Mardi 21 juin 2022

- Présidence de M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale et de M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de MM. Martin Kallen, directeur général de l'UEFA Events SA, et Julien Zylberstein, directeur des affaires européennes et de la gouvernance de l'Union des Associations Européennes de Football

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Nous poursuivons ce matin nos auditions avec la commission des lois, présidée par François-Noël Buffet, sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai dernier.

Nous recevons aujourd'hui en visioconférence M. Martin Kallen, directeur général de l'UEFA Events SA, et M. Julien Zylberstein, directeur des affaires européennes et de la gouvernance de l'Union des associations européennes de football.

Cette audition était indispensable afin de compléter notre information sur les différents dysfonctionnements intervenus au cours de la journée du 28 mai dernier.

Le rôle de l'UEFA est essentiel à maints égards, puisque c'est l'autorité responsable de l'organisation de la compétition, celle qui édite la billetterie et négocie les partenariats marketing. C'est évidemment l'UEFA qui attribue le titre au vainqueur de la compétition.

Vous pourrez utilement nous préciser votre rôle dans la journée du 28 mai comme dans sa préparation et nous détailler vos rapports avec la Fédération française de football (FFF), qui, à certains égards, agit comme votre délégataire.

Les auditions menées jusqu'à présent nous ont déjà permis d'identifier plusieurs dysfonctionnements qui concernent les services de l'État et les transporteurs publics. Nous avons pu mettre en lumière plusieurs fautes, qu'il s'agisse de l'absence de parcours de délestage à la sortie de la gare du RER D, des décisions intempestives de redirection des flux de passagers entre les lignes B et D ou de l'absence d'anticipation de la présence d'un important contingent de délinquants qui a semé le chaos parmi les spectateurs.

Ces incidents ne relèvent bien sûr pas de la responsabilité de l'UEFA. Si nous avons souhaité vous auditionner, c'est pour en savoir plus sur la façon dont a été prise la décision de déplacer la finale de la Champions League de Saint-Pétersbourg à Paris. Qui a pris cette décision, à l'UEFA et au sein des autorités françaises ? Le court délai de préparation a-t-il été un sujet de préoccupation clairement identifié lors de la prise de décision ? A-t-on procédé à l'évaluation des difficultés d'organiser une telle compétition en seulement trois mois avant de choisir la ville chargée de succéder à Saint-Pétersbourg ? D'autres villes étaient-elles candidates ?

Parmi les problèmes identifiés dans le champ de compétence de l'UEFA, figure en particulier la décision d'éditer 20 000 billets sous format papier à destination des supporters de Liverpool et environ 6 000 autres à destination des supporters du Real de Madrid.

Le risque de fraude en présence de billets papier est connu. Pourquoi avoir pris ce risque dans le contexte d'une finale délocalisée ? Avez-vous identifié des mouvements suspects concernant la vente de billets frauduleux dans les jours qui ont précédé la finale ?

Une autre difficulté relevant de l'UEFA concerne la décision que vous auriez prise - j'insiste sur le conditionnel - d'exiger un contrôle de validité des billets au niveau des points de préfiltrage. Ce double contrôle de sécurité et des billets s'est révélé être à l'origine d'une partie des engorgements. N'avez-vous pas sous-évalué ce risque en exigeant ce contrôle, alors que la présence de nombreux spectateurs britanniques était prévisible ? On sait que les supporters de Liverpool ont l'habitude de se déplacer en grand nombre pour accompagner leur équipe jusqu'à l'entrée du stade.

Je vous laisse la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes maximum, après quoi le président Buffet et nos collègues vous interrogeront à leur tour.

M. Julien Zylberstein, directeur des affaires européennes et de la gouvernance de l'UEFA. - Au nom de l'UEFA, nous souhaitons tout d'abord vous remercier de nous permettre de contribuer à vos travaux. Nous voyons cette audition comme une étape très importante, attendue par toutes et tous, particulièrement par les supporters.

Comme vous le savez, nous avons commandité notre propre enquête, confiée à un ancien ministre des sports de la République du Portugal, M. Tiago Brandão Rodrigues, qui est, comme vous, parlementaire. Nous aurons sûrement l'occasion de revenir sur cette enquête indépendante.

Contrairement à une information relayée par les médias, en France et à l'étranger, l'UEFA n'a jamais exprimé la moindre réserve ou réticence à propos de cette audition, bien au contraire. De manière proactive, nous avons pris l'attache des secrétariats de vos commissions pour être entendus le plus rapidement possible. Les administrateurs pourront vous le confirmer.

Nous travaillons étroitement et dialoguons de manière permanente avec les pouvoirs publics, aux échelles européenne et nationale. C'est le cas sur le plan opérationnel, pour l'organisation d'événements, comme sur le plan institutionnel. Parmi nos partenaires figurent la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil de l'Union européenne, le Comité européen des régions ou encore le Conseil de l'Europe.

J'insiste sur cette dernière institution. Un important volet de nos travaux conjoints concerne la mise en oeuvre de la convention de Saint-Denis, signée en marge de l'Euro 2016, au Stade de France. Nous avons été un élément moteur de son développement et jouons aujourd'hui un rôle de premier ordre pour sa mise en application. Nous sommes d'ailleurs un membre historique de son comité de suivi.

La convention de Saint-Denis est l'aboutissement de décennies de travail avec nos partenaires européens. Aujourd'hui, elle constitue très vraisemblablement l'instrument juridiquement contraignant le plus abouti à l'échelle internationale pour ce qui concerne la sécurité, la sûreté et les services des événements sportifs majeurs. Elle permet notamment une collaboration structurée entre les différents acteurs compétents : pouvoirs publics, organisateurs d'événements et organisations de supporters.

À ce titre, je souligne que nous entretenons d'excellents rapports avec Football Supporters Europe (FSE), que, sauf erreur de ma part, votre commission entendra cette après-midi. FSE et ses membres sont des partenaires stratégiques de l'UEFA et nous sommes en contact quotidien avec eux.

Nous entretenons également d'excellents rapports avec les autorités françaises, qu'il s'agisse du Gouvernement ou des parlementaires. Nous avons assuré ensemble l'organisation de l'Euro 2016. Nous avons également été heureux de contribuer à divers travaux parlementaires. Je pense notamment à deux rapports datant de 2013 : celui du sénateur Jean-François Humbert, sur l'Union européenne et le sport, et celui du sénateur Dominique Bailly, sur l'éthique du sport. En 2016, nous avons également été entendus par le vice-président de la commission de la culture du Sénat, David Assouline, dans le cadre d'une mission que le Premier ministre lui avait confiée sur le sport à la télévision en France.

M. Martin Kallen, directeur général de l'UEFA Events SA. - Après l'invasion de l'Ukraine par la Russie, il a été décidé de ne plus organiser la finale de la Ligue des champions à Saint-Pétersbourg. Tout le monde est convenu que c'était une excellente décision, prise en un temps record.

Dès lors, il fallait trouver au plus vite une solution de repli : chaque jour comptait pour organiser cet événement.

Nous devions remplir un certain nombre de critères. Il nous fallait un stade d'une capacité de 70 000 places, libre le 28 mai et toute la semaine précédente pour que l'on ait le temps de tout préparer sur place, dans une ville facile d'accès, avec une grande capacité de logements, et dans un pays ayant l'expérience nécessaire pour accueillir de grands événements sportifs.

Sur cette base objective et opérationnelle, Paris semblait la ville idéale et le Stade de France le stade idéal. D'ailleurs, à ce moment-là, nous n'avions quasiment aucune autre option. Il n'existe pas tant de stades de plus de 70 000 places en Europe répondant à nos différents critères. Le stade de Wembley aurait été idéal, mais il n'était pas libre à cette date.

Nous connaissons bien le Stade de France : nous y avons organisé sans problème plusieurs matchs de l'Euro 2016, dont la finale, et plusieurs finales de la Ligue des champions. La dernière d'entre elles remonte à 2006, car nous sommes attachés au principe de rotation.

J'y insiste, cette solution semblait parfaite. Elle revêtait également une forte valeur symbolique, Paris étant capitale de l'Union européenne de janvier à juin 2022. Tout le monde a salué cette décision.

Quand nous sommes arrivés à la conclusion que le choix de Paris s'imposait, le président de l'UEFA s'est entretenu avec le Président de la République, jeudi 24 février dans l'après-midi, pour l'informer de notre décision. M. Macron a compris la situation et a confirmé que l'État français apporterait son soutien à l'organisation de cet événement. Le Président Macron et le Gouvernement français n'ont jamais fait de lobbying pour accueillir cette finale.

Vendredi 25 février en début de matinée, la FFF a été informée par téléphone de ce choix, qu'elle a accueilli favorablement.

Peu après - à dix heures, le même jour -, s'est tenue, par visioconférence, une réunion extraordinaire du comité exécutif de l'UEFA. Ce comité exécutif, dont la FFF est membre, a validé le choix à l'unanimité, sans le représentant russe, bien sûr.

Habituellement, la phase de planification et de préparation d'une finale de la Ligue des champions de l'UEFA se déroule sur trente-six mois. Dans cet intervalle, plusieurs visites d'inspection, réunions de travail et autres événements tests peuvent être organisés pour assurer la préparation du site.

En raison du changement de site, cette phase préparatoire a dû être accélérée et ajustée en fonction d'autres événements déjà planifiés au Stade de France.

Je le répète, nous connaissons bien le Stade de France. De plus, la FFF a l'habitude d'organiser de grands événements. Il aurait été plus difficile d'organiser cette finale, avec un délai de trois mois, dans un autre stade et avec un autre organisateur. Londres n'était pas disponible. En parallèle, de nombreux événements sont prévus en Allemagne, en particulier l'Euro 2024 et la Champions League en 2025. En Espagne, deux stades répondaient à nos critères, mais l'un était occupé et l'autre était en travaux.

Vous l'avez rappelé, plus de 100 000 personnes ont afflué au Stade de France. Or les transports publics, ô combien importants, ont posé différents problèmes. Du fait de la grève du RER B, beaucoup de supporters se sont reportés sur le RER D : plus de 37 000 personnes sont venues par le RER D, contre 9 000 pour la finale de la coupe de France, avant d'être orientées directement vers l'entrée 3 du périmètre de sécurité supplémentaire.

Un certain nombre de faux billets ont été détectés aux entrées 2 et 3 du périmètre de sécurité peu après leur mise en service. Ainsi, les stadiers ont pu croire que les stylos détecteurs utilisés pour vérifier l'authenticité des billets étaient défectueux, ce qui a ralenti le processus, les stadiers vérifiant chaque billet papier à plusieurs reprises.

À la mi-temps, les transports publics nous ont informés que 30 000 personnes se dirigeaient vers Paris. Beaucoup de personnes présentes sur place avaient bel et bien de faux billets, voire n'avaient pas de billet du tout.

Aux abords du stade, la circulation était saturée en permanence par les supporters et par divers véhicules. La sécurité s'en trouvait également menacée. Pour les groupes, l'accès aux parkings était, en principe, bloqué à partir de dix-neuf heures.

En matière de sûreté et de sécurité, le plan de déploiement des stadiers s'est principalement inspiré de celui de la finale de la coupe de France organisée le 7 mai 2022.

Avant le match, l'évaluation menée par nos équipes de sûreté et de sécurité et par la responsable de la sécurité a mis au jour un risque élevé d'invasion du terrain par des supporters sans billet ou détenteurs de billets contrefaits. Afin d'anticiper ces risques, plusieurs mesures ont été prises, notamment une opération de communication pour que les supporters sans billet s'abstiennent de venir au Stade de France.

Quelque 1 700 stadiers ont été déployés sur place. Malheureusement, la plupart d'entre eux ne parlaient ni anglais ni espagnol, ce qui a posé problème pour dialoguer avec les supporters des deux équipes.

Les tourniquets ont été ouverts à dix-huit heures après avoir fait l'objet d'une vérification finale de la part de l'UEFA et de la FFF. Les activités opérationnelles n'ont été fluides, conformément au plan opérationnel, que pendant trente minutes seulement. D'une part, l'aggravation de la situation au niveau de l'entrée 3 du périmètre de sécurité supplémentaire, de l'autre, l'arrêt périodique des contrôles préalables visant à identifier les supporters sans billet, ont eu pour conséquence la formation d'une foule comprenant de nombreux supporters sans billet. Cette situation a permis à des bandes locales de venir errer devant le stade.

À dix-huit heures cinquante-deux, la première infraction a été constatée au niveau des tourniquets de la porte Y.

Globalement, aux tourniquets, les flux sont restés très faibles : on a comptabilisé au maximum 6 000 personnes toutes les quinze minutes. À ce rythme, il faut plus de trois heures pour remplir le stade. Or notre hypothèse de travail était de quatre-vingt-dix minutes, avec 12 500 personnes toutes les quinze minutes.

À partir de dix-huit heures cinquante-deux, des flots de supporters se sont succédé devant différentes portes du stade, perturbant le flux des spectateurs. La présence d'un nombre considérable de supporters sans billet ou sans vrai billet a entraîné de graves problèmes de sécurité.

Face aux problèmes constatés au niveau des portes, on a décidé la fermeture des tourniquets, victimes d'un engorgement massif. Le chef des stadiers au niveau de chaque porte a été informé d'une procédure opérationnelle standard consistant à fermer les portes en cas d'infraction. Le but ultime de la fermeture des tourniquets était d'éviter de dépasser la capacité maximale de plus de 4 %. En pareil cas, il aurait fallu arrêter le match pour raisons de sécurité.

À mesure que les supporters s'accumulaient devant les tourniquets, en particulier de supporters sans billet, les fermetures de tourniquets se sont multipliées. Elles ont permis de réduire avec efficacité le flux de personnes tentant de franchir le périmètre de sécurité lors du pic d'activité opérationnelle.

