Mercredi 27 avril 2022

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente -

Table ronde sur la protection des mineurs face aux contenus pornographiques

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Nous poursuivons aujourd'hui nos travaux, engagés il y a plusieurs semaines, sur le thème de la pornographie.

Nous nous intéressons aux pratiques de l'industrie pornographique, aux conditions de tournage, aux représentations des femmes et des sexualités véhiculées ainsi qu'à l'accès, de plus en plus précoce, des mineurs aux contenus pornographiques et à la façon de les protéger.

Nous sommes quatre sénatrices rapporteures pour mener ces travaux : Alexandra Borchio Fontimp, Laurence Cohen, Laurence Rossignol et moi-même.

Avec l'avènement de plateformes numériques appelées tubes proposant des dizaines de milliers de vidéos pornographiques en ligne, en un seul clic et gratuitement, la consommation de pornographie est devenue massive : les sites pornographiques affichent en France une audience mensuelle estimée à 19 millions de visiteurs uniques, soit un tiers des internautes français.

En outre, 80 % des jeunes de moins de 18 ans ont déjà vu des contenus pornographiques.

Ce visionnage peut être délibéré, par l'accès à des sites pornographiques. Ainsi, selon une enquête Ifop de 2017 portant sur des adolescents de 15 à 17 ans, 63 % des garçons et 37 % des filles de cette classe d'âge ont déjà surfé sur un tel site et 10 % des garçons le font au moins une fois par semaine.

Une récente étude allemande, publiée au mois d'avril 2022, sur les habitudes des adolescents français concernant la pornographie en ligne a également révélé les résultats d'un nouveau sondage Ifop auprès de 1 000 jeunes : 51 % d'entre eux ont déjà été exposés à de la pornographie en ligne et 41 % visitent des sites pornos tous les mois en moyenne. 30 % d'entre eux ont, par ailleurs, été exposés à du contenu explicite directement sur les réseaux sociaux, non pas seulement sur les sites pornographiques. Enfin, la durée médiane de leur consommation de contenu pornographique est de trente minutes par mois.

Or la loi française interdit l'accès de ces sites aux moins de 18 ans. Nous savons pourtant qu'aujourd'hui le seul contrôle de cet accès est une simple question rhétorique : « Avez-vous plus de 18 ans ? ». La saisine de la justice à l'encontre de cinq sites français pour faire appliquer la loi va peut-être faire avancer les choses. Sans doute faudra-t-il en passer par les fournisseurs d'accès à Internet pour empêcher l'accès aux principaux hébergeurs de contenus pornographiques.

Le visionnage de contenus pornographiques par des mineurs peut également être involontaire ou subi, à l'occasion de recherches Internet, du téléchargement d'un film, de discussions sur des réseaux sociaux... À 12 ans, près d'un enfant sur trois a déjà été exposé à des images pornographiques, on peut supposer le plus souvent involontairement pour ce qui est de cette tranche d'âge.

Lors d'une précédente table ronde, fin mars, sur le sujet de l'accès des mineurs à la pornographie et ses conséquences, nous nous sommes intéressés aux pratiques numériques des adolescents et aux conséquences du visionnage de contenus pornographiques sur leur santé mentale, leur développement cognitif, leur rapport au corps, à la sexualité et aux autres.

Aujourd'hui, nous avons réuni autour de cette table des représentants d'associations de protection de l'enfance et d'associations familiales. Nous souhaitons surtout connaître leurs recommandations en matière de protection des mineurs s'agissant de l'accès aux images pornographiques, du renforcement du contrôle parental ou des actions de prévention menées auprès des jeunes comme de leurs parents.

Nous accueillons donc ;

- Thomas Rohmer, président de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open), par ailleurs membre du Comité d'experts Jeune public de l'Arcom ;

- Olivier Gérard, coordonnateur du pôle « Médias-usages numériques » à l'Union nationale des associations familiales (Unaf), également membre du Comité d'experts Jeune public de l'Arcom ;

- et Gordon Choisel, président de l'association e-nnocence.

Nous devions également entendre Maître Laurent Bayon, avocat des associations e-Enfance et La Voix de l'Enfant, qui a malheureusement eu un empêchement de dernière minute mais qui devrait nous fournir une contribution écrite.

Toutes vos associations sont particulièrement impliquées, depuis de nombreuses années, sur le sujet de la protection des mineurs face à la pornographie en ligne. Certaines d'entre elles ont notamment contribué à la modification du code pénal initiée par le Sénat obligeant les sites pornographiques à prendre des mesures efficaces pour bloquer leur accès aux mineurs. Elles ont également saisi l'Arcom afin de réclamer le blocage des huit plus gros sites pornographiques mondiaux.

Nous allons entamer cette table ronde avec une intervention de Thomas Rohmer, président de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique. La protection des mineurs face aux contenus pornographiques en ligne est au coeur de votre démarche associative. Je vous laisse sans plus tarder la parole.

M. Thomas Rohmer, directeur de l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (Open). - Depuis sept ans, l'Open fait partie des structures particulièrement mobilisées sur la question de la protection des mineurs. Dès 2016, la ministre Laurence Rossignol nous avait confié l'animation d'un groupe de travail avec la DGCS (Direction générale de la cohésion sociale), en vue de réfléchir aux questions de régulation et de protection des mineurs face à la pornographie. Suite au changement de gouvernement, ces travaux avaient été repris par Agnès Buzyn, ministre de la santé, puis Adrien Taquet, secrétaire d'État chargé de la protection de l'enfance. Ils se sont traduits, dans la lignée du discours du président de la République à l'Unesco lors des trente ans de la Convention internationale des droits de l'enfant, par un travail sur la modification du code pénal, qui a abouti dans le cadre de la loi du 30 juillet 2020 visant à protéger les victimes de violences conjugales, grâce au travail particulièrement efficace à la fois des députés, mais aussi de la sénatrice Marie Mercier, qui a été très impliquée à nos côtés sur le sujet.

Dans la foulée, nous avons entamé une saisine de ce qui s'appelait encore le CSA, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, à laquelle se sont joints l'Unaf ici présent, et le Cofrade (Conseil français des associations pour les droits de l'enfant), qui représente plus de cinquante associations de protection de l'enfance. Récemment, l'Arcom (Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique) a décidé de saisir la justice. Nous attendons les résultats de cette saisine dans le courant du mois de mai, et si la justice devait décider de bloquer l'accès aux sites pornographiques visés, cette première mondiale ferait de la France un pays pionnier dans la protection des enfants face à la pornographie en ligne et enverrait un signal fort aux plateformes.

Pour autant, les enjeux ne sont pas seulement en ligne, en termes de régulation des plateformes existantes, mais aussi sur le terrain, concernant les actions de prévention qui peuvent être mises en place à destination des enfants et de la communauté éducative. Nous avons été critiqués pour avoir été parmi les premiers à oser afficher le mot pornographie au sein de nos modules de formation et d'accompagnement, terme qui a longtemps dérangé le monde de la formation, y compris les professionnels de l'enfance. Aujourd'hui cette thématique, parmi celles que nous proposons, est la plus réclamée, tant par les parents que par les professionnels de la protection de l'enfance. Qu'il s'agisse des directions d'aide sociale à l'enfance, ou de la protection judiciaire de la jeunesse, ces acteurs sont les témoins directs des impacts de cette consommation excessive de pornographie qui peut inciter nombre d'enfants à des conduites à risques.

Parents et professionnels de l'enfance sont de plus en plus en alerte sur ce sujet et les sollicitations que nous recevons par centaines illustrent malheureusement l'état de la situation en France, qui a plutôt tendance à se dégrader, puisque nous sommes désormais sollicités au niveau de l'école primaire, alors que nous sommes demeurés longtemps cantonnés au collège et au lycée.

La situation se dégrade également au regard des conduites à risques qui découlent souvent de cette immersion forcée des jeunes dans cette bulle pornographique, qui affecte fortement, comme toujours, les plus fragiles. Nous sommes particulièrement mobilisés et impliqués sur la problématique de la prostitution des mineurs, qui prend une ampleur phénoménale et inquiétante dans notre pays.

