Jeudi 19 mai 2022

- Présidence de Mme Victoire Jasmin, vice-présidente -

Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer - Audition de la direction générale des outre-mer (DGOM) et de la direction générale de la prévention des risques (DGPR)

Mme Victoire Jasmin, présidente. - Mes chers collègues, nous reprenons ce matin les activités de la Délégation sénatoriale aux outre-mer après plusieurs semaines d'interruption due à la période électorale. J'ai l'honneur de remplacer le président Stéphane Artano, actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon, qui participe à nos travaux en visioconférence.

Lors de notre réunion du 17 février dernier, la délégation a décidé d'inscrire dans son programme de travail de 2022 une étude sur la gestion des déchets dans les territoires ultramarins. Gisèle Jourda, sénatrice de l'Aude, et Viviane Malet, sénatrice de La Réunion, en ont été désignées rapporteures.

Nous engageons donc ce matin une série d'auditions consacrées à ce sujet, qui nous conduira à dresser un état des lieux de la situation dans les outre-mer et à faire des propositions, afin de relever les nombreux défis auxquels nos territoires sont confrontés dans ce domaine.

Nous accueillons ce matin, pour la direction générale des outre-mer (DGOM), Stanislas Alfonsi, adjoint au sous-directeur des politiques publiques, et Clément Médée, adjoint à la cheffe du bureau de l'écologie, du logement, du développement et de l'aménagement durables (BELDAD), responsable de la section environnement et développement durable, ainsi que Camille Vionnet, chargée de mission « Eau, Climat, Déchets » au sein du même bureau.

La direction générale de la prévention des risques (DGPR) est pour sa part représentée par Vincent Coissard, sous-directeur des déchets et de l'économie circulaire, et Jean-François Ossola, adjoint à la cheffe du bureau de la planification et de la gestion des déchets.

Je donnerai successivement la parole au président Stéphane Artano, à la présidente du groupe d'études sur l'économie circulaire, Marta de Cidrac, aux deux rapporteures et aux représentants de la DGOM et de la DGPR. Nos autres collègues qui souhaitent intervenir pourront ensuite le faire à leur tour.

M. Stéphane Artano, président. - Je tiens à remercier vivement Victoire Jasmin d'avoir bien voulu me remplacer pour le lancement de notre nouvelle étude consacrée à la gestion des déchets dans les territoires ultramarins.

Je laisserai à nos rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, toutes deux très impliquées dans ces problématiques, le soin de vous en exposer les enjeux.

Pour ma part, je me félicite de ce choix, car il s'agit d'un sujet majeur pour l'environnement, le cadre de vie et la santé de nos concitoyens.

Nos rapporteures ont prévu d'aborder les situations locales en organisant, comme nous en avons l'habitude, plusieurs tables rondes géographiques par bassin océanique, mais également en se rendant à La Réunion, Mayotte et Saint-Pierre-et-Miquelon, où j'aurai le plaisir de les accueillir.

Certes, les territoires ultramarins connaissent des spécificités, mais nos défis sont fondamentalement les mêmes : la limitation des espaces de stockage en raison de nos géographies insulaires, des moyens économiques et budgétaires contraints, le handicap de l'isolement et la question de l'export des déchets dangereux, l'importance des « encombrants » liés à des modèles de consommation inadaptés, la surexposition aux risques naturels, source potentielle de déchets et de pollution considérable... Tous ces phénomènes ont un impact très important sur les coûts de gestion, qui sont bien plus élevés dans les outre-mer que dans l'Hexagone.

Si la question environnementale est annoncée comme la priorité du nouveau quinquennat, quelle sera concrètement la place réservée aux outre-mer dans ce domaine ? La lutte contre les déchets, avec ses enjeux sanitaires, économiques et sociaux, est à nos yeux un aspect fondamental de toute politique écologique.

Je me félicite tout particulièrement de la participation des membres du groupe d'études sur l'économie circulaire et de sa présidente, Marta de Cidrac. Nous sommes réellement heureux de cette collaboration autour de la situation des outre-mer, qui constituent aussi de véritables laboratoires d'innovations.

Enfin, je voudrais dire à nos collègues de la délégation qu'après cette longue période électorale, nous allons progressivement renouer avec notre rythme de réunion hebdomadaire.

Le mercredi 29 juin, nous accueillerons des représentants de l'Association des juristes en droit des outre-mer (AJDOM) pour un échange sur le thème des outre-mer dans la Constitution, afin d'approfondir la réflexion initiée par le président Michel Magras en 2020 dans son rapport sur la différenciation territoriale outre-mer.

Le jeudi 7 juillet, je vous propose de participer à un déjeuner de travail afin d'échanger sur notre programme d'activités, notamment en vue de l'audition du prochain ministre des outre-mer.

Mme Marta de Cidrac, présidente du groupe d'études sur l'économie circulaire au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. - Mes chers collègues, je tiens tout d'abord à vous remercier pour votre souhait d'associer le groupe d'études économie circulaire à ce travail sur la gestion des déchets dans les outre-mer.

Il s'agit d'un sujet essentiel que nous avons déjà eu l'occasion d'aborder lors des débats à l'occasion de l'examen de la loi n° 2020-105 du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire, dite AGEC, qui a souhaité adapter le régime juridique national aux contraintes et opportunités des territoires ultramarins. La loi permet ainsi, pour chaque filière de responsabilité élargie du producteur (REP), une consultation des collectivités pour un déploiement adapté à chaque territoire de la prévention, de la collecte, du traitement et de la valorisation des déchets. Il est également prévu que les éco-organismes puissent pourvoir temporairement à la collecte, au tri ou au traitement des déchets soumis au principe de REP dans les collectivités territoriales qui en font la demande. De surcroît, le texte contraint tout éco-organisme à élaborer et à mettre en oeuvre un plan de prévention et de gestion des déchets dans les collectivités ultramarines, de manière à améliorer les performances de collecte et de traitement des déchets dans ces territoires, afin qu'elles soient identiques à celles atteintes en moyenne sur le territoire métropolitain.

Enfin, et surtout, le barème de prise en charge par les éco-organismes des coûts supportés par le service public de gestion de déchets est majoré. Dans le cas spécifique des emballages ménagers et des papiers, 100 % de ces coûts sont pris en charge par l'éco-organisme, contre respectivement 80 % ou 50 % sur le reste du territoire national.

Les territoires ultramarins sont également envisagés comme des espaces d'expérimentation et d'innovation dans nos politiques publiques de prévention et de gestion des déchets.

La loi AGEC a tout d'abord permis aux collectivités territoriales volontaires, notamment dans les outre-mer, d'expérimenter le déploiement de la consigne pour recyclage des bouteilles en plastique avant 2023. Par ailleurs, dans la récente loi Climat et résilience, le Sénat a prévu une reprise sans frais des véhicules hors d'usage auprès des particuliers, qui pourra s'accompagner d'une prime au retour si celle-ci permet d'améliorer l'efficacité de la collecte.

