Mardi 8 novembre 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Projet de loi de finances pour 2023 - Audition de M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui, dans le cadre de nos auditions budgétaires sur le PLF 2023, M. le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Monsieur le ministre, nous avions eu le plaisir de vous auditionner peu après votre nomination, en juillet dernier. Nos échanges avaient été riches, attestant de l'intérêt que porte notre commission aux sujets liés à l'éducation et à la jeunesse.

L'ordre du jour des prochaines séances du Sénat témoigne d'ailleurs de la diversité des sujets relevant de votre champ de compétences. Y sont ainsi inscrits un débat sur l'enseignement professionnel, à l'initiative du groupe des Républicains, un autre sur le bilan de Parcoursup, à la demande du groupe CRCE, ou encore l'examen d'une proposition de loi portant sur la titularisation des accompagnants d'élèves en situation de handicap (AESH) et des assistants d'éducation (AED), présentée par Sylvie Robert et les membres du groupe socialiste, dont nous discuterons ensemble le 8 décembre prochain.

Aujourd'hui, c'est sur le projet de loi de finances pour 2023 que nous avons l'opportunité d'échanger. Hors enseignement agricole, je rappelle que le budget de la mission « Enseignement scolaire » est de 80,8 milliards d'euros, 58,8 milliards d'euros si on exclut la contribution aux pensions de l'État. C'est la première mission du budget général, après le remboursement et les dégrèvements.

Par rapport au projet de loi de finances pour 2022, les crédits sont en nette hausse. Cette augmentation est à saluer, même si nos points de vigilance sont nombreux. Nous aurons l'occasion de les exprimer. Les questions de notre rapporteur pour avis, Jacques Grosperrin, et de nos collègues vous permettront sans doute de le constater.

Lors de notre dernière rencontre, vous aviez indiqué vouloir construire votre action autour de cinq thématiques : les savoirs fondamentaux, l'égalité des chances et la réduction des inégalités, le bien-être des élèves, l'environnement et l'écologie par l'institution scolaire et, enfin, la revalorisation des enseignants. Comment comptez-vous mobiliser le budget alloué à votre ministère au profit de ces différentes thématiques ?

En ce qui concerne la revalorisation des enseignants, nous souhaiterions avoir plus d'informations sur les nouvelles missions que ceux-ci pourraient être amenés à exercer dans le cadre du « pacte » annoncé par le Président de la République.

La direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP) vient en effet de publier, mi-octobre, une note relevant que la moitié des enseignants déclarent travailler plus de 43 heures par semaine. Quelles nouvelles missions facultatives pourraient leur être confiées ? Pouvez-vous faire un point sur le calendrier des rencontres prévues avec les syndicats sur ce sujet ?

Enfin, dans son discours d'août 2022 devant les recteurs, le Président de la République a annoncé la mise en place d'un fonds d'innovation pédagogique. Nous débattons régulièrement, au sein de notre commission, de l'opportunité de donner plus d'autonomie aux enseignants et aux établissements. Aussi sommes-nous intéressés par les informations que vous pourrez nous transmettre sur la mise en place de ce fonds, son montant et les projets qu'il pourrait contribuer à soutenir.

M. Pap Ndiaye, ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse. - Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, ce projet de loi de finances démontre notre détermination à faire de l'éducation une des priorités de ce nouveau quinquennat, à travers des réformes ambitieuses portées, vous l'avez dit, par une augmentation forte et même inédite du budget de l'éducation nationale.

Cette progression s'inscrit dans une dynamique de croissance constante depuis 2017, mais le présent budget constitue une réelle rupture dans l'ampleur de l'augmentation budgétaire proposée et dans l'ambition qualitative qui est portée.

Le PLF 2023 prévoit ainsi un budget de 59,7 milliards d'euros pour l'éducation nationale. Ce sont 3,7 milliards d'euros supplémentaires, soit une croissance de 6,5 % par rapport à 2022. Il s'agit d'un investissement massif au bénéfice de la réussite de tous les élèves, c'est-à-dire, en réalité, un investissement indispensable pour l'avenir de notre pays.

Cet effort budgétaire permet de mettre en musique les priorités que j'ai déjà eu l'occasion d'énoncer.

La première, vous l'avez indiqué, monsieur le président, c'est la revalorisation de la rémunération des enseignants, et c'est naturellement elle qui compte le plus dans ce budget 2023. Cette revalorisation est le préalable indispensable à toute action de refondation et de transformation de l'école. Il s'agit de reconnaître l'engagement sans faille des enseignants au service de leurs élèves. Trop longtemps, leur dévouement, que je tiens à saluer dans cette enceinte, n'a pas été rétribué à sa juste valeur.

Le Sénat a récemment consacré un rapport très clair et très précis à la situation des professeurs français par rapport à leurs homologues européens. Ce rapport soulignait à juste titre la nécessité d'un sursaut pour éviter une crise profonde du recrutement.

Ce sursaut, ou plutôt ce choc d'attractivité, vous le trouvez dans ce budget. Une enveloppe totale de 935 millions d'euros est consacrée à la revalorisation des enseignants pour 2023. C'est d'autant plus considérable qu'elle entrera en vigueur en septembre 2023 et qu'elle ne couvre donc que les quatre derniers mois de l'année.

Cette revalorisation est composée de deux parties, une part inconditionnelle et une part dite « pacte », perçue à la condition de l'exercice de nouvelles missions, qui seront définies dans le cadre de la concertation avec les organisations syndicales, qui s'est ouverte il y a un mois, le 3 octobre. La part inconditionnelle dispose d'une enveloppe de 635 millions d'euros au PLF 2023, ce qui représentera, en année pleine, 1,9 milliard d'euros. Concentrée sur la première partie de carrière, cette part permettra de casser le faux plat qui caractérise la progression de salaire en milieu de carrière.

En prolongeant les efforts réalisés dans le cadre du Grenelle de l'éducation et de la hausse du point d'indice des fonctionnaires, cette revalorisation permet d'aboutir à une hausse totale moyenne de 10 %. Cela nous permettra de réaliser l'engagement du Président de la République de ne plus avoir d'enseignants payés moins de 2 000 euros net par mois.

Nous devons donner envie aux jeunes de s'engager dans les carrières du professorat et les soutenir au cours de leurs premières années l'exercice, à un moment où les besoins financiers sont importants. Les personnels en fin de carrière ne sont toutefois pas oubliés, puisqu'un effort complémentaire se traduira par l'amélioration de l'accès aux grades finaux - la hors classe et la classe exceptionnelle -, dans le cadre de mesures interministérielles actuellement en discussion. Par ailleurs, la revalorisation passera par un nouveau pacte proposé à tous les enseignants, qui offrira une hausse supplémentaire de rémunération à la condition d'exercer de nouvelles missions, qui sont parfois réalisées sans être pleinement valorisées.

Sans préjuger des conclusions de la concertation, la formation hors temps d'enseignement, la mise en oeuvre de projets pédagogiques, le suivi individualisé des élèves, l'aide à l'orientation ou encore le remplacement de courte durée font partie des missions qui pourraient faire l'objet de ces rémunérations complémentaires. C'est un levier indispensable pour permettre la transformation en profondeur de notre école.

Ce dispositif est doté d'une enveloppe de 300 millions d'euros sur les quatre derniers mois de 2023. L'équivalent en année pleine à compter de 2024 évoluera en fonction du rythme des adhésions au pacte, qu'on ne peut pas complètement prévoir à ce stade. L'ensemble des enseignants, y compris ceux des lycées professionnels, mais aussi les enseignants des lycées agricoles, bénéficieront de ces revalorisations.

D'autres professionnels de l'éducation nationale, hors enseignants, bénéficieront également de mesures de revalorisation pour traiter les enjeux spécifiques d'attractivité et de reconnaissance de certains métiers de l'éducation nationale. Je pense aux personnels de la filière médico-sociale, qui jouent un rôle déterminant auprès des élèves. Les personnels administratifs ou les conseillers pédagogiques sont également concernés. Au total, une enveloppe de près de 66 millions d'euros sera mobilisée pour l'ensemble de ces mesures catégorielles.

Le deuxième axe fort de ce budget, c'est la réussite de tous les élèves. Budgétairement, cette priorité se traduit par deux actions : en premier lieu la poursuite de l'amélioration du taux d'encadrement dans le premier degré et sa stabilisation dans le second degré, en deuxième lieu la prolongation et l'engagement des dispositifs pour la réussite des élèves, tels que les dédoublements en REP, le plafonnement à 24 des classes de primaire hors REP, ou le développement des unités localisées pour l'inclusion scolaire (ULIS).

L'effort sur les taux d'encadrement se traduit par une reprise partielle de la baisse démographique que nous connaissons déjà, qui va s'accentuer dans les prochaines années. En dix ans, la France est passée d'une moyenne de 830 000 naissances par an à 738 000 naissances. C'est considérable et, après une baisse de 300 000 élèves ces cinq dernières années, nous prévoyons une baisse de 500 000 élèves sur la période 2022-2027. Cette évolution se traduit par la diminution constatée de 58 000 élèves à la rentrée 2022. Les prévisions pour 2023-2024 atteignent presque 100 000 élèves en moins.

Les prévisions que j'avais données au mois de juillet étaient un peu plus négatives en matière de baisse d'élèves pour l'année écoulée, mais ne tenaient pas compte des quelque 20 000 élèves ukrainiens qui ont été scolarisés. Il y a donc eu une légère compensation l'année dernière.

Répercuter complètement cette baisse sur le nombre d'enseignants reviendrait à supprimer 5 000 postes. En limitant cette baisse à 2 000 postes, nous poursuivons l'effort pluriannuel sur les taux d'encadrement. Dans le premier degré, nous sommes passés d'une moyenne de 23,6 enfants par classe en 2016 à 21,6 en 2022, et nous prévoyons de faire baisser ce chiffre en 2023, pour atteindre 21,3 élèves par classe en moyenne.

Dans ce cadre, je réaffirme que la baisse des effectifs d'enseignants tiendra compte des enjeux liés à la ruralité, en conformité avec l'engagement du Président de la République. Aucune fermeture d'école n'interviendra sans l'accord des maires.

Au-delà des dispositions budgétaires du PLF, la réussite des élèves passera aussi par des réformes structurantes, comme celle du collège, sur laquelle nous travaillons activement, ou la réforme de la voie professionnelle annoncée par le Président de la République, qui a souhaité que celle-ci soit construite dans le cadre d'une large concertation, qui a débuté.

La réussite de tous les élèves passe aussi par la poursuite de l'école inclusive. L'école inclusive demeure une priorité pour mon ministère et le Gouvernement. 4 000 postes d'AESH ont été créés à la rentrée 2022, et 4 000 postes seront créés à la rentrée 2023. Cette hausse continue, que nous assumons, ne peut cependant pas être la seule réponse aux besoins particuliers de certains élèves.

La hausse des notifications, que nous ne maîtrisons pas puisqu'elles dépendent des maisons départementales des personnes handicapées (MDPH), est beaucoup plus rapide que celle du nombre d'AESH. Les fortes divergences entre départements, les situations de saturation dans certaines classes, les difficultés de recrutement d'AESH dans certains bassins nous imposent de réfléchir plus globalement à la situation et de construire ce que nous appelons un « acte II de l'école inclusive », de manière à répondre de façon pertinente et soutenable à la situation de chaque enfant, tout en garantissant dans le temps cette école inclusive, en particulier d'un point de vue budgétaire.

L'objectif de la réforme est clair : chaque enfant doit être correctement accompagné en fonction de ses besoins. Nous nous mettons donc en ordre de bataille pour que des propositions concrètes puissent être inscrites à l'ordre du jour de la Conférence nationale du handicap, qui aura lieu au printemps 2023. Je serai heureux, le moment venu, si vous le souhaitez, de revenir vous en parler.

Une démarche de concertation a été engagée par la Première ministre, dans le cadre du comité interministériel du handicap, le 8 octobre 2022. Au vu des conclusions de cette concertation, nous ferons évoluer les outils de l'école inclusive. Ce sont des évolutions qui bénéficieront aux AESH puisque, dans ce cadre, nous souhaitons définir les modalités qui leur permettront d'atteindre, si tel est leur choix, un temps plein de 35 heures, en partenariat avec les collectivités territoriales. Cela représentera également un progrès pour les élèves en situation de handicap.

La situation matérielle des AESH est ainsi un sujet majeur d'attention dans ce chantier, et nous privilégions pour cela l'option des 35 heures afin d'améliorer leur rémunération. Néanmoins, comme vous l'avez peut-être noté, dans le cadre des débats à l'Assemblée nationale, une préoccupation légitime s'est exprimée vis-à-vis de ces personnels essentiels pour le fonctionnement de l'école inclusive et fragilisés par le contexte inflationniste que nous connaissons.

Nous avons donc décidé, avec la Première ministre, de retenir une proposition d'amendement actant une revalorisation de 10 % des AESH à partir du 1er septembre 2023, selon le même calendrier que celui des enseignants. 80 millions d'euros supplémentaires sont ainsi prévus pour financer cette revalorisation, pour laquelle le gage a été levé.

Cette revalorisation s'ajoute à l'enveloppe de 74 millions d'euros initialement prévus dans le budget, qui permettra à ces personnels, ainsi qu'aux AED de percevoir la prime REP-REP+, lorsque leur affectation les y autorise.

J'ai également souhaité, à travers ce budget, donner corps à la priorité que j'ai fixée en matière de lutte contre les inégalités sociales et territoriales. De fait, la lutte contre les inégalités scolaires est au fondement de notre capacité à faire société. C'est aussi une condition du bon fonctionnement de l'éducation nationale et de l'amélioration globale de nos résultats. Pour cela, nous développons les dispositifs de soutien aux familles les plus fragiles, via la hausse des bourses scolaires - plus 4 % à partir de la rentrée 2022 -, ce qui représente un total de 835 millions d'euros en 2023. Les établissements sont par ailleurs encouragés à améliorer l'utilisation de leurs fonds sociaux, qui sont actuellement sous-consommés.

Je suis également très vigilant vis-à-vis des inégalités territoriales. En ce sens, l'expérimentation des contrats locaux d'accompagnement (CLA) et des territoires éducatifs ruraux (TER) sera étendue : près de 9 millions d'euros sont inscrits au PLF 2023 pour ces deux dispositifs.

Amélioration du niveau scolaire, réduction des inégalités, bien-être, ces priorités se retrouveront dans le fonds d'innovation pédagogique, qui sera doté, en 2023, de 150 millions d'euros pour les quatre derniers mois de l'année 2023. Ce fonds est une vraie nouveauté : il va permettre de financer tous les projets pédagogiques innovants portés par les équipes éducatives, qui seront issus des débats engagés dans le cadre du Conseil national de la refondation (CNR), lancé par le Président de la République le 8 septembre dernier. Si vous le souhaitez, je serai heureux de vous entretenir de ces concertations, qui sont lancées depuis le 3 octobre.

Les projets bénéficiant d'un soutien financier pourront être très divers, dès lors qu'ils visent à améliorer la réussite des élèves. En nous fondant sans la dupliquer sur l'expérience conduite à Marseille, nous préparons le déploiement d'un dispositif ambitieux dans son volume et novateur dans son fonctionnement, puisqu'il sera pleinement déconcentré et proche du terrain. Ce nouveau fonds, qui viendra abonder notre budget à partir d'un transfert de crédits de la mission « Investir pour la France de 2030 », permettra par exemple de financer des projets autour du développement durable, de l'inclusion, des savoirs fondamentaux ou de l'éducation artistique et culturelle, le tout sans mise en concurrence des écoles et établissements les uns par rapport aux autres, dans un esprit de confiance vis-à-vis des équipes pédagogiques.

M. Jacques Grosperrin, rapporteur pour avis sur les crédits de l'« Enseignement scolaire ». - Monsieur le ministre, mes chers collègues, la préparation de la dernière rentrée scolaire a été marquée par les résultats inquiétants des concours de 2022 : chute du nombre de candidats, plus particulièrement dans le premier degré, baisse du nombre de lauréats, augmentation sans précédent du nombre de postes non pourvus dans le premier comme dans le second degré.

Les concours de 2022 montrent une évaporation des candidats qui va, selon moi, au-delà des conséquences mécaniques du niveau de diplôme exigé depuis cette année. Nous devrons suivre avec vigilance les concours de 2023 pour voir si le nombre de candidats connaît une amélioration, une fois franchi le cap du master désormais exigé pour concourir.

Le PLF 2023 traduit certes des efforts très significatifs pour revaloriser les rémunérations des enseignants. Il cible notamment les jeunes. Vous avez parlé de choc d'attractivité : ce sont en effet des masses budgétaires significatives. Nous espérons que les fiches de paye seront à la hauteur des besoins d'autant que, vous l'avez fort bien dit, nous partons de loin. Les salaires des débutants sont bas compte tenu de leur niveau de diplôme. Il est certain que, pour produire des effets, cet effort financier devra être poursuivi pendant de nombreuses années.

Vous l'avez confirmé : le salaire minimum devra être de 2 000 euros par mois en début de carrière et vous promettez une revalorisation historique. Sur 935 millions d'euros, 635 millions seront consacrés à une revalorisation inconditionnelle, 300 millions étant provisionnés de manière moins précise. Vous avez évoqué des réflexions, des engagements syndicaux. Nous aimerions avoir quelques informations.

Vous dites qu'on pourra, pour un professeur avec quelques années d'ancienneté, aller jusqu'à 25 % d'augmentation. Y aura-t-il des contreparties ? La profession a besoin de réponses.

Le deuxième point porte sur la crise actuelle du recrutement, qui ne tient pas seulement aux rémunérations et qui n'est pas spécifique à la France. Cet effort financier ne suffira peut-être pas à renverser cette tendance. On voit dans les pays étrangers que des difficultés proviennent de conditions d'exercice difficiles ou dégradées au fil du temps. En France, on pense aux enseignants qui interviennent dans les sections d'enseignement général et professionnel adapté (SEGPA) ou les territoires quelque peu délaissés.

Les démissions s'accélèrent. On peut les minimiser en estimant que cela correspond à moins de 1 % des effectifs, mais elles ont doublé entre 2013 et 2016, passant de 516 à 1 002.

Ce qui nous inquiète surtout, c'est le fait que les enseignants concernés sont jeunes. 22 % des démissions dans le premier degré concernent des moins de 29 ans. Ils démissionnent surtout en tout début de carrière : 30 % des démissions surviennent pendant l'année de stage. Quel est votre sentiment à propos de ces démissions ? Comment pouvez-vous pouvez agir ? Derrière les chiffres, il y a des hommes, derrière les hommes, il y a des politiques.

Enfin, le recrutement des contractuels a été important cette année. Des entretiens d'embauche ont eu lieu, suivis de quatre jours de formation. Il n'en demeure pas moins que ces personnels apportent souvent un plus, notamment dans l'enseignement professionnel. Sans eux, cette rentrée aurait certainement été plus complexe.

J'aurais pu vous parler de la faible attractivité de certains territoires, des contraintes de mobilité géographique et de la situation dans le second degré, mais j'aimerais revenir, pour ma troisième question, sur l'attractivité du métier d'enseignant et sur la formation initiale et continue.

Les 300 millions provisionnés pour le « pacte » ne pourraient-ils permettre aux enseignants du premier degré, qui n'ont pas la possibilité d'être allégés, d'être payés au moment où ils suivent leur formation continue, par exemple lors de certaines vacances scolaires ?

Enfin, vous nous avez parlé des 150 millions du fonds d'innovation pédagogique, tiré du programme « Investir pour la France de 2030 ». Nous nous demandons quel serait le canal par lequel ce fonds pourrait être versé aux établissements du premier degré qui y auraient droit. Sur quelle base juridique vous fondez-vous et quelles lignes budgétaires permettront d'y répondre ?