La situation se dégrade malheureusement aussi au niveau du climat scolaire, de nombreux chefs d'établissement nous alertant au sujet de comportements inquiétants et de difficultés relationnelles marquées et souvent très genrées. Elle empire également dans les espaces numériques, notamment sur les réseaux sociaux, où les inégalités entre filles et garçons s'illustrent souvent dans la multiplication des violences numériques à l'égard des jeunes filles, allant jusqu'à l'envoi de photos dénudées non sollicitées émanant de garçons, qui leur adressent à tout-va des photos de leur sexe en érection et sans distinction aucune. Il s'agit là d'une véritable agression, d'une violence extrême et traumatique, pour de nombreuses adolescentes.

Au-delà des constats, l'Open essaye de trouver des solutions, qui peuvent être de plusieurs ordres. Il s'agit tout d'abord de la régulation de l'accès des mineurs aux contenus pornographiques en ligne. La décision de justice que nous attendons pourrait constituer un signal fort. Mais il faut aller plus loin, notamment sur les réseaux sociaux. En ce moment, des discussions et des signaux forts sont envoyés au niveau de l'Europe, mais je reste quelqu'un d'assez pragmatique et j'attends de voir dans les faits comment ces directives en cours de négociation vont se traduire en termes d'applicabilité par les plateformes concernées. On a malheureusement un triste exemple en la matière, le RGPD (Règlement général sur la protection des données) qui, en termes de protection de l'enfance, constitue plutôt un échec.

Concernant la protection des enfants sur les réseaux sociaux, je ne prendrai qu'un seul exemple, concernant un réseau social très en vogue, Twitter : est-il normal et acceptable, en 2022, qu'en quelques clics seulement, on tombe sur des vidéos de pédophilie, de pédopornographie, de zoophilie ou de viol ? On oublie souvent que certains réseaux sociaux échappent à toute régulation et Twitter en est malheureusement la triste illustration.

À côté des enjeux de régulation, il y a également des enjeux techniques. Vous avez évoqué le contrôle parental, faisant allusion, je suppose, à la proposition de loi du député Bruno Studer qui a été discutée à l'Assemblée nationale et au Sénat. Tout cela va dans le bon sens, notamment pour protéger les plus jeunes, mais il faut garder à l'esprit que les solutions techniques ne peuvent pas tout résoudre. Le contrôle parental, on l'a bien vu en France, a souvent été présenté à tort comme une sorte de solution miracle : les parents avaient l'impression qu'à partir du moment où ils l'avaient installé, et c'était d'ailleurs malheureusement le discours des campagnes de communication des pouvoirs publics, il ne pouvait plus rien arriver à leur enfant. C'est un peu comme la ceinture de sécurité en voiture, on sait très bien qu'elle n'empêche pas d'avoir des accidents !

Lors de nos auditions avec Bruno Studer et au Sénat, nous avons mis en exergue les écueils principaux du texte : être très vigilant sur les campagnes de communication qui pourraient en découler, ne pas faire de fausses promesses aux parents, leur éviter de tomber dans le piège dans lequel nous-mêmes sommes tombés pendant de nombreuses années, à savoir engendrer de facto, sur le terrain, des parents qui avaient l'impression que le job était fait à partir du moment où les outils étaient déployés dans la famille. Or je rappelle aussi qu'en termes d'enjeu éducatif, ces questions doivent donner lieu à discussion.

L'étude que nous avons publiée avec l'Unaf au mois de février dernier sur l'usage du numérique dans les familles en France comporte d'ailleurs des chiffres inquiétants, montrant, d'une part, la faible installation de ces dispositifs de contrôles parentaux et, d'autre part, que plus de 40 % des familles en France installent un logiciel espion sur le téléphone de leur enfant, qui permet d'écouter les conversations, de lire les messages, d'accéder au répertoire du téléphone, à la photothèque, etc. Leur caractère intrusif doit, selon nous, être interprété comme le signe de l'extrême inquiétude des parents sur ces sujets.

Après les enjeux de régulation et les enjeux techniques, le volet des enjeux éducatifs nous tient particulièrement à coeur. À ce sujet, soyons lucides et demandons-nous d'abord pourquoi certains jeunes vont chercher ces contenus. La réponse est assez simple : voici trois décennies en France que l'on rencontre un échec cuisant en matière d'éducation sexuelle. Il est grand temps de faire évoluer les choses. Vous avez auditionné Ovidie, avec laquelle je travaille régulièrement et nous partageons ce point de vue, peut-être même faudrait-il retirer le mot « affective » de l'expression « éducation à la vie affective et sexuelle », parce qu'elle peut bloquer certains jeunes, qui expriment parfois des réticences concernant cette dichotomie. Cela ne signifie pas qu'il ne faut pas faire passer des messages de prévention, mais pour séduire les jeunes en termes de politique de prévention, il faut aussi entendre ce qu'ils nous disent.

Ce qui est tout à fait primordial et, me semble-t-il, le plus important, c'est d'installer une logique de prévention primaire. En tant qu'opérateurs sur le terrain, nous passons beaucoup de temps à jouer les sapeurs-pompiers, que ce soit dans les établissements scolaires ou au sein d'endroits type PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) ou foyers de l'aide sociale à l'enfance (ASE), où il s'est passé parfois des événements très traumatiques pour les équipes ou les parents. Comment voulez-vous avoir une réflexion apaisée dans des espaces d'émotion tels que l'on peut juste tenter d'éteindre l'incendie ?

De toute évidence, l'enjeu est de pouvoir démarrer ces actions de prévention éducatives dès la maternelle, afin de lutter contre le piège de ces espaces d'émotion, de revenir à de la prévention primaire impliquant, selon nous, l'ensemble de la communauté éducative. Il ne faut pas se contenter de faire de la prévention autour des enfants et des adolescents. Les parents, la communauté éducative, les professionnels qui gravitent autour des enfants et des adolescents sont souvent perdus eux aussi face à des pratiques qu'ils ont à gérer au quotidien et qui sont souvent des catastrophes. Elles justifient selon nous d'être discutées de manière constructive et positive, afin de trouver la meilleure manière d'accompagner ces jeunes au regard de ces nouvelles conduites.

C'est ce que nous avons essayé de faire avec Ovidie dans le département de la Charente, où nous avons travaillé pendant dix-huit mois en lien avec la délégation départementale aux droits des femmes, qui nous a missionnés, à la fois pour voir les enfants, mais aussi les parents et l'ensemble des professionnels, dans le but d'ouvrir des espaces de discussion autour d'un sujet devenu complètement tabou dans l'enceinte des établissements scolaires. La réalité que vivent la plupart des adolescents en France, c'est que, par exemple, quand on parle d'homosexualité, neuf adultes sur dix tournent les talons et partent en courant. Des espaces de discussion apaisés au sein des établissements scolaires sont indispensables. On rencontre régulièrement des initiatives portées par des infirmières, des assistantes sociales, qui font souvent un travail formidable dont on ne parle que trop peu, et qui portent à bout de bras, souvent même contre l'avis de leur direction ou du rectorat, des espaces qu'elles créent au sein des établissements scolaires. Elles font un travail formidable pour aborder les questions de la sexualité de manière apaisée et dans une vraie logique de prévention.

Ce que l'on constate dans certaines conduites à risque dans les espaces numériques, c'est qu'il devient compliqué de faire la différence entre éducation aux médias et éducation à la sexualité. Il me semble que les deux sont désormais intimement liés. À l'heure où les influenceurs, les influenceuses, adoptent pour certains ou certaines des comportements hyper sexualisés dans ces espaces numériques qui échappent à tout contrôle, on voit bien les point de bascule qui s'opèrent chez certains jeunes, notamment l'émergence de nouvelles pratiques, et de nouvelles plateformes de type OnlyFans et Mym, notamment en France, qui sont très incitatives pour les jeunes en difficulté ou fragiles. La perméabilité entre le monde des influenceurs sur les réseaux sociaux et l'apparition de nouvelles plateformes largement centrées sur la vente de vidéos et de photos à caractère sexuel est vraiment très inquiétante et très problématique.

Au-delà de l'éducation aux médias, les sujets qui ne sont jamais abordés comme le rapport au corps, la remise en question de l'intimité et le respect de l'altérité doivent être au coeur de ces nouveaux combats éducatifs, c'est d'ailleurs ce que nous essayons de faire à l'Open. La semaine dernière, nous intervenions à Rodez à la demande d'une Udaf (Union départementale des associations familiales) où, dans le cadre du Printemps du numérique animé par cette Udaf, 300 jeunes étaient réunis face à nous pour essayer d'entamer un dialogue autour de ces questions. Après deux heures de débat avec 300 lycéens, vous voyez vraiment la différence entre les questions que se posent les filles et les questions, souvent très immatures, émanant des garçons. Les difficultés de compréhension et du dialogue autour de ces sujets entre filles et garçons prouvent bien la nécessité d'ouvrir des espaces de discussion apaisés. C'est ce que nous essayons modestement de faire.

