Mercredi 29 mars 2023

- Présidence de Mme Maryse Carrère, présidente -

La réunion est ouverte à 17 heures.

Audition de maires de la montagne

Mme Maryse Carrère, présidente. - Mes chers collègues, je commence en vous rappelant nos deux déplacements, auxquels vous êtes chaleureusement conviés : l'un dans les Vosges le lundi 3 avril et l'autre en Haute-Garonne le jeudi 13 avril.

Cette mission d'information, composée d'une vingtaine de sénateurs, ambitionne de proposer une vision de la commune et des maires à l'horizon de 2030. Elle s'attachera aujourd'hui à étudier deux catégories de communes : les communes de montagne et les communes ultramarines. Il est en effet important pour nous de prendre la mesure des spécificités territoriales de ces collectivités et d'examiner les conséquences de ces spécificités sur leur fonctionnement et sur l'exercice du mandat municipal.

Je salue nos invités de la première table ronde : Mme Alice Morel, maire de Bellefosse (Bas-Rhin), présidente de l'Association du Massif vosgien, membre du comité directeur de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem), M. Gilles Cremillieux, maire d'Orpierre (Hautes-Alpes) et Mme Christine Portevin, maire de Guillestre (Hautes-Alpes) sont ici présents ; M. André Mir, maire de Saint-Lary-Soulan (Hautes-Pyrénées), M.  Sébastien Pradier, président des maires ruraux de l'Ardèche, maire du Cros-de-Géorand et Mme Annie Sagnes, maire de Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées), participent à notre réunion en visioconférence.

Mesdames, messieurs, votre témoignage sera précieux. Il nous aidera à comprendre vos difficultés et, peut-être, une certaine crise des vocations - pas moins de 900 édiles ont démissionné de leur mandat depuis leur élection en 2020 -, mais aussi à envisager des réponses.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Nous souhaitons en premier lieu que vous abordiez les éléments qui constituent pour vous, en tant qu'élus de territoires de montagne, des freins à l'exercice de votre mandat, ainsi que ceux qui continuent, à l'opposé, de motiver votre engagement.

En deuxième lieu, nous aimerions, en nous appuyant sur vos retours d'expérience, préfigurer la place qui pourrait être celle de la commune à l'horizon de 2030 et traduire vos attentes en propositions.

Alice Morel, maire de Bellefosse (Bas-Rhin), présidente de l'Association du Massif vosgien, membre du comité directeur de l'Association nationale des élus de la montagne (Anem). - Poser la question de l'avenir de la commune et du maire sous-entend qu'il existe une menace sur l'une et sur l'autre. De fait, quatre grandes menaces peuvent être identifiées : les transferts successifs de compétences, notamment aux intercommunalités, la diminution de la population, les complexités administratives et les responsabilités juridiques, et, enfin, le manque de considération, qui est un ressenti sans doute plus récent, mais largement partagé.

Dans ce contexte, les communes de montagne occupent une place particulière. Grandes ou petites, agricoles ou touristiques, les 6 107 communes aujourd'hui classées communes de montagne représentent 10 % de la population de notre pays, mais 25 % de sa superficie. Nous rappelons sans cesse que nous avons la chance de bénéficier, depuis près de quarante ans, de la première loi française s'appliquant à un territoire spécifique : la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne (loi Montagne).

Cette loi reconnaît que nos communes ont en commun des spécificités - la pente, le relief, l'altitude, le climat -, des handicaps - en matière d'accessibilité, de développement ou d'aménagement -, mais aussi un grand nombre d'atouts, qu'il convient de protéger : paysages, agriculture de montagne, forêts, ressources en eau. Or, dans les services des ministères, de nos régions ou de nos départements, rares sont les interlocuteurs qui font référence à cette loi pour appuyer les communes de montagne, alors même que la loi Montagne a été complétée en décembre 2016 par une seconde loi, qui réaffirme et renforce ces spécificités.

Aussi me permettrai-je quelques suggestions.