En salle de contrôle, le centre de coordination du site insistait sur la nécessité d'augmenter le flux. À plusieurs reprises, on a tenté de rouvrir les tourniquets, mais il a fallu les fermer de nouveau face à la pression exercée par les spectateurs, avec ou sans billet.

À partir de vingt heures, la FFF a demandé un soutien policier au niveau des tourniquets. La police est arrivée après un certain laps de temps ; sans son soutien pour maintenir l'ordre public, les stadiers auraient difficilement gardé le contrôle des tourniquets, dès lors que l'entrée 3 du périmètre de sécurité n'était plus opérationnelle.

La police de Merseyside avait informé l'UEFA que 50 000 à 70 000 supporters de Liverpool feraient le déplacement et que le nombre de supporters sans billet pourrait atteindre 50 000. Leur point de rencontre était situé cours de Vincennes, à Paris, près de la place de la Nation.

La projection de la finale sur écran géant avait été prévue, avec l'approbation des autorités, pour ces supporters sans billets. Au total, ce point de rencontre a accueilli 44 000 personnes. L'UEFA et les deux clubs ont communiqué à plusieurs reprises pour garantir une bonne rotation entre les supporters entrants et sortants.

Le jour du match, cinquante « gardes-supporters » de Liverpool ont été envoyés du stade vers les parkings des gares situées à proximité des points de rencontre des supporters de Liverpool. En effet, la plupart des supporters présents dans ces gares ne disposaient pas de billets pour le match.

J'en viens aux conséquences des billets papier.

Chaque club gère sa billetterie selon ses propres procédures et en fonction des habitudes de ses supporters. Or, au fil des discussions, il est apparu que les systèmes de billetterie mis à disposition par l'UEFA ne répondaient pas à toutes les exigences de Liverpool et du Real de Madrid. Ils auraient, à tout le moins, exigé beaucoup d'adaptations de la part des clubs.

En conséquence, le club de Liverpool a fortement insisté pour garder le contrôle de ses processus de vente et demandé à l'UEFA de lui délivrer des billets papier.

Le Real de Madrid a accepté de gérer une partie de ces ventes selon les procédures de billetterie de l'UEFA. Ainsi, des billets numériques ont été émis, représentant 60 % de l'ensemble. Le reste était imprimé sur papier.

Ces billets sont imprimés sur des papiers sécurisés répondant aux normes de sécurité les plus élevées possible, réservées, en principe, aux billets de banque.

Naturellement, ces critères de sécurité ont évolué avec le temps. Toutefois, un élément de sécurité utilisé depuis de nombreuses années s'est révélé particulièrement robuste : il n'a jamais été copié ni falsifié jusqu'à ce jour. Il s'agit d'une encre spéciale appliquée sur une zone spécifique du billet. Cette encre réagit au contact de stylos chimiques, déployés sur les périmètres de sécurité extérieure du stade et distribués aux agents de sécurité chargés de procéder à la prévérification des billets. Si le papier réagit au contact du stylo, il est considéré comme authentique et le billet est considéré comme valide.

Même si cette fonctionnalité n'a jamais été falsifiée, l'UEFA a continué de l'améliorer. Ainsi, après la finale de la Ligue des champions de 2019, l'encre réactive au stylo chimique a été appliquée non plus sur une ligne continue, mais sur un motif en pointillés.

De tels éléments renforcent la sécurité des contrôles. Lors de la finale de Paris, comme lors de nombreuses autres finales très courues de l'UEFA, les billets contrefaits ressemblaient visuellement aux billets authentiques, mais ne présentaient pas ces éléments de sécurité. Il reste donc possible de contrôler les billets au périmètre extérieur.

En plus de l'encre réactive, le billet de la finale de Paris comportait le trophée de la Ligue des champions gravé en relief. Cet élément était aisé à vérifier à l'aide du doigt, les faux billets ne présentant aucun relief perceptible. Il était donc possible, même sans stylo chimique à portée de main, de reconnaître un billet contrefait.

Bien qu'il ne soit pas possible de quantifier les billets contrefaits ayant atteint le périmètre du stade, on peut supposer qu'ils ont été plus nombreux lors de la finale de Paris que lors des finales précédentes.

Tous les éléments de sécurité des billets imprimés et mobiles visent à réduire les risques de contrefaçon. Reste que des groupes organisés sont déterminés à mettre en oeuvre tous les moyens pour accéder au stade.

Le soutien apporté par l'UEFA en matière de billetterie mobile était conçu pour réduire le risque de contrefaçon ; il représente la solution la plus innovante du marché à l'heure actuelle.

S'agissant enfin des problèmes de sécurité après le match, les médias, comme certains invités de l'UEFA et membres du personnel, ont signalé que des bandes de délinquants avaient créé un environnement hostile autour de Saint-Denis. Celui-ci s'est traduit notamment par des agressions, vols et intimidations à l'encontre des supporters, en particulier sur la ligne 13.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Alors que la compétition était prévue avec une billetterie électronique, propre à sécuriser les opérations, pourquoi avoir accepté, pour la finale, que les clubs distribuent des billets papier ? Une raison particulière vous a-t-elle conduits à revenir sur votre doctrine ?

M. Martin Kallen. - En 2016, nous avons commencé à développer un système exclusivement digital. Son élaboration a pris du temps, car de nombreux tests ont été nécessaires. C'est pourquoi les deux types de billets ont jusqu'à présent coexisté.

Nous voulions, pour la première fois, ne recourir qu'aux billets digitaux. Nous avons travaillé pendant un an avec l'Association européenne des clubs et Football Supporters Europe, qui étaient d'accord avec cet objectif.

Les deux finalistes, à qui reviennent plus de la moitié des billets de la finale, n'étaient pas très favorables au tout digital, pour les raisons que j'ai précédemment développées. Trois semaines environ avant la rencontre, nous avons discuté fortement avec eux : nous nous sommes entendus sur une part de billets papier, car il s'agissait pour ces deux clubs, surtout pour Liverpool, de la seule manière de vendre des billets à leurs supporters.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Les supporters de Liverpool n'ont-ils jamais utilisé de billets électroniques lors des matchs précédant la finale ?

M. Martin Kallen. - Les matchs précédant la finale ne sont pas organisés par l'UEFA, mais par le club hôte de la rencontre.

En ce qui concerne la blockchain, notre système reste quasi unique au monde, même si certains clubs disposent d'un système similaire. Les supporters d'un club sont souvent porteurs d'une carte valable pour l'ensemble de la saison, en sorte qu'une billetterie blockchain n'est pas vraiment nécessaire. Aujourd'hui, la plupart des clubs recourent aux billets papier, aux cartes saison et au print at home.

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Le club de Liverpool assure que des détenteurs de billets valides ont vu leur billet contrôlé comme invalide. Est-ce matériellement possible ?

Par ailleurs, pourquoi le contrôle de la validité des billets a-t-il été fait en même temps que le préfiltrage. Est-ce l'UEFA qui a demandé cette organisation ?

M. Martin Kallen. - Le périmètre de sécurité supplémentaire à l'extérieur du stade était conçu pour que les personnes sans billet ou munies d'un faux billet n'accèdent pas aux tourniquets, qui, au Stade de France, sont directement sur les barrières du stade et précèdent le contrôle des objets et la fouille au corps - alors que, dans la procédure standard, les spectateurs sont fouillés avant les tourniquets.

En ce qui concerne le contrôle des billets digitaux, le bluetooth du téléphone doit être ouvert au passage des beacons, sans quoi le QR Code n'est pas activé. Certaines personnes n'avaient pas de bluetooth ou sont passées à un endroit où aucun beacon n'a capté leur QR Code. Reste qu'une procédure manuelle permettait aux stadiers d'activer un QR Code.

Les vérifications faites après le match ont montré qu'environ 2 700 détenteurs d'un billet valide n'avaient pas pu entrer, soit parce qu'ils n'étaient jamais arrivés jusqu'aux tourniquets, soit parce qu'une autre personne, détentrice d'un faux billet, était déjà entrée avec le même QR Code.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Les autorités françaises étaient-elles présentes lors de vos discussions avec les deux clubs sur l'organisation de la billetterie ? Dans l'affirmative, ont-elles émis des réserves sur les billets papier ?

M. Martin Kallen. - Les autorités n'étaient pas présentes lors des discussions avec les clubs sur le système de billetterie. Elles l'étaient, en revanche, à la réunion qui s'est tenue avec les finalistes le lendemain de leur qualification : nous avons bien précisé à cette occasion que la billetterie serait à la fois électronique et imprimée.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Aviez-vous été alertés, avant le match, de l'ampleur du phénomène de faux billets ?

M. Martin Kallen. - Des personnes ont toujours cherché à assister au match sans billet. Après avoir constaté que de faux billets étaient vendus sur internet, nous avons organisé deux ou trois réunions avec le club de Liverpool. La police anglaise est également intervenue pour fermer quelques sites impliqués.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Informées de la mise en place d'une double billetterie lors de la réunion dont vous venez de parler, les autorités françaises ont-elles émis des réserves ?

M. Martin Kallen. - Je n'ai pas moi-même participé à toutes les réunions, mais lors des réunions auxquelles j'étais présent aucune réserve n'a été formulée.

Nous n'en sommes pas encore au tout digital : le recours au billet papier reste fréquent pour de nombreux événements.

Au demeurant, ce n'est pas seulement le billet papier qui a provoqué le chaos aux portes du stade. Les causes sont multiples : grève des transports, mauvaise réaction des stadiers et des forces de l'ordre, présence de délinquants, flux très important de personnes sans billet ou avec un faux billet.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Merci, monsieur le directeur général, de prendre la peine de nous parler en français.

Depuis la finale, quel est l'état de vos relations avec les présidents des clubs finalistes, plus que mécontents de ce qui s'est passé ?

Vous avez déclaré que vous auriez préféré Wembley. Pourriez-vous nous en expliquer la raison ?

Enfin, le retard supérieur à une demi-heure du coup d'envoi a-t-il eu des incidences financières en ce qui concerne les annonceurs ?

M. Martin Kallen. - Nous avons un bon contact avec les présidents du Liverpool FC et du Real Madrid. Il est clair qu'ils ne sont pas contents du déroulement de la finale. Nos équipes collaborent étroitement, d'autant que ces clubs sont très souvent qualifiés en finale. Notre approche est neutre et au service des clubs.

S'agissant des recettes publicitaires, aucune demande de remboursement n'a été formulée à ce jour. Les contrats prévoient l'éventualité d'un coup d'envoi retardé.

Wembley a une capacité d'accueil supérieure - 88 000 personnes. Il est toujours préférable d'avoir le stade le plus grand possible pour une affiche comme Real Madrid - Liverpool, afin qu'un plus grand nombre de supporters puissent assister au match. En outre, Wembley a été utilisé plus récemment pour des finales. C'est le seul avantage par rapport au Stade de France.

M. Jean-Jacques Lozach. - Dans le cadre de l'enquête diligentée par l'UEFA, l'ensemble des acteurs impliqués dans l'organisation de la soirée du 28 mai vont-ils être auditionnés ?

Par ailleurs, le dédommagement des supporters de Liverpool sera-t-il assumé en totalité par l'UEFA, ou bien la Fédération française de football sera-t-elle sollicitée ?

Depuis ces événements, un débat s'est fait jour en France sur le recours à l'intelligence artificielle, voire à la reconnaissance faciale, pour mieux gérer les flux de circulation lors de ce type d'événements à risque. Quelle est la position de l'UEFA à cet égard ?

M. Martin Kallen. - Notre politique est très claire en matière de billetterie : nous allons dédommager tous les détenteurs d'un billet valide n'ayant pas pu accéder au stade. C'est à nous que cela revient, et la FFF n'a pas à y participer.

En ce qui concerne les technologies dont vous parlez, nous avons mis en place des groupes de travail. La situation est compliquée par le fait que la finale se tient chaque année dans un pays différent et que les législations diffèrent. Nous sommes donc encore loin de mettre en oeuvre de tels systèmes, mais nous n'y sommes pas opposés.

Quant à notre enquête, je vous confirme que tous les acteurs seront interrogés et tous les sujets abordés. Les travaux commencent dès cette semaine.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Quand les résultats de cette enquête seront-ils rendus publics ?

M. Martin Kallen. - L'enquête devant durer au moins trois mois, ce devrait être dans le courant de septembre.

Mme Céline Brulin. - Monsieur le directeur général, je ne crois pas que vous ayez répondu à la question sur le double filtrage, qui ne semble pas être une pratique habituelle. Quelles raisons vous ont conduits à organiser ce double filtrage ?

Par ailleurs, des chiffres assez précis nous ont été communiqués concernant le nombre de faux billets détectés. De votre côté, avez-vous une estimation en la matière ?

En outre, il semblerait qu'il y ait eu un problème non seulement avec les billets papier, mais aussi avec les billets électroniques. Le confirmez-vous ?

M. Martin Kallen. - Effectivement, j'ai oublié d'évoquer la question du « double filtrage ». En réalité, on ne peut pas vraiment parler d'un « double filtrage ». En première instance, la police demande aux spectateurs ayant un sac à dos ou un gros sac de le déposer à la consigne. Il ne s'agit pas à proprement parler d'un filtrage.

En seconde instance, on vérifie la validité du billet pour entrer dans le périmètre du stade. C'est à ce niveau qu'on détecte les vrais et les faux billets.

On le sait aujourd'hui, environ 2 600 faux billets ont été présentés aux tourniquets. Nous avons d'ores et déjà enquêté concernant les adresses indiquées par le QR code. Normalement, les faux billets n'arrivent pas au niveau du tourniquet. Cela signifie que le nombre de faux billets était supérieur à 2 600, sans pour autant atteindre, comme cela a été évoqué en France quelques jours après les événements, le nombre de 30 000 ou 40 000. Selon nous, il était de quelques milliers.

Les billets électroniques et la technologie blockchain sont plus sûrs que les billets papier, car il est difficile de les falsifier en amont. Le QR code n'est activé qu'à certains endroits précis. Sur l'écran du smartphone, le temps est décompté, à l'aide d'un petit minuteur. Si vous faites une capture d'écran, ce décompte disparaît. Il est donc très difficile de falsifier un billet électronique comportant ce type de minutage.