Dans un projet de décret publié en mars, le pouvoir réglementaire a saisi cette opportunité pour introduire une prime au retour dans les territoires ultramarins afin d'inciter les détenteurs à remettre leur véhicule à la filière légale.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure - Le sujet de notre groupe de travail figure au coeur de la transition écologique. Nous nous devons d'agir en synergie pour dresser un état des lieux, mettre en place des dispositifs et envisager des perspectives d'amélioration, en particulier dans les territoires ultramarins.

Mais, avant tout, la gestion des déchets est un service public de base, élémentaire, au même titre que l'eau ou l'assainissement. Or, dans les territoires ultramarins, ces services ne sont pas toujours rendus de façon satisfaisante. Dans la presse ultramarine, des articles sont publiés tous les jours sur le sujet, ici pour dénoncer des dépôts sauvages, là pour mettre en avant des initiatives positives, alerter sur l'engorgement des filières ou pointer des problèmes de gouvernance.

J'attends tout particulièrement de ces premières auditions un état des lieux le plus précis et le plus complet possible, afin d'identifier les points communs, mais aussi les différences entre l'outre-mer et l'Hexagone. Nous avons notamment besoin de chiffres-clés sur les quantités de déchets à traiter, leur typologie et leur évolution depuis cinq ou dix ans. Les données publiques n'ont souvent pas été actualisées depuis quatre ou cinq ans.

J'ouvre d'ailleurs une parenthèse. Lorsque j'ai été précédemment amenée à travailler sur le grave problème de la pollution des sols, pollution qui peut être due à des décharges sauvages notamment, ce problème des données avait déjà été souligné. L'absence d'inventaire complet est parfois une façon de mettre la poussière sous le tapis. Pendant nos travaux, nous devrons donc être vigilants et exigeants sur l'état des lieux.

Il faut aussi mesurer les résultats obtenus. Les ambitions sont grandes, mais sont-elles à la portée de tous ces territoires ? Par exemple, le tri à la source des biodéchets doit être effectif fin 2023. Cette obligation est-elle réaliste ? De même, quels sont les premiers résultats tangibles et mesurables des stratégies « zéro déchet » ?

Nous aimerions également disposer d'un bilan des aides directes ou indirectes de l'État en faveur de la gestion des déchets outre-mer et de l'effort national consenti pour combler les retards. Ce panorama est essentiel pour nos travaux.

Se pose enfin la question des fonds européens mobilisables et mobilisés pour nos territoires, et plus encore celle de la différenciation et de l'adaptation des règles européennes aux régions ultrapériphériques (RUP). Une première analyse indique que les textes européens sur les déchets et l'économie circulaire ne tiennent pas ou peu compte des spécificités de ces régions. Ne faudrait-il pas une démarche beaucoup plus proactive d'adaptation des règles ? La situation des déchets dangereux bloqués à La Réunion depuis des mois en fournit un bon exemple : ne pourrait-on pas déroger à l'obligation d'exporter ces déchets vers les seuls pays de l'OCDE ? Ne faudrait-il pas passer tous les textes européens sur les déchets au crible des réalités des RUP françaises ? Une telle démarche a-t-elle été engagée au niveau des ministères ?

Mme Viviane Malet, rapporteure. - Mes chers collègues, en ma qualité de sénatrice de La Réunion, je constate chaque jour les défis de gestion des déchets à relever sur mon territoire. Les volumes ne cessent de croître, malgré les efforts déployés, et les contraintes propres aux outre-mer sont autant de complications.

Sur les déchets, nous sommes, me semble-t-il, en alerte rouge. Des stratégies fortes doivent être mises en oeuvre. Mes principales interrogations portent sur la gouvernance et la fiscalité. Sur des territoires aussi intégrés que les nôtres, la gouvernance classique région-intercommunalités-communes, combinée à des syndicats mixtes plus ou moins étendus, vous paraît-elle satisfaisante ? Il nous semble que ce schéma nous prive à la fois d'une vision d'ensemble et d'un niveau de proximité.

En matière de fiscalité, le point majeur est le montant de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), qui augmente chaque année jusqu'en 2025. Pour nos territoires, où l'enfouissement demeure le principal mode de traitement, la TGAP s'apparente à une entrave pénalisante plus qu'à une incitation à faire, car elle nous prive de recettes pour financer l'indispensable plan de rattrapage des infrastructures.

Une réflexion est-elle engagée au niveau du ministère pour corriger ce biais ? J'irais même jusqu'à proposer que les recettes de la TGAP restent sur le territoire pour financer la modernisation du service public des déchets : j'aimerais recueillir votre avis sur une telle suggestion.

Sur la question du recyclage, je souhaiterais avoir votre éclairage sur les filières REP (Responsabilité élargie des producteurs). Existe-t-il un bilan global du coût environnemental des filières actuelles de recyclage, notamment celle des plastiques, très largement dépendante de l'export maritime ?

Par ailleurs, comment inciter les professionnels du recyclage à s'affranchir des limites du seuil industriel fréquemment avancé, la fameuse massification, pour ne pas implanter des filières de recyclage ? La massification est-elle vraiment hors de portée des outre-mer ? Si oui, la coopération régionale est-elle une voie à explorer ?

Enfin, comment contrôler et limiter la situation monopolistique dans les territoires insulaires, où le manque de concurrence lié à l'éloignement peut créer des situations de domination économique, notamment dans les secteurs de la gestion des déchets et de l'énergie ? Comment concilier ce risque concurrentiel avec le défi de la massification des flux précédemment évoqué ?

M. Vincent Coissard, sous-directeur des déchets et de l'économie circulaire au sein de la direction générale de la prévention des risques. - Mesdames, messieurs les sénateurs, les territoires ultramarins font en effet face à de nombreux défis, que l'on retrouve également dans une moindre mesure sur le territoire métropolitain. On relève des points communs, mais aussi des différences assez importantes d'un territoire à l'autre.

La production de déchets est ainsi beaucoup plus faible par habitant en Guyane qu'au niveau national, mais plus élevée à La Réunion. Autre différence assez générale par rapport à l'Hexagone : le fort recours à la mise en décharge outre-mer.

On peut souligner le rôle important de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) dans la gestion des déchets, celle-ci apportant un soutien technique pour adapter les technologies aux spécificités des territoires, et jouant un rôle spécifique dans le développement des filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) prévu par la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire (AGEC). Je pense en particulier aux filières des déchets du bâtiment, des emballages, des véhicules hors d'usage, des huiles minérales et des pneumatiques. L'enjeu de la couverture des coûts est particulièrement important, ces derniers pouvant être plus élevés outre-mer, pour de nombreuses raisons.

La loi AGEC prévoit explicitement une majoration de la couverture des coûts pour la filière REP des emballages. L'Ademe et les filières REP ont un rôle à jouer pour faire remonter les données et améliorer les informations à disposition. Les filières REP ont une obligation légale de transmission des données, via les éco-organismes. En revanche, quand les filières REP sont encore inexistantes, comme pour les déchets du bâtiment, il est très compliqué d'avoir des données, ne serait-ce qu'à l'échelle nationale. De nombreuses régions ont toutefois mis en place des observatoires des déchets, qui peuvent aussi contribuer au recueil d'informations, et la loi AGEC fixe une obligation de traçabilité pour la mise en décharge et l'incinération. Faudrait-il élargir le champ de ces obligations ? On peut se poser la question.

