Mercredi 30 novembre 2022

La réunion est ouverte à 9 h 30.

- Présidence de M. Cédric Perrin, vice-président -

Audition de M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement

M. Cédric Perrin, président. -Nous accueillons ce matin M. Emmanuel Chiva dans ses nouvelles fonctions de délégué général pour l'armement. C'est la première fois que nous vous entendons depuis votre prise de fonction le 31 juillet dernier, même si vous étiez venu devant notre commission en février 2019 en tant que directeur de l'Agence de l'innovation de défense (AID) et plus récemment lors de l'audition du ministre des armées.

Le projet de budget que nous examinerons en séance la semaine prochaine présente d'incontestables motifs de satisfaction. Par rapport à 2022, les crédits alloués à nos armées progresseront de 3 milliards d'euros, conformément à la trajectoire fixée dans la loi de programmation militaire (LPM). Une partie importante de cette hausse, de l'ordre d'un milliard d'euros, sera consacrée au programme 146 « Équipement des forces », dont vous partagez la responsabilité avec le chef d'état-major des armées.

Au-delà de ce satisfecit global, des incertitudes, voire des inquiétudes demeurent.

Tout d'abord, le contexte géostratégique et économique a connu de profonds changements au cours de l'année 2022.

L'invasion de l'Ukraine par la Russie en février dernier a eu des répercussions directes sur nos armées. Cette agression a justifié l'envoi de troupes sur le flanc oriental de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord (OTAN) et la présence française dans cette zone a été récemment renforcée, comme l'a annoncé ici même le ministre lors de son audition.

La France a en outre apporté son soutien aux Ukrainiens via la livraison de matériels, qu'il s'agisse de canons Caesar, de véhicules blindés ou encore de missiles. Autant d'équipements et de matériels qui ne sont pas en surnombre dans nos armées. Nous n'avons pas vérifié la véracité du tweet qui nous informait hier du déploiement de trois lance-roquettes unitaires en Ukraine.

Nous souhaiterions pouvoir vous entendre sur la manière dont la direction générale de l'armement (DGA) a anticipé de telles cessions en 2023 afin d'éviter la survenance de trous capacitaires dans nos armées.

À plus long terme, cette guerre nous invite à envisager l'hypothèse d'un engagement majeur et a rappelé l'importance de disposer de capacités défensives. Il nous serait utile que vous nous indiquiez comment vos services ont pris en compte ces évolutions, qu'il s'agisse des programmes en cours ou à venir.

Le conflit ukrainien - et peut-être plus encore la crise sanitaire - ont en outre rappelé l'enjeu de maintenir notre autonomie stratégique. À cet égard, la cession d'Exxelia à un groupe américain ne peut qu'interroger. Certes, comme vous l'avez indiqué à nos collègues députés, Heico, l'éventuel repreneur, est « très favorablement connu du ministère », pour autant, nous avons pu constater par le passé que si les États-Unis sont des alliés, ils poursuivent leurs propres intérêts.

En mai dernier devant notre commission, votre prédécesseur avait ainsi fait part de difficultés d'approvisionnement concernant des composants électroniques produits par des entreprises américaines à qui la consigne avait été donnée de prioriser les besoins des matériels américains. Il avait notamment cité l'exemple de Microship, fournisseur de Thales. Lors de son audition, le ministre a semblé laisser ouverte la possibilité d'avoir recours à la disposition dite « Montebourg » permettant de soumettre un rachat à une autorisation préalable. Pourriez-vous nous indiquer où en est le dossier Exxelia ?

L'année 2022 a également été marquée par le retour de l'inflation. Le ministre des armées, Sébastien Lecornu, a fait preuve d'un certain optimisme pour 2023 en estimant que les effets de la hausse des prix pourraient être contenus en ayant recours au report de charges. Il s'agit cependant d'un expédient et notre commission sera vigilante à ce que l'on n'assiste pas au retour de la fameuse « bosse » budgétaire. Aussi, nous souhaiterions que vous nous présentiez les instruments dont dispose la DGA pour contenir les effets de l'inflation. Des retards de livraisons sont-ils à envisager si celle-ci devait se maintenir à un haut niveau au-delà de 2023 ?

Enfin, s'agissant du système de combat aérien du futur (SCAF), les annonces récentes sur ce projet sont pour le moins confuses. Pourriez-vous nous faire un point précis sur cette coopération tant au niveau industriel que politique ?

M. Emmanuel Chiva, délégué général pour l'armement. - Je suis conscient que l'examen des crédits de la mission « Défense » s'est déroulé la semaine dernière, je suis vraiment désolé de ne pas avoir pu venir plus tôt.

En ce qui concerne le projet de loi de finances pour 2023 (PLF 2023), je ne commenterai que les points les plus saillants. Je note tout d'abord que la LPM 2019-2025 fait l'objet, une nouvelle fois, d'une exécution à l'euro près, avec, dans le programme 146, 17 milliards d'euros d'autorisations d'engagement (AE) consacrés aux programmes à effet majeur, soit une augmentation de 111 % due à des avancées importantes, notamment au profit du Rafale - y compris la version F4 du Rafale -, du patrouilleur du futur, du système de lutte anti-mines du futur (SLAMF), du porte-avions nouvelle génération, de la défense sol-air et du programme Scorpion ; en crédits de paiement (CP) une enveloppe de 8,5 milliards d'euros est prévue.

Le budget pour 2023 du programme 144 est porté à 1,250 milliard d'euros en autorisation d'engagement (AE) AE et 1,16 milliard en crédits de paiement (CP) , au profit de l'innovation. Vous connaissez mon attachement à l'innovation. Le message étant qu'il ne faut pas sacrifier la préparation de l'avenir à l'urgence des crises actuelles. La trajectoire croissante des dépenses en faveur de l'innovation continue d'être respectée et des efforts particuliers seront faits dans des domaines stratégiques, notamment la cyberdéfense, les menaces nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) et la lutte anti-drone.

De manière générale, les crédits alloués à la dissuasion nucléaire continuent d'augmenter, en particulier pour le renouvellement des deux composantes, océanique et aéroportée. La montée en puissance dans le domaine spatial se poursuit également avec un effort financier de 684 millions d'euros. Le domaine cyber connait une accélération continue avec une enveloppe de 270 millions d'euros en AE pour les programmes à effet majeur, et de 27 millions d'euros pour les projets d'innovation cyber.

Je ne citerai pas toutes les nouvelles livraisons prévues pour 2023, mais je vous donnerai des exemples emblématiques : 13 Rafale F3-R, plus de 8 600 fusils d'assaut HK416F, 123 blindés Griffon et 119 blindés Serval, 200 missiles moyenne portée (MMP) et 38 postes de tir, un sous-marin nucléaire d'attaque (SNA), le Duguay-Trouin, qui vient de réaliser sa première divergence, à savoir la première mise en service du coeur de propulsion, des missiles mer-mer Exocet, trois avions MRTT et un satellite de communication Syracuse 4, avec 37 stations tactiques satellitaires.