La difficulté, c'est que certaines personnes détentrices d'un vrai billet n'ont pas mis en marche leur Bluetooth, ce qui ne leur a pas permis d'activer leur billet en passant dans la zone permettant l'activation.

À l'avenir, il deviendra extrêmement difficile de faire la capture d'écran d'un billet, grâce à l'introduction d'un nouveau système.

M. Michel Savin. - Monsieur le directeur général, vous nous avez expliqué tout à l'heure les critères retenus pour le choix de la ville qui accueillerait cette finale. Paris paraissait donc le lieu idéal.

Vous venez aussi de nous confirmer que la Fédération française de football, qui a dû organiser cette rencontre en trois mois, au lieu de bénéficier des trente-six mois habituels, n'a pas été consultée, ce qui est assez surprenant, mais simplement informée du choix du Président de la République.

Ma première question est donc simple : le fait de s'adresser directement au chef de l'État et non pas à la fédération constitue-t-il la procédure habituelle pour l'organisation d'une telle rencontre ?

Deuxième question, pouvez-vous nous confirmer que le report de la rencontre censée débuter à vingt et une heures est dû à la présence de 30 000 à 40 000 supporters anglais sans billet ou détenant de faux billets, qui seraient venus s'ajouter aux 10 000 supporters de Liverpool n'étant pas encore entrés dans le stade ?

M. Martin Kallen. - Dans le processus standard, on lance un appel aux fédérations pour organiser une finale. Si ces dernières témoignent de leur intérêt, elles reçoivent un dossier technique à remplir, après avoir contacté les autorités, afin d'apporter toutes les garanties nécessaires. Ensuite, le comité exécutif choisit la ville où sera organisée la finale.

Dans le cas qui nous occupe, nous ne disposions que de trois mois pour préparer l'événement. Nous avons donc mis au point un processus spécial. Nous avons examiné quelles fédérations pouvaient organiser un tel événement dans un temps très court. Paris a été considérée comme l'endroit idéal.

Nous avons demandé directement à la présidence de la République si les autorités donnaient leur accord et leur soutien à cette rencontre. Nous avons ensuite reçu le soutien de la Fédération française de football, puis celui du président Macron.

À partir des statistiques transmises par l'ensemble des transports publics, qu'il s'agisse des taxis ou des bus de supporters, on peut estimer qu'il y avait un peu moins de 75 000 spectateurs dans le stade, et 25 000 personnes autour du stade, en particulier des supporters de Liverpool. En effet, les supporters espagnols du Real Madrid étaient dans le stade bien avant le match.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Concernant la grève du RER B, il semble que les dernières décisions aient été prises la veille du match, au cours d'une réunion entre la préfecture de police et les deux organismes de transport, la RATP et la SNCF, afin de réorienter de manière importante les flux de voyageurs sur la ligne D du RER.

Avez-vous été associés à cette réunion et avez-vous été informés du fait que l'essentiel des voyageurs arriverait par le RER D ?

M. Martin Kallen. - Non, nous n'avons pas été informés. Dans la salle de contrôle du stade, nous avons appris que de nombreux supporters arrivaient par le RER D, ce qui a pris tout le monde par surprise.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Le jour de la finale, les différents acteurs présents au poste de commandement ont été surpris de voir que les supporters arrivaient massivement par le RER D ?

M. Martin Kallen. - Pour ma part, je n'ai pas été tout de suite dans la salle de contrôle.

Nous avions prévu que la plupart des supporters arriveraient par le RER B. En effet, le périmètre de sécurité supplémentaire 3 était plus important que le périmètre de sécurité supplémentaire 2, destiné aux supporters arrivant par le RER D.

Nous avons dirigé trop tard les supporters descendant du RER D vers le périmètre de sécurité 3.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Monsieur le directeur, plus de trois semaines après les événements, quels enseignements en tirez-vous, en particulier en vue des futures finales ? Quelles mesures auraient dû être prises et ne l'ont pas été ?

M. Martin Kallen. - Il est peut-être un peu tôt pour répondre. Nous attendons en effet le rapport indépendant. Nous prendrons un certain nombre de mesures, sur lesquelles nous communiquerons plus tard.

À l'avenir, nous souhaitons travailler le plus possible avec des billets numériques. Certes, certains billets papier seront édités pour un petit nombre de personnes.

Nous avons également l'intention de travailler sur les périmètres de sécurité, ainsi que sur une meilleure communication entre les acteurs du match, afin de mettre en place un système permettant d'être informés en permanence de la situation dans le stade et autour du stade.

M. Laurent Lafon, président de la commission de la culture. - Je vous remercie, monsieur le directeur général, de vos réponses.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 50.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de MM. Ronan Evain, directeur général de l'association Football Supporters Europe (FSE), Joe Blott, président de Spirit of Shankly, Ted Morris, président de Liverpool Disabled Supporters Association, Pierre Barthélemy, membre de l'association FSE, et Emilio Dumas, socio du Real Madrid

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Nous poursuivons cet après-midi nos auditions sur les incidents survenus au Stade de France le 28 mai dernier.

Je vous prie d'excuser l`absence de notre collègue Laurent Lafon, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, qui ne pouvait malheureusement pas être présent parmi nous.

Nos travaux ont d'ores et déjà mis en évidence de nombreux dysfonctionnements lors de cette journée du 28 mai. Contrairement à ce qui a pu être dit ici même par le ministre de l'intérieur, les supporters anglais n'ont pas été à l'origine de ces incidents. Disons les choses clairement et nettement : chacun reconnaît qu'ils ont fait preuve, au contraire, d'une grande maîtrise dans un contexte chaotique.

L'audition des représentants des supporters, retransmise en direct sur le site internet du Sénat et sur Public Sénat, constitue un moment important pour bien comprendre le déroulement des faits.

Nous recevons donc MM. Ronan Evain, directeur général de l'association Football Supporters Europe (FSE), Joe Blott, président de Spirit of Shankly, Ted Morris, président de Liverpool Disabled Supporters Association, de Pierre Barthélemy, membre de l'association FSE, et Emilio Dumas, socio du Real Madrid, en visioconférence.

MM. Blott et Morris s'exprimant en anglais, une traduction simultanée des échanges sera opérée.

M. Ronan Evain, directeur général de l'association Football Supporters Europe. - Nous vous remercions de nous permettre de porter devant vous la voix des personnes ayant souffert de l'organisation défaillante de la dernière finale de la Ligue des champions, à Saint-Denis, notamment celle des représentants des supporters de Liverpool et du Real Madrid.

À l'issue de leurs interventions, Pierre Barthélemy et moi-même, observateurs accrédités et membres de l'instance nationale du supportérisme en France, serons en mesure de vous donner quelques éléments de contexte français et quelques pistes de réflexion pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise.

M. Ted Morris, président de Liverpool Disabled Supporters Association. - Je suis un utilisateur de fauteuil roulant et je dépends de l'assistante ma femme pour me déplacer. Je tiens à vous remercier de me permettre de partager avec vous les témoignages de nos supporters en situation de handicap.

Ma femme et moi nous rendons régulièrement à Paris depuis vingt-sept ans. Nous adorons la ville et avons toujours trouvé les Parisiens très accueillants. Depuis le 28 mai, mon avis a changé : je ne veux plus me rendre à Paris si l'on continue d'y accueillir les touristes de cette façon ! Il est très important de porter ici la voix des supporters en situation de handicap, surtout après avoir lu et entendu autant de mensonges de la part des personnes au pouvoir.

Ce jour-là, ma femme et moi nous sommes rendus à la station La Plaine Saint-Denis vers 15 heures. Nous avons été surpris par l'absence de policiers à l'extérieur de la gare. Je me déplace très souvent en Europe avec le club de Liverpool et je sais d'expérience que l'on trouve généralement des agents de police dès l'abord des gares. Nous nous sommes déplacés vers le stade et avons attendu dans un restaurant jusqu'à 18 heures. La situation dans la zone de contrôle préliminaire était déjà très chaotique : de jeunes stadiers, inexpérimentés, essayaient de contrôler les billets de nombreux supporters, alors que des habitants des environs tentaient de les déborder pour pénétrer dans le stade.

Très inquiets, ma femme et moi avons retrouvé Lee Lomax aux abords du stade. Cet observateur de la police de Merseyside est un officier exceptionnel, qui nous accompagne très régulièrement dans nos déplacements européens. Il redoutait que des problèmes très graves ne surviennent en voyant les nombreux supporters déjà victimes de pickpockets.

Nous nous sommes dirigés vers l'entrée réservée aux personnes en situation de handicap, à savoir la porte C. Des supporters en fauteuil roulant y faisaient la queue depuis une heure. Un supporter avait pu accéder au stade, mais le billet de son accompagnant n'avait pas été reconnu. Or aucune procédure n'était prévue pour gérer ce cas de figure et la file semblait bloquée. Un stadier a ensuite renversé un fauteuil avant de tomber lui-même sur la personne en situation de handicap...

Devant une telle situation, nous avons contacté notre responsable de liaison du club qui a pu faire accéder tous les utilisateurs de fauteuils roulant au stade. Malheureusement, d'autres supporters occupaient déjà les places réservées à nos accompagnants, lesquels ont dû rester debout pendant toute la durée du match.

Les toilettes pour handicapés n'avaient pas de lumière et un stadier m'a simplement suggéré d'utiliser la lampe de mon téléphone portable... Ce n'est pas vraiment pas l'accueil que nous attendions pour un tel événement !

J'ai ensuite commencé à recevoir des messages m'informant que des supporters en situation de handicap, dont des enfants, étaient victimes de gaz lacrymogènes ou écrasés contre les grilles, à l'extérieur. La situation était très critique et tous semblaient paniqués, terrifiés. Certains craignaient même pour leur vie. Heureusement, des supporters de Liverpool, également victimes des gaz, leur sont venus en aide et les ont dirigés vers des endroits plus sûrs. Selon moi, c'est grâce à l'action de ces supporters qu'une catastrophe majeure a pu être évitée. Aucune personne en responsabilité, aucun dépositaire de l'autorité n'est venu en aide aux supporters handicapés. Tout cela est extrêmement triste.

J'aimerais maintenant vous faire part de quelques témoignages.

« H » est un garçon de 14 ans souffrant d'une maladie congénitale rare, appelée syndrome de Williams. Heureux d'être au stade avec son père, il a été victime des gaz lacrymogènes et a ressenti des sensations de brûlure dans la gorge. Terrifié, ce petit garçon pensait que ce qui arrivait avait un rapport avec la guerre en Ukraine !

« D », qui est non voyant, écrit qu'il a eu peur pour sa vie. Bloqué contre la porte, les stadiers l'ont poussé et l'homme à côté de lui est tombé par terre, se serrant la poitrine et cherchant à respirer. Un autre jeune garçon a crié, demandant de l'aide pour son père, coincé dans le tourniquet. Après le match, sur le chemin de la gare, des membres de gangs les ont poursuivis et leur ont jeté des bouteilles. Tout cela avant d'être de nouveau aspergés de gaz lacrymogène ! Heureusement, encore une fois, des supporters de Liverpool leur sont venus en aide et les ont mis à l'abri.

« R » est une femme handicapée venue assister au match avec son père âgé. Elle a été attaquée de façon violente par un gang qui a essayé de lui voler ses affaires. Je ne veux pas vous donner tous les détails particulièrement effrayants, mais vous les trouverez dans le rapport que nous faisons des événements. Ce sont encore les supporters de Liverpool qui lui sont venus en aide.

« M » est une femme en fauteuil roulant, également piégée à l'extérieur de la porte Y. Ses cris ont été ignorés par les autorités. Elle a été secourue par les seuls supporters de Liverpool.

« C », également en fauteuil roulant, a été soulevée par les supporters de Liverpool par dessus les portiques, les stadiers ayant refusé de lui ouvrir. Une fois à l'extérieur, elle a été aspergée de gaz lacrymogène en se dirigeant vers la gare.

Une personne non voyante a été séparée de son accompagnant dont elle était complètement dépendante. Elle a été traumatisée par cet incident.

« B » est un supporter souffrant de problèmes cardiaques et d'anxiété. Il s'est retrouvé écrasé contre les grilles en tentant de venir en aide à deux supporters en fauteuils roulant. Il a été attaqué et aspergé de gaz poivré. Il est aujourd'hui traumatisé.

« F » est un garçon de 8 ans, qui assistait au match avec son frère de 13 ans et son père. Il était très excité d'être à Paris. « F » est autiste et souffre également de dyspraxie et de dyspraxie orale. Il a été écrasé à l'extérieur du stade et séparé de son père et de son frère. Ce fut une expérience terrifiante pour ce jeune garçon handicapé. De nouveau réunis après le match, ils ont été attaqués par des habitants des environs et aspergés de gaz lacrymogène. « F » était terrifié à l'idée qu'il risquait de mourir. On ne peut qu'imaginer la terreur de cet enfant.

« S » est une jeune fille de 13 ans, en fauteuil roulant, qui a assisté au match avec sa mère, son père et son frère de 15 ans. Après la finale, cette famille a été retenue dans le passage souterrain par la police, parce qu'un groupe de supporters de Liverpool, dont ma femme et moi faisions partie, était attaqué par des bandes locales. Les gaz lacrymogènes ont été lancés et cette jeune fille a cru qu'il s'agissait de bombes. Elle était terrifiée et choquée. Ce qui devait être un voyage fantastique en famille à Paris s'est transformé en une expérience horrifique.

« N » est un jeune garçon souffrant de sclérose en plaques. Il a subi trois attaques de gaz lacrymogènes et a fait une rechute depuis cet incident. Il est très malade.

