Mardi 28 mars 2023

- Présidence de M. Hervé Gillé, rapporteur -

La réunion est ouverte à 14 h 40.

Collectivités territoriales - Audition de M. Christian Métairie, maire d'Arcueil, coprésident de la commission « transition écologique » de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Merci d'avoir répondu à notre invitation pour échanger sur l'eau dans le cadre de la mission d'information transpartisane, constituée à l'initiative du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, et dont je suis le rapporteur.

Notre objectif est d'entendre les experts et les parties prenantes du « grand » comme du « petit » cycle de l'eau, pour évaluer la pertinence de la politique de l'eau telle qu'elle est actuellement pilotée et financée dans le contexte du changement climatique. Nos travaux devraient se dérouler jusqu'à mi-juillet.

Dans ce temps court, nous sommes preneurs de votre retour d'expérience, de votre analyse et de vos propositions pour nous aider à répondre à quelques questions fondamentales : les objectifs de la politique de l'eau sont-ils adaptés ? Les instruments juridiques, organisationnels, réglementaires, ou encore financiers de la politique de l'eau sont-ils efficaces ? Le cadre fixé par les grandes lois sur l'eau de 1964, 1992 et 2006 doit-il évoluer ? Quels sont les changements à apporter pour mieux gérer l'eau sur notre territoire ?

S'agissant plus précisément des collectivités locales, estimez-vous que les objectifs de la politique publique de l'eau sont clairs et bien hiérarchisés ? Le rôle de l'État est-il suffisamment lisible et identifié par les élus locaux ? La répartition des responsabilités entre acteurs institutionnels est-elle intelligible ? La territorialisation des enjeux liés à l'eau est-elle, selon vous, perfectible ? Comment améliorer la cohérence entre les échelons de gestion administrative et les périmètres hydrologiques ? Les relations entre les collectivités territoriales et les agences de l'eau sont-elles de bonne qualité et fondées sur une confiance réciproque ?

Au-delà de la santé, de la salubrité publique, de la sécurité civile et de l'alimentation en eau potable de la population, la gestion durable et équilibrée de la ressource en eau vise à concilier un grand nombre d'objectifs, parfois contradictoires à l'échelle d'un territoire donné. Les collectivités territoriales font-elles face à des difficultés particulières pour atteindre simultanément l'ensemble de ces objectifs ? Compte tenu de la raréfaction croissante des ressources, la conciliation des usages vous paraît-elle correctement assurée en cas de tension hydrique ? Si ce n'est pas le cas, quelles modifications législatives, réglementaires ou administratives convient-il d'envisager pour prévenir et résoudre les conflits d'usages ?

M. Christian Métairie, maire d'Arcueil, coprésident de la commission « transition écologique » de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité. - Je précise d'emblée que je suis un élu, représentant de l'Association des maires de France, et non un expert de l'eau à proprement parler. À ce titre, et bien que vos questions s'adressent à tous les niveaux de collectivité territoriale, je me contenterai de répondre au nom du bloc communal, me faisant le relais de l'association à chaque fois qu'un point de vue institutionnel a été arrêté sur l'une ou l'autre de vos interrogations.

Notons tout d'abord que la question de l'eau s'impose de plus en plus dans le débat public. Je citerai l'exemple du plan « Eau », qui est vraiment au coeur de l'actualité, et que le ministre de la transition écologique devrait présenter jeudi prochain.

Pour l'ensemble des maires de France, les enjeux relatifs à la gestion de l'eau sont de plus en plus importants. Hélas, on est conduits à apporter des réponses dans l'urgence alors que les solutions à proposer pour mieux gérer l'eau sont de long terme. La prise de conscience de la problématique de l'eau est d'autant plus difficile que la très grande majorité des Français a aujourd'hui un accès facile à une eau de bonne qualité. Au quotidien, les usagers de l'eau s'adressent en priorité à leur maire en cas de pénurie. Les autres niveaux de collectivités ne sont pas autant sollicités. Or les communes ne sont pas associées à la gestion des agences de l'eau...

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Est-ce un regret de votre part ?

M. Christian Métairie. - C'est un simple constat : les départements, par exemple, sont associés à la gouvernance des agences de l'eau qui jouent un rôle essentiel de régulation, d'accompagnement financier et de réglementation ; ce n'est en revanche pas le cas du bloc communal. Il pourrait s'agir là d'une piste à creuser.

Face à une très grande diversité de situations - quoi de commun entre Paris et ses 2 millions d'habitants et certaines communes isolées ? -, nous plaidons pour une forme de souplesse, pour une adaptation des règles à respecter et des découpages institutionnels, lesquels ne recoupent pas forcément les bassins hydrographiques d'aujourd'hui. Il convient de favoriser une répartition des compétences adaptée à cette disparité.

Si, jusqu'à récemment, l'eau était une compétence strictement municipale, sa gestion était exercée en réalité au niveau intercommunal, situation assez logique, car le bon sens conduit naturellement à une forme de coopération et de solidarité entre communes. À cet égard, la réglementation actuelle pose question. Nous sommes favorables à davantage de souplesse, dans un cadre clairement défini, pour tenir compte des structures intercommunales existantes. Cela permettrait d'apporter la meilleure réponse possible à une problématique très différente selon les territoires. Les communes auront leur place à trouver dans ce nouveau paysage institutionnel : elles ont sans doute un rôle prédominant à jouer en termes de communication et de sensibilisation sur le thème de l'eau, la difficulté à laquelle nous faisons face étant que nous consommons davantage que ce que nous sommes en mesure de produire.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous avez raison, les citoyens doivent devenir les coacteurs de la gestion de l'eau.

Les agences de l'eau sont pour la plupart organisées à l'échelle des comités de bassin ; elles disposent même parfois d'une délégation départementale. Souhaiteriez-vous une plus grande différenciation de leurs interventions selon les territoires ?

Que pensez-vous de la volonté de certaines collectivités de développer les interconnexions pour sécuriser leurs ressources en eau, dynamique qui suppose d'encourager les accords entre les maîtres d'ouvrage concernés ? Quel est par ailleurs votre point de vue sur la baisse de la participation financière des agences de l'eau en faveur du renouvellement des réseaux ?

M. Christian Métairie. - L'implication des maires dans la gouvernance des agences de l'eau permettrait à ces dernières de porter un regard un peu différent sur certains besoins exprimés par les élus locaux. Elles fixent une orientation générale, qui permet de mener à bien les travaux de sécurisation des réseaux ; elles jouent un autre rôle très important, celui de financer les projets des collectivités dans un cadre pluriannuel, certes judicieux, mais quelque peu restrictif, car certaines initiatives peuvent prendre fin du jour au lendemain. Malheureusement, les agences définissent parfois un cadre trop rigide, qui ne permet pas toujours de tenir compte de problématiques locales. Je peux le comprendre, mais je le regrette. Je précise enfin que nous prônons la souplesse, mais que cela ne signifie pas pour autant que nous sommes en faveur du laisser-faire.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Quelle est votre appréciation de l'intercommunalisation de l'eau et de l'assainissement prévue par le législateur d'ici à 2026 ? Souhaiteriez-vous que la souplesse perdure ?

M. Christian Métairie. - Je suis pour une souplesse contrôlée. Nous ne sommes pas opposés à une clarification des compétences, mais il faut réglementer de manière différenciée, au moins pour ce qui est du calendrier. Afin que les choses se passent au mieux et que cette réforme soit acceptée par les élus, il serait peut-être judicieux de revenir sur le caractère obligatoire du transfert de compétences et de maintenir la majorité des deux tiers requise jusqu'ici.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Selon quelles modalités les réseaux sont-ils généralement administrés par les collectivités ? Comment jugez-vous ces différents modes de gestion : gestion au travers d'une délégation ou d'une concession de service public, régie, affermage ? Quelles sont vos préconisations en la matière ?

M. Christian Métairie. - L'AMF ne peut pas donner son point de vue sur un sujet qui relève de la libre administration des collectivités locales ; en revanche, il nous semble primordial que les collectivités publiques, quel que soit le mode de gestion retenu, aient une bonne maîtrise du service rendu. Durant plusieurs dizaines d'années, la question de l'eau a été fortement délaissée par les élus. Les communes ont alors souvent délégué cette compétence, soit à des syndicats intercommunaux, soit à des délégataires. Bref, elles ne s'en sont pas suffisamment préoccupées, tout simplement parce qu'il n'y avait pas de pénurie à déplorer. La situation a changé : sécheresses et pollutions incitent les collectivités à s'emparer de nouveau de cette problématique pour garantir un meilleur contrôle de cette ressource à leurs administrés.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Estimez-vous que les communes disposent des instruments et de l'ingénierie suffisante pour évaluer et contrôler la gestion des ressources en eau ? Quel regard portez-vous sur les agences de l'eau à ce titre ? Certains départements ont mis en place des structures d'accompagnement, afin d'aider les collectivités : sont-elles appréciées des communes ?

M. Christian Métairie. - Les situations sont très disparates. Certaines collectivités, dont la taille critique est suffisante, exercent sans difficulté leurs missions d'évaluation et de contrôle du service local de l'eau. D'autres communes et intercommunalités de petite taille n'ont en revanche ni les compétences ni l'ingénierie qui leur permettraient de le faire. D'une manière générale, il serait intéressant de créer des outils d'évaluation communs à toutes les collectivités pour les aider à améliorer leurs actions dans ce domaine.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - À l'avenir, les aides publiques pourraient dépendre de la qualité de l'évaluation et de la prospective des maîtres d'ouvrage, ainsi que d'une évaluation de leurs capacités financières. Qu'en pensez-vous ?

M. Christian Métairie. - En règle générale, pour une collectivité, quelle qu'elle soit, les besoins d'investissement dans les réseaux d'assainissement et d'eau potable sont très importants, d'autant plus que les problèmes sont souvent traités avec retard, parce que les réseaux sont enterrés et les fuites difficiles à repérer. Il conviendrait d'améliorer le suivi des réseaux et de mieux accompagner les collectivités, notamment les plus petites, pour plus d'efficacité. Pour conclure sur ce point, je dirai que les subventions accordées aux communes doivent évidemment être correctement utilisées, ce qui implique une évaluation et une mesure de l'efficacité de la gestion de la ressource en eau.

Mme Sylvie Robert. - Quelles priorités l'AMF a-t-elle identifiées pour faire face aux sécheresses successives et aux pénuries d'eau, et pour répondre à la question des usages et de la qualité de l'eau ? Quels sont les écueils à éviter en termes de production et de gestion de cette ressource ?

M. Christian Métairie. - Chacun reconnaît aujourd'hui que la situation est grave. S'agissant de sa production, la problématique tient surtout à l'état initial de l'eau : plus celle-ci est polluée, pour différentes raisons, plus il est difficile, voire impossible pour la collectivité de la traiter - certaines nappes phréatiques sont de ce fait inutilisables aujourd'hui. Une évolution des normes régissant la qualité de l'eau serait souhaitable : il est absurde d'autoriser l'usage de certains produits, et d'imposer ensuite aux seules collectivités le traitement des cours d'eau pollués par lesdits produits, sans aucune compensation financière. Ce n'est pas aux collectivités de régler la facture. Pour notre part, nous sommes attachés au principe selon lequel l'eau paie l'eau. À cet égard, nous relevons aujourd'hui une véritable contradiction.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Comment garantir le respect du principe selon lequel la biodiversité paie la biodiversité ainsi que la règle pollueur-payeur ?

M. Christian Métairie. - On pourrait imaginer un système de bonus-malus, le malus étant appliqué aux activités dont les conséquences sont négatives pour les ressources en eau, le bonus étant attribué à ceux qui font des efforts pour éviter toute forme de pollution. À mon sens, une politique efficace en matière de préservation de l'eau passe par une bonne communication et par une plus grande prise de conscience des consommateurs, car les actions individuelles ont des effets concrets sur le résultat collectif. Il faut souligner l'intérêt des différentes campagnes de sensibilisation menées ces dernières années - je pense aux messages incitant nos concitoyens à prendre une douche plutôt qu'un bain, ou à ne plus faire couler l'eau du robinet inutilement. Pour autant, cela reste insuffisant : de nombreuses initiatives restent à prendre, au niveau de la fréquence de lavage des voitures ou du nettoyage des piscines, par exemple. Il faut aussi réfléchir au possible réemploi de l'eau récupérée sur les toitures pour alimenter les réseaux sanitaires.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ces pistes sont intéressantes. Les modalités de réutilisation des eaux usées font au demeurant partie des éléments de réflexion de notre mission.