Enfin, si le pire vient souvent d'Internet, les espaces numériques font aussi la place à des Ovni audiovisuels qu'il faut encourager quand ils promeuvent la création d'un contre-discours sur les réseaux sociaux. C'est ce que tentent d'entreprendre certaines jeunes femmes, d'ailleurs souvent à leurs dépens, je pense notamment à ces Instagrameuses qui animent des comptes formidables du type @tasjoui, qui sont souvent shadow-bannées comme on dit, par Instagram, c'est-à-dire que leurs comptes sont régulièrement bloqués.

Pourtant, encourager ce type de contre-discours peut aussi permettre de toucher les jeunes plus en profondeur parce que c'est aussi aller là où ils se trouvent et ne pas oublier qu'aujourd'hui, ils s'informent essentiellement par ces espaces numériques. On pourrait imaginer de faciliter l'accès aux ressources de qualité par une labellisation, par exemple. Un contre-discours associé à des contenus de qualité permettrait de déconstruire les stéréotypes véhiculés par la pornographie et de libérer la parole des jeunes, qui en sont particulièrement demandeurs.

M. Olivier Gérard, coordonnateur du pôle « Médias-usages numériques » de l'Union nationale des associations familiales (Unaf). - Thomas Rohmer a exprimé un certain nombre de constats que nous partageons et je n'y reviendrai que pour insister sur ce sentiment d'une dégradation de la situation.

La situation est assez paradoxale. D'un côté, des dispositifs législatifs se mettent en place, les pouvoirs publics mènent des actions de communication, les associations, sur le terrain, accompagnent les publics pour leur montrer qu'il y a un certain nombre d'évolutions. De l'autre, règne ce sentiment que la situation ne s'est pas améliorée, que l'accès aux contenus pornographiques est toujours aussi facile et simple qu'avant, qu'il soit volontaire ou non. Les parents demandent un accompagnement et manifestent leur incompréhension devant ce qu'ils ressentent comme une fatalité. Ils se demandent si la protection des mineurs ou la lutte contre les violences numériques n'ont pas été sacrifiées face à d'autres enjeux, économiques notamment.

C'est pourquoi il est important d'aller au-delà de ce qui a déjà été mis en place pour montrer, comme cela a été dit, tant par le Gouvernement que par le Président de la République, qu'il y a une véritable volonté de lutter contre ce fléau, même si cette volonté n'a pas eu un impact direct et manifeste sur l'accès des mineurs à la pornographie.

Je complèterai ce constat par quelques chiffres issus de l'étude que nous avons réalisée avec l'Open.

Nombreux sont les parents à s'inquiéter des risques numériques, mais lorsque l'on creuse la question avec eux, on s'aperçoit qu'ils ne prennent pas suffisamment en compte la question de la pornographie : parmi les risques évoqués, celle-ci n'apparaît qu'en dixième position, et trois quarts des parents seulement nous disent que le numérique peut exposer à la pornographie. Pour un quart des parents, il n'y a pas de risque d'exposition à la pornographie dans le numérique, ce qui montre la méconnaissance et l'incompréhension de ces univers par certains parents.

Lorsqu'on leur demande ce qui les inquiète le plus, 44 % seulement des parents disent être inquiets du risque pornographique pour leur enfant, c'est-à-dire moins d'un parent sur deux.

Faire prendre conscience aux parents qu'il y a aujourd'hui cette problématique de la pornographie constitue donc un véritable enjeu. Beaucoup de choses ont été faites en termes de communication, mais il y a sans doute d'autres pistes à explorer pour le leur faire entendre.

S'agissant des propositions, nous partageons les trois axes évoqués tout à l'heure : agir sur le terrain juridique, renforcer les outils techniques, et agir en matière de prévention et d'éducation. Ces trois piliers qui président à notre action doivent bien sûr être activés de manière à la fois cohérente et combinée pour être efficaces.

Concernant la réglementation, nous attendons avec la même impatience que l'Open la décision du tribunal qui interviendra mi-mai. L'enjeu est majeur, car nous attendons un signal fort.

Cependant, l'accès à la pornographie ne passe pas seulement par les sites Internet dédiés. L'étude allemande que vous évoquiez en introduction le rappelle : si 40 % des jeunes de 15 à 17 ans accèdent au contenu pornographique par des sites Internet dédiés, près de trois enfants sur dix y accèdent via les réseaux sociaux. L'étude rappelle également que si l'on additionne les applications de type messageries et les e-mails, un tiers des jeunes de 15 à 17 ans sont mis face à des contenus pornographiques directement entre pairs. Nous voyons bien que les solutions juridiques ou technologiques ont leurs limites et qu'il faut à tout prix renforcer les actions d'éducation et de prévention.

Dans les pratiques et la consommation par les jeunes de contenus pornographiques, il y a un écart important entre les pratiques moyennes et les pratiques médianes, que ce soit en termes de temps passé par mois ou du moment auquel ils se sont connectés pour la dernière fois. Les jeunes se sont en moyenne connectés au cours des 24 derniers jours mais la médiane est beaucoup plus basse, ce qui montre qu'une grande partie de ces jeunes y vont de manière très excessive et quasi quotidiennement.

L'étude rappelle aussi qu'il existe des dispositifs techniques de type VPN, dont le taux de notoriété chez les jeunes est de 40 %, dont 9 % qui savent les utiliser. Quels que soient les dispositifs légaux qui seront mis en place, ces solutions techniques permettront de les contourner. D'où l'importance de l'enjeu éducatif, car on doit faire comprendre à ces jeunes pourquoi est-ce qu'on met en place des dispositifs techniques et pourquoi est-ce que les solutions qui permettent de les contourner ne doivent pas forcément être utilisées.

En dehors des sites, 30 % des jeunes de 15 à 17 ans disent consulter des contenus pornographiques sur les réseaux sociaux. Rappelons qu'entre 7 et 10 ans, un enfant sur deux dispose d'un, voire de deux comptes sur les réseaux sociaux, malgré l'interdiction théorique avant 13 ans et le RGPD qui prévoit un consentement du mineur et des parents entre 13 et 15 ans pour la France - 13 et 16 ans dans les textes européens. Quatre ans après son adoption, rien n'a changé, les réseaux sociaux ne mettent toujours pas en place de dispositifs de vérification de l'âge. Cette situation est véritablement inacceptable. Sur le terrain, on rappelle la loi, mais les dispositifs pour l'appliquer sont inexistants !

Alors, on nous explique que la vérification de l'âge soulève un certain nombre de problématiques et n'est pas aussi simple à mettre en oeuvre qu'on le souhaiterait. Nous, nous pensons que dans cet univers de technologie numérique, il doit être possible de trouver des systèmes pour protéger les enfants, éviter l'accès des plus jeunes aux réseaux sociaux sans aucun consentement parental, et garantir le respect de certains principes, liés aux données personnelles, à la vie privée, à la liberté de navigation, notamment des adultes. C'est pour nous un point d'alerte parce qu'il y a, là aussi, un enjeu extrêmement important pour les parents et pour les familles.

Concernant les solutions techniques et le contrôle parental, nous avons évidemment soutenu la proposition de loi de Bruno Studer. Ce dispositif constitue pour nous une brique supplémentaire, notamment pour les plus jeunes, parce qu'on sait que les dispositifs de contrôle parental sont plus pertinents lorsque les enfants sont plus jeunes, pour éviter notamment qu'ils ne tombent sur des contenus de manière involontaire. S'agissant des préados ou des adolescents, les solutions sont plus complexes puisqu'elles doivent prendre en compte des enjeux d'autonomie, de liberté, de respect de l'intimité. Le consentement et l'accord des parents peut ne pas être nécessaire, voire même leur information sur ce que fait l'enfant.

Cette « brique » supplémentaire soulève de véritables enjeux éducatifs et d'accompagnement à la bonne utilisation de ces outils. La notion même de contrôle parental peut créer une confusion. L'idée n'est pas de tout contrôler et surveiller, voire de « fliquer », mais de protéger et accompagner les enfants vers l'autonomie. Or certains parents tendent vers une logique de surveillance permanente.