S'agissant de l'export des déchets, certaines filières peuvent se développer localement, dans le cas de déchets facilement recyclables, sans doute dans un cadre de coopération régionale pour mutualiser les coûts. Mais, pour certains déchets particulièrement complexes à recycler, il faudra envisager soit un traitement dégradé, par exemple dans un but de valorisation énergétique, soit un système d'export aux fins de traitement. En revanche, tout le processus de tri peut être effectué sur place.

La situation de l'export s'est par ailleurs fortement dégradée depuis la crise de la Covid en 2020, qui a complètement désorganisé le trafic international. Les bateaux ont tout d'abord été bloqués, puis, lors de la reprise économique, la très forte demande a entraîné un engorgement des ports et du trafic maritime. Certaines compagnies ont alors cherché à minimiser au maximum les risques.

En matière d'export de déchets, c'est avant tout la convention de Bâle qui s'applique. Chaque pays par lequel transite un conteneur pouvant se trouver en charge de celui-ci, certains pays de transit n'ont plus donné explicitement leur accord, et certaines compagnies ont imposé une réduction de la durée d'autorisation pour le transport des déchets. Plusieurs réunions se sont tenues entre la DGPR et les deux principales compagnies qui effectuent ces transferts (MSC et CMA-CGM) pour tenter d'identifier tous les leviers de simplification du droit international. Nous portons actuellement des amendements à la convention de Bâle dans le cadre de la présidence française de l'Union européenne (PFUE), mais le processus est très lourd. Certains pays ont malheureusement un intérêt à ne pas se montrer très diligents dans la gestion de ces containers conteneur de transit, qui viennent encombrer leurs ports sans leur apporter une réelle plus-value économique, même si certains pays appliquent une taxe au transit de déchets.

S'agissant du soutien majoré au développement des filières REP dans les territoires ultramarins, la loi AGEC a prévu un calendrier jusqu'en 2023. Le traitement des dépôts sauvages de véhicules outre-mer fait par ailleurs l'objet de dispositions spécifiques, avec une prime au retour et un plan d'action spécifique, et le développement de la filière REP des huiles minérales est considéré comme prioritaire. Nous veillons par ailleurs à ce que les territoires ultramarins soient traités en priorité par les éco-organismes et que les objectifs définis par la loi s'y appliquent pleinement.

La TGAP a en effet commencé à augmenter en 2021, l'objectif étant celui d'un niveau économique cohérent avec le coût du recyclage. Il revenait en effet moins cher de mettre en décharge des déchets que de les recycler. Cette augmentation doit toutefois être mise en balance avec d'autres mesures, notamment la baisse de la TVA sur le recyclage et celle des frais de gestion pour toutes les collectivités s'engageant dans une démarche de tarification incitative des déchets. La mise en place des filières REP devrait par ailleurs fortement contribuer à la réduction des coûts, notamment pour les déchets du bâtiment.

La question se pose ensuite de savoir comment les recettes de TGAP supplémentaires peuvent bénéficier à l'économie circulaire. L'idée de taxe affectée n'est pas à la mode, ni nécessairement pertinente, mais il faudra néanmoins faire le bilan de ces différentes actions, notamment du développement des filières REP, principal axe d'un potentiel transfert de charges des collectivités territoriales ultramarines vers les émetteurs de déchets sur le marché.

Le niveau du Fonds pour l'économie circulaire, mis en place par l'Ademe, est-il suffisant ? En 2021 et 2022, il a été abondé de 500 millions d'euros dans le cadre du plan de relance. Mais quid en 2023 ?

Des réformes par petites touches ont été engagées pour adapter la TGAP aux territoires ultramarins, afin d'obtenir une réfaction du coût de la taxe de 35 % pour la Guadeloupe, La Réunion et la Martinique, et de 75 % pour la Guyane et Mayotte, pour s'adapter au niveau de vie des différents territoires.

On constate plutôt une baisse des recettes de TGAP dans les territoires ultramarins, au moins sur la composante « déchets » de cette taxe : elles sont passées de 23 millions d'euros en 2017 à 21 millions en 2019 et 13 millions en 2020. Cette dernière année était certes particulière, avec la Covid, mais la baisse a été plus forte dans les territoires ultramarins que dans l'Hexagone. Est-ce conjoncturel ou structurel ? On attend les chiffres pour 2021, qui seront connus d'ici juillet.

S'agissant des aides spécifiques à l'économie circulaire, sur la période 2017-2021, on avoisine les 130 millions d'euros d'aides émanant du fonds spécifique à l'économie circulaire de l'Ademe, qui est bien utilisé dans les territoires ultramarins. En revanche, on constate une moindre consommation des crédits du Plan de relance, qui visent plutôt des projets déjà dans les cartons et de taille industrielle.

M. Stanislas Alfonsi, adjoint au sous-directeur des politiques publiques au sein de la direction générale des outre-mer. - J'aborderai les trois points suivants : la prise en compte des RUP par l'Union européenne, la consommation des crédits alloués dans le cadre des contrats de convergence et de transformation (CCT) 2019-2022 et les questions relatives aux compétences et à la fiscalité.

S'agissant du premier point, la stratégie d'accompagnement mise en oeuvre par l'Union européenne vis-à-vis des neuf régions ultrapériphériques a été mise à jour début mai 2022 autour de priorités telles que le développement de l'économie circulaire, la gestion durable des ressources, la réduction des déchets, le développement des filières locales, le transport des déchets et la mutualisation entre les territoires et les filières.

Cette prise en compte normative se traduit par un effort financier dont le véhicule est le Fonds européen de développement régional (Feder). La programmation 2021-2027 de ce fonds est marquée par une nette augmentation, à hauteur de 40 euros, de l'effort consenti par habitant, et par le rétablissement historique du taux d'intervention à 85 %. De plus, le règlement encadrant le Feder prévoit des assouplissements spécifiques pour les RUP afin de faciliter les investissements en lien avec le traitement des déchets, notamment pour le démantèlement, la mise en sécurité et la reconversion des décharges.

On peut évidemment regretter que le cas particulier des RUP ne soit pas pris en compte dans l'ensemble des textes européens, mais de nombreuses dérogations existent. À titre d'exemple, certaines dispositions de la directive 2019/904 relative à la réduction de l'incidence de certains produits en plastique sur l'environnement ne sont pas applicables à des régions comme la Guyane, dont le territoire impose l'implantation de lieux de recueil et de traitement des déchets isolés. De même, en droit français, le code de l'environnement prévoit des délais plus longs pour la mise en oeuvre de certaines dispositions dans les territoires ultramarins.

Ce travail d'adaptation et de prise en compte des spécificités locales doit être poursuivi et, à notre niveau, nous pourrons nous faire l'écho des observations de la représentation nationale auprès des instances européennes.

