de développer cette certification auprès d’acteurs de proximité.

M. Bruno Belin. – Il est essentiel de déterminer qui fait quoi. Avec Gilbert Favreau, nous avions créé un syndicat commun, « Poitou numérique », pour développer la fibre sur nos territoires. Il avait fallu mettre près de 300 millions d’euros sur la table, à destination avant tout des opérateurs. Ceux qui gagnent autant d’argent au bout ne peuvent-ils pas s’impliquer davantage ? Orange fait de très bonnes affaires. Contractuellement, ne peut-on pas imposer aux opérateurs d’aller faire le boulot qui va leur fournir des abonnements ? Certains opérateurs publics ou parapublics comme La Poste offrent bien un accompagnement.

Nous avons aussi remarqué que c’était parfois plus simple pour les EPCI que pour les départements d’agir en la matière : il faut y aller au cas par cas.

Quant au suivi dans les maisons France Services, l’État avait pris beaucoup d’engagements. Où en est-on ? Ce sont toujours les communes qui paient ! Pour l’accompagnement des usagers, rappelons que les secrétaires de mairie ne travaillent que rarement à temps plein dans les zones rurales et sont déjà surchargés de travail. Les opérateurs et l’État doivent prendre leur part de l’effort.

Mme Patricia Demas, rapporteure. – La recherche de sources de financement pérennes est bien sûr cruciale : tous les acteurs, publics ou privés, doivent être mis autour de la table pour financer l’inclusion numérique sur le long terme.

Concernant les maisons France Services, je recommande de refonder la stratégie nationale, qui remonte à 2018 et n’a fait l’objet d’aucun feedback.

Quant à l’« aller vers », je préconise la mise en place d’un numéro vert, car la dématérialisation des services n’est pas une fin en soi : il faut maintenir l’accessibilité des droits à tout Français, où qu’il habite.

Mme Angèle Préville. – Si l’on ne choisit pas un chef de file, quelle assurance avons-nous que tous les territoires seront accompagnés et qu’il n’y aura pas de trous dans la raquette ?

Mme Patricia Demas, rapporteure. – Je propose un chef de file à la carte, car il me semble inopportun d’imposer le même à tous les territoires. Les auditions ont montré qu’il existe des chefs de file naturels qui varient en fonction des zones : plutôt les départements en zone rurale, plutôt les EPCI en zone urbaine. Il faut travailler de manière transversale et de manière souple, en encourageant les dynamiques locales.

Mme Angèle Préville. – Mais est-on sûr qu’aucun territoire ne sera oublié ?

Mme Patricia Demas, rapporteure. – C’est avant tout une question de volonté politique. Il y a des territoires où les élus en ont plus que dans d’autres.

M. Didier Mandelli. – Certains élus, même si on les désignait chefs de file, n’assumeraient pas ce rôle dans les faits. Tous les acteurs de l’inclusion numérique ne sont d’ailleurs pas des collectivités : il y a beaucoup d’associations, des CCAS… Il serait compliqué aujourd’hui de désigner une seule institution. Ce qui importe est d’être le plus efficient possible, au plus proche des besoins des exclus du numérique, en accompagnant tous les acteurs.

Mme Marta de Cidrac. – Je félicite à mon tour notre rapporteure pour ce travail fort intéressant. L’illectronisme est parfois dû à une mauvaise connexion, voire à l’impossibilité de se connecter. Pour résorber ce problème, l’adressage physique joue un rôle important. La Poste dispose d’un quasi-monopole en la matière, ce qui lui permet d’offrir de nombreux services. Le partage de ces données avec les collectivités compétentes est-il envisagé ? Dans quelle mesure la puissance publique peut-elle aujourd’hui accéder à l’ensemble de nos concitoyens ?

Mme Évelyne Perrot. – Dans mon département, les maisons France Services fonctionnent bien quand les EPCI sont volontaires et que les maires assurent correctement le relais.

Mme Laurence Muller-Bronn. – Merci à notre rapporteure pour ce rapport très clair et intéressant. M. Belin a suggéré que les opérateurs participent au financement de la mise en réseau des territoires. En Alsace, la région et les départements ont lancé une grande opération et se sont adressés à Orange pour couvrir notre canton : cet opérateur finance les installations dans les zones rurales, rien ne reste à la charge de notre communauté de communes. De tels accords existent !

M. Jean-François Longeot, président. – Tous les territoires ne sont pas égaux en la matière…

Mme Patricia Demas, rapporteure. – L’inclusion numérique dépend aussi de la volonté politique des élus locaux dans chaque territoire.

L’ANCT a lancé un programme sur le sujet de l’adressage en 2020, avec une base de données actuellement en construction.

Je reconnais les disparités, voire les inégalités entre territoires quant au déploiement de la fibre. Pour réduire la fracture numérique, les réseaux d’initiative publique ont déjà joué un rôle important.

La commission adopte les propositions et autorise la publication du rapport d’information.

M. Jean-François Longeot, président. – Nous examinons maintenant les travaux menés par notre collègue Bruno Rojouan dans le but de réduire les profondes inégalités territoriales d’accès aux soins. La désertification médicale est le deuxième sujet de préoccupation des Français, selon l’IFOP.