Lorsque vous parlez avec des parents et que vous évoquez la manière dont ils accompagnent les enfants, vous avez régulièrement des parents qui vous disent : « J'ai installé un contrôle parental, je suis tranquille », comme si le contrôle parental pouvait sécuriser les enfants à 100 %. Or on l'a vu dans l'étude allemande, il y a des modes d'accès à la pornographie qui ne sont pas sécurisés par les outils de contrôle parental. Ceux-ci ne constituent en rien un remède miracle qui remplacerait les parents : ils sont à leur service, mais ne se substitueront jamais à l'accompagnement et au dialogue.

Un autre aspect est très important à prendre en compte. Pour être efficaces, ces outils doivent être correctement paramétrés en fonction de l'enfant et des pratiques familiales. Proposer aux parents une aide lors de leur activation, c'est-à-dire lorsqu'ils utilisent pour la première fois les outils numériques, est une bonne chose, mais il faut également que les parents soient accompagnés pour comprendre ce que sont ces outils, comment les utiliser, comment les paramétrer, comment les adapter à l'âge des enfants. Cette logique d'accompagnement est évidemment encore plus nécessaire s'agissant des parents qui se trouvent éloignés du numérique ou en difficulté avec ces outils.

Au-delà des volets juridiques et techniques, l'enjeu éducatif consiste principalement à accompagner les enfants, les professionnels et les parents. L'idée n'est pas de discuter en famille des enjeux de la pornographie, mais il est important que les parents soient bien conscients des risques et de ce qu'il y a derrière ces risques : si les enfants souhaitent accéder à des contenus pornographiques, c'est d'abord parce qu'ils se posent des questions sur la sexualité. Le sujet n'est pas facile et les parents n'ont pas nécessairement à être leurs interlocuteurs, mais ils doivent être en mesure de les orienter et les guider vers des ressources, des outils ou des lieux appropriés. Certaines ressources en ligne sont formidables : les parents pourraient inciter les jeunes à les consulter. L'enjeu de parentalité est donc important et il faut continuer à impliquer les adultes, non seulement dans ces démarches, mais aussi dans une optique plus large d'éducation aux médias et de compréhension des enjeux numériques.

J'indiquais plus tôt que l'accès aux contenus pornographiques passait par les réseaux sociaux et les échanges de contenus entre jeunes, souvent via le smartphone. Aujourd'hui, en France, l'âge du tout premier équipement en téléphone portable est inférieur à 10 ans, certains parents équipant leurs enfants dès 6, 7, et 8 ans, sans pour autant les accompagner dans son usage, peut-être parce qu'au départ, ils ne voient pas les risques de leur démarche, mais plutôt les bénéfices, tantôt réels, tantôt fantasmés. Travailler sur la prévention du risque pornographique, c'est donc aussi travailler sur l'accompagnement à la parentalité numérique, c'est-à-dire amener les parents à comprendre les enjeux numériques, dont les enjeux de pornographie, ce qui renvoie à cette question d'encadrement plus général des pratiques numériques des enfants - on ne peut pas déconnecter ces deux aspects.

Dans les actions que nous menons à l'Unaf, que ce soit en ligne, à travers un certain nombre de ressources ou sur le terrain, nous essayons de proposer des outils sur les questions de la pornographie, de l'éveil amoureux, des pratiques à risque, des usages numériques des enfants, mais aussi sur des questions plus générales, de l'accompagnement au bon usage des outils numériques, ou encore des questions telles que « pourquoi, comment et à quel âge équiper son enfant d'un téléphone portable ? ». Notre approche se veut globale et, comme Open, nous travaillons aussi avec d'autres structures, parce que sur certaines thématiques précises, nous orientons plutôt vers des structures de terrain existantes.

En résumé, il y a pour nous un véritable enjeu de parentalité dans la connaissance de ces ressources, tout en sachant, quand c'est nécessaire, quitter la logique d'éducation aux enjeux numériques par le seul numérique. On oublie souvent que pour beaucoup de parents, la solution ne passe pas uniquement par ces aspects, parce qu'ils sont attachés, comme les jeunes, à l'échange, aux interactions avec d'autres adultes. Il y a là un enjeu majeur de politique publique, qui implique des moyens financiers adaptés à la hauteur des défis : ce soutien est évidemment important pour les associations qui interviennent sur le terrain.

L'Unaf est également favorable aux espaces de discussion où les jeunes peuvent librement s'exprimer et poser des questions. Nous avons quelques associations et quelques Udaf qui développent des actions à destination des jeunes autour des questions relatives à la vie affective, relationnelle et sexuelle, les fameuses séances d'Evars (éducation à la vie affective relationnelle et sexuelle), et nous partageons le constat qu'effectivement ces sujets sont parfois difficiles à aborder, notamment dans les établissements scolaires où il y a encore des points de blocage et où il est assez compliqué de développer ces actions. Nous essayons de les organiser dans d'autres lieux, avec d'autres partenaires, mais il nous semble qu'effectivement l'école doit s'ouvrir à ces problématiques.

Dernier point, il y a un effort de communication à faire autour des ressources à destination des jeunes sur ces problématiques. Beaucoup de choses ont déjà été faites, mais on a aussi un certain nombre de jeunes ados ou de préados qui n'ont pas connaissance de ces ressources et il y a là un enjeu de communication important.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Merci pour vos propos qui complètent parfaitement ceux de M. Rohmer. Le couple éducation numérique/éducation à la sexualité semble en effet très soudé et nous allons devoir nous y attaquer.

M. Gordon Choisel, président de l'association e-nnocence. - Notre association s'intéresse spécifiquement à la lutte contre l'exposition involontaire, c'est-à-dire l'exposition qui n'est pas recherchée et qui, dans bien des cas, pour la première exposition, a lieu sur des sites non pornographiques : via des sites de streaming, par exemple, avec des fenêtres pop-up, mais également via des smartphones grâce aux messageries instantanées et aux différentes applications qui permettent de transférer des images entre amis, et tout simplement dans la cour de récréation, la diffusion du téléphone portable ayant lieu dès l'école primaire. Il suffit qu'un des camarades de votre enfant ait un téléphone portable pour que votre enfant ait accès au contenu de ce téléphone portable.

Les chiffres que vous évoquez sont inquiétants mais ils sous-estiment la réalité du terrain. Olivier Gérard rappelait qu'il y a une aggravation de la situation. Lorsque nous avons animé ensemble des réunions pour la création du site jeprotegemonenfant.gouv.fr, l'ensemble des acteurs associatifs présents se sont accordés à dire que la première exposition avait lieu au primaire, aux alentours de l'âge de 8 ans, et que dans l'ensemble, un enfant sur deux avait déjà eu accès à un contenu pornographique en primaire. Les différents sondages nous donnent un premier regard mais gardons à l'esprit le fait que ce regard n'est que partiel et que la réalité est certainement beaucoup plus grave.

Cette exposition précoce entraîne une banalisation du fait sexuel et a des effets sur l'enfant et sur la société. La semaine dernière encore, différents articles sont sortis dans la presse sur la prostitution des jeunes filles dès l'âge de 13 ans et de 14 ans, des jeunes filles qui sont recrutées via Snapchat, Instagram, TikTok et qui, à leur sens, ne vont pas se prostituer, mais qui, en réalité, soit pratiquent derrière leurs écrans des actes sexuels devant un public, soit se prostituent au sens propre du terme. Le fait que de très jeunes filles de 13 ans acceptent de faire cela montre qu'il y a une banalisation du fait sexuel, que finalement il n'a rien d'exceptionnel, que ces pratiques sont beaucoup plus courantes que ce que nous le pensons, et certainement encore beaucoup plus que ce que les parents de ces enfants pensent. Il y a donc, à notre sens, un lien assez manifeste entre la précocité de l'exposition à la pornographie, la banalisation des contenus pornographiques, une certaine accoutumance voire dépendance à ces contenus, et une reproduction dans le monde réel de ce qui est vu sur les sites pornographiques.