Il ne s'agit-là que de quelques-uns des très nombreux témoignages, près de 9 000, que nous avons reçus de la part de supporters handicapés. Vous trouverez dans le rapport des détails encore bien plus éloquents sur ce que les hommes, les femmes et les enfants handicapés ont subi. Nous avons été traités comme des animaux ! C'est une honte pour les autorités françaises, qui étaient en charge de notre sécurité. Jamais ma femme et moi n'avions été traités avec autant de mépris.

Quand nous avons voulu quitter le stade, à la quatre-vingt-sixième minute du match, pour des raisons de sécurité, on ne nous a pas laissé sortir en nous expliquant que des habitants essayaient encore de pénétrer à l'intérieur. Après une discussion très houleuse, nous avons été autorisés à sortir, mais il n'y avait aucune force de police jusqu'à la gare. En sortant du passage souterrain, avec d'autres supporters de Liverpool, nous avons été attaqués par des habitants. C'était terrifiant, sans doute davantage encore pour les personnes en fauteuil roulant. Nous nous sommes précipités vers la gare pour sauver notre peau, en espérant que la police nous protégerait.

Cette expérience a été terrifiante pour ma femme et moi. Nous nous sommes sentis complètement abandonnés. Arrivés à la gare, nous avons encore été aspergés de gaz lacrymogène. Je me rappelle le visage d'une jeune fille portant le maillot de Liverpool, complètement traumatisée à cause des gaz et des attaques des gangs. C'est l'une des scènes de détresse les plus touchantes que j'ai vue de ma vie.

Ma femme et moi avons ensuite entendu des explosions. Nous pensions qu'il s'agissait de bombes. C'était terrifiant, surtout que nous avions perdu tout contact avec nos filles. Nous ne savions pas si elles étaient en sécurité ou non.

Nous ne pardonnerons jamais aux autorités françaises. Elles sont responsables de ces événements. La faute n'en revient aucunement aux supporters du Real Madrid ou de Liverpool. J'ai écrit à lord Sebastian Coe, au Comité international olympique (CIO) et à d'autres institutions pour faire part de mes préoccupations quant aux prochains événements qui se dérouleront au Stade de France. Il faut que les autorités acceptent leur responsabilité. À défaut, je ne pense pas que les prochains jeux Olympiques et Paralympiques puissent se tenir à Paris.

Il faut que des mesures soient prises pour protéger les personnes en fauteuil roulant. J'espère que des enseignements seront tirés de cette triste soirée où de nombreuses vies ont été mises en danger. Si rien ne change, je déconseille aux personnes en fauteuil roulant de se rendre au Stade de France.

Pour conclure, j'aimerais dire au ministre de l'intérieur qu'il a humilié les habitants de Paris et qu'il est la honte du gouvernement français. Mon épouse et moi connaissons et aimons Paris et la France, mais je demande à M. Darmanin de retirer ses accusations sans fondement, qui ont encore ajouté à notre douleur et à notre traumatisme. S'il avait la décence de le faire, j'espère qu'il aurait aussi celle de démissionner.

Voilà trente-trois ans, les autorités ont menti sur les événements d'Hillsborough qui ont conduit à la mort de 97 personnes. Les agissements et le discours de M. Darmanin nous ont rappelé cette époque sombre. Pour cette seule raison, il devrait avoir honte.

J'aimerais remercier le Sénat français et MM. Lafon et Buffet pour la manière dont ils se sont comportés et pour avoir organisé ces auditions. Il faut avoir le courage de dire la vérité, même aux plus puissants. Je vous remercie d'avoir écouté la voix des supporters handicapés, des supporters en fauteuil roulant.

Le club de Liverpool a connu les mensonges de Hillsborough. Faire jaillir la vérité est extrêmement important pour nous. C'est même vital !

J'aimerais aussi remercier les journalistes français qui se sont rendus à Liverpool pour faire éclater la vérité. C'est extrêmement réconfortant pour nous. Mais tant que la vérité n'est pas révélée au grand jour, nous ne serons jamais satisfaits. « Vous ne marcherez jamais seul », comme le veut la devise de notre club !

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Avant de donner la parole à M. Blott, je voudrais vous dire, en notre nom à tous, que vous êtes les bienvenus au Sénat et à Paris.

M. Joe Blott, président de Spirit of Shankly. - Je vous remercie de votre accueil et de vos mots à l'endroit des supporters anglais. Nous sommes venus ici pour que justice soit faite. Participer à cette audition nous permet d'expliquer ce qu'ont enduré les supporters de Liverpool au Stade de France. C'est la première fois qu'une institution daigne nous écouter ; nous vous en remercions.

L'association Spirit of Shankly, que je préside depuis trois ans, est une organisation démocratique, fondée en 2008, qui vise simplement à porter la voix de ses membres, tous supporters de Liverpool. Nous comptons plus de 250 000 followers sur les réseaux sociaux et organisons plusieurs réunions chaque semaine avec le club. Nous sommes tous des bénévoles.

Notre Committee Members est composé de quinze personnes, parmi lesquelles des juristes, un membre du Parlement, des musiciens, des comptables, des syndicalistes et bien d'autres personnes encore. Le football réunit depuis toujours des personnes d'horizons divers.

Nous ne sommes pas ici pour crier vengeance : nous voulons seulement faire éclater la vérité afin de permettre aux autorités françaises d'améliorer les choses pour qu'une telle situation ne se reproduise plus jamais.

Les Britanniques ne sont pas les seuls concernés : Liverpool est un club mondial et les événements du Stade de France ont fait les choux gras de la presse aux États-Unis, en Australie et dans de nombreux autres pays.

Le jour de la finale, nous avons vite compris que la police s'était fait une certaine idée de qui nous étions. Certains quartiers n'étaient pas accessibles aux fans de Liverpool, qui avaient pourtant dépensé des milliers d'euros pour voir la magnifique ville de Paris, du simple fait qu'ils portaient un maillot de football.

De même,les policiers qui entouraient la « fan zone » installée cours de Vincennes étaient en nombre et très équipés. La police de Liverpool avait pourtant souligné, dans son rapport d'avant-match, que les supporters de Liverpool se tenaient extrêmement bien : au cours des dix dernières années, nous n'avons jamais été impliqués dans le moindre incident ou désordre en Europe. Le rapport indiquait aussi que les supporters suivraient les consignes des forces de l'ordre. Si la police est stricte, mais juste, il n'y a jamais de problème.

Les fans de Liverpool ont voyagé en Espagne, au Portugal et en Italie au cours de la compétition et pas une seule personne n'a été arrêtée, mise en garde à vue ou renvoyée d'un stade. Nos 25 000 supporters ont toujours eu un comportement exemplaire, comme le rappelle également le rapport de M. Cadot.

Pour quelles raisons les recommandations de la police de Liverpool ont-elles été ignorées par les autorités françaises ? Tout simplement parce que ces dernières en sont restées aux années 1980 et voient toujours les supporters de Liverpool comme des hooligans. Trente-trois ans après les événements de Hillsborough, les mêmes préjugés et idées préconçues ont poussé les forces de police françaises à ignorer les recommandations de nos forces de police.

Dans son rapport, le ministre de l'intérieur écrit que les fans de Liverpool constituaient un risque pour la société française. Sur quelles bases peut-il faire une telle déclaration ? Le ministre et la police se cachent derrière des préjugés blessants pour masquer leur propre échec. Le rapport de M. Cadot montre un problème de compréhension latent à l'encontre des fans de football depuis Hillsborough.

Le 15 avril 1989, 97 fans de Liverpool ont trouvé la mort à cause d'un échec institutionnel imputable aux seules forces de l'ordre britanniques. Cela a été prouvé d'un point de vue juridique et c'est la stricte vérité. Entendre les autorités françaises répéter le même genre de mensonge, trente-trois ans plus tard, prétendant que les fans sont arrivés en retard, qu'ils avaient de faux billets ou qu'ils étaient en état d'ébriété a causé énormément de chagrin et de peine aux fans du monde entier.

Selon le rapport de M. Cadot, 30 000 à 40 000 fans de Liverpool sont venus en France sans billets. En quoi est-ce un problème ? Pourquoi faudrait-il limiter le nombre de supporters venant à Paris pour profiter de ce festival footballistique ? Les « fan zones » étaient justement là pour gérer ces foules. D'ailleurs, les chiffres de la police de Liverpool montrent que l'immense majorité des fans sans ticket s'y sont bien rendus.

Le préfet de police prétend que ces supporters sans billets étaient aux abords du Stade de France, ce qui est faux. Ils ne se sont pas non plus dirigés vers le centre de Paris durant le match. Les chiffres ne tiennent pas debout : s'il y avait 40 000 personnes sans billets en sus des 20 000 supporters de Liverpool avec des billets et des 15 000 supporters ayant acheté un ticket sur le site de l'UEFA, on arrive à 75 000 fans de Liverpool au stade, soit plus de 100 000 personnes si l'on compte aussi les supporters du Real Madrid. C'est totalement absurde !

De même, la manière dont M. Darmanin a décrit la production de faux billets à une échelle industrielle est ridicule. Le rapport de M. Cadot précise que 1 600 faux billets ont été détectés. Dès qu'un grand événement est organisé, on fait face à ce type de phénomène. C'est la raison pour laquelle on a recours aux QR codes et aux zones de triage aux abords des stades. Quand on se propose d'héberger un tel événement, il faut être à la hauteur et vérifier les tickets avant que les spectateurs n'entrent dans le périmètre du stade pour les protéger de toute forme de violence.

M. Joe Blott. - Passons à la sécurité. Bien sûr, nous le savons, il y a un risque terroriste en France. Nous connaissons les drames que votre pays a vécus ces dernières années, y compris au Stade de France en novembre 2015 à l'occasion d'un match de football opposant la France à l'Allemagne. Le ministre de l'intérieur avait communiqué sur ce point en précisant que le stade était sécurisé. Dans ce cas, comment le parvis a-t-il pu être envahi de la sorte par des bandes de pickpockets ?

Le préfet de police de Paris a regretté - c'est bien le moins ! - l'utilisation de gaz lacrymogènes contre les personnes fragiles, alors que leur utilisation n'était nécessaire contre absolument personne.

Le rapport de M. Cadot évoque la présence de 1 300 personnes dans l'enceinte du stade pour l'accueil et 6 800 personnels de police, gendarmerie et pompiers sur les différents sites, stade et fan zones. Et pourtant, je le répète, l'envahissement du périmètre du stade a été très facile. C'est vraiment un échec total.

Avant la fin du match, environ 200 policiers anti-émeutes se sont alignés face aux Anglais, contre aucun face aux supporters espagnols. Cela montre encore une fois que les autorités françaises ont été victimes de mauvais renseignements et de préjugés, car l'envahissement des terrains n'a jamais fait partie de la culture des supporters de Liverpool.

Pourquoi n'y avait-il pas de signalétique à la sortie du RER D ? Pourquoi les informations de la SNCF et de la RATP sur la fréquentation n'ont-elles pas été mieux prises en compte ? Pourquoi les stadiers ne sont-ils pas mieux formés ? Comment les autorités françaises ont-elles pu dispenser des informations aussi erronées ?

Certains supporters ont payé leur place jusqu'à 670 euros et ont craint pour leur vie. Dans le même temps, le ministre de l'intérieur fait porter la responsabilité sur les supporters de Liverpool, alors que certains ont eu un comportement héroïque pour sauver des vies ?

Trop de préjugés subsistent sur les supporters anglais. Les hooligans n'existent plus, mais la police française n'a pas su adapter sa tactique.

Je le répète, nous avons été exemplaires.

Nous suivons attentivement vos travaux et vos premières conclusions sont encourageantes et prometteuses. Cependant, nous attendons des excuses officielles de la France pour ce qui s'est passé et les accusations infondées qui ont été portées contre les citoyens britanniques. Il faut absolument qu'une enquête transparente et approfondie fasse la lumière sur ces événements si vous voulez pouvoir organiser des événements sportifs mondiaux à l'avenir.

M. Emilio Dumas, socio du Real Madrid. - Je remercie le Sénat de me donner l'occasion de faire connaître l'expérience d'un socio du Real Madrid depuis presque 30 ans. Mon père, qui est Français, a, lui, été socio dès 1929.

Je suis venu de Madrid pour le match en voiture avec trois amis. J'ai acheté mon billet papier 60 euros et ma place se situait au nord, entrée N.

J'avais déjà assisté à neuf finales de Ligue des Champions, dont deux en France. Je n'avais jamais connu d'incidents.

Le 28 mai dernier, après un voyage sans problème, nous sommes arrivés en métro à la fan zone située à Saint-Denis. On sentait déjà une certaine tension, avec des groupes de jeunes locaux qui semblaient aux aguets. On nous a signalé des attaques et harcèlements de jeunes femmes.

En marchant vers le stade, j'ai remarqué qu'il n'y avait aucune signalétique, première faille dans l'organisation. Par ailleurs, nous étions mélangés avec des supporters anglais, ce qui en est une autre.

Dès les premiers tourniquets, peu nombreux, des bouchons se sont créés, et les attaques de pickpockets se sont alors intensifiées. Je connais des personnes qui se sont fait voler leur portefeuille avec leur billet et qui ont dû rentrer à leur hôtel pour suivre le match.

Ensuite, la passerelle d'accès est peu pratique pour les personnes à mobilité réduite et dangereuse, car étroite. J'ai craint que certaines personnes ne tombent dans le canal.

Je précise que je n'ai été le témoin d'aucun incident avec les supporters anglais. Aussi, je n'arrive toujours pas à comprendre les déclarations du ministre Darmanin.

À la fin du match, nous étions plus inquiets qu'heureux, car la sortie du stade m'apparaissait périlleuse, la passerelle permettant d'évacuer le parvis pouvant constituer une souricière. J'ai vraiment eu peur d'une tragédie.

Les policiers n'étaient pas là ou n'aidaient personne. Je n'ai jamais vu une attitude de la police aussi passive devant les harcèlements de groupes de voyous qui continuaient.

