Mardi 28 mars 2023

- Présidence de M. Pierre Cuypers, vice-président -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Audition de MM. Pierre Claquin, directeur « marchés, études et prospective » de FranceAgriMer, de Patrick Aigrain, chef du service « Analyses et fonctions transversales et multifilières », et de Mme Aurore Payen, cheffe de l'unité « Analyses transversales »

M. Pierre Cuypers, président. - Bonjour à tous. J'ai l'honneur de représenter, aux côtés de notre rapporteur, le président Devinaz qui n'a pas pu être présent lors de cette audition.

Nous poursuivons les travaux de notre mission d'information sur le développement d'une filière de biocarburants, carburants synthétiques durables et hydrogène vert par l'audition de M. Pierre Claquin, directeur « marchés, études et prospective » de FranceAgriMer, établissement national des produits de l'agriculture et de la mer.

Monsieur Claquin est accompagné par M. Patrick Aigrain, chef du service « Analyses et fonctions transversales et multifilières », et par Mme Aurore Payen, cheffe de l'unité « Analyses transversales ».

Cette réunion est captée et diffusée en direct sur le site Internet du Sénat, sur lequel elle pourra ensuite être consultée en vidéo à la demande.

Madame et Messieurs, notre mission d'information comprend des membres issus de différentes commissions, qui représentent l'ensemble des groupes politiques du Sénat.

Le développement des filières de biocarburants, de carburants synthétiques durables et d'hydrogène vert représente un enjeu important pour permettre à la France et à l'Union européenne d'atteindre l'objectif de neutralité carbone à l'horizon 2050, mais aussi pour notre souveraineté et la compétitivité de notre économie.

La France a développé une politique ambitieuse en matière de biocarburants, qui a eu des effets significatifs, tant en termes de production que d'incorporation de biodiesel ou de bioéthanol dans les carburants. Ces orientations se trouvent aujourd'hui contestées ou interrogées, par la Cour des comptes comme par des organisations non gouvernementales. L'organisation « Transport & Environment », que nous avons auditionnée il y a deux semaines, a ainsi tenu un discours très critique sur le bilan des biocarburants. Vous pourrez nous faire part de votre analyse en retour. Nous nous intéressons également à la problématique des conflits d'usage et, sur ce point également, nous serons heureux d'entendre FranceAgriMer qui, je le rappelle, accueille en son sein une commission thématique interfilières consacrée à la bioéconomie.

Notre rapporteur, Vincent Capo-Canellas, vous a adressé un questionnaire qui peut vous servir de guide, mais sentez-vous libre dans votre propos introductif !

Je passerai ensuite la parole à notre rapporteur puis à l'ensemble de mes collègues, afin qu'ils puissent vous relancer et vous poser un certain nombre de questions.

Vous pourrez nous transmettre ultérieurement des réponses écrites aux questions qui vous ont été adressées.

Monsieur Claquin, je vous cède la parole pour une quinzaine de minutes.

M. Pierre Claquin, directeur « marchés, études et prospective » de FranceAgriMer. - Merci Monsieur le Sénateur. Je ferai une brève introduction avant de céder la parole à mes collègues.

FranceAgriMer est un établissement public sous tutelle du ministère de l'agriculture qui a pour mission d'aider les filières agricoles de la pêche et de l'aquaculture - de l'amont jusqu'à la consommation - de plusieurs façons. L'aide peut être financière, FranceAgriMer étant organisme payeur pour un certain nombre d'aides, européennes ou nationales. FranceAgriMer apporte également des éléments d'analyse objective sur l'évolution des marchés et des filières et sur les défis auxquels ils doivent faire face. Nous participons également à la concertation en facilitant le dialogue au sein des filières et entre les acteurs professionnels et la sphère publique. FranceAgriMer est ainsi un lieu d'échanges entre les professionnels et les différents départements ministériels intéressés.

France Agrimer a une dimension essentiellement économique. Nous n'avons pas de compétence énergéticienne comme l'Agence de la transition écologique (Ademe). Nous vous présenterons notre activité et ce sur quoi nous pouvons éclairer la mission, notamment sur la notion de conflit d'usage.

Mme Aurore Payen, cheffe de l'unité « Analyses transversales » de FranceAgriMer. - Je vais commencer par présenter les sujets que nous traitons et ceux que nous ne traitons pas.

Nous traitons la question des biocarburants issus de la biomasse, qu'ils soient conventionnels ou avancés. Nous ne traitons pas les sujets d'hydrogène vert, issu de l'électrolyse de l'eau, ou de carburants synthétiques, issu d'hydrogène qui n'est pas nécessairement issu de la biomasse combinée au CO2. Nous suivons ces deux sujets, mais il ne s'agit que d'une veille et nous n'avons pas d'éléments à apporter.

Les données que nous traitons sont issues de la statistique agricole et alimentaire, notamment de la politique agricole commune. Nous avons des données sur les surfaces, les rendements, les productions, etc., et sur certains usages, notamment les usages alimentaires.

Les statistiques qui portent sur le volume de biocarburants et le volume de biocarburants incorporés dans les carburants relèvent du ministère de l'environnement. Nous échangeons avec eux, mais ce ne sont pas des données qui sont produites par FranceAgriMer.

Certaines questions sont soumises au secret statistique. FranceAgriMer ne les mesure pas. Il s'agit par exemple de l'usage du sucre en biocarburant. Il n'y a pas assez d'acteurs en France pour pouvoir publier ces données.

Nous réalisons des travaux de conjoncture sur les biocarburants. Nous regardons les cours et les prix des matières premières et les échanges internationaux. Nous avons des éléments pour juger de la compétitivité des biocarburants en France et dans certains pays étrangers. Cependant, nous ne nous intéressons pas aux aspects santé ou environnement, sur lesquels nous ne réalisons qu'une veille.