Si on s'intéresse aux différentes affaires pénales qui touchent les mineurs, on constate qu'il y a de plus en plus de problèmes de viols en réunion chez des enfants de 13 ans, 12 ans, qui sont filmés dans les cours de récréation ou dans les toilettes de l'école. Il est bien évident qu'ils n'ont pas eu cette idée tout seuls, ils reproduisent un acte qu'ils ont vu en ligne. Il y a donc un effet direct du visionnage des contenus pornographiques sur le comportement des enfants. En outre, plus il y a accoutumance aux contenus pornographiques, plus les producteurs de contenus pornographiques ont besoin, pour maintenir cette accoutumance, de créer du nouveau contenu, et donc de créer, en quantité, mais également « en qualité » - j'emploie ce mot au sens des sondages. Plus on est habitué à quelque chose, plus cette chose nous paraît assez anodine, et donc il va y avoir une aggravation des pratiques qui vont être filmées. C'est un petit peu comme la drogue, puisqu'il y a une logique de dépendance : si vous êtes habitués à une drogue douce et que cette drogue douce ne vous fait plus d'effet, vous passez à une drogue plus dure et ainsi de suite. Cela explique qu'aujourd'hui on ait des vidéos de plus en plus hard, avec des problèmes de respect des femmes. Quelques acteurs pornographiques français sont actuellement poursuivis au pénal pour des actes de viols durant les tournages, essentiellement dans les pays de l'Est : l'impact a donc lieu même à l'intérieur du monde pornographique, en particulier pour les actrices - mais j'imagine que les différentes actrices que vous avez auditionnées vous ont éclairés sur ce point.

Notre association n'est pas une association de terrain, des associations comme celles de mes camarades interviennent déjà sur le terrain et le font très bien. Nous, nous avons cherché à nous intéresser à la cause, c'est-à-dire à la diffusion illicite de contenus illicites.

La diffusion est illicite et j'y reviendrai, mais j'insisterai d'abord sur le caractère bien souvent illicite des contenus diffusés sur des plateformes : ce sont souvent des contenus contrefaits, donc avec une violation du droit d'auteur, même si, au regard des viols, la violation du droit d'auteur apparaît moins grave, mais le fait est là, il s'agit d'un contenu contrefait et donc illicite.

Ce contenu est également illicite dans bien des cas par la violence qu'il diffuse, sur les actrices notamment, violences auxquelles elles n'ont pas toujours consenti. On a donc un problème de consentement aux actes qui sont filmés et on a également un problème de consentement à la diffusion, notamment dans tout ce qui relève de la pornographie « amateur ».

Vous avez auditionné Robin D'Angelo, qui a fait une très belle synthèse des pratiques qui ont lieu dans le milieu amateur : vous avez des femmes qui, pour 200 euros, vont pendant deux jours réaliser un certain nombre de vidéos qui seront diffusées de manière la plus large possible, et pour 200 euros, ces femmes voient leur vie ruinée, même si quelques avocats essaient désespérément de faire retirer ces contenus. Ils sont diffusés d'ailleurs avec un consentement qui est vicié dans 95 % des cas.

Les contenus sont illicites et la diffusion est illicite, puisque l'article 227-24 du code pénal est on ne peut plus explicite : un contenu ne peut être susceptible d'être vu par un mineur, c'est-à-dire que le contenu ne doit être accessible potentiellement à aucun mineur. On ne peut pas faire une formulation plus stricte et plus rigoureuse. Or tous les sites diffusent d'une manière qui rend cette diffusion susceptible d'être accessible aux mineurs. La diffusion est donc, dans tous les cas, illicite.

Je reviendrai plus tard sur le problème du disclaimer, un sujet qui, pour les spécialistes du droit du numérique, est une évidence depuis les années 2000 : je me souviens d'articles du professeur Lepage sur le sujet, selon lesquels il est impossible d'avoir une diffusion licite de ces contenus.

En matière de numérique, c'est la loi pour la confiance dans l'économie numérique (LCEN) de 2004 qui s'applique et constitue le cadre restrictif des poursuites qui peuvent être engagées en ligne. Néanmoins, l'article 227-24 du code pénal s'applique de plein droit. La LCEN n'a fait que créer un régime de responsabilité allégée pour certains opérateurs d'Internet. Cette responsabilité allégée n'est pas une irresponsabilité et ne concerne pas tous les opérateurs.

Il y a donc, pour les contenus en ligne, deux possibilités : poursuivre au pénal ou poursuivre au civil.

La poursuite au pénal est en général réalisée par le ministère public dont la mission, je le rappelle, est la protection de l'ordre public. Il s'avère qu'aucun parquet ne poursuit les sites pornographiques, alors même que des plaintes sont régulièrement déposées, notamment par notre association. Il y a de ce point de vue un vrai problème.

Le civil, en revanche, a offert des solutions plus efficaces, nous avons eu quelques succès en réussissant à faire bloquer et déréférencer certains sites, mais il y a encore quelques améliorations possibles.

Avant la loi du 30 juillet 2020, l'article 227-24 du code pénal permettait d'agir, tant aux associations en tant que représentantes des victimes, qu'au parquet, le parquet pouvant agir à la fois au pénal et au civil, c'est-à-dire qu'un procureur peut demander le blocage et le déréférencement, ce qui qui a été fait pour le site « démocratie participative » par exemple, qui était poursuivi pour des actes d'antisémitisme, et pour le site Aaargh, pour révisionnisme.

Les parquets peuvent et savent agir au civil pour faire bloquer et déréférencer des sites. Ces poursuites peuvent avoir lieu au fond, ce qui est toujours un peu compliqué, ou en urgence, ce qui correspond plutôt à notre situation : faire cesser un trouble à l'ordre public manifestement illicite. La fermeture de certains sites par la voie civile démontre l'efficacité de cette voie. En toute hypothèse, on a du mal à connaître l'éventuelle efficacité de l'autre voie puisqu'aucune action n'a encore été menée au pénal.

La loi du 30 juillet 2020 dispose qu'un disclaimer n'est pas suffisant et a donné une nouvelle compétence au président de l'Arcom. Avant cette loi, la formulation de l'article 227-24 du code pénal était largement suffisante. Néanmoins, on peut se réjouir du fait que la représentation nationale se soit mobilisée avec cette loi : ce nouvel alinéa de l'article 227-24 démontre la volonté de réguler les sites pornographiques, même si son intérêt juridique est très limité.

Quant à la compétence du président de l'Arcom, là encore, on peut se satisfaire du fait que les pouvoirs publics se soient saisis de la question. Pour autant, la procédure mise en place est pour le moins discutable. En effet, selon la loi du 30 juillet 2020, le président de l'Arcom ne peut poursuivre, c'est-à-dire ne peut demander un blocage ou un déréférencement d'un site qu'après avoir mis en demeure ce site. Autrement dit, si je fais un parallèle, vous avez quelqu'un qui deale au coin de la rue et vous le mettez en demeure d'arrêter de dealer, sinon vous appellerez la police. C'est la même chose ! Sachant que la LCEN permet déjà de demander le blocage et le déréférencement de manière non judiciaire.

L'Arcom est allée plus loin, puisque si je prends la mise en demeure du 7 avril dernier, elle a écrit aux sites diffusant des contenus pornographiques, en leur demandant de formuler des observations, ce qui n'est pas prévu par la loi. Les observations n'ayant pas été jugées satisfaisantes, l'Arcom les a mis en demeure. Selon la loi, il faut donc encore attendre quinze jours pour que les sites formulent des observations. Les nouvelles observations n'étant pas encore jugées suffisantes, l'Arcom a agi devant le président du tribunal judiciaire de Paris. Déjà, la mise en demeure préalable paraissait discutable, et l'Arcom est allée plus loin en faisant deux mises en demeure !

Sur n'importe quel site pornographique qui a été visé par l'Arcom, l'infraction est manifeste et caractérisée. On se demande donc dans quelle mesure il ne serait pas possible d'offrir à l'Arcom une voie d'action plus efficace. En outre, la loi ne permet que de demander le blocage et le déréférencement par voie judiciaire. Or selon l'article 6-1 de la LCEN, les moteurs de recherche et les hébergeurs doivent rendre inaccessible un contenu dont ils ont connaissance du caractère illicite. Il serait donc plutôt souhaitable que l'Arcom, avant d'agir judiciairement, envoie une mise en demeure de rendre inaccessible le site au prestataire technique. Cela permettrait de vérifier la bonne ou la mauvaise foi des moteurs de recherche et des fournisseurs d'accès à Internet. D'un point de vue procédural, la loi du 24 août 2021 a modifié la loi pour la confiance dans l'économie numérique, notamment son article 6-1-8, en substituant à la procédure des requêtes la procédure accélérée au fond. Ce « jargon » juridique a des effets : la procédure par voie de requête est une procédure conservatoire non contradictoire qui permet d'obtenir une décision de blocage ou de déréférencement en l'absence d'identification, notamment de la partie adverse. Pour tous les sites dont on n'arrive pas à obtenir l'identité ou qui ne répondent pas, c'est une voie tout à fait efficace. Elle est de plus rapide et non onéreuse, alors que la procédure accélérée au fond - l'ancienne voie des référés - suppose la réunion de toutes les parties, un débat contradictoire devant le juge et une mise en délibéré pour obtenir une éventuelle décision. Là encore, on a un allongement des délais de procédure pendant lesquels les contenus sont toujours accessibles et visibles par les mineurs.