M. Gérard Longuet, rapporteur spécial. - Monsieur le ministre, je rapporte ce budget depuis dix ans, et j'observe une logique nouvelle dans les débats. Incontestablement, les classements internationaux ont permis des échanges plus rationnels sur la qualité de notre enseignement. Nous avons toujours tendance à penser qu'il est exceptionnel, mais les résultats et les comparaisons montrent que ce n'est pas tout à fait vrai. Nous avons en effet été parfois rattrapés par d'autres pays, qui ont fait des efforts significatifs.

Ces comparaisons internationales permettent de mieux échanger et de surmonter les divisions politiques pour revenir à l'essentiel : le succès de nos jeunes et les perspectives qui leur sont offertes par cet enseignement.

En second lieu, la commission des finances, qui n'a pas les mêmes responsabilités que la commission de la culture, s'en est tenue aux chiffres et a regardé de façon systématique la rémunération de nos enseignants et les choix salariaux qui ont été faits par l'éducation nationale, d'une façon informelle, mais avec une tendance presque continue depuis les débuts de la Ve République. Il apparaît très clairement que le primaire a toujours été moins bien traité que le secondaire, et que l'ancienneté a toujours été privilégiée sur l'effort.

Monsieur le ministre, comment ressentez-vous ces inégalités dans l'accès au métier d'enseignant, selon la discipline que l'on a choisie ? On constate une très forte inégalité de l'offre et de la demande d'enseignants selon les disciplines. Ce n'est pas complètement anormal. Vous en connaissez la raison : certaines disciplines sont moins concurrencées que d'autres en matière de débouchés et, par conséquent, moins contraintes.

Cette inégalité se double d'une inégalité territoriale. Pour simplifier, le coût de la vie n'est pas partout le même sur le territoire français. Êtes-vous d'accord avec ce diagnostic et quelles conséquences en tirez-vous ?

Je reviens sur deux sujets d'actualité ouverts par les déclarations du Président de la République de cet été, qui sont très intéressantes et instructives : quelles priorités attendez-vous des engagements des enseignants qui concluraient le pacte individuel qui s'inscrit dans le cadre d'une volonté ministérielle ? Sont-ce les devoirs faits dans l'établissement, les vacances apprenantes, l'échange entre enseignants sur le suivi individuel des élèves pour assurer leur réussite ? Je rappelle que l'objectif de l'éducation est en effet la réussite des élèves et la transmission d'un savoir.

Enfin, parmi les annonces de l'été figure la responsabilité du chef d'établissement au lycée ou au collège. En ce qui concerne les écoles, c'est un peu plus compliqué. Quel est le fond de votre pensée sur ce sujet ?

Certes, la commission des finances ne peut que se réjouir qu'il ait un peu plus d'argent et qu'on réfléchisse à modifier les choses, mais les questions que je vous pose ne sont pas sans effet sur l'engagement de mes collègues, qui ne sont pas tous aussi mesurés que je le suis devenu avec l'âge.

M. Pap Ndiaye, ministre. - S'agissant de la revalorisation des enseignants, j'appuie les propos du rapporteur concernant de la perte d'attractivité du métier, dont nous avons déjà parlé. La presse s'en est fait l'écho de façon extrêmement large ces derniers mois. Je dois dire que les efforts que nous faisons ne vont pas à notre sens inverser brutalement les choses d'une année sur l'autre. C'est un travail de longue haleine, qui va prendre plusieurs années.

Cette revalorisation ne répond pas en effet à l'ensemble des facteurs qui permettent d'expliquer le faible rendement des concours et le faible nombre de candidats. Je suis en accord total avec vous sur ce sujet. D'ailleurs, la question des difficultés de recrutement d'enseignants se pose à l'échelle de toute l'Europe, sauf dans deux d'entre eux, y compris dans des pays voisins du nôtre, comme l'Allemagne ou le Luxembourg, où les rémunérations sont beaucoup plus élevées qu'en France.

Par conséquent, la question des rémunérations, même si elle est importante, n'explique pas tout. Il existe d'autres facteurs, comme les conditions de travail, la manière dont les jeunes se projettent dans ce métier, qui a été conçu pour des carrières longues, jusqu'à la retraite. Aujourd'hui, les étudiants envisagent l'enseignement pour une période plus brève, une dizaine d'années, avant de pouvoir faire autre chose. Ils veulent des portes de sortie dans les trajectoires de carrière. Il existe aussi des possibilités pour les personnes qui souhaitent entrer dans l'éducation nationale après une première expérience professionnelle. Il y a donc un gros travail à mener du point de vue des carrières.

J'ai déjà eu l'occasion de dire à quel point la place symbolique des enseignants dans la société française doit être revalorisée. Les enseignants n'ont jamais été bien payés. Leurs salaires étaient relativement plus élevés il y a 30 ans, mais les historiens de l'éducation insistent sur le fait que les rémunérations, durant l'entre-deux-guerres, étaient modestes. Les enseignants du premier degré connaissaient même des difficultés, mais ces rémunérations étaient compensées par une place sociale, symbolique et politique importante. Il y a parfois un sentiment de déclassement qui va au-delà des simples questions financières.

S'agissant des inégalités selon la discipline, je remarque que les deux disciplines qui ont été les plus en tension et à propos desquelles nous avons eu le plus de difficultés pour cette rentrée 2022 n'ont pas été les disciplines les plus en concurrence sur le marché du travail. Il s'agit des lettres classiques et de l'allemand. Vous conviendrez que ce sont des disciplines qui sont un peu à contre-intuition par rapport à ce qu'on pourrait imaginer s'agissant des mathématiques ou de la physique-chimie. Il me semble donc que la question du marché du travail, dans sa globalité, y compris du marché du travail privé, n'est pas la seule question dans les difficultés de recrutement que nous pouvons rencontrer.

La question des démissions se pose en effet. Vous avez eu raison de dire que ces démissions sont importantes dans les cinq premières années du métier. On est à 0,4 % pour les cinq premières années, contre une moyenne de 0,2 % pour l'ensemble de la carrière, ce qui rejoint d'ailleurs des données que nous avons à l'échelle internationale. Les démissions se concentrent sur les premières années, avec des chiffres beaucoup plus élevés dans les pays européens voisins, compris entre 4 et 6 %. On est donc à un niveau beaucoup plus bas, mais la pente va croissant. Raison de plus pour y travailler. C'est pour cela que, les premières années sont, y compris du point de vue de la revalorisation, des années essentielles sur lesquelles il faut se pencher.

Quant aux contractuels auxquels nous avons recours, les proportions qui restent modestes, en dépit de ce qu'en a dit la presse. Nous sommes entre 1 et 1,5 % dans le premier degré, entre 6,5 et 8 % dans le second degré, avec des variations, je le concède, selon les régions.

La question des contractuels doit être abordée de deux manières : sous l'angle du rendement des concours, qui n'a pas été bon cette année - 8 % -, mais aussi en tenant compte du fait que nous avons besoin d'enseignants contractuels de façon structurelle, de manière à ajuster finement notre offre à la demande et à pouvoir répondre à un certain nombre de difficultés temporaires.

S'agissant du pacte, les missions nouvelles que nous entendons proposer aux enseignants volontaires sont discutées avec les organisations syndicales jusqu'au 15 novembre. Nous reprendrons après les élections professionnelles, début janvier, pour conclure vers la fin février. Je ne sais pas si nous parviendrons à un accord. Nous discutons d'un éventail assez large de missions avec les organisations syndicales, mais si je devais insister sur quelques points, je mentionnerais d'abord la question des remplacements de courte durée, celle du suivi et de l'orientation des élèves, particulièrement dans le second degré, et enfin la question de la formation continue, élément essentiel pour les premier et second degrés.

Nous avons besoin de former nos enseignants de manière continue, ne serait-ce que parce que la formation initiale, en France, est réduite par rapport à d'autres pays. Vous l'avez vous-même noté dans votre rapport : on a une formation aux métiers très académique et très réduite par rapport à certains pays.

Dans l'immédiat, nous devons faire un effort de formation continue, y compris dans des disciplines comme les mathématiques, qui ne sont pas les plus familières aux enseignants du premier degré, qui viennent plutôt du monde littéraire au sens large.

S'agissant de l'école inclusive, nous avons créé des postes d'AESH, mais j'ai eu l'occasion de souligner à quel point cette question nécessitait d'être remise à plat, tant le système se trouve frappé d'embolie du côté des instituts médico-éducatifs (IME), où il n'y a plus assez de places. Les élèves sont versés dans le milieu ordinaire. Les classes ULIS sont pleines elles aussi, et nous avons des difficultés structurelles, sans compter les notifications des MDPH qui « pleuvent » et qui nous posent de réelles difficultés.

Il faut donc sortir d'une simple logique de création de postes d'AESH, création nécessaire, mais qui ne nous permet pas de « rattraper la marée » pour mettre les choses à plat et réfléchir à la meilleure manière d'accueillir les enfants en situation de handicap.

Je voudrais également mentionner la question des inégalités territoriales en fonction du coût de la vie. C'est en effet un facteur répulsif dans le métier que d'être nommé dans le secondaire dans des académies où le coût de la vie est élevé, notamment en matière de logement pour ce qui concerne les académies franciliennes, à un moment où la rémunération est basse, lorsque l'on est néotitulaire. On a là une crise due au coût de la vie qui se combine à la faiblesse de la rémunération.

La question du logement est un point sur lequel nous nous penchons très sérieusement. Des tentatives ont été engagées pour réserver des logements dans le parc locatif public, mais c'est très coûteux et cela n'a pas eu un succès extraordinaire, en particulier parce que les logements se trouvent dans des quartiers peu attractifs pour les néotitulaires.

Ce sujet est également vrai dans certains départements d'outre-mer. C'est une question que le ministère de la santé ou le ministère de l'intérieur connaissent également. J'ai échangé à ce sujet avec mes collègues pour réfléchir à une offre de logement qui puisse être mutualisée.

Quant au fonds d'innovation pédagogique, il est mis en oeuvre à partir de janvier 2023 et non à partir de la rentrée 2023. Nous escomptons que des projets pédagogiques issus des concertations soient prêts à partir de l'hiver 2023 et que le financement pourra intervenir très rapidement, comme le Président de la République s'y est engagé.

Des opérations administratives sont à réaliser pour transférer les sommes d'argent depuis France 2030 vers les rectorats, le financement se faisant à partir des académies. La question se pose pour les établissements du premier degré, qui n'ont pas de personnalité financière. Dans le cadre de l'expérience marseillaise, le financement a transité par des établissements du second degré. Ce n'est pas une situation optimale, je le reconnais volontiers, mais nous devons travailler là-dessus et résoudre quelques obstacles juridiques.

M. Max Brisson. - Monsieur le ministre, le budget de l'éducation nationale est l'un des plus importants budgets de l'État. Le temps accordé en séance publique, sans parler de l'horaire parfois, n'est peut-être pas proportionnel à ce qu'il représente dans les dépenses publiques, d'où l'importance de nos échanges et du temps que vous y passez. Nous vous en remercions.

Je remercie notre collègue Jacques Grosperrin pour sa vigilance, ses remarques justes et avisées sur le budget. Je veux aussi saluer la sagesse et la modération de Gérard Longuet, dont je risque, à mon corps défendant, de m'éloigner quelque peu dans mon intervention.

Il ressort de ce premier budget de la mandature que le Président de la République, à juste titre, a fait de l'éducation une priorité et a tenu des propos extrêmement forts. Je pense que nous pourrons être tous d'accord sur le fait qu'une politique volontariste est attendue.

En vous écoutant, monsieur le ministre, j'ai du mal à lire le contenu de votre politique, au-delà des mots-clés, des titres de chapitres et des éléments de langage. J'y vois des tentatives de réponses qui entrent en résonance avec de nombreux problèmes sectoriels. C'est louable, mais, à force d'avoir trop de caps, on va finir par affoler la boussole et se perdre en chemin !

On peut en effet se satisfaire et saluer, comme je le fais, les 935 millions d'euros que vous avez obtenus de Bercy pour revaloriser les salaires. C'est essentiel, mais vous avez fixé quelques règles de répartition. On peut s'étonner que, face à cette somme importante, il y ait si peu sur la réforme du métier d'enseignant.

Notre commission a eu souvent l'occasion d'appeler votre prédécesseur à une réforme de fond, à une véritable refonte de la gestion des ressources humaines du ministère de l'éducation nationale pour rompre, par exemple, avec le véritable « bizutage institutionnel » des néotitulaires car, au-delà de la rémunération, il y a des questions prégnantes sur la formation, l'entrée dans le métier, le déroulement de la carrière.

Nous pensons qu'il serait temps de travailler à des déroulements de carrière plus souples, plus dynamiques, comme nous l'avons proposé par exemple, en adoptant une démarche de contractualisation pour les titulaires en cours de carrière, afin de réduire la seule approche par l'ancienneté et de prendre en compte les réalités de terrain que vient d'évoquer excellemment Gérard Longuet.

Nous pensons que le ministère de l'éducation nationale a besoin d'une réforme en profondeur de sa gestion des ressources humaines, qui doit rompre avec une culture verticale, centralisée, très globale, qui laisse peu de place à une gestion individualisée tenant compte des réalités.

Ma question est simple : avez-vous prévu des moyens spécifiques pour initier une réforme de la gestion des ressources humaines du ministère ? Au-delà de la valorisation salariale, comment comptez-vous réformer en profondeur le déroulement de carrière des enseignants ?

Vous n'avez pas non plus évoqué la réforme du master consacré aux métiers de l'enseignement, de l'éducation et de la formation (MEEF), qui est certainement l'une des causes des difficultés que l'on a rencontrées lors des derniers concours. Quel bilan tirez-vous de cette réforme ? Envisagez-vous de la faire évoluer ?

Je voudrais prendre un deuxième exemple concernant l'école du futur, dotée d'un fonds d'innovation pédagogique de 150 millions d'euros en 2023, qui pourrait être porté à 500 millions d'euros d'ici 2027.

Nous sommes nombreux à nous réjouir, dans cet hémicycle, de cette prise de conscience portée par le Président de la République à propos du besoin de donner plus d'autonomie et de liberté aux établissements et à leurs professeurs, mais, là encore, je m'interroge sur l'ambition. L'autonomie des établissements scolaires, que le Président de la République appelle de ses voeux, nécessite certainement bien plus qu'un financement par un appel à projets centralisé. Cela exige une réforme systémique et certainement un travail législatif.

On vient d'aborder la question : peut-il y avoir autonomie pour les écoles primaires s'il n'y a pas personnalité morale ? Peut-il y avoir autonomie pour les écoles primaires si les directeurs ne peuvent exercer leur autorité, au-delà de l'autorité fonctionnelle apportée par la réforme Rilhac ?

Finalement, vous nous proposez une réponse qui s'apparente étonnamment à ce qui a été rejeté par cette assemblée : des établissements publics locaux et des savoirs fondamentaux rattachant les écoles primaires aux collèges. Ne craignez-vous pas de générer la même colère des maires ruraux, qui verront des risques de disparition de leurs écoles, et des syndicats d'enseignants ?

Vous avez lancé quelques titres de chapitres sur le collège et la voie professionnelle. Nous attendons du contenu. Nous serons patients. Le groupe Les Républicains a souhaité un débat sur la réforme de l'enseignement professionnel, qui aura lieu dans l'hémicycle le 14 novembre.

Vous aviez souhaité la dernière fois que je vous pose des questions sur l'enseignement des langues régionales. Je ne l'avais pas fait. Mon plaisir est donc grand de vous donner satisfaction aujourd'hui : quelle est votre position sur l'enseignement des langues régionales par la méthode de l'immersion dans les écoles publiques ? Quel est votre avis sur la question du passage des épreuves du brevet et du Baccalauréat « langues régionales » ? Une réponse est attendue par les enseignants, qui vont bientôt avoir achevé le programme du premier trimestre.

Où en sommes-nous du rapport des députés Euzet et Kerlogot, qui préconisaient une loi-cadre sur les langues régionales ? J'ai cru comprendre que vous n'aviez guère envie de présenter des lois devant le Parlement. Je ne sais d'ailleurs pas pourquoi. Je pense pourtant que certains sujets, comme l'autonomie des établissements ou la place des langues régionales, ne vous permettront pas de faire l'économie d'un passage devant le Parlement.

Mme Marie-Pierre Monier. - Monsieur le ministre, vous nous avez parlé d'une augmentation du budget de quelque 6 %, mais nous vivons un contexte où l'inflation est estimée à 6 % et pourrait être revue à la hausse.

Vous avez dit qu'il était temps de reconnaître un engagement sans faille de la part des enseignants, trop peu rétribués à leur juste valeur, et que cela nécessitait un sursaut.

Par ailleurs, vous nous parlez d'un pacte qui consiste à faire davantage travailler les enseignants pour gagner plus. Je comprends que vous sous-entendez que les professeurs ne seraient pas au maximum de leurs capacités de travail, et cela m'interpelle. Vous avez évoqué quelques pistes, notamment une indemnité de suivi et d'orientation qui existe déjà pour le second degré.

Je voudrais également revenir sur les suppressions de postes. Vous avez annoncé 1 000 suppressions dans le premier degré. Comment espérer, dans ces conditions, mettre en oeuvre de façon satisfaisante la poursuite des politiques de dédoublement en REP et REP+ et le plafonnement du nombre d'élèves par classe, même s'il y a moins d'élèves ? Cela demande beaucoup de moyens. Or on manque de remplaçants dans le premier degré.

Avez-vous à ce sujet des éléments chiffrés à nous communiquer sur le dédoublement actuel des classes de grande section de maternelle ? Confirmez-nous que le taux est de 100 % pour les classes de CP et de CE1 en REP et REP+, ainsi que pour les classes de grande section en CP et CE1 hors éducation prioritaire ?

Je constate à regret que de nouvelles suppressions d'emplois dans le second degré sont là - moins 480 postes, soit moins 1 700 emplois entre 2018 et 2021 -, à rebours, pour le second degré, de l'évolution des effectifs. Il y aura certainement recours aux heures supplémentaires pour compenser ces suppressions de postes. Avez-vous des éléments sur la consommation des heures supplémentaires ? Je sais qu'il est très difficile pour les enseignants d'accepter plus que les deux heures statutaires dont ils bénéficient.

S'agissant du recours aux contractuels, vous avez annoncé le lancement de concours exceptionnels à destination du premier degré dans trois académies, Créteil, Versailles et la Guyane. Quid des académies qui ne sont pas concernées par cette démarche, ainsi que des contractuels exerçant dans le second degré ?

On a beaucoup parlé d'école inclusive et, malgré des recrutements en hausse, le nombre d'accompagnants pour les élèves en situation de handicap reste insuffisant. Je crois que 44 % des personnels de direction signalaient qu'au moins un AESH manquait à la rentrée pour accompagner les élèves. On a même vu apparaître, pour compenser les insuffisances de l'État, un recours à des AESH privés, notamment via des structures associatives qui entrent dans les écoles. C'est un mécanisme un peu pervers, qui crée une rupture d'égalité entre les parents qui peuvent se permettre un recours à une telle solution et les autres. Il attire également des AESH qui trouvent des conditions d'exercice peut-être plus favorables.

Quelle est la position du ministère sur le sujet ? Disposez-vous d'éléments chiffrés sur l'évolution du phénomène, la revalorisation de 10 % annoncés et des 4 000 nouveaux recrutements prévus cette rentrée ? Que prévoyez-vous de faire pour apporter des réponses à la hauteur des carences actuelles de l'école inclusive ?