Les bus et les voitures espagnols étaient garés à trois kilomètres et de nombreux véhicules ont été dégradés. Le lendemain, sur les aires d'autoroute où nous nous sommes arrêtés, j'ai entendu des histoires qui m'ont fait honte pour la France.

Les autorités françaises se sont réfugiées derrière le fait qu'elles n'avaient eu que trois mois pour organiser le match. Cette explication ne tient pas : en 2018, Madrid a parfaitement organisé en deux semaines, sans aucun incident, la finale de la Copa Libertadores entre Boca Juniors et River Plate, qui ont des supporters très turbulents.

Je suis triste d'avoir à le dire, mais je ne recommanderai à personne de venir en France assister à la Coupe du monde de Rugby ou aux jeux Olympiques.

M. Ronan Evain. - Dans cette histoire, les supporters anglais ont été victimes de trois choses.

Tout d'abord, de représentations anciennes et datées : les hooligans n'existent plus et le monde a changé.

Ensuite, du plan de mobilité archaïque autour du Stade de France : c'est un problème ancien déjà maintes fois identifié. C'est d'ailleurs pourquoi les supporters sont arrivés tôt au stade. Le problème a été ce jour-là exacerbé, mais il est indispensable de revoir la géographie des lieux.

Enfin, je dirai qu'ils ont été traités comme nous sommes traités systématiquement en France, c'est-à-dire comme une menace. Personne ne s'est concentré sur l'hospitalité, l'accueil. On n'a vu que des policiers anti-émeute, dont le métier n'est pas d'accompagner ou d'aider les personnes.

Il faut sortir de cette approche française dangereuse, datée. À cet égard, la France peut et doit apprendre de ses voisins.

Les tickets papiers ont été incriminés, mais ils étaient encore la norme au Stade de France pour la finale de la Coupe de France de football : pourquoi sont-ils subitement devenus une menace ?

Ensuite, comme l'a dit l'orateur précédent, un délai de trois mois était tout à fait suffisant.

Enfin, je tiens à ajouter qu'aucun point d'eau potable n'était accessible autour du stade, ce qui est scandaleux en ces périodes de températures élevées.

L'approche sécuritaire de la préfecture de police de Paris se retrouve à la Fédération française de football, où il n'y a aucun dialogue avec les organisations de supporters. Même les îles Féroé ou San Marin investissent plus en la matière. C'est véritablement un débat à avoir.

M. Pierre Barthélemy, membre de Football Supporters Europe. - Je ne veux pas verser dans l'autoflagellation excessive. Nous sommes capables de nous améliorer si des travaux rapides sont menés. À cet égard, le rapport Cadot pose de bonnes premières bases.

Le Sénat a un rôle important à jouer. Le rapport Murat-Martin de 2007, « Faut-il avoir peur des supporters ? », était très visionnaire, et la Haute Assemblée a su imposer le dialogue avec les supporters dans la loi de 2016 visant à lutter contre le hooliganisme.

Plusieurs points restent à améliorer.

Il y a d'abord la gestion des flux depuis les lieux de dépôt des transports en commun. Il faut encore mettre en place une signalétique : je ne comprends pas pourquoi la préfecture de police le refuse. Nous devons enfin pouvoir anticiper les impondérables comme les incidents techniques ou les mouvements de grève.

La France interdit les fan walks ; or nos homologues européens savent pertinemment que c'est un atout pour la sécurité, car cela permet de savoir où sont les supporters et de mieux les encadrer. De même, nous interdisons les déplacements en train de supporters de Ligue 1 ou de Ligue 2, ce qui est une aberration, puisque l'on préfère les laisser dans la nature, livrés à eux-mêmes. Au-delà des incidents qui nous réunissent aujourd'hui, la France a de gros efforts à faire pour mieux appréhender la gestion des supporters.

Il faut également améliorer la réactivité et la prise de décision dans l'instant. Dès 18 heures, ce jour-là, nous avions remarqué que des problèmes allaient se poser, mais nous n'avons pu trouver aucun interlocuteur pour faire part de nos craintes. Il serait pertinent d'avoir, pour chaque stade, un policier-référent connaissant parfaitement l'enceinte et susceptible de répondre immédiatement à tout problème qui se poserait.

M. Pierre Barthélemy. - Sur le quatrième point, je serai très bref, parce qu'il a déjà été évoqué : il faut apprendre à comprendre le profil des supporters, qui varie d'un match à l'autre, et d'un club à l'autre. En France, comme on considère qu'il n'y a que deux problématiques à gérer lors d'un match, le hooliganisme et le terrorisme, on ne sait pas adapter le dispositif à la situation particulière d'une rencontre. Il faut absolument nous améliorer sur ce point. Pour cela, le livre vert du supportérisme, qui avait été commandé par Rama Yade quand elle était ministre des sports, avait posé de très bonnes bases sociologiques.

Cinquième point : il faut anticiper les risques externes. Je ne reviendrai pas sur les témoignages effrayants des supporters anglais ou madrilènes sur les actes de délinquance qu'ils ont subis pendant cette rencontre, mais on a l'impression que ce problème n'a jamais été envisagé. Ce qui nous a le plus frappés, c'est qu'à la sortie du stade, alors qu'il y avait déjà eu beaucoup d'actes de délinquance avant le match, il n'y avait plus de forces de police, à part quelques agents en bas des tribunes pour empêcher un envahissement du terrain. À l'extérieur du stade, une fois le coup de sifflet final donné, les lampadaires étaient éteints, et il n'y avait plus de policiers.

M. François-Noël Buffet, président. - Qu'est-ce à dire ?

M. Pierre Barthélemy. - Lorsqu'on prenait la passerelle vers la ligne 13 ou le RER D, il n'y avait plus que quelques petites lumières à droite et à gauche, et l'on était dans l'obscurité presque complète.

M. François-Noël Buffet, président. - Sur la voie publique ?

M. Pierre Barthélemy. - Absolument. C'est aussi ce qui a favorisé les incidents. Il serait bon de conserver des effectifs de police jusqu'à la fin des matches.

Le sixième point avait déjà été signalé lors des incidents qui ont gravement et tristement émaillé la reprise du football après la crise de la covid, en début de saison : il y a un déficit d'encadrement, de recrutement, de préparation, de rémunération et de valorisation des stadiers. C'est pourtant le personnel fondamental de sécurisation des rencontres sportives, mais aussi de fluidification de l'accès au stade. Beaucoup de supporters anglais disent que des stadiers leur ont volé leurs billets pour les revendre à d'autres personnes, ce qui nous paraît absolument incroyable. Beaucoup de stadiers, âgés de dix-huit ou dix-neuf ans, exerçaient ces fonctions pour la première fois de leur vie. Non seulement ils ne savaient pas gérer un match normal, mais en plus, ils étaient perdus dans cette situation, avec des problèmes informatiques, des retards, des files d'attente... Il faut donc d'urgence se poser la question de la formation et de la rémunération des stadiers. Nous ne pouvons pas leur demander, alors qu'ils sont payés au lance-pierres, d'aller prendre des risques, notamment pour courir après des gens qui escaladent les barrières ou qui essaient de passer en force.

Septième point : l'instance nationale du supportérisme, créée sur l'initiative du Sénat et placée auprès de la ministre des sports, a fait un travail exceptionnel depuis quelques années, à titre purement bénévole. Ses travaux ont pris fin pendant le premier confinement. Résultat : il y a eu des incidents graves en ligue 1. Il faut que cette instance soit réactivée. Elle commence à l'être peu à peu, car on se rend compte que la chute du nombre d'incidents entre 2016 et le premier confinement était directement liée à ses travaux. Elle réunit des représentants des ministères, de la police, de la ligue et des représentants de supporters. Il y a urgence à lui donner des moyens humains et économiques pour qu'elle puisse mener des réunions de travail sérieuses. Le ministère des sports devrait affecter une ou deux personnes, un ou deux jours par semaine, aux travaux de cette instance. L'argent ainsi dépensé évitera ensuite d'énormes coûts de police, pour un meilleur engouement et une meilleure présence des supporters dans les stades.

Huitième point : le Sénat est aussi à l'initiative de la création d'un référent supporters. Il s'agit d'un salarié du club qui est en lien avec les supporters. Cet outil a fait descendre les tensions entre des groupes de supporters et leur club là où il y en avait - celles-ci résultaient d'un manque de communication. Il est fondamental, et devrait être mieux mis à profit par la préfecture de police ou par la Fédération française de football, qui n'en a pas pour ses propres supporters. Lors de cette rencontre, par exemple, on aurait pu avoir un lien direct entre les référents supporters des deux clubs et les autorités pour identifier immédiatement les problèmes et remonter de l'information immédiatement. Nous aurions ainsi gagné deux heures.

Les trois derniers points sont plus généraux.

En France, il existe ce qu'on appelle la division nationale de lutte contre le hooliganisme (DNLH). Il s'agit des policiers, au ministère de l'intérieur, qui sont en charge de la doctrine d'organisation des matchs de football. Ce terme lui-même est problématique, qui montre qu'on ne réfléchit à l'organisation des manifestations sportives, du point de vue policier, que pour lutter contre le hooliganisme. Nous n'avons pas une approche ou une doctrine constructive de fluidification et de dialogue, alors que c'est la norme dans la plupart des pays européens. Il y a donc urgence à mener une réflexion sur cette division, qui d'ailleurs n'était pas en charge de l'organisation de la sécurité lors de ce match.

En France, à chaque incident, nous avons recours aux mesures collectives - interdictions de déplacement, fermetures de tribunes - et jamais aux mesures individuelles. Il y a urgence à basculer vers des mesures individuelles : il faut exclure de nos stades les personnes qui y posent des problèmes. Ce ne sont que quelques personnes, qui créent d'énormes problèmes et salissent l'image du football français. Ce sont elles qu'il faut viser. Il faut arrêter de mettre les problèmes sous le tapis en prenant des mesures globales, collectives, qui punissent 10 000 ou 15 000 spectateurs pour les actes de cinq, dix ou quinze supporters. Ces mesures ne servent d'ailleurs à rien d'autre qu'à punir des innocents, puisque ces quelques personnes reviennent au match suivant... Mais elles délégitiment l'action des instances sportives et de l'État.

Dernier point : une loi sur le sport devait être votée à la fin du précédent quinquennat. De nombreuses promesses avaient été faites à beaucoup d'acteurs, et notamment aux supporters. Beaucoup d'avancées devaient se concrétiser. Cette loi a été escamotée. Il y a urgence à ce que le Parlement se ressaisisse de l'ensemble de ces sujets. Nous serions très heureux de l'aider dans la rédaction d'améliorations à la réglementation nationale en la matière.

M. Jean-Jacques Lozach. - Merci pour ces témoignages forts, mais accablants ! Monsieur Evain, vous avez été pendant l'Euro 2016 le coordinateur du projet « Ambassades des supporters ». Vous avez ainsi contribué à la réussite de cet événement majeur en France. Quelles leçons tirez-vous de cette expérience ? Selon vous, la soirée du 28 mai dernier constitue-t-elle un accident de parcours ou signale-t-elle une perte de savoir-faire dans notre pays, voire le recours à une mauvaise doctrine de maintien de l'ordre ? La FSE va-t-elle engager des poursuites ? Quelles sont vos principales préconisations en matière de réglementation des conditions de voyage et d'accueil des supporters, ou de plafonnement des prix du billet ? Comme responsable du FSE, avez-vous été associé à un moment ou à un autre au groupe de liaison qui a piloté la préparation de cette soirée ? Aviez-vous demandé à l'être ?

M. Pierre-Antoine Levi. - Certes, ce que nous avons entendu est parfaitement accablant et nous ne pouvons, messieurs, que vous présenter des excuses, et vous donner des explications sur ces événements tragiques qui n'ont pu qu'altérer votre volonté de revenir en France... Ce qui est important pour nous, pourtant, c'est de vous voir revenir !

Nous savons organiser des événements, en France, puisque nous avons organisé de manière brillante la Coupe du monde de football en 1998 et l'Euro 2016. M. Barthélemy a raison d'appeler à des sanctions individuelles. Quand Liverpool a été confrontée au hooliganisme, notamment lors du triste épisode du Heysel en 1985, lors de la finale de la Coupe des champions, l'exclusion de cinq ans des coupes européennes a permis de travailler avec les supporters et d'éradiquer le hooliganisme. Il est d'ailleurs incroyable d'entendre le ministre de l'intérieur ou des responsables politiques et policiers accuser de hooliganisme les supporters de Liverpool, alors que ce sont eux qui, pour beaucoup, ont évité une panique plus forte.

Nous devons effectivement retravailler à une loi sur le sport. Nous avions proposé des avancées, qui ont malheureusement été rejetées.

Nous avons déjà recueilli de nombreux témoignages de différentes personnalités politiques et judiciaires. Ceux-ci vous paraissent-ils cohérents avec ce que vous avez vécu ? Pouvez-vous nous confirmer que vous avez vu des stadiers procéder à la revente de billets qu'ils avaient confisqués ? Le service de sécurité mis en place par la police a-t-il été totalement dépassé par l'événement ?

Je pense que c'était plutôt une erreur de parcours. Nous organisons les jeux Olympiques en 2024, et la Coupe du monde de rugby l'an prochain. Devons-nous nous inquiéter ? Pouvez-vous être, vous aussi, force de propositions, pour éviter que ce genre de dysfonctionnement se reproduise à l'avenir ?

M. François-Noël Buffet, président. - Je donne la parole à M. Kanner qui a été ministre des sports et a beaucoup insisté pour que nous organisions cette audition - qui s'imposait, du reste...

M. Patrick Kanner. - ... et que je vous remercie d'avoir organisée !

Oui, vos témoignages sont accablants, et décrivent une situation apocalyptique. Pour l'ancien ministre des sports que je suis, cela semble totalement extraordinaire - et je remercie d'ailleurs MM. Barthélemy et Evain d'avoir rappelé nos travaux sur la loi sur le supporteurisme, menés avec Thierry Braillard, et avec le soutien de MM. Savin et Lozach, et de bien d'autres sénateurs. Nous avions cherché à améliorer le texte proposé par l'Assemblée nationale.