Tout ce que je viens d'évoquer semble très pessimiste. Comment améliorer les choses ? Le Gouvernement a fait le choix de confier à l'Arcom le rôle du ministère public. On aurait pu imaginer une autre solution, par exemple la création d'un parquet numérique, ou des instructions confiées au ministère public par voie de circulaire générale, comme le permet la loi, pour inciter les parquets à poursuivre les sites pornographiques. Tel n'a pas été le choix du Gouvernement et en en prenant acte, on peut réfléchir à la manière d'améliorer la procédure offerte au président de l'Arcom pour faire bloquer ou déréférencer ces sites.

On pourrait simplifier les délais et explicitement prévoir que des agents de l'Arcom soient assermentés pour faire les constats, afin d'accélérer, et d'ailleurs, de réduire les coûts des constatations d'infractions.

D'un point de vue procédural, on pourrait aussi faciliter la possibilité pour les associations d'agir en justice, en modifiant éventuellement l'article 2-3 du code de procédure pénale et en clarifiant les discussions doctrinales et jurisprudentielles autour de l'article 31 du code de procédure civile.

Il faut garder à l'esprit qu'on ne fera pas fermer tous ces sites du jour au lendemain, en raison d'intérêts financiers. Ce qui, à notre sens, semble essentiel, c'est de réduire le flux et l'accessibilité, car le fait qu'un enfant de 16 ans tombe sur un contenu pornographique, ce n'est pas la même chose que le fait qu'un enfant de 10 ans tombe sur ce contenu : plus tard arrivera l'âge de la première exposition, plus tard arrivera la banalisation, plus tard arrivera l'accoutumance.

La réduction du flux est cependant problématique, car de nouveaux outils existent, à l'instar des VPN. Je rappelle qu'un VPN est un logiciel qui vous permet de modifier votre adresse I.P. et, notamment, d'accéder à des contenus qui ne sont pas accessibles en France. À titre personnel, cela me sert à regarder la télé italienne de manière tout à fait légale, parce que la Rai ne diffuse pas en France. Les VPN ne sont pas tout puissants : il y a des VPN qui ne fonctionnent pas, Prime video par exemple sait les détecter et vous empêche d'utiliser un VPN pour regarder une vidéo qui ne peut pas être regardée en France. Des solutions techniques existent et à n'en pas douter, les prestataires techniques qui arguent de l'impossibilité ou de la difficulté technique sont les plus au courant de ces solutions. J'ai du mal à croire qu'un fournisseur d'accès en France ou un moteur de recherche mondialement connu n'arrive pas à détecter un VPN et à empêcher son utilisation pour accéder à un contenu pornographique. Tout cela suppose une volonté politique qui s'est exprimée, mais qui doit trouver une clé de transmission plus efficace d'un point de vue juridique. Nous sommes très attachés au recours au juge judiciaire qui est le garant des libertés publiques et des libertés individuelles, et il s'agit donc d'améliorer au maximum la procédure.

On aurait pu choisir une autre solution, mais dans la mesure où le Gouvernement a choisi l'Arcom, essayons d'améliorer les outils à sa disposition pour réduire les délais, et pour qu'à chaque fois qu'un site est identifié comme diffusant un contenu pornographique sans prendre de mesures drastiques pour empêcher son accès aux plus jeunes, il soit bloqué et rendu inaccessible dans les plus brefs délais.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - Voici trois mois que nous travaillons sur le sujet et nous commençons à avoir un état des lieux. Je pense pour ma part que l'accès au porno sur Internet est la face émergée d'un énorme paquebot, qui est la question plus globale des réseaux sociaux, la part que prend cette activité extrêmement lucrative dans les activités humaines et ses conséquences sur les comportements humains.

Plus nous avançons dans nos travaux, plus je pense que la question de l'accès des mineurs aux vidéos pornos est le bon moyen d'accrocher l'opinion et l'intérêt sur le sujet, parce que, fort heureusement, cela choque tout le monde que les mineurs puissent regarder du porno. Mais quitte à passer pour une moraliste, cela me choque tout autant que des adultes passent des nuits entières à en regarder. Tout ce que vous dites sur les mineurs, qu'est-ce qui nous interdit de le dire sur les adultes ? Monsieur Choisel parlait tout à l'heure de l'accoutumance et de la différence entre la consommation moyenne et la consommation médiane, ainsi que du taux élevé de consommation chez une partie des mineurs et de son impact à la fois sur leurs représentations et sur leur rapport à la sexualité. Qu'est-ce qui nous autorise à penser que ceci n'aurait de sens que concernant les mineurs et les enfants ? Bien entendu, cela a un impact aussi sur les adultes, et de manière plus générale, c'est effectivement la face immergée de l'iceberg, un sujet beaucoup plus vaste.

Notre travail intègre la question de l'accès des mineurs à la pornographie mais ne s'arrête pas là. Nous étudions aussi les infractions pénales liées à la production des contenus, c'est-à-dire l'incitation à la haine raciale, au sexisme, à l'homophobie : tout cela est dans tous les contenus, que le consommateur soit adulte ou mineur. Nous travaillons aussi sur la légitimité de l'idée répandue selon laquelle l'accès à la pornographie fait partie des libertés individuelles que nos démocraties doivent garantir. Vraiment ? Je n'en suis plus totalement convaincue, puisque, par ailleurs, il heurte d'autres droits fondamentaux qui sont tout aussi importants.

Dès lors qu'on prend appui sur la question de l'accès des mineurs à la pornographie, nous avons un énorme chantier devant nous. On sait tous qu'il y a un enjeu éducatif sur l'éducation au numérique, mais il y a aussi un autre enjeu éducatif qui est celui de l'éducation à la sexualité. Un de nos auditionnés caractérisait ainsi la consommation de porno : un outil de réponse malsain à une curiosité saine.

L'école est un énorme sujet : elle n'assure pas l'éducation à la vie affective et sexuelle que la loi lui impose pourtant d'assurer. Les associations de protection de l'enfance et les associations féministes demandent que les cours d'éducation à la vie affective et sexuelle soit réellement tenus. Nous avons également besoin du soutien de l'Unaf et des associations familiales, parce qu'on ne peut pas valider l'idée que l'éducation à la sexualité relève de la liberté éducative. D'un certain point de vue, l'éducation à la sexualité est une nécessité républicaine et c'est à l'école de la prendre en charge, tant aujourd'hui la question est devenue un sujet pour l'école. C'est peut-être relativement récent, mais aujourd'hui les enseignants sont confrontés à tout ce que vous avez fort bien décrit sur les comportements des enfants avec le numérique, la mise en pratique et l'augmentation des violences sexuelles chez les jeunes enfants. J'adresse donc un message à Marie-Andrée Blanc, présidente de l'Unaf, et à tous les présidents d'association et de fédération : il faut qu'il y ait un débat, que les plus réticents cèdent parce que ce n'est plus leur intérêt de ne pas demander à l'Éducation nationale de faire son travail.

M. Bruno Belin. - Je m'en tiendrai au sujet des mineurs car pour les majeurs, la notion de discernement s'applique. Nous n'allons pas revenir sur la loi de 1974 ou interdire les lieux qui leur sont réservés.

Je viens de vérifier : effectivement en moins d'une minute, sur Twitter, vous tombez sur des contenus à caractère pornographique voir pédopornographique.

Il y a deux sujets pour moi. D'une part, est-ce que les outils techniques de régulation existent ? Ensuite, il y a un sujet sur les réseaux sociaux, parce qu'on peut effectivement limiter les sites dits pornographiques, mais si sur Twitter tout est possible, nous avons un vrai problème.

Je pense également que l'action de prévention éducative doit être engagée dès la maternelle.