En matière de finances communales, d'abord, nous pourrions envisager, par exemple, de tripler le poids du critère voirie, dont nous avons obtenu l'intégration dans le calcul de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Par ailleurs, l'amélioration de la dotation dite « élu local », réservée aux plus petites communes, permettrait d'atténuer la diminution de la DGF. Sans mettre en péril les finances de l'État, ces deux mesures contribueraient à une plus juste reconnaissance de l'action quotidienne des maires et des communes au service de leurs habitants.

En outre, l'accès aux aides de l'État pourrait être facilité. Si l'abondement de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR) est en principe une bonne nouvelle, il est difficile pour un maire de monter un dossier quand le taux d'aide oscille entre 20 % et 80 % ! Un signal fort pourrait être de privilégier les dossiers communaux et de leur attribuer 10 % supplémentaires, dès lors qu'un dossier émane d'une commune de montagne. Cela pourrait encourager nos élus départementaux et régionaux à faire de même et à mieux prendre en considération les petites communes et les communes de montagne.

L'autre volet consisterait à réaffirmer la commune comme premier échelon de proximité et le maire comme premier interlocuteur. Nous l'avons tous vu ces dernières années, notamment à l'occasion des crises climatiques, ce sont le maire, ses adjoints et les conseillers municipaux qui ont la meilleure connaissance du territoire et des moyens humains susceptibles de venir en aide aux habitants. De même, lors de la crise sanitaire, les solidarités villageoises, de proximité, ont été très fortes, en particulier dans les secteurs isolés, par exemple pour l'organisation des courses pendant le confinement ou pour la prise de rendez-vous de vaccination des publics les plus fragiles.

Dans les villes, on développe des politiques de quartier, on crée des journées citoyennes ou des fêtes des voisins, on flèche des budgets - les budgets participatifs - pour rapprocher l'action publique des citoyens. Dans nos communes, nous avons la chance d'avoir la proximité et la connaissance de nos territoires. En outre, bien qu'éloignés des grands centres urbains, nous bénéficions aussi des services numériques et savons les utiliser.

Il nous faut donc appuyer sur le bouton « Pause » des réformes et des transferts obligatoires de compétences, afin de conserver notre spécificité française : une organisation communale proche des habitants, pilier de la démocratie. En élargissant les périmètres des intercommunalités ou en fusionnant des cantons, les récentes réformes ont eu pour effet d'éloigner les élus intercommunaux et départementaux des habitants. Si l'on songe que les élus régionaux sont à 80 % des maires de grandes villes ou des présidents de grandes intercommunalités, l'élu le plus proche des citoyens reste le maire. Pour toutes ces raisons, j'ai confiance en l'avenir de la commune.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Mme Sagnes, vous avez été élue voilà quelques mois en remplacement du maire démissionnaire. Votre regard neuf nous intéresse : à quelles difficultés êtes-vous confrontée et quelle différence voyez-vous entre le poste d'adjoint et le poste de maire ?

Mme Annie Sagnes, maire de Luz-Saint-Sauveur (Hautes-Pyrénées). - Étant moins expérimentée que mes collègues, je manque de recul pour vous répondre. J'étais déjà très impliquée dans mon poste d'adjoint et la différence ne me semble pas démesurée.

Les difficultés rencontrées par les communes de montagne tiennent selon moi à la géographie, plus complexe, aux distances, plus grandes, au décalage des enjeux entre les zones très touristiques et celles qui le sont moins ou encore à un découpage inadéquat des intercommunalités.

La prolifération normative pose aux maires de réelles difficultés. Nous devons sans cesse détricoter les contraintes légales pour nous assurer d'être dans le bon cadre. Cela exige beaucoup de technicité ainsi qu'un encadrement et des équipes solides, ce qui est difficile à obtenir dans les petites communes.

Enfin, je partage l'enthousiasme de ma collègue au sujet du rôle du maire, qui est majeur, la période « covid » l'a bien montré. Je suis très confiante, car nous assistons à une sorte de rétropédalage. Après avoir été un peu oublié, le maire est remis en selle. On croit à nouveau en son rôle essentiel. Comme beaucoup d'entre nous, je souhaite qu'on lui confie de plus en plus de missions et qu'on limite les compétences des intercommunalités à des compétences transversales.