Avez-vous mené une étude sur la structure du prix des services de l'eau et de l'assainissement ? Que pensez-vous de la tarification sociale, progressive, saisonnière, en somme d'une tarification différenciée en fonction du niveau de consommation et de son usage ?

M. Christian Métairie. -L'AMF n'a pas encore adopté de position sur le sujet. La tarification est un levier intéressant pour obliger les usagers à consommer moins et mieux. Souvenons-nous qu'il y a cent ans un Français consommait dix litres d'eau par jour, tandis qu'il y a dix ans il en consommait cent ! Précision utile, les services publics sont eux-mêmes consommateurs d'eau : il leur appartient par conséquent de réfléchir à un usage davantage proportionné de cette ressource, pour nettoyer les rues ou arroser les stades, pour ne citer que ces exemples.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Notre mission réfléchit à une possible amélioration de la gestion des situations de crise. Il conviendrait, selon nous, de différencier les territoires en fonction des usages et des investissements consentis.

Quel bilan tirez-vous du transfert de la compétence relative à la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI) aux intercommunalités ? Plaidez-vous pour des évolutions de son financement ou de sa mise en oeuvre ?

Nous considérons qu'il faudrait davantage inscrire la gestion de l'eau dans les politiques d'urbanisme. D'après vous, les documents de planification et d'urbanisme actuels, en particulier les schémas de cohérence territoriale (SCoT), intègrent-ils suffisamment la dimension hydrologique des territoires qu'ils couvrent ? Comment améliorer la gestion du fil de l'eau dans le cadre des plans locaux d'urbanisme (PLU) et des plans locaux d'urbanisme intercommunaux (PLUi), de sorte à aboutir à une meilleure perméabilisation des sols et à une meilleure utilisation des eaux pluviales ?

M. Christian Métairie. - Une meilleure prise en considération des thématiques hydrologiques dans les documents d'urbanisme est en effet souhaitable, d'autant que, si l'on n'y prend pas garde, les objectifs en matière d'urbanisme et de gestion de l'eau peuvent entrer en contradiction. Je pense notamment aux schémas d'aménagement et de gestion de l'eau (SAGE) qui présentent l'intérêt de définir des règles assez précises pour être intégrées dans les PLU.

S'agissant du transfert de la GEMAPI aux intercommunalités, je n'ai pas d'avis circonstancié sur la question.

Mme Sylviane Noël. - L'AMF est-elle favorable à la réutilisation des eaux usées traitées ? Comment expliquez-vous la municipalisation croissante du service de l'eau ?

M. Christian Métairie. - La réutilisation des eaux usées est une solution de bon sens. Cela étant, cette pratique peut avoir un certain nombre de conséquences sur le fonctionnement des stations d'épuration. C'est pourquoi un travail nécessitant une réelle expertise reste à mener sur ce sujet.

Pour ce qui est des raisons de l'essor de la gestion de l'eau en régie, je ne peux que formuler une hypothèse : le souhait actuel des communes est de parvenir à mieux maîtriser leur production d'eau potable.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Pour garantir leur approvisionnement en eau, les grandes agglomérations et les métropoles expriment le besoin de créer des solidarités de bassin, ce qui suppose de proposer des contreparties à des communes de plus petite taille : qu'en pensez-vous ?

M. Christian Métairie. - À l'évidence, la question de la solidarité est fondamentale en la matière : face au risque de pénurie, il faut absolument que les collectivités partagent l'eau. La question des interdépendances en termes de ressources se pose aujourd'hui avec une intensité inédite.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Merci beaucoup pour votre intervention

La réunion est close à 15 h 40.

- Présidence de M. Rémy Pointereau, président -

La réunion est ouverte à 16 h 20.

Collectivités territoriales - Audition de M. Régis Banquet, président de Carcassonne Agglo, vice-président d'Intercommunalités de France chargé du grand cycle de l'eau et Oriane Cébile, conseillère eau, climat, énergie et biodiversité d'Intercommunalités de France

M. Rémy Pointereau, président. - Après avoir auditionné l'Association des maires de France (AMF), nous auditionnons à présent Intercommunalités de France (AdCF), représentée par M. Régis Banquet, président de Carcassonne Agglo et vice-président de l'AdCF chargé du grand cycle de l'eau.

Merci d'avoir répondu à l'invitation de la mission d'information constituée au Sénat à l'initiative du groupe socialiste et dont le rapporteur est M. Hervé Gillé, qui comprend des sénateurs de tous les groupes politiques. Il s'agit pour nous de recueillir la grande diversité des experts et acteurs de l'eau, pour évaluer la pertinence de la politique de l'eau dans le contexte du changement climatique, en vue de rendre notre rapport d'ici à l'été.

Les objectifs de la politique de l'eau sont-ils adaptés ? Les instruments juridiques, organisationnels ou encore financiers de la politique de l'eau sont-ils efficients et efficaces ? Le cadre fixé par les grandes lois sur l'eau de 1964, 1992 et 2006 doit-il évoluer ? Quels sont les changements à apporter pour mieux gérer l'eau sur notre territoire ? Ces questions sont au coeur de notre réflexion. Le questionnaire qui vous a été adressé pourra servir de trame pour notre entretien. De plus, il vous sera possible de nous transmettre une contribution écrite à la suite de cette audition.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le sujet de l'eau est particulièrement d'actualité étant donné la situation climatique dans notre pays et les inquiétudes qu'elle suscite pour 2023. Les objectifs de la politique publique de l'eau sont-ils clairs et bien hiérarchisés ? Nous attendons dans ce cadre les annonces du ministre cette semaine portant sur le plan eau. Le portage par l'État des sujets hydriques est-il suffisamment lisible et identifié par les élus locaux ? La répartition des responsabilités entre acteurs institutionnels de la politique de l'eau est-elle claire ? Quel rôle vous semble devoir jouer chaque niveau, État, région, département, bloc communal ? La territorialisation des enjeux hydriques est-elle selon vous perfectible ? Si oui, quelles évolutions seraient souhaitables ?

Les relations entre les collectivités territoriales et les agences de l'eau sont-elles de qualité et fondées sur la confiance réciproque ? Les départements ont joué un rôle important au sein des dispositifs, mais certains commencent à se désengager. Quelle est votre vision sur ces sujets ?

Au-delà des exigences de santé, de salubrité publique, de sécurité civile et d'alimentation en eau potable de la population, la gestion durable et équilibrée de la ressource en eau vise à concilier un grand nombre d'objectifs, parfois contradictoires à l'échelle d'un territoire donné. J'ai pu moi-même constater en tant que sénateur de la Gironde le problème de la sécurité civile et de l'accès aux ressources en eau lors des feux hors normes que nous avons connus. Les collectivités territoriales font-elles face à des difficultés particulières pour la poursuite simultanée de l'ensemble de ces objectifs ?

À l'aune de la raréfaction croissante de la ressource, la conciliation des usages vous paraît-elle correctement assurée en cas de tensions hydriques ? Cette question d'acceptabilité renvoie notamment aux projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE).

M. Régis Banquet, président de Carcassonne Agglo, vice-président d'intercommunalités de France chargé du grand cycle de l'eau. - Les objectifs de la politique publique sont-ils clairs ? Nous sommes confrontés à l'échelle locale à de multiples messages de l'État qui sont parfois contradictoires. Si l'on prend l'exemple de la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), plusieurs ministères pilotent le dispositif selon des priorités différentes et des financements distincts, ce qui aboutit parfois à des situations de blocage des projets. Le manque de transversalité de l'État complexifie l'action locale, malgré les démarches de concertation, comme le Varenne agricole de l'eau lors duquel des groupes de travail avaient pour but de fixer de grands objectifs communs. Cela n'est peut-être qu'un rêve, mais un ministère de l'eau serait bienvenu pour appréhender ce sujet transversal, lequel touche en effet tous les aspects de nos vies : l'aménagement du territoire, le développement industriel et économique ou encore la souveraineté agricole.

De même, si les responsabilités ne sont pas toujours lisibles, le rôle de l'État est fondamental dans la construction des grandes stratégies et la définition des grandes orientations sur le sujet, mais un dialogue doublé d'une solidarité est nécessaire à l'échelle des grands bassins versants. Dans cette perspective, il est important de mettre également en cohérence le bloc local, de sorte que cette politique globale de l'eau soit déclinée pour chaque niveau de responsabilité des collectivités.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Estimez-vous donc que chaque niveau de collectivité devrait assumer sa compétence, mais en complémentarité avec les autres ? Si les départements n'ont plus d'obligation sur ces sujets de l'eau, certains ont quand même conservé des politiques réglementaires et l'apport de leur ingénierie complémentaire est souvent apprécié. Comment percevez-vous vos relations avec les agences ? Jugez-vous votre place suffisante en matière de gouvernance ? Comment évaluez-vous les politiques d'intervention des agences de l'eau dans ce domaine ?

M. Régis Banquet. - Les agences de l'eau sont des partenaires incontournables avec qui nous avons de très bonnes relations, mais l'intercommunalité devrait y être mieux représentée. Nous regrettons cependant la ponction de leur budget vers la biodiversité ; il nous faut trouver un nouveau modèle afin qu'elles retrouvent leurs capacités de soutien, en particulier en ce qui concerne la modernisation des réseaux, tout en soutenant par ailleurs la biodiversité. Dans la perspective de la raréfaction des ressources, cette modernisation représente un mur d'investissements au niveau local qui nécessite le soutien des agences de l'eau : on ne peut accepter de perdre un litre d'eau sur cinq dans des fuites !

Ce point m'amène à aborder la question du transfert de compétences vers les intercommunalités ; j'estime que celui-ci doit être finalisé, afin que les intercommunalités disposent à la fois des ressources financières nécessaires et d'une ingénierie de qualité permettant de porter les projets. S'agissant de l'ingénierie, il convient de considérer les départements sous deux angles : le périmètre administratif et la collectivité départementale. Les établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE) ou les établissements publics territoriaux de bassin (EPTB) viennent parfois prendre le relais du département dans le cadre de la réalisation de certains plans. L'essentiel est donc qu'une structure puisse faire de même à l'échelle des bassins versants afin d'assurer un accompagnement en ingénierie et de mener une réflexion sur les besoins d'investissement. Dans ce cadre, le département représente-t-il la collectivité la mieux placée ? Certains EPTB sont à cheval sur plusieurs départements, il est donc plus facile, pour ces structures, de gérer la raréfaction de la ressource et la réduction des consommations que cela le serait pour différentes collectivités départementales cohabitant sur un même bassin.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les EPTB se concentrent sur des objets particuliers et ne peuvent donc pas intervenir sur toutes les politiques de l'eau. Néanmoins, la dynamique tend plutôt vers une confirmation d'une gouvernance à l'échelle des comités de bassin, outillée par une connaissance plus précise des ressources et des consommations, pour un pilotage de plus en plus fin. Ce constat va d'ailleurs dans le sens de votre expression.

Concernant l'amélioration de la solidarité grâce aux interconnexions, comment percevez-vous le fait que les ressources des agglomérations soient souvent dépendantes d'éléments extérieurs à leur territoire ? Cette donnée pose la question des coopérations territoriales à imaginer pour améliorer les politiques de solidarité et l'interconnexion des réseaux. Avez-vous travaillé sur cette question ?

M. Régis Banquet. - La situation dans mon intercommunalité diffère par rapport à votre constat, puisque la grande majorité de notre ressource en eau est produite à l'intérieur de notre territoire, bien qu'elle vienne des Pyrénées via le fleuve Aude. En raison de la faible quantité de neige limitée tombée cette année, ces réserves sont d'ailleurs moins importantes que prévu. En revanche, cette question inquiète le maire de Toulouse, puisque la ressource utilisée dans son territoire provient d'une part des Pyrénées et d'autre part d'un secteur à cheval sur les départements de l'Aude, du Tarn et de la Haute-Garonne. Pour autant, certaines coopérations sont actuellement en train de se mettre en place dans le cadre d'un dialogue entre intercommunalités ; c'est le cas en Occitanie, où ce dialogue s'effectue avec des structures qui ont la responsabilité de la gestion de réserves, notamment EDF, qui a créé des retenues pour produire de l'hydro-électricité. Cette coopération ne pourra se mettre en place que si une organisation territorialisée prévaut à l'échelle du bassin de vie ou de l'intercommunalité. Je prêche évidemment pour l'intercommunalité, car c'est la structure qui sera capable d'organiser, demain, la solidarité territoriale en matière d'interconnexion, seule ou en s'organisant entre intercommunalités via une structure supra-communale. Ce transfert de la compétence eau vers l'intercommunalité sécuriserait la surface financière nécessaire pour réaliser les investissements d'approvisionnement en eau potable des communes. De plus, l'ingénierie requise et la capacité de portage de projets ne peuvent se concevoir qu'à ce niveau intercommunal. C'est la condition pour qu'une réelle solidarité territoriale se mette en place. Je l'ai vécu sur mon territoire : si les petites communes étaient autrefois attachées aux compétences eau et assainissement, le transfert qui a eu lieu en 2013, vers un territoire structuré en douze communes réunissant 1 200 habitants, a totalement modifié leur positionnement. Elles étaient au départ vent debout contre le transfert, mais en constatant la solidarité territoriale qui s'est organisée, leur permettant ainsi de réaliser de nouveaux investissements, elles constituent aujourd'hui les premiers soutiens d'un tel processus.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'avis de l'Association des maires de France (AMF) est plus contrasté !