Je profiterai de ma présence pour vous dire quelques mots sur ma vision pour la DGA et son avenir.

J'ai été nommé délégué général pour l'armement le 29 juillet dernier ; j'ai pris la tête, avec humilité, d'une administration unique en France et dans le monde. La DGA est un outil que d'autres nous envient. C'est bien son existence qui a permis à la France de se démarquer en équipant un modèle d'armée complet, et en disposant d'une des bases industrielles et technologiques de défense les plus solides dans le monde.

Ses grandes missions sont les suivantes : équiper les armées de façon souveraine ; préparer le futur des systèmes de défense ; promouvoir la coopération européenne ; et soutenir les exportations. En 2021, nous avons fêté les 60 ans de la DGA, née de la vision du général de Gaulle, qui a permis de positionner la France au niveau des plus grandes puissances mondiales.

Son action est renforcée par l'AID et par l'Agence du numérique de défense (AND), deux services à compétence nationale qui me sont directement rattachés.

La DGA emploie plus de 10 000 personnes réparties sur l'ensemble du territoire dans 10 centres d'essai et 14 sites. Je rappelle que depuis la semaine dernière, nous avons deux spationautes - retenus parmi 23 000 candidats -, Sophie Adenot, une ancienne de la DGA, et Arnaud Prost qui y travaille encore.

La DGA est donc un outil précieux et unique parmi toutes les administrations de l'État, auxquelles nous mettons régulièrement à disposition notre expertise. Lors de la crise sanitaire, par exemple, le centre d'expertise et d'essai DGA Maitrise NRBC a pu réaliser les tests pour la fabrication des masques français.

Il n'en reste pas moins que la DGA doit se transformer pour répondre aux évolutions qui s'imposent à nous. Je pense évidemment au contexte international et diplomatique, mais aussi au contexte technologique ; le rythme de l'innovation s'accélère et l'accès à certaines technologies réservées auparavant à des domaines souverains ou régaliens commence à se démocratiser. Je pense notamment à ce qui se passe dans l'écosystème du le new space, qui concerne l'orbite basse, auquel seuls les États pouvaient avoir accès, mais où il y a aujourd'hui un foisonnement d'initiatives privées.

Il faut tenir compte du contexte économique d'inflation et de renforcement économique de certains de nos compétiteurs, ainsi que du contexte environnemental, alors que l'actualité nous rappelle l'importance de la sobriété énergétique. Les dérèglements climatiques, de manière générale, et la transition énergétique posent des défis structurants sur le plan opérationnel auxquels nous devons pouvoir répondre.

Tous ces facteurs nous imposent de gagner en adaptabilité pour être en mesure de répondre aux besoins de nos forces de manière performante. Le mandat qui m'a été confié par le ministre des armées, c'est celui de permettre cette transformation en y intégrant les enjeux liés à la réponse aux défis actuels de l'économie de guerre, de la préparation de la LPM, le soutien à nos alliés, tels que l'Ukraine, et, dans le même temps, la conduite des activités de la DGA.

Trois axes importants d'action doivent nous permettre de faire évoluer la DGA et de contribuer à sa meilleure performance pour nos forces, mais aussi pour toute l'action du ministère des armées : « faire autrement », répondre aux défis de l'économie dite de guerre et préparer l'avenir.

La DGA doit désormais tendre vers plus de souplesse et plus d'adaptabilité. Elle doit devenir experte et agile au service de la politique de défense et s'adapter aux enjeux actuels et futurs, ce qui signifie de pouvoir développer cette fonction « d'éclairage de l'avenir » qui lui incombe. La DGA n'est pas par une centrale d'achat ni un super chef de projet. Ce sont 4 500 experts techniques dans des domaines extrêmement spécialisés qui oeuvrent au profit de l'ensemble du système de défense. Nous nous inscrivons donc pleinement dans la vision et les objectifs qui ont été présentés dans la revue nationale stratégique.

Pour ce faire, nous devons pouvoir assurer une réponse adaptée aux besoins des armées dans les délais requis et avec des coûts maîtrisés. Il nous faut donc gagner en proximité, notamment avec les forces et donc explorer des mesures extrêmement concrètes d'immersion du personnel de la DGA dans les forces et d'immersion des forces au sein des différents centres de la DGA.

Nous devons également renforcer nos démarches agiles et incrémentales, qui nous permettent de développer des systèmes adaptés aux justes besoins. Nous devons aussi simplifier notre expression du besoin. Les appels à projets Colibri et Larinae, que nous avons lancés récemment pour les munitions rôdeuses et téléopérées, nous ont permis d'expérimenter un nouveau mode d'expression du besoin : nous ne spécifions plus ce que nous souhaitons obtenir, mais les effets à produire en laissant ainsi une certaine créativité à nos partenaires industriels. Et puis, nous devons aussi faire de l'analyse de valeur dans le triptyque coût/délai/performance. Tout cela devrait nous permettre de gagner en agilité et de répondre aux justes besoins des forces.

Nous devons fournir une capacité d'anticipation stratégique, technologique et industrielle qui concourt également à la défense et à la sécurité nationale. C'est une capacité à se projeter dans le temps. Le ministère des armées est le ministère du temps long. Nous disposons déjà d'un certain nombre d'outils. D'abord, le service des affaires industrielles et de l'intelligence économique (S2IE), très performant pour la cartographie et le suivi des entreprises stratégiques, ce qui nous permet de connaître et de suivre l'état de notre bassin industriel et technologique de défense ainsi que l'état de la concurrence. Mais nous avons le potentiel pour aller plus loin, notamment en étudiant des leviers aujourd'hui non exploités, tels que le sourcing à haut potentiel à l'étranger ; pourquoi nous priver de ce que font nos concurrents et nos compétiteurs ?

Être en mesure d'attirer les talents est un véritable défi, notamment auprès des jeunes générations. La DGA est un acteur encore trop méconnu de l'ensemble du public et en particulier de la jeunesse. Si nous voulons attirer la centaine d'ingénieurs dont nous avons besoin par an et monter en régime dans des domaines assez tendus, tels que la cybersécurité et la cyberdéfense, nous devons être attractifs afin d'attirer une jeunesse qui a le choix de venir chez nous ou d'aller chez un grand industriel français ou étranger - avec des conditions salariales qui s'y rapportent. Il convient donc d'ouvrir la DGA pour la rendre plus intelligible si l'on veut garantir sa capacité à capter, à conserver et à fidéliser les meilleurs experts.