M. Gilles Cremillieux, maire d'Orpierre (Hautes-Alpes). - La commune d'Orpierre a la chance d'être entourée de falaises et d'avoir eu, dans les années 1980, des bénévoles passionnés qui, bien avant que l'escalade ne devienne à la mode, ont fait d'Orpierre « La Mecque de la grimpe ».

Je suis devenu maire après treize ans d'enseignement et vingt-cinq ans à la direction d'un groupe de presse régionale. Sans doute le fait de côtoyer nombre d'élus m'a-t-il donné l'envie de passer de l'autre côté de la barrière et de vivre cette expérience.

Être maire en milieu rural reste une belle aventure. À l'instar du médecin ou du curé - deux espèces en voie de disparition -, le maire est encore quelqu'un dans le village. Néanmoins, cette image pagnolesque et idyllique ne résiste pas longtemps à l'analyse.

Il y a d'abord le constat d'une profonde mutation de notre société et des comportements de nos concitoyens. Le respect traditionnellement témoigné à l'élu a laissé la place à une exigence véhémente de tous les instants. Le « moi je » et le « parce que c'est moi » l'emportent trop souvent sur la solidarité et sur le sens collectif. Ainsi, quand il traverse la place du village, la première mission du maire est de régler le problème dans les meilleurs délais...

Il y a ensuite un sentiment de perte progressive de compétences au profit de l'intercommunalité. Si les transferts de compétences peuvent paraître rationnels à quelques esprits technocratiques, ils n'en sont pas moins préjudiciables en ce qu'ils diluent les responsabilités. Les décisions sont de plus en plus lointaines et anonymes, alors que le maire, lui, on le voit !

Les maires sont aussi désemparés face à l'avalanche de sollicitations pour des projets ou subventions. En dépit des efforts de soutien, notamment de la part du département, ni le maire ni son personnel ne sont suffisamment formés pour monter les dossiers. C'est compliqué, cela prend du temps et généralement, quand nous arrivons au terme de nos hésitations, pour le fonds vert par exemple, d'autres sont déjà passés.

Par ailleurs, le quotidien du maire est rythmé par de multiples réunions : syndicat de rivière, syndicat d'électricité, parc naturel régional, communauté de communes... Ces réunions sont chronophages et le fardeau est lourd à porter, notamment pour les maires de petites communes, qui ne peuvent pas déléguer leur présence.

Enfin, le désarroi s'exprime également devant le manque de moyens financiers. Vous l'avez sans doute vécu : les jeunes maires prennent leurs fonctions avec l'envie de révolutionner leur commune. Ils déchantent très vite, quand la réalité les ramène à la raison. La DGF, notamment, reste pour moi une alchimie secrète. Je pensais naïvement que, en faisant classer ma commune en commune touristique, j'obtiendrais un traitement spécifique. Il n'en a rien été et cela mérite selon moi réflexion.

Je reconnais que, depuis le covid notamment, les pouvoirs publics ont redécouvert le rôle irremplaçable du maire. Indiscutablement - on parle d'ailleurs du couple préfet-maire -, la relation avec le préfet, dont les services sont davantage à l'écoute, a évolué. Cela ne règle pas pour autant le problème de l'avalanche des normes, qui sont souvent édictées par des gens qui n'ont pas la connaissance du quotidien des communes rurales et de montagne.

Prenons l'exemple des plans locaux d'urbanisme (PLU). Pour les élaborer, on part des chiffres constatés sur les dix dernières années et on les projette sur les dix prochaines. Mais cette arithmétique ne tient pas compte des dynamiques ! Le maire précédent a pu ne pas faire d'efforts pour accueillir de nouveaux résidents et son successeur peut avoir l'ambition inverse. Avec ce système, ce dernier se trouve bloqué : on lui explique qu'il n'a consommé qu'un hectare les années précédentes et qu'il ne peut donc pas prétendre à beaucoup plus...