J'en viens à mon deuxième point. En matière de gestion des déchets, les CCT font l'objet d'un co-financement de la part de l'État via le ministère des outre-mer (MOM) et l'Ademe. Sur la période 2019-2022, les contributions de l'Ademe et du MOM se sont élevées respectivement à 34 et 7 millions d'euros, soit 41 millions d'euros en autorisations d'engagement. Or, on constate que ces crédits n'ont pas été consommés en totalité - l'Ademe a engagé un peu moins de 19 millions d'euros pour un décaissement de 3 millions d'euros à ce jour, et le MOM a octroyé 3 millions d'euros pour 1 million d'euros effectivement payé - ce qui pose la question de leur éventuelle prolongation qui sera tranchée par la nouvelle équipe gouvernementale.

Cela montre que la question n'est pas tant celle du financement que de la consommation des crédits. De manière générale, les collectivités ultramarines ont parfois besoin d'un soutien spécifique pour exploiter les moyens budgétaires mis à leur disposition.

En Guyane, le Fonds outre-mer (FOM) permet d'accompagner les collectivités dans la mobilisation de l'ingénierie nécessaire à la réalisation d'infrastructures et dans la mise en oeuvre de politiques publiques. En 2020, les 17 millions d'euros en autorisation d'engagement ont été intégralement consommés. Dans le cadre du plan de relance, nous avons obtenu que ce fonds soit doté de 15 millions d'euros en 2021 et en 2022. En 2021, les crédits ont été complètement consommés, et ceux de 2022 le sont déjà aux deux tiers. Lors des arbitrages interministériels à venir, le MOM soutiendra le maintien de ce fonds.

Le Fonds exceptionnel d'investissement (FEI) permet également de financer des projets relatifs à la gestion des déchets. Entre 2009 et 2021, 32 projets ont ainsi été financés en outre-mer pour un total de 28 millions d'euros en autorisation d'engagement, dont 16 consommés à ce jour. Le bilan est donc positif. Des discussions sont en cours avec la direction du budget pour prolonger le FEI au-delà de 2022.

Je terminerai en évoquant les questions relatives aux compétences et à la fiscalité. L'État définit les grandes orientations de la politique nationale de prévention et de gestion des déchets. Le plan national qu'il établit sert de cadre aux régions, qui sont chargées de la coordination et de la planification à l'échelle du territoire, mais qui ne sont pas dotées de compétences opérationnelles, celles-ci relevant du bloc communal.

La question de la pertinence de cette répartition est éminemment politique. Il ne m'appartient évidemment pas de la trancher, mais ce que je peux dire, depuis le point de vue administratif qui est le mien, c'est qu'une autre répartition ne permettrait nécessairement de gagner en efficacité, car le bloc communal est celui qui connaît le mieux le territoire.

Le régime fiscal, qui découle de la répartition des compétences, est le même qu'en métropole : en fonction des communes, c'est une taxe ou une redevance d'enlèvement des ordures ménagères qui est perçue (TEOM ou REOM). Le code général des collectivités territoriales permet déjà un certain nombre d'évolutions, comme une modulation de cette fiscalité en fonction des déchets produits. Il appartient au bloc communal de se saisir de ces possibilités s'il le souhaite.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - En Guyane, deux des quatre établissements publics de coopération intercommunale qui ont la double compétence de la collecte et du traitement des déchets ménagers rencontrent de grandes difficultés du fait de l'éloignement et de l'enclavement de certaines communes situées sur le Maroni ou l'Oyapock. Ces difficultés, conjuguées à une importante immigration de populations qui ne sont pas sensibilisées à la problématique des déchets, se traduisent par la multiplication de décharges sauvages sur le littoral et dans les terres. Quels accompagnements supplémentaires peut-on apporter à ces communautés de communes ?

M. Gérard Poadja. - Je souhaite évoquer les déchets miniers. S'est-on penché sur les risques qu'ils représentent ? En Nouvelle-Calédonie, qui détient la compétence de leur gestion ? Quelle est la ligne budgétaire prévue pour le financement de ces opérations ? Pour l'instant, tout cela est assez flou.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Le tri à la source des biodéchets doit être effectif à horizon 2023. Cette date butoir vous semble-t-elle raisonnable ?

M. Stanislas Alfonsi. - Certaines communes de l'Ouest guyanais connaissent un fort dynamisme démographique, avec une croissance de 4 à 5 % par an. L'explosion des besoins, conjuguée au retard de développement des infrastructures, entraîne une distorsion dans la capacité à répondre à cette situation unique sur le territoire national. Sous l'impulsion de Sophie Brocas, directrice générale des outre-mer, nous avons lancé des études afin d'apporter des réponses à la communauté de communes de l'Ouest guyanais (CCOG) et nous espérons que les choses bougent rapidement.

À l'intérieur des terres, la situation est encore plus singulière, car l'isolement de certaines communes impose la production de solutions techniques peu connues et difficiles à mettre en oeuvre. Nous travaillons à leur développement et à leur déploiement, en lien avec le ministère de la transition écologique et avec l'appui de la direction générale de la police nationale (DGPN).

S'agissant des déchets miniers en Nouvelle-Calédonie, je ne me risquerai pas à me prononcer sur l'attribution de cette compétence. En revanche, et bien que ce territoire ne relève pas de l'article 73 de la Constitution, un certain nombre de moyens que j'ai cités sont à la disposition de la Nouvelle-Calédonie, puisque la contractualisation est possible et le FOM, parfaitement mobilisable - le Haut-commissaire le mobilise d'ailleurs régulièrement. Je me tiens à votre disposition si vous souhaitez poursuivre nos échanges à ce sujet.

M. Vincent Coissard. - S'agissant du traitement des déchets miniers, je ne peux vous apporter de réponse globale, car tout dépend de la situation de la mine. Si celle-ci est active, c'est l'exploitant qui est responsable de la gestion des déchets produits. Les équipes de la DGPR compétentes sur ce sujet pourront toutefois vous fournir des informations plus précises.

J'en viens à la question des biodéchets. L'échéance de 2023 est ambitieuse, mais elle est tenable, car le traitement des biodéchets est simple à mettre en oeuvre. Des moyens importants ont été alloués dans le cadre du plan de relance et du Fonds économie circulaire pour faire de cette échéance une opportunité. Il y aura sans doute des décalages, mais j'espère qu'ils n'excéderont pas un ou deux ans, car les biodéchets représentent 20 % des déchets ménagers et assimilés outre-mer. Une meilleure gestion pourrait faire une grande différence.

Mme Victoire Jasmin, présidente. - Je voudrais conclure sur une lueur d'espoir. Je vous invite, mes chers collègues, à relayer l'initiative de jeunes qui, avec le soutien de l'Ademe et un certain nombre de partenaires privés, organiseront au mois de juin un événement autour de la question des emballages. Je crois fermement que nous ne pourrons changer réellement les choses qu'avec l'aide des jeunes.

Je vous remercie de vos interventions.

