Mardi 7 février 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 18 h 05.

Audition de M. François de Rugy, ancien ministre de la transition écologique et solidaire

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous entamons les travaux de la commission d'enquête sur l'efficacité des politiques publiques en matière de rénovation énergétique par une série d'auditions des anciens responsables politiques du secteur.

Dans ce cadre, nous accueillons ce soir M. François de Rugy, ancien ministre de la transition écologique et solidaire.

Monsieur de Rugy, vous avez été député à partir de 2007 et avez exercé les fonctions de président de l'Assemblée nationale de 2017 à 2018, puis de ministre de septembre 2018 à juillet 2019, dans le gouvernement d'Édouard Philippe.

Cette période a été marquée par la préparation et l'adoption de la loi du 8 novembre 2019 relative à l'énergie et au climat, dite « Énergie-climat », et par les lancements de la Convention citoyenne pour le climat et du Conseil de défense écologique, annoncés par le Président de la République en avril 2019.

C'est donc une période particulièrement riche et importante pour notre sujet, et vous en êtes un acteur et un témoin de premier plan. La commission d'enquête souhaite donc savoir le bilan que vous tirez de votre passage au Gouvernement. Quels sont vos principaux motifs de satisfaction et quels sont, au contraire, vos regrets, les sujets sur lesquels vous auriez souhaité aller plus loin ? Le cas échéant, quels ont été les obstacles que vous avez rencontrés ?

Il sera également intéressant que, sur le fondement de votre expérience, vous puissiez partager avec nous votre jugement sur la politique menée depuis votre départ du Gouvernement et votre analyse des raisons pour lesquelles certains objectifs de la loi Énergie-climat n'ont pas été atteints.

Par ailleurs, la Convention citoyenne pour le climat a favorisé une mobilisation et l'émergence d'idées, mais qu'en est-il resté ? Était-ce la bonne méthode ? Le rapport d'Olivier Sichel n'a-t-il finalement pas joué un rôle plus important dans le volet rénovation de la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite « Climat et résilience », que la Convention citoyenne elle-même ? Quel regard portez-vous sur le Conseil national de la refondation qui lui a succédé ?

Au regard de votre expérience, les blocages et insuffisances de la rénovation énergétique dans notre pays sont-ils liés à un manque de financement, à des questions de réglementation ou de méthode, à une prise de conscience insuffisante des enjeux ou encore à une absence de vision à long terme et de constance ?

Je n'allongerai pas davantage la liste de mes questions, qui seront approfondies par le rapporteur et par nos collègues.

Avant de vous laisser la parole pour y répondre, dans un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'elle fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle en outre qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Avant de vous céder la parole, je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François de Rugy prête serment.

M. François de Rugy, ancien ministre de la transition écologique et solidaire. - Je ne sais pas si je pourrai répondre dans le temps imparti à toutes vos questions, d'autant que j'en ajouterai quelques autres.

En effet, sur les sujets écologiques, comme sur d'autres sujets, il faut, avant tout, savoir ce que l'on veut : cherche-t-on à favoriser ce qui est le plus efficace - ce qui implique de déterminer comment se mesure cette efficacité, par le nombre de tonnes de CO2 économisées chaque année, par l'énergie totale économisée, etc. - ou ce qui est le plus symbolique, c'est-à-dire le plus efficace médiatiquement et politiquement ? Selon moi, il faut rechercher ce qui est le plus efficace, même si ce n'est pas ce qui a le plus de succès politique ou médiatique. Or, quand on est ministre, on est sans cesse confronté à ce double questionnement et, d'après ce que je peux observer, je constate que cela n'a pas changé et que, malheureusement, le plus symbolique l'emporte très souvent et largement sur le plus efficace.

Autre question de fond et récurrente : cherche-t-on des politiques incitatives, notamment fiscales, comme le crédit d'impôt - j'y reviendrai, cela a été un débat très vif lorsque j'étais ministre - ou contraignantes, sous la forme d'obligations légales et réglementaires ou de contraintes fiscales ? Je fais ici référence à la taxe carbone, contemporaine, vous vous en souvenez, du mouvement des « gilets jaunes ». Les obligations légales, réglementaires, sont souvent difficiles à faire accepter ; on en a eu des exemples concrets. Selon moi, il faut combiner obligation et incitation ; l'incitation seule ne suffit pas à atteindre des objectifs importants et l'obligation seule rencontre trop de résistance chez les citoyens.

Troisième questionnement : l'efficacité vient-elle de la constance de la politique menée ou de la capacité de changer, de se remettre en question sans cesse ? À mon sens, on devrait privilégier davantage de constance et avoir plus la mémoire de ce qui a été fait, de ce qui a fonctionné ou non. Or, quand j'étais ministre, je voyais que l'on continuait de vouloir essayer des dispositifs que j'avais vu passer, dans un sens ou dans l'autre, lorsque j'étais député, dont on connaissait pourtant le niveau d'efficacité ou d'inefficacité. Je pense par exemple aux effets de balancier sur les crédits d'impôt.

Par ailleurs, contrairement à ce que croient beaucoup de citoyens et que propagent nombre de médias et de responsables politiques, les élus, à commencer par le Président de la République, les ministres et les députés d'une majorité, cherchent à mettre en oeuvre les promesses électorales qu'ils ont faites. Je pense notamment à la volonté exprimée en 2017 de faire sortir du marché de la location les passoires thermiques. Comme souvent, la rédaction n'était pas très précise - les promesses électorales le sont rarement - et c'est à ce sujet que nous nous sommes heurtés à beaucoup de difficultés.

Autre élément qui intervient toujours : le contexte budgétaire.

Tous ces éléments ont sous-tendu mon action comme ministre, même si celle-ci ne s'est déroulée que sur dix mois.

Soyons maintenant plus concrets, pour ce qui concerne le premier mandat d'Emmanuel Macron, mais on peut aussi évoquer ce qui s'est passé avant et après.

Quand j'ai été nommé, j'ai été d'emblée confronté à un problème de négociation budgétaire. En effet, j'ai été nommé début septembre, peu avant que le projet de loi de finances ne soit présenté en conseil des ministres puis au Parlement. Il y avait, entre le ministre chargé des comptes publics et mon prédécesseur puis moi-même, un débat sur ce qu'il devait advenir du crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) et sur ce que l'on devait y mettre. Il s'agissait donc d'un double débat.

On le sait, les ministres budgétaires veulent toujours réduire le volume des crédits d'impôt, en proposant de « resserrer les critères », au nom de la solidarité - il ne faudrait pas subventionner des gens qui ont de toute façon les moyens de faire sans le crédit d'impôt - et de l'écologie - les travaux, ou les « gestes », les moins efficaces ne doivent pas être subventionnés -, car les budgétaires sont habiles pour reprendre et remanier les arguments de ceux qu'ils ont face à eux. À l'époque, par exemple, il y avait un débat sur les fenêtres, la « crise des fenêtres », si j'ose dire. Il avait été décidé avant mon arrivée de « sortir » les fenêtres du crédit d'impôt, au motif que ces travaux étaient moins efficaces du point de vue de la baisse de la consommation d'énergie ou des émissions de gaz à effet de serre. Or, indépendamment du débat entre symbolique et efficacité, il y a de fait un ressenti à cet égard, car la première chose à laquelle bien des gens pensent pour l'efficacité énergétique, ce sont les fenêtres, pour une raison simple : quand on s'approche d'une fenêtre de simple vitrage ou dégradée, on sent le froid en hiver. En outre, ce sont des travaux simples à réaliser et, d'ailleurs, les artisans du bâtiment ont été très actifs pour militer contre la suppression de ce crédit d'impôt. Pour ma part, je pensais que cette sortie était un peu brutale.

Je me souvenais que, sous d'autres gouvernements, chaque fois que l'on subventionnait, dans le cadre d'une politique incitative, des travaux de rénovation énergétique des logements, s'il y avait plusieurs types de travaux - un « bouquet » de travaux -, c'était plus efficace, mais aussi plus complexe, donc il y avait moins de gens enclins à se lancer dans des travaux. Mais les budgétaires aiment bien cela, car cela permet de réduire la dépense. Je l'avais connu antérieurement, avec le crédit d'impôt pour le développement durable (CIDD), en tant que député commissaire des finances. Je plaidais pour ce que soit équilibré : il ne faut pas que ce soit trop complexe et il faut que ce soit accessible.