Dans le quotidien du maire, la compétence de l'eau est sacrée, la fuite d'eau étant l'un des éléments auquel le maire est identifié. Transférer cette compétence aux intercommunalités comme le prévoit la loi de 2016, c'est nous enlever une légitimité et un pouvoir. Sans refaire la loi, nous pourrions imaginer un transfert à la carte. Je conçois que le maire d'une petite commune du bassin parisien ne tienne pas du tout le même raisonnement que moi, mais dans une commune de montagne où la source est sacrée, il faut nous laisser cette compétence ! En cas de fuite, un seul téléphone sonne : c'est celui du maire et les demandes sont pressantes.

À l'horizon de 2030, je crains donc que le maire ne soit devenu progressivement un guichet unique des pleurs et des mécontentements et qu'il soit dépourvu des moyens d'agir. Nos citoyens nous voient comme celui qui a le pouvoir de régler les problèmes. Si l'on nous enlève ce pouvoir, nous sommes perdus.

Mme Christine Portevin, maire de Guillestre (Hautes-Alpes). - Contrairement à ma collègue, je pense que la différence entre le mandat de maire et celui d'adjoint est colossale : le téléphone sonne beaucoup plus ! Même dans une commune de 2 400 habitants, les gens réclament l'intervention du maire.

Guillestre a la chance d'être une commune touristique et saisonnière. Elle est située entre deux stations de ski - Vars et Risoul - et son territoire est occupé à 64 % par le parc national du Queyras. Guillestre, relevant du programme Petites Villes de demain, a un centre historique médiéval, une centaine de commerces et d'industries, des services publics encore actifs grâce à France Services, un cinéma communal, une crèche, un centre de vacances, un camping, une auberge, une piscine. La ville soutient enfin une quarantaine d'associations et on y trouve deux écoles communales, un collège et cinq hameaux...

Il y a cependant plusieurs ombres au tableau. Le taux de résidences secondaires, vides la plupart du temps, s'élève à 40 % et dans le centre ancien, 14 % des logements, souvent insalubres, sont vacants. Le grand trou béant au milieu du village est la cicatrice de l'effondrement, en 2014, d'une maison trop vétuste. Le presbytère a été fermé après une étude de structure inquiétante. Des saisonniers en camion, qui n'ont pas de terrain pour vivre l'hiver, occupent un terrain communal. La trésorerie a déménagé à une vingtaine de kilomètres. Les logements sont trop chers pour que les jeunes s'y installent. Une classe a fermé voilà quatre ans et une autre il y a deux ans.

Si le paysage est joli, le portrait que je viens de dresser illustre toutes les difficultés auxquelles nous sommes confrontés. Symbole de la République française, l'écharpe du maire est lourde à porter quand les budgets sont toujours plus contraints et les normes toujours plus incompréhensibles et déconnectées de la réalité. Des classes ferment et des enfants de 3 ans font vingt kilomètres chaque matin pour se rendre à l'école !

Le maire est de surcroît confronté à des administrés de plus en plus centrés sur eux-mêmes, à une société qui conteste le bien commun et les règles du bien-vivre ensemble et, enfin, à une crise démocratique qui, personnellement, m'effraie. L'éloignement des services publics crée de la frustration. Les violences verbales sont quasi quotidiennes et les responsabilités toujours plus lourdes pour compenser, parfois, l'inaction de l'État.

Malgré ce tableau noir - j'hésite à me représenter en 2026 -, je crois tout de même dans le rôle du maire. Cette fonction s'exerce d'autant mieux que ce dernier parvient à trouver un équilibre familial et qu'il peut s'appuyer sur une équipe municipale investie sur le terrain. Avec soixante-cinq agents sous ma responsabilité, je suis, de fait et sans avoir appris ces métiers, un manager et un DRH. Pour bien fonctionner, les communes ont également besoin d'un financeur - le département - qui soit proche et à l'écoute.