M. Régis Banquet. - Ce n'est pas une surprise.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - En effet, nous sommes bien placés pour le savoir. Cette répartition est toutefois un sujet en soi.

Les modalités de gestion évoluent significativement entre régie, affermage, concessions, régies intéressées, qu'en pensez-vous ? Le retour au système de régie semble se confirmer un peu partout, mais souvent avec des complémentarités entre régie et prestataires privés.

S'agissant de la gouvernance territoriale et de la planification, comment mieux intégrer les politiques de l'eau dans les schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), mais surtout dans les Scot et les PLUi ? Comment améliorer la perméabilisation des sols, à travers la gestion des eaux pluviales, par exemple pour restaurer des zones humides ou établir des zones d'épandage ?

M. Régis Banquet. - S'agissant des modes de gestion, je ne suis pas dogmatique : ce qui compte, c'est la capacité de la collectivité à contrôler le service, et la manière dont elle le fait. On assiste à une réappropriation de la gestion directe au niveau local, mais parfois, les régies font appel à des entreprises privées. La situation est donc hétéroclite. Autour de Carcassonne, certaines communes sont en régie, d'autres en délégation de service public (DSP) et la cohabitation ne pose pas de problème. La reprise de la gestion en régie est une décision courageuse, c'est souvent la première des nouveaux élus, mais elle relève du politique plus que du technique. La responsabilité de la collectivité est de garantir l'accès à l'eau aux usagers domestiques comme aux autres, mais aussi la prévention des inondations, la prise en charge des eaux pluviales, des ruissellements, etc. C'est pourquoi la collectivité doit toujours piloter le processus. Je milite à ce titre pour un transfert à l'intercommunalité, lequel permet de mettre en cohérence toutes les compétences territoriales, car tous les plans d'aménagement sont liés à l'eau. Ainsi, nous venons d'arrêter notre Scot avec la problématique de l'eau comme fil directeur, de sorte que nous ne puissions pas accueillir plus de population que ne le permettent nos ressources. Il faut prendre en considération la cohérence territoriale, afin de ne pas mettre le territoire en danger. Lors de l'établissement du Scot, les maires luttent souvent pour des mètres carrés, pour des indices de densité ou pour des logements ; en choisissant l'eau comme sujet central de notre projet de territoire, nous avons pu nous accorder. Les inondations catastrophiques que nous avons connues en 2018 ont aidé la population et les élus à prendre conscience du sujet et les discussions n'ont pas connu d'accrocs, car nous avons touché du doigt les conséquences des erreurs du passé en matière d'aménagement. C'est une victoire et les élus sont maintenant conscients qu'il faut intégrer ces questions dans les projets de territoire. Je trouve cela rassurant. La même prise de conscience se produira sans doute en Gironde à la suite des incendies : ces événements sont des laboratoires qui nous permettront d'aller plus loin.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Comme ancien président de Scot dans le sud de la Gironde, je partage vos propos.

Venons-en au sujet de la sobriété : il va de pair avec la question de l'évolution des ressources des agences de l'eau face à ce mur d'investissements que l'on évoquait, mais aussi avec celle de la conditionnalité des aides pour que la maîtrise d'ouvrage respecte un contrat d'objectifs et de performance équitable.

S'agissant du coût de l'eau, que pensez-vous de la tarification progressive, voire saisonnière dans les zones touristiques ?

En matière de GEMAPI, il convient de faire la différence entre la gestion des milieux aquatiques et la prévention des inondations. La fiscalité additionnelle issue de la loi relative à la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et portant diverses mesures de simplification de l'action publique locale (3DS) est surtout liée à la seconde, mais elle n'est pas assez différenciée en fonction des enjeux sur les territoires, et elle ne suffit pas toujours à financer les ouvrages de protection nécessaires.

M. Régis Banquet. - Après avoir subi des inondations, on prend plus facilement conscience des enjeux. Ainsi, en 2017, la taxe GEMAPI a suscité des oppositions dans mon conseil communautaire ; l'année suivante, après les inondations, elle a été adoptée à l'unanimité. Sur notre bassin versant, cette taxe rapporte 5 millions d'euros pour des investissements de 35 millions d'euros : elle a donc un effet levier important qui permet de financer les aménagements de protection. Dans l'Aude, nous avons été touchés plusieurs fois. Les derniers investissements consécutifs aux inondations de 1999 ont été réalisés en 2015 ; aujourd'hui, beaucoup de projets découlant de la catastrophe de 2018 ont déjà été réalisés. Cela va donc plus vite, grâce à la taxe GEMAPI, mais aussi à une plus grande facilité pour nouer des partenariats. Au niveau national, en revanche, les investissements sont tellement colossaux qu'on ne sait pas comment les réaliser ; il sera très difficile de dégager les financements pour protéger l'ensemble de la population.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Au niveau national, avez-vous des éléments chiffrés pour évaluer les besoins d'autres territoires face à ce mur d'investissements ?

M. Régis Banquet. - Non, je ne dispose pas d'estimation financière.

Mme Oriane Cébile, conseillère eau, climat, énergie et biodiversité d'Intercommunalités de France. - Nous n'avons pas d'estimation nationale, mais nous recevons des remontées de certains territoires. Val de Garonne Agglomération, par exemple, rencontre des difficultés considérables en la matière, qui vont toucher d'autres intercommunalités, mais les chiffrages ne sont pas finalisés.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je connais la situation de cette intercommunalité : pour financer les mesures du programme d'actions de prévention des inondations (PAPI), la fiscalité dont elle dispose ne suffira pas et le Fonds vert, auquel la renvoie l'État dans le Lot-et-Garonne, n'est pas suffisant.

M. Régis Banquet. - Le financement de la politique de l'eau repose sur le principe selon lequel l'eau paye l'eau. Or, si l'on fait des efforts de sobriété, les recettes diminuent, et avec elles, les marges de manoeuvre en termes d'investissements. Il faut donc y réfléchir. Il faudra revoir le modèle de financement des agences ; nous réfléchissons ainsi avec France urbaine et le Conseil national de l'eau à une taxation différenciée des agences selon la performance.

Des tarifications sociales ou saisonnières de l'eau se mettent en place ; c'est une bonne chose. Il est normal que les familles modestes aient accès à des tarifs compatibles avec leurs moyens, la progressivité finançant la gestion. Il faut maintenant, sur l'ensemble du territoire, établir une convergence tarifaire, afin que les usagers payent le même prix pour le même service sur un même territoire. Chez moi, ce processus aboutira en 2025 ; nous nous étions donné dix ans pour y parvenir, en aidant les communes qui n'ont pas encore transféré la compétence à anticiper. Cette question est importante afin que l'usager ait le sentiment d'être traité équitablement.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Quid de la tarification progressive pour trouver une voie en termes de coût et de sobriété ?

M. Régis Banquet. - Pour favoriser la sobriété, la communication compte, mais aussi la récupération de l'eau de pluie et le traitement de l'eau à la parcelle, de manière à économiser l'eau potable, qui est plus chère.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Que pensez-vous de la récupération des eaux usées ?

M. Régis Banquet. - C'est un sujet intéressant : il me semble aberrant d'éteindre des incendies, de laver la voirie, d'arroser des espaces verts ou des stades avec de l'eau potable ; réutiliser des eaux de pluie ou des eaux usées à ces fins me semble être une solution. En revanche, s'agissant des eaux usées, prenons garde aux situations et aux territoires : mon agglomération puise 6 millions de mètres cubes dans l'Aude et la station d'épuration rejette 5 millions de mètres cubes en aval, qui assurent l'étiage et l'irrigation. Réutiliser les eaux usées, oui, mais attention de ne pas déséquilibrer un bassin entre amont et aval au risque de mettre en difficulté les utilisateurs en aval.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il faut parfaire la connaissance du modèle de gestion à l'échelle des comités de bassin, dans l'espace et dans le temps. Ainsi, la recharge de nappes phréatiques peut se faire entre octobre et mars-avril.

M. Régis Banquet. - à Hyères, les eaux usées des stations rechargent la nappe, par exemple. C'est une stratégie intéressante, mais elle impose en effet de savoir ce qui se passe dans l'ensemble du bassin.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela peut prendre place dans un projet de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE).

M. Régis Banquet. - En effet.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le sujet de la qualité des eaux prend de l'importance : pollution des nappes affleurantes et des nappes de surface, microplastiques, etc. à mesure que le spectre des analyses s'élargit. Quel regard portez-vous sur ces enjeux ?

M. Régis Banquet. - Je suis inquiet. La qualité des rejets traités dans les stations d'épuration dépend de nos connaissances scientifiques ; or nous avons du retard face aux rejets chimiques ou médicamenteux, face aux plastiques, etc. L'enjeu est majeur : nous n'avons pas le droit d'imposer aux utilisateurs, quels qu'ils soient, une eau qui ne serait pas pure. Cela relève d'un effort quotidien et des progrès de la recherche pour innover en matière de traitement. En verrons-nous le bout ? Il me semble que la société évolue plus vite que la recherche.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La recherche appliquée dépend beaucoup des grands groupes ; les objectifs de recherche fondamentale sont-ils suffisamment accompagnés ?

M. Régis Banquet. - Aujourd'hui, le profit est le maître mot de notre société ; on le préfère à la santé publique de nos concitoyens. C'est un sujet important, mais je ne dispose pas d'éléments chiffrés.

M. Rémy Pointereau, président. - J'ai un souci avec des communautés de communes qui ont la compétence GEMAPI le long de la Loire. Il s'y trouve des digues, posées il y a plusieurs centaines d'années, que celles-ci doivent entretenir ; or elles refusent de le faire car elles n'en ont pas les moyens.

La loi 3DS a mis en place une expérimentation permettant de déléguer cette responsabilité à un établissement public territorial de bassin (EPTB). Comme il ne s'agit pas d'une obligation, l'établissement concerné a refusé la délégation. Certaines portions de digues ne seront ainsi jamais réparées, parce que les communautés de communes concernées n'en ont pas les moyens. Vous semblez considérer que cela fonctionne. Ne pourrait-on pas confier la délégation à un établissement public pour gérer toute la rivière ?

M. Régis Banquet. - Dans mon territoire, un EPTB départemental gère ce genre de choses avec les établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE) ; les intercommunalités prélèvent la taxe et en confient le produit à l'EPTB, lequel porte le PAPI et va chercher le reste des fonds. Cette solidarité de bassin nous facilite la tâche : l'EPTB gère les investissements publics, sauf sur le fleuve Aude lui-même, qui est sous la responsabilité de l'État. Celui-ci ne fait pas grand-chose, d'ailleurs, et cela pose problème. Depuis la loi 3DS, nous discutons avec lui pour expérimenter la prise en gestion du fleuve, au-delà de ses affluents, pour gérer le confortement des digues et les autres sujets.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il s'agit d'une exception spécifique à l'Aude, semble-t-il.

M. Régis Banquet. - En tout état de cause, nous essayons de reprendre la main dans le cadre de l'EPTB, car l'État ne fait rien et chaque épisode pluvieux conduit à l'inondation de quartiers entiers.

M. Rémy Pointereau, président. - Merci pour ces échanges.

La réunion est close à 17 h 20.

Mercredi 29 mars 2023

- Présidence de M. Rémy Pointereau, président -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Audition plénière de la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF)

M. Rémy Pointereau, président. - Notre mission d'information sur la gestion durable de l'eau procède aujourd'hui à l'audition de MM. Jean-Paul Deron, premier vice-président et Hamid Oumoussa, directeur général de la Fédération nationale de la pêche en France (FNPF).