Bruno Rojouan nous présentera le fruit de ses réflexions, qui articulent solutions de court terme, incitations à l’installation dans les zones sous-dotées, renforcement des capacités de formation des universités et système de régulation corrective pour des installations de professionnels de santé plus conformes aux besoins des territoires.

Les chiffres suffisent à dresser un constat accablant : 11 % des Français n’ont pas de médecin traitant, les délais d’attente pour accéder à un professionnel de santé augmentent dramatiquement et les trois quarts des bassins de vie font face à un taux d’évolution annuel de la densité de médecins généralistes négatif depuis 2006. C’est dire la complexité des parcours de soins de certains patients et le sentiment d’abandon parfois ressenti dans les territoires.

Notre commission a abordé à deux reprises ce sujet, en 2013, avec notre collègue Hervé Maurey, puis en 2020, avec Hervé Maurey et moi-même, pour proposer des mesures courageuses visant à contrer la désertification médicale. Nous remettons le métier sur l’ouvrage, car la situation ne s’améliore pas. Le pire est même devant nous en termes de démographie médicale et d’inégalités d’accès aux soins ; il faut aujourd’hui imaginer de nouvelles solutions, lever certains tabous et investir pour la santé dans les territoires, en associant plus étroitement les élus locaux, les professionnels de santé et les services de l’État responsables de la politique de santé.

La mission d’information sur les perspectives pour l’aménagement du territoire et la cohésion territoriale a souhaité aborder ce sujet de manière pragmatique, en mobilisant des mesures et des solutions plébiscitées par les acteurs ou ayant fait leurs preuves dans d’autres pays. La démographie médicale actuelle est inadmissible : tout doit être mis en œuvre pour que les Français, où qu’ils résident, puissent avoir accès à des soins de qualité dans des délais raisonnables. C’est une question d’équité territoriale.

Notre rapporteur a réalisé un important travail d’auditions, avec plus de quarante personnes entendues, et a échangé avec un échantillon représentatif de l’écosystème de santé de ville, ce qui contribue à la pertinence de son approche et de ses recommandations.

Sur le fondement de ce travail, il nous soumet 32 propositions concrètes et opérationnelles, visant à libérer du temps médical dans les territoires et à promouvoir l’exercice et l’installation dans les zones sous-denses, en ayant à chaque fois comme objectif prioritaire la réduction des fractures médicales.

M. Bruno Rojouan, rapporteur. – J’ai le plaisir de vous présenter aujourd’hui mon premier travail de rapporteur, consacré au renforcement de l’accès territorial aux soins. Après avoir procédé à l’audition de plus de quarante personnes, j’ai acquis la conviction qu’il est urgent d’agir pour mettre fin à une démographie médicale profondément injuste, qui prive certains de nos concitoyens de médecin traitant, les contraint à renoncer aux soins et à attendre plus longtemps pour accéder à un spécialiste.

Aujourd’hui, selon l’endroit où l’on habite en France, on n’est pas soigné de la même façon. C’est inacceptable dans un pays dont le pacte républicain est fondé sur l’égalité. La protection de la santé s’est progressivement affirmée comme un objectif de valeur constitutionnelle et le chapitre liminaire du code de la santé publique garantit « l’égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé ». Cette promesse républicaine n’est pas tenue. Si l’on veut redonner confiance aux Français dans les institutions, il faut que les principes posés par le constituant et le législateur soient une réalité vécue par tous.

Pour commencer, afin que chacun puisse mesurer l’ampleur de la problématique, j’évoquerai quelques données éloquentes. Au moins 1,6 million de Français renoncent chaque année à des soins médicaux, dont 51 % pour des raisons liées à l’insuffisance de la démographie médicale. Pour les Français les plus éloignés des soins, les délais d’attente dépassent les 104 jours pour accéder à un cardiologue, 126 jours pour un dermatologue et 189 jours pour un ophtalmologiste. Enfin, 11 % des patients âgés de 17 ans et plus n’ont pas de médecin traitant, soit plus de 6 millions de Français.

Ces facteurs entraînent des retards de prise en charge des patients et de leurs pathologies et sont susceptibles d’entraîner, dans les cas les plus graves, des pertes de chances. C’est tout bonnement inacceptable. Or, selon les projections effectuées par la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES), le nombre de médecins généralistes diminuera jusqu’en 2024 et l’on ne reviendra au niveau actuel qu’en 2030. En outre, les évolutions démographiques – augmentation et vieillissement de la population – entraîneront une hausse des besoins de soins. Autrement dit, à législation constante, si nous ne faisons rien, le pire est devant nous en termes de densité médicale ! Une décennie noire pour l’accès aux soins vient de s’ouvrir.

Ces constats nous obligent ; la sévérité du numerus clausus, même s’il est désormais desserré, et la liberté d’installation des médecins ont conduit à la raréfaction du temps médical et à sa mauvaise répartition territoriale. C’est une ressource précieuse, qui doit être utilisée avec discernement. Le temps que les médecins consacrent au quotidien aux tâches administratives doit être limité, afin qu’ils aient plus de temps pour soigner.