Mme Victoire Jasmin. - La Guadeloupe n'est pas épargnée par ces problématiques, et dans toutes les outre-mer je pense que c'est la même chose. Vous avez évoqué Twitter, mais il y a également YouTube, auquel les ados accèdent avec leur téléphone. Dans certains clips, on voit certains rappeurs ou certains chanteurs, avec des accompagnements douteux. Je suis assez d'accord avec ce qui a été dit concernant l'implication de l'Éducation nationale dans l'éducation sexuelle mais il faut également impliquer beaucoup plus les parents d'élèves. Je souhaiterais que les chefs d'établissement profitent des réunions de rentrée scolaire, où tous les parents d'un même niveau sont présents, pour aborder ces questions et sonner l'alerte, afin que les parents soient beaucoup plus attentifs, parce qu'il y a un véritable déni de cette situation ainsi qu'une méconnaissance des différents réseaux de la part de certains parents.

M. Thomas Rohmer. - Il y a bien sûr un vrai enjeu au niveau de l'Éducation nationale. La sexualité est au coeur de l'intimité des êtres humains et son évocation bouscule tout un chacun au plus profond de son être. En faisant beaucoup de prévention sur le terrain, je me rends compte que ce n'est vraiment pas un sujet comme les autres et par conséquent, les parents sont souvent coincés dans des contradictions. Ils le formulent d'ailleurs très souvent : ils protestent quand il n'y a pas d'éducation sexuelle, et quand elle est mise en place, ils préfèreraient qu'elle émane d'eux... On est un peu dans une situation de blocage.

Pour autant, je partage ce qui a été dit, l'enjeu est vraiment de mettre en place une véritable éducation sexuelle qui tienne compte, et j'insiste là-dessus, de ce que nous disent les jeunes. Aujourd'hui, quand on regarde les études qui sont faites en France sur la sexualité des Français, on nous bassine encore avec des chiffres qui semblent dire que la sexualité des Français n'a pas évolué depuis les années 1970, parce qu'on y définit encore le rapport sexuel comme un simple coït. Or comme le disent énormément de jeunes, il se passe énormément de choses entre le cours de maths et de physique, et qui ne s'apparentent pas uniquement à des rapports sexuels tels qu'ils sont définis dans les études. Certaines pratiques sexuelles sont extrêmement banalisées dans les établissements scolaires, ce sont aussi des pratiques stéréotypées qui émanent du milieu pornographique et se sont diffusées sur le terrain : par exemple, la fameuse « totale », c'es--à-dire, pour être clair, le trio fellation-sodomie-éjaculation faciale.

Les stéréotypes de pratiques sexuelles issus de la pornographie ne sont jamais déconstruits par les contre-discours que j'évoquais tout à l'heure et c'est pourquoi il est extrêmement important de les mettre en place, à l'école bien sûr, dans des actions éducatives : il y a un énorme besoin de formation.

Malheureusement, l'Éducation nationale nous répète qu'il n'y a pas de budget pour faire intervenir des compétences extérieures, alors que cela est nécessaire car il est temps que l'Éducation nationale cesse de fonctionner en vase clos. Le recours à des intervenants formés permettraient de mettre en place des actions plus efficaces.

Nous constatons une hausse des signalements de faits dérangeants y compris chez des enfants d'école maternelle. J'en profite pour dénoncer le manque de respect de l'intimité de nos enfants dans les écoles maternelles. Aujourd'hui, ne pas respecter l'intimité des enfants, en les amenant aux toilettes à heure fixe à la convenance des adultes, c'est manifester une absence totale de respect de leur intimité. Comment voulez-vous construire une éducation affective, relationnelle et sexuelle digne de ce nom si dès le plus jeune âge, les adultes envoient des messages contradictoires ? Alors, bien sûr, parfois cela occasionne des dérapages, qu'il ne faut pas non plus confondre avec le développement normal de l'enfant, le stade de l'exploratoire notamment, que les pédiatres et les psychiatres évoquent très souvent.

En bref, l'école a un rôle important à jouer.

Par ailleurs, nous devons mettre le paquet sur les réseaux sociaux et essayer de bannir les contenus pornographiques sur ces plateformes. On en revient à la question d'accessibilité de ces outils, mais également au sujet de la vérification d'âge.

Dans le combat que nous avons mené, on n'a eu de cesse de nous répéter, et d'ailleurs, la Cnil a rendu des avis en ce sens, que la vérification d'âge, c'était très bien, mais qu'il fallait être prudent ! Il ne faudrait surtout pas qu'on collecte trop de données sur les internautes. Alors qu'aujourd'hui, le modèle économique de ces sites pornographiques, c'est justement la collecte de données ! Ils ont même publié des statistiques très précises, Pornhub étant capable de dire qui consommait quelle pornographie en fonction de son vote, Trump ou Clinton par exemple ! Vous voyez, le ciblage est plutôt au coeur de leur métier. Nous faire croire qu'un système de vérification d'âge qui ne soit pas respectueux du RGPD n'existe pas est insensé. Nous avons d'ailleurs été contactés par nombre de structures qui en proposent : il serait peut-être temps d'appuyer sur le bouton pour passer aux actes.

Mme Laurence Rossignol, co-rapporteure. - C'est un peu à la marge de notre sujet mais les propos de Thomas Rohmer sur le respect de l'intimité et l'intégrité corporelle des enfants m'y amènent. Depuis plusieurs années, je suis très choquée que des parents diffusent des photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Il y a là pour moi une atteinte au droit à l'image de ces enfants.

Je n'ai jamais fait d'exploration juridique sur le sujet mais la question se pose : est-ce que le droit à l'image des enfants appartient aux parents ? Il me semble qu'il y a là un sujet.

À un moment donné, on a découvert qu'il avait des sites pédocriminels dans le dark net qui utilisent tout simplement les photos que les gens postent de leur bébé nu en train de prendre son bain par exemple, et qui récupèrent toutes ces photos pour les mettre à disposition des amateurs de pédopornographie.

Sur ce sujet, la loi n'a rien prévu, car la question ne se posait pas jusqu'à récemment. Or il me semble que dans la protection de l'enfance, on a là un sujet, alors évidemment très répressif et très liberticide, mais c'est très gênant pour les enfants, d'autant plus qu'il n'y a pas de droit à l'oubli.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - En effet. Dans les années qui viennent, il y aura probablement des suites judiciaires à ce type de démarche parce que les enfants ne vont pas tous accepter d'avoir été exposés de manière involontaire sur la toile, nus ou pas, d'ailleurs.

M. Thomas Rohmer. - Je vous remercie de cette remarque tout à fait judicieuse, c'est un sujet sur lequel nous travaillons aussi depuis de nombreuses années, notamment avec Bruno Studer dans le cadre de la loi Studer. Nous avions été un peu lanceurs d'alerte sur la manipulation des enfants par leurs parents dans ce qu'on appelait le cas des enfants YouTubeurs. Nous travaillons en ce moment à la rédaction du décret d'application de la loi, qui, je l'espère, pourra entrer en vigueur au plus vite, mais qui n'est pas simple, parce que là encore on est sur des sujets de libertés, et comme on est un peu novateurs en France sur le sujet, on ouvre des portes.

Je serais ravi, chère Laurence Rossignol, de travailler à vos côtés sur ce sujet que nous avons identifié depuis deux ans. Nous travaillons avec des juristes sur la refonte du droit à l'image des enfants à l'aune des espaces numériques, c'est évidemment l'un des grands enjeux à venir parce qu'on touche à tous les sujets : la régulation des plateformes, l'implication des parents et leur responsabilité éducative. Pour l'instant, le droit à l'image est inaliénable de l'autorité parentale, mais nous pensons qu'au même titre qu'on retire ou suspend l'autorité parentale à des parents qui sont négligents, pouvoir inclure la notion de droit à l'image pour des parents qui feraient n'importe quoi avec l'image de leurs enfants, aurait un vrai sens aujourd'hui en 2022.

M. Olivier Gérard. - Sans surprise, évidemment, ces sujets nous préoccupent également, il me semble d'ailleurs que la défenseure des droits travaille actuellement sur le droit à la vie privée des enfants, notamment à l'ère du numérique. Ce sujet va grandir, parce qu'il y a effectivement un enjeu important.