Depuis 2022, nous traversons une période de grande sécheresse. Au-delà de la conjoncture, cette audition vise à nous éclairer sur les évolutions des écosystèmes aquatiques, sur les pistes envisageables pour restaurer la biodiversité, et à entendre vos analyses sur les évolutions possibles de la politique de l'eau, de ses instruments et de son cadre juridique. Selon vous, comment mieux gérer l'eau dans nos territoires ?

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La sécheresse hivernale importante que nous connaissons donne un écho particulier à nos travaux. Si le niveau de pluviométrie n'augmente pas dans les prochaines semaines, tous les usages risquent d'en pâtir - des premiers arrêtés de sécheresse ont été pris au mois de février dernier.

Vous êtes des observateurs attentifs de l'évolution des systèmes aquatiques. Selon vous, comment le changement climatique affecte-t-il ces écosystèmes ? Je pense aux conséquences du réchauffement des cours d'eau. On observe par exemple que, si la température de l'eau est trop élevée, la truite sauvage ne peut pas se reproduire. Comment les activités humaines affectent-elles les écosystèmes aquatiques ? Quels sont les effets des pollutions aquatiques, dues notamment aux micropolluants plastiques ?

M. Hamid Oumoussa, directeur général de la Fédération nationale de la pêche en France. - Demain, le ministre Christophe Béchu devrait annoncer des décisions importantes, après avoir largement consulté les différents acteurs de l'eau, notamment notre organisme, au travers du Comité national de l'eau (CNE). Depuis un an, nous traversons une période de sécheresse continue. Aussi, nous nous réjouissons que le Sénat se saisisse de ce sujet, qui mobilise, selon nous, trop irrégulièrement le décideur public.

La Fédération nationale de la pêche en France et de la protection des milieux aquatiques (FNPF) a été instaurée par la loi de 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, qui a traduit la volonté conjuguée du Parlement, du Gouvernement et surtout des pêcheurs de créer une grande organisation nationale ayant pour objet de coordonner l'ensemble des fédérations départementales. Nous comptons 94 fédérations départementales, dont une à La Réunion et une à Saint-Pierre-et-Miquelon, un peu moins de 4 000 associations locales, près de 40 000 bénévoles et 1,5 million d'adhérents. Nous sommes le deuxième réseau associatif français, après celui du football.

Notre expertise est reconnue sur les enjeux liés à la pêche et aux poissons, qui sont les deux missions que le Parlement nous a confiées au travers de la loi de 2006. En 2012, une étude réalisée en 2012 par le cabinet BIPE avait évalué notre impact économique global pour les territoires à 2,5 milliards euros. Nos activités ne sont pas délocalisables.

Nous agissons de deux manières, au travers d'un levier financier et de leviers techniques. Sur le volet financier, notre réseau a mis en place un système singulier : le pêcheur qui adhère à une association paye une cotisation qui alimente le budget de l'association, de la fédération départementale et de la fédération nationale. Le pêcheur paye également une redevance pour protection du milieu aquatique à destination des agences de l'eau, dont le produit s'élève à quelque 8 millions d'euros par an. Cette cotisation permet de mettre en place, à l'échelle nationale, un fonds de péréquation et de soutien à l'ensemble du réseau départemental, grâce auquel nous avons créé ou consolidé, depuis 2006, près de trois cents emplois très qualifiés dans le domaine de l'écologie aquatique, de la surveillance ou encore de l'éducation à l'environnement - les fameux agents de développement, pour reprendre la terminologie consacrée.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Est-ce du cofinancement ?

M. Hamid Oumoussa. - Oui, bien entendu. L'enveloppe que nous mettons à disposition représente une part importante de notre budget, mais ce n'est pas un financement intégral. Les fédérations départementales cofinancent ces postes grâce à leurs ressources propres.

Le montant des cotisations nationales s'élève à 22 à 23 millions d'euros par an. Près de 18 millions d'euros sont affectés aux missions d'intérêt général et au soutien à ces emplois à l'échelon départemental et environ 5 millions d'euros sont affectés à des travaux de restauration de la continuité écologique, de renaturation ou de connaissance de la biodiversité. L'argent est ainsi très largement redistribué à l'échelon départemental pour exercer nos missions.

En outre, nous intervenons activement, dans le cadre d'une convention que nous signons depuis de nombreuses années avec le ministère de l'éducation nationale, auprès des publics scolaires, mais pas seulement. Une centaine de milliers de personnes passent chaque année par nos « ateliers pêche-nature ».

Nous siégeons au Comité national de l'eau (CNE), au Conseil national de la transition écologique (CNTE), au Comité national de la biodiversité (CNB), ainsi qu'au conseil d'administration de l'Office français de la biodiversité (OFB), où nous militons pour que la loi de 2006 soit respectée mais aussi pour améliorer les dispositions réglementaires.

Nous organisons une fois par an de grandes journées techniques, au cours desquelles sont réunis près de deux cents ingénieurs qui discutent de thématiques liées aux écosystèmes aquatiques, notamment la restauration de la continuité écologique.

Depuis trois ans, nous lançons chaque année une grande campagne de communication pour sensibiliser le public sur la question des rivières. Le premier thème avait pour objet la gestion quantitative ; le second, l'an dernier, portait sur les poissons migrateurs, qui sont en très grande difficulté. Cette année, nous avons choisi pour notre campagne l'angle de la connaissance des écosystèmes et de la rivière, afin de mieux sensibiliser les décideurs publics.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Quel est l'impact du changement climatique et quel est celui des pressions des activités humaines et de la pollution sur les écosystèmes aquatiques ?

M. Jean-Paul Doron, Premier vice-président de la Fédération nationale de la pêche en France. - Les territoires sont inégaux dans leurs composantes et dans leurs populations, ce qui fait que les moyens financiers directs de notre réseau sont différents selon les départements. La loi de 2006 avait justement pour objet de répondre à cette préoccupation.

Pour répondre à vos questions, il faut revenir trente ans en arrière. Dans mon département, je me suis investi bénévolement il y a une trentaine d'années dans la protection de l'eau, des milieux aquatiques et des poissons migrateurs. Lorsque j'ai pris mes fonctions, j'ai souffert des affres des derniers travaux d'hydraulique agricole. La dégradation des milieux aquatiques qui en a résulté, sournoise, s'est prolongée et continue. Aussi, la question de l'usage et de l'aménagement du territoire est au coeur de l'enjeu de la gestion de l'eau, indépendamment du problème conjoncturel de la sécheresse, qui devient structurel en raison du changement climatique. Nous héritons, hélas, d'une situation qui, au fur et à mesure, s'est dégradée, au point que des cours d'eau et des zones humides ont disparu. Or les instances et les comités de bassin disposent d'outils de planification de l'eau.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Une de nos préoccupations consiste précisément à conforter l'inscription de la préservation de la ressource en eau dans les documents d'urbanisme, de manière à mieux gérer le stock et le fil de l'eau, pour reprendre l'expression consacrée.

M. Jean-Paul Doron. - Je vous remercie de vos précisions. Dans mon exercice professionnel, au sein d'un établissement public de coopération intercommunale (EPCI), je suis confronté à des questions relatives à l'urbanisme et à l'aménagement du territoire. Aujourd'hui, l'enjeu est sur l'usage du sol. Il s'agit de maintenir l'eau là où elle est.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La meilleure gestion de l'eau ne repose d'ailleurs pas toujours sur la mise en place d'un réseau séparatif des eaux usées et pluviales.

M. Jean-Paul Doron. - Nous avons assisté à une lente dégradation physique des écosystèmes aquatiques, du point de vue de l'hydromorphologie, qui est un aspect essentiel de la gestion de la ressource en eau, aggravée par la sécheresse ou encore par des inondations, qui sont produites par les mêmes causes, mais n'ont désormais pas les mêmes conséquences.

Cette dégradation lente et sournoise est toujours à l'oeuvre dans nos territoires. Par exemple, le préfet de mon département a annoncé la déclaration d'utilité publique (DUP) d'une route à deux fois deux voies, dont la construction détruira quelque 40 hectares de zones humides. Comment est-ce possible en cette période de sécheresse et dans un contexte où il faut préserver les infrastructures naturelles ?

On insiste pourtant sur la nécessité de préserver les zones humides et de respecter la séquence « éviter, réduire, compenser ». N'optons pas directement pour la compensation, surtout si cette dernière est réalisée dans un autre bassin versant ! La gestion de l'eau obéit à une logique implacable - géologique et géographique - de bassin versant.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La compensation est un véritable sujet. Comment bien évaluer la qualité des compensations, sachant qu'elles ne sont pas suivies dans la durée ? Sur le terrain, la situation peut être bien différente de celle qui a été imaginée en amont. Partagez-vous une telle inquiétude ?

M. Jean-Paul Doron. - Oui, j'ai constaté cela dans des dossiers de contentieux. Avant de poser la question de la compensation, il faut se demander quelles sont les véritables mesures qui, selon les études préalables sur un projet donné, pourraient favoriser l'évitement ou la réduction. L'option de la compensation doit venir en dernier. La question de la compensation se pose aussi à l'aune de la pertinence de sa localisation, de son suivi et de son évaluation. Pour nous, c'est un enjeu essentiel.

Si l'on en vient désormais à la situation présente, nous observons depuis cinq ans que les effets du dérèglement climatique s'accumulent, aussi bien en matière d'hydrologie que de température. Nous avons mis en place un réseau de suivi de la température de l'eau : l'élévation s'élève à 1,5 degré. Autrement dit, la température de l'eau a augmenté plus vite que la température extérieure. Cela a des effets directs sur les usages, la biodiversité et notre loisir - les populations de poisson vont soit disparaître, soit être concentrées dans des hydrorégions encore protégées. Les dix-huit mois de sécheresse que nous avons traversés n'ont fait qu'accélérer les choses. Voilà le témoignage, ou la photographie pour ainsi dire, d'un acteur qui est, au quotidien, sur le terrain.

La question des effets des usages du sol et de l'aménagement du territoire n'est pas posée, et c'est aberrant. Sur le terrain, l'enjeu est de faire en sorte que le réseau hydrographique soit maintenu, notamment les têtes de bassin versant - ce que l'on appelle le « chevelu » -, car elles sont essentielles à la gestion de la ressource aussi bien d'un point de vue quantitatif que qualitatif.

Il faut prendre en compte l'enjeu de la protection des têtes de bassin versant et mettre en oeuvre les actions nécessaires. Pour cela, une solidarité entre l'amont et l'aval est indispensable, car les territoires situés en aval, là où la ressource en eau est davantage présente, n'ont pas les mêmes capacités et usages que ceux qui sont situés en amont.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La gouvernance territoriale s'appuie, dans une logique de subsidiarité, sur des établissements publics territoriaux de bassin (EPTB), des établissements publics d'aménagement et de gestion de l'eau (EPAGE), des schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE) et des commissions locales de l'eau (CLE). Quelles seraient vos propositions pour l'améliorer, dans le respect de la solidarité entre l'amont et l'aval ?

M. Hamid Oumoussa. - La gouvernance actuelle est structurée par une approche par bassin, autour des comités de bassin, d'un côté, et des agences, de l'autre. Elle est largement ouverte - les comités de bassin réunissent quelque 150 personnes - et non exclusive - tout le monde semble plutôt bien représenté.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Chacun nous dit qu'il aimerait être mieux représenté...

M. Hamid Oumoussa. - C'est un vieux débat. N'oublions pas que ces revendications émanent également d'organisations qui ne sont pas très représentatives...

La politique de l'eau repose sur beaucoup de concertations, au cours desquelles on ne peut avoir raison contre tout le monde.

L'organisation actuelle de ce système nous convient.

Nous attendons de l'État qu'il se montre plus présent dans la gouvernance de la politique de l'eau : ce domaine, crucial, mériterait un ministère qui y soit consacré. Nous en sommes intimement convaincus, au regard des changements dans l'organisation qui suivent les couleurs politiques des gouvernements. Ainsi, l'enjeu deviendrait véritablement central.

Afin d'évaluer les grands changements dans notre environnement, l'un des meilleurs thermomètres est la quantité d'eau dans les rivières.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il nous semble qu'il faut conforter encore la qualité de l'évaluation des ressources à l'échelle du comité de bassin. Au niveau des nappes profondes, nous ne connaissons pas encore l'ensemble des réservoirs. Est-ce le cas en matière de débit ?

M. Hamid Oumoussa. - Il existe un consensus scientifique fort pour constater que les débits ont baissé. La trajectoire actuelle est celle d'une réduction de 10 % à 40 %, ces chiffres étant en cours de révision.