Nous devons enfin intégrer plus de souplesse et d'ouverture dans les captations des talents, la gestion des ressources humaines. Il est intéressant d'encourager les parcours diversifiés qui enrichissent la culture de la DGA, en rayonnant dans d'autres administrations et dans le secteur privé. Nous devons aussi encourager les allers-retours, avec une déontologie irréprochable.

J'évoquerai deux enjeux qui peuvent paraître paradoxaux, mais qui sont en fait complémentaires : la question de la militarité et celle de la valorisation des personnels civils de la DGA. Il y a deux corps militaires à la DGA, les ingénieurs de l'armement et les ingénieurs des études et techniques de l'armement. Leur caractéristique militaire fait partie de leur identité et je ne pense pas qu'il faille la remettre en cause, elle fait partie aussi de l'attractivité de la DGA. Depuis mon arrivée, j'accorde d'ailleurs une attention toute particulière aux traditions militaires de la direction.

Les civils, les ingénieurs et cadres techniques et techniciens (ICT-TCT), qui représentent 40 % des effectifs de la DGA, ont un statut méconnu qui doit faire l'objet d'une meilleure considération - nous avons ouvert un chantier prioritaire -, puisque les marges d'amélioration sont importantes ; elles portent notamment sur les niveaux de rémunération et les perspectives de carrières.

La préparation de l'avenir est un enjeu stratégique. L'objectif est d'accompagner ce changement de modèle, sans sacrifier la modernisation afin de ne pas avoir à affronter la guerre de demain avec les matériels d'hier.

La trajectoire de la LPM nous a déjà permis de passer les crédits d'études amont de 730 millions d'euros à 1 milliard d'euros en 2022. Nous devons continuer à imaginer l'avenir et anticiper l'évolution des menaces pour ne pas subir et surtout éviter le déclassement. Ce sont des défis de taille qu'il nous faut désormais relever et je mettrai tout en oeuvre pour y parvenir.

Tout comme je le faisais en tant que directeur de l'AID, j'accorde une grande importance aux échanges avec le Parlement, je me tiens à donc à la disposition de la représentation nationale.

M. Pascal Allizard, rapporteur pour avis sur les crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ». -En octobre 2021, votre prédécesseur M. Joël Barre nous avait indiqué avoir constaté une « frilosité de certains établissements bancaires » à soutenir l'industrie de défense, rejoignant en cela le constat d'un nombre important d'acteurs du secteur. Pouvez-vous nous indiquer où en est la mise en place d'un réseau de référents défense au sein des établissements bancaires et nous préciser quel en sera le rôle et le positionnement ?

Par ailleurs, au paragraphe 126, la revue nationale stratégique indique que « la base industrielle et technologique de défense (BITD) doit pouvoir bénéficier d'outils de financement favorables ». Une traduction législative de ce principe est-elle prévue dans la future LPM ?

Ma seconde question porte sur le plan d'investissement France 2030. Pourriez-vous nous indiquer comment le ministère des armées sera associé à ce plan, s'il bénéficiera de crédits à ce titre et, dans l'affirmative, pour quels projets ?

M. Yannick Vaugrenard. - rapporteur pour avis sur les crédits du programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » de la mission « Défense ». - Le domaine spatial reste pour la France un secteur d'excellence reconnu par nos alliés. C'est pourquoi nous avions salué la création d'un commandement de l'espace en 2019 et le fait que la France hébergera à Toulouse le centre spatial d'excellence de l'OTAN.

Compte tenu des menaces proférées par la Russie contre les satellites occidentaux de communication et de la capacité de destruction d'un satellite qu'elle a démontré fin 2021, il semble paradoxal que l'ambition de la France n'ait pas conduit la revue nationale stratégique à définir le champ spatial comme objectif stratégique à part entière.

L'espace n'y est mentionné que sous l'angle de l'accès de la France à ce milieu et à la préservation de ses intérêts. Lors de nos auditions préparatoires à l'examen du projet de loi de finances pour 2023, nous avons entendu que la France développait des moyens de surveillance et d'observation des objets spatiaux. Le chef de l'état-major de la marine a évoqué des capacités d'illumination laser des satellites adverses pour en aveugler les moyens d'observation.

Que pouvez-vous nous dire des axes de travail de la DGA ? En complément des moyens de surveillance de l'espace que vous nous avez annoncés, sommes-nous en mesure de développer des outils de dissuasion défensive, mais aussi offensive, dans ce milieu ?

Mme Hélène Conway-Mouret, rapporteure budgétaire pour avis sur les crédits du programme 146 « Équipement des forces » de la mission « Défense ». - Je salue les achats que vous nous avez présentés, mais on note des surcoûts : 600 millions d'euros pour le renforcement du flanc oriental, 400 millions d'euros de surcoûts opération extérieure (Opex) et des missions intérieures (Missint), 200 millions d'euros pour le fonds spécial de soutien à l'Ukraine... Des crédits sont ouverts en loi de finances rectificatives, mais ils ne couvrent pas la totalité de ces surcoûts. Pouvez-vous préciser quel montant reste à la charge du ministère des armées ? Quel sera l'impact de ces mouvements sur le programme 146 qui subit des annulations de crédits mis en réserve ?

Vous avez parlé de l'économie de guerre. Si les industriels sont sollicités, pour accélérer leurs cycles de production, la DGA a également un rôle important à jouer dans la modernisation et l'accélération des processus d'acquisition. Disposez-vous de moyens suffisants, en termes techniques, mais aussi bien sûr en termes de ressources humaines pour accompagner l'accélération des commandes ? Enfin, comment la DGA approfondit-elle ses relations avec ses partenaires européens afin de contribuer à une culture de défense commune alors que certains de nos partenaires annoncent d'importants investissements au profit de leur défense, je pense là à l'Allemagne ?

M. Olivier Cigolotti, rapporteur budgétaire pour avis sur les crédits du programme 178 « Préparation et de l'emploi des forces » de la mission « Défense ». - Les stocks de munitions se voient consacrer 500 millions d'euros supplémentaires dans le PLF 2023, c'est nécessaire, mais quelle forme prend cette commande publique ? Avez-vous envisagé de la rendre plus agile ? Avez-vous envisagé d'adapter les modalités de la commande publique ? Les industriels sont-ils en état d'y répondre et à quelle échéance ? Comment raccourcir, si cela s'avère nécessaire, notamment dans l'hypothèse d'engagement majeur, les délais de commande et de production ?

Les crédits d'entretien programmé du matériel (EPM) permettent aussi le démantèlement des équipements militaires. La déflation des flottes de C135, d'hélicoptères Puma et de Super Puma, notamment, le retrait du service actif d'un navire pour chaque nouveau navire mis en service dans les années qui viennent, doivent donner lieu à autant de démantèlement. La DGA le prend-elle bien en compte dès le lancement des programmes militaires ? Les montants de crédits nécessaires au financement de ce démantèlement sont-ils bien en augmentation dans la LPM que nous aurons à examiner prochainement ?