Un crédit d'impôt, contrairement à une réduction, tout le monde peut en bénéficier, même ceux qui ne sont pas assujettis, mais, si l'on réserve ce crédit d'impôt à ceux qui ont de faibles moyens, très peu de travaux se feront, car les gens prêts à s'engager dans des travaux sur leur logement appartiennent en réalité à des tranches fiscales plus élevées. Alors, oui, cela conduit à subventionner des gens qui ont des moyens, mais c'est efficace. Et, cela, c'est facile à évaluer. De là est née l'idée de réformer le système, qui a conduit à MaPrimeRénov', un autre type de dispositif, qui a d'ailleurs donné lieu à un débat sur son ciblage, car on voulait « faire du chiffre », ce qui est normal, puisque l'on veut obtenir une certaine efficacité sur la réalité des économies d'énergie.

Sur la taxe carbone, je ne m'appesantirai pas, mais le signal consistant à stopper net une perspective d'augmentation du prix des énergies fossiles par la taxe et non par le marché, comme cela se produit actuellement - je le rappelle, le prix de l'énergie était encore très faible il y a cinq ans, avec le mégawattheure à moins de 50 euros et un accès régulé à l'électricité nucléaire historique, à 40 euros, qui n'était même pas intéressant pour les acheteurs en gros -, ne me paraît pas opportun. Envoyer un signal dans la constance, donner une perspective dans la durée, selon laquelle on veut sortir des énergies fossiles, c'était un outil.

Le débat n'a malheureusement plus lieu et il n'est plus d'actualité, le prix des énergies fossiles étant très élevé, mais, plutôt que de se demander si l'on maintenait le dispositif ou si on l'arrêtait, on aurait dû travailler à des mécanismes d'adaptation aux réalités du marché, en gardant cette perspective. Là, on envoie un signal général qui n'est pas bon pour les économies d'énergie et pour la réduction des énergies fossiles. Cela a été tranché et, aujourd'hui, quasiment aucun courant politique ne propose, me semble-t-il, d'évoluer sur cette question. Il est pourtant dommage que l'on soit paralysé en France sur ce sujet, car c'est un sujet de fond. Au passage, j'avais constaté immédiatement le résultat de cet abandon sur les réseaux de chaleur, lorsque des projets de chauffage au bois ont été remplacés par du chauffage au gaz, qui était devenu moins coûteux. Les conséquences sont très concrètes.

Nous devions gérer la promesse d'Emmanuel Macron, candidat que j'avais soutenu, de sortir les passoires thermiques du marché de la location. Bien sûr, dit ainsi, tout le monde est d'accord. Mais, quand on entre dans le détail, on se heurte à des obstacles. J'avais d'ailleurs déjà constaté ces obstacles dans le passé, en voyant notamment des associations de solidarité, comme la Fondation Abbé-Pierre ou d'autres, militer contre de telles propositions au motif qu'elles auraient pour conséquence d'évincer trop de logements, souvent loués à bas coût, du marché de la location. Il n'y avait pas tellement de débat au Parlement ni dans l'opinion sur ce sujet, à l'époque. Globalement, le ministre du logement s'y opposait - je ne sais pas si vous l'entendrez, mais je pense qu'il ne contestera pas cette affirmation -, donc nous avons dû chercher d'autres solutions.

Ainsi, dans la loi Énergie-climat, que j'ai préparée en tant que ministre, j'ai défendu l'idée d'une mesure touchant non pas la location, mais la vente, et je proposais que l'on s'inspire de ce qui existait pour l'assainissement ; quand on vend un bien non relié à l'assainissement collectif - c'est-à-dire doté d'une fosse septique - et dont les installations ne sont pas aux normes, soit le vendeur fait les travaux de raccordement ou de mise aux normes, soit une somme tirée de la vente est mise sous séquestre lors de la signature de l'acte notarié, à charge pour l'acheteur de faire les travaux requis dans un délai fixé dans l'acte. Je l'ai vu comme élu local à la communauté urbaine et à la Ville de Nantes, cela fonctionne bien. Je proposais donc de faire de même pour les passoires thermiques en habitat individuel. J'ai obtenu un arbitrage favorable du Premier ministre, mais le ministre du logement de l'époque n'y était pas favorable non plus et j'ai vu fleurir à l'Assemblée nationale des amendements, y compris de la majorité, pour supprimer cette mesure, qui, finalement, a été abandonnée.

Je le déplore, car, je ne suis pas contre l'économie de marché, mais je pense qu'il faut l'encadrer, et ce système permettait justement de gérer le problème dans le cadre du marché, en imposant une mise aux normes à chaque vente. Nous avions élaboré des statistiques très précises sur le nombre de personnes et de logements concernés. De mémoire, je crois qu'il y avait de l'ordre de 500 000 maisons individuelles qui étaient des passoires thermiques - classées F et G, je pense - appartenant à un propriétaire occupant ayant des revenus modestes. On pouvait donc accompagner ces 500 000 foyers, d'autant qu'il ne s'agissait pas de tout traiter du jour au lendemain, puisque cela se faisait au fur et à mesure des ventes. Je ne sais pas si cette idée reviendra, mais je vous la livre...

Finalement, notre promesse sur le marché de la location a été mise en oeuvre dans le cadre de la loi Climat et résilience, car elle était ressortie lors des travaux de la Convention citoyenne pour le climat. Je revendique, au moins en partie, la paternité de cet organisme. Le Gouvernement n'y était pas favorable, me semble-t-il ; je crois même pouvoir dire que, au sein de l'exécutif, seuls le Président de la République et moi la défendions. L'une de ses missions expresses était celle-ci : rechercher une solution, acceptable par les citoyens, à l'impact des logements sur le climat. Du reste, nous avons voté - j'étais alors député - cette mesure, non sans débat, et ce qui était prévu s'est en partie produit, même s'il est encore un peu tôt pour le dire : un certain nombre de logements ont été retirés de ce marché. On les a retrouvés, paraît-il, sur le marché de la vente, donc le mouvement passe par le biais du marché, ce qui contraindra les acheteurs à y remédier s'ils veulent louer leur bien. Il faudra suivre ce point dans l'évaluation, car il ne faudrait pas envisager quelque évolution du dispositif avant d'en faire l'évaluation.

C'est la contribution principale, sur ce sujet, de la Convention citoyenne pour le climat. Pour ma part, j'ai été par ailleurs quelque peu déçu de ses autres résultats.

Je crois qu'il y a une question générale sur le financement. Depuis quelques années, on ne manque pas de financement privé sur ce sujet. On se focalise sur le financement public - crédits d'impôt, subventions -, mais le logement, à part le logement social, qui est en partie autofinancé et en partie financé par des fonds publics, relève avant tout de la mobilisation du financement privé : épargne individuelle ou crédit bancaire. Nous vivons depuis des années avec des taux d'intérêt très bas et, même s'ils remontent quelque peu, ils sont toujours inférieurs à l'inflation ; c'est une ressource importante. Les tiers financements doivent aussi être considérés, peut-être plus sur l'habitat collectif qu'individuel ; c'est à mobiliser. Bien sûr, il y aura toujours de l'argent public, mais ce n'est pas par l'inflation du financement public que l'on résoudra le problème. Et il y aura toujours une part, selon moi, de contrainte légale, réglementaire.

C'est la combinaison de tous ces moyens, en agissant dans la durée, qui permettra d'obtenir des résultats.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Je vous remercie de vos explications à la fois globales et précises.

Vous avez préparé la loi Énergie-climat. Quels sont vos regrets à propos de ce texte assez ambitieux, au-delà du mécanisme sur la vente que vous avez évoqué ? Quelle est votre appréciation sur les arbitrages perdus, au regard de ce qui a été fait ? Quels éléments vous auraient permis d'aller plus vite et plus loin ?