J’ai beaucoup écouté les acteurs qui ont eu la bonté de répondre à mon invitation ; j’ai cherché à connaître le ressenti de tous les acteurs du système de santé ; j’ai parcouru la littérature spécialisée sur le sujet, cherché à comprendre les mesures qui ont fonctionné dans d’autres pays et la raison des échecs de celles qui n’ont pas produit les effets escomptés. De cet exercice au long cours, j’ai acquis la conviction qu’il n’existe pas, malheureusement, de solution miracle et qu’aucune mesure isolée ne saurait être suffisante ou efficace : seul un ensemble de mesures coordonnées permettra d’améliorer, de manière pérenne, l’accès aux soins. C’est la raison pour laquelle je propose une combinaison de mesures d’équilibrage territorial de l’offre de soins, libératrices de temps médical et de formation des professionnels de santé, en conférant des leviers d’action plus opérationnels à un niveau déconcentré plus fin et en associant les collectivités territoriales.

Les aides à l’installation ont montré leurs limites. Elles n’ont d’ailleurs pas été évaluées, si bien que nous ne savons pas réellement quelles sont celles qui fonctionnent et celles qui ont été inutiles. Je plaide pour que l’on puisse disposer d’études afin d’apprécier à un niveau global leurs effets et de pouvoir disposer d’un guide de bonnes pratiques et des mesures à éviter parce qu’inefficientes.

J’ai perçu au cours des auditions que les mentalités avaient évolué : la régulation n’est plus taboue, la coercition est parfois ouvertement envisagée par certains, tant les élus locaux sont désemparés face aux attentes médicales fortes de leurs populations. Ma philosophie s’est voulue modérée, afin de limiter les effets pervers et désincitatifs des mesures contraignantes : c’est pourquoi j’ai souhaité que la liberté reste la règle et les solutions de régulation l’exception, quand aucun autre moyen ne m’a semblé opératoire pour répondre aux nécessités pressantes induites par les inégalités territoriales d’accès aux soins.

Dans un premier temps, il m’a paru nécessaire de faire face à l’urgence en matière de démographie médicale en optimisant le temps médical disponible au bénéfice des patients. Une étude du Conseil national de l’Ordre des médecins montre que les médecins considèrent « que le temps médical, sous toutes ses facettes, est cannibalisé par le poids du temps administratif ». On estime que ce temps représente, selon les praticiens, entre 10 % et 30 % de leur temps de travail. Il s’agit là d’un gaspillage de temps médical utile. Pour éviter cela, je préconise d’accompagner de manière plus volontariste la montée en puissance des assistants médicaux, que l’on pourrait d’ailleurs appeler des assistants administratifs, car ils n’ont quasiment pas de rôle médical. Ils déchargent les médecins du temps administratif, assurent de meilleures conditions d’exercice et favorisent l’accès aux soins des patients, tout en augmentant la file active des patients. En repositionnant le médecin au centre de sa relation avec le patient, l’assistant médical permet une meilleure organisation du temps médical.

Le déploiement de ces assistants, qui sont au nombre de 2 800 aujourd’hui et réservés aux seuls praticiens exerçant de manière coordonnée, pourrait être bien plus massif. Une telle solution serait rapide à mettre en œuvre, la formation des assistants médicaux étant de courte durée, d’un an environ. On pourrait fixer l’objectif d’atteindre 10 000 assistants médicaux d’ici à deux ans. En outre, il est souhaitable de permettre le recrutement d’un assistant médical par un ou plusieurs médecins dans les zones sous-denses en levant la condition d’exercice conjoint ou coordonné et d’accompagner financièrement l’aménagement du cabinet afin de permettre d’accueillir l’assistant dans de bonnes conditions. Une telle mesure produirait des effets dans une temporalité rapide.

Il me paraît essentiel de fluidifier la répartition des tâches entre professions de santé et professions paramédicales, en encourageant le développement de la pratique avancée, notamment des infirmiers, afin de leur permettre d’exercer des missions et des compétences plus étendues, jusque-là dévolues aux seuls médecins. Les infirmiers permettent de rapprocher les soins des territoires, grâce à des extensions de compétences au profit de professionnels mieux répartis. Les médecins ne se retrouvent ainsi plus seuls, sans confrère, pour organiser les parcours de soins et assurer la continuité des soins.

Je recommande la création du statut d’infirmier en pratiques avancées praticien, comme l’a proposé l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport au mois de janvier dernier, ainsi que des mesures adéquates de revalorisation et de financement. Ces mesures de coopération renforcée ont démontré leur efficacité et leur pertinence, à l’instar du dispositif des infirmiers Asalée, pour Actions de santé libérale en équipe. L’évaluation de ce dispositif a montré un net gain de temps médical.

De même, différentes mesures permettant au médecin de consacrer du temps de qualité à ses patients sont envisageables : permettre aux pharmaciens de renouveler les prescriptions périmées dès lors qu’un diagnostic a été posé et d’accéder à la dispensation sous protocole, c’est-à-dire à la délivrance de médicaments de prescription médicale obligatoire sans présentation d’une ordonnance ; expérimenter l’accès direct aux masseurs-kinésithérapeutes et orthophonistes pour économiser une partie du temps médical consacré à l’orientation des patients dans le parcours de soins. Il s’agit ici, en bonne intelligence, de veiller à la bonne division du travail médical entre professionnels afin de décongestionner le temps médical, qui pourrait être en toute sécurité pris en charge par d’autres professionnels. Le médecin resterait le point d’entrée principal, mais il est nécessaire de déléguer à d’autres professionnels la réalisation de certains gestes médicaux, afin de ne pas faire peser la charge des soins de ville sur les seuls médecins, dont les journées sont déjà bien chargées.