Mme Michelle Gréaume, rapporteure budgétaire pour avis sur les crédits du programme 178 « Préparation et de l'emploi des forces » de la mission « Défense ». - L'amélioration de la disponibilité des matériels des armées, et en particulier des aéronefs, est un enjeu majeur de la loi de programmation militaire 2019-2025 que nous suivons avec une attention particulière. La DGA a choisi, le 5 février 2021, la société Sopra Steria, parmi plusieurs industriels en compétition, pour mettre en place un système d'information, appelé Brasidas, qui uniformise les pratiques et fédère les acteurs du maintien en condition opérationnelle aéronautique (MCO-A). Pourriez-vous nous indiquer où en est ce marché de 14 millions d'euros ? Quels crédits sont prévus en PLF 2023 ?

La mise en place de Brasidas est l'un des outils de la transformation numérique du MCO-A et constitue un axe majeur du plan de transformation porté par la direction de la maintenance aéronautique (DMAé) en vue d'améliorer la disponibilité des aéronefs des trois armées. Ce marché se met-il bien en place de façon satisfaisante ? À quel horizon le déploiement de Brasidas est-il prévu ?

Enfin, dans le cadre des réflexions sur un combat de haute intensité, et parce que les guerres d'hier ne seront pas forcément celles de demain, avez-vous une réflexion sur la protection des Français en cas de guerre biologique ou toxique ? Quelles mesures sont prises dans ce cadre ?

M. Cédric Perrin, président. - Je suis également co-rapporteur sur le programme 146 et souhaite vous poser quelques questions. Un travail est mené avec les industriels pour mettre en place ce qu'il est désormais convenu d'appeler une économie de guerre. Sans commandes, toutefois, cette expression fait figure de slogan et reflète une ambition qui reste à concrétiser.

Des industriels nous disent que l'économie de guerre ne serait pour le moment assortie d'aucune commande. Pouvez-vous nous indiquer, s'agissant du programme 146, si des munitions complexes ou d'autres équipements ont été commandés concrètement depuis le 24 février dernier ? Quel est le calendrier ? Que recouvrent les lettres d'intention attendues par les industriels ? L'effort est-il reporté à la prochaine LPM, au risque de perdre un an depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, alors que plusieurs pays ont déjà annoncé des efforts importants ?

La presse s'est fait l'écho d'éventuels arbitrages défavorables sur plusieurs programmes majeurs, qui entraîneraient un ralentissement du rythme de modernisation des armées. Alors qu'une accélération serait souhaitable, on n'entend parler que de recherches d'économies... Pouvez-vous nous indiquer très précisément quels sont les programmes qui sont dans la balance, en vue d'éventuels arbitrages pour réduire l'enveloppe globale de la LPM, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit ? Il est normal, dans ce genre d'exercice, de procéder à des arbitrages, mais encore faut-il que les données en soient transparentes pour le Parlement. Je prendrai l'exemple de la modernisation du Tigre 3, pour laquelle nous avons dû, des collègues et moi, nous rendre en Espagne pour aider à convaincre nos amis espagnols de nous accompagner dans ce programme. Il serait donc malvenu si, demain, nous étions obligés de leur expliquer que nous l'abandonnions.

M. Emmanuel Chiva. - Monsieur Allizard, en ce qui concerne la frilosité bancaire, elle existe toujours. Nous avons eu récemment des interactions avec le comité Richelieu, dont des membres m'ont dit que certaines banques, avaient totalement refusé de financer des activités sous prétexte qu'elles étaient connexes à des activités de défense.

Je ne sais pas s'il y a un retour du patriotisme économique de nos acteurs financiers. Je constate en revanche que certains de dossiers se débloquent, parce qu'il y a un marché Nous verrons si, quand la guerre en Ukraine sera terminée, nous reviendrons aux habitudes que vous citez et que je déplore.

Nous essayons de mettre en place un certain nombre de dispositions pour pouvoir agir. D'abord au niveau européen. Sans doute devrions-nous amplifier notre action à Bruxelles. Ensuite, nous essayons aussi de nous doter d'un certain nombre d'outils ; deux fonds ont été lancés par le ministère des armées : le fonds Definvest, pour soutenir le développement des petites et moyennes entreprises (PME) stratégiques pour la défense, doté de 100 millions d'euros ; et le nouveau fonds Innovation défense (FID), aujourd'hui doté de 200 millions d'euros, nous espérons le porter à 400 millions d'euros. Ces fonds nous permettent de coinvestir avec des industriels ou des fonds d'investissement dans différents secteurs. Nous pouvons prendre des participations à hauteur de 20 millions dans le capital des entreprises.

M. Pascal Allizard. - Nous avons auditionné avec mon collègue Yannick Vaugrenard la représentante de la fédération des banques françaises et des représentants de la direction générale du Trésor, je peux vous dire qu'ils sont dans le déni le plus total ! Alors je ne veux pas faire du name and shame, mais les trois noms qui reviennent sont le Crédit mutuel et ses filiales, la Société générale et la BNP.

M. Emmanuel Chiva. - C'est un comble, car vous parlez du réseau des référents bancaires et il se trouve que certains référents sont déjà en place, notamment à la Société générale. Ce sera donc une bonne occasion de rencontrer ses dirigeants.

Nous avons organisé récemment un événement avec Euronext qui a permis d'envoyer un certain nombre de messages, notamment relatifs à l'accès au marché pour les entreprises de défense. Il reste cependant un travail à faire puisqu'un certain nombre de banques sont prudentes ; à nous de les convaincre. J'ajouterai que nous essayons de combler les « trous dans la raquette ». J'ai parlé des fonds d'investissement qui sont plutôt destinés à des sociétés matures. D'ailleurs, nous encourageons plutôt la dualité d'activité, car nous ne souhaitons pas « arsenaliser » les sociétés. Nous souhaitons que les sociétés puissent aussi se développer sur des marchés civils.

Pour autant, nous n'avons pas beaucoup d'instruments pour financer les sociétés au tout début de leur existence. Je pense notamment aux startups, le Président de la République le ministre des Armées étant sensibles au fait que les startups et les PME puissent accéder aux marchés de la défense. D'ailleurs, rien ne s'oppose, dans le code de la commande publique, à ce que des études amont soient confiées à des acteurs de plus petite taille; et nous le faisons.

Il se trouve qu'une initiative privée, nommée Défense Angels, a été créée ; nous la soutenons. Elle permet à des business angels de prendre des participations dans des structures intéressantes pour le ministère des armées.

Concernant le plan d'investissement France 2030, vous savez que nous travaillons beaucoup avec le secrétaire général pour l'investissement (SGPI) et ses équipes et que nous avons des ingénieurs de l'armement qui sont intégrés à France 2030.