Étude sur la gestion des déchets dans les outre-mer - Audition de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe)

Mme Victoire Jasmin, présidente. - Après la Direction générale des outre-mer (DGOM) et la Direction générale de la prévention des risques (DGPR), nous accueillons l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe) représentée par Nicolas Soudon, directeur exécutif des territoires, qui remplace le président Arnaud Leroy malheureusement empêché.

J'ai l'honneur de remplacer le président Stéphane Artano, actuellement à Saint-Pierre-et-Miquelon. Il participe à nos travaux en visioconférence.

M. Stéphane Artano, président. - Je tiens à vous remercier pour votre participation. Nos rapporteures, Gisèle Jourda et Viviane Malet, ont préparé de nombreuses questions sur le thème de notre étude qui constitue à nos yeux un défi majeur pour l'environnement, le cadre de vie et la santé dans nos outre-mer.

Nous savons que l'Ademe s'est dotée dès 2019 d'une stratégie outre-mer couvrant la période 2019-2023, avec pour objectif de faire de la transition écologique un levier d'innovation et de développement endogène et durable face au changement climatique.

Nous sommes naturellement très intéressés par l'état des lieux par territoire que vous pourrez nous dresser et par votre diagnostic sur l'évolution de la situation, pour savoir en particulier si elle s'améliore ou si elle a plutôt tendance à se détériorer.

Nous nous interrogeons aussi sur la prise en compte de ces problématiques spécifiques dans la politique nationale qui est censée donner la priorité aux défis environnementaux.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - L'Ademe est naturellement l'opérateur clef de l'État dans les outre-mer pour accompagner et renforcer le service public des déchets. C'est un partenaire précieux pour toutes les collectivités et les acteurs de cette politique. En effet, les principales aides financières sont attribuées par l'Ademe, sans laquelle les projets majeurs et structurants ne peuvent voir le jour.

Peut-on disposer d'un état des lieux le plus exact possible, afin de discerner les points communs mais aussi les différences entre les territoires ? Nous avons besoin de chiffres clés pour comparer les situations, à la fois sur les quantités de déchets à traiter, leur typologie, leur évolution depuis 5 ou 10 ans. Les données publiques remontent malheureusement souvent à 4 ou 5 ans.

L'état des lieux doit aussi porter sur les résultats obtenus. Les ambitions sont grandes, mais sont-elles à la portée de tous ces territoires ? À titre d'exemple, le tri à la source des biodéchets doit être effectif fin 2023. Cette obligation est-elle réaliste ? De même, quels sont les premiers résultats tangibles et mesurables des stratégies « zéro déchet » ?

Pouvez-vous aussi nous dresser le bilan des contrats de convergence et de transformation 2019-2022 qui arrivent à terme ?

S'agissant du plan de relance, l'Ademe a reçu 226 millions d'euros au titre de l'économie circulaire. Quels montants iront à des projets outre-mer ?

Je m'interroge également sur l'aspect européen de ces questions. Une mise en perspective serait la bienvenue, notamment au regard des aides et de l'accompagnement.

Enfin, auriez-vous des exemples de territoires isolés ou insulaires étrangers, comparables à nos outre-mer, qui obtiendraient de meilleurs résultats ?

Mme Viviane Malet, rapporteure. - Nous sommes face à une situation d'urgence, comme souvent dans les outre-mer. Nous sommes en alerte rouge avant le débordement et, trop souvent, les actions conduites ne visent qu'à ne pas aggraver le retard pris, sans le combler. Des stratégies fortes doivent donc être déployées.

Mes principales interrogations portent sur la gouvernance et la fiscalité.

Sur des territoires aussi intégrés que les nôtres, la gouvernance classique région-intercommunalités-communes, combinée à des syndicats mixtes plus ou moins étendus vous paraît-elle satisfaisante ? Le sentiment est que, avec ce schéma, nous manquons à la fois d'une vision d'ensemble et de proximité. Avez-vous sur ce point conduit des études ou une assistance technique ?

Par ailleurs, l'Ademe accorde de nombreuses subventions et accompagne des projets dans tous les territoires ultramarins. Avez-vous mis en place un process d'évaluation de la performance des projets aidés ? Si oui, sur quels critères ou indicateurs ? Quels sont notamment les types de projets qui produisent les effets les plus efficaces sur la prévention des déchets ?

Je souhaiterais aussi avoir votre éclairage sur les filières de recyclage, notamment les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) qui ont du mal à prendre leur essor.

Existe-t-il un bilan global du coût environnemental des filières de recyclage actuelles (pour les plastiques notamment), très largement dépendantes de l'export maritime ? Par ailleurs, comment inciter les professionnels du recyclage à s'affranchir des limites de seuil industriel fréquemment avancées (la fameuse massification) pour ne pas implanter de filière de recyclage ? La massification est-elle hors de portée des outre-mer ? Et, si oui, la coopération régionale est-elle une voie réaliste à explorer, par exemple dans les Antilles ou entre La Réunion et Maurice ?

En résumé, vous semble-t-il réaliste, dans nos territoires, de concevoir des stratégies de recyclage aussi ambitieuses que dans l'Hexagone ?

Un autre point important est celui de l'éducation. En effet, je constate que nos modes de consommation, malgré les discours ambiants, demeurent trop souvent identiques, voire pires qu'auparavant. Pour prendre l'exemple de La Réunion, cette année nous allons battre le record de tonnes mises en décharge. L'Ademe a-t-elle accompagné des actions en matière d'éducation à la gestion et à la réduction des déchets ? Des résultats mesurables et significatifs ont-ils été obtenus ? Et si oui, quels sont les freins à leur généralisation ou systématisation ?

M. Nicolas Soudon, directeur exécutif des territoires de l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). - Je vous prie d'excuser l'absence d'Arnaud Leroy qui m'a demandé de le remplacer. Je suis accompagné également par Ingrid Hermiteau, notre directrice régionale de l'Ademe en Guyane, qui suit particulièrement la question de l'économie circulaire, et de Lilian Carpenè, notre coordinateur outre-mer chargé de la coordination transversale à la Direction des territoires.

Dans un premier temps, je vous apporterai des éléments de diagnostic sur la situation des déchets en outre-mer, puis, dans un second temps, je vous présenterai la manière dont l'Ademe se positionne par rapport à ces différents enjeux.

En ce qui concerne les déchets en outre-mer, une première remarque préalable : cela fait maintenant plusieurs années à l'Ademe que nous essayons de changer de vocabulaire pour davantage parler d'économie circulaire que de gestion des déchets, non pas par pudeur, mais simplement parce qu'il nous semble que la question des déchets s'inscrit dans une problématique bien plus large, qui va de l'extraction de matières jusqu'à l'enfouissement éventuel. Celle-ci inclut aussi toutes les solutions alternatives qui permettent d'allonger la durée de vie des produits, d'être économe en ressources au moment de leur conception et au moment de leur transport, puis de prendre toutes les mesures possibles pour réparer, réemployer et recycler ces produits pour éviter le plus possible leur arrivée au stade de déchets. Il s'agit de sortir de la logique pure de déchets pour entrer dans la logique d'économie circulaire, qui présente aussi l'avantage d'avoir des impacts positifs en termes d'empreinte carbone et donc de lier les enjeux climatiques avec les enjeux de déchets et de matières.