Une question également sur l'aspect budgétaire : pour la rénovation thermique, il faut de l'argent, public ou privé. Or on se pose souvent la question de l'efficacité de l'argent investi sur le fondement de textes très ambitieux, qui peuvent d'ailleurs parfois bénéficier de budgets non négligeables. Pensez-vous qu'avec beaucoup plus d'argent on serait allé beaucoup plus vite et beaucoup plus loin ? Cette question a-t-elle constitué un frein dans l'application de vos politiques ?

Que pensez-vous de la transformation du CITE en MaPrimeRénov' et de l'empilement des dispositifs ? On a du mal à faire le bilan de l'efficacité des divers mécanismes, dont celui-là, car, plus il y a de couches, moins les mécanismes sont lisibles...

Enfin, quel est votre point de vue sur l'évolution de la politique énergétique et sur les perspectives actuelles ? On a souvent l'impression que les résultats obtenus ne sont pas à la hauteur des espérances.

M. François de Rugy. - En matière d'écologie, il faut viser des changements profonds ; ce ne sont pas avec de petits changements que l'on réglera le problème des émissions de gaz à effet de serre. Or le logement et le bâtiment tertiaire représentent, en gros, un tiers de ces émissions ; c'est donc un sujet majeur, avec les transports. En revanche, pour que ces changements soient durables, ils doivent être progressifs ; je ne crois pas aux changements brutaux, surtout en matière de logement, et c'est encore plus vrai quand on est propriétaire. Si l'on n'intègre pas cette donnée dans la réflexion, on n'arrivera pas à être efficace.

Il paraît tout à fait logique à nombre de propriétaires occupants d'injecter de l'argent, éventuellement des sommes importantes, pour procéder à des rénovations d'agrément de leur logement - peintures, sols, nouvelle salle de bains, etc. -, et je le dis sans jugement de valeur ; d'ailleurs, il n'est pas rare qu'une personne achetant une maison ne soit pas choquée à l'idée d'investir 100 000 euros dans sa rénovation. Néanmoins, on n'a jamais réussi à susciter le même raisonnement sur l'efficacité énergétique, y compris chez des personnes sensibles à la question, alors même qu'un logement bien isolé est plus agréable. Il faudrait y travailler.

Par ailleurs, les Français aiment les crédits d'impôt, particulièrement en matière de logement. Je l'ai observé, dès que l'on a resserré l'accès au crédit d'impôt pour l'investissement locatif, ce type d'investissement a fortement baissé. Bercy déteste les crédits d'impôt, car c'est une dépense non limitée, mais il faut reconnaître que c'est efficace, cela déclenche le comportement espéré. Cela s'explique par la détestation des Français pour l'impôt, notamment l'impôt sur le revenu.

Mais, sur les logements individuels comme sur les copropriétés privées, qui fera l'audit énergétique ? Je parle non pas d'un simple diagnostic de performance énergétique (DPE), mais d'un véritable audit. Il est difficile d'imposer ce diagnostic pour avoir un crédit d'impôt, mais il faudrait y réfléchir. Ensuite, qui fait cet audit ? Des majorités de gauche, y compris dont j'étais, ont phosphoré sur le « service public de l'efficacité énergétique ». Personnellement, je n'y ai jamais cru : ce n'est pas en multipliant les services publics sur un sujet si difficile que l'on y arrivera. Cela exigerait en outre de recruter des dizaines de milliers de personnes partout sur le territoire. J'ai pu l'observer dans une communauté de communes de 50 000 habitants, son service de l'efficacité énergétique traitait 100 logements par an. À ce rythme-là, il lui aurait fallu cent ans pour traiter tous les logements ! J'exagère à peine...

Pour ma part, comme ministre, je plaidais - cela peut passer pour libéral, mais je l'assume - pour un appel aux opérateurs privés : on lance un appel d'offres, en faisant des lots de 50 000 ou 100 000 logements - puisque l'objectif est de rénover 500 000 logements par an -, et les opérateurs sont rémunérés sur le résultat en termes d'économies d'émissions de gaz à effet de serre et de performance énergétique. Ils font l'audit énergétique, recommandent les travaux à faire, voire les réalisent pour le compte du propriétaire et gèrent les subventions. D'ailleurs, on le fait pour les chaudières. Même dans un gouvernement comme celui d'Emmanuel Macron, on m'a rétorqué que, plutôt que de faire appel au privé, il fallait confier cette tâche à l'Agence nationale de l'habitat (Anah), mais cela ne peut pas marcher. Cette agence est pertinente pour les copropriétés dégradées, mais en petit nombre. On a augmenté les crédits de l'Anah, mais cela n'a pas été suivi d'effets dans la réalisation. Je ne prétends pas proposer une recette miracle, mais je pense qu'on devrait creuser cette hypothèse...

Enfin, lorsque j'étais ministre, le Premier ministre Édouard Philippe a déclaré lors d'une matinale radio que nous envisagions de sortir des chaudières à fioul dans les logements individuels - 3 millions de logements auraient été concernés  - sans compter les chaufferies collectives au fioul, notamment dans les bâtiments publics, y compris dans des mairies qui se disent très à la pointe sur le sujet. Cela représentait trois millions de petites centrales thermiques. Nous voulions supprimer les centrales thermiques, il fallait donc les supprimer dans les logements. Des solutions existent : pompe à chaleur, gaz - avec une meilleure performance énergétique -, et bois. Vous pourriez l'interroger, je crois qu'il a été un peu traumatisé par cet épisode. Ce fut un tollé général : on pensait qu'on voulait interdire ces chaudières au fioul, alors qu'on ne voulait plus en réinstaller.

Le sujet est revenu ensuite, mais ce n'est pas pour cela qu'il est réglé. Heureusement, il y a des actes concrets. Pas besoin de réaliser un audit énergétique important, il suffit de remplacer les chaudières qui tombent en panne ou sont en fin de vie. À l'époque, on nous déclarait que nous allions remettre des « gilets jaunes » sur les ronds-points, argument qui emportait tout de la part des défenseurs des chaudières au fioul. Certes, le changement ne se fait pas en un jour, mais des solutions techniques existent. Oui, une pompe à chaleur coûte plus cher, de même qu'une chaudière gaz haute performance. Il n'y a pas du gaz partout, mais il y a de l'électricité partout en France, et le bois est une ressource pouvant être française. Je regrette que nous n'ayons pas pu avancer plus vite. Ce sont des changements qu'il faut faire progressivement, et qui sont durables et utiles.

Mme Sabine Drexler. - Quelle articulation prévoyez-vous entre la rénovation énergétique et le patrimoine ? Le petit patrimoine, majoritairement non protégé, est composé de constructions datant d'avant 1948. En voulant lutter contre les passoires thermiques et énergétiques, nous avons mis en place des législations ayant eu l'effet inverse ; je pense aux réglementations thermiques et environnementales, avec un DPE inadapté qui, conjugué aux dispositions du « zéro artificialisation nette » (ZAN), est catastrophique pour le patrimoine bâti. On ne le dit pas assez, mais de nombreux bâtiments anciens sont naturellement conçus pour être intelligents par rapport au climat.

L'urgence écologique justifie-t-elle de faire fi de la conservation du patrimoine bâti ancien ? Les performances énergétiques de ce type de bâti et ses qualités en matière d'inertie et d'hydrothermie sont-elles suffisamment connues et prises en compte ?

M. François de Rugy. - Je ne crois pas qu'il y ait de contradiction systématique et majeure entre la conservation du patrimoine, à laquelle je suis moi-même attaché, et la rénovation énergétique. Actuellement, nous avons une vision sans doute plus conservatrice du patrimoine que les générations précédentes. Par exemple, le château des ducs de Bretagne à Nantes est un panorama de plusieurs époques : des bâtiments d'époques successives se sont greffés sur le bâtiment originel, et parfois, on détruisait sans vergogne. C'est regrettable, mais il ne faut pas non plus basculer dans quelque chose de totalement figé.