Au départ, il était question que le ministère des armées ne regarde que certaines stratégies, je pense par exemple aux grands fonds marins et au spatial, sur lesquels nous pourrions avoir un certain nombre de co-financements. Après en avoir discuté avec le secrétariat général pour l'investissement, le ministère des armées sera associé à l'ensemble des stratégies de France 2030 pour tirer parti de ce qui sera développé dans ce cadre-là. Bien évidemment, dans la perspective de la prochaine LPM, nous faisons l'hypothèse qu'un certain nombre de technologies pourront être utilisées pour nous aider à monter en capacité.

S'agissant de la BITD et du volet normatif, les travaux sont en cours. Nous reviendrons vers vous s'il y a lieu de vous apporter des précisions.

En ce qui concerne le spatial, un sujet majeur, j'ai évoqué les risques existant qui apparaîssent aujourd'hui, compte tenu de ce qui se passe dans l'espace et dans les différentes orbites. Il n'y a pas que l'orbite basse, il se passe aussi un certain nombre de choses en orbite géostationnaire, Et le faire à 36 000 kilomètres n'est pas la même chose que de le faire à 600 kilomètres, car les satellites géostationnaires sont technologiquement plus avancés et plus résistants aux radiations.

Il ne faut pas oublier que la France est un leader européen dans le domaine spatial.

Dans la LPM 2019-2025, 4 milliards d'euros étaient destinés au renouvellement d'une partie des capacités spatiales militaires. L'enjeu de la prochaine LPM sera de confirmer cet effort dans la durée et de garantir une cohérence dans les différents programmes, puisque beaucoup ont un lien avec le domaine du spatial.

Dans ses propos d'introduction de la stratégie spatiale, la ministre des armées avait dit que l'espace ne devait pas devenir un nouveau Far West. Nous savons qu'il se passe un certain nombre de choses au-dessus de nos têtes avec des démonstrations technologiques, notamment avec des détecteurs cinétiques, qui sont régulièrement déployées par de grandes puissances. Bien évidemment, les armées, le ministère et la DGA ne sont pas attentistes face à cette situation.

Des travaux sont déjà en cours, visant par exemple à introduire en orbite basse un certain nombre de communications sécurisées difficiles à être interceptées par nos compétiteurs. Les liaisons laser sont, par définition, difficiles à intercepter et parce qu'avec ce type de technologie, la station au sol pourra être mobile et embarquée dans un véhicule. Cela nous donne des capacités considérables, résilientes à un certain nombre d'actions que pourraient tenter nos compétiteurs.

Nous avons également prévu, ce que nous pouvons appeler de grands démonstrateurs signaux, consistant en des capacités au sol d'illumination laser de satellites adverses. Je pense que nous n'en sommes pas très loin. Nous travaillons en collaboration avec l'ensemble des acteurs du spatial, le ministère des armées mais aussi le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, le ministère de l'économie et des finances et le Centre national d'études spatiales (CNES). Je rappelle que dans le plan France 2030, 1,5 milliard sont consacrés au spatial, domaine essentiel pour notre souveraineté.

S'agissant des surcoûts, nous avons effectivement ouvert, sur le programme 146, 229 millions d'euros  de crédits pour l'Ukraine : 200 millions d'euros pour financer le fonds spécial de soutien à l'Ukraine pour faciliter l'Ukraine d'acquérir l'acquisition d'équipements de défense et de sécurité. Les crédits de paiements seront reportés en intégralité sur 2023 et 29 millions d'euros pour financer le paquet Ukraine, c'est-à-dire la commande de certaines munitions. Le montant correspond au paiement dû en 2023 au titre du paquet Ukraine qui a pu être avancé en 2022. Le reliquat de crédits de 22 millions d'euros fera l'objet d'une demande de report sur 2023.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Les chiffres sont plus importants, puisqu'il y a 600 millions d'euros pour le renforcement du flanc oriental, 400 millions d'euros de surcoût Opex-Missint et 200 millions pour le fonds spécial de soutien à l'Ukraine.

M. Emmanuel Chiva. - Vous parlez de l'impact sur le programme 146 ?

Mme Hélène Conway-Mouret. - Oui, tout à fait.

M. Emmanuel Chiva. -Il y a une solidarité interministérielle pour le surcoût des Opex.

En ce qui concerne les ressources humaines (RH) et des compétences dans le cadre de l'économie de guerre, le sujet se confond avec la transformation de la DGA qui vise à avoir des structures qui soient plus agiles. Cela ne nécessite pas forcément une montée en puissance des RH dédiées aux achats ou à la passation de contrats. Ce sont surtout des pratiques qui doivent être changées et sans doute une organisation qui doit être adaptée.

Concernant le plan de transformation de la DGA, vous comprendrez que je garde la primeur et un certain nombre d'arbitrages au ministre des armées. Mais je serais ravi de revenir devant vous pour vous donner le résultat, puisque nous souhaitons aller vite et publier une vision stratégique dans les prochaines semaines. L'enjeu est d'optimiser notre organisation et nos ressources.

S'agissant de nos partenaires européens, vous connaissez toute la difficulté d'avoir une culture de défense commune, mais nous nous y employons. Cette notion de coopération et d'exportation sera mise en avant dans cette transformation de la DGA. Autrement dit, quand on exporte des systèmes d'armes, on ne le fait pas pour se substituer au directeur commercial de Nexter ou d'Airbus, mais parce que notre marché national est trop petit pour que les industriels disposent de la taille critique. C'est nécessaire à la pérénnité de notre base industrielle et technologique de défense. C'est aussi pour entretenir la coopération et le partage de valeur avec un certain nombre de nos alliés. Il n'y a pas que l'Allemagne, nous travaillons aussi avec le Royaume-Uni l'Espagne, l'Italie et la Grèce, ce qui nous permet de contribuer à promouvoir cette culture commune de défense. La création du fonds européen de défense (FED) constitue une opportunité qu'il nous revient de saisir : c'est la première fois dans l'histoire que nous pouvons parler de développement de la défense, de financement et d'Europe dans la même phrase sans que cela soit un oxymore.

En ce qui concerne les contrats et les munitions, notre intention est de passer un certain nombre de marchés globaux. Pour raccourcir les délais, les industriels doivent être capables d'anticiper sur un certain nombre de matières premières, sur les stocks, sur la relocalisation, c'est un axe important sur lequel nous travaillons. En termes de munitions, par exemple, nous cherchons à relocaliser la filière de la poudre. Nous cherchons également à garantir des flux de production planchers, tout en veillant à ce que nos industriels aient la capacité à accélérer.

Le montant de la commande de munitions dans le PLF 2023 est de 2 milliards d'euros il couvre : des  missiles Exocet, des missiles de moyenne portée, des missiles Aster 30, des missiles Aster 30 B1NT et des missiles Aster 30 pour les frégates de défense et d'intervention (FDI). Les livraisons concerneront des missiles Scalp-EG rénovés, des torpilles lourdes Artémis, des missiles Exocet MM40 Block 3C. Je peux également vous citer les postes de tir, les munitions MMP, des missiles d'interception à domaine élargi et des missiles Mica remotorisés.