S'agissant des biomasses étudiées, nous nous intéressons aux cultures dédiées à des usages non-alimentaires, qu'il s'agisse des coproduits des industries alimentaires et des résidus de culture. La forêt et le bois sont suivis plus précisément par l'Institut national de l'information géographique et forestière (IGN) et l'Ademe, de même que les déchets urbains ménagers. FranceAgriMer a un rôle d'agrégateur de données publiques, mais on ne traite pas spécifiquement ces ressources-là.

La bioéconomie a une définition assez large puisqu'il s'agit de l'utilisation de la transformation des ressources issues de la photosynthèse, y compris de manière indirecte via les animaux. L'unité bioéconomie de FranceAgriMer s'occupe spécifiquement des usages non-alimentaires, car, historiquement, FranceAgriMer est issue de la fusion des offices agricoles. Il existe donc déjà des unités qui sont dédiées aux filières alimentaires.

FranceAgriMer a trois grands volets de compétences :

- étudier/analyser, avec une production de données économiques sur différentes filières ;

- concerter, avec l'organisation de groupes de travails, notamment sur la question des biocarburants ;

- accompagner, même s'il n'y a pas d'outils spécifiques pour accompagner, d'un point de vue financier, les filières de la bioéconomie. FranceAgriMer participe cependant à des dispositifs France 2030.

Pour les biocarburants, nous sommes donc sur les volets étudier/analyser et concerter.

Sur le volet étudier/analyser, nous avons une base de données qui est l'Observatoire national des ressources en biomasse, qui cherche à identifier les différents gisements de matières premières et cherche à indiquer les différents usages qui en sont faits lorsqu'ils sont connus. Nous réalisons des fiches filières sur le bioéthanol et le biogazole, disponibles sur le site de FranceAgriMer, et une note de conjoncture sur les biocarburants.

En ce qui concerne le volet concertation, nous avons un observatoire des marchés sur les biocarburants et sur les coproduits animaux. Nous invitons les intervenants extérieurs sur les sujets réglementaires et d'actualité pour en discuter avec les professionnels.

Nous finançons des études qui vont être menées par des prestataires externes pour alimenter nos deux volets étudier/analyser et concerter. Nous avons notamment une veille concurrentielle sur les biocarburants.

Pour la concertation, nous avons une commission thématique interfilière sur la bioéconomie avec quatre groupes de travail qui portent notamment sur les biocarburants. La commission se réunit deux fois par an et les groupes de travail deux à trois fois par an. Ces groupes de travail rassemblent les représentants des administrations, des professionnels et des experts.

Dans le groupe de travail sur les biocarburants, nous traitons plus spécifiquement de certaines matières premières : les céréales, betteraves et cannes à sucre qui vont produire du bioéthanol pour les biocarburants conventionnels ; les oléo-protéagineux pour la production de biogazole pour les biocarburants conventionnels ; les marcs et lies, la mélasse, les graisses animales et les huiles usagées pour les biocarburants avancés. On ne traite pas spécifiquement l'hydrotraitement des huiles (HVO), qui est une technologie détenue par les pétroliers. Or nous n'avons pas de représentant des groupes pétroliers au sein de notre groupe de travail.

Nous traitons des questions relevant de la première génération (1G). Les résidus cellulosiques (2G) et les algues (3G) sont actuellement en cours de développement. Nous n'avons pas encore d'outils spécifiques à la 2G et la 3G, qui n'ont pas encore atteint une échelle industrielle suffisante.

Le groupe de travail sur les biocarburants aborde les sujets suivants :

- les actualités réglementaires et politiques, où nous invitons les administrations à s'exprimer. Un bilan de la taxe incitative relative à l'utilisation de l'énergie renouvelable dans les transports (TIRUERT) et de l'incorporation des biocarburants est réalisé tous les ans ;

- nous invitons des experts à s'exprimer sur certains sujets. Par exemple, l'IFPEN a présenté cette année les différentes technologies de production de biocarburants avancés ;

- nous produisons en propre les analyses de l'Observatoire des marchés sur les biocarburants. Une chargée de mission présente la conjoncture sur les principaux producteurs de biocarburants. C'est un exercice économique avec des suivis de cours, de prix et de volumes ;

- nous réalisons des études ponctuelles, disponibles sur le site de FranceAgriMer, dans le cadre de la mission « éclairer » que nous présentons aux professionnels.

Pour éclairer la question des conflits d'usage, nous avons deux outils. Premièrement, la veille réalisée sur les facteurs de compétitivité sur le marché international des biocarburants, communément appelée la « veille biocarburants ». Son objectif est d'identifier les facteurs qui influencent la compétitivité de la France et de ses concurrents. Nous avons notamment une estimation des surfaces agricoles utilisées pour la production de biocarburants en France et dans le monde. Cette veille identifie les forces et faiblesses des pays compétiteurs pour suivre l'évolution du marché. Les pays sont classés en fonction de différents indicateurs.

Deuxièmement, l'Observatoire national des ressources en biomasse, qui a pour objectif d'identifier et de quantifier les ressources en biomasse disponibles. La question est de savoir quels usages sont faits de ces ressources et ce qu'il reste pour de nouveaux usages. C'est un outil qui a pour but d'éclairer les pouvoirs publics s'il y a un besoin d'arbitrage et d'anticiper les problèmes ou tensions qui peuvent apparaître sur les biomasses.

Concernant la veille sur les biocarburants, elle se décline en six axes de compétitivité :

- le potentiel de production des pays ;

- les conditions agro-climatiques de ces pays ;

- les capacités des opérateurs des filières ;

- le portefeuille de marché des filières ;

- l'organisation des filières ;

- l'environnement macro-économique.

Chaque axe est décliné en plusieurs indicateurs. Cela donne une note synthétique.

En résumé, la France est en compétition avec des pays qui ont un plus fort taux d'incorporation de biocarburants, par exemple 32 % de bioéthanol au Brésil. Certains pays ont un plus fort soutien public. La Thaïlande, par exemple, a une politique de développement de son marché via la généralisation de véhicules compatibles E20 et E85. Certains pays ont des mesures restrictives sur l'importation de biocarburants, de nouveau comme la Thaïlande qui limite les importations de biodiesel.