Je souhaiterais revenir sur la question des réseaux sociaux. Il y a aussi un aspect qui est important à prendre en compte, c'est qu'on voit que très souvent les dispositifs réglementaires mis en place mettent en place ces paliers. On peut comprendre qu'il est difficile d'imposer à un petit réseau social des contraintes trop lourdes, et, dans un esprit très « marché », un coût à l'entrée trop élevé. On a donc tendance à ne pas mettre trop de contraintes au départ sur les petits réseaux sociaux, et c'est uniquement lorsqu'ils atteignent cinq, dix, quinze, vingt millions d'utilisateurs actifs qu'on va mettre en place des dispositifs.

Le problème, c'est que l'on voit très souvent apparaître de nouveaux sites, de nouvelles applications, de nouveaux réseaux sociaux qui, au départ, n'atteignent pas cette masse critique et ne souhaitent d'ailleurs pas forcément l'atteindre, qui vont concerner 50 000 à 150 000 utilisateurs actifs, y compris des mineurs qui peuvent ainsi accéder à la pornographie.

On a souvent tendance à mettre le focus sur les gros acteurs mais il ne faut pas oublier les acteurs de petite taille et il faut essayer de trouver un système qui ne soit pas trop contraignant et trop coûteux pour les acteurs de plus petite taille, et qui, en même temps, garantisse que la loi s'applique aussi sur ces espaces.

M. Gordon Choisel. - Nous savons qu'il y a un problème de financement au sein du ministère de la justice et qu'il n'y a pas assez de magistrats, leur nombre n'a augmenté que de quatre mille en un siècle : de moins de 4 000 en 1900 à 8 000-9 000 aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle les parquets vous disent qu'ils ne vont pas s'occuper de la pornographie, n'ayant déjà pas assez de moyens pour traiter la pédopornographie.

Je ne suis pas contre une réorganisation du droit à l'image des enfants, bien au contraire, mais il faut toujours garder à l'esprit la possibilité de sanctions et la mesure de la règle qu'on prend.

Dans quelle mesure veut-on réguler l'accès aux écrans - car le problème des contenus, c'est l'accès aux écrans ? On distribue des ordinateurs portables et dans le même temps on veut interdire les téléphones dans la cour de récréation ! Cela soulève une réflexion plus large sur le fait de savoir si l'école doit éduquer à l'utilisation des ordinateurs ou non. C'est une dimension presque philosophique qu'il faut garder à l'esprit. Pour ma part, j'enseigne à l'université et j'interdis désormais à mes étudiants d'utiliser des ordinateurs dans l'amphithéâtre, pour qu'ils réapprennent à utiliser un stylo. Et je peux vous dire que les questions posées par les étudiants en cours ne sont plus du tout les mêmes.

Mme Laurence Rossignol, rapporteure. - Faut-il toujours une sanction pénale à une loi ?

Nous nous sommes posé cette question lorsqu'avec la loi sur l'éducation non violente, nous avons posé le principe qu'il fallait élever les enfants sans violence physique ou psychologique. C'est une loi qui est dans le code civil, pas dans le code pénal.

Nous avons un rapport à la loi qui est un rapport pénal, c'est-à-dire que quand on pense loi, on pense pénal. Personne ne s'occupe de ce qui se passe dans la justice civile, ce qui est une catastrophe, et les débats publics sur le rapport à la loi sont toujours des débats de droit pénal, alors que le droit civil organise bien les rapports entre les individus. Quand on a fait la loi sur l'éducation non violente, on a eu recours au code civil, parce que c'était évident qu'il est très compliqué de mettre les enfants en situation de déposer plainte contre leurs parents, et en fait cela a permis, malgré tout, que rentre dans l'esprit des gens le fait qu'il fallait élever les enfants sans les frapper. D'ailleurs, qu'en a dit la presse, puisque nous savons que finalement, c'est ce qui compte dans ces cas-là ? Elle a indiqué que le Parlement avait légiféré pour interdire les sanctions physiques sur les enfants.

M. Gordon Choisel. - Je suis d'autant plus d'accord avec vous que pour faire bloquer et déréférencer des sites, c'est la justice civile qui fonctionne, pas la justice pénale.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Je vous remercie de nous avoir fourni des pistes de recommandations, en matière de régulation, d'outils techniques et de mesures éducatives. À ce sujet, nous partons de très loin : en réalité, l'éducation à la sexualité est quasiment absente, voire inexistante, à cause du déficit de moyens mis en place, mais aussi en raison de freins sociétaux, qu'ils viennent des établissements scolaires, de l'Éducation nationale ou des parents. Il y a un vrai travail à mener de ce côté-là.

Il y a des pistes d'améliorations de la loi que vous avez évoquées, Monsieur Choisel : il est bien entendu que si nous mettons des semaines avant de fermer un site, on ne répond absolument pas à sa dangerosité.

Nous allons poursuivre ce travail encore quelques semaines, et nous y intégrerons en priorité les outils à proposer pour lutter contre l'accès des mineurs aux images pornographiques, des outils qui doivent s'adapter aux évolutions numériques notamment des réseaux sociaux, qui constituent un des accès majeurs aux images pornographiques pour cette tranche d'âge. On n'est pas du tout sur la même fréquentation que ce qu'on aurait pu imaginer sur des plateformes sur lesquelles on va de son plein gré. Il faudra aussi que les dispositions soient agiles.

Faut-il constituer un observatoire pour disposer d'une meilleure connaissance de la façon dont les choses se passent ?

Nous savons que les dangers pour la construction des enfants sont immenses : leur rapport à l'égalité se trouve déconstruit du fait de la consultation de ces sites. Ce n'est pas la première fois que nous entendons parler du problème de l'accoutumance, ma collègue Laurence Rossignol y faisait également référence.

M. Thomas Rohmer. - Il y a quelque chose qui n'a pas été évoqué, et qui pourrait faire partie des pistes à explorer pour une meilleure régulation. Le modèle économique des sites YouPorn et autres repose sur du clic et ce phénomène d'accoutumance que vous évoquez y est aussi intimement lié puisque ces sites ont copié des procédés qui appartiennent aux réseaux sociaux, en termes de capacité à retenir l'attention des internautes, avec ces fameuses vidéos qui s'enchaînent à la suite, exactement comme sur certaines plateformes vidéos plus classiques.

Peut-être que l'une des pistes pourrait être tout simplement d'interdire la gratuité de ces sites. Gordon Choisel a travaillé avec Brigitte Lahaie, qui dit clairement aujourd'hui, qu'entre les conditions de tournage qu'elle a connues et ce que vivent aujourd'hui certaines actrices dans les pays de l'Est notamment, les choses n'ont rien à voir et tout cela est intimement lié, ce que démontrait parfaitement Ovidie dans son documentaire Pornocratie, cette espèce d'uberisation de l'industrie du X, qui a un impact sur les contenus, sur la posture des femmes et sur ces images de plus en plus stéréotypées qui sont envoyées à nos enfants et nos adolescents.

Cela fait peut-être partie des pistes pour lutter à la fois contre l'accoutumance et contre cette surenchère de la violence qui est au coeur du modèle économique de ces sites.

M. Gordon Choisel. - S'agissant des réseaux sociaux, n'oublions pas que les actrices pornographiques sont aussi des influenceuses : certaines d'entre elles ont quasiment six millions d'abonnés sur Instagram. Elles ont donc un impact non seulement à travers leurs vidéos pornographiques mais aussi en dehors de leurs vidéos. Les réseaux sociaux peuvent être diffuseurs d'un contenu pornographique, mais également, selon la volonté de l'actrice, d'une certaine conception de la pornographie. Il faut toujours garder à l'esprit que le lien entre ceux qui visionnent et le contenu visionné peut se faire de manière indirecte, en créant des liens sur les réseaux sociaux et en suivant ces actrices qui, pour certaines, ont un rôle beaucoup plus important que ce que l'on croit.

Mme Annick Billon, présidente, co-rapporteure. - Merci à vous tous. J'ai également noté quelque chose de très intéressant dans vos propos, c'est la nécessité d'un espace pour pouvoir parler de sexualité. Cela rejoint les travaux qui ont été menés par le Gouvernement sur la prostitution des mineurs : la procureure Champrenault expliquait la nécessiter d'adapter le discours à destination des jeunes. Lorsqu'on dit qu'il faut démarrer dès la maternelle, il faut donner les outils à chaque stade pour pouvoir évoquer ce sujet et donc l'éducation sera un des gros sujets pour réussir à lutter contre la pornographie et l'accès des jeunes à ces images violentes.