Nous avons aussi, pour 2022, des commandes en cours de notification et notamment 29 millions d'euros de commandes pour des missiles Mistral. Évidemment, la guerre en Ukraine nous oblige à nous interroger sur un certain nombre de choses, notamment sur les filières de munitions de petit calibre, qui est un sujet qui revient régulièrement et sur lequel nous avons déjà lancé un certain nombre d'études avec certains. Jusqu'à présent ce n'était pas un sujet, puisque nous savions pouvoir disposer de commandes diversifiées du fait de la profusion d'acteurs dans le domaine, mais cette question revient et nous y travaillons.

Concernant Brasidas, qui a été lancé en 2017, le premier incrément du programme a été lancé en 2021. Aujourd'hui, nous mettons en oeuvre cette capacité opérationnelle qui nous permet de couvrir les fonctions maintenance de logistique et le référentiel du MCO-A. En 2023, il y aura le second incrément qui devra permettre de couvrir notamment les fonctions qui sont liées aux achats et aux finances. En 2024, la capacité opérationnelle devrait normalement être atteinte. En parallèle, nous « enrôlons », si vous me passez l'expression, l'ensemble des flottes d'aéronefs sur l'ensemble des fonctionnalités du système.

La société Sopra Steria est maître d'oeuvre, tandis que la société 2MoRO Solutions, spécialisée dans l'édition de logiciels de maintenance pour l'aéronautique et la défense, est sous-traitante de Sopra Steria. La trajectoire financière du programme est respectée.

Concernant la protection des Français en cas de guerre biologique , nous avons lancé un programme fédérateur, qui s'appelle Cinabre, pour Capacité Intégrée des Armées pour la défense Biologique, radiologique et chimique, qui est également un programme incrémental. Le premier incrément a été lancé en 2021. Cinabre comprend des capacités d'identification biologique et des contre-mesures médicales. Il y a un besoin souverain qui est lié au domaine des masques et des cartouches, un domaine extrêmement technique pour le NRBC, et l'acquisition de masques et cartouches de protection individuelle NRBC. On souhaite se doter de 23 400 masques et 66 600 cartouches pour les différents masques. Les premiers équipements ont été livrés en 2022. D'autres d'incréments en parallèle nous permettent de développer une filière d'identification biologique souveraine. Et puis il y a tout ce dont je ne peux pas vous parler et sur lequel travaillent à la fois nos industriels et la DGA Maitrise NRBC. Vous savez que nous avons des laboratoires assez uniques.

Concernant Exxelia, je rappelle qu'elle fournit des composants électroniques passifs pour nos systèmes d'arme. Il s'agit d'une société intéressante, car elle ne dépend pas d'une technologie américaine ; elle est contrôlée depuis 2014 par un fonds d'investissement, IK Partners, basé en Angleterre. À cette occasion, nous avions défini un certain nombre de conditions particulières engageant l'investisseur vis-à-vis de l'État, les discussions sont toujours en cours. Le nouveau repreneur s'appelle Heico, il est favorablement connu de la DGA et a prouvé sa capacité à respecter ses engagements pour la poursuite des activités de défense dans différents domaines. Nous négocions sur une lettre d'engagement renforcé, qui comprend notamment une action spécifique (« Golden Share ») qui donnera des droits étendus à l'Etat dans la gouvernance, dans le cadre d'une procédure d'investissement étranger en France (IEF) qui permet à l'État de garantir la préservation de ses intérêts. Ce n'est pas un investisseur français certes, mais aucun repreneur français n'a déposé d'offre.

Puis-je vous donner précisément une idée des grands arbitrages pour la LPM ? La réponse est non. Le Président de la République a affiché un certain nombre d'ambitions et c'est à lui qu'il revient de faire les annonces. . Il est possible d'arrêter certains programmes moins utiles pour dégager des ressources et d'en accélérer d'autres correspondant à des besoins nouveaux. Un autre levier peut être de procéder autrement : par exemple, la surveillance peut être assurée par des avions, des satellites ou des drones. Des réunions sont prévues la semaine prochaine sur le sujet, pour discuter par domaine, mais aussi par armée de ces différents paramètres.

M. Cédric Perrin. - Pouvez-vous répondre par oui ou par non s'il y a eu des commandes supplémentaires par rapport à la LPM depuis le 24 février 2022 suite à l'entrée en guerre de la Russie en Ukraine ?

M. Ludovic Haye. - Après près d'un an de conflit aux portes de l'Europe, nous avons pu tirer un certain nombre d'enseignements. Si la DGA devait retenir un seul changement de paradigme, quel serait-il ? La notion de robustesse et de simplicité d'utilisation pourrait-elle venir perturber les technologies d'armement de pointe dans lesquelles la France excelle ?

M. André Gattolin. - Ma question porte sur les systèmes d'armes létales autonomes (SALA). Aujourd'hui, les négociations au niveau des Nations unies sont complexes, entre les pays qui veulent les interdire et ceux qui se refusent à les autoriser. Nous risquons de prendre un vrai retard technologique dans ce domaine. Pouvons-nous concevoir des SALA qui préservent un contrôle humain significatif - je cite pour référence le rapport que nous avons publié à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe ?

M. Olivier Cadic. - Vous avez répondu sur les difficultés concernant le financement de nos PME de la défense, ce qui les empêche de grandir. Ayant fait partie du comité Richelieu, je me souviens des propos de votre prédécesseur, Jean-Yves Helmer, à ce sujet, en 1996 : « Nous irons aussi vite que la viscosité du système nous le permettra. » Je constate que cela n'a pas beaucoup changé. Voilà peut-être pourquoi nos PME sont plus start que up.

Le cas Lumibird est une illustration d'une entreprise de taille moyenne (ETI) qui veut se développer. Lors de l'audition du ministre, le 11 octobre, vous nous avez assuré qu'avec le feu vert de la Commission européenne pour le rachat de 63 % de Cilas par Safran et MBDA, l'ETI française Lumibird resterait actionnaire. La DGA ferait en sorte que ce ménage à trois fonctionne pour développer une filière souveraine pour l'arme laser, déjà très en retard par rapport à l'Allemagne. Pour autant, les déclarations officielles de Safran et de MBDA à la Commission sont sans équivoque. Je cite : « Lumibird est un actionnaire minoritaire qui n'exercera pas de contrôle sur Cilas, même s'il continuera à détenir les 37 % restants ». Le conseil de surveillance de Cilas comportera six membres, trois de Safran, trois de MBDA et les décisions clés nécessiteront son vote unanime. Lumibird ne pourra opposer son veto à aucune de ces décisions.