Il y a les réglementations prises à l'échelle nationale - lois et décrets - et leur application locale. Les architectes des bâtiments de France (ABF) sont souvent très restrictifs, et parfois les réglementations sont contradictoires entre elles. À une époque, on interdisait l'isolation par l'extérieur au motif qu'elle prenait 20 centimètres sur le trottoir, espace public. Il faut faire évoluer ces règles si l'on veut rénover les bâtiments.

Certes, à l'impossible, nul n'est tenu ! Certains bâtiments ne peuvent être modifiés et doivent rester en l'état, malgré leur moins bonne performance énergétique. S'il ne reste que les vieilles chapelles, des manoirs ou des châteaux comme passoires thermiques, ce n'est pas très grave, mais traitons les autres bâtiments. Que ce ne soit pas un prétexte pour ne pas rénover le reste, notamment des affreux bâtiments - du moins de mon point de vue personnel. Ainsi, les bâtiments des années 1970 gagneraient à être rénovés par l'extérieur. Je vois certaines copropriétés faisant repeindre la façade sans se poser la question d'une isolation par l'extérieur, alors que cela ferait baisser immédiatement leur facture de chauffage. J'ai vu certaines copropriétés qui avaient ensuite remplacé leur chaudière par une chaudière moins puissante, puisqu'il y avait moins besoin de chauffer, faisant ainsi une économie de fonctionnement, mais aussi en investissement. Il faut regarder le bénéfice global d'une rénovation énergétique.

M. François Calvet. - Avec la suppression du crédit d'impôt, les personnes possédant des logements locatifs comme revenus sont en train de les mettre sur le marché car elles ne veulent pas les rénover. Comme elles paient des impôts, elles n'ont pas droit à MaPrimeRénov'.

Ne peut-on pas garder MaPrimeRénov' pour les ménages en situation de précarité et remettre en place le crédit d'impôt ? En montagne, les normes sont extrêmement exigeantes. Les agents immobiliers nous alertent : beaucoup de logements ne pourront plus être loués. Les propriétaires seront amenés à vendre. Rétablir le crédit d'impôt constituerait une solution pour une partie des logements, qui sinon disparaîtront du marché.

M. François de Rugy. - Les propriétaires bailleurs peuvent déduire le montant des travaux de leurs revenus locatifs, sur plusieurs années. Certains savent très bien le faire... Mais c'est aussi vertueux. Certains propriétaires bailleurs ne veulent pas faire de travaux, qu'ils soient énergétiques ou non, et vendent ensuite pour récupérer l'argent... Mais si personne ne fait ces travaux ou que les locataires occupants ont des logements avec une mauvaise performance énergétique, on n'aura rien gagné.

Il faut donc trouver des dispositifs adaptés. Certains plaident pour un statut de l'investisseur immobilier. Pour qu'il soit plus attractif de faire des travaux, il faut prendre en compte les travaux dans l'ancien et pas seulement l'achat dans le neuf. J'ai dû, comme mes prédécesseurs et successeurs, lutter pour conserver la TVA à 5,5 % sur les travaux, taux sur lequel le ministre de l'économie et des finances cherche à revenir chaque année. C'est une petite incitation, qui disparaîtra si le taux est remonté.

Mme Marta de Cidrac. - Merci pour vos éclaircissements. Nous avons l'impression que l'efficacité est votre objectif. Lorsqu'un bâtiment est bien isolé, on consomme moins d'énergie. Cette moindre consommation a deux incidences : sur l'environnement, ce qui est bien identifiable, et sur le pouvoir d'achat- mais celui-ci fluctue en fonction du prix des énergies.

J'ai senti que vous faisiez état de tensions au sein du gouvernement et que vous aviez du mal à convaincre vos collègues ou le Président de la République. Sur quelles expertises ou études d'impact vous vous adossiez pour arbitrer une décision ?

M. François de Rugy. - Cela se passe toujours ainsi au sein d'un gouvernement ; heureusement qu'il y a des négociations ! Cela ne veut pas dire qu'il y a un gagnant et un perdant, mais nous cherchions un compromis. Le ministre du logement voulait un maximum de logements en construction et en location : c'est un objectif louable que nous partageons tous. Faut-il le mettre avant l'objectif climatique ? On en débat. Contrairement à ce que beaucoup croient et à ce que propagent les médias, le Président de la République ne décide pas tout seul : il laisse son Premier ministre arbitrer en fonction des arguments des différents ministres. Nous sommes en démocratie et non dans un pouvoir de droit divin ou de droit purement présidentiel.

Nous prenons des décisions sur le fondement d'énormément d'études et de mesures. Nous avons défini les passoires énergétiques - le DPE a été revu... Cela permet d'éclairer les décisions. Ensuite, il y a des pressions médiatico-politiques. On décide dans un sens ou l'autre au final.

Il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte pour le logement, notamment énormément de situations différentes, comme, par exemple, une personne retraitée qui réside dans un logement des années 1970 dans les Ardennes, où le prix des logements était très bas. Certains logements avaient une valeur négative ou proche de zéro, car personne ne voulait les acheter. Faut-il ne rien faire ? Non, il y a toujours un chemin pour l'action.

Cela explique l'empilement de dispositifs différents. Régulièrement, on nous dit qu'il faut simplifier. Et à chaque fois, soit on simplifie énormément et cela provoque des dépenses énormes, car les dispositifs touchent de très nombreuses personnes, soit cela ne couvre plus la totalité des situations et les gens se plaignent.

Le critère des émissions de gaz à effet de serre est un sujet concret, qui diffère du critère des dépenses énergétiques. Paradoxalement, sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy, on a alourdi très fortement par un mode de calcul un peu artificiel ce qu'on pensait être l'impact CO2 d'un chauffage électrique. Du coup, on a construit énormément de logements neufs avec des chaudières au gaz, voire au fioul. Ce n'est pas logique. Dans un logement très bien isolé, je pense que le chauffage électrique est assez adapté parce qu'il y a moins besoin de puissance, avec, en France, un bilan CO2 voisin de zéro.

Nos décisions étaient fondées sur des évaluations chiffrées.

M. Jean-Pierre Corbisez. - Avec votre fibre écologique, vous parlez d'économies d'énergie, mais pas d'économies d'énergie durables. Lorsqu'on évoque les économies d'énergie, on parle de polystyrène, c'est-à-dire de polyuréthane, ou de laine de verre. Les subventions n'ont pas été différenciées pour favoriser les produits plus écologiques, comme le chanvre. Cela va-t-il changer ? Nous avons un raisonnement très chimique des économies d'énergie, alors qu'il faudrait un raisonnement de développement durable.

M. François de Rugy. - Si l'on instaure trop de critères, le mieux est l'ennemi du bien. La rénovation formidable avec des matériaux biosourcés sera plus chère et beaucoup moins de gens seront capables de l'appréhender - les propriétaires comme les artisans.

Pour autant, le bilan énergétique global d'une construction ou d'une rénovation peut être fait. Un jour ou l'autre, on pourra se passer de la laine de verre. À terme, on pourra remplacer ces matériaux ayant un impact carbone important durant leur fabrication, souvent issus de produits fossiles, par des produits avec un meilleur bilan écologique global. Mais si l'on prévoit toutes ces conditions pour l'octroi de subventions, nous risquons d'avoir relativement peu de travaux réalisés.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous vous remercions de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Audition de Mme Ségolène Royal, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition de Mme Ségolène Royal. Madame la ministre, parmi les nombreuses et importantes fonctions que vous avez exercées, je rappelle, pour ce qui concerne notre commission d'enquête, que vous avez été par deux fois, à vingt ans d'écart, chargée des sujets environnementaux au Gouvernement : la première fois comme ministre chargée de l'environnement, de 1992 à 1993, puis comme ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer chargée des relations internationales sur le climat, de 2014 à 2017.

C'est surtout cette dernière période qui va retenir notre attention, même s'il sera certainement intéressant de comprendre avec vous comment le sujet de la rénovation énergétique a pu mûrir dans le temps alors qu'un pays comme la Suède avait, par exemple, infléchi fortement sa politique dès le choc pétrolier, ce qui n'a pas été le cas dans notre pays.