Il faudra une nouvelle loi sur l'eau. Il s'agira de discuter du concept de débit réservé, fixé, malgré de nombreuses exceptions, au dixième du module du cours d'eau. Ce débit légal que doit maintenir tout usager est fixé à l'article L. 214-18 du code de l'environnement et vise à préserver la nature.

M. Jean Paul Doron. - Pour mesurer les quatre seuils relatifs à la gestion de la ressource en eau dans les départements - « vigilance », « alerte », « alerte renforcée » et « crise » -, tout dépend de l'endroit où est placée la station de contrôle. Si le point d'observation est placé dans le bassin versant, les cours d'eau en tête de bassin peuvent être déjà à sec avant même de déclencher l'alerte.

Pour en revenir à la gouvernance, l'organisation territoriale qui s'appuie sur de grands bassins hydrographiques et sur l'outil de planification qu'est le schéma directeur d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) a évolué depuis la loi du 3 janvier 1992 sur l'eau. La composition même des comités de bassin a changé. Les commissions locales de l'eau (CLE) et les SAGE sont d'ailleurs issus de cette loi.

La Bretagne a la chance d'être un bassin bien couvert par ces commissions et schémas, mais ce n'est pas forcément le cas à l'échelle du territoire national. Aussi, lors du dernier CNE, le 5 janvier dernier, la secrétaire d'État Bérangère Couillard s'interrogeait sur les raisons pour lesquelles les CLE n'arrivaient pas à être opérationnelles. Je peux vous assurer qu'elles sont dans l'action au quotidien. Notre avantage est d'être au plus près des territoires : nous nous mettons autour d'une table avec l'ensemble des parties prenantes, la représentation à peu près équilibrée permet de coconstruire, au travers d'un SAGE, une politique territoriale relative à cette ressource.

Pour donner un petit coup de griffe, j'ai indiqué à la secrétaire d'État qu'il était dommageable que le premier représentant de l'État dans le département, le préfet, puisse saisir la CLE pour permettre, au travers d'une demande de modification d'un SAGE, la destruction de zones humides pour implanter des méthaniseurs. Cela pose un problème de cohérence pour l'État : pourquoi la ligne tracée par le Gouvernement se déclinerait-elle différemment selon les territoires ? Certes, il faut adapter les politiques aux contraintes, mais la feuille de route n'en demeure pas moins.

Nous avons véritablement besoin de renforcer le rôle des CLE, qui sont au plus près des territoires et en prise directe avec les enjeux touchant au bassin versant. En effet, si cette notion de « bassin versant » est implacable, le débit objectif d'étiage (DOE), lui, pour être un des points nodaux du SAGE, n'en reste pas moins un indicateur comme un autre. Les concepts importants sont plutôt ceux de débit réservé et de débit minimum biologique. Pourtant, les seuils fixés par certains arrêtés préfectoraux pour encadrer dans les territoires les prélèvements sur la ressource en eau sont parfois en dessous des débits minimums biologiques.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les DOE s'appliquent sur tous les cours d'eau qui bénéficient d'un soutien d'étiage, contrairement au débit réservé, qui s'applique sur l'ensemble des cours d'eau.

Mme Florence Blatrix Contat. - Quelle est votre analyse des conséquences des nouvelles pollutions des milieux aquatiques ? Quels sont les effets de la production hydroélectrique sur les cours d'eau ? Ce sujet a fait l'objet de nombreux débats au Sénat : d'un côté, les syndicats de rivière prônent de plus en plus l'arasement des seuils pour retrouver une véritable continuité écologique, de l'autre, les propriétaires de moulins assurent créer par leur activité des réserves d'eau. Quel regard portez-vous sur cette petite hydroélectricité ?

M. Éric Gold. - Il y a dix ans, une étude indiquait que la disparition des poissons d'eau douce était principalement due à la pollution. Désormais, en plus des pollutions, le manque d'eau et la hausse de la température des rivières ont des répercussions considérables sur la biodiversité. Ainsi, un changement complet a lieu au sein des populations de poissons présents dans les rivières : les espèces invasives commencent à dépasser en nombre celles qui sont présentes depuis longtemps. Quel est votre regard sur cet enjeu ?

Concernant la continuité écologique dans les cours d'eau, les règles sont à peu près les mêmes, que les seuils mesurent trente centimètres ou quatre mètres de haut : or la problématique en matière de continuité écologique se pose-t-elle en termes identiques pour tous les seuils ? Que pensez-vous de leur suppression ?

M. Thierry Cozic. - La création d'un ministère dédié à l'eau me semble pertinente, mais j'entends également la proposition de renforcer la gouvernance au niveau des CLE. Quel est, de votre point de vue, le bon niveau de gouvernance de la ressource afin de se projeter dans les cinq à dix ans à venir ?

M. Daniel Breuiller. - En matière de lutte contre les pollutions, sept programmes d'actions nationaux nitrate ont été mis en place. Constatez-vous des améliorations ? Auriez-vous des propositions à ce sujet ?

M. Hamid Oumoussa. - Concernant la gouvernance, nous sommes convaincus que les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE) sont un bon outil dès lors qu'ils sont mis en place de bonne foi : gouvernance et objectifs respectés, cahier des charges élaboré, signé par les uns et les autres et correctement mis en oeuvre, avec un État qui joue le rôle qui doit être le sien.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Des consensus trouvés à l'échelle du territoire peuvent pourtant être remis en cause à l'échelon national. Quand un accord territorial existe, il faudrait que le national l'accompagne de manière cohérente.

M. Hamid Oumoussa. - Les remises en cause peuvent aller dans les deux sens. De fait, si l'enjeu de la continuité écologique est considéré comme essentiel depuis la loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques, dite loi Lema, nos efforts sont contrecarrés par une contestation de ce principe, notamment au Sénat.

En voici une illustration : pour évaluer le potentiel de développement de l'hydroélectricité, d'excellentes concertations ont été menées de manière contradictoire, par bassin versant, pendant cinq ans, associant fédérations, État, collectivités, propriétaires de moulins... Malgré cela, un certain nombre d'associations sont venues au Sénat et à l'Assemblée nationale pour remettre en cause ce potentiel en avançant des études et des chiffres différents.

Nos fédérations s'inscrivent dans des protocoles liés aux retenues quand elles le jugent utile, par exemple quand il s'agit de favoriser une agriculture agroécologique ou quand le débit réservé négocié est plus élevé que celui prévu par la réglementation. Que le Gouvernement vienne les invalider ensuite est un problème.

La continuité écologique est une exigence ancienne. La réglementation date de la fin du XIXsiècle. Elle dispose qu'une échelle à poissons doit être prévue partout où un ouvrage est installé. La loi du 29 juin 1984 relative à la pêche en eau douce et à la gestion des ressources piscicoles n'a pas été mentionnée dans nos échanges jusqu'à présent, pourtant elle avait été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Elle a consacré législativement les notions de « débit réservé », vital pour le milieu naturel, et de « continuité écologique », vitale pour le peuplement piscicole. La loi du 30 décembre 2006 a transféré ces articles au sein du code de l'environnement.

L'installation d'énormes barrages a été accompagnée par nos structures. Elle répondait à l'enjeu de l'indépendance énergétique, de l'intérêt général et de l'activité économique. Cela n'a posé aucune difficulté : toujours, nous avons su rester à la table des négociations pour s'accorder grâce à une étroite collaboration des parties, sur les débits réservés, les échelles à poissons à aménager et pour proposer des solutions de suivi. Je tiens d'ailleurs à casser un mythe : les poissons ne peuvent pas franchir les ouvrages en sautant sur plusieurs mètres, saumon compris. Cette image est une totale fiction et la négation de notre travail au quotidien...

Entre 100 000 et 150 000 ouvrages de toutes natures barrent la continuité écologique. En 2006, les rapporteurs du Sénat et de l'Assemblée nationale ont réalisé un travail remarquable au sujet des moulins : ils ont trouvé des compromis satisfaisants pour tout le monde permettant de lancer le plan national d'actions pour la restauration de la continuité écologique (Parce). À partir de 2012, le vent a tourné. Il y a eu une velléité de remettre en cause substantiellement la continuité écologique ; la seule contrepartie imposée aux moulins a été de respecter la loi... Depuis 2006, à chacune des grandes lois relatives à l'écologie, des amendements sur les moulins et la continuité écologique sont déposés au Sénat.

Humblement, nous estimons que le Parlement est allé trop loin dans les droits qu'il a accordés aux propriétaires de moulins puisque, au gré d'une loi, ces derniers ont été considérés comme exonérés du respect de la continuité écologique. Or comment justifier qu'un ouvrage d'accès à l'eau potable doive respecter cette exigence, mais pas un moulin ? Récemment, le Conseil d'État a jugé que cela contrevenait aux conventions internationales signées par la France. La loi du 10 mars 2023 relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables a abrogé l'article L. 214-18-1 qui visait à accorder des droits substantiels et exorbitants aux propriétaires de moulins. La disparition de cet « ovni juridique » apaise un peu la situation, d'autant que personne ne revendique la disparition des moulins : ils font partie de notre patrimoine.

M. Rémy Pointereau, président. - Il y a eu toutefois des excès de la part de l'administration. Il ne faut pas ignorer, dans certains départements, la volonté de détruire un certain nombre de moulins.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Les agences de l'eau ont aidé les propriétaires de moulins à détruire leurs seuils. Elles auraient plutôt pu aider certains propriétaires à réaliser des travaux en faveur de la continuité écologique.

M. Jean Paul Doron. - Je travaille dans l'architecture : si je n'étais pas convaincu par la préservation du patrimoine, qui saurait l'être ? Néanmoins, cette préservation ne doit pas entraîner une distorsion de traitement entre citoyens face au droit et aux obligations attachées. Nous avons même trouvé le moyen de ne pas veiller à la mise aux normes des ouvrages prioritaires...

En tant qu'élu de terrain, je trouve insupportable de faire face à de la désinformation dans nos territoires. Ainsi, nous avions auparavant associé les propriétaires de moulins aux CLE pour les faire participer, mais leur seule revendication a été d'échapper au droit au motif qu'ils produisaient de l'électricité et qu'ils avaient un magnifique plan d'eau devant chez eux, même si 70 % de la masse d'eau s'y évaporait et que les poissons y mouraient...

Au sujet des espèces invasives, si nous sommes mobilisés au Sénat même, c'est justement pour préserver la biodiversité. Le poisson a besoin de la continuité écologique, car son cycle de vie dépend du cours d'eau.

Pour la petite hydroélectricité, il ne faut pas confondre le volume d'eau mobilisable et le débit. Quand l'activité du moulin est abaissée et qu'il n'y a plus d'eau dans le bief, le débit entrant du cours d'eau assure le productible.

M. Hamid Oumoussa. - Je vais énumérer nos propositions.

D'abord, nous encourageons fortement la création d'un ministère de l'eau.

Ensuite, la notion de débit mérite une réflexion de nature législative : le débit réservé et les exceptions figurant dans l'article L. 214-18 du code de l'environnement ne sont plus adaptés à la réalité, c'est-à-dire à un état de sécheresse permanent.

Enfin, sur l'aspect financier, malgré la réforme à venir des redevances, la politique de l'eau a lourdement souffert de mécanismes qui sont venus grever et neutraliser les finances des agences.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'enjeu est celui des plafonds mordants et des plafonds de dépenses.

M. Hamid Oumoussa. - Exactement. Siégeant à son conseil d'administration, je constate que l'OFB, malgré toutes les promesses, connaît un problème de moyens humains sur le terrain, notamment en lien avec la police des pêches et de l'eau.

M. Jean Paul Doron. - Lors du dernier conseil d'administration de l'OFB, la baisse drastique des moyens alloués à la police de l'eau et, de manière générale, à celle de l'environnement a été constatée. Ces polices sont pourtant des enjeux prioritaires.

M. Hamid Oumoussa. - Juridiquement, la politique de ces vingt dernières années a consisté à réaliser une sorte de gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences (GPEC) pour abaisser les moyens de certaines administrations. Les agents de la direction départementale de l'équipement (DDE), qui assuraient un lien entre acteurs sur les questions de l'eau, ne sont plus là. Le départ de ces experts crée un manque.

Dans la nomenclature des installations, ouvrages, travaux et activités (IOTA), nous sommes passés de systèmes relevant de l'autorisation à des systèmes relevant désormais de la déclaration. Avec un peu de recul et en l'état actuel de nos connaissances sur la nouvelle sécheresse permanente, autoriser la réalisation de travaux puis vérifier leur conformité n'est pas le meilleur moyen de gérer la politique de l'eau. Le système d'autorisation doit, dans un certain nombre de cas, être préféré.