Le projet industriel de Lumibird était de passer de sa position actuelle, de titulaire d'une minorité de blocage, à celle d'opérateur industriel pour redresser Cilas en catalysant le développement de l'arme laser sur la base des technologies déjà existantes. Lumibird est aujourd'hui dans une position intenable au sein de Cilas. Plutôt que d'user de sa minorité de blocage de tout mouvement capitalistique, Lumibird, libre de tout engagement, ne fait aucun secret de son intention de vendre ses parts.

Vous avez déclaré que votre rôle n'était pas d'écouter seulement les 12 grands maîtres d'oeuvre, mais aussi les 4 000 PME-ETI qui composent notre BITD, tout particulièrement quand elles sont porteuses d'innovations et de technologies. Que comptez-vous faire pour éviter un tel gâchis ?

M. Hugues Saury. - La France est reconnue sur la scène internationale pour la qualité de l'armement et de l'équipement de ses forces armées. Et la liste des nouveaux matériels livrables en 2023 est importante.

La question du coût du maintien en condition opérationnelle est une préoccupation essentielle. Comment amoindrir à l'avenir le coût du maintien en condition opérationnelle au regard du coût unitaire de chaque matériel ?

M. Mickaël Vallet. - La DGA dispose d'un centre technique à Bruz pour les questions de cyberdéfense. Nous avons pu lire dans la presse, en début d'année qu'il y aurait un recrutement de 400 experts cyber supplémentaires au centre de Rennes d'ici à 2025. Pouvez-vous nous préciser vers quels efforts porteront ces recrutements ? Et peut-être nous dire si vous envisagez de venir en appui du secteur civil - hôpitaux, les collectivités territoriales - pour qui les sujets cyber deviennent extrêmement prégnants ?

Mme Isabelle Raimond-Pavero. - À l'horizon 2026 et 2027, quatre bâtiments de surface de la marine seront dotés de gravimètres quantiques à atomes froids commandés en 2020 à l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera). Pouvez-vous expliquer l'importance de cette technologie de rupture ?

Par ailleurs, le champ quantique ne pouvant être réduit à la cartographie des océans, quels moyens la DGA et ses partenaires consacrent-ils à la recherche pour le décryptage de l'information quantique ?

M. Joël Guerriau. - La guerre informationnelle et la guerre cognitive sont des enjeux majeurs. Vous avez évoqué l'arsenalisation du cyberespace, mais vous n'avez pas évoqué l'autre enjeu constitué par les fonds marins. Avons-nous en la matière des travaux de recherche permettant de protéger et de défendre nos fonds marins, puisqu'il s'agit, là aussi, d'un enjeu informationnel ?

Je voudrais terminer par une question relative au RH. Les parcours de formation dans les universités françaises, dans les grandes écoles correspondent-ils aux besoins du futur et des technologies de plus en plus complexes auxquels vous devez faire face ? Parvenez-vous, en termes de recrutement à trouver les bons éléments et comment nous situons-nous par rapport à d'autres pays sur ces formations aux hautes technologies ?

M. Emmanuel Chiva. - S'agissant des enseignements de la guerre en Ukraine, je retiendrai l'analyse de la valeur. Nous devons nous poser les bonnes questions. Quand on oppose technologie et robustesse, on ne pose pas la bonne question. Il est possible d'allier robustesse et technologie sophistiquée. En revanche, cela devient plus complexe lorsqu'il faut penser ensemble technologie, résilience, volumes, etc. Il faut à chaque fois s'interroger sur l'analyse de la valeur.

Prenez l'exemple d'un système d'armes conçu pour fonctionner de manière nominale jusqu'à moins 35 degrés Celsius ; en pratique, on se bat rarement à moins 35 degrés. Est-ce vraiment grave s'il fonctionne nominalement jusqu'à moins 25 degrés et moins bien entre moins 25 degrés et moins 35 degrés ?Pour certains systèmes, L'économie réalisée serait de 30 % du coût global. La guerre en Ukraine nous a forcés à nous interroger sur ce sujet et nous force aujourd'hui à mettre en place des processus pour systématiser cette analyse de la valeur dans l'ensemble de nos systèmes. C'est d'ailleurs lié à la question du MCO, dont je parlerai dans un instant. La DGA doit travailler en lien avec les forces opérationnelles, les états-majors, et les industriels.

Concernant les SALA - qui sont maintenant des systèmes d'armes létaux intégrant de l'autonomie (SALIA), car on continue à éviter le vocable de robots tueurs ! - trois grands principes guident notre action. Nous avons lancé plusieurs programmes comme le programme Vulcain, sur la robotisation terrestre, car l'enjeu n'est pas seulement d'armer des drones. Le premier principe, c'est le respect des règles de droit international. Le deuxième est le maintien d'un contrôle humain suffisant ; mais que veut dire suffisant ? Et le troisième principe, qui est pour moi véritablement structurant, c'est la permanence de la responsabilité du commandement. Autrement dit, nous n'allons pas fournir un système doté de la capacité de tuer, de se donner une mission ou de modifier la mission qui lui a été confiée. Quant à savoir si c'est l'homme qui doit appuyer sur le bouton lorsque l'action létale doit être entreprise ou si le robot peut le faire de manière automatique, elle devient moins prégnante à partir du moment où ce n'est pas le robot qui prend la décision.

Selon moi, il reste encore un travail à faire sur les plans éthique et philosophique pour savoir ce qu'est un contrôle humain suffisant.

Ce qui était intéressant dans le rapport du Comité d'éthique de la défense, c'était la recommandation de poursuivre la recherche pour éviter d'être déclassé et que d'autres utilisent contre nous des moyens sur lesquels nous n'aurions aucune contre-mesure.

Monsieur Cadic, en ce qui concerne Lumibird, je m'interroge sur ce que vous me dites. Vous savez que la cession de Cilas est effective depuis le 2 novembre. Oui, c'est une société fragilisée ; oui, nous faisons extrêmement attention ; la filière laser est un acteur clé des filières optroniques. Si nous n'avions pas soutenu cette reprise par Safran et MBDA, et qu'un acteur américain avait récupéré Cilas, que n'aurions-nous entendu ! J'ai souhaité dire lors de l'audition avec le ministre en format complet que nous voulions permettre le dialogue constructif entre l'ensemble des actionnaires de Cilas. Nous accompagnons Lumibird, nous sommes en contact avec eux. Mais si je ne m'immisce pas dans le domaine des affaires, en revanche je suis vigilant sur le respect des actifs de l'État, et je crois savoir que nous ne vous laissons pas sans réponses puisque nous vous avons proposé de vous recevoir avec le président-directeur général de Lumibird.

Concernant les coûts du MCO, nous pouvons déjà nous féliciter d'avoir moins de MCO à faire sur nos armes que d'autres pays, on le constate en Ukraine...