Je souhaite vous alerter sur un point plus précis, celui de la formation des AESH, qui est aujourd'hui considérée comme insuffisante par les principaux concernés. Dans le PLF, on constate une baisse de l'enveloppe destinée à cette formation, alors même que le nombre d'AESH doit augmenter de 4 000 cette année. Comment expliquez-vous ce paradoxe ?

Vous avez parlé de 2 000 euros net pour ceux qui débutent dans le métier d'enseignant. Est-ce net ou primes incluses ? Pour les enseignants, une prime n'est pas une augmentation du point d'indice. Cela n'a rien à voir.

Vous ciblez le début de carrière, mais cela risque d'en décourager certains, la hors classe venant très tard dans la carrière des enseignants. Quelle marge de manoeuvre avez-vous au regard de l'évolution des crédits programmés pour la mission dans les prochaines années ? Les montants prévus permettront-ils vraiment de connaître une montée en puissance de cette revalorisation ?

Mme Annick Billon. - Monsieur le ministre, permettez-moi de revenir sur les AESH. En réalité, beaucoup travaillent encore à temps partiel, malgré l'instauration des pôles inclusifs d'accompagnement localisés (PIAL), et de nombreuses académies restent sous tension. Selon la rectrice de Versailles, on constate un manque de 700 AESH pour sa seule académie. L'attractivité de ce métier reste faible, du fait des salaires, mais aussi à cause de l'organisation du temps. Avec Marie-Pierre Monier et Max Brisson, nous préconisions dans notre rapport intitulé « Bilan des mesures éducatives du quinquennat » de réaliser un focus sur la formation, qui doit être étoffée. Qu'en est-il ? Quid des AESH privés, déjà évoquées, qui sont semble-t-il autorisés dans les établissements publics, qu'il s'agisse de collèges ou de lycées, en fonction de l'avis du chef d'établissement ?

Vous vous êtes par ailleurs exprimé depuis la rentrée au sujet de l'éducation à la sexualité. La loi prévoit des heures obligatoires par année et par niveau. Elle n'est évidemment pas appliquée. La délégation aux droits des femmes a présenté un rapport, « Porno, l'enfer du décor », dénonçant les ravages du « biberonnage » de toute une génération à la pornographie, faute de cours d'éducation à la sexualité. Les élèves disposent en moyenne de trois séances sur les 21 obligatoires. Il faut bien entendu appliquer la loi, mais aussi adapter les contenus. Un enfant de moins de douze ans sur trois et deux enfants de moins de 15 ans sur trois sont exposés à la pornographie depuis l'âge de huit ans.

Je voudrais revenir sur la médecine scolaire. Nous avons démontré dans nos travaux que l'éducation à la sexualité était nécessaire, mais qu'on avait aussi besoin d'un espace d'écoute. On compte aujourd'hui - si mes chiffres sont bons - un médecin pour 12 572 élèves, et un infirmier pour 1 300 élèves. Les besoins sont criants et l'on déplore également un déficit en pédiatrie de ville. La médecine scolaire a donc d'autant plus sa place dans ce système aujourd'hui. Qu'en sera-t-il cette année dans ce domaine ?

Nous avions, dans notre bilan des mesures éducatives, proposé un module dédié à la maternelle dans les instituts nationaux supérieurs du professorat et de l'éducation (INSPÉ). Qu'en est-il ?

D'autre part, avec Laure Darcos, nous avions auditionné le collectif Maths et sciences. Aujourd'hui, de nombreuses jeunes filles ne sont plus en mesure de s'orienter vers les filières scientifiques. C'est d'autant plus criant que cela fait maintenant quasiment deux ans que cela dure. Il y a donc urgence. Vous avez fait des annonces pour essayer d'inverser la tendance. Comment allons-nous réussir à inverser la tendance ?

Enfin, selon le Panorama statistique des personnels de l'enseignement scolaire 2021-2022, on note un déséquilibre au profit des hommes dans l'accès aux grades les plus élevés : hors classe et classe exceptionnelle. Dans le premier degré, 18 % des hommes professeur des écoles sont en hors classe, contre 16 % pour les femmes. 11 % sont en classe exceptionnelle contre 5 % pour les femmes. Dans le second degré, 7 % des enseignantes sont en classe exceptionnelle, contre 9 % des enseignants. Ceci ne peut s'expliquer que par des différences démographiques. Il semble que les hommes passent plus rapidement que les femmes à la hors classe et à la classe exceptionnelle, même dans le premier degré où, pourtant, ils sont depuis longtemps moins nombreux que les femmes.

On note en conséquence un creusement des différences d'indices entre les hommes et les femmes à partir de 20 ans d'ancienneté, avec des inégalités de salaires non négligeables en fin de carrière. Qu'en est-il et que proposez-vous - même si ma voisine estime que c'est partout pareil ?

Mme Céline Brulin. - Monsieur le ministre, vous avez parlé d'un budget de rupture. Ce n'est pas le cas en ce qui concerne les suppressions de postes qui se poursuivent, et je crois que vous ne pouvez compter uniquement sur les effets démographiques pour améliorer le taux d'encadrement. Il y a encore des départements, comme le mien, où, hors REP, on trouve des classes comptant bien plus de 24 élèves et où, comme cela a déjà été évoqué, les grandes sections en REP et REP+ plus ne sont pas encore dédoublées.

Cet exemple suffit à montrer que supprimer des postes est une mauvaise idée. C'est encore plus vrai dans le secondaire, où les effectifs continuent de croître pour encore quelques années, me semble-t-il.

S'agissant des revalorisations salariales, je rejoins ce qu'a dit Jacques Grosperrin qui a affirmé en substance que l'effort financier ne suffirait pas à inverser la tendance à la crise du recrutement que l'on connaît aujourd'hui. C'est aussi notre avis.

Je voudrais vous interroger plus précisément sur la part du pacte dans la revalorisation des enseignants. Vous dites - et je suis totalement d'accord avec vous - qu'on a besoin de redonner aux enseignants la place sociale qu'ils méritent dans notre société, mais je ne crois pas que ce soit en leur faisant exercer de nouvelles missions pour qu'ils gagnent plus que nous allons y parvenir.

Par ailleurs, cette solution a déjà été expérimentée dans le secondaire via l'augmentation des heures supplémentaires. Je ne sais pas ce qu'il en est cette année, mais Jacques Grosperrin, dans un précédent rapport budgétaire, avait démontré que 12 millions d'euros d'heures supplémentaires étaient non consommés parce que les enseignants ne pouvaient pas les faire. Les enseignants travaillant en moyenne une quarantaine d'heures dans notre pays, il est difficile qu'ils en fassent plus.

Concernant l'acte II de l'école inclusive, j'espère me tromper en ayant compris qu'il allait falloir compenser la faiblesse de rémunération des AESH par le plein temps. Ce sont en effet souvent les besoins de l'institution scolaire qui l'emportent sur le besoin des enfants. Si l'on veut un acte II de l'école inclusive, celui-ci doit prioritairement porter sur les besoins des enfants.

Vous avez évoqué le fait que l'école et l'éducation nationale ne pouvaient accueillir tous les enfants en situation de handicap et affirmé qu'il manquait de places dans les institutions spécialisées. Je vous rejoins dans cette analyse, mais existe-t-il un dialogue avec le ministère de la santé et les départements qui créent ces places ? Il faut mener, me semble-t-il, une réflexion d'ensemble de ce point de vue.

Quant à l'école du futur, j'insiste sur ce qu'ont dit certains collègues à propos du manque de bases juridiques, ne serait-ce que pour affecter les crédits que vous accorderiez aux écoles qui s'engageraient dans un projet pédagogique innovant. Vous avez dit que ces projets innovants devaient viser l'amélioration de la réussite des élèves. Je ne connais pas un seul établissement scolaire de ce pays qui ne travaille pas à l'amélioration de la réussite des élèves ! Tout le monde ne part pas du même niveau, et cela peut être un critère pour attribuer des moyens supplémentaires, mais j'aimerais connaître les critères pédagogiques et sociaux sur lesquels les rectorats, qui vont visiblement devoir affecter et départager les établissements scolaires qui voudront bénéficier de ces crédits, vont pouvoir se baser.

Enfin, s'agissant de la santé des jeunes, plusieurs rapports montrent l'ampleur des méfaits de la crise sanitaire sur leur santé mentale. Je ne considère pas que ce soit à l'éducation nationale de répondre en totalité à cet enjeu, mais elle ne peut faire autrement que d'y prendre sa part. Or ce budget ne comporte aucune amélioration dans le domaine de la médecine scolaire, pourtant sinistrée !

Mme Samantha Cazebonne. - Monsieur le ministre, comment rendre le métier d'AESH plus attractif et améliorer les conditions de travail de ces personnels ? Je rappelle que le budget qui leur est consacré a été augmenté de 80 millions. On peut le saluer.

Quant au recrutement des AESH pour les élèves scolarisés à l'étranger, cela sort de votre champ de compétence, les familles devant les recruter elles-mêmes dans le cadre du réseau homologué des Français de l'étranger.

Par ailleurs, je souhaite vous alerter au sujet du module de master MEEF consacré à l'enseignement du français à l'étranger, qui prépare nos enseignants à rejoindre cette expérience. Je rentre d'un long déplacement à l'étranger, où j'ai pu rencontrer un certain nombre d'acteurs, dont quelques formateurs de ce module. Ils me disent que d'autres pays recrutent désormais nos futurs enseignants, comme le Canada ou le Luxembourg.

La greffe ne prend pas toujours, car s'ils sont payés, c'est souvent en échange d'un plus grand nombre d'heures de travail. Nous perdons néanmoins un certain nombre de ces enseignants, alors que nous avons, nous aussi, besoin d'enseignants compétents, formés en amont de leur prise de fonction. Je rappelle que notre réseau homologué compte près de 560 établissements à l'étranger.

Par ailleurs, je continue à saluer ce qu'a fait M. Geffray en sa qualité de directeur général des ressources humaines au ministère de l'éducation nationale en prévoyant, en 2019, par décret, le retour en France des professeurs français de l'étranger détachés de l'éducation nationale, après deux missions de trois années, afin qu'ils n'y fassent pas toute leur carrière. Pour avoir été cheffe d'établissement, je pense qu'il est bon qu'on se confronte à la réalité française lorsqu'on est fonctionnaire de l'éducation nationale.

Les Français de l'étranger sont toujours considérés comme des nantis, qui partent au soleil gagner beaucoup plus d'argent qu'ailleurs. Je voudrais tordre le cou à cette idée reçue : en Espagne, à Majorque où je vis, les professeurs sont payés 1 400 euros par mois. C'est une réalité qu'il faut connaître. Il y fait bon, certes, mais ni plus ni moins que dans le Sud de la France !

Lorsque ces enseignants reviennent, ils déplorent qu'on n'utilise pas leurs compétences. Ils parlent souvent deux ou trois langues, et on ne peut les reconnaître dans une discipline non linguistique (DNL). Ils sont obligés de revenir comme tout à chacun, et on n'arrive pas à leur attribuer des postes qui correspondent aux compétences qu'ils ont acquises à l'étranger. J'ai souvent rencontré vos services, mais j'aimerais vraiment avoir un engagement de votre part à ce sujet, monsieur le ministre. Si nous ne le faisons pas, ils vont démissionner de l'éducation nationale et resteront à l'étranger.

Mme Monique de Marco. - Monsieur le ministre, au cours des dernières années, les missions dévolues aux infirmiers et médecins scolaires se sont diversifiées, notamment avec le renforcement de la lutte contre les violences subies par l'enfant, y compris intrafamiliales, mais également avec le dépistage du harcèlement scolaire, par lequel un élève sur dix serait concerné. Pourtant, dans le même temps, en dix ans, le nombre des médecins scolaires à temps complet est passé de 1 261 à 843, et celui du personnel infirmier de 8 133 à 7 579. Comment comptez-vous renforcer le rôle primordial de la médecine scolaire ?

Par ailleurs, des difficultés remontent localement de la part d'établissements qui ne disposent plus de psychologues au sein du réseau d'aides spécialisées aux élèves en difficulté (Rased). Ce problème s'accroît pour la deuxième année consécutive. Pouvez-vous nous dresser plus largement un état des lieux de l'état des Rased et de l'évolution des moyens humains qui leur sont consacrés dans le cadre de ce projet de loi de finances ?

Enfin, j'attends avec impatience votre réponse concernant le rôle des langues régionales, et en particulier l'enseignement par immersion.

M. Bernard Fialaire. - Monsieur le ministre, vous avez la chance d'avoir un ministère qui embrasse suffisamment de matières pour laisser des questions à chaque membre des groupes.

Je pratique quant à moi un sport d'endurance depuis quelques années, qui consiste à harceler des ministres au sujet de l'activité physique quotidienne, aussi bien le ministre de la santé que le ministre des sports, qui pensent que tout va bien. Je suis un peu moins optimiste qu'eux sur la mise en place de l'activité physique quotidienne (APQ) depuis la rentrée scolaire. Disposez-vous déjà d'une évaluation ? Comment comptez-vous la réaliser ?

Vous nous parlez de votre souhait de voir les élèves réussir. Les études ont prouvé que le sport était un facteur important en la matière, qui ne demande pas beaucoup de moyens financiers, mais une véritable volonté politique.

Par ailleurs, nous avons conduit, à la demande de la commission, une mission d'information sur la délinquance des mineurs, avec Céline Boulay-Espéronnier et mes collègues de la commission des lois. Le premier critère en matière de repérage est celui du décrochage scolaire. Où en est-on sur ce plan ? Pour que l'éducation nationale reconnaisse qu'un enfant est en décrochage scolaire, il faut que les parents aient signé une reconnaissance du décrochage. C'est un peu ubuesque, tout comme l'exclusion temporaire d'élèves dont on veut réveiller l'intérêt vis-à-vis de l'enseignement scolaire. Quel est votre avis ?

J'aimerais aussi vous alerter à propos d'un sujet particulier, qui a pris toute son acuité avec la crise énergétique. Vous savez que les communes doivent financer les écoles privées selon le nombre d'élèves. Dans certaines communes, l'école privée attire tant d'élèves que cela fait augmenter le coût par élève. Or qu'on chauffe une classe, même à 19 degrés, pour 25 ou 20 élèves, le coût est le même. On va parfois jusqu'à des fermetures de classes, avec des conditions d'accueil moins favorables. C'est un véritable cercle vicieux, et il convient de se pencher sur ce sujet, car on est dans une spirale qui me paraît inquiétante.

Je voudrais aussi vous alerter sur le recrutement des grandes écoles de commerce. Seules trois classes préparatoires sur dix sont publiques. Je pense qu'il faut éviter un déclassement de l'école publique dans ce domaine.

Dans la même idée, les jeux vidéo, secteur d'excellence en France, proposent aussi des emplois pour lesquels il n'existe aucune formation publique. L'éducation nationale a complètement délaissé ce secteur.

Enfin, compte tenu de la démographie des personnels médicaux, où en sont les réflexions au sujet de la mutualisation des services de protection maternelle et infantile (PMI) avec les services médico-sociaux des départements pour éviter les effets de redondance ?

M. Pap Ndiaye, ministre. - Voilà une belle brassée de questions. Je vais m'efforcer d'y répondre en les regroupant lorsqu'elles se recoupent.

S'agissant des questions du sénateur Brisson, je commencerai par insister sur trois points essentiels pour moi, et tout d'abord sur la hausse du niveau scolaire des élèves. Vous le savez, les classements internationaux ne placent pas la France en position si favorable que cela dans un certain nombre de disciplines comme les mathématiques, mais ce n'est pas la seule concernée.

Nous avons là une question de niveau scolaire général et sommes alertés par des évaluations à l'entrée en seconde ou en troisième pour les langues vivantes, voire des tests de positionnement après le collège.

Le sujet est donc celui du niveau général. Un travail a été mené ces dernières années au niveau de l'école primaire. Il faut lui laisser le temps de se matérialiser et de produire ses effets - plan mathématique, plan français, accent sur les savoirs fondamentaux à l'école primaire.

La réforme du lycée a également été impactée par la crise sanitaire. Son évaluation n'est pas complète. J'ai prolongé de ce point de vue le comité de suivi de la réforme du lycée, présidée par Pierre Mathiot, qui propose des retouches et des améliorations à une réforme qui est perfectible.

Entre les deux, le collège constitue un sujet de préoccupations majeur pour nous. Je parle toujours du niveau scolaire général puisque, à l'entrée au collège, environ 20 % des élèves sont en difficulté scolaire, voire en grande difficulté scolaire, comme le montrent les évaluations en français et en mathématiques qui ont eu lieu au mois de septembre, dont nous allons publier bientôt les résultats. Le collège est aussi le lieu de ce que j'appelle « la grande divergence », c'est-à-dire que des trajectoires scolaires vont diverger jusqu'à arriver à ce qu'un quart des élèves du collège soit en difficulté jusqu'au lycée. Nous allons, à partir de la semaine prochaine, commencer à faire des propositions importantes en commençant par la classe de 6e.

Le deuxième chapitre structurant, c'est celui des inégalités scolaires avec, parmi elles, les inégalités entre filles et garçons et les inégalités sociales, très accentuées en France. L'école française a du mal à effacer ou à compenser les inégalités de naissance. Il existe d'autres types d'inégalités liées à l'école inclusive, dont vous avez beaucoup parlé.

Je m'arrête un instant sur la question des inégalités sociales. Elles apparaissent de façon très crue avec la publication dans la presse d'articles liés à la mise à disposition en open data des indices de positionnement sociaux (IPS) des établissements, collèges et lycées, qui indiquent des écarts très importants entre les établissements et invitent bien entendu à agir, car on sait que, dans les comparaisons internationales, la France n'est pas bien placée quant à la réduction des inégalités de naissance par le système scolaire, qui tend plutôt à les reproduire.

Nous allons aussi, de ce côté, faire une série de propositions, à partir de la semaine prochaine, dans le sens de la mixité scolaire ainsi que d'un meilleur équilibre entre les établissements favorisés et les établissements moins favorisés.

Je reviendrai par le biais des sciences sur le sujet de l'égalité entre filles et garçons, puisque vous m'y avez invité, madame la sénatrice Billon - et je sais à quel point, avec la sénatrice Darcos, vous êtes mobilisées sur cette question.

Le dernier sujet concerne les questions que nous regroupons sous le chapitre du bien-être. Vous pourrez considérer que le bien-être n'a pas beaucoup d'importance, mais toutes les études démontrent que le bonheur d'être à l'école est un élément tout à fait décisif dans la trajectoire scolaire, dans le plaisir de travailler et de faire des efforts. Cela inclut aussi la question du climat scolaire, variable mesurée à l'échelle internationale.

On peut y inclure des questions comme celle de la lutte contre le harcèlement scolaire. La journée nationale de lutte contre le harcèlement scolaire doit avoir lieu dans deux jours, avec la généralisation du programme pHARe pour les écoles primaires et les collèges. Je pourrai vous en entretenir si vous le souhaitez.

On peut aussi y rattacher un ensemble de rubriques importantes, comme l'éducation à la sexualité, sur laquelle je reviendrai bientôt. Nous allons faire des propositions dans les semaines à venir, et je serai heureux de les développer si cela vous agrée.

J'en viens à des questions un peu plus précises, à commencer, monsieur le sénateur Brisson, par la question des RH. Je sais que vous avez travaillé en 2018 sur un rapport sur le métier d'enseignant qui va dans notre sens à plusieurs égards.

La gestion des RH fait l'objet depuis quelques années d'un changement, peut-être très peu visible de l'extérieur, de ce qu'on appelle la RH de proximité, à l'échelle des établissements. Elle donne des résultats tout à fait intéressants du point de vue des carrières, des mutations, éventuellement des changements de voie. Cette RH de proximité contribue à rompre avec la verticalité et la centralité que vous souligniez précédemment.