Certains pays sont très actifs en recherche et développement, comme les États-Unis. Nous considérons qu'il s'agit d'un atout pour ces pays-là. Certains pays ont un marché intérieur qui est plus développé que le nôtre, ici aussi les États-Unis pour le biodiesel. Certains pays ont développé des capacités à l'export supérieures aux nôtres, toujours les États-Unis pour le bioéthanol et l'Allemagne pour le biodiesel. En fonction du mix de matières premières qui est utilisé, la France peut être en compétition avec des acteurs qui ont des ressources moins chères ou un meilleur environnement agro-écologique. Un bon exemple est le Canada, qui a de grosses réserves en eau et une pression pathogène contrôlée, ce qui est un atout pour la culture de colza. Les trois dernières veilles ont été publiées en ligne.

Je vais entrer plus dans le détail pour les surfaces agricoles utilisées pour les biocarburants. Cela fait partie du premier axe de notre veille. Nous utilisons la méthode de calcul suivante : nous partons du volume de biocarburants produit dans un pays, puis nous regardons le mix de matières premières utilisé dans ce pays, ce qui nous permet d'estimer le volume de biocarburant par type de matière première. Nous transformons ces volumes de matières premières en volume de matières premières produites dans ce pays-là, car il y a également des importations et des exportations de matières premières. À partir des volumes de matières premières produites par un pays, nous obtenons le tonnage, à partir du tonnage, les surfaces, puis nous distinguons le pourcentage de la plante qui va être utilisé pour l'alimentation animale ou d'autres usages pour ne conserver qu'un équivalent surface utilisé spécifiquement pour les biocarburants. C'est ce que nous appelons la surface nette de coproduit, soit lorsque l'on enlève tous les autres usages de la matière première, puisqu'une matière première n'est pas exclusivement utilisée pour produire des biocarburants.

Nous suivons, pour la veille biogazole, la France, les États-Unis, le Brésil, l'Indonésie, la Malaisie, la Pologne, la Thaïlande, l'Argentine, le Canada et l'Espagne. Au niveau mondial, les surfaces utilisées pour le biogazole sont en augmentation, mais restent faibles puisqu'elles ne concernent que 0,3 % des surfaces agricoles nettes. Il y a une augmentation en 2019 liée à l'augmentation de la culture de palme dédiée aux biocarburants, notamment en Indonésie et un peu en Malaisie. En France, la surface a plutôt tendance à diminuer, mais l'ordre de grandeur reste le même : environ 3 %. Malgré la diminution des surfaces, nous sommes encore un acteur important en Europe.

Pour le bioéthanol, nous faisons le même constat : les surfaces mondiales sont relativement faibles par rapport à la surface agricole totale. Elles sont relativement stables et les États-Unis forment une catégorie à part, puisqu'ils représentent 50 % de la production mondiale. Les surfaces en France sont stables.

En 2009, 45 % des biocarburants produits étaient issus du maïs, contre 43 % en 2019. Le maïs est la principale matière première utilisée. Cette situation est due aux États-Unis qui utilisent massivement du maïs pour produire du bioéthanol. La palme est en augmentation, en dix ans, elle est passée de 1,4 % des surfaces nettes de coproduit à presque 9 %. Le tournesol, dont l'huile peut être utilisée pour l'alimentation humaine, a baissé pour atteindre 0,2 % en 2019. La betterave (0,5 % en 2009) a également diminué à cause de difficultés pathogènes. Le colza, moins utilisé en alimentation humaine, est passé de 8,4 % à 7,1 %. Les céréales sont stables, mais marginales à l'échelle mondiale.

Les surfaces nettes de coproduits de cannes à sucre dédiées à la production de biocarburants représentaient 15 % des surfaces agricoles de canne à sucre en 2009 et 21 % en 2019. Pour la palme, nous sommes passés de 2,7 % à 18 %. Le maïs est en légère hausse, puisqu'il passe de 5,5 % à 8 %. Le soja de 7,3 % à 8,1 %. Le colza est stable aux environs de 8 %. Les surfaces pour la betterave ont été divisées par deux, passant de 2,2 % à 1,2 %. Le tournesol également, mais le nombre d'hectares est faible. Le manioc est en augmentation, passant de 0 % à 0,5 % et les céréales passent de 0,1 % à 0,2 %.

M. Pierre Claquin. - J'insiste sur l'importance des ordres de grandeur : nous évoquons la part mondiale de la culture concernée qui est dédiée aux biocarburants. Le blé par exemple est à 0,1 %, ce n'est vraiment pas un sujet pour les cultures d'alimentation humaine. Le maïs est une culture alimentation humaine, mais dans le monde, cela reste une culture principalement dédiée à l'alimentation du bétail. Il en va de même pour le soja.

Le fait notable des dernières années, c'est la progression très forte de la palme. Sur les productions occidentales, nous sommes sur une forme de maturité des marchés, qu'il s'agisse de sucre ou d'oléagineux, mais il y a une progression très forte de la palme dans le monde. C'est là que la progression sur les surfaces s'est faite ces dernières années.

M. Pierre Cuypers, président. - Vous voulez démontrer qu'il n'y a pas de concurrence entre usages alimentaires et non alimentaires des surfaces ?

M. Pierre Claquin. - Non. Sans aller jusque-là, s'agissant des cultures alimentaires, nous sommes sur des fractions très limitées. En tout cas, il n'y a pas de problème de concurrence sur le blé, particulièrement au niveau mondial. La production de biocarburants à partir de blé est une spécificité française.

Les principales cultures vont être soit des cultures dédiées comme la palme, soit des cultures d'oléagineux multi-usages. La principale valorisation du soja reste l'alimentation animale.

La canne, principalement travaillée au Brésil, est à double utilisation. La production de biodiesel est répartie dans quelques grands pays : l'Argentine, les pays européens et les pays d'Asie du Sud-Est. Pour le bioéthanol, il y a deux mastodontes - les États-Unis et le Brésil - puis le reste du monde.