La période 2014-2017 est marquée par deux événements importants : l'accord de Paris sur le climat en 2015, qui est un peu la toile de fond, et, pour le concret de la rénovation énergétique, la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte, que vous avez portée. Les exigences en matière de sobriété énergétique imposées par l'Accord de Paris et inscrites dans la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) exigent une rénovation profonde du bâtiment en France. C'était l'objectif de la loi pour la croissance verte qui apparaît actuellement comme celle qui a fixé le cadre et les principaux objectifs des politiques menées en la matière, la loi Énergie-climat de 2019 et la loi Climat et résilience de 2021 venant l'approfondir, mais aussi souvent reporter certains objectifs.

Ses objectifs les plus marquants et structurants étaient certainement la mise aux normes bâtiment basse consommation (BBC) du parc d'ici à 2050, la réalisation de 500 000 rénovations de logements par an dont la moitié occupés par des personnes modestes, la suppression des passoires thermiques (F et G) d'ici à 2025  et la réduction de la précarité énergétique de 15 % d'ici à 2020.

Pourtant, actuellement, le bâtiment demeure un secteur particulièrement énergivore, qui représente 43 % de la consommation d'énergie en France, et génère 23 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) français. Le logement représente les deux tiers de ces émissions de GES. La rénovation énergétique reste également une question sociale, puisque 20 % des Français sont considérés en situation de précarité énergétique selon l'Observatoire de la précarité énergétique en 2021.

Il en est de même de l'objectif de 500 000 logements rénovés par an, puisque bien souvent, les travaux se résument à un seul geste alors qu'il faudrait une rénovation globale.

Madame la ministre, je souhaite que vous puissiez nous éclairer sur le bilan que vous tirez de votre expérience, que vous puissiez nous dire quels sont vos motifs de satisfaction et vos regrets. Vouliez-vous aller plus loin et, si la réponse est positive, qu'est-ce qui vous en a empêché ?

Je voudrais également vous inviter, avec le recul et la hauteur de vue qui sont les vôtres, à nous donner votre analyse des raisons pour lesquelles les objectifs affichés n'ont pas été atteints. Quels jugements portez-vous sur la politique qui a été menée en matière de rénovation depuis maintenant un peu plus de cinq ans ?

Cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et fera l'objet d'un compte rendu publié.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Ségolène Royal prête serment.

Mme Ségolène Royal, ancienne ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie. - Je suis très honorée d'être devant vous pour évoquer cet important sujet qui m'a toujours passionnée et mobilisée. Vous avez l'expérience des actions locales.

Lorsque je suis arrivée à ce ministère, j'avais déjà tenté, parfois avec succès, à faire de ma région une région d'excellence environnementale. En 2004, lorsque je suis arrivée à sa tête, j'ai construit le premier lycée à énergie positive : un lycée professionnel à côté de Poitiers, que j'ai nommé lycée Kyoto. Toutes les opportunités sont bonnes pour apprendre, et j'ai voulu reprendre le nom du premier protocole sur le climat. Il utilisait des énergies renouvelables, prévoyait la récupération des eaux de pluie, avait une bonne isolation et une bonne performance énergétique...

À mon arrivée au ministère, j'avais déjà vu quels étaient les opportunités opérationnelles et les freins à la rénovation énergétique, notamment pour le logement social ; cela devait être pareil dans vos territoires. À l'époque, on supprimait les cheminées des logements sociaux en milieu rural. Lors de mon enfance dans les Vosges, on se chauffait au bois et les chambres n'étaient pas chauffées. On apprenait les économies d'énergie... Cela paraît relever du siècle dernier. J'avais demandé de laisser les cheminées, mais on m'opposait les risques d'incendie. Mais en milieu rural, les gens savent parfaitement se chauffer au bois : cela fait des générations qu'on le fait.

Au ministère, j'avais eu plaisir à relancer la filière du bois de chauffage et la cogénération. Ce sont des filières formidables, et la France a un potentiel forestier très important.

Je me suis dépêchée de faire voter la loi de transition énergétique pour la croissance verte avant la COP21, afin que la France soit exemplaire et anticipe les contraintes de la COP dans notre propre stratégie nationale et dans notre stratégie bas-carbone.

Cette loi visait trois objectifs : lutter contre le réchauffement climatique, réduire la facture énergétique - le déficit de la balance commerciale s'élevait à 70 milliards d'euros - et développer des filières de compétitivité et d'innovation dans ce domaine, avec deux leviers opérationnels - l'international et le local.

Dans cette loi, j'ai proposé les territoires à énergie positive, car la première préoccupation des élus, c'est l'isolation des bâtiments municipaux, en particulier pour réaliser des économies d'énergie, et le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), sans condition de ressources, afin que chacun puisse isoler son logement. C'était un crédit d'impôt et non une déduction fiscale : même les personnes non imposables bénéficiaient du reversement de l'équivalent de l'investissement, soit 8 000 euros par personne, 16 000 euros pour un couple.

La performance énergétique concerne au premier chef les bâtiments, car ils représentent les deux tiers de notre consommation énergétique, bien avant les transports et l'industrie ; le potentiel est considérable. Dans ce secteur, les décisions peuvent être individuelles, municipales, départementales, régionales, nationales, industrielles ou commerciales... Honnêtement, il devrait déjà y avoir des centrales solaires sur tous les aéroports, sans parler de la récupération des eaux de pluie pour laver les avions au lieu d'utiliser de l'eau potable. Tout ce processus est un peu trop lent, comme cela avait été dit durant les débats sur le projet de loi. Mais c'est consensuel : ces sujets passionnaient tout le monde, et les votes étaient acquis à l'unanimité.

L'autre objectif de la loi était de ne pas opposer les énergies les unes aux autres. Je passe sur la polémique sur le nucléaire, parce que cela ne concerne pas le bâtiment. Il faut produire des énergies propres, sûres et les moins chères possible. C'est dans ce cadre que se situent les enjeux d'économie d'énergie, de performance énergétique et le grand chantier du bâtiment. Cela permet de faire baisser les factures, de créer des emplois dans le bâtiment, et d'économiser l'énergie au niveau national. Il n'y a que du positif, c'est gagnant-gagnant pour tout le monde.

Vous avez détaillé certains outils dont j'ai inscrit la création dans la loi. D'abord, ce furent de nouvelles règles pour réduire les coûts, avec des bâtiments à énergie positive et à faible empreinte carbone. J'avais comme idée, mais c'était trop audacieux pour l'époque, que tous les nouveaux bâtiments soient à énergie positive. Certains sont déjà construits, notamment des logements. Cela me semblait évident, mais la filière du bâtiment résistait beaucoup. Elle a fait preuve de beaucoup d'inertie, et a fait supprimer l'individualisation des frais de chauffage et de nombreuses autres mesures. Je leur expliquais que ce projet était dans leur intérêt, notamment pour développer des savoir-faire, créer des emplois, conquérir des marchés à l'international... Mais les réticences étaient nombreuses.

Il n'est pas trop tard pour que tous les bâtiments soient à énergie positive, ce qui est mon idéal. Un bâtiment à énergie positive produit au moins autant, voire plus d'énergie qu'il en consomme. La facture des habitants s'élève à 3 ou 4 euros par mois, c'est formidable. Cela suppose la mise en place de panneaux solaires sur le toit quand c'est possible, une performance énergétique exceptionnelle, la récupération de la chaleur le long des circuits et à proximité de la chaudière ou des cuisines, pour éviter toute déperdition. Ces techniques sont maîtrisées et se développent. Désormais, on maîtrise les techniques pour l'isolation des toitures, des portes, des fenêtres, des façades. Il est donc tout à fait possible de construire des bâtiments à énergie positive actuellement.

Ensuite, j'avais prévu une obligation d'isolation en cas de ravalement. On m'a opposé qu'il y avait des bâtiments remarquables ou classés, notamment en Alsace ou en Normandie avec les pans de bois... Mais bien sûr, je prévoyais des exceptions. La filière du bâtiment estimait que c'était trop tôt, trop vite, que les échafaudages coûtaient cher. Cela n'a pas été rétabli. Mais plus on fabriquera d'échafaudages, moins cela coûtera cher. Il faut aussi mettre au point des matériaux intéressants, notamment issus de l'agriculture française, qui a l'un des tout premiers potentiels en matière de production de biomasse, y compris de matériaux d'isolation, comme le chanvre. J'avais développé le chanvre dans ma région, car c'est l'un des matériaux les plus isolants pour l'efficacité énergétique.