Il y a, enfin, un ensemble de questions derrière les RH, que j'ai évoquées en parlant des déroulements de carrière qui, en effet, doivent être revus à l'aune des aspirations nouvelles des enseignants. La question des mutations est importante dans le second degré, puisqu'on a une disjonction entre les souhaits de mutation et nos besoins, qui ne sont pas ajustés aux souhaits des enseignants, en particulier dans les académies franciliennes, là où sont nommés beaucoup de néotitulaires.

Essayer de mieux ajuster les demandes de mutation à nos besoins globaux est une question extrêmement complexe. Vos collègues ultramarins sont par exemple très sensibles à cette question des mutations, qui peut se jouer sur plusieurs milliers de kilomètres. Nous essayons d'y travailler. Je vais dans votre sens, si j'ai bien compris, à propos d'une démarche de contractualisation. Il me semble que lorsqu'on est nommé très loin de chez soi, il est raisonnable d'avoir une perspective de mutation vers une autre académie ou de retour chez soi. Pour l'instant, c'est encore extrêmement flou pour des enseignants, qui ont parfois l'impression d'être « coincés » dans une académie ou un département qui ne correspond pas à leur choix de vie et à leur souhait de rentrer dans leur région d'origine.

S'agissant de la voie professionnelle et des lycées professionnels, des échanges sont en cours dans le cadre des groupes de travail mis en place par la ministre déléguée Carole Grandjean, qui s'occupe de ce dossier. Cette réforme en est à ses débuts. Je pourrai revenir sur les grandes lignes du diagnostic à propos des lycées professionnels, mais je veux signaler, à ce stade, la démarche qui est celle de groupes de travail visant à préparer une loi qui sera discutée dans le courant de l'année 2023.

À propos d'échanges avec le Parlement, dont je respecte infiniment les compétences et le travail, nous n'avons pas, en dehors de la voie professionnelle, de loi particulière en prévision. Les capacités réglementaires du ministère de l'éducation nationale et de la jeunesse sont importantes, et les parlementaires ont par ailleurs des missions essentielles en matière de contrôle et d'audition, auxquelles nous nous soumettons bien volontiers.

Concernant les langues régionales, il y a en effet des échanges relatifs à la langue basque, notamment avec les parlementaires, à propos de l'épreuve de sciences du brevet. La question est en discussion. Il en va de même à propos des examens nationaux et des écoles immersives. Selon le ministère de l'éducation nationale, les familles doivent pouvoir effectuer un choix raisonnable d'un point de vue pratique entre des écoles offrant un enseignement en langue basque, par exemple, si elles le souhaitent, et des écoles offrant un enseignement en langue française. La possibilité de choix doit être préservée. Ma philosophie générale est celle d'une ouverture raisonnable aux langues régionales. J'ai eu l'occasion de vous le dire lors de la précédente audition : j'y suis très ouvert.

J'ai pu mesurer en outremer, l'importance des classes bilingues, notamment parce qu'un certain nombre d'élèves sont allophones et ne parlent pas français au début de leur scolarisation. Des classes de français et de créole leur permettent donc d'apprendre le français, auquel nous tenons comme à la prunelle de nos yeux, tout en favorisant leur scolarisation. J'ai assisté à un cours bilingue français-créole réunionnais dans un collège du quartier du Chaudron, le collège Elie Wiesel, à Saint-Denis, qui était extrêmement intéressant. J'ai constaté à quel point les élèves, via la langue créole, progressaient en français. Le développement des langues régionales ne se fait donc pas, à mon sens, au détriment de la langue française, mais il reste un certain nombre de questions relatives au brevet, et ce sont des points sur lesquelles nous devons continuer à échanger.

Madame la sénatrice Monier, vous avez, à propos du pacte, souligné la difficulté qu'il y a à travailler plus, et vous avez fait allusion à une note de la DEPP qui indique que les enseignants travaillent déjà beaucoup. J'en suis persuadé, et je ne serai pas celui qui relativise leur travail, bien au contraire.

Nous avons cependant également indiqué que, dans les nouvelles missions qui seront proposées dans le cadre du pacte, figureront des missions que les enseignants remplissent déjà, y compris via des indemnités pour mission particulière (IMP) diverses et variées. Il faut donc tenir compte d'un éventail qui ne viendra pas mécaniquement, et de façon purement quantitative, s'ajouter à des tâches que les enseignants pratiquent déjà. Nous devons cependant progresser dans un certain nombre de domaines que j'ai indiqués.

Il faut aussi tenir compte - la note ne le précise pas de façon très détaillée - d'un travail enseignant qui peut être variable selon les moments de la vie : lorsqu'un enseignant est très expérimenté, il a bien entendu en réserve des cours et une pratique professionnelle, une organisation et un emploi du temps différents des enseignants débutants.

S'agissant des suppressions de postes, nous allons poursuivre les dédoublements. À la rentrée 2022, les dédoublements en CP et CE1 en REP et REP+ sont réalisés à 100 %, mais ils ne le sont pas en grande section de maternelle. Nous sommes à 75 % et serons à 86 % à la rentrée 2023, pour atteindre les 100 % à la rentrée 2024. Nous avons d'ores et déjà prévu les postes pour achever le dédoublement des classes de grande section de maternelle à la rentrée 2024. Cela se fait de façon échelonnée, mais reste prioritaire pour nous.

Vous avez fait allusion aux AESH privés. J'avoue les avoir découverts dans la presse. Nous enquêtons sur le sujet, mais je peux vous dire d'ores et déjà que leur existence n'a absolument ni mon approbation ni ma faveur. Nous attendons d'abord de voir ce qu'il en est précisément pour pouvoir intervenir de façon pertinente sur le sujet.

En ce qui concerne la formation des AESH, l'enveloppe supplémentaire qui a été obtenue au titre d'une hausse de rémunération prévoit un volant concernant la formation. Nous y sommes très attentifs.

Sans doute y a-t-il eu des malentendus, en dehors de cette enceinte : la hausse de rémunération non conditionnelle n'est pas prévue seulement pour les enseignants néotitulaires, qui entrent dans le métier avec 2 000 euros net par mois, mais concerne les 20 premières années de carrière. Comme je l'indiquais, notre objectif est de remettre en cause le faux plat qui intervient une fois les premières années d'augmentation passées, très décourageant pour les enseignants.

Nous réfléchissons donc et ferons des propositions pour faciliter l'accès à la hors classe et à la classe exceptionnelle pour les fins de carrière. J'ai noté à cet égard ce que vous disiez à propos de la surreprésentation des hommes dans la hors classe et la classe exceptionnelle. Je vous suis volontiers sur ce sujet, madame la sénatrice, même si cela n'existe pas dans tous les corps et à tous les niveaux. C'est un des points de vigilance dans notre réflexion sur l'égalité entre les femmes et les hommes, parce qu'il n'est pas acceptable que des hommes soient privilégiés dans l'accès aux grades élevés, que ce soit en hors classe ou en classe exceptionnelle.

Madame la sénatrice Billon a abordé l'éducation à la sexualité. Comme vous l'avez souligné, il faut respecter la loi du 4 juillet 2001. Nous avons lancé une enquête flash qui indique qu'on est très loin de ce que la loi prescrit. Nous avons donc publié et mis en ligne un ensemble de ressources pédagogiques, que nous avons relues très attentivement il y a plusieurs semaines maintenant. Elles sont disponibles sur le site Éduscol, site de ressources très complet, avec des fiches prévues pour chaque niveau, de manière à faciliter la relance de l'éducation à la sexualité. On est loin du compte, comme l'enquête nous l'a indiqué et comme le rapport de l'inspection générale de l'année dernière, également disponible en ligne, le soulignait.

J'ai lu avec intérêt le rapport que vous avez coécrit sur la pornographie. Je suis bien en accord avec vous de ce point de vue. Il nous paraît que l'éducation à la sexualité est absolument indispensable pour l'égalité entre les filles et les garçons, les femmes et les hommes, pour la réduction des violences sexistes et sexuelles. Elle offre énormément d'avantages : une éducation à la sexualité bien menée est aussi une manière de prévenir des formes de violence, ce que j'ai appelé le « virilisme », dans les cours de récréation. En effet, je préfère que l'école s'occupe d'éducation à la sexualité plutôt que l'industrie pornographique. Nous avons là une mission absolument essentielle, et nous allons veiller très attentivement, avec la ministre Isabelle Rome, à ce que la loi soit respectée.

La question de la médecine scolaire est revenue à plusieurs reprises. Il faut reconnaître que la médecine scolaire est en crise : je ne vous apprends rien. Des postes de médecins scolaires sont vacants. Je pourrais doubler leur nombre, cela ne changerait pas grand-chose, puisqu'un bon tiers des postes ne sont pas pourvus, voire plus dans certains départements ruraux, où les médecins scolaires sont devenus extrêmement rares, en dépit des hausses de rémunération de ceux travaillant dans les établissements et de ceux affectés dans les rectorats. On rencontre un problème d'attractivité du métier. Les étudiants en médecine choisissent peu la médecine scolaire, comme ils choisissent peu, d'ailleurs, la médecine du travail. On a là un problème structurel. Je rencontre demain le ministre de la santé pour évoquer cette question et envisager une autre structuration de la médecine scolaire. On ne va pas recruter du jour au lendemain les médecins scolaires qui nous manquent. Il nous faut être lucides à ce sujet et envisager des alternatives qui permettent de répondre aux impératifs de médecine de prévention et de détection.

La situation des infirmiers et infirmières scolaires est moins critique. Nous améliorons leur situation financière.

Vous posiez la question des modules dédiés à la maternelle dans les INSPÉ. La formation des professeurs des écoles, depuis la petite section de maternelle jusqu'au CM2, est globalement la même. Il paraîtrait intéressant d'introduire, de manière non rigide, des colorations pour des formations à la petite enfance, avec des dimensions affectives et psychologiques un peu différentes de ce que l'on trouve à l'école élémentaire. Nous y réfléchissons, mais cela n'a pas encore abouti. Je serais ravi d'en reparler avec vous.

Concernant l'égalité entre les filles et les garçons, on a noté en terminale, entre 2019 et 2021, une baisse de 28 % en matière de maths et de maths renforcées du côté des filles, chiffre d'ailleurs publié dans la presse. Mais on s'est aussi aperçu parallèlement d'une baisse de 22 % du côté des garçons. L'écart existe, mais il n'est pas aussi spectaculaire que celui qu'on pouvait imaginer. Ce n'est pas pour moi une manière de relativiser les choses, mais je note un problème plus général qui est celui des disciplines scientifiques, en relevant aussi qu'entre les classes de première et de terminale, les élèves abandonnent une des spécialités. Il est donc logique de constater une baisse. C'est vrai pour les mathématiques, mais pas seulement, à cause de la réduction des spécialités. Il n'empêche que nous avons là un sujet, qui est celui de la présence des filles dans des disciplines scientifiques - mathématiques, sciences de l'ingénieur, numérique - alors que, du côté des SVT, par exemple, la situation est tout à fait différente. Dans les sciences du vivant, la biologie, la médecine, qui sont des disciplines ô combien importantes, la présence féminine ne manque pas, contrairement aux sciences de l'ingénieur, qui connaissent de grosses difficultés.

Nous allons tout d'abord, à l'occasion d'assises de mathématiques qui ont lieu en début de semaine prochaine, faire un certain nombre de propositions. Je tiens d'ores et déjà à vous dire que, pour moi, le seul objectif valable et légitime est d'arriver à 50 % de filles dans ces spécialités. Je ne vois pas pourquoi on ne serait pas à égalité entre les filles et les garçons dans les disciplines du numérique, des sciences de l'ingénieur, etc. C'est l'objectif que nous devons atteindre, et nous allons faire des propositions assez volontaristes en la matière à l'occasion des assises de mathématiques.

J'ai eu l'occasion d'en discuter très récemment avec le tout récent récipiendaire de la médaille Fields, Hugo Duminil-Copin, qui a accepté avec beaucoup de générosité d'être en quelque sorte l'ambassadeur des efforts que nous allons mener. Il est très sensible à cette question de l'égalité entre les filles et les garçons. Il est également très sensible à la question plus générale de ce que nous appelons la réconciliation des élèves avec les mathématiques, dont nous allons parler la semaine prochaine. Certains élèves choisissent la spécialité mathématiques, la spécialité renforcée en terminale, mais il y a aussi les élèves, hélas, qui sont dans une situation précaire en mathématiques en classe de seconde, comme les tests de positionnement nous le montrent, et nous ne pouvons nous satisfaire de cette situation.

Nous allons faire des propositions la semaine prochaine sur la place des mathématiques et la confirmer dans le tronc commun des élèves de première, lorsque tous les calculs seront faits en termes de postes. Je fais une priorité absolue, avec ma collègue Sylvie Retailleau, de la place des jeunes filles dans ces disciplines. C'est une question de justice, mais aussi une question essentielle pour notre pays : on ne peut raisonnablement se priver des talents considérables que recèle, par définition, la moitié de la population dans des disciplines essentielles.

Je voudrais dire un mot des questions relatives aux projets pédagogiques. C'est vous, madame la sénatrice Brulin, qui évoquiez les critères de sélection des projets pédagogiques dans le cadre du Fonds d'intervention pédagogique (FIP). Nous venons de publier un guide sur les critères d'évaluation de ces projets. Je veux vous assurer qu'il ne s'agira pas d'une mise en concurrence brutale des projets les uns par rapport aux autres. La démarche sera d'accompagner les projets pédagogiques dont la maturité ne sera pas jugée suffisante, de manière qu'ils puissent être présentés une nouvelle fois dans un laps de temps raisonnable et être validés à l'échelle des rectorats, en fonction de leur faisabilité et de leur ambition, mais aussi de la capacité à évaluer ces projets selon des critères raisonnables.

Madame la sénatrice Cazebonne, s'agissant des enseignants de retour de l'étranger, je serai ravi d'en parler plus avant avec vous. Vous m'avez interrogé en juillet sur cette question. Le ministère des affaires étrangères, qui compte aussi dans cette question, doit être également mobilisé.

Les Rased, madame la sénatrice de Marco, qui comptent environ 10 380 postes, enregistrent une hausse ces dernières années. Je n'ai pas d'état des lieux sur la situation, mais je pense qu'il est temps de faire un point sur leur situation.

Enfin, s'agissant de la question des activités physiques quotidiennes, on est entré dans la phase obligatoire des 30 minutes dans les écoles élémentaires, après la une première phase, l'année dernière, qui était expérimentale et concernait environ 9 000 écoles. Le projet consistait d'abord à fixer aux vacances d'automne la mise en place pratique de ces 30 minutes d'activité. Il est temps maintenant de faire un premier point pour voir où l'on en est, et quels types d'activités physiques sont proposés.

Pour mémoire, s'agissant des deux heures de sport hebdomadaires dans les collèges, on est encore dans une phase expérimentale, puisqu'un peu plus de 200 collèges sont concernés cette année.

J'ai bien noté vos questions à propos des classes préparatoires aux grandes écoles de commerce privées. Je vais regarder cette question. D'une manière générale, le sujet des classes préparatoires aux grandes écoles, dont j'ai eu l'occasion de parler avec ma collègue Sylvie Retailleau, est un point qui m'importe. Il faut aussi se soucier de petits signaux d'alerte que constituent les effectifs de certaines de ces classes. J'en ai parfaitement conscience.

Vous évoquiez la question du décrochage scolaire. Le nombre de décrocheurs scolaires s'est réduit. On était aux alentours de 150 000 il y a quelques années, nous sommes aujourd'hui à environ 90 000. C'est 90 000 de trop, je vous le concède très volontiers, mais nous devons désormais respecter l'obligation de formation des jeunes gens de 16 à 18 ans pour ne laisser personne sur le côté.

Lors d'une réunion à l'hôtel de Matignon avec la Première ministre et des associations engagées sur les questions de pauvreté, nous avons ont été alertés sur les questions de décrochage scolaire, souvent liées à des situations de grande fragilité sociale ou économique. Il faut reconnaître que l'éducation nationale n'a pas encore tous les outils pour repérer et rattraper ces jeunes en difficulté. Je vous rejoins à ce sujet : c'est une question essentielle.

Mme Else Joseph. - Monsieur le ministre, beaucoup de points ont été abordés. Je voulais simplement « enfoncer le clou » sur l'attractivité du métier d'enseignant et relayer également un certain nombre d'inquiétudes, notamment les incertitudes concernant les personnels, leur répartition et le calendrier. Beaucoup de choses ont été dites, en particulier sur la difficulté de recrutement et les perspectives de déroulement de carrière. Je ne veux donc pas insister, ayant obtenu un grand nombre de réponses.

Mme Sabine Drexler. - Monsieur le ministre, j'ai interrogé Mme Nathalie Élimas en 2020, auditionnée par notre commission en tant que secrétaire d'État à l'éducation prioritaire. Celle-ci était alors une question clé du quinquennat. Aujourd'hui, la crise sanitaire et les confinements sont passés par là, et il n'existe plus de secrétariat d'État à l'éducation prioritaire, bien qu'on constate toujours davantage d'inégalités scolaires.

À l'époque, aux côtés de l'Association des maires ruraux de France (AMF) et des parents, nous regrettions le manque d'impact de cette politique en milieu rural. Nous regrettions aussi le fait que les dédoublements de classe dans les REP et REP+ se fassent au détriment des territoires, qui subissaient de nombreuses fermetures de classes, voire d'écoles, parfois dans des sites isolés, contraignant les enfants à parcourir des kilomètres pour être scolarisés.

Mme Élimas nous avait dit avoir réalisé, suite à son tour de France de l'éducation prioritaire, l'ampleur des besoins en termes d'enseignants dans les écoles en milieu rural, et avait annoncé vouloir expérimenter une nouvelle approche qui tienne davantage compte des écarts entre la ruralité et la ville.

L'expérimentation a été lancée en 2021 dans plusieurs académies pour tenter de mieux prendre en considération les besoins de ces territoires. Pourriez-vous faire un point sur ce dispositif ? Sera-t-il généralisé à toutes les académies ? À quelle date ? Quels seront, compte tenu de l'éloignement de ces territoires des structures médico-psycho-pédagogiques, les moyens mis en oeuvre sous votre mandat pour accompagner les situations individuelles difficiles, de plus en plus nombreuses, sans parler des situations ingérables, qui laissent les enseignants démunis dans ces territoires ?

Mme Elsa Schalck. - Monsieur le ministre, il a beaucoup été question du manque d'attractivité du métier de professeur, et j'aimerais prolonger ce constat en vous interrogeant sur le manque criant de professeurs d'allemand dans notre pays. 72 % des postes n'étaient pas pourvus à la dernière rentrée, ce qui engendre inévitablement des conséquences en termes d'apprentissage pour les élèves, mais également en termes de conditions de travail pour les professeurs d'allemand.

Cette pénurie, on le sait, concerne tout le pays, mais elle est particulièrement marquée en Alsace, alors même qu'il existe une demande de plus en plus forte de la part des parents, mais également des élus, pour pouvoir bénéficier d'un cursus bilingue tout au long de la scolarité.

Cette situation a conduit des associations, mais également des collectivités, à prendre des initiatives, à l'instar notamment de la Collectivité européenne d'Alsace, qui finance par exemple à hauteur de plus d'un million d'euros une indemnité spécifique pour les enseignants du premier degré intervenant en allemand en classe bilingue.

Malgré cela, le problème persiste et s'accentue. Le recteur de l'académie de Strasbourg a indiqué que le problème chronique de recrutement devient même un facteur de blocage.

Le déficit de professeurs d'allemand est réellement très préoccupant car, on le sait, l'enseignement des langues étrangères est essentiel pour notre jeunesse. Bien évidemment, parler anglais est nécessaire, mais dans une région transfrontalière comme l'Alsace, maîtriser la langue du pays voisin est une nécessité, qui ouvre en outre de grandes opportunités au niveau professionnel.