Mme Aurore Payen. - L'Observatoire national des ressources en biomasse (ONRB) est notre base qui recense les gisements en fonction de leurs usages. Il contient une grande diversité de produits et notamment des gisements valorisables en biocarburants avancés ou de deuxième génération. Le bois n'apparaît pas dans cet outil, car il relève de l'Institut national de l'information géographique et forestière. Nous sommes en train d'ajouter les algues pour une future troisième génération.

Nous ne produisons pas de données sur le bois, nous produisons des estimations sur l'agriculture à partir des données de la PAC. Pour les industries agroalimentaires, nous utilisons des coefficients. Pour la biomasse aquatique, nous avons récemment mené une étude qui va nous permettre d'approfondir le sujet et de l'intégrer à l'ONRB. C'est un travail continu d'intégrer de nouvelles biomasses dans cette base de données.

Pour l'établir, nous partons d'un volume total produit, tiré des données statistiques de l'Agence de service et de paiement (ASP) de la PAC ou du ministère de l'agriculture. Nous pouvons également nous tourner vers les professionnels. Puis nous établissons le volume théorique disponible en retirant tous les volumes qui ne sont pas récoltables, par exemple du fait de la hauteur de coupe de la paille. Ensuite, nous retirons tous les usages connus : l'alimentation, les matériaux, l'énergie, l'agronomie... Nous obtenons ainsi un volume supplémentaire disponible pour de nouveaux usages. Cela permet de voir quel est le potentiel de croissance sur un gisement, ce qui peut être utile du point de vue des politiques publiques.

Pour autant, tous les usages ne sont pas connus. Une part de la biomasse du volume supplémentaire disponible peut être utilisée sans que nous en ayons connaissance. Tous les critères ne sont pas pris en compte dans le calcul, par exemple le coût de la récolte. Si le prix des carburants augmente, l'agriculteur ne va peut-être pas juger utile d'aller récupérer de la paille sur son champ, compte tenu de ce que cela va lui coûter en carburant et de ce que cela représente en termes de temps de travail.

Par ailleurs se pose la question de la capacité à exploiter au maximum la forêt. Le volume de biomasse supplémentaire disponible est bien une estimation.

M. Pierre Claquin. - Pour être très clair, nous faisons une estimation biophysique. Nous travaillons en volume et non pas en valeur au sens économique du terme. Nous n'avons ni les valorisations ni les coûts associés. Nous ne savons donc pas s'il serait économiquement intéressant d'aller récolter ou valoriser le supplément disponible. L'analyse est bien en volume.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Ce type d'observatoire est très précieux pour nous. Pourriez-vous nous renseigner à la fois sur les volumes constatés et sur ce que vous estimez en potentiel de volumes supplémentaires.

Quel est l'état actuel, quel est le potentiel et comment voyez-vous l'avenir des biocarburants ? Nous entendons parfois dire que les biocarburants ont atteint un palier ou un plafond. Selon certaines analyses, notamment de la Cour des comptes, on approcherait même d'un toboggan. Je le dis de manière un peu brutale, mais c'est pour poser les bases du débat.

Il faudra veiller à nous donner les éléments ou du moins à nous renseigner sur les données actuelles et sur ce que vous pensez du potentiel de développement de cette filière.

M. Pierre Cuypers, président. - Je souhaite compléter la question du rapporteur, en vous demandant de préciser l'énergie consommée par rapport à l'énergie produite ?

M. Patrick Aigrain, chef du service « Analyses et fonctions transversales et multifilières » de FranceAgriMer. - Cet outil pose des questions statistiques qui ne sont pas simples à résoudre.

D'abord, le choix de l'unité n'est pas neutre. L'enjeu est de rendre les données comparables, soit en termes de tonnages, mais ce système de comptage peut ne pas avoir de sens en matière de biomasse -pour le bois, par exemple, tout dépend du taux d'humidité -, soit en termes de contenu énergétique, qui est l'autre système permettant d'agglomérer des unités hétérogènes.

Ensuite, c'est un outil de constatation. Les données ont été rendues publiques en 2012, 2016 et sont actualisées chaque année depuis 2020. En termes statistiques, nous n'avons donc pas assez de recul pour faire des projections. On peut néanmoins tenter de faire des hypothèses à partir de cet outil, mais il ne donne pas de résultats projectifs.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Vous avez des outils formidables et vous êtes un opérateur majeur. Dans le cadre de la programmation pluriannuelle de l'énergie, et de la révision qui va intervenir à l'été, me semble-t-il, quels éléments accumulés nous permettraient de valider une stratégie globale de décarbonation ainsi que la part que les biocarburants peuvent y prendre ?

Mme Aurore Payen. - Nous suivons un grand nombre de matières premières et pouvons vous donner des détails sur des gisements en particulier. Les orientations politiques, qu'elles soient économiques, environnementales ou sociales, vont influer sur le système agricole et les rotations mises en oeuvre, qui vont à leur tour influer sur la quantité de biomasse produite et c'est ce qu'on va mesurer dans l'ONRB. Par exemple, faut-il favoriser les biocarburants par rapport à d'autres usages ? Faut-il prendre en compte les questions de souveraineté ? Faudrait-il favoriser des usages à plus forte valeur ajoutée ? L'ONRB donne simplement des volumes, mais ne permet pas de choisir une orientation politique.

M. Pierre Claquin. - Nous allons certainement être un peu déceptifs sur cette question, mais nous ne sommes pas énergéticiens et une grande partie des dimensions du sujet, que nous n'avons d'ailleurs pas forcément vocation à connaître, nous échappe.

Au sein de FranceAgriMer on peut faire deux choses :

- d'une part, contribuer à éclairer une partie de ces sujets, principalement à travers la mobilisation de la biomasse agricole ;

- d'autre part, mettre en discussion ces sujets avec les différentes familles professionnelles. On fait notamment intervenir les différents ministères, par exemple la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC) sur les évolutions réglementaires, ou l'Ademe lors de la dernière commission thématique interfilières. Nous n'avons pas forcément un avis à formuler sur le sujet, car nous n'en maîtrise pas toutes les dimensions. En revanche, on a vocation à faire échanger l'Ademe avec les acteurs professionnels et les pouvoirs publics.