Malheureusement, le coût des travaux a augmenté. Désormais, un ravalement coûte encore plus cher. Cela veut dire que nous avions raison, en 2015, d'imposer cela. Difficile désormais de faire à la fois le ravalement et l'isolation. C'est dommage.

Je voulais imposer des compteurs individuels de frais de chauffage. Quelle bataille ! J'avais lu dans des rapports parlementaires, notamment de pays voisins, que le calcul individuel des frais de chauffage dans un logement collectif provoque une réduction de la consommation de 70 %. C'est vrai : les habitants, lorsqu'ils partent au travail ou en vacances, ferment alors le radiateur. Tandis que si le chauffage est collectif, ils ne voient pas l'impact sur la facture. Nous avons des compteurs individuels d'eau, pourquoi pas de chauffage ? Cette disposition a été supprimée sous la pression des syndics de gestion, alors qu'elle était très efficace et beaucoup plus juste.

Pour être exacte, je précise que nous avons fait face à la grande résistance des offices d'HLM. Leur réaction me scandalisait : ils auraient dû être les premiers à réclamer l'individualisation des frais de chauffage, qui permet de diminuer la facture de tout le monde.

Pour ce qui concerne l'habitat collectif, on m'opposait un autre argument : ceux qui vivent au rez-de-chaussée et au dernier étage auraient eu davantage de frais de chauffage que les résidents des étages intermédiaires. Mais on aurait très bien pu prévoir une péréquation, par exemple à hauteur de 10 % de la facture. Il n'y a pas de problème sans solution.

J'avais prévu un bonus de constructibilité pour les constructions exemplaires du point de vue énergétique et environnemental. Je ne sais pas s'il a été maintenu, mais je vous assure qu'il était très efficace. Les constructeurs faisaient valoir qu'en optant pour un bâtiment en bois ils perdaient en mètres carrés habitables et en hauteur sous plafond, les murs et les planchers étant plus épais, notamment du fait de l'isolation ; au total, ils perdaient un demi-étage. Ce bonus, réservé aux bâtiments à haute performance environnementale, permettait de tenir compte du différentiel.

Ensuite, on a déployé le soutien aux particuliers pour financer la rénovation énergétique de leur logement, avec la réforme de l'éco-prêt à taux zéro et le CITE, dispositifs dont j'ai autorisé le cumul.

Aujourd'hui, il y a MaPrimeRénov'. Pour la demander, il faut remplir un dossier de dix pages ; pour obtenir le CITE, il suffisait de cocher trois cases lors de la déclaration d'impôt. C'est dire si j'avais simplifié la procédure.

Le ministère des finances a beaucoup de talent pour inventer des déductions fiscales inapplicables. D'ailleurs, le dispositif antérieur ne comptait que très peu de bénéficiaires, car il fallait obligatoirement faire plusieurs travaux : par exemple, il fallait isoler à la fois les combles et les fenêtres. Or les gens n'ont pas forcément les moyens de faire tout, tout de suite ; ils ont souvent besoin d'étaler sur deux ou trois ans le coût des travaux et les investissements nécessaires.

Avec le crédit d'impôt, c'était très simple : vous faisiez les travaux que vous vouliez et vous aviez votre déduction fiscale. C'était extraordinaire.

Pour que les gens ne se fassent pas rouler par de mauvais artisans, nous avons créé un conventionnement. Les professionnels devaient prouver leur compétence et justifier les prix qu'ils pratiquaient. En effet, il fallait éviter l'effet de cliquet conduisant à une augmentation artificielle des prix. À ce titre, nous avions établi une liste d'artisans homologués pour faire les travaux d'économies d'énergie.

Le crédit d'impôt a été supprimé du jour au lendemain et cette décision a eu des conséquences dramatiques. Les artisans avaient fait l'effort de se former, de former leurs salariés et de recruter, car le nombre de chantiers avait explosé, notamment pour l'isolation des portes, des fenêtres et des combles. L'isolation des murs était un peu plus onéreuse, mais si le CITE avait été maintenu les particuliers l'auraient faite au cours des années suivantes, que ce soit par l'extérieur ou par l'intérieur. Ce sont peut-être 10 000 emplois qui, au total, ont été supprimés dans le secteur de l'isolation des fenêtres.

Dans ces domaines - c'est une réflexion personnelle -, il faut de la continuité. Les changements perpétuels sont insupportables pour les entreprises. Les noms des dispositifs et des dossiers changent sans cesse alors même qu'il faut laisser aux entreprises le temps de s'adapter. Elles ont travaillé en 2016 et en 2017, puis, en 2018, tout s'est effondré. Si les territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) et le CITE avaient été conservés, aujourd'hui, ce sont peut-être 50 % des bâtiments qui seraient isolés. Tous les bâtiments publics l'auraient été, car tous les maires avaient entrepris de refaire leurs écoles, leurs mairies et leurs salles polyvalentes. Les départements refaisaient leurs collèges. J'avais obtenu 750 millions d'euros ; 750 millions d'euros supplémentaires auraient dû être distribués aux collectivités territoriales, pour former un total de 1,5 milliard d'euros, mais cela aussi s'est arrêté.

En tant qu'élue locale, notamment comme présidente de région, j'avais l'expérience de la complexité des subventions d'État. Voilà pourquoi - je le répète -, j'avais simplifié le dispositif au maximum, au point que, dans un rapport, la Cour des comptes a estimé qu'il n'était pas régulier ; elle s'est ensuite rangée à mes arguments.

Vous connaissez vous aussi les tracasseries qu'entraîne la recherche de cofinancements. L'État donne 10 % ; il faut solliciter le conseil départemental, le conseil régional, la Caisse des dépôts et consignations, etc. Or, pour la loi relative à la transition énergétique, je voulais que l'on aille vite. Dans les territoires à énergie positive, on assurait un financement à 100 % ; de belles opérations ont été menées et elles aussi auraient dû être poursuivies.

On a également mis en place des sociétés de tiers financement ; c'était une solution originale. Par dérogation au monopole bancaire, ces sociétés avançaient aux particuliers qui engageaient des opérations de rénovation énergétique. À ma demande, la Banque européenne d'investissement (BEI) avait accordé un financement à hauteur de 400 millions d'euros. Cette idée m'avait été donnée par des collectivités territoriales, en particulier par des départements, qui, malgré les prêts de la Caisse des dépôts, avaient du mal à emprunter : c'est sur le terrain que j'avais trouvé cette idée, qui s'est révélée formidable. Le tiers financement évitait qu'au prix des travaux ne vienne s'ajouter le coût de l'emprunt. Les collectivités territoriales ont également pu y accéder.

Enfin, nous avons lancé des appels à projets pour des réalisations urbaines innovantes et exemplaires. Au total, seize démonstrateurs industriels pour la ville durable ont été désignés le 23 décembre 2015 en application de la loi relative à la transition énergétique ; j'ai ainsi pu valoriser cette initiative à la COP21. Les opérations urbaines conçues dans ce cadre pouvaient obtenir des financements complémentaires.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci de cet état des lieux précis.

Nous sommes loin des objectifs ambitieux fixés par la loi de 2015, qu'il s'agisse de la rénovation de 500 000 logements ou de la suppression des passoires thermiques. Selon vous, qu'est-ce qui a péché ? Est-ce la suppression de certains dispositifs ou encore un manque de financements ?

À ce titre, vous insistez sur le rôle des territoires. En tant qu'élu local, j'ai constaté que les plateformes de rénovation thermique fonctionnaient et fonctionnent toujours plutôt bien. Elles assurent un accompagnement de proximité, notamment dans les zones rurales, mais elles sont en difficulté dans bon nombre de territoires. Qu'en pensez-vous ?