D’autres mesures temporaires permettraient d’éviter une baisse du temps médical disponible du fait d’un nombre de départs à la retraite plus grand que le nombre de médecins formés prêts à exercer dans les territoires : ainsi le cumul emploi-retraite doit être facilité et rendu beaucoup plus incitatif dans les zones sous-denses. Pour ce faire, les médecins concernés doivent être exonérés des cotisations retraite dans la mesure où ils n’acquièrent pas de droits nouveaux à pension. Il semble également opportun de relever les honoraires de consultation du médecin généraliste de 25 à 30 euros, sans augmentation du reste à charge pour les patients. La valeur de l’acte médical en France est l’un des plus bas d’Europe. Il convient donc de mieux valoriser l’expertise de l’acte médical, d’autant plus si les délégations de tâches sont plus nombreuses, les consultations potentiellement plus longues et moins nombreuses. Cette mesure contribuerait en outre à garantir l’attractivité du métier de médecin, dont le Conseil national de l’Ordre des médecins dit que c’est « une vocation de plus en plus lourde à porter ».

Il convient également de soutenir le déploiement de la télémédecine, qui facilite l’accès aux soins des populations résidant dans les territoires sous-dotés. Je tiens à préciser qu’il ne me paraît pas opportun que les téléconsultations deviennent l’unique voie d’entrée dans le parcours de santé, afin que ne se développe pas une médecine à deux vitesses. La crise sanitaire m’a cependant fait évoluer sur ce point : les solutions numériques en santé ont permis d’accompagner la continuité des soins tout en limitant les contacts humains, afin d’enrayer la progression du virus. Aujourd’hui, 71 % des médecins s’y sont mis, au moins une fois, et les patients leur ont emboîté le pas. On dénombre ainsi environ un million de téléconsultations par mois.

Dans ce contexte, il me semble souhaitable d’encourager le déploiement de bornes de téléconsultation en zones sous-denses et un accompagnement par un infirmier libéral ou un professionnel de santé. Il faut surtout assouplir les règles de prise en charge des téléconsultations par l’assurance maladie, en garantissant leur remboursement sans condition pour les patients résidant en zones sous-denses. Pour que la téléconsultation produise ses pleins effets, il convient également de soutenir le déploiement de la fibre et du haut débit afin que des patients ne soient pas privés de ces prises en charge. À cet égard, j’encourage la mise en œuvre des propositions de ma collègue Patricia Demas sur l’inclusion numérique, qui peut favoriser l’inclusion sanitaire.

J’évoquerai à présent les mesures visant à promouvoir et à faciliter l’installation et l’exercice dans les zones sous-denses. Il convient d’être plus volontariste pour les territoires à la démographie médicale la plus préoccupante, où l’accès aux professionnels de santé est insuffisant et où les habitants rencontrent les difficultés les plus grandes pour le bon déroulement de leurs parcours de soins.

Un double zonage a été élaboré pour définir ces territoires : les zones d’intervention prioritaire (ZIP) et les zones d’action complémentaire (ZAC). Un arrêté ministériel d’octobre 2021 a procédé à la mise à jour de ces zonages : la population située en ZIP est passée de 18 % à plus de 30 %. Autrement dit, près d’un tiers des Français résident dans un désert médical ! La DREES a développé un indicateur pour saisir les inégalités territoriales, l’accessibilité potentielle localisée (APL), pour tenir compte de la proximité, de la disponibilité des médecins généralistes et des besoins de la population selon l’âge. Mais du fait de la multiplicité des indicateurs et du caractère multifactoriel des inégalités d’accès aux soins, il est aujourd’hui malaisé de cerner précisément les difficultés et de décliner des objectifs pertinents d’accessibilité dans chaque territoire. Je propose donc l’instauration d’un conseil national d’orientation de l’accès territorial aux soins et la mise en œuvre de commissions départementales de la démographie médicale.

Les médecins sont quasiment les seuls professionnels de santé à disposer d’une entière liberté d’installation. Il me paraît souhaitable d’adapter cette liberté de manière temporaire, le temps que les inégalités territoriales les plus criantes soient résorbées : c’est pourquoi je propose de conditionner l’installation dans les zones sur-dotées à la cessation d’activité d’un médecin exerçant la même spécialité afin de favoriser une meilleure répartition territoriale. De même, il me semble essentiel d’instaurer un conventionnement sélectif temporaire pour rééquilibrer les installations dans les territoires sous-dotés. En écoutant les étudiants, les professionnels de santé et les élus locaux, une idée m’est venue : les collectivités territoriales pourraient instaurer des guichets uniques à destination des étudiants en santé et des praticiens à la recherche les uns d’un terrain de stage, les autres d’un lieu d’installation, afin de leur offrir un accompagnement humain et de faire la promotion de leur territoire. Cela se fait dans certains départements, dans d’autres pas du tout.

Sur ce point, il me paraît fondamental d’augmenter le nombre de terrains de stage dans les zones sous-denses en levant les freins à leur attractivité. Je vois plusieurs mesures pour répondre à cette exigence : accroître l’incitation financière à devenir maître de stage, particulièrement dans les zones d’intervention prioritaire, en facilitant les formations à la maîtrise de stage et en bonifiant les honoraires pédagogiques de 30 %. Plusieurs études convergent sur ce point : le stage est un canal privilégié pour favoriser la découverte des territoires et les futures installations.