M. Rémy Pointereau, président. - Je vous remercie de votre contribution.

La réunion est close à 15 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 30 mars 2023

- Présidence de M. Rémy Pointereau, président -

La réunion est ouverte à 11 heures.

Audition d'acteurs de l'hydroélectricité

M. Rémy Pointereau, président. - Je vous remercie d'avoir répondu nombreux à notre invitation pour échanger sur la question de l'eau. Vous intervenez dans le cadre d'une mission d'information constituée au Sénat à l'initiative du groupe socialiste. Celle-ci comprend des sénateurs issus de tous les groupes politiques et a pour rapporteur M. Hervé Gillé, sénateur de la Gironde. Notre objectif est d'entendre les experts et toutes les parties prenantes de la politique de l'eau dans un contexte préoccupant de changement climatique.

Nous vous auditionnons donc en tant qu'acteurs de l'hydroélectricité, car si l'eau est nécessaire à l'alimentation humaine, elle constitue également une source d'énergie. Nous avons besoin de concilier les différents usages de l'eau pour aller vers une gestion efficiente de la ressource, aussi bien sur le plan quantitatif que qualitatif.

Quelles sont vos préconisations pour une meilleure adéquation entre la rentabilité économique et la continuité écologique ? Quelles sont vos propositions dans le cadre de la gestion durable de l'eau ? Si la microélectricité est aujourd'hui possible, elle ne doit être produite que dans certaines conditions, l'étiage de nos rivières et la qualité de l'eau étant des problématiques à prendre en compte.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le contexte de sécheresse dans lequel nous nous trouvons nous amène à interroger notre gestion de l'eau. Nos réflexions pourront aboutir à des propositions, éventuellement législatives, qui devront être mises en perspective avec la déclaration que le Président de la République s'apprête à faire aujourd'hui même.

Notre réflexion porte sur l'ensemble du cycle de l'eau, c'est-à-dire le grand et le petit cycle, même si cette distinction est de plus en plus discutée. Nous souhaitons examiner de près un certain nombre de sujets : la gouvernance territoriale, la nécessité de disposer de données fiables pour évaluer la ressource et adapter la consommation au travers de la subsidiarité ; l'acceptabilité des projets est également une question importante, tout comme la gestion des pratiques, qui nous amène à imaginer des scénarios pour contribuer à la sobriété nécessaire aujourd'hui et demain. Les hydro-électriciens ont un rôle central en la matière.

Mme Emmanuelle Verger, directrice d'EDF Hydro. - Je souhaiterais débuter en citant l'exemple des vallées de la Durance, du Verdon, du Buëch et de la Bléone qui ont été choisies par le Président de la République et le Gouvernement pour faire aujourd'hui l'annonce du plan Eau. Ces vallées permettent en effet d'illustrer le caractère multiusage de l'eau et les possibilités offertes par les ouvrages hydroélectriques. Le concept de construction d'équipements dédiés au multiusage trouve son origine au XVIe siècle, avec l'idée d'acheminer une partie des eaux de la Provence jusqu'à Marseille, même s'il a fallu attendre les années 1960 pour que tous les ouvrages soient opérationnels. Cette chaîne de la Durance et du Verdon fournit l'eau potable pour 3 millions de personnes, pour l'irrigation de 120 000 hectares de terres agricoles, et pour l'alimentation en eau industrielle de 440 entreprises. Elle permet aussi de produire plus de deux gigawatts d'électricité bénéficiant à 2 millions de personnes. L'usage touristique s'est également développé sur le secteur, avec le lac de Serre-Ponçon qui représente 1,2 milliard de mètres cubes de capacité de stockage et qui a justement été choisi pour l'annonce du plan Eau. Nous pourrions citer d'autres exemples de retenues mutiusages, comme le bassin Adour-Garonne, qui a fait l'objet de contrats de coopération signés en 2020 et 2022, stipulant que l'eau devait servir à l'irrigation et pas seulement à la production d'électricité. Il faut d'ailleurs signaler que 70 % de nos concessions EDF ont d'autres activités, en plus de la production d'électricité. Le multiusage est donc au coeur de notre ADN et nous avons conscience que cette gestion de l'eau est une donnée clé pour le pays.

Il serait idiot de nier que le changement climatique a un impact sur la ressource en eau. Cet impact est bien mesuré dans le cadre de l'augmentation de l'évaporation liée à la hausse des températures, mais les conséquences de la baisse des précipitations sont plus difficiles à apprécier. On estime cette baisse à un térawattheure par décennie sur nos ouvrages, pour une production annuelle de 40 à 44 térawattheures.

Il faut noter que l'hydroélectricité constitue un instrument idéal de lutte contre le changement climatique à double titre car d'une part, elle n'émet pas de CO2 et d'autre part, étant pilotable, elle facilite l'insertion sur le réseau d'énergies renouvelables intermittentes. En outre, l'hydroélectricité, qui possède encore un potentiel de développement, constitue un outil de résilience, comme le montrent le multiusage et le stockage d'eau et d'électricité.

M. Cyrille Delprat, directeur général de la Société Hydro-Électrique du Midi (SHEM). - La Société Hydro-Électrique du Midi (SHEM), troisième producteur français d'hydroélectricité, est une filiale du groupe Engie. Elle gère 56 usines et 12 barrages, répartis dans le grand Sud-Ouest sur des actifs de haute et moyenne chute. L'hydroélectricité, première énergie renouvelable, est synonyme de stockage d'énergie, de flexibilité et de complémentarité avec le photovoltaïque et l'éolien.

La SHEM, en plus de produire de l'électricité, contribue également à l'alimentation en eau des territoires en aval : nous participons à l'alimentation du plateau gascon, qui connaît une situation de stress hydrique. Ainsi, le volume total lié à nos 12 barrages et aux retenues associées constitue 60 % des volumes d'eau fournis en été à destination des lacs.

L'hydroélectricien est au croisement de ces enjeux majeurs aujourd'hui et le sera encore plus demain, puisque le bassin Adour-Garonne fait partie des zones en tension. Nous devons donc continuer à y contribuer, en nous posant des questions sur les arbitrages de ce multiusage. À cet égard, l'année 2022 est un bon exemple d'injonctions contradictoires : il nous a été demandé à la fois de garder suffisamment d'eau en hiver pour faire face aux éventuelles coupures et de fournir de l'eau en été, en raison de la sécheresse extrême.

D'autres questions se poseront sur le prix de l'électricité lorsque celui-ci diminuera, de même que sur le modèle économique associé, qui devra être réfléchi avec nous, les acteurs hydroélectriciens. Pour ce faire, nous avons besoin de visibilité quant à l'avenir des concessions hydroélectriques, sujet déjà ancien. Nous vous remercions du pas franchi grâce à la loi relative à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, qui facilite les investissements, mais nous devons encore avancer dans un esprit d'équité entre acteurs.

Mme Laurence Borie-Bancel, présidente du directoire de la Compagnie nationale du Rhône (CNR). - Le sujet de la gestion durable de l'eau et de ses enjeux au regard du réchauffement climatique est au coeur de nos préoccupations. Nous partageons évidemment l'idée d'agir ensemble de manière concertée pour préserver les usages et notre environnement. La gestion globale du Rhône a été confiée à la Compagnie nationale du Rhône (CNR), il y a près de 90 ans, et elle a été renouvelée l'année dernière pour 20 années supplémentaires. Nous sommes le premier producteur français à 100 % renouvelable, avec le triptyque eau, air, soleil. Nous représentons, avec un seul fleuve, 25 % de l'hydroélectrique au fil de l'eau français : aucun autre fleuve au monde n'est géré comme le Rhône. Nous devons garantir une gestion holistique de l'eau : hydroélectricité, navigation, irrigation. Les territoires représentent 17 % de notre actionnariat, aux côtés de la Caisse des dépôts et des consignations (CDC) et d'Engie.

Notre modèle est industriel et redistributif, avec une redevance sur l'électricité produite proportionnelle au prix de l'électricité captée, avec un seuil de 80 % pour l'électricité dont le prix est supérieur à 80 euros par mégawattheure. La CNR produit au fil de l'eau : nous turbinons l'eau qui nous est donnée, sans la stocker. Nos vingt centrales hydroélectriques et dix-neuf barrages produisent 13,6 térawattheures. La CNR, c'est aussi 330 kilomètres de voies navigables, avec quatorze écluses et dix-sept sites industrialo-portuaires, soit 1 400 emplois directs et 14 000 emplois indirects.

Nous nous inscrivons dans les objectifs de transition et d'indépendance énergétique ; ainsi, nous accélérons le développement du renouvelable, avec 500 millions d'euros de travaux dans le cadre de la prolongation de la concession. De même, un vingtième ouvrage sur le Rhône, en amont de la confluence avec l'Ain, est prévu, ainsi que des installations éoliennes et photovoltaïques. Nous veillons à maintenir la confiance avec les territoires tout en innovant.

M. Jean-Marc Lévy, secrétaire général de France Hydro Électricité. - Si l'on se donne les moyens d'agir, on peut augmenter les capacités de l'hydroélectricité de 20 %, soit 12 térawattheures, l'équivalent de la consommation de 5,3 millions de Français. Cela serait suffisant pour se passer du charbon et du gaz en hiver. On compte aujourd'hui sur nos cours d'eau 2 300 petites installations dont la qualité, fruit d'un savoir-faire ancien, est un don pour les générations futures. L'hydroélectricité approvisionne déjà l'équivalent de 27 millions de Français - elle pourrait en alimenter 1,8 million de plus dès 2028.

Cette production, la plus décarbonée, est aussi l'une des plus efficaces, avec un rendement de 90 %. Elle alimente, en majorité, les collectivités avoisinantes. En outre, nous connaissons les enjeux autour des métaux rares : notre mode de production ne nécessite aucune importation. C'est l'énergie préférée des Français. Nos installations sont les plus conformes aux exigences de continuité écologique, des passes à poisson à la gestion collective des usages. Certaines associations n'ont pas le monopole de l'amour de la flore et de la faune de nos rivières...

Toutefois, si la baisse des débits nous inquiète pour la production de l'électricité, la perturbation du cycle de l'eau nous préoccupe plus encore. Les crues et les sécheresses, jusqu'ici l'exception, deviennent la règle. Nos installations sont majoritairement au fil de l'eau, tributaires du régime hydrologique de leur rivière. Cela étant, nos capacités de stockage, même minimes, sont cruciales pour les collectivités, qui en ont profité l'été dernier. Nos centrales sont autant de sentinelles contre la sécheresse, assurant une disponibilité limitée, mais essentielle, de l'eau. Les moyens techniques sont là, mais il faut une nouvelle politique de l'eau, assurant l'équité entre les trois piliers que sont l'eau potable, l'eau comme bien de consommation pour nos industries et notre agriculture, et l'eau comme moyen de production d'électricité. Cette politique s'appuierait sur une ambition globale de sobriété et sur une connaissance fine des cours d'eau. Pour éviter les conflits de l'eau, il faut de nouvelles méthodes de concertation, alors que certaines décisions lourdes de conséquences sont prises arbitrairement. Par exemple, l'administration a rehaussé les débits réservés, sans en démontrer l'effet sur la biodiversité, pour un important manque à gagner énergétique. Évitons les idées reçues !

M. Alain Eyquem, président de la Fédération des moulins de France. - Nous fédérons les associations régionales, départementales et locales des moulins. Ceux-ci sont au coeur des problématiques patrimoniale, environnementale et énergétique. Nous sommes de plus en plus sollicités pour l'hydroélectricité.

M. Michel Andreu, administrateur de la Fédération des moulins de France. - Les moulins représentent une faible part de la production hydroélectrique en France. Mais des dizaines de milliers d'installations sont en activité et, si certaines produisent de l'électricité, elles étaient présentes bien avant l'ère électrique. Nous respectons le débit réservé, mais nous vous avertissons : les biefs doivent aussi être alimentés en eau en période d'étiage. Même quand on ne produit pas d'électricité, il faut maintenir la biodiversité. Ensuite, les moulins sont un gisement hydroélectrique : 20 000 d'entre eux pourraient produire de l'électricité. Lors de l'examen du projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables, l'estimation basse était de 300 mégawatts, le tiers d'un réacteur nucléaire. Ce potentiel est facilement disponible, avec une forte accessibilité sociale et un capital de sympathie important. Comme maire d'une commune, je m'interroge : comment peut-on promouvoir l'éolien et le photovoltaïque tout en entravant l'hydroélectricité sur les sites existants ? Les moulins ne sont pas sur le régime de la concession, et sont donc peu concernés par l'absence de mise en concurrence, toutefois, il faut distinguer l'usage d'une chute et la propriété foncière annexée. Actuellement, équiper un ouvrage suppose l'acquisition du foncier. Remettre cette contrainte en cause pourrait ouvrir des pistes. Les moulins ne prélèvent pas d'eau, ils la font travailler. Les ouvrages ont peu d'effet sur la biodiversité, avec une chute inférieure à deux mètres, sans effet sur les poissons migrateurs. Les moulins n'ont jamais empêché les anguilles de remonter... Quant au transfert des sédiments, s'il n'avait pas lieu, les moulins seraient ensablés depuis longtemps, alors que certains existent depuis 600 ans.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous souhaitons mesurer l'impact du changement climatique sur les perspectives en matière de production d'électricité. Au-delà de l'optimisation des sites existants, avez-vous des scénarios d'amélioration de la ressource et du stockage ? De meilleurs matériels permettent-ils des processus plus vertueux qu'aujourd'hui ?