Concernant le volet relatif aux politiques publiques, nous sommes sous tutelle du ministère de l'agriculture et une partie des champs d'intervention sur les sujets biocarburants relève de la compétence du ministère de l'écologie. Même s'il existe des groupes de travail et une collaboration entre les différents acteurs, nous sommes donc tributaires des échanges avec le ministère de l'écologie, qui n'est pas notre ministère de tutelle.

Les dimensions de souveraineté reviennent sur le devant de la scène avec la guerre en Ukraine et on sait que ce sont des aspects importants du sujet, mais on ne sera pas compétents pour les traiter.

Sur le prochain schéma, vous pourrez observer les multiples relations entre les prix énergétiques et les prix alimentaires. C'est un sujet qui existe depuis au moins vingt ans sur les biocarburants, et qui n'est pas totalement tranché, car il existe de multiples relations entre les prix agricoles et les prix de l'énergie, en particulier pétroliers.

M. Patrick Aigrain. - Vous voyez apparaître sur le schéma qui vous est présenté les principales ressources agricoles servant à fabriquer, d'une part, des sucres et, par fermentation, des alcools et, d'autre part, des huiles ainsi que les produits qui sont incorporés dans le biogazole. Vous voyez qu'on a très rapidement une interférence avec l'alimentation animale et humaine, soit directement soit indirectement. Si on regarde le colza, une grande partie de la production est fléchée vers le tourteau et l'alimentation animale.

La première interférence qui crée un lien entre le prix des produits agricoles et des prix alimentaires, c'est le fait que l'actualité influe sur les coûts de production (engrais, mécanisation ...). La guerre en Ukraine a bien été un facteur d'inflation des produits alimentaires. En outre, certains opérateurs ont des portefeuilles qui comprennent à la fois des produits agricoles et des produits alimentaires, y compris sur les marchés à terme. Ces acteurs jouent de la substitution et des évolutions de prix entre ces différents produits.

À côté de ces liens directs, d'autres politiques publiques créent des liens structurels entre ces productions agricoles et les prix pétroliers, parmi lesquelles, bien sûr, les règles d'assemblage et d'incorporation, mais aussi les incitations à l'économie circulaire, selon que l'on compte double ou non les produits soumis à des exonérations fiscales.

Il y a aussi des questions de maturité technologique. Ainsi pour la deuxième génération, on parle de la « vallée de la mort », c'est-à-dire le temps entre les niveaux de maturité technologique TRL 5 ou 6 (Technology Readiness Level) et l'arrivée vers l'industrialisation. Il y a même des projets où l'on ne parvient pas à passer du site pilote à l'industrialisation. Pour la troisième génération, il y a déjà quelques installations industrielles pour les microalgues, mais cela coûte relativement cher en termes énergétiques.

Le dernier point qui crée de la complexité, c'est la demande future en produits animaux notamment. Si on reprend les prospectives qui ont été faites par l'Ademe, et que demain la consommation de produits carnés diminue, il n'est pas certain que la co-production d'huile et de tourteaux soit maintenue au même niveau puisqu'une partie de l'intérêt économique du colza réside dans l'alimentation animale, qui contribue à l'indépendance protéique de la France. Une diminution de la production animale pourrait avoir un effet sur la production d'huile. Or, la production d'huile en France pour le biodiesel, c'est principalement du colza. Établir un lien direct entre les deux évolutions est toutefois compliqué.

Par ailleurs, certains éléments d'analyse sont documentés dans de nombreuses publications scientifiques, tandis que pour d'autres - l'évolution de la maturité technologique, l'incitation à l'économie circulaire, les contraintes à l'import ou de durabilité - le lien entre les prix pétroliers et les prix alimentaires reste complexe à établir.

M. Pierre Claquin. - Concernant l'impact des biocarburants sur les prix alimentaires, la littérature scientifique est assez abondante et bien résumée par le HLPE-FSN (High Level Panel of Experts on Food Security and Nutrition) de la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture). Il avait été missionné sur le sujet et montrait la multiplicité des canaux par lesquels se font les interactions avec les prix ainsi que la difficulté à en extraire des conclusions. Cela dépend beaucoup des méthodes employées pour aborder cette question : approches par modélisation avec leurs limites ou approches par co-intégration de prix.

Par ailleurs, la littérature scientifique est surtout américaine, alors que la politique d'incorporation n'est pas la même qu'en France. On ne dispose donc pas de transposition simple sur le sujet.

Concernant les technologies, je ne suis pas un expert des 2G et 3G, mais une chose est certaine : la première génération est aujourd'hui disponible et la technologie est relativement mature. La veille concurrentielle que nous effectuons est plutôt favorable à la France.

D'une manière générale, les biocarburants bénéficient de politiques publiques partout en Europe, ainsi qu'ailleurs dans le monde comme en Thaïlande, au Brésil ou aux États-Unis. Dans ces différents pays, les biocarburants se sont développés grâce à l'impulsion politique.

Pour résumer, on dispose d'une bonne compétitivité dans nos filières pour la technologie actuelle, la difficulté concerne les technologies futures. Aujourd'hui, on constate que la partie des biocarburants avancés qui vient compléter les biocarburants de première génération par incorporation, ce sont principalement des huiles usagées.

M. Patrick Aigrain. - Pour compléter le propos, on peut ajouter que ce qui permet de dépasser la limite de 7 % imposée à l'incorporation de biocarburants de première génération, ce sont les eaux pauvres, les mélasses, etc. Aujourd'hui l'objectif en France, qui fait suite à une transposition européenne, est d'atteindre 30 % dans les transports à l'horizon 2030 avec un objectif intermédiaire de 9,5 % pour 2023. Cet objectif ne pourra être atteint qu'avec 7 % maximum de la première génération et le reste, soit 2,5 %, en biocarburants avancés, 2G ou 3G. Or pour l'instant, compte tenu des difficultés de maturité technologique indiquées précédemment, c'est plutôt obtenu par des produits issus de l'incitation à l'économie circulaire que par des productions 2G ou 3G au sens strict.