La gestion des déchets en outre-mer est évidemment un enjeu majeur et un défi particulier à relever du fait d'abord de la situation des territoires d'outre-mer, de l'insularité pour une partie d'entre eux, mais également de l'isolement pour la quasi totalité d'entre eux. La masse critique est souvent trop limitée pour rentabiliser des investissements importants, notamment en matière de recyclage. C'est un problème considérable puisque, lorsqu'on essaye de procéder à des mutualisations ou à de la gestion « internationale » des déchets, on se trouve confronté à un coût rédhibitoire du transport, qui s'accentue encore ces derniers temps avec la hausse des prix du pétrole. S'ajoute à cela la décision récente de la compagnie CMA-CGM de ne plus transporter de déchets plastiques à partir du 1er juin 2022 : cette décision entraîne un risque important pour une grande partie des territoires d'outre-mer, CMA-CGM étant un acteur dominant sur le marché. Je crois que les discussions sont en cours avec cette société pour assouplir leur vision des choses, et surtout ne pas mettre en péril la gestion des déchets dans les outre-mer. Et en même temps, il faut voir cette décision comme une alerte importante qui nous pousse à agir pour une gestion locale ou mutualisée.

Troisième élément, du fait de l'insularité et de l'isolement des territoires ultramarins, les filières à responsabilité élargie des producteurs (REP) peinent à trouver leur place et à se développer, alors même que le législateur a décidé d'étendre ces filières à de nouveaux domaines. Autre élément important de la vulnérabilité des territoires d'outre-mer, une grande partie d'entre eux sont des « hot spots » de la biodiversité, ce qui signifie qu'une gestion éventuellement défaillante des déchets peut avoir des conséquences dramatiques sur les écosystèmes et la biodiversité. Cela appelle une exigence de résultat plus élevée. Une autre difficulté est la rareté du foncier pour la plupart de ces territoires. Et même pour ceux qui ont des territoires importants, les contraintes demeurent fortes compte tenu, par exemple, de la place de la forêt en Guyane, ou de la situation géographique de la Nouvelle-Calédonie. La rareté du foncier nous oblige à trouver le plus de solutions alternatives à l'enfouissement qui est très demandeur d'espace. Il faut également souligner, dans ces territoires, les enjeux particuliers des déchets du BTP, qui nécessitent des mesures et des investissements lourds, d'autant plus que les exportations par voie maritime ne sont pas envisageables compte tenu des volumes et du poids des déchets.

Parmi les défis à relever, il y a en effet la question du retard structurel, car il est vrai que, pendant de nombreuses années, on a mené des politiques de rattrapage dont l'enjeu consistait surtout à ne pas aggraver la situation. Il y a également la problématique de la gouvernance locale des déchets, et celle de la faiblesse structurelle de bon nombre de collectivités aux capacités financières réduites et souffrant d'un déficit d'ingénierie. Tous ces éléments aboutissent à des coûts de gestion des déchets qui sont en moyenne 1,7 fois plus importants dans les outre-mer que dans l'Hexagone, à hauteur de 163 euros contre 93 euros par habitant/an en métropole, avec, en outre, une difficulté à lever la taxe ou les taxes, quand elles existent et quand elles sont mises en oeuvre. À titre d'exemple, en Guyane, seul un habitant sur huit est assujetti à la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM), laquelle ne couvre pas les coûts de gestion des déchets. Ainsi, en Guadeloupe, 80 % des coûts sont couverts par les taxes. Dans bien des cas, c'est le budget général des collectivités locales qui comble la différence. La redevance spéciale se met en oeuvre dans certaines collectivités, mais le recours à ce dispositif n'est pas toujours bien réparti, ce qui fait peser sur l'ensemble de la population le traitement des déchets issus d'activités économiques.

Autre élément important lié à cette question de la gouvernance, c'est la difficulté à impliquer la population dans des changements de comportement. Il y a là un enjeu très important de politique publique. Cela suppose une animation, de la pédagogie, du partage d'informations, une montée en compétence collective sur le sujet, et peut-être aussi l'engagement d'une réflexion sur le poids de la collecte à domicile par rapport aux points d'apports volontaires. Le recours plus important à des systèmes de points d'apports volontaires permettrait en effet de baisser le coût de gestion des déchets et d'inciter les populations à trier, le taux de tri dans les outre-mer étant assez faible.

Dernier élément de ce portrait rapidement brossé, on peut faire le constat collectif d'une forte dépendance des territoires d'outre-mer à l'importation de biens de consommation, ce qui induit une faible maîtrise sur la nature des biens, leur emballage, leur structuration et l'impact qu'ils peuvent avoir en termes de gestion des déchets en aval.

Quelques chiffres clés sur les déchets relativement récents, issus notamment du site sinoe.org, géré par l'Ademe, dans lequel on trouve toute une série d'indicateurs, y compris sur les outre-mer.

Les outre-mer produisent 563 kilos de déchets ménagers et assimilés par habitant et par an, 86 kilos de déchets collectés en déchetterie, 33 kilos de déchets d'emballage, papier et verres triés, contre 82 kilos au niveau national : on voit bien la difficulté au stade du tri. Le nombre de déchetteries est en moyenne de 4 pour 100 000 habitants, contre une moyenne de sept dans l'hexagone, mais on peut signaler quelques performances particulièrement significatives, notamment à Saint-Pierre-et-Miquelon où, avec 70 kilos par an et par habitant d'ordures ménagères, les performances sont extrêmement satisfaisantes. Certes, ce territoire a un nombre d'habitants beaucoup plus limité, mais les enjeux de gestion des déchets y sont tout aussi aigus qu'ailleurs.

Peut-être à l'exception de Saint-Pierre-et-Miquelon, une des autres caractéristiques des déchets en outre-mer est la très forte production de déchets verts, liée aux caractéristiques climatiques, avec des problématiques d'engorgement, et puis une production importante d'encombrants avec des enjeux de salubrité qui peuvent se poser, ces déchets pouvant devenir des gîtes larvaires potentiels pour des moustiques, et provoquer des épidémies de chikungunya ou de dengue. La responsabilité des filières REP dans ce domaine est importante, notamment pour les véhicules hors d'usage. Enfin, soulignons une production d'ordures ménagères résiduelles supérieure à celle de l'Hexagone, due notamment à la moindre performance des collectes séparées.

Quel est le positionnement de l'Ademe vis-à-vis de ces différents enjeux ?

Notre stratégie outre-mer a été élaborée en 2019, avec pour enjeu majeur la clarification du positionnement de l'Ademe vis-à-vis des outre-mer, et la formalisation de notre engagement particulier pour ces territoires, tant en termes financiers et techniques qu'humains. Enfin, notre objectif est de créer un esprit collectif entre nos différentes directions régionales ultramarines et entre les différents sites.