Il convient également d’accompagner les étudiants en leur octroyant des indemnités de transport mieux conçues. Aujourd’hui, elles s’élèvent à 130 euros brut par mois dès lors que le terrain de stage est situé à plus de 15 kilomètres et ce quelle que soit la distance parcourue. En outre, elles n’ont pas été revalorisées depuis 2014. C’est une source de blocage très puissant, qui empêche une bonne irrigation territoriale des étudiants en médecine. Il me paraît indispensable de procéder à la barémisation de cette indemnité et de la revaloriser annuellement pour tenir compte de l’évolution du coût de la mobilité et du prix des carburants. Une réflexion doit être menée pour examiner la possibilité d’ouvrir cette indemnité de transport aux étudiants en maïeutique (les sages-femmes), en pharmacie et en kinésithérapie. Dans les terrains éloignés du lieu de résidence et de formation, il faut encourager le développement des internats ruraux par les collectivités territoriales, lesquelles pourraient recevoir une dotation de lutte contre la désertification médicale pour faire face à ces nouvelles dépenses.

L’imagination est le maître mot pour lutter contre la désertification médicale. Plusieurs mesures novatrices pourraient être expérimentées, à l’instar d’une offre de soins itinérante dans les territoires ruraux, sous la forme d’un bus santé – cela a bien fonctionné pour la vaccination contre le covid –, de la mise en place d’un moratoire sur les fermetures de pharmacies pour éviter que ne se créent des déserts pharmaceutiques, de la défiscalisation des permanences de soins dans les zones sous-dotées, de la majoration des droits à retraite au terme de trois ou cinq ans d’exercice dans une zone d’intervention prioritaire et de la simplification des modalités de création des structures de coopération médicale. Les crises doivent être le creuset de solutions ambitieuses, mais simples.

J’en viens enfin aux solutions de plus long terme, afin d’accroître les capacités de formation des universités et des instituts de formation. Sur le temps long, ce sont les capacités de formation qui constituent le levier principal des politiques d’offre de soins, mais elles ne produisent leur effet qu’au terme d’un délai équivalent à la durée des études concernées, de cinq à dix ans. Le desserrement du numerus clausus à la rentrée 2020-2021, devenu numerus apertus, ne peut produire pleinement ses effets tant que les capacités de formation des universités sont contraintes. Il faut former plus d’étudiants, ce qui suppose des postes d’enseignants supplémentaires et des aménagements dans les facultés de médecine et des autres cursus pour accueillir ces nouveaux contingents.

Le cursus de formation pourrait être modifié pour tenir compte des inégalités territoriales : on pourrait ainsi créer une quatrième année de médecine professionnalisante, qui permettrait d’envoyer 3 900 médecins juniors en priorité absolue dans les zones sous-denses. Il me paraît opportun d’accroître le nombre d’étudiants en médecine en portant de 40 % à 50 % le nombre de places dans cette spécialité lors des épreuves de fin de deuxième cycle des études de médecine. Il est également de bonne pratique de rehausser le nombre de places à l’internat dans les spécialités les plus attractives dans les régions ayant plus de difficultés à attirer et d’envisager la possibilité que le cursus de masso-kinésithérapie soit universitaire pour lever les lourdes contraintes financières pesant sur le choix de ce cursus. De même, il serait de bonne pratique d’intégrer une formation à l’exercice libéral pendant les études médicales, pour éviter la fameuse peur de l’installation de certains jeunes praticiens. Il me paraît également nécessaire de diversifier l’origine sociale et géographique des étudiants en médecine pour favoriser des installations territoriales mieux réparties.

L’instauration de bourses pour les étudiants issus de zones sous-dotées est une formule à explorer : cette mesure, qui produit les effets les plus puissants à long terme, a fait ses preuves dans plusieurs pays. Un médecin qui s’installe dans un secteur sous-doté est lui-même souvent issu d’un tel territoire. Je connais la réticence de certains de mes collègues concernant les mesures de discrimination positive, mais c’est un pari qui s’appuie sur la littérature scientifique comparée, que m’ont encouragé à prendre les associations étudiantes que j’ai entendues. Je pense ici à la formule analogue mise en œuvre à l’Institut d’études politiques de Paris, dans le cadre des conventions d’éducation prioritaire.

Enfin, et c’est à mes yeux crucial, il faut déconcentrer les processus de décision en matière d’offre de soins libérale. Aujourd’hui, personne n’est responsable de la mauvaise répartition territoriale de l’offre de soins alors que plus d’un Français sur trois, voire bien plus, en pâtit. Tout le monde se renvoie la balle : l’absence de mécanismes correctifs et d’instance responsable de ces inégalités contribue au maintien des inégalités territoriales et au défaut de réponse rapide pour y remédier, tout en favorisant les corporatismes. Cela ne peut plus durer.

Il faut réaffirmer la mission de service public du système de santé, rappeler la nécessité de mettre en œuvre des mécanismes correctifs en faveur de l’équité territoriale en santé et développer la notion de responsabilité populationnelle territoriale. De même, il est impératif de mieux associer les élus locaux à l’organisation de la proximité des soins, dans une logique de subsidiarité et de connaissance territoriale plus fine, de renforcer la place des maires au sein de la gouvernance des hôpitaux et d’aller plus loin que ce qu’a permis la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l’action publique locale (3DS) en renforçant les moyens alloués aux délégations départementales des agences régionales de santé en leur déléguant des compétences décisionnaires à l’échelon territorial.