Là aussi, les chiffres parlent d'eux-mêmes : alors que 600 000 élèves apprenaient l'allemand à l'école en première langue en 1995 dans notre pays, ce chiffre est passé à 147 000 en 2021. Dans l'article 10 du traité d'Aix-la-Chapelle de 2019, les États se sont engagés à développer l'apprentissage mutuel de la langue de l'autre pays. À l'heure où nous évoquons le budget 2023, pouvez-vous nous dire, monsieur le ministre, quelle sera la mobilisation de votre ministère pour répondre à la véritable urgence que représente le besoin de recrutement de professeurs d'allemand, mais également à la nécessité d'inciter les jeunes à apprendre l'allemand ?

M. Michel Savin. - Monsieur le ministre, Jacques Grosperrin a parlé de crise de recrutement. Vous-même avez parlé de perte d'attractivité, mais vous avez aussi rappelé que la priorité de votre Gouvernement était la revalorisation financière des enseignants, comptant sur leur engagement sans faille, alors qu'ils ne sont pas rétribués selon vous à leur juste valeur.

Cette revalorisation passe aussi par la reconnaissance du travail des enseignants. Or lorsque je vous écoute, on a l'impression qu'il n'y a pas de problème. Pourtant, dans le département dont je suis élu, des titulaires du Capes, qui ont un niveau bac + 5, n'ont toujours pas de poste depuis cinq ans, malgré plusieurs demandes chaque année. Ils effectuent des remplacements de quelques mois. Certains, depuis septembre 2022, n'ont fait qu'un seul remplacement de quelques semaines et sont actuellement sans poste. Dans le même temps, des contractuels avec bac + 3, qui ont peut-être reçu des formations rapides, trouvent des postes de remplacement. Revaloriser et mettre en avant les enseignants, c'est bien sûr revoir l'aspect financier, mais également les placer devant des élèves pour faire leur travail et remplir les missions pour lesquelles ils ont été formés. Il n'y a rien de pire pour les enseignants qui sont titulaires du Capes d'attendre un poste encore aujourd'hui. Qu'en est-il de cette situation, et comment résoudre ce problème ?

En deuxième lieu, j'ai interrogé ces dernières semaines des directrices et directeurs d'école pour savoir comment étaient appliquées les 30 minutes d'activités physiques à l'école : je peux vous dire que vous avez du travail devant vous, car elles ne sont appliquées qu'entre 10 et 20 %. Vous venez de rappeler que c'est une obligation et que cela doit être mis en oeuvre à partir des vacances : il faut faire passer l'information aux directeurs et directrices d'école.

Par ailleurs, qu'en est-il du « savoir nager » ? C'est une obligation pour les enseignants d'amener les enfants à la pratique et à la découverte de la natation, surtout lorsqu'on sait qu'il y a plus de 400 noyades par an d'enfants de moins de six ans. Il serait intéressant que vous dressiez devant nous un bilan réel de la pratique de ces activités, qui sont importantes en termes de sécurité, mais aussi pour lutter contre la sédentarité.

M. Olivier Paccaud. - Monsieur le ministre, vous avez abordé le sujet de la carte des inégalités de l'éducation prioritaire devant les députés et concédé - je vous cite - que la carte a en partie vieilli. Vous avez indiqué que vous deviez procéder aux ajustements nécessaires. Votre prédécesseur nous a dit la même chose pendant cinq ans et rien n'a été fait, si ce n'est l'expérimentation de contrats locaux d'accompagnement et des fameux territoires éducatifs ruraux (TER).

Dans le budget 2023, 9 millions d'euros sur 59 milliards sont fléchés vers cette question. Ce n'est pas une priorité, c'est le moins qu'on puisse dire ! On sait que 70 % des enfants qui devraient relever de l'éducation prioritaire n'y ont pas accès : c'est insupportable, et cela fait six ans que cela dure !

Mon deuxième point concerne l'inclusion des enfants qui présentent des troubles du comportement. Vous avez plus ou moins abordé le sujet, monsieur le ministre, en parlant d'une marée d'élèves qui sont « orientés » par les MDPH parce qu'il n'y a plus assez de places dans les IME.

4 000 nouveaux AESH vont arriver. Les AESH ne sont pas des éducateurs spécialisés, les enseignants ne sont pas des éducateurs spécialisés, et ces enfants, qui présentent des troubles du comportement, ne sont malheureusement pas à leur place dans des classes traditionnelles. Tout à l'heure, Jacques Grosperrin a évoqué la problématique des démissions. J'aimerais bien connaître le nombre de celles liées à l'inclusion de certains enfants, qui peuvent être perturbateurs et sont très malheureux dans ces classes, tout en rendant leurs petits camarades très malheureux également. Ils deviennent, pour les professeurs et les AESH qui doivent les accompagner, un problème insoluble. Ce sujet n'est absolument pas abordé dans la problématique budgétaire. Céline Brulin vous a demandé s'il y avait eu des liens avec le ministère de la santé ou des collectivités territoriales. Le vrai problème, c'est qu'il n'y a pas assez d'IME, pas assez d'instituts thérapeutiques, éducatifs et pédagogiques (ITEP), mais y a-t-il une volonté, de votre côté, de pousser ce sujet ? C'est le seul moyen d'insérer vraiment ces enfants, qui en ont besoin !

M. Stéphane Piednoir. - Monsieur le ministre, vous comprenez, face à la multiplicité des interventions, à quel point les sujets liés à l'éducation nationale nous tiennent à coeur.

Vous avez évoqué la crise des vocations, en disant que le phénomène n'est pas nouveau, que la cause n'est évidemment pas seulement le salaire, qui est reconnu comme relativement faible. Les tensions sur le marché du travail font qu'aujourd'hui on choisit de plus en plus de faire d'autres métiers, pas seulement pour le salaire.

Comme nous, vous avez probablement des témoignages de terrain qui remontent des établissements scolaires et des enseignants. Ce sont en fait les conditions d'exercice qui sont en cause, notamment le manque d'autorité, le respect de la laïcité. Quels moyens met-on en oeuvre autour de ces deux points pour que les enseignants soient véritablement des enseignants et non des officiers de police judiciaire ?

S'agissant de l'enseignement moral et civique (EMC), j'ai présidé l'année dernière une mission d'information sur la culture citoyenne, en particulier chez les jeunes, inspirée par l'abstention constatée lors des élections. Le rapporteur de cette mission, Henri Cabanel a, je crois, obtenu un rendez-vous pour présenter les résultats de nos conclusions, mais je me permets de me focaliser sur un axe particulier, celui de l'éducation morale et civique.

C'est un véritable parcours citoyen qui est inscrit dans le code de l'éducation, qui en réalité n'atteint pas ses objectifs, en raison de programmes pléthoriques, d'horaires très faibles et de ressources insuffisantes.

Je fais ici le lien avec le fonds d'innovation pédagogique que vous avez évoqué, à hauteur de 150 millions d'euros. Lors des auditions que nous avons menées dans le cadre de cette mission, les enseignants nous disaient manquer de ressources pédagogiques. Qu'envisagez-vous de fournir aux enseignants comme documents nécessaires à cet enseignement, sans faire appel, par exemple, pour reprendre un article de presse paru aujourd'hui, à la diffusion en classe de vidéos assez peu pédagogiques d'une association militante sur le bien-être animal ?

S'agissant de la formation scientifique de nos enseignants du premier degré et, plus globalement, du niveau académique en mathématiques des élèves qui sortent de l'enseignement secondaire, je n'ai pas bien compris quelles étaient les mesures pour remédier au niveau de nos enseignants et renforcer la place des mathématiques au lycée. J'ai bien entendu que quelque chose était en train de se mettre en place au collège. Si nous pouvons éventuellement être consultés, nous y répondrons très favorablement.

Enfin, certains besoins ne sont pas pourvus et alors qu'on embauche des contractuels après des formations très rapides, il existe des personnels titulaires remplaçants qui n'ont pas de poste. Il y a aussi des candidats admissibles qui n'ont pas réussi leur concours : peut-être peut-on faire appel à eux de manière prioritaire pour effectuer des remplacements.

Mme Sonia de La Provôté. - Monsieur le ministre, ma première question porte sur l'éducation artistique et culturelle et la part collective du pass Culture. Un certain nombre d'auditions, notamment dans le cadre du budget de la culture, nous ont alertés sur le fonctionnement de cette part collective et les risques de sa mise en oeuvre, notamment le fait qu'elle brise le cercle vertueux qui peut permettre de mettre en oeuvre ce projet pédagogique.

Il y a en l'occurrence un « embouteillage » dans les appels à candidature et à labellisation, et on est dans une sorte de grande boutique où tous les porteurs de projets culturels proposent, hors cadre pédagogique, des activités diverses aux écoles. Il s'agit là d'un dérapage mercantile. Il est important de remettre de l'ordre dans le fonctionnement de cette fameuse part collective.

Ma deuxième question porte sur les classes à horaires aménagés (CHAM), les classes à horaires aménagés danse (CHAD) et les classes sportives. Dans un certain nombre d'établissements du secondaire, les dotations horaires ont été banalisées dans le cadre de la dotation horaire globale. Le risque est, en ajustant la disponibilité horaire des enseignants, de faire disparaître ces enseignements spécialisés, qu'on a trop souvent présentés comme élitistes alors qu'ils sont en réalité une véritable chance et une opportunité pour de nombreux jeunes.

Ma troisième question porte sur les assises du numérique et sur la formation des formateurs au numérique, que nous avions obtenue dans le cadre de la loi pour l'école de la confiance. Ma collègue Catherine Morin-Desailly m'a suggéré cette question : où en est-on du bilan de la formation des formateurs au numérique ? On reste sur un fonctionnement éducatif qui recourt peu au numérique.

Enfin, vous avez évoqué un bilan sur les Rased. Nous avons eu un débat sur cette réforme, mais nous ne disposons d'aucun état des lieux.

M. Pap Ndiaye, ministre. - Mme la sénatrice Drexler a soulevé la question du milieu rural. La situation des écoles rurales, du point de vue des résultats scolaires, est favorable. Le problème qui a été évoqué vient plutôt du fait qu'il existe, du côté du monde rural, de bons résultats scolaires, mais des ambitions plus limitées. C'est la caractéristique des écoles et des collèges du primaire et du secondaire en milieu rural. Toutefois, le développement de l'éducation prioritaire de type REP ou REP+ ne se fait pas au détriment des écoles rurales.

Ces dernières années ont vu se développer des territoires éducatifs ruraux. On en compte 67 en cette rentrée 2022, avec un budget prévu pour 2023. Le développement a été très fort ces dernières années : il nous faut maintenant dresser un bilan de ces TER.

Les TER sont un peu l'équivalent des cités éducatives dans le milieu urbain. Les cités éducatives fonctionnent bien. On en compte un peu plus de 200 dans des territoires divers, outremer compris. Les TER ont pour objectif de créer des constellations école-collège-lycée, allant éventuellement jusqu'au post-bac et avec un rapprochement entre scolaire, périscolaire et extrascolaire. Une attention particulière est également portée à la question des transports scolaires.

En ce qui concerne les fermetures de classes, il est évident que la baisse démographique dans des territoires ruraux, éventuellement isolés, ne peut être appréhendée de la même manière que dans le centre de Paris, qui connaît aussi une baisse démographique importante des effectifs scolaires. Nous en sommes persuadés, et il est hors de question de soumettre à la même règle arithmétique tous les territoires, en particulier dans des zones isolées.

Madame la sénatrice Schalck, j'ai évoqué incidemment la question des professeurs d'allemand en parlant du rendement très faible des concours du Capes et de l'agrégation d'allemand. Nous avons un problème de recrutement de professeurs d'allemand, parallèlement à des effectifs d'élèves qui, ces dernières années, s'effritent, tout en restant aux alentours de 15 % à l'échelle du pays, avec des variations régionales importantes. Il va de soi que dans les territoires frontaliers de l'Est de la France - Alsace, Lorraine, mais aussi Franche-Comté -, la présence de la langue allemande est importante.

Je me suis entretenu à ce sujet avec l'ambassadeur d'Allemagne. La situation de la langue française en Allemagne est globalement similaire. Ce sujet sera au menu du conseil des ministres franco-allemands qui va, je crois, se tenir au mois de janvier prochain. D'ici là, nous aurons élaboré une stratégie pour répondre aux difficultés que vous avez soulignées. Elle sera rendue publique à la fin de l'année 2022, avant le conseil des ministres franco-allemands. Sachez que nous sommes tout à fait conscients des difficultés de recrutement, mais aussi de l'importance de la langue allemande, à tous égards. L'ambassadeur n'a pas manqué d'en souligner l'intérêt et l'importance de cet apprentissage, non simplement pour des raisons culturelles, mais aussi pour des raisons économiques.

Monsieur le sénateur Savin, je vais regarder d'un peu plus près le cas que vous soulignez. Il n'est pas toujours anormal que des titulaires soient affectés en zone de remplacement (TZR), car le remplacement demande une certaine expérience. Le fait que des enseignants expérimentés soient remplaçants n'est pas nécessairement antithétique des politiques menées par les rectorats. Nous vous ferons une réponse précise à ce sujet.

Je vous remercie de l'enquête que vous avez conduite sur le sport. Nous allons regarder d'un peu plus près. Je me permets d'attirer votre attention sur le fait que ces 30 minutes peuvent prendre des formes assez différentes selon les établissements. Il ne s'agit pas forcément de 30 minutes en continu : cela peut être deux fois quinze minutes, inclure la récréation, d'où l'intérêt de faire le point, plus particulièrement dans les écoles élémentaires.

On enregistre une progression en matière de « savoir nager ». Nous en étions à 60 000 attestations il y a quelques années. L'objectif pour 2022 est de 90 000 et, en vue des Jeux Olympiques, de passer à 400 000 attestations pour 2024. C'est une ambition qui dépend aussi de l'équipement en piscines. On n'apprend pas à nager dans la mer, et il n'y a pas nécessairement de relation entre le fait de résider sur le littoral et de savoir nager. Marseille est une ville, par exemple, où le taux d'enfants qui savent nager est bas, alors qu'on pourrait penser le contraire. Les piscines manquent en outre dans certaines municipalités...

M. Michel Savin. - Elles ferment !

M. Pap Ndiaye, ministre. - En effet. C'est à la fois une question de rénovation des 1 000 piscines ouvertes à la fin des années 1960-1970, avec d'ailleurs des architectures tout à fait intéressantes. J'ai eu l'occasion d'en visiter récemment dans la région de Rouen. Il y a aussi la question de l'équipement, dans des villes dont la piscine a été fermée ou qui sont mal équipées.

S'agissant de la carte de l'éducation prioritaire, monsieur le sénateur Paccaud, je vous confirme que notre ambition est bien de la retoucher. Celle-ci remonte à 2015 et est fondée sur des données de 2011. Je sais que Jean-Michel Blanquer s'était engagé à examiner cette question. Un effort a été entrepris. Je crois aussi que la crise sanitaire a affecté certaines dynamiques. C'est un chantier que nous devons reprendre. Il est d'ailleurs délicat, les oppositions et les collectivités pouvant ne pas être toujours coopératives. Il faut pouvoir sortir les établissements qui ne correspondent plus à l'éducation prioritaire et y faire entrer d'autres. Pour l'instant, le modèle reste assez statique.

Les 9 millions d'euros pour l'éducation prioritaire auxquels vous faites allusion - 8,6 millions d'euros en moyenne - concernent les TER et non la France entière. Regardons d'abord où on en est. S'agissant de l'école inclusive c'est une démarche extrêmement positive, dont nous devons, à l'échelle du ministère de l'éducation nationale, être fiers. C'est un acquis important, mais il faut aussi reconnaître que tous les enfants ne peuvent étudier en milieu ordinaire. L'existence des IME ne doit donc pas, de mon point de vue, être remise en cause. Il existe des relations entre IME et milieu ordinaire sous forme expérimentale dans un certain nombre de régions. L'éventail des dispositions doit aussi faire en sorte que des enfants présentant des besoins spécifiques puissent être accueillis en dehors du milieu ordinaire. Je vous suis volontiers sur ce sujet. J'ai évoqué la situation d'embolie générale à laquelle nous faisons face, qui nécessite que nous en parlions. Nous avons des échanges avec mes collègues François Braun, ministre de la Santé et des solidarités, et Geneviève Darrieussecq, ministre déléguée chargée des personnes handicapées, ainsi qu'avec les MDPH, que j'ai reçues au mois de juillet pour évoquer ces questions. Nos points de vue sont assez convergents sur le constat et la nécessité de réfléchir à cette question de façon structurelle, en ne se contentant pas d'ajouter des postes d'AESH qui, de toute façon, ne suffiront pas, même s'il faut en créer. C'est pourquoi j'ai parlé d'acte II de l'école inclusive.

Monsieur le sénateur Piednoir, j'ai bien noté votre remarque sur l'EMC et sur le manque de ressources pédagogiques. Nous sommes sur le point de mettre à disposition de nouvelles ressources pédagogiques. Je me permettrai de vous faire une réponse un peu plus complète par écrit le moment venu.

Le bien-être animal est après tout une question. J'en ai parlé il y a quelques mois avec Louis Schweitzer, qui est très engagé dans ce domaine. L'éducation nationale a signé une convention sur la question, mais je reconnais que le bien-être animal n'épuise pas tous les sujets contenus dans l'EMC. Je vous répondrai de manière un peu plus complète par écrit.

À propos des contractuels, nous avons recouru aux listes complémentaires partout où c'était nécessaire dans le premier degré, à l'échelle académique et, pour le second degré, à l'échelle nationale, mais cela n'a pas suffi. Nous avons donc dû faire appel à d'autres enseignants contractuels.

Quant aux mathématiques, j'ai évoqué la question de l'heure et demie de mathématiques dans le tronc commun de première, ainsi que la tenue des assises de mathématiques la semaine prochaine, qui seront l'occasion de parler de mathématiques en première, en seconde, mais aussi au collège. Nous allons avancer, et j'ai mentionné le fait qu'Hugo Duminil-Copin, titulaire de la médaille Fields, avait accepté de nous représenter en tant qu'ambassadeur des mathématiques l'année prochaine. Il sera très actif dans ce domaine.

Le pass Culture collectif rencontre un très grand succès. Le démarrage des sorties culturelles en cette rentrée est extrêmement spectaculaire, peut-être pour compenser les difficultés que nous avons connues ces dernières années. En l'espace d'un mois, les sorties équivalent à plusieurs mois de l'année dernière. Vous faites plutôt allusion à des aspects qualitatifs, si j'ai bien compris. Je vais en parler avec ma collègue ministre de la culture, mais, d'ores et déjà, je me félicite du succès rencontré par le pass Culture collectif. Cela représente environ 800 euros par classe. Je me permets aussi d'ajouter que l'éducation artistique et culturelle, comme vous le savez, ne se résume pas à cet outil. Nous allons prendre des initiatives en la matière dans les mois à venir, dans le primaire comme dans le secondaire.

S'agissant du bilan de la formation au numérique, les territoires numériques éducatifs sont encore proposés sous une forme expérimentale. De mémoire, je crois que douze départements cette année sont expérimentaux, dont le Doubs, où j'ai eu l'occasion de me rendre il y a quelques mois. Le Doubs est un très bon exemple d'un territoire numérique éducatif, non seulement en ce qui concerne les questions d'accès à Internet, y compris dans des zones un peu isolées, mais aussi les questions d'offre éducative, de lien entre l'école et les élèves, de ressources pédagogiques, et d'éducation aux médias et à l'information, nécessaire pour prévenir les élèves contre l'utilisation de leurs données personnelles, en particulier sur les réseaux sociaux.