M. Pierre Cuypers, président. - On a parlé de la première génération, peut-on dire qu'elle a abouti ? Concernant la deuxième génération, j'ai retenu qu'économiquement comme scientifiquement, elle n'est pas aboutie. Beaucoup de personnes rêveraient que nous en soyons à la troisième ou quatrième génération.

M. Patrick Aigrain. - Techniquement parlant, je n'ai pas de compétence pour me prononcer. Mais le fait qu'on ait des difficultés à passer, pour la deuxième génération, d'un site pilote à l'échelle industrielle. C'est tout autant un problème technologique que de gestion de population, de levure ou de micro-organisme à des échelles importantes, qui sont des problématiques complexes relevant de la science. Certes, la preuve que scientifiquement ces procédés fonctionnent existe. En revanche, son industrialisation soulève de réels problèmes.

M. Pierre Claquin. - Si vous regardez les chiffres aux États-Unis, la catégorie des biocarburants avancés ne correspond pas à de la 2G ou 3G, mais essentiellement à du biodiesel.

Mme Nadia Sollogoub, sénatrice. - Existe-t-il des recherches sur la question des plantes invasives ? J'ai toujours considéré qu'une mauvaise herbe est celle dont on n'a pas encore trouvé l'usage. Quand je pense à la jussie ou à la renouée du Japon, si elles trouvaient un usage et devenaient une ressource intéressante, les deux problèmes seraient réglés simultanément.

Mme Aurore Payen. - J'ai connaissance de développements d'usages, mais plus pour des produits biosourcés, la haute valeur ajoutée de ces produits permettant d'exploiter des gisements plus réduits.

M. Patrick Aigrain. - Les biocarburants sont produits à grande échelle. Il faut des volumes importants pour que des filières puissent exister, ce qui suppose de régler certains problèmes logistiques, notamment sur le plan de l'équation économique.

Aujourd'hui, la logistique de l'agroalimentaire prend en charge les carburants de première génération. On pourrait imaginer que la logistique forestière prenne en charge la 2G, mais, si on devait prendre ex nihilo une plante dispersée pour laquelle il n'y a aucune logistique de récolte préexistante et la ramener à un lieu de traitement pour faire un segment de marché pour les biocarburants, alors les prix de cette logistique seraient très importants par rapport aux prix de la matière première. Ce sont des coûts masqués qui n'apparaissent pas pour la 1G, car la logistique agricole les prend en charge.

M. René-Paul Savary. - Dans mon département de la Marne, un pôle de compétitivité autour de la bioéconomie travaille depuis déjà un certain nombre d'années sur ces questions. Je n'ai pas vu figurer dans le schéma le principe de la transformation de la plante dans son entier. Le blé peut être utilisé pour faire de la farine, mais aussi des produits cosmétologiques. Avec la paille, on faisait du bioéthanol qu'on réincorporait dans le sol, avec une forte valeur ajoutée au travers des molécules portails. Le raisin permet certes de produire du champagne, mais aussi des oxydants. Où réside la valeur ajoutée ?

Ma deuxième question concerne le passage du stade pilote au stade industriel, car souvent, le développement se fait à l'étranger. Nous disposons d'une excellente recherche appliquée, à travers nos grandes écoles et universités, on sait faire la transformation préindustrielle, mais ensuite, la finalisation se fait à l'étranger. Est-ce qu'il y a une amélioration sur ce point ? Et enfin, où sont les molécules portails sur votre schéma ?

M. Patrick Aigrain. - Vous avez tout à fait raison, ces molécules sont absentes du schéma que nous vous présentons, qui visait simplement à expliciter de manière simple les relations entre prix pétroliers et prix alimentaires. Il ne traite pas de la totalité de la bioéconomie. Un autre schéma, sans doute aussi complexe, devrait traiter des questions sur les produits biosourcés, la méthanisation ou la bioéconomie, qui ne sont ici pas prises en compte.

Concernant la deuxième question, une usine a été développée aux États-Unis, à Abengoa, pour traiter les cannes de maïs. Elle a été malheureusement obligée de fermer, car cela ne fonctionnait pas. Cet exemple montre que, même aux États-Unis, le passage à l'échelle industrielle pour la 2G s'est révélé être un échec économique. Je ne sais pas s'il y a des difficultés d'accompagnement en recherche et développement en France, mais pour ce qui est du passage à l'échelle industrielle, il n'a pas fonctionné aux États-Unis.

M. Pierre Claquin. - En complément, on a bien conscience qu'en ONRB on raisonne en volume et on traite des grandes masses. En revanche, nous avons bien en tête les questions que vous évoquez et nous disposons d'une étude bientôt finalisée sur la notion de molécules plateformes, c'est-à-dire à forte valorisation et à valorisation en éventail, qui peuvent être recomposées en chimie.

Mme Béatrice Gosselin. - J'ai deux questions, l'une technique, l'autre plus politique. Pouvez-vous nous préciser ce que vous visez lorsque vous évoquez la biomasse aquatique : s'agit-il des coquilles, par exemple ? Vous évoquiez votre double tutelle : ont-elles la même optique, le même objectif en termes de politiques publiques ?

M. Pierre Claquin. - Sur cette deuxième question, les politiques publiques sont très importantes dans la structuration de ces filières, c'est vrai partout dans le monde. Les objectifs d'incorporation par la loi ou les directives européennes sont le fruit de compromis qui sont trouvés au niveau politique. On ne va pas juger ces objectifs, mais ce qui est sûr, c'est que ces politiques publiques sont essentielles pour le développement des filières.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Vous dites que les politiques publiques influent beaucoup, donc si l'on défendait un taux d'incorporation plus important, il y aurait plus de production, mais aurait-on les moyens d'y répondre ?