Telle est la situation inquiétante qui nous attend en termes d’inégalités d’accès aux soins si nous ne faisons rien et si nous ne mettons pas en œuvre un bouquet de mesures pour tenter d’y remédier. Le bon accès aux soins de nos concitoyens nous oblige à être ambitieux et volontaristes ; il faut répondre à cette urgence pressante. La crise nous a montré la faiblesse de notre système hospitalier, mais aussi la résilience de notre médecine de ville. Changeons d’approche et cessons de ne penser qu’à l’hôpital. Il est en effet ici question de l’égalité qui figure au sommet de notre pacte républicain, de la santé de la population et de l’attractivité de nos territoires. Répondons aux espoirs que les Français éloignés des soins placent dans la représentation nationale et faisons en sorte que cette décennie ne soit pas perdue !

M. Bruno Belin. – Je félicite le rapporteur pour son travail et son rapport sur ce sujet.

En ce qui concerne les téléconsultations, il faut avoir conscience qu’il existe une double peine : là où elle n’est pas possible, c’est non seulement parce qu’il n’y a pas de médecins, mais également parce qu’il n’y a pas de fibre ! En outre, les conventions de la Caisse primaire d’assurance maladie prévoient que les téléconsultations ne sont prises en charge que si elles ont lieu le 29 février, s’il y a de la neige et si le patient est en train de mourir… Elles ne rendent pas possible l’accès à un spécialiste. Évidemment, il faut qu’un professionnel de santé soit présent sur le lieu d’implantation afin d’accompagner, voire d’assister le patient.

Il faut évidemment revaloriser le tarif de la consultation des généralistes. Je rappelle que les plombiers de SOS Plombiers sont mieux payés que les médecins de SOS Médecins.

Les médecins âgés aujourd’hui de 67 ou 68 ans vont bientôt partir, car ils sont usés. Or il faut absolument conserver ces médecins expérimentés et flécher les assistants médicaux sur ces professionnels en premier lieu. Surtout, il faut absolument promouvoir des formations accélérées, car il est urgent de recruter.

Enfin, le numerus apertus est une supercherie : chaque université fixe le nombre d’étudiants qu’elle accueille, en fonction de ses moyens humains et de ses locaux. Les riches font des riches, les pauvres font des morts !

M. Michel Dennemont. – À titre personnel, ayant été infirmier à domicile pendant quarante-huit ans, je regrette que vous n’évoquiez dans votre rapport que les médecins et non toute la chaîne de soins.

Mme Évelyne Perrot. – Connaît-on le taux de femmes et d’hommes chez les étudiants en médecine, sachant que cette profession s’est énormément féminisée ?

Dans mon département, nous avons créé une maison d’accueil pour étudiants en médecine, avec des maîtres de stage des universités. Pour autant, les étudiants ne restent pas. Ils repartent dans la ville où ils ont fait leurs études. Il va falloir trouver une autre solution pour les retenir sur place.

M. Joël Bigot. – Je remercie le rapporteur pour la qualité de son travail et son exhaustivité.

Vous proposez aujourd’hui des mesures de discrimination positives en faveur des jeunes originaires des zones sous-denses. Or un jeune de 18 ans entre seul à l’université, mais en ressort douze ans plus tard dans une situation différente : il est parfois accompagné, sans possibilité de s’installer dans les zones sous-denses. Il faudra surveiller l’efficacité d’une telle mesure.

Quelles sont les différences entre les ZIP et les ZAC ?

Quid de la proposition votée par les deux chambres prévoyant que les jeunes médecins doivent effectuer leur dernière année de médecine dans des zones sous-denses ? Nous attendons toujours la publication du décret.

Enfin, quel est selon vous l’échelon le plus pertinent pour combattre la désertification médicale ?

Le rapport nous paraît de bonne facture, bien équilibré, ouvert. C’est pourquoi nous le voterons.

M. Gérard Lahellec. – Merci, monsieur le rapporteur, pour ce travail exhaustif.

Nous savons que le desserrement du numerus clausus ne produira pas ses effets à court terme. Nous sommes même en droit de nous demander s’il en produira tels que nous les souhaitons un jour !

Mon département, les Côtes-d’Armor, est dans une situation encore plus difficile que les autres départements bretons. Cette situation accroît le manque d’attractivité du territoire et dissuade de nouveaux praticiens de s’y installer. Une jeune cancérologue que j’interrogeais sur l’attractivité de son métier m’a répondu : « Vous savez, quand on passe plus de douze heures par jour au boulot, l’attractivité tient aux conditions de travail et d’exercice de son métier. » On gagnerait donc sûrement à renforcer l’attractivité de toute la chaîne médicale.

M. Jean Bacci. – À mon tour, je félicite le rapporteur pour son rapport. Nous nous reconnaissons tous dans les propos qu’il a tenus.