Cette stratégie s'est fondée sur un diagnostic approfondi qui a été réalisé avec un grand nombre d'acteurs. On a alors constaté qu'au titre de la transition écologique au sens large, les territoires d'outre-mer étaient aux avant-postes en termes d'enjeux, et parfois en termes de politiques publiques, d'un grand nombre de problématiques. Le système ultramarin est extrêmement complexe et spécifique, avec des caractéristiques particulières pour une partie des territoires au titre du droit européen. Certains d'entre eux connaissent une croissance démographique, d'autres, un repli. L'explosion urbaine ne concerne certes pas tous les territoires. En revanche, ils sont dans l'ensemble confrontés à des difficultés liées à la formation et à l'accès à l'emploi des jeunes, à une forte dépendance aux énergies fossiles, à des transports en commun qui sont peu développés et au poids de la mobilité en général dans la consommation énergétique, et à des vulnérabilités naturelles très importantes.

Ce tableau nous a amené à essayer de définir à la fois des priorités managériales en interne, et un positionnement à l'externe. Nous concevons l'Ademe comme l'ensemblier de la transition énergétique et écologique pour les outre-mer, notre regard étant transversal sur l'ensemble des problématiques. Notre fil rouge consiste à faire de la transition écologique un levier pour l'innovation et le développement endogène et durable des outre-mer face au changement climatique. Ceci revient à faire d'une contrainte plus forte que dans l'Hexagone une opportunité pour identifier des gisements de développement, d'activité économique et d'innovation au sens large.

Nous sommes présents au travers de quatre directions régionales : Martinique, Guadeloupe, Guyane et une nouvelle direction, « Océan Indien », qui regroupe le site de La Réunion et le site de Mayotte. Désormais, nous avons un directeur régional délégué à Mayotte. À ces quatre directions régionales, s'ajoutent trois représentations territoriales en Nouvelle-Calédonie, en Polynésie française et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces petites unités sont étroitement liées aux services de l'État.

Au total, les effectifs de l'Ademe consacrés aux outre-mer s'élèvent à 52 personnes, dont 27 à temps plein en CDI, 16 volontaires du service civil, et puis plus récemment, une dizaine d'intérimaires au titre du plan de relance. Au total, 8 % des moyens humains de l'action régionale de l'Ademe sont dédiés aux outre-mer, ce qui est supérieur à la part des Ultramarins dans la population française totale.

En 2021, nous avons accordé 44 millions d'euros d'aides, dont 80 % sur des projets liés à l'économie circulaire et aux déchets. La problématique est donc tout à fait saillante dans les politiques de l'Ademe. Nous avons également réalisé des accords contractuels avec les collectivités, en particulier dans le cadre des « contrats de convergence et de transformation ». Au total, nous avons soutenu en 2021 296 projets, pas uniquement liés à l'économie circulaire et aux déchets, pour un total d'investissement de 127 millions d'euros. Pour 44 millions investis par l'Ademe, il y a une assiette d'investissement de 127 millions d'euros, on a donc un effet de levier qui est intéressant.

Dans le cadre du plan de relance, 107 projets ont été soutenus, soit un montant total de 3 millions d'aides pour 7 millions d'investissements.

Au niveau budgétaire, il faut signaler que bon nombre des aides classiques de l'Ademe sont bonifiées à hauteur de 15 % supplémentaires pour les outre-mer. Certains systèmes d'aide qui ne sont plus en vigueur en métropole sont maintenus dans les outre-mer au titre du rattrapage structurel : c'est notamment le cas du régime d'aide aux déchetteries.

Nos priorités en termes de politique publique sur la gestion des déchets en outre-mer sont d'abord la question de l'appropriation des enjeux par la population, c'est-à-dire le changement des comportements et l'amélioration du geste de tri. Ce point est significatif, car une bonne partie de la responsabilité en termes de gestion des déchets incombe à nos concitoyens. C'est un sujet qui doit être travaillé, peut-être avec l'appui des sciences humaines et sociales. Par ailleurs, il y a un déficit en ingénierie. Deux dispositifs de l'Ademe permettent d'y répondre et ont été déployés dans la plupart des outre-mer : les contrats d'objectifs en outre-mer (CODOM), d'une part, attribuent des moyens de fonctionnement, notamment à des syndicats de collecte des déchets ou à des collectivités, et financent des postes d'ingénierie ; d'autre part, la méthode MODECOM, qui permet de caractériser les flux de déchets pour avoir des éléments chiffrés précis.

Nous avons conscience des difficultés rencontrées par les filières REP et, depuis plusieurs années, nous avons mis en place des plateformes pour essayer de lever certains verrous, et introduire davantage de transparence, avec une gouvernance partagée avec l'ensemble des acteurs. Par ailleurs, nous développons des partenariats importants avec d'autres acteurs, État ou autre, notamment l'Agence française de développement (AFD), qui peut intervenir de manière complémentaire à l'Ademe, les aides de l'Ademe étant plutôt des aides à l'investissement, l'appui de l'AFD visant le fonctionnement. Il nous semble important aussi de travailler à l'échelle régionale des territoires d'outre-mer pour favoriser les collaborations avec les États voisins ou les régions voisines, ce qu'on a fait notamment à l'occasion de la crise des sargasses, qui est un enjeu « déchets » mais pas seulement. Nous avons travaillé sur le sujet en forte intelligence avec les régions Guadeloupe et Martinique ainsi qu'avec les États de la Caraïbe. L'enjeu pour nous est aussi de favoriser l'innovation et l'expérimentation parce qu'une partie des réponses en outre-mer ne sont pas forcément des réponses à calquer depuis l'Hexagone : il y a souvent des solutions spécifiques à trouver pour ces territoires.

Dans le cadre des contrats de convergence et de transformation, nous essayons de changer les modèles sur les coûts et de transformer les handicaps des outre-mer en avantages. Peut-être faut-il également sortir des modèles métropolitains des filières REP, car les équilibres économiques et la masse critique à atteindre les rendent peu applicables en outre-mer. Souvent, nous nous interdisons, pour des raisons économiques, d'aller vers certaines solutions qui seraient nécessaires pour progresser sur les questions de recyclage et de valorisation sur place. La décision de CMA-CGM devrait pourtant nous amener collectivement à chercher des solutions spécifiques aux outre-mer. Au titre de France 2030, une mesure importante vise à soutenir des industriels pour la réincorporation de matière plastique et le recyclage plastique, notamment chimique. Les infrastructures concernées sont extrêmement lourdes, et le dispositif ne s'adresse pas pour l'instant aux outre-mer, compte tenu de la masse insuffisante et des investissements financiers à réaliser. Pour autant, nous militons pour que les mesures de France 2030 puissent avoir des déclinaisons plus facilement applicables dans ces territoires. Comme le transport coûte de plus en plus cher, il est très important de travailler sur la valorisation sur place des déchets. Des solutions ont été envisagées, certaines ont même été initiées ici et là, afin notamment d'améliorer les gestes de tri ou de pousser nos concitoyens à changer de comportement en matière de gestion du tri. Je signalerai notamment l'expérimentation de la consigne en Guadeloupe, des expérimentations de gratification lorsque les gens rapportent leurs bouteilles en plastique ou autres emballages dans des points d'apports volontaires à Mayotte, des gratifications avec des partenaires privés, par exemple le projet Solarcube en Martinique, qui s'étend à la Guadeloupe.