M. Pierre Claquin. - C'est aux industriels de répondre, mais tout dépend bien sûr du niveau auquel on le placerait. Si on augmente de 1 %, cela ne poserait pas énormément de difficulté, si on doublait le taux, je ne sais pas. Mais ces filières ont un rôle pour renforcer notre souveraineté alimentaire. J'observe d'ailleurs que l'Allemagne importe notre colza.

M. Patrick Aigrain. - Concernant la biomasse aquatique, ce qu'on a traité sur les moules et les huîtres, ce sont les coquilles. Sur les poissons, ce sont les têtes, les arrêtes et la peau. Il s'agit donc de l'utilisation des co-produits puisque notre objectif est de collationner des informations sur les usages non alimentaires de la biomasse.

Mme Martine Berthet. - Pouvez-vous nous parler de vos observations sur la troisième génération, qui fonctionne et qui est déjà mise en oeuvre, ainsi que sur les aspects économiques, sociaux et de manque d'eau ? Comment cette troisième génération peut prendre sa place ? Y a-t-il un sujet de volume ?

M. Patrick Aigrain. - Les aspects que vous abordez nous ont amenés à nous interroger sur les critères de performance possibles de la bioéconomie, donc sur les plans économique, social et environnemental, qui sont les trois piliers de la durabilité.Nous n'avons pas de compétences environnementales ou sociales, mais notre rôle d'agrégateur d'informations nous conduit à nous pencher sur ces questions.

Sur le plan de la 3G, nous savons qu'il existe des usines qui font des extractions d'huile de microalgues pour faire du biodiesel, notamment en Espagne, donc nous sommes passés au stade industriel. Mais je sais qu'il y a aujourd'hui des publications qui pointent le coût énergétique et que tout n'est pas parfait. C'est une des raisons pour lesquelles il faut établir une grille de lecture prenant en compte les trois piliers de la durabilité. Comme pour l'alimentation, en matière de politique énergétique, il est bon d'avoir de la variété.

Mme Aurore Payen. - Une étude scientifique a démontré que les microalgues ne sont pas forcément les meilleures substances à utiliser du fait du coût énergétique des photoréacteurs, ce qui nécessite d'avoir des énergies propres. L'étude évoquait en premier les déchets ménagers, sachant que le problème demeure la masse disponible. Les biodiesels issus d'huiles arrivaient en deuxième position parce qu'elles ont des facteurs environnementaux forts, rapportés aux kilomètres parcourus. Les huiles sont performantes. Par exemple, l'huile de palme avec son rendement est très efficiente par rapport au volume produit, d'où une forte importation en Allemagne.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Nous sommes en recherche de pilotage, donc nous essayons d'être à un niveau plus stratégique.

De ce que je comprends, en première génération, il y a un niveau plutôt stable. Sur la deuxième génération, l'industrialisation et la viabilité économique ne sont pas évidentes, donc il y a également une stabilité. L'Ademe prévoit une faible évolution des bioénergies d'ici 2050. RTE est plutôt sur un scénario de production stable. La Cour a des doutes sur l'impact climatique des biocarburants et sous-entend que c'est plus une façon de rémunérer les agriculteurs que de participer à la décarbonation. Transport & Environment nous a dit qu'on pourrait utiliser les terres à meilleur escient que pour produire des biocarburants. Certains disent même qu'il faut réfléchir à fermer la filière.

De votre tableau, je comprends qu'il faut aussi garder une veille, car les biocarburants peuvent de nouveau prendre un essor.

Quels sont les facteurs de risques qui pèsent sur cette filière et comment peut-on les traiter ?

M. Pierre Claquin. - Tout d'abord, je ne peux pas vous répondre sur la question des biocarburants dans le cadre du mix énergétique, car celui qui est souhaitable pour la France ne relève pas de mon champ de compétences. Il y a beaucoup de dimensions à intégrer, et pas seulement économiques, mais ce n'est pas à moi d'approfondir ce sujet.

D'un point de vue agricole, je ne vois pas les difficultés que ces filières ont créées pour le monde agricole français. Cela a plutôt servi comme un débouché complémentaire, en diversifiant les sources de revenus de la filière. Je ne vois pas la difficulté pour le monde agricole, dès lors que nous sommes sur des cultures sur lesquelles nous n'avons pas de grands problèmes liés à la déforestation.

M. Patrick Aigrain. - Si nous regardons les chocs qui attendent ces filières à terme, il y a éventuellement l'interdiction des moteurs thermiques, mais je ne sais pas ce que cela va donner, car certains États ont déjà dit qu'ils ne mettraient pas en oeuvre la directive. Certaines études disent qu'il faut garder les voitures électriques plus de six ans pour que cela vaille le coup, car avant ce n'est pas optimal en termes d'analyse de cycle de vie.

Ce sont des débats très compliqués, sur lesquels notre seul rôle est de concentrer l'information, la diffuser et les sourcer. Nous avons bien entendu discuté des différents scénarios de l'Ademe, mais cela n'est pas à nous de les juger. La méthanisation est aujourd'hui considérée sur le plan énergétique comme du gaz, mais il appartient aux énergéticiens de se prononcer sur ces aspects-là.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Je réagis à l'annonce d'hier concernant les moteurs thermiques. Se pose une question de définition sur ce que pourront être les carburants synthétiques durables et la manière dont la filière automobile pourrait s'y raccrocher. Une stratégie de niche peut également être envisagée pour certains types d'usage.

M. René-Paul Savary. - Il ne faut pas condamner trop vite les biocarburants : des efforts et des investissements ont été faits, qu'il faut finir de rentabiliser. Les effets médiatiques sur ces filières sont d'une redoutable inefficacité. À travers la mission, il faut quand même montrer que nous n'avons pas fait quelque chose de contraire aux intérêts de la planète. On voit bien les limites du tout électrique.