Permettez-moi de vous faire part de l’expérience qui a été menée il y a treize ans dans mon territoire du Var, laquelle a été un fiasco. Les médecins n’assurant plus la permanence des soins le soir et les week-ends, nous avons mis en place une cabine de téléconsultation, en relation avec une maison médicale. Les médecins locaux et le SAMU y ont vu une concurrence déloyale. Le SAMU n’y envoyait personne ! Peut-être étions-nous trop en avance…

Mme Marie-Claude Varaillas. – À qui incombe la charge financière liée aux assistants médicaux ? En Dordogne, malgré la politique très volontariste du département, un nombre très élevé de nos concitoyens n’ont plus aujourd’hui de médecin traitant.

Autre difficulté : les jeunes médecins touchent 2 000 euros pour une garde de vingt-quatre heures. Cela ne les incite pas à s’installer dans le département.

De nombreux professionnels, dans l’éducation nationale par exemple, ne choisissent pas leur affectation. Pourquoi ne pas exiger des étudiants qu’ils exercent quelques années dans les territoires en déficit ? La délégation aux droits de femmes a réalisé une étude sur la situation des femmes dans la ruralité. Treize départements en France n’ont plus de gynécologues médicaux. On en est là ! Je pense donc qu’on se doit de réfléchir à des mesures coercitives.

Mme Angèle Préville. – Je remercie M. le rapporteur et Patricia Demas pour le travail très riche qu’ils ont mené.

Je suis entièrement favorable aux mesures de discrimination positive. Quelle proportion des étudiants en médecine sont fils d’agriculteurs ou d’ouvriers ? Je suis persuadée que cette proportion a beaucoup diminué par rapport à il y a trente ou quarante ans, ce qui pourrait en partie expliquer la désertification médicale. Les enfants d’agriculteurs viendraient plus facilement s’installer dans les territoires ruraux.

Dans ma communauté de communes, nous avons mis en place une formation pour les lycéens afin de les préparer à faire des études de médecine, ainsi que des bourses. Peut-être faut-il mettre en place ailleurs ce genre de dispositif ?

M. Jean-Claude Anglars. – Je remercie M. le rapporteur pour son travail, le diagnostic qu’il pose est bon, ainsi que les ordonnances !

Certaines des mesures évoquées me paraissent fondamentales. Le statut d’infirmier en pratique avancée est un sujet important. Il faut également que les médecins aient accès à un dossier médical partagé. Il faut créer des internats en milieu rural et une quatrième année de médecine générale pour projeter dans les territoires sous-denses 4 000 médecins juniors. Enfin, il faut des maîtres de stage, car, on le sait, ce ne sont pas les aides financières qui favorisent l’installation.

Je suis d’accord sur les zonages : ils ont fait plus de mal que de bien.

Je suis également d’accord sur la création de commissions départementales. On sait comment se décident les choses aujourd’hui : les ARS décident chaque année du nombre de médecins qui seront formés. Or il faut que chaque territoire puisse s’exprimer sur le sujet.

M. Guillaume Chevrollier. – À mon tour, je salue le travail du rapporteur, qui pose un bon diagnostic.

L’accès aux soins est une préoccupation majeure de nos concitoyens. Dans la Mayenne, le conseil départemental a lancé des états généraux de la santé, qui ont abouti aux mêmes conclusions sur le développement des infirmiers en pratique avancée, le recours aux médecins retraités ou les contrats locaux de santé. Les internats doivent également être développés.

Vous n’avez pas abordé dans votre rapport la prévention, qui me semble pourtant être une voie intéressante à explorer, sachant que, selon les cancérologues, 40 % des cancers pourraient être évités.

Mme Christine Herzog. – Je félicite à mon tour le rapporteur pour son travail.

La situation des départements frontaliers n’est pas abordée dans le rapport. En Moselle, dans les communes situées près du Luxembourg, beaucoup de maires se plaignent, car de nombreux médecins quittent les maisons de santé qu’ils ont créées pour exercer au Luxembourg, pour des raisons financières.

Mme Laurence Muller-Bronn. – Je félicite également le rapporteur pour son travail sur ce véritable sujet de société.

Quel sera le profil des assistants médicaux, leur formation, leur niveau, leur rémunération ? De quelle manière pourront-ils assister les médecins ?

Nous manquons d’infirmiers. Où va-t-on en trouver ? Va-t-on déshabiller Paul pour habiller Jacques ?

Nous avons des médecins en Alsace, car ils peuvent se former en Allemagne, où le numerus clausus n’est pas appliqué, puis exercer en France. Cela étant, les équipements manquent. Aujourd’hui, un radiologue veut des IRM, des scanners, etc. De ce point de vue, nous sommes dépendants de l’ARS. Tant qu’on limitera le nombre de ces équipements, on n’améliorera pas l’attractivité des territoires ruraux.

Mme Évelyne Perrot. – Des communes se sont endettées pour construire des maisons de santé, accueillir des médecins étrangers, leur offrir des logements, parfois meublés, mais ces médecins rentrent chez eux au bout de deux ans, avec une manne pour faire construire une maison ! C’est un réel problème, sachant en outre qu’il arrive que ces médecins ne parlent pas du tout le français. Cette solution n’est donc pas la bonne.

M. Jean-François Longeot, président. – Je comprends les maires qui mettent en œuvre ce type de solution, mais cela provoque une concurrence entre communes.

La discrimination positive me paraît importante. On peut multiplier le numerus clausus par dix ou cinquante, mais si on continue à concentrer les médecins au même endroit, on n’améliorera pas la situation.