J'ai bien noté le point que vous soulevez à propos des CHAM, des CHAD et autres formats de ce genre, ainsi que les questions de réduction d'horaires. Nous allons vous répondre plus précisément.

Mme Sonia de La Provôté. - Des horaires ont été dégagés pour aménager le temps de scolarité afin de pouvoir accéder à ces formations particulières. En fait, les dotations horaires seront banalisées. Le risque est grand, pour des raisons d'arbitrage et d'organisation des enseignements, de voir une part de ces enseignements spécifiques diminuer ou se dégrader.

M. Pap Ndiaye, ministre. - J'en ai pris bonne note. Nous allons vous répondre par écrit si vous me le permettez.

M. Laurent Lafon. - Merci, monsieur le ministre. Nous écouterons avec beaucoup d'intérêt les annonces que vous ferez la semaine prochaine.

M. Pap Ndiaye, ministre. - J'ai été très heureux d'échanger avec vous, et je suis à votre disposition.

Le compte rendu de cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 15.

Mercredi 9 novembre 2022

- Présidence de M. Laurent Lafon, président -

La réunion est ouverte à 9 heures.

Désignation de rapporteurs

M. Laurent Lafon, président. - Mes chers collègues, je vous propose de débuter cette réunion par la désignation de rapporteurs. Je vous propose ainsi de confier :

- à Marie-Pierre Monier le rapport sur la proposition de loi n° 49 (2021-2022) relative à la titularisation des accompagnants d'élèves en situation de handicap et des assistants d'éducation ;

- à Jean-Raymond Hugonet le rapport sur les projets d'avenants aux contrats d'objectifs et de moyens (COM) 2020-2022 de France Télévisions, Radio France, ARTE France, France Médias Monde et de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) ;

- à Else Joseph, Catherine Morin-Desailly et Thomas Dossus une mission d'information sur l'expertise patrimoniale internationale française,

- à Céline Boulay-Espéronnier, Sonia de La Provôté et Jérémy Bacchi le soin d'animer une mission d'information sur la situation de la filière cinématographique en France ;

- à Jacques Grosperrin le rapport d'une mission d'information visant à évaluer les dispositifs Parcoursup' ;

- à Max Brisson, Annick Billon et Marie-Pierre Monier le rapport d'une mission d'information sur l'autonomie des établissements scolaires ;

- à Cédric Vial le rapporteur d'une mission d'information sur les modalités de financement et de mise à disposition des AESH sur le temps de restauration et d'accueil périscolaire ;

- et à Toine Bourrat et Jean-Jacques Lozach le rapport d'une mission d'information visant à évaluer le dispositif « 30 minutes d'activité physique quotidienne à l'école ».

Il en est ainsi décidé.

Projet de loi de finances pour 2023 - Crédits relatifs au cinéma - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Jérémy Bacchi sur le projet de loi de finances pour 2023.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis des crédits relatifs au cinéma. - Dans les quinze premiers jours d'octobre, la presse a recouru à des titres alarmistes qui ne vous ont pas échappé. Quelques exemples : « Crise de la fréquentation des salles : à qui la faute ? », « Panique à bord du cinéma français », « Le cri d'alarme d'un cinéma en crise »... En un mot, on pourrait à juste titre s'exclamer : « Mais qu'est-ce qu'on a fait au Bon Dieu ??? »

Je voudrais, dans le cadre de cette présentation, nuancer par un peu d'optimisme cette atmosphère bien sombre : non, le cinéma n'est pas mort, non, il n'est pas prêt de mourir, oui, les défis sont nombreux, oui, nous sommes armés pour les affronter !

Je vais commencer par le principal opérateur qu'est le CNC.

Le Centre sort de deux années « hors normes » où, un peu à l'image de son petit frère le CNM, il a été en tête de la bataille pour préserver puis redresser le secteur.

Comme je vous l'indiquais l'année dernière, le cinéma a bénéficié d'un soutien de 430 millions d'euros. Ils auront été intégralement dépensés à la fin de l'année.

Le Centre va donc revenir à un étiage plus normal en 2023, avec un budget en léger déficit et des dépenses de soutien autour de 700 millions d'euros.

Si l'on s'inscrit dans le temps long, il est remarquable de constater que tant au niveau des ressources que des dépenses, le CNC affiche une grande stabilité sur trois points :

- le niveau des ressources, qui ont su évoluer et s'adapter à la montée en puissance des plateformes ;

- le niveau des soutiens, qui demeurent également constants sur 10 ans, jouant en quelque sorte le rôle « d'amortisseurs » ;

- enfin, et contrairement aux craintes exprimées, sur la répartition de ces soutiens entre cinéma et audiovisuel.

Le maintien de cette répartition sur longue période est d'autant plus remarquable que l'audiovisuel vit ce qu'il est convenu d'appeler un « âge d'or », avec l'explosion de la demande pour les séries, genre désormais dominant. Le cinéma n'en a pas pâti en termes de soutien. A vrai dire, le principal sujet de la filière aujourd'hui est lié aux capacités de notre appareil créatif à répondre à l'ensemble des demandes, ce qui n'est pas évident tant les besoins sont criants pour les personnels techniques, les scénaristes, les comédiens... Le plan France 2030, doté de 350 millions d'euros pour l'image, cherche précisément à réduire ces goulets d'étranglement.

La combinaison de ce haut niveau de soutien sur longue période et des aides exceptionnelles durant la crise pandémique a permis au cinéma français de rattraper en 2021 toutes les productions de l'année 2020. 340 films, soit 6 par semaine, ont été produits en 2021, en hausse de 30 % par rapport à 2109, pourtant déjà une excellente année, ce qui constitue un record, voire une surchauffe.

Les perspectives pour les prochaines années sont bien entendu complexes, mais le CNC parie sur un tassement de la production, moins en termes de nombre de films produits que de montants investis.

C'est là un signe qui pourrait s'avérer à terme préoccupant s'il marquait autre chose qu'une pause conjoncturelle.

Le cinéma sort donc d'une période de forte crise transformé, en premier lieu par l'évolution de son environnement.

Je vais vous dire un mot de ce contexte, avec le dossier « éternel » de la chronologie des médias. Catherine Morin-Desailly l'avait d'ailleurs traité de manière très approfondie dans un rapport paru en 2017, qui demeure toujours d'actualité.

Pour résumer de manière simple un sujet qui ne l'est pas, le principe de la chronologie est celui de l'ouverture successive de « fenêtres » d'exclusivité : d'abord la salle, puis la vente en vidéo « physique » ou à la demande à l'acte, puis les chaînes de cinéma payantes comme Canal Plus, puis les plateformes, puis les chaînes gratuites.

Elle poursuit deux objectifs :

- d'une part, protéger la salle de cinéma, en lui réservant pendant une certaine durée l'exclusivité de l'oeuvre ;

- d'autre part, assurer le préfinancement des oeuvres cinématographiques en France. Ainsi, la position de chaque diffuseur est garantie, et est d'autant plus favorable qu'il aura contribué au financement du film.

Ce système, unique au monde, a été progressivement introduit en droit français à partir des années 70. Depuis 2009, la chronologie est négociée directement entre les parties prenantes et étendue par arrêté du ministre de la culture.

Pour la dernière négociation, on a assisté à une singularité : les pouvoirs publics ont fait le choix d'y mêler l'entrée en vigueur de la directive européenne « SMA » du 14 novembre 2018, qui permet d'imposer aux plateformes américaines telles que Netflix ou Disney + des obligations de financement d'oeuvres françaises et européennes.

La chronologie qui porte la marque de ces deux dossiers a été signée le 24 janvier 2022, étendue le 4 février et est prévue pour durer trois ans.

Dans l'ensemble, les débats ont été longs, passionnés, chacun veillant à maintenir sa position mais gardant un oeil sur celle des autres. La nouvelle chronologie a considérablement raccourci le délai pour que les oeuvres financées par les plateformes puissent être disponibles après leur exploitation en salles à 15 mois contre 36 auparavant. La place du groupe Canal Plus, premier financeur du cinéma français, a été confortée.

Pourtant, dès le 4 octobre, le CNC a convoqué une réunion pour effectuer un premier bilan, alors qu'il n'était prévu qu'en janvier.

Le principal problème posé est celui de Disney et de ses relations avec les chaînes gratuites.

Pour résumer là encore, Disney n'est pas un opérateur comme les autres. La société américaine réalise un quart des entrées en France, et a toujours placé la salle au coeur de sa stratégie. Ce n'est bien entendu pas le cas de Netflix ou Amazon Prime qui entretiennent des liens plus distendus avec le cinéma.

Disney estime que l'accord lui est défavorable sur un point. En effet, une fois le film Disney, qui par hypothèse n'aura pas reçu de financement en France, exploité en salle, il lui faut attendre 17 mois pour le rendre disponible sur sa plateforme Disney Plus. Au bout de 22 mois, Disney doit cependant retirer le film de Disney Plus afin de préserver l'exploitation des chaînes gratuites comme TF1, sauf en cas d'accord spécifique.

Ce sujet est bloquant pour Disney, qui a pour cette raison renoncé à sortir en salle son film de Noël, mais également pour les chaînes gratuites, dont les présidents se sont exprimés publiquement dans la presse.

Fondamentalement, comme vous le voyez, il s'agit d'un sujet en apparence technique, mais qui en dit long sur la complexité d'adapter notre propre système aux nouvelles conditions de production et d'exploitation. Je compte bien suivre ce sujet de près pour la commission en 2023.

2023, justement, sera-t-elle une année funeste pour le cinéma ?

Comme je vous l'indiquais en introduction, la presse et plusieurs professionnels ont soufflé un vent de pessimisme en octobre, à tel point que je m'attendais en recevant les exploitants de salles à assister à un remake de « Titanic » plus que de « La Gloire de mon père » ! La réalité est cependant bien plus nuancée, et probablement plus optimiste, comme l'ont remarqué Monique de Marco et Sylvie Robert qui ont assisté à cette audition avec moi.

Tout d'abord, quelques faits. Le cinéma a attiré en 2020 et 2021 50 millions de spectateurs de moins que sur la seule année 2019. Selon les chiffres les plus récents, l'année 2022, avec 155 millions de spectateurs, serait 30 % en dessous de 2019. C'est donc un signal que nous ne pouvons ignorer : les spectateurs ne sont pas complètement revenus en salles.

Pourtant, là encore en prenant un peu de distance, on se rend compte que le cinéma a dans le passé enregistré des résultats bien pires, sans pour autant en mourir. Ainsi, la moyenne de fréquentation dans les années 80 était de 135 millions de spectateurs par an, elle est montée à 185 dans les années 2000, et à près de 210 millions dans les années 2010.

Tout en étant incontestablement médiocre, 2022 est cependant bien meilleure que la décennie 80. Les prévisions pour les prochaines années font état d'un retour autour de 195 millions, qui traduirait donc un effritement relatif, mais un haut niveau tout de même. Sans les endosser, je veux ici citer les propos de l'ancien président de Disney, Bob Isner en septembre 2022 lors d'une intervention à la Conférence Code 2022 de Vox Media : « Je ne pense pas que les films reviennent un jour, en termes de fréquentation, au niveau qu'ils avaient avant la pandémie. [...] Cela ne signifie pas que la fréquentation des salles de cinéma va disparaître, mais elle ne reviendra pas au niveau d'avant. »

Ensuite, force est de constater que les fondamentaux du cinéma demeurent solides. Le CNC a réalisé une étude sur les raisons pour lesquelles le public ne retrouvait pas complètement le chemin des salles.

En dehors des sujets liés à la pandémie, deux éléments ont attiré mon attention :

- d'une part, le prix des places, qui est souvent cité. S'il est très élevé, parfois au-delà de 20 euros, dans certaines salles parisiennes, il s'établit en réalité en moyenne à 7 euros, parmi les plus faibles d'Europe. En réalité, il y a une fausse perception du prix, qui vient de l'écart entre ce qui est affiché et ce qui est acquitté après usage des places des comités d'entreprise, des réductions diverses et des cartes d'abonnement. Ainsi, seules 15 % des places sont vendues plus de 10 euros ;

- d'autre part, le manque d'attractivité des films est également mentionné, instruisant le procès facile d'un cinéma français qui n'intéresserait pas le public. Si l'on oublie le côté caricatural de la remarque, elle met cependant l'accent sur un point essentiel : le cinéma français, qui représente en moyenne 35 % des entrées - un cas presque unique au monde -, a besoin du cinéma américain, qui attire le public dans les salles, créant un cercle vertueux. Or, l'année 2022 a été très peu fournie en films américains : alors que la proportion est traditionnellement d'un film américain pour 2,5 films français, le rapport est 1 à 6 en 2022. En un mot, il y a eu moins de films d'outre-Atlantique, où les tournages ont été totalement interrompus en 2020 et 2021 et où de nombreux studios ont choisi de décaler les sorties. Pour autant, le très grand succès de Top Gun « Maverick » (près de 7 millions d'entrée) côtoie les 500 000 entrées « surprise » de « La Nuit du douze » de Dominik Moll ou les 1,5 million de « Novembre » de Cédric Jimenez. Dès lors, et quelle que soit la catégorie, le public revient dans les salles quand l'offre lui convient. On peut donc penser - tel est en tout cas l'avis des exploitants - que les sorties prévues en 2023, apparemment de très haute qualité pour les films français comme américains, pourraient bien permettre au cinéma de retrouver des couleurs.

Je livre d'ailleurs à votre appréciation ce petit fait : le dernier baromètre SVod Mediametrie/Harris interactive montre que les 15-24 ans se détournent déjà massivement des plateformes, au profit des vidéos courtes en ligne popularisées par TikTok, ou bien de YouTube. Cette tendance s'observe dans tous les pays européens comme aux Etats-Unis. Cette catégorie de population est également celle qui comparativement est la plus revenue vers le cinéma après la pandémie. Je crois donc profondément, et ce sera mon mot de conclusion, au caractère unique de l'expérience de la salle, qui a résisté aussi bien à la télévision dans les années 80 qu'aux plateformes. Je crois donc qu'avec notre soutien, le 7ème art pourra traverser cette période et même en sortir renforcé !

Sous le bénéfice de ces observations, je propose de donner un avis favorable à l'adoption de crédits du cinéma pour 2023.

M. Pierre-Antoine Levi. - Je relaie les inquiétudes exprimées par beaucoup sur les chiffres de fréquentation alarmants dans les salles de cinéma. Les nouveaux acteurs que sont les plateformes menacent très directement notre exception culturelle. Je me félicite des bons résultats du CNC mais souligne qu'il ne faut pas orienter tous les investissements en faveur de la transition écologique car tous nos efforts doivent être concentrés pour permettre au cinéma de lutter contre les grosses productions américaines.

Mme Laure Darcos. - Le CNC a été secoué par les propos tenus par certains professionnels, qui appellent à des états généraux du cinéma. Il est ici question du type de soutien qu'il apporte aux films via les avances au cinéma d'auteur. Je m'interroge par ailleurs sur les moyens de contraindre les plateformes à respecter leurs obligations de financement et d'exposition vis-à-vis du cinéma.

M. Pierre Ouzoulias. - La crise que nous traversons est complexe à analyser et je remercie le rapporteur d'avoir pris de la hauteur par rapport aux propos inquiétants tenus dans la presse. Je crois profondément au caractère unique de l'expérience cinématographique mais ne peux que m'interroger sur les conséquences des changements de pratique suite à la crise pandémique. Il nous faut bien avoir conscience que les plateformes véhiculent un modèle et une culture anglo-saxonne à laquelle nous ne devons pas nous soumettre.

Mme Sylvie Robert. - Le cinéma est confronté aux mêmes défis que les autres secteurs culturels. On est encore incapable d'estimer les changements de pratique liés à la crise du covid. Elle a en effet profondément modifié notre rapport à la salle. Ces dernières essaient actuellement de faire évoluer leur offre et leur cadre, avec des travaux conséquents pour inciter notamment les jeunes à revenir. Les exploitants que nous avons reçus ont également mis en avant cette nécessité de reconquérir les publics. Comme Laure Darcos, je m'interroge sur la contestation par certains du CNC. Les films restent de moins en moins longtemps à l'affiche et il y a des incertitudes autour de la répartition des aides en particulier pour les films dits du « milieu ». Il va donc falloir se poser des questions pour ne pas se laisser enfermer dans un logique trop libérale.

Mme Monique de Marco. - J'étais en effet inquiète avant d'entendre les représentants des exploitants et j'ai été agréablement surprise par leur optimisme. On ne peut qu'être inquiet de la relative désaffection des 24-34 ans et j'espère que la campagne de publicité lancée par le ministère de la culture permettra de les faire revenir en salle. Je m'interroge sur les conséquences de la baisse de la redevance pour la production. A l'opposé, je salue l'inscription d'une enveloppe de 800 000 euros pour la transition écologique des salles même si elle pourrait rapidement s'avérer insuffisante.

Mme Catherine Morin-Desailly. - Je voudrais interroger le rapporteur sur deux points. D'une part, la place des régions dans le financement est trop souvent négligée. Elles doivent renouveler leurs conventions avec le CNC en 2023 et sont pour beaucoup plongées dans l'incertitude. D'autre part, je ne sais pas où en est le projet de transfert de la gestion des taxes à Bercy. Un dernier point : il est essentiel de faire émerger une plateforme européenne en mesure de porter nos valeurs.

M. Max Brisson. - Je m'interroge également sur le sort des petites salles ainsi que des salles d'art et d'essai qui me paraissent menacées.

M. Jérémy Bacchi, rapporteur pour avis. - En ce qui concerne la fréquentation dans les salles, je rappelle que la France a évité la catastrophe qu'ont connue les autres pays avec des baisses de 60 à 65 %. La tranche d'âge des plus de 65 ans a cependant du mal à revenir en salles. Les plus petits cinémas s'en sortent paradoxalement plutôt bien même s'il faut naturellement surveiller l'évolution.

En ce qui concerne le CNC, je rappelle que toute la profession ne sollicite pas l'organisation d'états généraux même si cette demande recouvre des questions essentielles. Je note la stabilité sur le long terme de la répartition entre les crédits dédiés à l'audiovisuel et les crédits dédiés au cinéma, ce qui constitue une bonne nouvelle compte tenu de la place prise par les séries. Je rappelle d'ailleurs que les plateformes ont une obligation de financement minimale de 15 % pour le cinéma. Il y a donc un vrai débat à mener sur le CNC mais le sujet le plus préoccupant est à ce stade la pénurie de scénaristes, de techniciens, d'acteurs pour le cinéma car ils sont aspirés par la production de séries. Le CNC a, en la matière, un rôle éminent à jouer. J'approuve également les initiatives en faveur de la transition écologique des salles et je note les efforts faits par ces dernières pour, par exemple, concentrer les séances. En ce qui concerne les taxes affectées, je rassure Catherine Morin-Desailly : la loi de finances pour 2022 est revenue sur leur transfert à la DGFIP, ce qui est une excellente nouvelle. Enfin, en ce qui concerne les régions, je tiens les chiffres à disposition et je suivrai ce dossier avec beaucoup d'attention.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au cinéma au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2023.

Projet de loi de finances pour 2023 - Crédits relatifs au sport - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons à présent le rapport pour avis de notre collègue Jean-Jacques Lozach sur les crédits consacrés au sport dans le projet de loi de finances pour 2023.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis de la mission « Sport ». - Depuis 2017, j'ai eu à maintes reprises l'occasion de regretter à la fois l'affaiblissement du ministère des sports qui a atteint son paroxysme il y a deux ans avec sa disparition en tant que ministère de plein exercice et l'absence de stratégie cohérente permettant d'associer les différents acteurs du monde du sport de manière harmonieuse et efficace.