L'analyse de la valeur fait partie intégrante du processus. Le niveau de MCO requis est fonction du degré de sophistication, donc de vulnérabilité, de l'équipement. D'où la nécessité de le dimensionner aux justes besoins et de prendre en compte, dans cette analyse de la valeur, le coût du MCO, ce qui n'était pas systématiquement le cas jusqu'à présent.

Ce que nous souhaitons, c'est réaliser systématiquement l'analyse de la valeur, et négocier les marchés de manière globale : acquisition et soutien avec les services de soutien concernés. Il faut aussi responsabiliser nos maîtres d'oeuvre industriels. On accuse souvent les industriels de réaliser des marges juteuses. C'est faux. Les marges des industriels et notamment les provisions pour risques sont tout à fait raisonnables. En revanche, au niveau du MCO, il reste du travail à faire. Nous devons veiller à éviter que les marges limitées en amont ne soient pas récupérées en aval.

S'agissant de notre centre technique à Bruz et des recrutements, effectivement nous devons recruter 400 personnes dans le domaine du cyber en Bretagne, ce qui représente un défi complexe, car il s'agit d'un métier en tension. La région offre beaucoup d'opportunités. C'est la raison pour laquelle je parlais d'une réforme nécessaire des statuts et de l'attractivité, avec une approche hybride pour les personnels civils. Certes les experts qui viennent chez nous font des choses qu'ils ne feraient nulle part ailleurs. Mais il est clair que nous sommes en compétition avec des startups qui paient deux à trois fois plus. Notre mission n'est donc pas simplement de recruter des ingénieurs cyber, mais de mettre en place toute une politique qui nous permettra de recruter et de fidéliser, ainsi qu'une vraie logique de filière, en travaillant d'ailleurs avec les écoles. Nous réfléchissons à aller très en amont dans les écoles et même à proposer de financer un certain nombre de formations en offrant à la sortie un contrat avec l'État assorti d'un engagement à servir pendant un certain nombre d'années.

Les gravimètres quantiques à atomes froids sont des systèmes capables de faire tomber des atomes pour mesurer la vitesse à laquelle ils tombent et ainsi pouvoir établir une cartographie très précise du champ gravitationnel terrestre, et donc de se situer n'importe où à la surface de la terre sans avoir besoin de liaison satellitaire. Vous savez que la stratégie quantique du ministère des armées se concentre en priorité sur le développement de ces capteurs quantiques, les horloges atomiques d'une part, les gravimètres quantiques à atomes froids, d'autre part, avec un programme de capacité hydrographique et océanographique future (CHOF) qui permettra de mettre en oeuvre cette nouvelle génération de gravimètres quantiques. Trois bateaux seront équipés de ce type d'équipement.

Par ailleurs, le quantique c'est aussi la cryptographie. Cela rejoint la problématique de l'hybridité qui avait été évoquée dans le domaine de la cybersécurité. Il se trouve que l'action militaire ne vise pas uniquement des équipements militaires. Le risque existe d'attaques cyber sur des hôpitaux ou des entités nationales d'importance vitale, de décryptage par des ordinateurs quantiques des clés de chiffrement, notamment financières, qui permettraient de paralyser notre système bancaire ; nous devons donc prendre ce risque en compte. Nous avons le devoir d'avoir une approche globale, tant en termes de cyber, qu'en termes de stratégie quantique, et nous accélérons pour enrichir la feuille de route quantique sur la crypto post quantique, qui fait appel à des mathématiques. En attendant d'avoir un ordinateur quantique, nous avons des simulateurs qui nous permettent d'entraîner et de mettre au point des algorithmes de chiffrement robustes. Je rappelle que la Chine investit 10 milliards par an pour développer un ordinateur quantique en investissant sur les cinq domaines essentiels ; selon la stratégie « store now, decrypt later », ils aspirent toutes les données qu'ils peuvent et ils verront le résultat quand ils seront capables de les décrypter. Nous devons donc faire en sorte que ce décryptage soit le plus complexe possible. Nous avons de bons espoirs de développer des algorithmes de chiffrement post-quantiques résistants.

La question des fonds marins est essentielle, dans la mesure où ceux-ci sont devenus un théâtre d'actions. Nous sommes donc en train d'accélérer sur le sujet des grands fonds marins. Avec France 2030, j'espère pouvoir nous doter rapidement de capacités, par achats sur étagères ou en développement propre. Je peux vous assurer ce sujet est bien identifié et pris en compte.

Concernant les parcours de recrutement, nous possédons de très bonnes universités, de très bonnes grandes écoles, et on observe un regain d'intérêt pour le domaine de l'armement. J'ai constaté, en me rendant à l'École polytechnique et en observant ce qui se passe dans les universités, l'émergence d'une nouvelle dynamique. Certains étudiants peuvent considérer qu'un début de carrière dans l'armement peut être bénéfique. Je ne vous cache pas que je compte sur nos deux nouveaux spationautes pour nous aider à faire de la communication pour la DGA. Nous explorons aussi un certain nombre de voies, notamment agir en amont des concours pour sécuriser en aval une capacité de recrutement et donner une visibilité à des étudiants qui, en contrepartie, pourraient s'engager pour plusieurs années.

M. Cédric Perrin, président. - Je vous remercie pour ces réponses très précises et nous saluons les orientations que vous souhaitez donner à la DGA. Nous avons tous bien conscience de l'importance de la DGA dans l'environnement de la défense, mais aussi de la nécessité de lui donner plus de souplesse et d'agilité.

Question diverse - Groupes de travail sur les RETEX - Nomination de rapporteurs

M. Cédric Perrin, président. - Mes chers collègues, conformément aux décisions du Bureau de la commission, nous allons lancer rapidement les groupes de travail sur les RETEX. Il nous revient de désigner les rapporteurs de ces groupes. Je rappelle que les membres de la commission qui le souhaitent peuvent participer à ces travaux en le notifiant via leurs groupes. Certains groupes ont déjà fait connaître la liste des Sénateurs souhaitant participer à ces groupes RETEX. J'invite les groupes qui ne l'ont pas encore fait à communiquer au service de la commission les noms de leurs membres qui souhaiteraient participer à l'un ou l'autre de ces groupes.

Pour le RETEX Ukraine, nous avons reçu les candidatures de Jean-Marc Todeschini pour le groupe SER, et je suis moi-même candidat pour le groupe LR.

Pour le RETEX Barkhane/Terrorisme nous avons reçu les candidatures de Pascal Allizard pour le groupe LR, de Marie-Arlette Carlotti pour le groupe SER et d'Olivier Cigolotti pour le groupe UC.

Pas d'observations ? Nos rapporteurs sont donc désignés et vont pouvoir lancer leurs travaux. Je vous remercie.

La réunion est close à 11h10.