Il faudra que l’Ordre des médecins comprenne que des efforts doivent être faits, sinon des mesures coercitives devront être prises.

M. Bruno Rojouan, rapporteur. – Beaucoup de maires font l’acquisition de cabines de téléconsultation. Il est toutefois impensable qu’elles soient installées dans une mairie ou dans une maison France Services. En outre, il faut au minimum un professionnel de santé pour l’accueil des patients.

Dans le rapport, nous proposons que les médecins retraités intervenant en zones sous-denses soient exonérés de cotisations retraite. On peut aussi imaginer l’instauration d’un bonus pour les médecins retraités ou les médecins exerçant en zones sur-dotées qui consulteraient une journée ou une demi-journée par semaine dans une commune sous-dotée. Il faut imaginer des formules très souples.

Actuellement, un médecin peut suivre environ un millier de patients. Si l’on instaurait un médecin chef d’équipe, on pourrait passer à 2 500 patients par médecin. Il faut déléguer une partie des responsabilités des médecins à d’autres professionnels, pharmaciens ou infirmiers, et les décharger administrativement, sachant que nous manquerons de médecins dans les cinq ou six ans à venir. Il faut faire avec ce qu’on a !

Actuellement, les assistants médicaux sont payés par la CNAM. Ils sont en général titulaires d’un BTS. Leur temps de formation est donc assez court. L’Allemagne manque également de médecins, mais 100 % du temps du médecin est consacré au patient, grâce aux assistants médicaux.

Mme Laurence Muller-Bronn. – En France, certains médecins n’ont même pas un assistant, ils font tout eux-mêmes. Culturellement, le médecin français travaille seul. Il faut faire évoluer les mentalités, instituer une culture du partage des revenus et des connaissances.

M. Bruno Rojouan, rapporteur. – Les médecins formés aujourd’hui sont aux deux tiers des femmes, ce qui peut expliquer certaines évolutions. En outre, les jeunes disent qu’il ne faut pas compter sur eux pour travailler comme les anciens soixante-dix heures par semaine. Il faudra donc peut-être deux ou trois jeunes médecins pour remplacer un ancien !

Les ZIP sont des zones plus fragiles que les ZAC. À ce titre, les médecins installés dans les premières sont éligibles à un financement plus important.

En moyenne, les médecins étrangers restent six mois en France.

Si nous ne proposons pas d’instaurer une obligation d’installation, c’est parce que nous prévoyons par ailleurs deux mesures assez contraignantes. Nous n’autorisons les installations supplémentaires dans les territoires sur-dotés que lorsque des médecins s’en vont. En outre, il va être difficile de faire accepter la mesure sur le conventionnement / non-conventionnement ! Essayons donc de faire passer ces deux mesures d’abord. Les 4 000 médecins juniors, eux, seront envoyés dans les territoires sous-dotés, pour une période d’un an.

Le niveau départemental est plus approprié que l’échelon régional pour combattre la désertification médicale. Il est également important de faire entrer les élus locaux dans les instances de discussion et de décision.

Il ne faut pas non plus que nous donnions l’impression que l’État n’a plus de rôle à jouer dans ces inégalités.

Mme Martine Filleul. – Il faut mettre l’État face à ses responsabilités !

M. Bruno Rojouan, rapporteur. – On sait que les jeunes médecins qui s’installent dans des territoires ruraux sont souvent eux-mêmes issus du milieu rural. Il faut donc peut-être inciter les lycéens des territoires ruraux à faire des études de médecine. On compte 8 % d’enfants d’ouvriers chez les médecins, 45 % d’enfants de cadres. La discrimination positive se justifie pour ces raisons.

Par ailleurs, c’est dans les régions où l’on peine à implanter des médecins qu’il faut intensifier les formations dans les spécialités concernées.

Il faut envisager une autre chaîne de soins : le médecin serait chef d’équipe, le pharmacien entrerait dans la chaîne, ainsi que l’infirmier. Il n’y aurait plus besoin de passer systématiquement par le médecin pour renouveler une ordonnance ou pour être suivi pour une maladie chronique.

Si on arrive à mettre en œuvre ces quelques mesures – conventionnement / non conventionnement, blocage du nombre d’installations dans les territoires sur-dotés, augmentation du nombre de patients suivis par un médecin, instauration de maîtres de stage et octroi d’avantages importants, discrimination positive, dispositif des médecins juniors –, cela ne sera pas si mal !

M. Jean-François Longeot, président. – Nous évoquons ce sujet de société depuis des années. L’État doit prendre ses responsabilités, la santé étant l’une de ses prérogatives.

Pour notre part, nous devrons convaincre nos collègues de la commission des affaires sociales ! En tant que sénateurs, nous ne devons pas réfléchir en tant que professionnels de la médecine. Il faut penser aux territoires et régler les problèmes qui se posent – ceux des territoires transfrontaliers, ceux des communes qui s’endettent, etc.

Mme Martine Filleul. – Comme l’a indiqué Joël Bigot, il faut rappeler au Gouvernement l’engagement qu’il avait pris de publier le décret d’application prévu dans la loi de 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé que nous avons votée de manière transpartisane et qui prévoyait l’envoi d’internes dans les déserts médicaux. Ce travail transpartisan ne doit pas passer à la trappe.

La commission adopte à l’unanimité les propositions et autorise la publication du rapport d’information.

La réunion est close à 17 h 50.