Après trois années de mandat de maire et deux de conseillère municipale, je me rends compte que la charge qui repose sur le premier magistrat de la commune est énorme. Le maire doit être à l'écoute des citoyens, mais aussi entendre leurs demandes et leurs propositions. Il doit être dans le concret, mais avoir une vision à long terme. Il doit réaliser des projets, mais respecter un budget défini par d'autres, avec de faibles marges de manoeuvre. Il fait des choix pour l'avenir. Cela fait la force de son mandat, mais aussi sa fragilité, en raison de la grande responsabilité que cela suppose.

Enfin, l'éloignement des compétences au profit de l'intercommunalité explique en partie, selon moi, la crise démocratique actuelle. Lorsqu'un problème d'assainissement se pose, les gens se tournent vers la commune, même si la compétence est dévolue à la communauté de communes. C'est toujours le maire que l'on appelle. C'est un beau mandat, mais il faut être solide !

M. André Mir, maire de Saint-Lary-Soulan (Hautes-Pyrénées). - En matière de complexité administrative, les chiffres sont édifiants. Le maire est confronté à pas moins de 400 000 normes et le code général des collectivités territoriales est passé, entre 2012 et aujourd'hui de 300 000 mots à un million !

Les contraintes environnementales sont une autre difficulté. Lorsqu'une commune porte un projet vertueux, elle est soumise à des contraintes difficilement compréhensibles. Par exemple, pour remplacer, dans un refuge, un groupe électrogène par une pico-centrale, il faut plusieurs années !

Par ailleurs, sauf à augmenter la fiscalité des ménages, les maires ne disposent plus de leviers fiscaux. Notre commune n'étant pas reconnue en zone tendue, nous éprouvons de grandes difficultés à alourdir la taxe d'habitation sur les résidences secondaires. Le manque de ressources compromet notre capacité à conduire des progrès structurants.

Dans le domaine de l'urbanisme, les dispositions légales relatives au « zéro artificialisation nette » (ZAN) s'appliquent de manière uniforme. Dans notre commune, l'artificialisation des sols représente à peine 1,2 % du territoire, le reste étant classé en site naturel ! Nous souhaiterions par ailleurs que la procédure de révision simplifiée soit assouplie. Actuellement, la correction d'une erreur matérielle peut prendre plusieurs mois.

Quand j'observe les intercommunalités voisines, le bilan ne me paraît pas totalement satisfaisant. Nous avons plutôt l'impression d'une couche supplémentaire, qui entrave le processus de décision sans apporter de véritable mutualisation des moyens.

Le logement permanent est un problème récurrent pour les communes de montagne, pour lequel le dispositif législatif n'est pas à la hauteur. Pour réaliser une opération de logement social au titre du bail réel solidaire par exemple, il faut être reconnu comme zone tendue ou figurer sur la fameuse liste qui a fait récemment l'objet d'une communication.

Nous éprouvons par ailleurs des difficultés à recruter du personnel territorial qualifié. Lorsque l'on veut faire venir un cadre en fond de vallée se posent les problèmes du logement d'une part et du travail du conjoint d'autre part, et les réponses aux appels d'offres sont peu nombreuses. Or certaines communes touristiques sont de véritables entreprises. Elles ont besoin de techniciens, d'un directeur général des services, d'un directeur administratif et financier. Au sein de cette entreprise, le maire doit être un couteau suisse, capable d'appréhender les problématiques touristiques, organisationnelles, informatiques ou encore managériales. Cette fonction s'est fragilisée au fil du temps et cela conduit d'autant plus à s'interroger que les enjeux sont importants.

Pour autant, je ne voudrais pas dresser un tableau trop noir de la fonction. Nous avons encore, malgré tout, des satisfactions qui nous invitent à rester en poste. Je pense par exemple à la création, dans ma commune, d'une maison de santé regroupant vingt-sept professionnels.