Quel regard portez-vous sur la réglementation relative au soutien de l'étiage, aux débits réservés et au débit d'objectif d'étiage (DOE) ? Je peux témoigner du travail de qualité qui est fait, notamment sur le bassin Adour-Garonne : l'implication responsable des acteurs dégage des chemins intéressants.

Enfin, quelle est votre vision prospective sur le potentiel d'évolution de la production, sans négliger les obligations relatives, notamment, aux besoins d'étiage ?

- Présidence de M. Louis-Jean de Nicolaÿ -

Mme Emmanuelle Verger. - Je fais l'hypothèse que le sujet des concessions sera réglé rapidement...

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela suppose des indications correctes dans les cahiers des charges.

Mme Emmanuelle Verger. - En effet.

Nous identifions un potentiel d'augmentation de la puissance des installations existantes, soit avec des machines plus efficaces, soit en ajoutant un groupe de production, de 500 mégawatts d'ici à 2035. Il faut y ajouter 1,5 gigawatt lié aux stations de transfert d'électricité par pompage (Step). La rehausse de barrages est aussi possible, avec une augmentation, non de la puissance, mais de la quantité d'eau et donc de l'électricité stockée, c'est-à-dire disponible sur l'année. Un potentiel équivalent peut encore être dégagé pour la décennie suivant 2035.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Où les rehausses se concentreraient-elles ?

Mme Emmanuelle Verger. - Le potentiel concerne surtout le Sud-Ouest.

M. Cyrille Delprat. - Les études menées dans le bassin Adour-Garonne font état d'une baisse de 10 % des précipitations et de 30 % à 50 % de l'enneigement d'ici à 2050, en retenant l'hypothèse d'un réchauffement de deux degrés. Cela représente une baisse de 20 % de notre production, qui restera toutefois importante et flexible. Avec moins d'eau et moins de neige, nous étudions, à notre échelle, la rehausse des barrages, mais à la marge, puisqu'il y aura moins d'eau à stocker de toute façon. Il y a aussi un potentiel, là encore à la marge, pour les Step. Il faudra de plus penser à la petite hydroélectricité, mentionnée par Jean-Marc Lévy, pour prendre en compte les efforts plus importants à venir en termes d'étiage.

À l'horizon 2050, le déficit hydrique s'établira entre 1,2 et 1,4 milliard de mètres cubes d'eau. Notre contribution supplémentaire pourrait être de 150 millions à 200 millions de mètres cubes d'eau, ce qui est considérable, mais largement insuffisant. Il faut donc répartir les efforts entre tous les acteurs. Vous avez mentionné le DEO : la question de leur fixation se pose, même si l'équation est difficile.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Plus on affine les modèles, meilleur est le pilotage. On le voit avec le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) : on ne connaît pas les capacités de toutes les nappes. Tout le débat autour du DOE, du soutien à l'étiage et du débit réservé s'inscrit dans cette problématique.

Mme Laurence Borie-Bancel. - Nous observons déjà les effets du changement climatique, avec de fortes variations de l'hydraulicité. Ainsi, nous avons une capacité de 3 000 mégawatts installés sur le Rhône : en conditions optimales, nous produisons l'équivalent de 2 700 mégawatts de puissance. Début septembre, avec la sécheresse, nous étions à 230 mégawatts. Selon notre agence de l'eau, à l'horizon 2055, le débit moyen du Rhône ne devrait pas évoluer sur l'année, mais nous aurons beaucoup d'eau en hiver et pas assez en été. Les débits d'étiage sont déjà affectés depuis 1960, avec des baisses de 7 % à l'amont et de 13 % à l'aval. Toutefois, en 2055, on pourrait enregistrer une nouvelle baisse de 20 % à l'aval, mais avec plus d'eau en hiver. En outre, il y aura moins de neige : celle-ci a déjà diminué de 10 % depuis 1960, et cela pourrait baisser encore de 20 % à 40 % d'ici à 2055. Il faut donc plus de flexibilité, pour turbiner davantage quand l'eau est présente.

Dans le cadre de la prolongation de notre concession, nous sommes tenus d'investir. Outre le vingtième aménagement que j'évoquais, qui serait d'une puissance de 37 mégawatts, pour une production de 140 gigawattheures - l'équivalent d'une ville de 70 000 habitants - nous construirons de petites centrales hydrauliques sur six installations, entre cinq et dix mégawatts par équipement, pour un total de 100 gigawattheures de production. Nous développerons aussi la capacité de l'aménagement de Montélimar, avec une augmentation de la hauteur d'eau et un changement de turbine. Au total, nous produirons 0,5 térawattheure de plus par an, avec 100 mégawatts supplémentaires de puissance.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Mieux gérer l'eau passe par l'amélioration du stockage, y compris en milieu naturel, avec les zones humides. En effet, la pluviométrie sera plus variable : toutes les stratégies, y compris de réinfiltration dans les nappes, sont-elles bienvenues ?

M. Jean-Marc Lévy. - Le changement climatique nous préoccupe grandement, mais notre inquiétude porte davantage sur son rythme, qui semble s'accélérer. Cependant, nos ouvrages sont résilients et la filière peut s'adapter, en étendant par exemple les plages de fonctionnement, avec des efforts d'automatisation. Pour illustrer notre résilience, la baisse de production, sur les vingt dernières années, d'un parc de trente centrales dans les Vosges n'a atteint que 0,26 %, chiffre très faible. La petite hydroélectricité, c'est de la haute couture : tout est dimensionné aux enjeux environnementaux du site. L'eau a de nombreux usages, dont la production électrique, avant d'atteindre l'océan : il faut les optimiser. Ainsi, quand il y a des seuils, l'eau stagne et s'infiltre davantage. Les retenues sont des écotones et des refuges pour les poissons.

Sur le débit réservé, il ne faut certes pas gaspiller l'eau, mais cela vaut également pour les gigawattheures. Or, les débits réservés causent parfois des pertes d'énergie renouvelable, sans gain pour l'environnement. Relevons-les seulement lorsque c'est indispensable : aujourd'hui, les relèvements sont souvent systématiques, parce que la direction de l'eau et de la biodiversité nous considère comme des obstacles à la continuité écologique, sans que nous soyons soutenus pleinement pour autant par la direction générale de l'énergie et du climat (DGEC). Notre potentiel de développement est de 12 térawattheures, soit 20 % de plus. Nous proposons 625 mégawatts de plus d'ici à 2028, dont 240 mégawatts en nouveaux ouvrages et 60 mégawatts en équipements de seuil existants. La rénovation d'ouvrages apportera 100 mégawatts, auxquels il faut ajouter 210 mégawatts pour les augmentations de puissance des concessions. Nous prévoyons ensuite 790 mégawatts supplémentaires entre 2028 et 2033.

M. Michel Andreu. - Les moulins, parce qu'ils sont au fil de l'eau, ne peuvent soutenir l'étiage. En revanche, attention aux débits réservés : il faut laisser l'eau dans les biefs existants et dans nos petites retenues, qui alimentent la biodiversité, les nappes phréatiques et les zones humides. Abaisser la retenue d'un ouvrage en amont rétrécit les surfaces, au détriment des zones humides.

M. Cyril Pellevat. - En Haute-Savoie, le juge administratif a donné raison à France Nature Environnement contre la centrale de Sallanches. Il faudra donc démonter un investissement de six millions d'euros - et cela coûtera dix millions d'euros - pour des raisons de biodiversité. Nous parlions d'acceptabilité. Cela ne crée-t-il pas une jurisprudence mettant en péril les projets à venir ? Par ailleurs, si nous devions avoir gain de cause, quelles préconisations peut-on formuler, notamment pour mieux travailler, tant avec des associations qui attaquent tout faute d'information qu'avec des juges parfois complaisants ?

M. Daniel Breuiller. - Une remarque préalable : la biodiversité est un sujet à part entière, qu'il faut équilibrer avec les besoins d'énergie et de consommation. Avez-vous des exemples de bonnes pratiques d'acceptabilité et de dialogue entre les associations de défense de la nature, les agriculteurs et les industriels, par exemple ?

Mme Florence Blatrix Contat. - En effet, la concertation doit éviter des décisions postérieures à l'édification de la structure, même si ces décisions sont sans doute étayées et ne reposent pas que sur des idées reçues. Travaillez-vous à l'amélioration de ces démarches en amont ?

Par ailleurs, l'hiver, la production hydroélectrique ne posera pas problème. La CNR a anticipé en développant notamment le solaire, qui compensera les besoins en été. Les autres structures ont-elles adopté une telle démarche ?

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, président. - Sur les barrages, quelle hauteur faut-il pour garantir un meilleur stockage des précipitations accrues en hiver ?

M. Jean-Marc Lévy. - Sur Sallanches, si cela faisait jurisprudence, il faudrait attendre que les recours soient purgés avant toute construction. Toutefois, le projet de loi relatif à l'accélération de la production d'énergies renouvelables prévoit une assurance dans ce cas de figure. Les citoyens ne contestent pas notre énergie : le degré d'acceptabilité locale par les citoyens et les élus est excellent. La contestation vient d'associations qui ont fait des recours leur gagne-pain et attaquent sans discernement nos autorisations. Or l'État ne défend pas toujours ces autorisations au tribunal, en même temps qu'il finance ces associations, ce que certains élus locaux ont arrêté de faire.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Que faire pour garantir l'acceptabilité de tels projets ?

M. Jean-Marc Lévy. - La concertation, prévue par la loi, est très large et a lieu à toutes les étapes du projet. Ainsi, aucun projet ne se fait dans le dos des associations ! Nous observons que France Nature Environnement soutient dans ses discours toutes les énergies renouvelables (EnR), mais, dans les faits, attaque toutes nos autorisations. Or entre deux et sept ans sont nécessaires pour obtenir une autorisation pour un projet d'hydroélectricité, à la suite d'un processus très lourd. Nous n'avons pas encore la solution. Nous faisons notre maximum au cours des concertations, mais ces associations n'y sont pas présentes : elles sortent du bois le dernier jour du délai de recours.

Mme Emmanuelle Verger. - Le changement climatique nous conduit à adapter la gestion de notre parc hydroélectrique, notamment en raison de la baisse du stock de neige et de sa fonte précoce. Un lac ne doit pas être trop plein à la veille de la fonte des neiges, sinon il va déborder.

Cela nous a poussés à développer une expertise pointue pour comprendre les effets du changement climatique, qui ne sont pas toujours simples, et pour affiner le pilotage de nos ouvrages, de sorte qu'ils puissent stocker l'eau au moment où elle arrive derrière les retenues. Les barrages permettent en effet de retarder le moment où l'eau part à la mer, ce qui permet de produire de l'électricité au meilleur moment et de disposer d'eau douce dans de meilleures quantités, au moment où nous en aurions le plus besoin. Quand on rehausse un barrage, on augmente la surface susceptible d'être immergée, ce qui pose des questions auxquelles il faut répondre au cas par cas, en fonction des besoins en aval, des caractéristiques de la zone concernée et du degré d'acceptabilité.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Aucune rehausse n'est programmée pour l'instant ?

Mme Emmanuelle Verger. - Nous avons de sérieux projets. Mais nous ne nous faisons pas d'illusions : le degré d'acceptabilité de l'hydroélectricité est aussi lié au fait qu'il n'y a pas eu de projets majeurs jusqu'à présent. Si leur développement reprenait, des oppositions pourraient se faire jour. Nous sommes très ancrés dans les territoires. Nous avons une grande expertise dans la concertation avec l'ensemble des parties prenantes. Notre programme « Une rivière, un territoire » met l'accent sur le fait que l'hydroélectricité est une énergie souveraine. D'ailleurs, EDF Hydro, c'est 5 200 salariés, 30 000 emplois indirects et 60 % des dépenses d'investissement qui seront françaises et, le plus possible, locales. C'est un vecteur de développement économique pour nos territoires. Il s'agit d'un point clé pour garantir l'acceptabilité de nos projets.