Nos amis anglais demandent de mettre en lumière la responsabilité du ministère de l'intérieur, ce qui est bien dans la culture anglo-saxonne - mais n'est pas dans la nôtre. Cette demande mérite d'être prise en considération. Nous avions évoqué l'idée de réinterroger le ministre de l'intérieur, voire la ministre des sports, au vu des témoignages que nous avons recueillis. Le premier, entendu deux ou trois jours après ces événements dramatiques, avait reconnu des incidents, mais avec une superbe assumée avait déclaré qu'il n'y avait rien à en dire. Or il y a manifestement des choses à dire. Allons-nous le réinterroger au vu des témoignages recueillis depuis son audition ? Faut-il envisager un travail législatif pour améliorer la situation actuelle, notamment dans la perspective des évènements prévus en 2023 et 2024 ?

Je n'oublie pas nous avons organisé l'Euro 2016 et qu'il n'y a eu aucun incident, si l'on met à part ceux qui ont entouré le match Russie-Angleterre sur le Vieux-Port de Marseille, mais n'étaient pas complètement liés à l'organisation de la rencontre qui avait lieu le soir même au Vélodrome. Le Sénat, qui a pris l'initiative de ces auditions, grâce aux présidents Buffet et Lafon, est sans doute le plus légitime pour prendre en considération les propositions que vous avez formulées.

M. Bernard Fialaire. - Je m'associe aux excuses présentées aujourd'hui par l'ensemble des sénateurs. Lorsque les personnes handicapées sont arrivées dans le stade, leurs places étaient déjà occupées. Avaient-elles leur billet ? Les personnes qui occupaient leurs places avaient-elles le leur ?

M. Jacques Grosperrin. - Ces témoignages sont en effet effroyables, et je m'associe également aux excuses que l'ensemble des sénateurs vous présentent au nom de la France. Existe-t-il des transports organisés depuis Liverpool avec contrôle des billets ? La personne évoquée par M. Morris et qui a été intoxiquée par des gaz lacrymogènes a-t-elle eu le sentiment d'être directement visée ? Ou a-t-elle été victime d'un dommage collatéral ? Vous avez cité le nom du ministre de l'intérieur en disant que ses propos lui faisaient honte. Pourquoi, à votre avis, a-t-il menti ? Et pourquoi ne s'excuse-t-il pas ? Nous avons auditionné le préfet de police de Paris, qui nous a dit qu'il agirait pour vous permettre de porter plainte contre les autorités. Cela a-t-il été fait ?

M. Michel Savin. - Nous avons tous le même objectif : la recherche de la vérité sur ce qui s'est passé au Stade de France le jour de cette finale.

À entendre les intervenants anglais ou espagnols, les véritables fauteurs de trouble du désastre qui s'est produit au Stade de France sont en très grande partie des voyous de bandes locales. À écouter le ministre de l'intérieur, les comportements et les actes de délinquance qui se sont déroulés autour du Stade de France étaient dû à la présence de 30 000 à 40 000 supporters de Liverpool qui n'avaient pas de billet ou qui avaient de faux billets. Sur une image de TF1, en direct, à 20h58, on ne voit pas trace de ces fameux 30 000 à 40 000 spectateurs. Qu'en pensent les supporters de Liverpool et de Madrid ? Ont-ils vu sur place, vers 21 heures, 30 000 à 40 000 supporters sans billets ou avec de faux billets ?

Les enregistrements de vidéosurveillance ont disparu. Des plaintes ont-elles été déposées rapidement à l'issue de ce match ? Cela aurait permis aux autorités françaises de mettre de côté ces images.

M. François-Noël Buffet, président. - Les actes de violence que vous évoquez ont eu lieu avant le match, mais aussi après. Qu'en pensez-vous ?

M. Ronan Evain. - Sur la comparaison avec l'Euro 2016, il y a deux éléments à prendre en compte. Il y a eu, en 2016, une vraie mobilisation de l'ensemble des services de l'État, du ministère des sports notamment, ainsi que des villes-hôtes. Les conditions d'accueil et d'hospitalité ont été beaucoup mieux prises en compte qu'aujourd'hui : clairement, nous avons perdu en expertise depuis 2016, surtout depuis la crise de la covid. L'Euro 2016 n'a pas pour autant été parfait. Mais nous avons commis l'erreur de faire l'impasse sur le retour d'expérience, mis à part quelques réunions de débriefing avec la délégation interministérielle aux grands évènements sportifs. Je n'ai pas le souvenir qu'un travail réel ait été effectué.

Au moins deux éléments auraient été pertinents pour la finale de la Ligue des champions : le plan de mobilité, pour tout ce qui concerne la circulation et la signalétique autour du Stade de France, et la question des stadiers. En 2016, le budget consacré à la sécurisation des stades avait nécessité de faire appel à une myriade de sociétés de sécurité : les acteurs principaux du domaine en France n'avaient pas été intéressés par des marchés trop bas pour eux, alors même que nous étions en période de risque terroriste. J'espère que le travail du Sénat permettra de relever ces erreurs et de ne pas les reproduire.

Notre rôle, en tant qu'organisation, n'est pas tant d'engager des poursuites que de conseiller nos membres, à Liverpool et à Madrid, sur les meilleures options qui s'offrent à eux. Un certain nombre d'entre eux ont porté plainte pour des agressions, vols de téléphones et autres. D'autres s'apprêtent à faire des signalements à l'inspection générale de la police nationale (IGPN). Mais ce n'est pas facile, car le formulaire qui a été mis en ligne sur le site de l'ambassade de France du Royaume-Uni et sur celui de l'ambassade de France en Espagne ne correspond pas nécessairement aux faits qu'ont subis les supporters anglais et espagnols. De plus, les policiers qui se sont déplacés à Liverpool sont largement restés introuvables. Nous, organisation de supporters, savons par nos contacts dans la police britannique qu'ils étaient bien présents à Liverpool mais, à aucun moment, ils n'ont eu la possibilité de recueillir des plaintes ou conseiller les supporters. On en vient donc à se demander quelle était la finalité du déploiement de ces policiers français à Liverpool...

Le dépôt de plainte après match est un problème qu'on rencontre toujours lors des matches européens. Si vous vous êtes fait agresser, si vous avez été victime de violences policières, votre premier réflexe sera de rentrer chez vous. Ce n'est qu'une fois rentré, après quelques jours, que vous envisagez de porter plainte. La proposition du ministère de l'intérieur était intéressante, car elle pouvait faciliter le dépôt de plainte. Malheureusement, elle n'a pas été suivie d'effet.

M. François-Noël Buffet, président. - Combien de personnes ont déjà déposé plainte ?

M. Ronan Evain. - Le formulaire qui a été mis en ligne constituait un pré-dépôt de plainte auprès du procureur de Bobigny. À notre connaissance, aucune plainte n'a été recueillie par l'officier de police judiciaire présent à Liverpool.

Nous travaillons à formuler des recommandations : nous sommes accrédités pour observer les finales à cet effet. Nous mettrons à votre disposition une première version dans les prochains jours.

Pour préparer un match de finale, nous faisons généralement une visite préparatoire en présence de la police, ou du moins des services de l'État. Nous ne l'avons pas fait pour ce match, ce qui a été imputé au timing serré. Or, contrairement à ce qui prévalait encore il y a deux ou trois ans, nous ne disposons plus de canaux de communication avec la préfecture de police ou avec le ministère de l'intérieur. Nous n'avons donc pu que constater une accumulation d'erreurs, sans pouvoir influer sur le déroulement des évènements, qui a suivi un scénario largement imprévisible, avec un effet dominos.

Oui, nous pouvons être inquiets pour les compétitions à venir, notamment du point de vue de la mobilité, du manque d'une culture de l'hospitalité autour des grands événements sportifs et de la pénurie de stadiers. Cela dit, nous savons que les supporters de football sont accueillis différemment : ce n'est pas tant leur comportement qui pose problème que la façon dont ils sont perçus par les forces de l'ordre. Si l'on avait mis des supporters de rugby ou d'athlétisme dans la même position que les supporters de Liverpool au moment de ce goulet d'étranglement, dans cette situation d'attente, sous le soleil, sans accès aux toilettes ni à de l'eau potable, environnés par la foule, peut-être que la réaction aurait été bien plus problématique... Mais il est difficilement envisageable aujourd'hui qu'on ait un tel déploiement de forces pour un match de rugby ou pour les jeux Olympiques !

Parmi les propositions faites actuellement pour éviter qu'une telle situation se reproduise, deux reposent sur une technologie nouvelle en plein essor, l'intelligence artificielle, et notamment la reconnaissance faciale. Nous ne demandons pas un énième investissement dans les infrastructures de vidéosurveillance ou autre, puisque nous avons déjà l'un des meilleurs stades d'Europe de ce point de vue. La question est l'investissement humain, c'est-à-dire le dialogue et la prévention d'un côté, et du personnel de l'autre, qui doit être formé et rémunéré correctement.

Pourquoi le ministre de l'intérieur a-t-il menti ? Il s'agit plutôt d'une communication hâtive : les spectateurs étaient encore coincés en dehors du stade quand le ministre a jugé bon de communiquer pour accuser les supporters de Liverpool... C'est l'erreur originelle de communication, qui a amené le Gouvernement dans un cercle vicieux, dont il n'est toujours pas sorti.

M. Pierre Barthélemy. - Ronan et moi-même pouvons attester qu'il n'y avait pas 30 000 à 40 000 personnes autour du stade sans billets après que les supporters sont rentrés. À partir de 20h45 et jusqu'à 22 heures, les seuls personnes qui restaient autour du stade étaient soit des supporters de Liverpool bloqués au tourniquet et attendant, de manière tout-à-fait respectueuse, le long des grilles, en file d'attente, soit des jeunes qui couraient autour du stade pour essayer de monter sur les grilles. Le parvis était très clairsemé.

M. Ted Morris. - Vous évoquez les places qui ont été prises par d'autres supporters. C'était tout simplement une question de manque d'organisation dans la section où nous devions nous placer. Les supporters entraient dans le stade, et il n'y avait personne pour les diriger vers leur place. Ils ont fini par prendre les places disponibles - parmi lesquelles des places réservées à des accompagnants de personnes handicapées.

Le garçon qui a été touché par du gaz lacrymogène est trop jeune pour comprendre ce qui lui est arrivé. Quand la police l'a attaqué et aspergé de gaz lacrymogène, il a tout de suite pensé au conflit en Ukraine, et il a dû être complètement terrifié.

Pourquoi le ministre a-t-il menti ? C'est la question primordiale et j'espère que ces auditions vont permettre d'y apporter la réponse. Pourquoi les images de vidéosurveillance ont-elles été supprimées ? À mon avis, parce qu'elles ne soutiennent pas le discours du ministre de l'intérieur. Le fait que ces images ont été supprimées prouve qu'il ne voulait pas que son récit soit démenti.

Concernant les 30 000 ou 40 000 supporters qui se seraient trouvés à l'extérieur du stade, avec des faux billets ou sans billets, nous avons dès le départ essayé de démentir cette affirmation. Nous y sommes parvenus, grâce entre autres aux travaux menés par cette commission. Merci beaucoup.

M. Joe Blott. - Merci de nous avoir écoutés et de poser des questions extrêmement pertinentes.

Vous nous demandez si nous étions conscients des vols de billets opérés par les stadiers. Oui, on nous a parlé de cela.

Environ 9 000 plaintes ont été déposées et transmises au club de Liverpool. Une fois toutes ces plaintes recueillies et compilées, nous publierons un rapport.

On a entendu dire que la police a entretenu un dialogue avec le club de Liverpool, mais ce n'est pas le cas. Les forces de police françaises sont venues à Liverpool, mais n'ont rencontré personne du club des supporters.

Vous évoquez les formulaires. En fait, beaucoup de supporters de Liverpool pensent que, s'ils remplissent le formulaire, ils vont être convoqués à un moment donné. En 1986, beaucoup de supporters ont témoigné et leur témoignage a été complètement sorti de son contexte et parfois déformé. Il y a donc beaucoup de prudence.

Quant aux faits de violences avant et après le match, je suis d'accord avec notre collègue du Real Madrid pour affirmer que ce ne sont pas des supporters du Real Madrid ou de Liverpool qui ont posé problème. En 2018 à Kiev, en 2020 à Madrid, il n'y a pas eu de problèmes ! Ce qui s'est passé n'a vraiment aucun rapport avec les fans des deux équipes, mais bien avec les voyous locaux qui ont attaqué les supporters s'étant rendus à Paris.

M. Ronan Evain. - Nous prenons également part à l'enquête indépendante de l'UEFA : je suis en contact avec la personne qui est chargée de l'instruction. Nous réservons nos recommandations et nos commentaires sur l'organisation de la finale à cette enquête.

M. François-Noël Buffet, président. - Vous avez dit tout à l'heure que la sortie du stade était dangereuse. Pouvez-vous être plus précis ?

M. Emilio Dumas. - La plupart des Madrilènes sont sortis une demi-heure après la fin du match. Il fallait passer sur une passerelle assez étroite franchissant un petit canal qui entoure le stade, et nous étions des milliers, dont des spectateurs portant des enfants dans leurs bras, des personnes âgées, bref une foule incroyable. Il n'y avait personne pour réguler le flux, et nous avons failli nous écraser les uns sur les autres. Heureusement que personne n'est tombé ! Si quelqu'un avait allumé un feu de Bengale, il aurait pu y avoir des mouvements de panique. Au sortir de cette passerelle, il y avait cet escalier d'une trentaine de marches, avec des policiers en bas - mais il n'y en avait pas sur le pont ! La sortie était donc assez dangereuse, d'autant qu'il n'y avait pas d'éclairage. Or le sol était jonché de bouteilles cassées... Nous aurions pu nous blesser.