De même, pourriez-vous compléter l'avis esquissé au sujet de MaPrimeRénov' ? Je comprends l'intérêt du crédit d'impôt, mais il posait tout de même quelques problèmes, qu'il s'agisse des fraudes ou des effets d'aubaine.

Enfin, en matière d'efficacité énergétique, pourriez-vous revenir sur les exemples étrangers dont vous vous êtes inspirée et qui pourraient encore être mis à profit ?

Mme Ségolène Royal. - Les plateformes de rénovation ont été mises en place avec les collectivités territoriales dans le cadre de partenariats très intéressants et très libres, noués notamment avec l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Ademe). D'ailleurs, tous les territoires à énergie positive ont mis en place de telles plateformes.

Lorsqu'ils décident de faire des travaux, les gens sont souvent un peu perdus : à qui s'adresse-t-on ? Comment cela se passe-t-il ? L'intérêt des plateformes - je pense que c'est toujours le cas -, c'était d'offrir des banques de données. Vous voulez installer une chaudière à bois dans un immeuble collectif : vous consultez ces banques en tapant « chauffage bois », vous obtenez la liste des réalisations homologuées et vous pouvez aller les visiter. C'est irremplaçable pour s'informer, d'autant que les ressources artisanales ne se trouvent pas toujours dans votre territoire. Ainsi, beaucoup d'agriculteurs se sont déplacés pour aller visiter des méthaniseurs : ils voulaient voir comment cela marchait et si cela correspondait à leur potentiel. C'est également vrai pour les opérations d'isolation thermique des bâtiments.

L'erreur, c'est l'arrêt des dispositifs mis en place. C'est tellement difficile, c'est un tel combat d'obtenir un crédit d'impôt face au ministère des finances. Pour ma part, je n'ai cessé d'invoquer la COP21 ; j'ai insisté sur la nécessité d'être à la hauteur de ce rendez-vous en faisant des choses exceptionnelles et c'est ainsi que je suis arrivée à arracher les arbitrages. Voir qu'un tel dispositif s'arrête, au-delà des clivages politiques, c'est désolant. Pour que les gens s'approprient ce crédit d'impôt, il fallait qu'il soit connu, que l'on envoie les instructions, que les artisans et entreprises du bâtiment s'y habituent ; beaucoup de personnes ont programmé des travaux, puis tout s'est arrêté du jour au lendemain. C'est tout un potentiel de développement économique qui a été perdu.

Il en va de même des TEPCV, qui assuraient un soutien financier formidable. J'ai vu nombre de maires et de présidents de communautés de communes présenter, au ministère, ce qu'ils avaient réalisé dans leur territoire : c'était merveilleux. La France et ses ressources locales étaient représentées dans toute leur diversité. Nombre d'élus qui, auparavant, ne connaissaient rien à l'écologie se passionnaient tout d'un coup pour ces sujets, avant d'en venir à la biodiversité ou aux expériences éducatives menées dans leurs écoles. Un sujet si vertueux que l'environnement permet de tirer tout le monde vers le haut.

Tout en apprenant, les élus menaient à bien leurs projets : c'était très gratifiant pour eux. Quant à moi, j'apportais l'argent. On m'avait promis 1,5 milliard d'euros : quand je suis partie, la première enveloppe de 750 millions d'euros devait être complétée par une seconde d'un même montant, mais elle n'a pas été défendue et la décision n'a pas été mise en oeuvre. De ce fait, beaucoup de collectivités n'ont pas pu réaliser leurs projets.

Plus un dispositif est simple, plus il est efficace et plus les gens s'en saisissent. On m'objectait effectivement le risque de fraude auquel nous nous exposions. On avançait également que les gens auraient fait les travaux, même sans crédit d'impôt. Je répondais : s'ils ont un peu plus d'argent, ils feront autre chose et cela fera marcher le bâtiment localement. Où est le problème ? On m'opposait alors le risque de factures truquées. J'entendais de tels arguments lors des arbitrages interministériels ; mais on ne met pas en place une action politique en s'occupant des fraudeurs. Comment avance-t-on si l'on commence à soupçonner tout le monde de fraude ? Il vaut mieux une ou deux bonnes sanctions, qui auront un effet dissuasif général.

Telle ou telle entreprise a-t-elle fraudé ? Je ne sais pas. Ce qui est vrai, c'est que, quand vous faites refaire votre fenêtre, vous faites repeindre la pièce : en résulte un effet d'entraînement pour la filière du bâtiment. Avec 1,5 milliard d'euros de déduction fiscale, on a dû créer 8 à 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires pour les industries du bâtiment. J'y insiste, après avoir changé vos fenêtres, vous faites refaire la peinture, vous faites l'isolation des combles, puis vous changez de chaudière.

Au ministère des finances, on me disait que ce crédit d'impôt coûtait 1,5 milliard d'euros. Je répondais qu'une telle mesure ne coûte pas, mais qu'elle rapporte. Sur ces 10 milliards d'euros de chiffre d'affaires, il y a des impôts et des cotisations sociales. Il faut prendre en compte tout ce retour sur investissement.

Le crédit d'impôt était de 30 % ; c'était raisonnable. Pour être remboursé de 8 000 euros, il fallait dépenser 24 000 euros en travaux : les gens étaient incités à faire plus de travaux et, surtout, à commencer par l'isolation des fenêtres.

Si vous voulez améliorer votre intérieur, vous pouvez très bien vous dire : « Je n'ai pas les moyens d'isoler les fenêtres, mais je vais donner un bon coup de peinture et acheter des meubles sympas. » Or, en isolant les fenêtres, vous économisez de l'énergie, vous limitez la production de CO2 et vous participez à la protection de la planète. C'était bel et bien un cercle vertueux.

M. Laurent Burgoa. - Si vous reveniez aux responsabilités, rétabliriez-vous le crédit d'impôt ?

Mme Ségolène Royal. - Bien sûr : il y a encore tant à faire. Je rétablirais le crédit d'impôt et les territoires à énergie positive. Donnez à un maire les moyens d'isoler son école : il le fait tout de suite, d'autant qu'il entretient ainsi le tissu d'artisans de son territoire.

Je prendrais également des mesures pour rendre l'isolation obligatoire et instaurer le calcul individuel des frais de chauffage, qui est tellement efficace : quand vous regardez votre facture d'eau, vous faites attention dès lors que votre consommation augmente. Sans compteur, vous ne vous rendez pas compte de l'effort que vous faites en matière de chauffage.

Quand j'étais ministre, on s'étonnait que j'éteigne la lumière en sortant de mon bureau - j'ai été éduquée comme cela. J'avais d'ailleurs donné des instructions pour que chacun fasse de même. Au début on riait sous cape, puis tout le monde en a pris l'habitude. Ne l'oublions jamais, ce sont les contribuables qui paient l'énergie.

M. Michel Dagbert. - Vous relevez que, grâce à un certain nombre de dispositifs créés sur votre initiative, les élus locaux avaient gagné en compétence en matière d'écologie. J'ai eu l'honneur de présider un département qui compte 125 collèges : je vous confirme que, pour ce qui concerne la rénovation énergétique des bâtiments, cette conscience écologique est aujourd'hui acquise.

De même - vous le soulignez avec raison -, nous pouvons aujourd'hui télécharger sur nos téléphones des applications qui facilitent le suivi de nos consommations et donc la gestion de l'énergie.

Enfin, dans le cadre d'un programme d'échanges européens, j'ai eu l'occasion de me pencher sur la géothermie à partir des eaux d'exhaure. Notre pays compte plusieurs territoires miniers, dans l'Est et dans le Nord-Pas-de-Calais notamment : ils permettraient de déployer cette énergie que j'ai pu voir fonctionner en Hollande, certes à titre expérimental, notamment pour alimenter les équipements publics et les logements collectifs. Pourquoi la France freine-t-elle tant ?

Mme Ségolène Royal. - J'ai le plus grand intérêt pour la géothermie - comme l'hydroélectricité, cette énergie a le formidable avantage de résoudre le problème du stockage. Ainsi, lorsque j'étais ministre, j'ai rouvert en Guadeloupe une usine de géothermie à laquelle plus personne ne croyait. En la matière, peut-être avons-nous perdu des savoir-faire et des ingénieurs.