Le rétablissement d'un ministère des sports de plein exercice chargé de coordonner la préparation des Jeux olympiques et paralympiques en mai dernier n'a, certes, pas permis d'éviter les désordres du mois de juin au Stade de France lors de la finale de la Ligue des Champions mais il ouvre, je l'espère, l'ère des clarifications nécessaires et de la recherche de plus d'efficacité.

On doit, en effet, reconnaître à la nouvelle ministre des sports sa forte implication pour à la fois définir de manière plus claire le rôle des différents acteurs, préserver les moyens budgétaires dans un contexte économique dégradé (le budget augmente de 20 M€ par rapport à 2022) et mieux coordonner les efforts pour réussir les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.

Car il ne faut pas se méprendre sur l'objectif réel de cette réorganisation. C'est bien l'impératif de réussir l'organisation des Jeux qui a précipité cette prise de conscience que la désorganisation de la politique publique du sport n'était plus tenable.

Depuis plusieurs mois, les interrogations n'ont cessé de grandir sur la capacité du COJOP à boucler son budget et la perspective d'un déficit qui devra être pris en charge par le contribuable est devenue aujourd'hui une possibilité - pour ne pas dire une probabilité - qui vient contredire les déclarations très souvent rassurantes du Gouvernement.

Le coût de la sécurité tant publique que privée de l'événement explose, de même que les prix des biens et services nécessaires aux Jeux. Pour compenser l'inflation, les collectivités territoriales sont dès aujourd'hui sommées d'accroître de 50 M€ le montant de leur contribution pour financer les infrastructures olympiques, j'y reviendrai.

Vous nous avez, monsieur le président, proposé de nous rendre sur le chantier du village des athlètes mercredi 30 novembre. Ce sera l'occasion de faire le point avec le directeur général de la Solidéo.

Comme l'a indiqué la ministre des sports lors de son audition, nous aurons bien une clause de rendez-vous en 2024. Si le Gouvernement s'engage pour réussir le mieux possible l'échéance des Jeux olympiques et paralympiques, les plus grandes incertitudes demeurent sur l'après 2024 et le projet de budget porte la marque de ces hésitations.

Je rappelle que le projet de loi de programmation des finances publiques acte la baisse des moyens consacrés au sport pour 2024 et 2025.

Pour en revenir au budget qui nous est soumis aujourd'hui, je vous propose d'examiner brièvement ses forces et ses faiblesses.

Quelles sont tout d'abord les avancées que nous pouvons saluer dans ce budget ?

Outre une augmentation de 2,6 % des crédits, je citerai d'abord la reconduction de plusieurs dispositifs qui ont permis d'amortir le choc qu'a représenté la crise sanitaire pour le secteur du sport.

Le Pass' Sport bénéficiera à nouveau de 100 M€ de crédits. L'élargissement de la liste de ses bénéficiaires aux étudiants boursiers doit être salué comme l'expérimentation engagée pour inclure les salles de sport privées dans l'offre, même si nous aurions pu sans doute nous passer de cette étape pour inclure, dès 2023, toutes les structures sportives dans le dispositif. Le prétexte de l'expérimentation ne doit pas servir d'excuse au rationnement budgétaire.

La poursuite du plan d'équipements sportifs de proximité doté de 200 M€ constitue également une caractéristique importante de ce budget. La première enveloppe de 100 M€ a déjà permis de financer plus de 2 000 équipements en 2022 sur les 5 000 équipements prévus. 50 M€ supplémentaires viendront compléter cet effort en 2023 et autant en 2024.

La hausse des moyens de l'AFLD doit être saluée même si le surcroît de +0,8 M€ est moindre que les 1,8 M€ demandés. Je regrette que la ministre ne nous ait pas répondu sur le plan d'équipement du nouveau laboratoire antidopage de l'université de Saclay. Nous resterons vigilants à ce sujet. Peut-être qu'un déplacement à Saclay dans le cadre de la mission sur les Jeux olympiques et paralympiques pourrait nous permettre d'y voir plus clair ?

Concernant la préparation des Jeux olympiques et paralympiques toujours, comme je le disais en introduction, le financement des infrastructures olympiques nécessitera un effort supplémentaire de 100 M€ de la part de l'État et de 50 M€ de la part des collectivités territoriales. J'ai insisté auprès de la ministre pour que cet effort ne pénalise pas les collectivités les plus fragiles, notamment en Seine-Saint-Denis.

Concernant toujours les Jeux olympiques et paralympiques il y a toutes les raisons de saluer la mise en place d'une « billetterie populaire » dotée de 11 M€ en 2023 et 2024 afin de démocratiser l'accès aux stades et de valoriser les bénévoles.

L'Agence nationale du sport verra quant à elle ses moyens budgétaires augmenter de 19 M€ afin, en particulier, de poursuivre la préparation des athlètes olympiques et paralympiques.

Je salue, à cette occasion, la signature prochaine d'une convention entre l'ANS et l'INSEP qui devrait permettre de clarifier le rôle de ces deux institutions dans un esprit de coopération affirmé. Les rôles respectifs des maisons régionales de la performance (MRP) opérées par l'ANS et du « réseau grand Insep » ont également été clarifiés, ce qui était nécessaire.

L'INSEP bénéficiera pour sa part de 5 ETP supplémentaires, ce qui permettra de rétablir ses moyens humains après la baisse de l'année dernière tandis que sa dotation augmente légèrement à 23,43 M€.

Le maintien des 1 442 effectifs de CTS en 2023 constitue une autre satisfaction, de même que l'abandon de la réforme de leur statut. La redéfinition de leurs missions permet de pérenniser ces personnels indispensables aux fédérations. La mise en place de l'École des cadres dotée de 0,5 M€ permettra de mieux les former et de les accompagner tout au long de leur carrière.

Je terminerai cette liste des aspects positifs en évoquant l'augmentation des moyens, notamment humains, consacrés à la lutte contre les violences sexuelles et sexistes et contre la radicalisation qui constitue une priorité. 20 postes sont créés dans les Drajes.

Après avoir regardé le verre à moitié plein, il est maintenant temps de le regarder à moitié vide. Et les déceptions sont au moins aussi nombreuses que les satisfactions.

Sans revenir sur le fait que la trajectoire financière des moyens consacrés au sport devrait baisser dès 2024, il y a tout lieu de s'inquiéter de l'insuffisante prise en compte de l'inflation dans ce budget. La ministre se félicite d'une hausse de 2,6 % des crédits mais, avec une inflation qui devrait dépasser les 4,3 %, la baisse en termes réels est bien là.

Lorsque j'ai interrogé le cabinet sur une nouvelle dégradation du contexte économique, la seule réponse a été de dire que des crédits pourraient au besoin être prélevés en gestion sur des dispositifs comme le Pass' Sport ce qui réduit, bien évidemment, considérablement la portée de ce budget. Par ailleurs, je ne partage pas l'analyse selon laquelle les dotations faites aux différents acteurs (INSEP, AFLD...) compenseraient la hausse attendue de l'inflation... sauf à les obliger à arrêter leurs investissements ou à contraindre leur développement.

Concernant les équipements sportifs de proximité, l'ANDES a indiqué que le plan mis en oeuvre en 2022 n'avait pas été exempt d'effets d'aubaine s'agissant d'équipements répondant aux nouvelles pratiques qui étaient déjà souvent prévus dans nombre de collectivités. Or, l'accent mis sur ces nouveaux équipements a aussi eu pour effet de délaisser les équipements locaux structurants qui sont très souvent dans un état souvent vétuste.

On peut également regretter, je l'ai déjà dit, le fait que l'extension du Pass' Sport aux salles de sport privées soit aussi laborieux.

Je note également qu'aucun progrès n'est fait concernant le sport sur ordonnance en dépit de la poursuite du développement des maisons sport santé.

Deux autres regrets plus substantiels m'obligent à porter un regard partagé sur ce budget :

- Tout d'abord, les crédits du plan de relance qui bénéficiaient au sport ne sont pas reconduits, à l'exception d'une enveloppe pour l'ANS concernant l'emploi.

On ne peut que s'étonner, par exemple, que les crédits consacrés à la rénovation thermique des équipements sportifs ne soient pas pérennisés vu le contexte de crise que nous connaissons. La ministre nous a indiqué que le « fonds vert » pourrait être mobilisé mais nous ne savons pas à quel niveau et selon quelles modalités et quels délais. Les crédits du plan de relance relatifs à la modernisation numérique des fédérations ne sont pas non plus prolongés sans qu'un véritable bilan ait été présenté au Parlement.

- Le second regret majeur concerne, une fois de plus, le mauvais usage qui est fait du produit des trois taxes portant sur le sport (les droits audiovisuels, les paris sportifs et les jeux de la FDJ). En 2023, le produit de ces 3 taxes devrait atteindre 487 M€ mais seuls 166 M€ devraient bénéficier au sport et plus particulièrement à l'ANS.

Plus étrange encore, le plafond de la « taxe Buffet » a été abaissé de 14,4 M€ pour tenir compte de la baisse du rendement induite par la faillite de Mediapro mais, au lieu de compenser cette baisse du plafond de la « taxe Buffet » par la hausse du plafond de la taxe sur les paris en ligne par exemple, le Gouvernement a préféré recourir à une dotation budgétaire de 14,4 M€ pour compenser à l'euro près.

Ce choix m'apparaît contraire au principe selon lequel « le sport doit financer le sport ». Si nous voulons vraiment clarifier le financement du sport, il me semble indispensable que la ministre des sports ouvre la réflexion sur l'attribution de la totalité du produit de ces taxes au sport.

Je terminerai cette liste des regrets en évoquant le manque d'originalité de ce budget qui ne comprend guère de mesures innovantes pour permettre au sport de jouer un rôle plus important dans l'accompagnement des jeunes en difficulté par exemple. Le sport demeure un outil précieux pour favoriser l'insertion sociale et professionnelle des jeunes comme le montrent les bons résultats obtenus par les coachs d'insertion professionnelle dans les QPV. Un coup de pouce à ces professionnels aurait été le bienvenu, notamment pour prévenir les conséquences de la récession qui pourrait faire des dégâts parmi les publics les plus fragiles de la politique de la ville.

En conclusion, vous aurez compris, mes chers collègues, qu'il y a tout lieu d'être partagé sur ce projet de budget.

Je ne doute pas de l'implication de la ministre qui reconstruit une politique publique du sport qui avait été mise à mal au cours du précédent quinquennat. Les principaux programmes sont financés à court terme. Mais il existe trop d'incertitudes concernant les conséquences de la dégradation de la situation économique avec une crise énergétique qui touche durement les installations sportives.

Par ailleurs, l'horizon est d'ores et déjà frappé par la perspective d'une baisse des crédits qui ne correspond pas à l'ambition de faire de la France une nation sportive.

Compte tenu de l'ensemble de ces observations, je propose à la commission d'émettre un avis de sagesse sur l'adoption des crédits des programmes 219 et 350 de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » du projet de loi de finances pour 2023 en espérant que le débat en séance publique sera l'occasion pour le Gouvernement de revenir sur la baisse du plafond des taxes affectées.

M. Michel Savin. - Nous partageons la vision du rapporteur et notamment les points positifs qu'il a relevés concernant la stabilisation du nombre de CTS, les 5 ETP en plus à l'INSEP et les 20 emplois supplémentaires consacrés à la lutte contre les violences et la radicalisation. Nous saluons également l'élargissement des territoires éligibles aux plans d'équipements sportifs.

Par contre, le budget ne nous semble pas à la hauteur des ambitions d'un pays qui accueillera prochainement la coupe du monde de rugby et les jeux olympiques et paralympiques.

Le sport vit des moments difficiles comme l'ont montré les événements au Stade France. Les tensions importantes qui traversent le CNOSF ne sont pas rassurantes. Il existe des inquiétudes concernant la situation de plusieurs fédérations. Dans ces conditions le rétablissement d'un ministère de plein exercice ne suffit pas à constituer une politique du sport. On parle beaucoup d'héritage mais où sont les équipements structurants et pourquoi les crédits relatifs à la rénovation thermique n'ont pas été prolongés ? Le ministre de l'éducation nationale a reconnu les difficultés rencontrées dans la mise en oeuvre du plan « savoir nager » compte tenu de la vétusté de nombreuses piscines. Il y a besoin d'un plan d'investissement pluri-annuel. Dans ces conditions, la perspective d'une baisse des moyens pour 2024-2025 nous inquiète. La volonté du Président de la République de faire du sport une grande cause nationale en 2024 ne s'appuie pas sur un budget à la hauteur. Dans ces conditions nous nous abstiendrons sur le vote de ces crédits.

M. Claude Kern. - Nous saluons le retour d'un ministère de plein exercice mais nous attendons la poursuite de l'effort financier après 2024 alors que la programmation budgétaire prévoit une baisse des crédits de 20 %. Il faut une situation budgétaire stable pour développer une politique du sport dans la durée.

L'ANS voit ses moyens augmenter de 19 millions d'euros mais le volet territorial reste inachevé. On constate la baisse du rendement de la taxe Buffet et l'absence d'un véritable engagement de l'Etat pour développer les équipements locaux structurants même si une nouvelle enveloppe de 100 millions d'euros est prévue pour les équipements répondant aux nouvelles pratiques. De nombreux clubs continuent à souffrir et le sport pour tous n'apparait pas prioritaire.

Le groupe de l'Union centriste soutiendra l'avis de sagesse proposé par le rapporteur.

Mme Sabine Van Heghe. - Nous saluons l'analyse du rapporteur concernant en particulier les inquiétudes après 2024 compte tenu de la baisse annoncée des crédits. Le produit des trois taxes affectées reste insuffisamment attribué au sport. Alors que ce montant a augmenté depuis 2017, la part relative qui profite au sport a baissé de moitié. Nous pensons que l'élargissement de l'éligibilité au Pass'Sport aurait pu être plus important ou que son montant aurait pu être augmenté. Nous regrettons que l'enveloppe réservée à la transition numérique des fédérations n'existe plus. Nous sommes en phase avec l'avis de sagesse proposé par le rapporteur.

M. Jérémy Bacchi. - Le budget nous semble sous-dimensionné pour répondre à la situation préoccupante des jeunes dans le contexte marqué par la crise sanitaire des deux dernières années. Les moyens consacrés au sport pour tous augmentent très peu et la baisse du plafond de la taxe Buffet constitue un mauvais signal. Le groupe CRCE votera contre l'adoption de ces crédits.

M. Thomas Dossus. - La ministre des sports a pris ses fonctions dans un contexte compliqué marqué par les événements du Stade de France. On peut saluer une forme de reprise en main mais regretter la place trop importante accordée aux jeux olympiques et paralympiques (JOP) dans ce budget. Le budget des JOP ne sera pas tenu et l'organisation de cet événement risque de sacrifier la saison culturelle de 2024. On constate certes une montée en puissance du Pass'Sport mais il n'y a aucune priorité donnée à l'adaptation des infrastructures sportives au dérèglement climatique. Nous soutiendrons donc l'avis de sagesse proposé par le rapporteur.

M. Bernard Fialaire. - Je partage certaines remarques du rapporteur concernant en particulier les modalités d'affectation des trois taxes à l'ANS mais je constate aussi que ce budget comprend des avancées et que les moyens sont bien là. On ne peut refuser le budget de 2023 au motif que les crédits pourraient baisser en 2024. Les problèmes que rencontre le sport ne sont pas principalement d'ordre budgétaire mais relèvent plutôt de l'organisation des fédérations et du CNOSF.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Je salue le rapport même si j'ai l'impression que le constat penche plutôt du côté négatif. On se félicite du retour d'un ministère des sports de plein exercice mais il s'agit d'abord d'un ministère des jeux olympiques. Je souhaiterais que le rapporteur explicite son avis de sagesse.

M. Jacques Grosperrin. - Le budget est en hausse mais il y a des interrogations sur les jeux olympiques et sur les moyens qui seront consacrés au sport après 2024. J'ai trois questions qui portent sur la situation difficile des bénévoles employeurs, sur la continuité des activités sportives entre l'école et l'extra-scolaire et sur les raisons qui conduisent le rapporteur à proposer un avis de sagesse.

M. Max Brisson. - Je suis perplexe car si le budget est bien en hausse, on ne perçoit pas la mobilisation du pays dans le cadre de la préparation des jeux olympiques et paralympiques. La ministre des sports a démontré une connaissance technique irréprochable mais on ne perçoit pas de souffle politique dans ses propos. Son collègue le ministre de l'intérieur est mobilisé puisqu'il annonce l'absence d'évènements culturels pendant les JOP et on aurait aimé que la ministre des sports soit également mobilisée pour faire des jeux un événement fédérateur du pays.

J'exprime enfin une certaine colère suite à l'organisation des championnats du monde de pelote basque qui ont réuni 37 nations et 600 athlètes à Biarritz et dans sa région sans qu'aucun ministre ne soit présent alors même que de nombreuses personnalités étrangères s'étaient déplacées dont des ministres et des responsables d'exécutifs locaux.

M. Jean-Jacques Lozach, rapporteur pour avis. - Concernant l'état du mouvement sportif, les données disponibles montrent que le nombre de licenciés après avoir baissé de 7 % en 2020 et 15 % en 2021 a retrouvé en 2022 le niveau de 2019. Le soutien de l'Etat au secteur du sport s'est élevé à 8,8 milliards d'euros lorsque l'on additionne les dispositifs de droit commun et les dispositifs spécifiques.

Ma déception porte plus sur la trajectoire budgétaire à moyen terme que sur les moyens prévus pour 2023. La France va organiser le plus grand événement public qui existe au monde. C'est un événement qu'on accueille une fois par siècle. Or il n'y a pas eu de véritable augmentation des moyens depuis 2016. On est toujours à 0,2 % du budget consacré au sport. C'est une contradiction évidente de vouloir faire du sport la grande cause de 2024 sans s'en donner les moyens.

Concernant les équipements, nous demandons depuis plusieurs années l'élaboration d'un « Plan Marshall » en faveur des stades, des gymnases et des piscines.

Le conseil d'administration du COJOP du 12 décembre devrait clarifier les enjeux budgétaires mais il faut rappeler qu'il y a toujours eu des dépassements par rapport aux budgets prévisionnels. Le budget des jeux de Pékin en 2008 est passé de 2,6 milliards d'euros à 32 milliards d'euros tandis que celui des jeux de Tokyo est passé de 2,3 milliards d'euros à 13 milliards d'euros. Les jeux de Paris ont déjà connu une augmentation de 6,8 milliards à 8 milliards d'euros.

Concernant les trois taxes affectées, la situation se dégrade d'une année sur l'autre. Alors que le CNDS bénéficiait des deux tiers du produit des trois taxes, seul un tiers finance aujourd'hui l'ANS.

A propos du programme « Terres de jeux », même si l'idée était bonne au départ, je crains des désillusions, car il s'agit aujourd'hui d'opérations de communication qui ne bénéficient pas d'investissements. Les 2 800 dossiers acceptés doivent se partager une enveloppe de 20 millions d'euros.

Concernant les polémiques qui frappent les différentes institutions du secteur sportif, les situations sont variables. Il y a des défaillances individuelles, des enjeux de pouvoir forts ainsi que des modes de fonctionnement désuets.

Pour revenir sur la continuité éducative, c'est la grande faiblesse du continuum entre l'école et le sport. A cet égard, le projet de 2 heures de sport supplémentaires au collège repose sur le volontariat et devrait avoir des difficultés à se mettre en place.

Le sport-santé ne pourra pour sa part pas se développer tant que ne sera pas réglé la question du sport sur ordonnance.

M. Laurent Lafon, président. - Je retiens le message d'alerte envoyé au ministère des sports sur les JOP et sur la trajectoire après 2024. Le rapporteur propose de s'en remettre à la sagesse du Sénat. Je vais mettre au vote la proposition du rapporteur.