M. François-Noël Buffet, président. - Les représentants des supporters anglais ont dit qu'à un moment, les stadiers avaient levé les contrôles des billets et que les supporters étaient rentrés dans le stade. Avez-vous vécu la même chose côté madrilène ?

M. Emilio Dumas. - Pas du tout. Certes, les stadiers, très jeunes, n'étaient pas très professionnels, mais ils n'ont pas levé les contrôles.

Quant aux faux billets, je n'en ai pas vu beaucoup. Mais des voyous arrachaient nos billets quand nous passions les tourniquets et partaient en courant. S'ils se faisaient prendre par quelqu'un, leur technique était de rendre un faux billet, tiré d'une autre poche, et de garder le bon. C'est pourquoi nombre de Madrilènes n'ont pas pu entrer. J'ai vu une dizaine d'incidents de ce type.

M. François-Noël Buffet, président. - Merci à tous. Vos témoignages sont très importants pour nous. Nous avons besoin de croiser le regard des supporters madrilènes et celui des supporters de Liverpool. Si vous avez des pièces à nous transmettre, elles seront bienvenues. Je répète à nos amis anglais que nous souhaitons naturellement qu'ils reviennent. Le Stade de France est aussi un lieu où se déroulent de belles compétitions, pour lesquelles tout se passe bien - et ce qui s'est passé récemment est insupportable.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Incidents survenus au Stade de France le 28 mai 2022 - Audition de M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, président de Plaine commune

M. François-Noël Buffet, président de la commission des lois. - Monsieur Hanotin, vous avez souhaité être entendu afin de partager avec nous votre vécu de cette soirée, mais aussi pour nous dire comment vous avez été associé à la préparation de cette soirée auprès des autres acteurs, et comment les choses vous apparaissent après les événements.

Je précise que notre réunion est retransmise en direct sur le site du Sénat.

M. Mathieu Hanotin, maire de Saint-Denis, président de Plaine Commune. - Il me semble important, lors de ce retour d'expérience sur des événements que nous n'avions jamais connus durant les plus de vingt ans d'existence du Stade de France, de faire entendre la voix de la collectivité qui accueille chaque semaine des événements d'ampleur - ce vendredi a ainsi lieu la finale du Top 14.

Le plus simple est de reprendre le fil chronologique des événements.

Tout a commencé par la décision du Président de la République d'accueillir la finale de la Ligue des champions à Saint-Denis. Une fois cette proposition retenue par l'UEFA, très rapidement, plus d'une vingtaine de réunions préparatoires ont eu lieu. La ville de Saint-Denis a été associée à toutes ces réunions ; je me suis rendu à certaines d'entre elles, tout comme ma directrice générale des services, Mme Anne-Sophie Dournes, mon directeur de cabinet, M. David Lebon, et mon directeur de l'événementiel, M. Azdine Ayad.

Dès le début, la difficulté de la gestion des supporters lors de cet événement a été pointée, en raison de la présence de supporters anglais. Le point de référence retenu était celui de la finale à Madrid, lors de laquelle les choses s'étaient bien passées malgré un afflux important de supporters sans billets.

Lors de ces réunions, la ville de Saint-Denis a toujours défendu la position selon laquelle il fallait anticiper afin d'éviter que la foule des supporters ne soit livrée à elle-même, sans occupation, sur l'espace public. Dès le début, nous avons défendu la création de « fan zones » et avancé l'idée qu'il fallait considérer l'ensemble du continuum entre le métro et le stade.

Un certain nombre de désaccords se sont fait jour avec la préfecture de police, par exemple au sujet de l'interdiction de la vente d'alcool aux abords du stade, imposée par la préfecture à partir de 18 heures. Cela peut sembler un détail, mais il s'agit en réalité d'un problème de fond qui concerne la doctrine retenue.

Nous appartenons à un pays frappé par un attentat le 13 novembre 2015. Au Stade de France, un décès a eu lieu, celui de M. Manuel Dias - je lui rends hommage. Nous avons tous été choqués par cet événement, que nous commémorons tous les ans. Sept ans plus tard, la matrice de l'organisation des grands événements est toujours en premier lieu, et parfois en unique lieu, le prisme sécuritaire et la lutte contre le terrorisme.

Or le public étranger n'a pas le même rapport avec ces événements dramatiques que le public français. La peur des attentats nous fait oublier la dimension festive qu'il peut y avoir autour d'un événement comme celui de la finale de la Ligue des champions.

Ma vision est que l'organisation des « fan zones », l'autorisation de consommer de l'alcool jusqu'au début du match, ainsi que les animations musicales et sportives autour du stade, sont des éléments de contrôle social permettant de ramener au plus tôt la population aux abords du stade, afin de fluidifier les parcours et de permettre à un maximum de personnes de rentrer progressivement dans l'enceinte.

Pour la ville de Saint-Denis, la finale de la Ligue des champions a commencé deux semaines avant le soir du match, lorsque le trophée a été présenté le soir de la finale de la Coupe de France, pendant lequel tout s'est extrêmement bien passé.

Trois jours avant la finale de la Ligue des champions, un village a été organisé devant la mairie. Les supporters espagnols et anglais sont venus se prendre en photo devant une coupe géante. L'atmosphère était extrêmement festive, et durant ces trois jours, le mélange des publics, entre les supporters et les habitants de Saint-Denis, n'a posé aucun problème.

Cette fête a pris de l'ampleur le jour du match, car des supporters de plus en plus nombreux sont arrivés. Dans le parc de la Légion d'honneur, nous avons ouvert une « fan zone » destinée aux supporters du Real Madrid possédant des billets, où ces derniers devaient attendre le moment de se rendre au stade, vers 17 heures ou 18 heures. Cet espace a été placé sous la responsabilité de l'UEFA et du Real Madrid, la police municipale sécurisant les alentours de la « fan zone ». Il n'y a eu aucune difficulté.

De haute lutte, et trop tardivement de mon point de vue, nous avons réussi à négocier l'ouverture de cette « fan zone » le soir pour le public dionysien et les supporters espagnols sans billets, qui étaient entre 500 et 600 personnes. Nous n'avons eu quasiment aucun problème à constater à cet endroit.

J'étais présent au village, puis à la « fan zone ». Nous avons ensuite pris le chemin du stade vers 18 heures, et à ce moment nous nous sommes rendu compte que quelque chose avait changé dans la ville. La tension était palpable : il y avait plus de monde que lors d'autres matchs, des rues dont nous avions au préalable demandé la fermeture, sans succès, ont été fermées d'urgence, car elles étaient envahies de monde. En approchant du stade, nous nous sommes rendu compte qu'il y avait du monde absolument partout, et que des points de pression pouvaient se former.

Je me suis alors rendu dans la zone du club UEFA afin d'accueillir Mme Amélie Oudéa-Castéra, ministre des sports et des jeux olympiques et paralympiques. C'est à ce moment-là, vers 18 heures 30, que les choses ont commencé à déraper. Le véhicule de la ministre n'a pas pu prendre le chemin prévu et a dû emprunter une entrée technique. Les vigiles commençaient à être débordés, la foule poussant dans tous les sens. Nous n'avions jamais connu une telle situation au Stade de France.

J'ai accueilli des maires de grandes villes de France en compagnie de la ministre, et nous avons eu un temps de travail d'environ quarante-cinq minutes. Nous nous sommes alors rendus dans le stade, et en voyant la couronne du stade, nous nous sommes tout de suite rendu compte qu'il y avait des soucis. Nous n'étions pas du côté des portes anglaises, mais nous avons vu des bousculades et des bagarres autour de certaines portes. Des gens essayaient de rentrer, et certaines personnes manifestement sans billets étaient déjà rentrées dans la couronne du Stade de France.

Pour essayer de comprendre après coup les événements, j'ai pris l'habitude d'utiliser la métaphore de l'accident d'avion. Il n'y a jamais une seule raison qui explique un accident d'avion, mais toujours une multitude de petits incidents, sur lesquels viennent se greffer soit une mauvaise décision soit un aléa, qui vient rompre un système prévu pour être robuste.

L'aléa, dans cette affaire, c'est la grève du RER B et le basculement mécanique d'un flux de population complètement inhabituel sur le RER D. Cela vous a sûrement été précisé lors des précédentes auditions : nous sommes passés d'une fréquentation habituelle de 6 000 à 7 000 personnes dans le RER D à environ 37 000 personnes cette fois-ci, ces chiffres étant inversés pour le RER B.

Si une erreur a été commise, par la préfecture de police ou par d'autres, cela a été de ne pas rediriger le flux piéton sur l'avenue Francis de Pressensé, pour rejoindre le trajet habituel depuis le RER B, et de laisser la foule s'engouffrer dans le tunnel du RER D. Tout le monde peut faire une erreur, surtout lorsque la communication est mauvaise.

À partir de ce moment, les choses se sont enchaînées. Une fois que la pression s'est fait sentir sur la rampe, le préfet a pris une bonne décision en levant le barrage, car les risques étaient très importants à cet endroit, et un accident grave aurait pu se produire.

Les choses ont alors dégénéré. La levée du barrage a accentué la pression sur l'ensemble des portes, des gens ayant attendu longtemps s'inquiétant de ne pas avoir de place et se mettant à courir pour rentrer.

De très calme vers 17 heures, le Stade de France est devenu un endroit très agité. Alors que, lors d'événements de ce type, beaucoup de monde se réunit toute l'après-midi autour du stade, chantant et faisant la fête, l'interdiction de la consommation d'alcool a conduit les gens à faire la fête ailleurs, à retarder leur arrivée et à provoquer encore davantage de tensions, notamment autour des portes X, Y, Z et A.

Selon les stadiers, que nous connaissons bien car ils sont souvent originaires de Saint-Denis, plus d'un billet sur cinq était un faux billet. Cette proportion extrêmement importante était concentrée sur un faible nombre de portes.

Le système a manqué de robustesse : il n'y avait pas de système d'évacuation des personnes munies de faux billets. L'embouteillage était total, la pression augmentant, des personnes bloquées dans les tourniquets ne pouvant plus faire marche arrière. Diverses forces de l'ordre et de sécurité se sont concentrées autour de ces portes, des supporters pouvant grimper ailleurs aux grilles, comme les images que nous avons tous vues le montrent.

Le dispositif policier ainsi désorganisé, la situation est devenue très chaotique. Dans ce chaos, les phénomènes de délinquance ont été extrêmement nombreux, tant avant le match qu'après lui.

Je l'ai écrit dans la note transmise au préfet Cadot : le dispositif policier était préparé pour gérer des mouvements de foule ou la présence de hooligans, mais il n'était pas préparé pour gérer un tel afflux massif de délinquants de droit commun - je tiens d'ailleurs à préciser qu'il ne s'agit pas nécessairement de Dionysiens : des personnes sont venues de toute l'Île-de-France pour commettre des actes de délinquance, attirées par l'appât du gain. Il y a manifestement eu un fantasme autour de ce match, et une rumeur selon laquelle tous ceux qui se rendaient au stade étaient richissimes a probablement attiré de multiples délinquants. Certains ont évoqué des razzias ; la police municipale a constaté que de très nombreux supporters étrangers ont été victimes d'actes de délinquance.

Si je devais tirer des leçons de cette affaire, je dirais que l'approche des grands événements de ce type ne doit pas uniquement être sécuritaire. Si l'on veut accueillir le public dans de bonnes conditions, la sécurité doit être au service de l'événement et non l'inverse. Le pilotage de l'événement ne doit pas seulement dépendre du ministère de l'intérieur ou de la préfecture de police, qui défend une vision de mise en sécurité, conformément à son rôle. Il faut une approche beaucoup plus large. Le continuum d'animation tout au long du parcours jusqu'au stade permet aussi un contrôle social et une mise en sécurité de l'espace public. Une clarification de la chaîne hiérarchique d'organisation et de pilotage est nécessaire.

Notre vision de ces événements ne doit pas être uniquement sécuritaire. Nous devons les vivre comme ils sont, sans privilégier une approche prohibitive. Il vaut mieux gérer les choses en amont plutôt que de les subir.

La préfecture ne nous a donné l'autorisation de construire les « fan zones » que dix jours avant la finale. Nous avons été inutilement placés en tension, ce qui a fait que nous n'avons pas pu nous poser certaines questions, comme celle de positionner dans la rue des médiateurs parlant plusieurs langues pour mieux guider les supporters. La police municipale a bien tenu un point de proximité où les trois langues étaient parlées, mais nous devons davantage anticiper : il est nécessaire de renforcer le dispositif humain à la sortie des transports.

La systématisation des zones d'accueil des supporters possédant des billets est une autre question. Si les choses ont été plus simples pour les supporters espagnols que pour les Anglais, c'est parce que les premiers étaient plus proches du stade et n'ont pas connu de problèmes de transport. Nous aurions pu envisager qu'en plus de la « fan zone » du cours de Vincennes, un espace d'accueil pour les supporters anglais possédant des billets soit créé, par exemple dans le complexe sportif Nelson Mandela, afin de lisser les arrivées tout au long de l'après-midi, de diluer les flux et de les sécuriser. Il s'agit d'une piste de réflexion intéressante.

Renforcer l'attrait autour du Stade de France doit faire partie intégrante de l'événement. Nous devons pleinement intégrer les commerçants ambulants et sédentaires, leur faciliter la vie plutôt que de leur imposer des tracasseries administratives. La préfecture de police a ainsi refusé, pour la finale du Top 14, que les commerces soient ouverts jusqu'à 2 heures du matin.

Le ministre de l'intérieur a annoncé l'ouverture d'une enquête de police, ce qui est une bonne chose. Or cette question ne concerne pas seulement l'image de Saint-Denis, mais celle de la France entière ; il pourrait donc être intéressant que le Sénat recommande que ce travail ne repose pas uniquement sur les enquêteurs locaux, surtout si cette enquête devait avoir des ramifications internationales. La police municipale est évidemment prête à y contribuer ; nous avons d'ailleurs mis à disposition les images de vidéosurveillance dont nous disposions. Il y a des heures et des heures à visionner.