J'ajoute qu'à la COP21 le président islandais m'avait convaincue de créer avec lui une coalition « Géothermie ». C'est par la géothermie qu'il a sauvé son pays de la faillite. Il a eu le génie de se dire : « Nous avons une terre volcanique. Nous allons développer notre pays par la géothermie. » Dès lors, l'Islande a retrouvé une croissance économique incroyable. Ce pays est le premier producteur de bananes par habitant, grâce à ses serres entièrement chauffées par la géothermie. L'énergie, sauf pour les voitures, est gratuite dans toute l'île.

Ainsi, le président islandais et moi-même avons adressé un appel à projets à toutes les délégations étrangères et créé un groupe de recherche scientifique. À notre grande surprise, nous avons vu arriver plusieurs représentants d'États africains, notamment l'Éthiopie. Beaucoup de pays, qui jusqu'alors ignoraient complètement la présence de cette ressource dans leur sol, sont aujourd'hui équipés en géothermie. Vous avez parfaitement raison : cette énergie est rarement en tête des priorités, mais il faut la développer partout où c'est possible. C'est évident.

M. Laurent Somon. - Le programme « Habiter mieux » accuse d'importants retards : que pensez-vous du rôle actuel de l'Agence nationale de l'habitat (Anah) en matière de rénovation thermique ?

Mme Ségolène Royal. - Les programmes de l'Anah sont destinés, non à l'ensemble de la population, mais aux personnes modestes. Mais, dès lors que le crédit d'impôt a disparu, un certain nombre de personnes se sont tournées vers cette agence, car elles n'avaient pas les moyens de mener leurs travaux sans une aide.

Si auparavant l'Anah fonctionnait bien, c'est parce que, grâce au crédit d'impôt, ceux qui pouvaient payer un peu n'insistaient pas pour bénéficier de ses programmes. En parallèle, j'imagine que ses crédits de fonctionnement ont diminué. À mon sens, il faudrait recentrer l'Anah sur les personnes les plus modestes et rétablir un crédit d'impôt, bien sûr en contrôlant les prix des travaux. Un tel dispositif bénéficierait notamment aux classes moyennes.

J'avais refusé d'assortir le crédit d'impôt de conditions de ressources, car, selon moi, il fallait commencer par développer les travaux. Ce choix nous épargnait des opérations de contrôle qui nous auraient fait perdre des mois ; il évitait également des effets de seuil. Mon raisonnement était le suivant : plus il y aura de travaux, plus les artisans et les entreprises du bâtiment pourront se développer grâce aux technologies de performance énergétique. En retour, tout le monde en profitera grâce à la baisse des prix. À l'inverse, si l'on fixe des conditions de ressources très strictes, on ne permet pas au marché de grandir suffisamment pour que les entreprises investissent.

Le but était donc de créer une masse de travaux, un marché solvable au cours de la première année pour que les entreprises puissent investir, former des employés en les payant correctement et faire attention aux matériaux qu'elles utilisent. Peut-être aurions-nous pu ajouter des conditions de ressources deux ou trois ans plus tard, une fois que tout aurait été en place. Ceux qui ont le plus d'argent auraient déjà fait leurs travaux et l'on aurait pu concentrer les investissements sur les autres catégories ; mais il fallait commencer par créer un marché.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Qu'il n'y ait pas de conditions de ressources, je l'entends ; mais, pour les foyers les plus précaires, ce qui bloque, c'est le reste à charge. Aussi, la question du reste à charge zéro se pose quand même. Aviez-vous eu l'occasion d'y réfléchir ?

Mme Ségolène Royal. - Dès lors qu'un crédit d'impôt existe, c'est l'Anah qui a vocation à couvrir le reste à charge et même à avancer les fonds des travaux le cas échéant.

Par ailleurs, nous parlons des propriétaires. Si vous êtes un propriétaire modeste, vous êtes tout de même propriétaire et l'Anah intervient directement pour vous. Mais vous pouvez aussi être propriétaire et louer à une personne modeste - c'est quand même le cas de figure le plus fréquent - sans être pour autant une personne modeste.

Le nombre de personnes modestes, qui sont propriétaires, mais n'ont pas les moyens de faire les travaux, est somme toute relativement restreint. Pour ce qui les concerne, vous avez raison, l'Anah peut prendre en charge la totalité des travaux.

M. François Calvet. - Que pensez-vous de l'installation de panneaux solaires sur les toits plats, notamment ceux des HLM ? Avez-vous une idée de la production d'énergie qui pourrait en résulter pour notre pays ?

Mme Ségolène Royal. - Aujourd'hui, l'hydroélectricité mise à part, les énergies renouvelables produisent à peu près l'équivalent de six réacteurs nucléaires. Une telle mesure pourrait facilement représenter un ou deux réacteurs supplémentaires.

Il existe deux mécanismes distincts : l'autoconsommation et l'alimentation du réseau. Dans le second cas, le propriétaire est remboursé à hauteur de ce qu'il revend. C'est souvent la solution retenue pour les bâtiments collectifs ; elle permet de diminuer les charges énergétiques de l'ensemble des habitants de l'immeuble.

Pour ma part, je voulais que tous les nouveaux bâtiments soient obligatoirement à énergie positive. Certes, il s'agissait d'une révolution, mais l'histoire est ponctuée de sauts technologiques. Quand on est passé du téléphone fixe au téléphone portable, il y a eu un saut technologique : il faut faire de même en matière d'énergie. À un moment, il faut bien se lancer.

À cet égard, ce que vous dites est très juste : on pourrait tout à fait décider que tous les toits pouvant être équipés en panneaux solaires doivent l'être, notamment dans les régions ensoleillées.

On pourrait commencer par équiper les bâtiments des aéroports - j'ai bien des fois proposé au président d'Aéroports de Paris (ADP) d'installer des centrales solaires sur ses toits - ou encore les grandes surfaces : cela devrait être obligatoire, comme la récupération de l'eau de pluie. Les gens renâclent dès que l'on crée une contrainte, même quand c'est dans leur intérêt. Au cours des dernières années, les prix des travaux ont augmenté et, depuis, ils auraient fait des économies d'énergie.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Comment jugez-vous la politique conduite aujourd'hui en faveur de la rénovation thermique ?

Mme Ségolène Royal. - De petites choses sont faites, comme MaPrimeRénov', mais elles ne sont pas à la hauteur. Pourquoi casser ce qui marche ? On pourrait en dire autant dans de nombreux domaines. Pourquoi abîmer ce qui fonctionne ? Cela n'appartient pas au ministre en exercice : cela appartient à la Nation.

Il faut assurer l'application du principe de non-régression, qui est inscrit dans la loi, par exemple, en donnant un droit de veto au Sénat. J'ai eu l'occasion d'appeler Nicolas Hulot lorsqu'il était ministre pour lui dire : « Comment avez-vous pu laisser supprimer tout cela ? » Il me répondait : « Je ne sais pas, ce sont les arbitrages. » De mon côté, j'insistais sur le principe de non-régression.

Ce sont les principes qui nous permettent de tenir : cela vaut aussi pour le législateur, d'autant que les dispositifs en question ont été votés à l'unanimité de l'Assemblée nationale et du Sénat.

M. Michel Dagbert. - Votre proposition est surprenante dans un pays où l'alternance démocratique fait partie de la règle du jeu politique.

Mme Ségolène Royal. - C'est une bonne remarque ; mais je pense qu'il y a une exception dans le domaine environnemental.

M. Michel Dagbert. - En somme, vous souhaitez garantir la durabilité des lois relatives au développement durable.

Mme Ségolène Royal. - Oui. À l'instar de la séquence « éviter, réduire, compenser », le principe de non-régression est au fondement même de la transition énergétique, et il est inscrit dans la loi. De même, l'accord de Paris sur le climat s'impose à tous : en la matière, il ne devrait pas être possible de reculer.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci d'avoir accepté de répondre à nos questions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 20 h 05.