Sur la question des déchets du BTP, il y a certainement un modèle à proposer au monde de l'artisanat. La solution unique est-elle de déposer les déchets du bâtiment en déchetterie ? Peut-on envisager des dépôts en boutique ? Ou encore, le développement de la solution qui a été largement déployée, les combustibles solides de récupération (CSR), qui permettent de produire des matériaux qui sont ensuite à la fois facilement transportables et utilisables pour produire de la chaleur ou de l'électricité ? La production des CSR est néanmoins un investissement lourd qui n'est valable que sur des territoires avec un nombre important d'habitants, et qui connaît par ailleurs quelques difficultés autour de la gouvernance. Ce qu'il faut retenir, c'est qu'il restera toujours autour de 20 % de déchets en enfouissement.

Il y a aussi la solution des unités de valorisation énergétique, privilégiée par exemple en Guyane, mais, dans tous les cas, il y a des difficultés communes autour du plan de financement, de la capacité de la maîtrise d'ouvrage à porter des projets complexes de cette taille, de maintenance, et des problèmes de gouvernance au niveau des syndicats qui ne sont pas toujours équipés pour suivre dans le temps ces projets.

Pour autant, les solutions de stockage et d'enfouissement ne sont certainement pas durables, et il va falloir trouver des solutions alternatives. Il est donc probable que la valorisation énergétique soit de toute manière nécessaire, ce qui pose aussi la question des tarifs de rachat pour les CSR par la Commission de régulation de l'énergie (CRE), qui se fonde aujourd'hui sur la production électrique classique.

Se pose la question de l'adaptation réglementaire pour des sites isolés, notamment en Guyane ou en Polynésie française, où la question de l'enfouissement est parfois en partie inévitable. La mise en place en Guyane d'écocarbets constitue une piste intéressante.

Une question centrale est celle de l'observation. J'ai cité le site sinoe.org, mais c'est surtout la constitution d'observatoires régionaux autour des questions de déchets et d'économie circulaire qui est essentielle, parce qu'une politique publique cohérente doit pouvoir s'appuyer sur des chiffres fiables et être évaluée au fil de l'eau. Aujourd'hui, l'observatoire des déchets en Guyane est en voie de pérennisation, avec un passage de relais de l'Ademe vers la collectivité territoriale de Guyane ; l'observatoire de Guadeloupe est géré par l'association Synergîles et s'appuie notamment sur les dispositifs ComptaCoût et MODECOM mis à disposition par l'Ademe ; un observatoire des déchets est naissant en Martinique, avec une structure tierce qui est en préparation pour porter ce dispositif ; à La Réunion, c'est l'agence d'urbanisme qui porte l'observatoire qui, je crois, donne satisfaction aujourd'hui dans son fonctionnement et enfin, à Mayotte, une étude de préfiguration est en cours pour un portage de cet observatoire par le département.

Il est de plus en plus compliqué de boucler les plans de financement des projets en matière de gestion des déchets en outre-mer. Si nous constatons avec plaisir que beaucoup de territoires d'outre-mer connaissent aujourd'hui une nouvelle dynamique sur les projets en matière de gestion des déchets, nous sommes malheureusement confrontés à des financements européens qui ne sont pas toujours pérennes et, du côté de l'Ademe, nous avons une problématique non pas de budget, mais de consommation des budgets : cette année 2022, le fonds économie circulaire est en tension considérable puisqu'au mois de mai, nous avons déjà consommé une grande partie des crédits. Heureusement, nous avons l'appui du Plan de relance, mais sur des dispositifs qui ne sont pas toujours aussi généralistes que ceux du fonds économie circulaire. Dans ce contexte, l'Ademe s'efforce de conserver un réflexe outre-mer et de sanctuariser certains fonds, mais je ne vous cache pas que c'est parfois compliqué parce qu'il y a aussi de très beaux projets à financer dans l'Hexagone. Nous espérons obtenir l'année prochaine un fonds économie circulaire plus important pour répondre au portefeuille croissant de projets.

Enfin, s'agissant des modes de vie, nous avons rendu public il y a quelques mois « Transition 2050 », un exercice de prospective incluant les problématiques autour de l'énergie, des matières et de tous les enjeux d'économie circulaire, dont vous pouvez prendre connaissance sur le site « transitions2050.ademe.fr ». Nous envisageons d'en faire prochainement une déclinaison spécifique pour les outre-mer.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - L'Ademe milite pour la valorisation énergétique des déchets. S'agissant de la Guyane, un rapport a fixé un objectif de production de 13 mégawatts à partir de déchets en 2030. Compte tenu du besoin croissant d'électricité en Guyane, j'aimerais connaître l'état d'avancement de ce projet.

Mme Ingrid Hermiteau, directrice régionale de l'Ademe, Guyane. - Les travaux de ce projet d'unité de valorisation énergétique seront engagés en 2027. Actuellement, nous sommes dans la phase d'études, qui vise à déterminer le bon montage administratif et financier pour la collectivité et, sur des aspects plus techniques, la bonne localisation du site pour optimiser la valorisation énergétique de la future installation. Au-delà de l'électricité, il y a un enjeu de valorisation de la chaleur -  je précise que lorsqu'on parle de chaleur en Guyane et dans d'autres sites d'outre-mer, on parle essentiellement de la production de froid à partir de la chaleur. C'est une façon d'optimiser le rendement énergétique de ces sites, et donc leur rétribution financière.

La mise en place d'unegouvernance partagée constitue également un des enjeux phares du projet. Actuellement géré par l'agglomération de Cayenne, il doit à terme offrir un débouché à trois EPCI de Guyane.

M. Nicolas Soudon. - La valorisation énergétique est une solution sans doute inévitable, en tout cas complémentaire à l'amélioration du tri, et à un résidu d'enfouissement qui demeurera nécessaire.

Mme Victoire Jasmin, présidente. - Il faut beaucoup plus de pédagogie et de prévention sur nos différents territoires. Beaucoup d'initiatives sont prises par les associations et il arrive qu'elles nous sollicitent. Malheureusement, faute de réserve parlementaire, nous n'avons plus les moyens de les soutenir. Certaines sont accompagnées par l'Ademe : un festival va se tenir prochainement sur mon territoire, au Moule, dans lequel son rôle est essentiel auprès des jeunes. Il est important d'impliquer les jeunes, car ce sont eux qui assureront la relève, là où notre génération a peut-être failli. Il y a le West Indies Green Festival qu'il faudrait soutenir également.

Concernant les annonces de CMA-CGM, le changement de stratégie est urgent et tout doit être mis en oeuvre pour changer les pratiques de traitement et de valorisation des déchets. Des réactions de nos décideurs locaux, sur l'ensemble de nos territoires, sont probables.

Au nom de la délégation, je vous remercie tous de votre participation.