La commission émet un avis de sagesse sur l'adoption des crédits consacrés au sport au sein de la mission « Sport, jeunesse et vie associative » du projet de loi de finances pour 2023.

Projet de loi de finances pour 2023 - Crédits relatifs aux livres et industries culturelles - Examen du rapport pour avis

M. Laurent Lafon, président. - Nous examinons ce matin le rapport pour avis de notre collègue Julien Bargeton sur le projet de loi de finances pour 2023.

M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis des crédits relatifs aux livre et industries culturelles. - Comme nous le pressentions l'année dernière, les industries culturelles ont fait montre d'une très belle résistance durant la crise, soutenue il est vrai massivement par les pouvoirs publics. Fort logiquement, avec le retour à une vie plus normale, elles ont progressé en 2022 de près de 10 % en chiffre d'affaires, pour s'établir à 18,2 milliards d'euros. La tendance pour le futur demeure très prometteuse.

Je vais vous présenter successivement les quatre grandes familles de ce programme : le livre et la lecture, la Bibliothèque nationale de France, la musique et les jeux vidéo.

Premier point, le secteur du livre et de la lecture.

La crise pandémique a été, vous vous en rappelez, l'occasion de marquer l'attachement des français au livre et aux libraires qui les font vivre. L'année 2021 s'était logiquement avérée spectaculaire, l'année 2022 devrait enregistrer un léger tassement des ventes de l'ordre de 5 %. Ce qu'il faut retenir cependant, c'est que 2022 devrait être bien meilleur que 2019, avec une progression des ventes de l'ordre de 15 %. Il n'est donc pas interdit de dire que la crise a renforcé le secteur. A ce propos, je note avec une grande satisfaction le succès du Pass Culture dans le domaine du livre. Il a permis aux libraires d'augmenter leur chiffre d'affaire de près de 100 millions d'euros, et pas uniquement pour acquérir des mangas, même si ce genre reste dominant avec 51 % des ventes - en baisse cependant de 24 points en 2021, signe peut-être que les lecteurs élargissent leur horizon... Par ailleurs, 60 % des jeunes achetant un manga avec le Pass repartent avec un autre livre.

En dépit de ce constat très positif, tout n'est pourtant pas rose dans le monde des livres.

D'une part, au niveau conjoncturel, j'ai interrogé la ministre sur l'impact de la hausse des prix du papier, dont notre collège collègue Michel Laugier a relevé l'acuité pour la presse la semaine dernière. La ministre a indiqué s'être saisie de la question avec le CNL, j'espère donc que nous pourrons disposer d'éléments prochainement.

L'inflation ne se limite cependant pas au papier, elle implique aussi des hausses de rémunération. Or je rappelle que les libraires ne dégagent que de très faibles marges, de l'ordre de 2 %, qui peuvent être littéralement « dévorées » par la hausse des salaires.

Comme vous le voyez donc, la conjoncture pourrait rapidement dégrader la situation.

D'autre part, un dossier plus structurel pose problème, celui des relations entre les auteurs et les éditeurs.

Nous le savons, il s'agit d'une relation complexe, souvent passionnelle, en tout cas qui porte en elle de fortes oppositions.

C'est également un dossier à rebondissements.

Pour tracer un portrait à grands traits, des négociations se tiennent de manière continue depuis 2013, pour régler des questions en apparence techniques, comme par exemple la périodicité et la nature des informations que doit apporter l'éditeur à l'auteur. Le Sénat a pris ses responsabilités, avec la proposition de loi de Laure Darcos sur l'économie du livre qui a gravé dans le marbre de la loi les dispositions de l'accord signé entre les organisations représentatives du 29 juin 2017.

Pourtant, les relations se sont dernièrement tendues, autour d'un sujet si j'ose dire crucial, celui de la rémunération, à tel point qu'il est devenu « bloquant » dans les relations entre les partis. Les auteurs souhaitent obtenir des conditions plus favorables, dans la lignée des propositions du rapport de Bruno racine en 2020, les éditeurs ne souhaitent pas ouvrir ce chantier qui leur parait mettre en péril l'exercice même de leur métier. Très récemment, un accord pourtant technique n'a pas pu être signé comme prévu le 24 octobre. C'est là le principal défi du secteur dans les années à venir.

Deuxième point, la Bibliothèque nationale de France.

La BnF représente à elle seule 70 % des crédits du programme. Sa dotation évolue de 3,9 % en 2023, conformément aux engagements pris.

Nous nous réjouissons du très grand succès populaire de sa réouverture le 17 septembre, à l'occasion des Journées européennes du patrimoine. Je peux vous dire que les équipes de l'établissement, très mobilisées autour de ces travaux, apprécient à sa juste mesure les files d'attente pour accéder à la splendide salle de lecture et la satisfaction des nouveaux usagers.

La BnF est pourtant face à une année 2023 difficile. Les trois quart de son budget sont consacrés au fonctionnement. Le site de Tolbiac possède 500 000 m² de surface vitrée, ce qui nécessite chauffage en hiver et climatisation en été, pour l'accueil des usagers, mais également pour assurer la conservation des documents précieux. Pour vous donner un ordre d'idée, la BnF consomme la même quantité d'électricité qu'une ville de 20 000 habitants.

Selon les premières estimations, le surcoût lié à la hausse des prix de l'énergie serait de 3,6 millions d'euros en 2023, ce qui est beaucoup pour un budget très contraint, et frappera inévitablement les initiatives qui pouvaient être envisagées.

Il reste à espérer que cette crise n'aura pas de conséquence sur le chantier du nouveau centre de stockage. Plus de 70 villes avaient déposé leur candidature, c'est finalement Amiens qui a été retenu. Le projet s'élève à l'heure actuelle à 96 millions d'euros, dont 40 à la charge des collectivités. A terme, il accueillera le Conservatoire national de la presse, auquel je suis très attaché.

Comme vous le voyez donc, entre grands projets, gestion du quotidien et flambée des prix, la BnF va devoir faire face à des défis d'ampleur en 2023, comme hélas de nombreux établissements publics.

Troisième point, la musique enregistrée

Après avoir été à deux doigts de disparaitre au tournant des années 2000, la musique a retrouvé une nouvelle vigueur, que l'on peut résumer en un mot, avec ses promesses, mais également ses failles : le streaming.

Ce mode d'écoute a été popularisé par Spotify à l'origine. Clin d'oeil de la « pop culture », une série suédoise sur Netflix intitulée « The Playlist » retrace avec beaucoup d'intelligence le lancement de cette plateforme. 10 millions de Français sont actuellement abonnés à un service de streaming, et la moitié des 35-64 ans disposent d'un accès payant.

Les perspectives au niveau mondial sont florissantes. Une étude de la banque Goldman Sachs rendue publique le 13 juin dernier estime que les revenus au niveau mondial devraient plus que doubler d'ici 2030, passant de 23 à 56 milliards de dollars, avec une proportion croissante financée par la publicité.

Nous ne pouvons bien entendu que nous en réjouir. Pour autant, de redoutables questions ont émergé : quelle rémunération pour les auteurs, les interprètes, les compositeurs ? Quel modèle économique pour ces plateformes qui, pour l'heure, perdent encore de l'argent ? Quelle exposition des esthétiques les plus fragiles ?

Sur ces sujets cruciaux pour toute la filière, un acteur a émergé en France, je veux bien entendu parler du Centre national de la musique (CNM), à l'origine issu d'une initiative parlementaire, avec une loi adoptée à l'unanimité des deux chambres - je salue au passage le rapporteur Jean-Raymond Hugonet qui s'est beaucoup investi sur le sujet et continue de le suivre.

Nous avons organisé une table ronde passionnante sur le CNM le 19 octobre dernier. Comme vous le savez, la question de ses moyens se pose depuis la fin d'une crise pandémique qui lui a offert une formidable légitimité par la qualité de ses interventions. Cependant, comme je vous le disais l'année dernière, cet accueil enthousiaste repose sur un malentendu : le CNM n'a pas vocation à distribuer des subventions ad vitam, il n'a pas été conçu en ce sens. Il est donc nécessaire de nous interroger, et d'interroger la profession, sur ses attentes, sur ses besoins, et d'en inférer la surface budgétaire que le Centre doit atteindre pour ne pas trahir les espoirs placés en lui à l'origine. Pour mener ce travail, comme vous le savez, j'ai été chargé d'une mission par la ministre de la culture, que j'aborde avec beaucoup d'humilité, mais également d'enthousiasme et de conviction.

Je compte bien entendu m'appuyer sur les travaux de notre commission, et je souhaite pouvoir vous présenter mes conclusions dans quelques mois.

Quatrième point, le jeu vidéo.

Là encore, notre commission a été en pointe, avec une table ronde organisée le 12 octobre dernier.

Je peux vous dire que le secteur a été sensible à cette marque de reconnaissance de notre part.

Le jeu vidéo affiche une santé presque insolente, inoxydable. L'année 2020 avait bien entendu été exceptionnelle avec la pandémie, on pouvait donc légitimement s'attendre à une baisse en 2021. Il n'en a rien été, le secteur a encore connu une progression de 1,6 %, pour s'établir à 5,6 milliards d'euros de chiffre d'affaires. Le résultat aurait pu être encore meilleur si les consoles de nouvelles génération Xbox Serie et PS5 avaient été plus largement disponibles, mais la production a été freinée par les pénuries de composants.

Nous n'allons pas rouvrir le débat d'une culture « noble » contre une culture moins légitime, incarnée hier par la bande dessiné et la télévision, aujourd'hui par le jeu vidéo.

Notons cependant qu'il existe une très grand diversité de pratiques et donc de jeu : les petites distractions que nous pouvons pianoter sur nos téléphones dans les transports ou bien les énormes productions à plusieurs centaines de millions de dollars sur consoles et ordinateurs. Au passage, le Palais du Luxembourg a lui-même été intégralement numérisé pour les besoins d'un jeu sorti en 2014, Assassin's Creed Unity, dont vous pouvez trouver des extraits assez saisissants en ligne.

Ce qui est important cependant pour nous, comme l'a bien souligné la table ronde, c'est de conforter la place déjà mondialement reconnue de la France dans ce secteur d'avenir, qui embauche massivement des personnels qualifiés et passionnés, présent dans tous les territoires. Notre position enviable repose sur la combinaison réussie d'un système de formation adapté, avec des écoles réputées, et l'existence d'un crédit d'impôt qui nous permet de lutter à armes égales avec les autres pays, notamment anglo-saxon. Nous avons su, pour les jeux, développer et préserver une excellence française dont je souhaite qu'elle perdure.

Je dois enfin dire un mot de l'ambition portée par « France 2030 ».

Lors de la présentation de ce plan le 12 octobre 2021, le Chef de l'Etat a choisi de consacrer un objectif spécifique aux Industries culturelles et créatives, pour un montant estimé à près d'un milliard d'euros. La démarche est très proche de celle des différents PIA.

Pour l'heure, le projet le plus emblématique est celui de « Fabrique de l'Image » pour 350 millions d'euros, qui a pour objectif de mettre un terme aux « goulets d'étranglement » de la production cinématographique et audiovisuelle.

Je crois que nous pouvons nous féliciter de l'ampleur des moyens comme de la reconnaissance des industries culturelles et créatives au plus haut niveau de l'Etat.

Il est cependant essentiel que les parlementaires que nous sommes gardions un oeil sur le déroulé de programmes et sur leur impact réel.

Mes chers collègues, comme vous l'avez compris, nous pouvons porter un regard optimiste sur les industries culturelles, même si la vigilance demeure de mise, je pense notamment à la question des auteurs, à la BnF et aux perspectives du CNM.

Sous le bénéfice de ces observations, je vous propose de donner un avis favorable à l'adoption des crédits du programme « Livre et industries culturelles » pour 2023.

Mme Céline Brulin. - Je déplore l'insuffisante prise en compte de l'inflation et des conséquences de la crise énergétique. Nous avons su faire face durant la crise pandémique mais la réponse ne me parait cette fois-ci pas au niveau. Ainsi, la BnF est dans une situation complexe, plus encore que l'année précédente, qui se traduit déjà par des mouvements sociaux et les plaintes des usagers. Sur la musique, nous devrions avoir un vrai débat sur le financement du CNM qui pourrait passer par une taxe sur les plateformes ou sur la publicité. Suite à la table ronde sur les jeux vidéos, je regrette le manque d'évaluation du crédit d'impôt. Il me semble qu'il pourrait être soumis à des critères comme le respect des conditions de travail ou bien l'éthique des jeux eux-mêmes. A la lumière de ces éléments, le groupe CRCE ne votera pas ces crédits.

Mme Laure Darcos. - La situation entre les auteurs et les éditeurs est effectivement très tendue et me préoccupe beaucoup. Le point de départ de la situation actuelle est le rapport de Bruno Racine remis en 2021 et la volonté de la précédente ministre de la culture de trouver une solution aux statuts des auteurs en nommant un médiateur. Or le dialogue est aujourd'hui dans une impasse, notamment sur la question des rémunérations. Le contrat qui lie auteurs et éditeurs est de nature privé. Il nous est donc difficile d'intervenir. Je sais que le ministère est de son côté très conscient de la difficulté mais manque pour l'instant d'idées pour en sortir. Je tiens par ailleurs à faire état de ma déception sur l'application de la loi relative à l'économie du livre. L'arrêté pris pour la fixation des frais de port par le gouvernement, sur proposition de l'Arcep, constitue à mes yeux un ralliement au modèle d'Amazon et une forme de trahison.

Enfin, sur la taxe streaming, je crois que nous ne sommes pas encore prêts. Il nous faudra par contre surveiller les débats au Sénat pour la préservation des crédits d'impôt. Pour toutes ces raisons, le groupe LR suivra l'avis du rapporteur.

M. Pierre-Antoine Levi. - Le livre continue de bien se porter, malgré un léger repli des ventes après une année 2021 exceptionnelle en librairie. L'industrie du livre fait plus que résister : le niveau des ventes reste sensiblement supérieur à celui de 2019. L'actualité du secteur est marquée par la mise en oeuvre de la loi du 30 décembre 2021 visant à conforter l'économie du livre et à renforcer l'équité et la confiance entre ses acteurs.

Du côté de l'industrie phonographique, c'est également une bonne nouvelle, avec une cinquième année d'affilée de croissance en 2021 avec une progression de 14,3 %. À l'inverse, le spectacle vivant ne s'est pas totalement remis du choc qu'a représenté la pandémie.

Dans ce contexte, on peut saluer au moins une mesure nouvelle en crédits budgétaires qu'est le lancement du portail national de l'édition accessible.

Le Centre national du livre semble doté des moyens financiers et juridiques d'accomplir ses missions : il est doté d'un nouveau contrat d'objectifs et de performance pour la période 2022-2026 qui a pour objectif de rééquilibrer les missions du centre, centrées jusqu'à présent sur le soutien économique à la filière, en ajoutant l'objectif de développement du soutien à la lecture. Un point a été soulevé par la Cour des comptes : il pourrait être judicieux que le CNL accompagne la mise en place d'un outil permettant une remontée des ventes réelles de livres.

La situation de la Bibliothèque national de France est à surveiller car l'établissement doit faire face à de nouvelles missions à plafonds d'emploi constant, comme la réouverture du site Richelieu, la création du musée et le développement du dépôt légal numérique. L'impasse budgétaire liée à l'inflation va conduire la BnF à repousser des investissements importants. L'établissement a été conduit à diminuer drastiquement ses dépenses d'investissement et ce freinage se poursuivra en 2023.

Nous espérons que les principaux investissements ne seront pas trop ralentis (création du centre de conservation d'Amiens, sécurisation de l'esplanade du site de Tolbiac et renouvellement du système SSI de Tolbiac).

Pour voir un peu plus loin, le Centre national de la musique continue de soulever de vives interrogations. L'accompagnement de la filière musicale par cette institution impose une réflexion approfondie quant à ses missions et aux financements supplémentaires éventuellement nécessaires pour que le CNM puisse les remplir. Le CNM a soutenu efficacement la filière durant la crise sanitaire. Mais les ressources qui lui seront allouées seront-elles suffisantes en 2023 ? Elles sont inférieures à ce qui avait été envisagé au moment de la création de l'établissement. Nous attendons le résultat de la mission de notre collègue Julien Bargeton pour pérenniser son financement.

Pour ce qui concerne le secteur du jeu vidéo, le fonds d'aide aux jeux vidéo (FAJV) joue un rôle clef pour le soutien à l'écriture, la préproduction et la production des entreprises de création. Politiquement et économiquement, il est nécessaire que le Gouvernement réaffirme son soutien à la filière.

Compte tenu de ces éléments, le groupe de l'Union centriste se ralliera à l'avis favorable proposé par le rapporteur.

Mme Sylvie Robert. - J'abonde dans le sens des fortes inquiétudes relayées par mes collègues sur les conséquences pour les établissements culturels de la crise énergétique et de l'inflation, qui pèsent massivement sur les coûts de fonctionnement. Je suis également inquiète sur le CNM dont le président nous a indiqué manquer de 20 M€ pour cette année. Peut-être cela appelle-t-il à une première réponse rapide. Je me félicite cependant des crédits de 1 M€ pour l'acheminement des livres en outre-mer.

Mme Monique de Marco. - Je trouve les propos du rapporteur extrêmement optimistes. Pour ma part, je remarque le léger tassement des ventes de livres ainsi que la baisse de fréquentation des bibliothèques. La situation de la BnF doit également recueillir toute notre attention. En tout état de cause, notre groupe ne votera pas les crédits alloués au Livre et aux industries culturelles.

M. Jean-Raymond Hugonet. - Sur la musique enregistrée, le rapport que j'avais présenté devant vous prévoyait déjà les difficultés d'aujourd'hui. Il y a un déséquilibre au sein du CNM entre spectacle vivant et musique enregistrée. L'écosystème de la musique est fragile et je souhaite que les auteurs-compositeurs qui sont au centre de la création ne soient pas oubliés. En un mot, il faut moins d'administration et plus de stratégie politique.

M. Pierre Ouzoulias. - Je partage pleinement les propos de Laure Darcos sur la loi du 30 décembre 2021. J'estime que l'arrêté du gouvernement sur les montants de frais de port viole ouvertement l'esprit de la loi et je regrette que nous manquions de moyens pour le contester.

M. Julien Bargeton, rapporteur pour avis. - Les préoccupations sur l'inflation ont été entendues au moins partiellement. Elles sont communes à beaucoup de secteurs de l'économie. La BnF, par exemple, voit ses crédits progresser de 8 M€ en 2023, ce qui n'est malgré tout, pas négligeable. Je suis cependant bien conscient que ce sujet doit faire l'objet de toute notre attention. Comme Laure Darcos, je regrette l'absence d'accord entre auteurs et éditeurs. Sur la question des frais de port, nous parlons bien de l'esprit de la loi, le texte étant respecté. Cela dit, nous pourrons peut-être aller plus loin une fois le dispositif établi. Sur le CNM je crois nécessaire de s'intéresser tout d'abord aux besoins de la filière et à la stratégie à mettre en oeuvre avant d'aborder la question des moyens. Sur ce sujet, il est prématuré de se prononcer ou de fermer des portes. Enfin, je regrette également la baisse de fréquentation des bibliothèques ; elle me parait devoir être mise en parallèle avec le cinéma et le théâtre. Il est nécessaire pour l'ensemble des secteurs culturels de redonner le goût de fréquenter ces lieux à nos concitoyens.

La commission émet un avis favorable à l'adoption des crédits consacrés au Livre et aux industries culturelles au sein de la mission « Médias, livre et industries culturelles » du projet de loi de finances pour 2023.

La réunion est close à 11 h 30.