Mme Laurence Borie-Bancel. - L'acceptabilité n'est pas gagnée, même si l'hydroélectricité est l'énergie renouvelable préférée des Français. Pour la soutenir, il faut que les projets bénéficient véritablement aux territoires.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - C'est pour cela que j'ai évoqué les projets de territoire pour la gestion de l'eau (PTGE), sur lesquels nous réfléchissons également.

Mme Laurence Borie-Bancel. - Notre devise est d'ailleurs « le Rhône pour origine, les territoires pour partenaires, les énergies renouvelables pour l'avenir ».

M. Cyrille Delprat. - Notre ancrage historique facilite grandement nos relations à l'échelle locale et certaines instances, comme les parlements de l'eau, aident aussi à dialoguer. Pour autant, la tension va s'accentuer, aussi, nous cherchons déjà à dialoguer en amont. Les relations sont parfois complexes avec les acteurs environnementaux, même si nous faisons beaucoup d'efforts. Chaque dossier est particulier, en raison de l'environnement et des espèces qui sont à chaque fois différents. D'ailleurs, nous ne nous engageons pas dans des dossiers s'ils ne nous semblent pas pertinents. Pour rendre un projet acceptable, il faut montrer que nous sommes des acteurs sérieux.

Ce n'est pas le groupe SHEM qui fait de l'énergie photovoltaïque (EPV) ou de l'éolien, mais ses filiales, notamment Engie Green.

Aucun déversement majeur ne justifierait de rehausser les barrages, pour amortir plus fortement les crues. Du reste, on risque, à l'avenir, d'avoir moins d'eau qu'aujourd'hui. Il faut avoir à l'esprit que le rôle des barrages dans la gestion des crues est important.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il faut considérer l'ensemble des externalités pour évaluer l'impact et la pertinence d'un projet. En matière de communication, des actions doivent être entreprises. Si l'on souhaite politiser le sujet de l'eau, il est crucial de renforcer les relations avec les usagers.

Nous en venons désormais au sujet de l'évolution des concessions. La Commission européenne a mis en demeure la France, car celle-ci est très en retard sur la mise en concurrence des concessions hydroélectriques. Selon vous, quelles sont les solutions juridiques et politiques qui permettraient de surmonter ces difficultés ? Souhaitez-vous nous donner des informations sur les négociations en cours ?

Mme Emmanuelle Verger. - Il faut absolument trouver une solution pour favoriser de nouveau le développement de projets hydroélectriques, car il existe un réel potentiel. L'hydroélectricité permet d'insérer plus d'EnR et de produire plus d'électricité au bon moment sans émettre de CO2. De plus, tous nos projets s'appuient sur une approche multiusage de l'eau. Pour nous le statu quo n'est pas une bonne option, car il tend à bloquer le développement du potentiel hydroélectrique, qui pourrait entrer en service au cours de cette décennie. Je ne peux pas en dire plus sur la ou les solutions qui nous paraissent les plus adaptées. Nous cherchons des solutions permettant d'éviter les mises en concurrence et de maintenir les concessions dans les entreprises qui les gèrent aujourd'hui.

Mme Laurence Borie-Bancel. - La CNR a été prolongée par la loi du 28 février 2022. Ainsi, nous avons pu lancer un programme de développement et de renouvellement d'équipements.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Qu'est-ce qui a justifié cette approche juridique particulière ?

Mme Laurence Borie-Bancel. - La concession du Rhône avait été autorisée par une loi de 1931, d'où la prolongation par un projet de loi relatif à l'aménagement du Rhône.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela ne s'inscrit donc pas dans le cadre européen ?

Mme Laurence Borie-Bancel. - L'Union européenne a accepté cette prolongation.

Mme Florence Blatrix Contat. - Cette loi a pu être votée en raison des multiples activités de la CNR.

Mme Laurence Borie-Bancel. - La production d'électricité n'est effectivement pas notre seule mission. Nous en avons d'autres comme la navigation et l'irrigation des terres agricoles. Nous avons une gestion holistique de notre concession du Rhône, qui va de la frontière suisse jusqu'à la Méditerranée - même s'il existe un aménagement concédé à EDF depuis 1898.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il est intéressant de voir comment ces sujets peuvent entrer en résonnance avec des engagements sociaux et culturels, si l'on pense au projet de donner des identités aux fleuves.

M. Cyrille Delprat. - Nous ne souhaitons pas forcément l'ouverture à la concurrence. L'Union européenne a rejeté l'option de la prolongation pour travaux. Il serait possible de rassembler des concessions qui ont un lien hydraulique. L'État et la SHEM avaient opté pour ce regroupement dit « par barycentre » pour deux ouvrages situés de part et d'autre de la Dordogne, mais la loi et le décret n'étaient pas en conformité avec les textes européens et ont été annulés.

L'hydroélectricité est le Samu du réseau électrique, si je puis dire, et elle est au coeur de la question de l'eau. Autrement dit, c'est juridiquement très compliqué et une impulsion politique importante est nécessaire.

M. Jean-Marc Lévy. - Nous avons besoin de visibilité pour investir et pour faire avancer des sujets qui sont paralysés par le non-renouvellement des concessions, comme les contrats de rénovation. La DGEC ne souhaite pas négocier des dérogations aux appels d'offres au-dessus d'un mégawatt. Il s'agit de rénover le parc pour moderniser les centrales actuelles ; lancer un appel d'offres revient à en écarter certaines, qui ne pourront donc pas être rénovées. Depuis 2018, nous attendons un contrat de rénovation sous autorisation, mais la DGEC est paralysée par le sujet des concessions. Voilà un effet collatéral de ce problème.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Estimez-vous que les procédures et les méthodes de gestion des crises de l'eau sont adaptées ? Ne sont-elles pas tombées dans une forme de routine ? Elles semblent avoir du mal à s'adapter à de nouvelles réalités - je pense par exemple à l'interdiction d'arroser en milieu urbain des arbres plantés depuis plus de cinq ans, ce qui est aberrant. Quel regard portez-vous, en outre, sur la gouvernance actuelle de l'eau ?

Mme Emmanuelle Verger. - La gouvernance est compliquée, mais elle fonctionne, car elle assure l'implication, la concertation et la consultation de l'ensemble des parties prenantes. Par exemple, l'été dernier, les préfets ont joué leur rôle au moment où il fallait prendre des décisions face à la sécheresse. D'ailleurs, pour cette année, en cas de déficit hydrique, nous avons prévu des jalons de consultation ou d'information qui arrivent plus tôt.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Est-ce que cette gouvernance permet également un bon niveau d'anticipation ?

Mme Emmanuelle Verger. - Selon moi, il pourrait être utile d'informer l'ensemble des acteurs d'une vallée ou d'un cours d'eau plus tôt, afin de garantir en toute transparence le même niveau d'information.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les arrêtés sécheresse ne sont pas les mêmes selon les départements ?

Mme Emmanuelle Verger. - Oui, car les problématiques sont très différentes selon les contextes locaux.

Mme Laurence Borie-Bancel. - La gouvernance fonctionne plutôt bien. Nous avons mis en place des comités de suivi de la concession, où sont représentés les services de l'État, les collectivités territoriales et les associations. Cela nous permet de discuter de l'actualité de la concession.

S'agissant de la gestion de crise, dans notre concession, l'eau n'est pas stockée, la sécheresse nous concerne donc moins. Nous nous coordonnons de manière efficiente avec les centrales nucléaires qui sont sur le Rhône, de façon à les refroidir.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Y a-t-il eu des dérogations à ce propos ?

Mme Laurence Borie-Bancel. - Oui, car l'an dernier, la température de l'eau en sortie était plus chaude de 7 degrés.

M. Cyrille Delprat. - Nous avons beaucoup d'échanges avec les services de l'État. La gouvernance est compliquée, mais elle fonctionne. Les arbitrages entre le besoin d'électricité et le besoin d'eau ne sont pas faciles à réaliser. En 2022, nous avons reçu des injonctions contradictoires : d'une part, en raison du risque de coupures, les services du ministère nous ont demandé d'optimiser notre gestion, c'est-à-dire de ne pas utiliser l'eau durant la période estivale ou automnale ; d'autre part, en raison de la sécheresse, on nous a dit qu'il fallait donner de l'eau. Il ne nous revient pourtant pas d'arbitrer : voilà un point qu'il faudrait préciser. Cette année, nous constatons que les préfectures et les comités de sécheresse se sont mobilisés de façon plus précoce.

M. Jean-Marc Lévy. - Il est difficile pour les petits acteurs d'être présents dans toutes les instances de l'eau ; nous essayons d'être présents dans les commissions locales de l'eau (CLE), mais nous n'y arrivons pas toujours. La cohérence des politiques publiques doit être renforcée. La petite hydroélectricité est sous la tutelle de la direction de l'eau et de la biodiversité, qui nous voit comme un obstacle à la continuité écologique et non comme un outil de production d'énergie renouvelable. La loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, dite loi Climat et résilience a visé à faciliter les augmentations de puissance. Les services des directions départementales des territoires (DDT) ne bougeront pas d'un pouce tant que le code de l'environnement n'aura pas été modifié, même si celui de l'énergie l'a été. Pour le moment, les augmentations de puissance sont donc bloquées.

M. Alain Eyquem. - Il n'existe aucune instance de médiation ou d'écoute à propos de la restauration de la continuité écologique ou de la production d'hydroélectricité - malgré des progrès notables avec l'agence Adour-Garonne - où les propriétaires pourraient évoquer leur expertise ou les difficultés qu'ils rencontrent face aux services administratifs qui refusent l'installation des systèmes de production d'hydroélectricité. Nous ne sommes pas représentés dans les instances. Or les propriétaires de moulin sont parfois dans des situations de détresse, même s'ils sont subventionnés, notamment s'ils doivent payer l'installation d'une passe à poissons.

Mme Emmanuelle Verger. - Notre défi collectif est de mener de front la transition énergétique et la gestion durable de l'eau. L'hydroélectricité a un rôle clé à jouer et nous sommes prêts à y répondre.

Mme Laurence Borie-Bancel. - Le modèle de la CNR démontre que la gestion globale de l'eau permet de partager les contraintes et objectifs des différentes parties prenantes, qui varient en fonction des lieux et des périodes de l'année. Il est important que ce ne soit pas celui qui crie le plus fort qui ait gain de cause. Une gouvernance objective, où l'État et les élus sont impliqués, est pour autant essentielle et nous souhaitons que l'État et les régions jouent pleinement leur rôle, à l'instar de ce qui s'est passé lors des inondations meurtrières de 2003 et de 2004 ; la CNR, en tant que concessionnaire et expert en gestion de fleuves, apportera toujours sa capacité d'expertise et son agilité dans l'exploitation.

Par ailleurs, nous devons optimiser l'utilisation de l'eau, ce qui est possible pour les installations au fil de l'eau qui ne doivent pas être opposées aux retenues.

M. Cyrille Delprat. - La période de stress hydrique rend indispensable le partage des ressources. Les tensions potentielles nécessitent d'affiner la gouvernance. L'hydroélectricité est très importante pour le réseau et pour la gestion de l'eau et la SHEM est déterminée à jouer un rôle dans ces deux dimensions. Il faut également réfléchir à des modèles économiques pérennes.

M. Jean-Marc Lévy. - L'hydroélectricité est une assurance pour la transition énergétique et pour les réseaux, elle est complémentaire des autres énergies renouvelables, pilotable et modulable au sein d'une même année, même si elle est sensible aux variations interannuelles des débits. En France, le potentiel est de +20 %. Ce serait une grave erreur de ne pas le développer.

M. Michel Andreu. - Nous sommes d'accord avec ce que nous avons entendu sur les bienfaits de l'hydroélectricité. S'agissant des moulins, nous préconisons d'équiper les sites existants, c'est facilement réalisable - cela ne nécessite aucun investissement sur les réseaux -, c'est disponible tout de suite et c'est très délocalisé. Il faut y aller !

M. Louis-Jean de Nicolaÿ, président. - J'espère également que vous avez été consultés pour l'élaboration des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet).

Je vous remercie de votre participation et de vos éclaircissements : allons de l'avant ! Nous vous y aiderons, car nous sommes les défenseurs des territoires.

La réunion est close à 12 h 30.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.