M. François-Noël Buffet, président. - La ville de Saint-Denis, elle, a donc conservé ses images de vidéosurveillance, et les tient à la disposition des enquêteurs ?

M. Mathieu Hanotin. - Oui, nos serveurs nous permettent de conserver nos images de vidéosurveillance pendant trente jours. Notre système de vidéosurveillance est en déploiement constant. Grâce en particulier au soutien de l'État, nous avons pu passer de 60 caméras il y a deux ans à plus de 220 caméras. Nous avons mis en place un centre de supervision urbaine (CSU) depuis un an pour surveiller en direct et conserver les vidéos aussi longtemps que la loi nous le permet. Les images ont ainsi été confiées à qui de droit pour les soins de l'enquête.

M. François-Noël Buffet, président. - Depuis le 28 mai, il y a eu d'autres événements d'organisés au Stade de France. Y a-t-il eu des difficultés ?

M. Mathieu Hanotin. - Non. Avant la finale de la Ligue des champions, il y avait eu quelques problèmes - beaucoup moins graves - à l'occasion de la finale de la Coupe de France ; de nouveaux dispositifs étaient alors en cours d'expérimentation. Il me semble que de telles expérimentations ne doivent pas avoir lieu lors de matchs d'importance, pendant lesquels nous devons faire confiance aux systèmes robustes testés depuis longtemps.

M. François-Noël Buffet, président. - Récemment, le concert d'Indochine a réuni plus de 100 000 personnes dans le stade.

M. Mathieu Hanotin. - Oui, et nous n'avons rencontré aucun problème et aucun phénomène de délinquance comparable. Lors de cette finale de la Ligue des champions, je n'avais jamais vu autant de monde autour du Stade de France. Des gens ont cassé les portes du parking d'une école pour tenter de rentrer dans le stade ; d'autres ont essayé de passer par des espaces privés d'habitation ou par des balcons pour s'infiltrer. Encore une fois, il y avait probablement des Dionysiens, mais la population dépassait très largement le cadre de la population de la commune.

M. Cédric Vial. - Je partage le fait que la sécurité doit être au service de l'événement. L'événement doit rester un moment de fête : l'étape suivante, si la sécurité dirige l'événement, c'est le huis clos !

Cette prise en compte de la psychologie des supporters et de la dimension festive de l'événement a dû manquer, ce qui est compréhensible car cela ne relève pas du travail des forces de sécurité ou d'un préfet.

Certains supporters ont indiqué que des phénomènes de délinquance s'étaient répétés à la sortie du stade, le sentiment d'insécurité étant renforcé par la pénombre, l'éclairage public semblant éteint. Avez-vous constaté cela, et l'extinction de l'éclairage public à la sortie du stade était-elle prévue ?

Vous avez insisté sur la provenance des délinquants, en avançant qu'ils venaient de toute l'Île-de-France et non seulement de votre ville. Sur quoi vous fondez-vous ? Avez-vous eu connaissance de rumeurs entre ces groupes, appelant à venir à Saint-Denis ? Il semble en effet surprenant qu'autant de monde soit venu au même moment d'autant d'endroits différents. S'agirait-il de bandes organisées ? Les forces de l'ordre ont-elles intercepté des communications ?

Mme Céline Brulin. - Plusieurs de nos interlocuteurs ont souligné que certaines infrastructures étaient sous-dimensionnées, en particulier la passerelle au-dessus du canal ou le tunnel sous l'autoroute A1. Les problèmes de circulation sont-ils récurrents, et ces infrastructures doivent-elles être modifiées ? Les dirigeants du consortium du Stade de France ont expliqué qu'autrefois 90 agents de circulation étaient présents autour du stade, alors que les effectifs seraient aujourd'hui réduits à 10 ou 12 personnes. Confirmez-vous cela ?

Lors de la vingtaine de réunions que vous avez évoquées, avez-vous débattu d'un changement de signalisation pour répondre à l'afflux inhabituel de supporters venant du RER D ? Certains ont dit que cette signalisation n'avait pas été faite, d'autres ont dit qu'elle a été empêchée. Si tel est le cas, savez-vous pourquoi ?

M. Jean-Jacques Lozach. - Durant les réunions préparatoires, avez-vous constaté des nuances, voire des divergences, entre les services du préfet de police de Paris et ceux du préfet du département de Seine-Saint-Denis ? Avez-vous constaté des difficultés dans l'articulation du travail entre les forces de l'ordre et les stadiers ? Confirmez-vous que les forces de l'ordre étaient en nombre insuffisant ?

Pourriez-vous compléter votre position concernant la vente d'alcool aux abords du stade ? Il s'agit aussi de l'application de la loi Évin ; or l'UEFA est sponsorisé par Heineken, l'hypocrisie n'est donc pas loin...

M. Alain Richard. - La crise a été déclenchée par la saturation des voies de sortie du RER D et la surfréquentation exceptionnelle de cette ligne.

De manière générale, lors d'un match aussi important, qui est responsable de l'acheminement des flux de spectateurs à la sortie de la station ? S'agit-il du stade, du transporteur ou de la commune ?

J'ai cru comprendre qu'à la sortie du RER D des itinéraires étaient prévus pour diriger ce flux exceptionnel sans provoquer d'entassements. Un préavis de grève avait été déposé plusieurs jours plus tôt sur la ligne B, et il semblait possible de veiller à l'écoulement de ce flux. Comment les choses se passent-elles habituellement, et qui a manqué de vigilance ?

M. Michel Savin. - À vous écouter, les actes d'agression n'auraient aucun lien avec les supporters. Des actes de ce type pourraient-ils se reproduire lors d'autres événements sportifs, notamment lors de la coupe du monde de rugby ou des jeux olympiques et paralympiques de 2024 ? Selon vous, que devrait-on mettre en place pour empêcher ces phénomènes de délinquance ?

M. Mathieu Hanotin. - C'est la première fois que le sujet de la pénombre m'est signalé, et je n'ai pas de réponse. Il faudrait voir à quels endroits ces faits sont situés, dans la couronne du Stade de France ou au-delà.

M. François-Noël Buffet, président. - Apparemment, ces faits ont été rapportés du côté de la sortie des supporters madrilènes.

M. Mathieu Hanotin. - Il s'agit donc de la voie publique. Le dispositif n'avait pas vocation à être éteint. Historiquement, une certaine pénombre régnait à cet endroit, et nous avons mis en place des dispositifs artistiques colorés sous l'autoroute. Aucune panne particulière ne m'a été signalée, mais il est toujours possible qu'il y ait eu de la pénombre, d'autant plus que le match s'est terminé tard.

Au sujet de la provenance des délinquants, nous n'avons jamais connu un tel phénomène. S'il s'agissait d'habitants de Saint-Denis, ces phénomènes existeraient depuis longtemps et se seraient produits plus souvent.

Un point de délinquance extrêmement dur existe autour de Porte de Paris. Il s'agit d'un des hotspots de la vente de cigarettes trafiquées, de médicaments vendus sous le manteau par des personnes souvent en errance.

Je n'ai aucune information concernant des messages envoyés sur les réseaux. Cette question relève de la compétence du service du renseignement territorial. Nous n'avons en tout cas pas reçu d'alerte particulière.

Cela nous ramène à la question du dispositif policier : il est certain qu'il n'y avait pas assez de policiers en civil pour appréhender les délinquants. Certains policiers avaient pour mission la gestion des flux ; ils ne devaient pas bouger, et ils ont vu des délinquants agir devant eux sans pouvoir intervenir, car telle n'était pas leur mission. Je ne leur fais aucun reproche, mais c'est la réalité : le dispositif n'était pas bien calibré.

Le dispositif global a été construit en réponse à une peur de casse sur les Champs-Élysées et de phénomènes de hooliganisme qui n'ont pas eu lieu. De nombreux policiers étaient à Paris, mais les faits de délinquance se sont produits à Saint-Denis, sur les supporters.

Pour moi, le système a vrillé et les délinquants ont pu s'épanouir en raison du nombre de faux billets, qui a créé la désorganisation et le chaos. Les forces de l'ordre et de sécurité privée se sont concentrées autour de certaines portes mises sous pression par cet afflux de spectateurs munis de faux billets, en relâchant leur surveillance sur d'autres points. La goutte d'eau qui a fait déborder le vase dans ce système robuste, ce sont les faux billets. Nous n'avions jamais été confrontés à un tel phénomène au Stade de France. Il y a eu 2 800 faux billets scannés, et l'on peut donc imaginer qu'il y a eu 3 000 ou 4 000 faux billets, concentrés sur trois ou quatre portes, pour 20 000 personnes. On en revient à une proportion d'un faux billet pour cinq.

La faiblesse des infrastructures du côté RER D est évidente et connue de longue date : on y passe par un boyau d'étranglement. Pour cette raison, le RER B est toujours privilégié pour acheminer massivement les supporters, le RER D restant un complément.

Percer un autre tunnel sous l'autoroute serait particulièrement complexe. Le dérivatif testé lors du match suivant, où le flux passait sur le pont au-dessus de l'autoroute devant le complexe sportif Nelson Mandela, et reprenait le cheminement habituel, me semble être la solution la moins coûteuse et la plus immédiatement opérationnelle.

Le problème me semble moins venir de la passerelle elle-même que des barrages de préfiltrage qui ont aussi créé les engorgements. Sont-ils bien positionnés ? Par ailleurs, si tous les supporters arrivent au dernier moment, ils ne peuvent pas passer par cette passerelle, même si elle était élargie. L'enjeu est d'étaler les arrivées sur trois, quatre ou cinq heures, et de ne pas les concentrer dans la dernière heure et demie, à plus forte raison si les gens sont alcoolisés et moins patients.

Les effectifs des agents de circulation doivent être augmentés. Pour les jeux olympiques et paralympiques, nous mettons en place un système de volontaires chargés de l'accueil autour du Stade de France. Si nous avions eu dix-huit mois pour organiser la finale de la Ligue des champions, nous aurions imaginé de tels dispositifs. Lorsque les délais ne permettent pas de faire appel à des volontaires, la charge doit peser sur les organisateurs et être intégrée dans les coûts de l'événement. La commune ne peut pas se permettre de recruter quatre-vingts ou quatre-vingt-dix personnes chaque semaine pour accueillir le public.

La signalétique quotidienne doit être améliorée. Elle est largement sous-dimensionnée, en particulier du côté du RER D. Il n'empêche qu'une signalétique spécifique doit être mise en place lors d'événements de cette nature : elle était manifestement insuffisante, selon le témoignage de nombreux supporters qui ont eu l'impression de se perdre, notamment en sortant du RER D.

Je ne sais pas s'il y avait des nuances entre la position des préfectures. Mon rôle n'est pas d'interpréter les relations au sein de l'État. En revanche, dans la répartition traditionnelle des rôles, la préfecture de Seine-Saint-Denis s'occupe de l'intérieur du stade, tandis que la préfecture de police de Paris est chargée de l'extérieur du stade, notamment des flux de supporters à l'extérieur de la couronne du stade. Les problématiques d'ordre public échappent totalement à la municipalité. Les barrages filtrants et le plan de circulation sont élaborés sous l'autorité du préfet de police.

La coopération entre les forces de l'ordre et les stadiers est l'un des sujets auxquels nous avons été confrontés. De nouveaux dispositifs ont été testés à l'occasion du match entre Nantes et Nice en finale de la Coupe de France. Il faut repenser nos dispositifs et créer de l'attrait pour les personnes qui viennent sans billets aux abords du stade pour vivre l'événement, sans pour autant être des délinquants. Ces personnes, si elles n'ont rien à faire, participent à la montée en pression du système. Il faut développer des logiques d'animation dans l'espace public, pour que ces personnes aient un intérêt à venir sur le site. Cette piste me semble importante.

Nous nous sommes rendu compte que les dispositifs de forces mobiles dont la mission est de tenir un point ne pouvaient pas agilement s'adapter à l'évolution de la situation.

La vente d'alcool, pour moi, n'a pas grand-chose à voir avec l'application de la loi Évin. Le sujet concerne les abords du stade. Ce n'est pas parce qu'on dit aux gens que l'alcool est dangereux pour la santé qu'ils ne vont pas boire. En revanche, interdire aux supporters de consommer de l'alcool aux abords du stade à partir de 18 heures les incite à décaler leur arrivée au dernier moment : les gens ne vont pas « prendre le risque » de ne pas boire avant le match. Cela doit faire partie intégrante de la préparation de l'événement.

Lors de la finale de la Coupe de France, la vente d'alcool avait été interdite à partir de 15 heures, et tous les commerces autour du stade avaient fermé. La consommation d'alcool a été importante dans le centre-ville de Saint-Denis et à La Plaine, et nous avons connu des difficultés. Au lieu que les supporters se retrouvent sous protection policière autour de la couronne du Stade de France, 7 000 personnes se sont réunies devant l'hôtel de ville, dans un espace inadapté. Les choses se sont à peu près bien passées, il n'y a pas eu de casse, mais nous ne sommes pas passés loin de l'accident.

Les phénomènes de délinquance observés autour de ce match peuvent-ils se reproduire ? Oui, mais il faut prendre en compte le fait que ce match était sans commune mesure. Un dirigeant de l'UEFA m'a dit que des centaines de milliers de personnes avaient tenté d'obtenir un billet, alors que quelques milliers de places étaient à vendre. Cet événement a suscité une attente hors norme. Des rumeurs ont probablement circulé dans des réseaux de délinquants, par le bouche-à-oreille ou par le biais d'applications. Notre ville connaît évidemment d'énormes problèmes de délinquance, mais il y avait ce soir-là des dizaines et des dizaines de délinquants de plus que ceux que la police municipale connaît bien.

M. François-Noël Buffet, président. - Nous vous remercions d'avoir répondu à nos questions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 30.