M. Vincent Capo-Canellas, rapporteur. - Nous sommes ici dans un exercice de confrontation. Lorsque nous avons reçu la filière hydrogène la semaine dernière, nous avons aussi essayé de les pousser dans leurs retranchements.

Disposez-vous d'éléments de comparaison avec les États-Unis ? Quel est le type de biomasse agricole qui vous paraît le plus prometteur pour demain ?

M. Pierre Claquin. - Nous regardons assez attentivement la politique américaine. Nous partageons les évolutions de politique dans le cadre du groupe de travail sur les biocarburants, et les industriels sont aussi attentifs à ce qui se passe là-bas. Ils ont une politique qui ressemble globalement à la nôtre, avec des obligations d'incorporation. Mais ils ont aussi des subtilités, comme un système de RIN (Renewable identification number), que nous n'avons pas en France. Il s'agit d'une capacité à reporter les obligations d'une année sur l'autre et à échanger des obligations d'incorporation. L'analyse du cours du RIN permet dès lors de mesurer le coût de la contrainte associée à l'incorporation.

Mme Aurore Payen. - Concernant les États-Unis, leur appui à la recherche est considéré comme un atout. Ils ont une recherche sur les sélections variétales favorables et ils utilisent des organismes génétiquement modifiés pour les biocarburants, ce qui peut être considéré comme un atout économique. Ils ont aussi moins d'opposants au bioéthanol.

S'agissant de la disponibilité de la biomasse, les gisements alimentaires apparaissent les plus porteurs.

M. Patrick Aigrain. - 50 % des ressources en biomasse proviennent tout de même de la forêt. C'est donc la forêt qui représente la première ressource disponible.

Demain, il y aura aussi des opportunités sur les cultures intermédiaires à vocation énergétique (CIVE). Ce que les chiffres ne montrent pas à l'heure actuelle, c'est que nous pouvons utiliser des cultures intermédiaires qui permettent d'augmenter la production par unité de surface, sans utiliser plus de sols. Ce sont en général des cultures qu'on peut faire fonctionner sans beaucoup d'apports. Lorsque le sol n'est pas laissé nu, on constate une moindre évaporation d'oxyde d'azote, qui a un pouvoir d'effet de serre 400 fois plus grand que le dioxyde de carbone. C'est donc intéressant.

M. Pierre Cuypers, président. - Lors du lancement de la politique en faveur des biocarburants, une directive européenne a fixé des objectifs et des financements. Il avait été défini qu'on pourrait atteindre 10 % d'énergies renouvelables liquides en 2010. Les outils industriels ont donc été constitués en vue d'atteindre une capacité de production supérieure aux objectifs actuels. Il existe donc une marge de manoeuvre, nous sommes aujourd'hui en deçà de l'optimum économique. Si vous partagez mon idée, il faudrait augmenter d'1 %. J'ai entendu des filières de mon côté qui disaient qu'on pourrait augmenter de 9,2 %.

M. Pierre Claquin. - Le chiffre de 1 % n'est pas le maximum atteignable, mais c'est l'objectif atteignable sans difficulté. Les acteurs industriels pourront répondre au mieux sur cet objectif de 10 %, qui a servi de cap pour l'élaboration des outils, comme indicateur volumétrique cible.

M. Pierre Cuypers, président. - Pouvez-vous répondre, d'un point de vue économique, à ma question concernant la différence entre l'énergie consommée et l'énergie restituée ? On nous oppose en effet souvent que les biocarburants ne sont pas performants en la matière.

M. Patrick Aigrain. - La question est celle du niveau des critères de durabilité qu'on va imposer pour être qualifiés de biocarburants. Pour l'instant, ce sont des zones qui sont considérées comme produisant dans des conditions agronomiques moins dépensières énergétiquement que des zones traditionnelles, et qui permettent de considérer que les critères de durabilité sont respectés. Actuellement, les directives européennes qui sont sur la table vont continuer à augmenter le degré d'exigence de durabilité relativement à la référence fossile. Le débat technique est loin d'être simple : on compare le coût de production énergétique pour obtenir un bioliquide qui puisse être un biocarburant à celui nécessaire pour obtenir un produit directement pétrosourcé. Deux questions se posent : comment mesure-t-on la dépense énergétique pour produire un bioliquide et comment mesure-t-on le coût de production réel d'un produit pétrolier de même nature ? La réponse est loin d'être évidente. Comment sont pris en compte dans le calcul le gaz et le pétrole de schiste, qui sont désormais des acteurs importants du marché des carburants fossiles ? Comment sont pris en compte les frais de prospection du monde pétrolier ? Les incertitudes sont nombreuses.

Une simplification réglementaire est toutefois intervenue, car nous n'avons plus désormais qu'une seule référence fossile. Auparavant, nous avions deux textes au niveau européen, l'un sur les objectifs de réincorporation et l'autre traitant de la qualité des carburants, qui retenaient des références fossiles différentes. Elles viennent d'être harmonisées dans la directive européenne RED II.

M. Pierre Cuypers, président. - Je vous remercie pour votre réponse, car, en général, lorsqu'il y a une énergie ou une source nouvelle, elle n'est pas comparée à ce qui existe déjà. Les coûts du pétrole varieraient largement si on devait y intégrer les coûts de guerre pour aller défendre cette ressource.

M. Patrick Aigrain. - En matière énergétique, il y a aussi des questions à prendre en compte, mais nous ne sommes pas compétents sur ce point.

M. Pierre Claquin. - S'agissant de la durabilité, les filières des biocarburants sont celles qui ont eu le plus à faire leurs preuves en ce domaine. Elles ont ainsi développé des schémas de certification volontaire.

Un des défis pour demain sera la traçabilité de la biomasse incorporée. Il y a en effet une appétence pour les huiles usagées, mais il n'est pas toujours facile de savoir si l'huile en question est vraiment usagée.

M. Pierre Cuypers, président. - Nous vous remercions pour votre disponibilité, n'hésitez pas à nous transmettre des documents complémentaires.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 15.