Je reste néanmoins préoccupé par l'avenir du maire et par la question de la succession. Certes, le maire conserve une image très positive dans la population, en tant que personne incontournable : alors même que les problèmes pourraient être réglés par les services ou des adjoints, c'est lui qu'on veut voir. Mais le manque d'intérêt des jeunes générations est inquiétant.

La fonction demande une disponibilité de tous les instants. Dans les communes touristiques, le travail du maire ne s'arrête pas le vendredi soir ; il se poursuit le samedi, avec telle ou telle inauguration, manifestation ou cérémonie au monument aux morts. L'activité est très chronophage et c'est inquiétant pour l'avenir de la fonction.

Il y aurait bien d'autres choses à dire, notamment sur le fait que la spécificité des communes de montagne n'est pas reconnue dans les dispositifs législatifs. La loi Montagne n'induit pas d'applications très concrètes au quotidien et nous pouvons le regretter. Il serait souhaitable que ces spécificités soient prises en compte en amont, au moment des discussions parlementaires.

M. Sébastien Pradier, président des maires ruraux de l'Ardèche, maire du Cros-de-Géorand. - Je suis maire d'une commune de 165 habitants, située à plus de 1 000 mètres d'altitude et dont les 4 500 hectares sont couverts par 70 kilomètres de voirie communale.

La fonction de maire est respectée par tous nos administrés. Le maire est en effet un couteau suisse, tour à tour assistant social, chef d'entreprise, comptable ou urbaniste. Mais les gens ne le comprennent pas. Un refus de permis de construire, justifié par exemple par le fait que te terrain visé jouxte les réseaux publics ou la station d'épuration voisine, entraînera inévitablement une déception.

De fait, une distance se crée avec les administrés, qui perdent la volonté de s'intégrer dans les conseils municipaux. Ainsi, dans ma commune, il y a toujours eu deux listes depuis 1945. En 2020, nous étions onze pour onze places, les derniers de la liste ayant accepté uniquement pour me rendre service. Aujourd'hui, ces onze conseillers municipaux ne sont jamais tous présents au conseil, alors que, en 2008, le conseil municipal était toujours complet.

Depuis le transfert des impositions aux communautés de communes, notre commune a vu ses ressources diminuer. S'il fallait une preuve du désengagement de l'État, je dirais que ma commune touchait, en 2008, 61 000 euros de DGF, 55 000 euros en 2014, 14 000 euros en 2020 et 55 euros en 2022. L'année prochaine, je pense que je devrai payer la DGF ! Et, évidemment, entretemps, les charges de voirie ou d'entretien n'ont pas diminué. Il devient difficile d'équilibrer nos budgets de fonctionnement et les communes qui étaient plutôt riches deviennent pauvres.

Notre communauté de communes compte 28 communes et 5 000 habitants, et il faut deux heures et quart pour aller d'un bout à l'autre. Or les deux communes les plus importantes, qui représentent un quart des recettes de la communauté, ne disposent que de deux voix sur quarante. Dans ces conditions, il est difficile de se faire entendre. Notre communauté de communes compte quarante délégués, mais, quand un conseil communautaire réunit vingt-cinq délégués, nous sommes déjà contents...

Devenir maire est de plus en plus difficile. Personnellement, j'ai la chance d'être chef d'entreprise et de pouvoir me libérer, mais les réunions trop nombreuses me semblent être une explication au désengagement des jeunes.

Je suis peu confiant quant à l'avenir du maire à l'horizon de 2030. Les petites communes rurales ne trouveront plus de candidats. Ainsi, dans la commune voisine de la mienne, huit conseillers municipaux ont démissionné et personne ne souhaite les remplacer...

Il est regrettable qu'on nous enlève des compétences, en particulier celle de l'eau. La commune la plus proche de mon domicile est située à 12 kilomètres. Trois réseaux publics alimentent quatre-vingt-cinq compteurs d'eau : j'imagine mal une gestion de l'eau par la communauté de communes, cela ne peut pas fonctionner.

Les maires des petites communes rurales et de montagne - double peine ! - doivent absolument se faire entendre. Songez qu'un mètre carré de terrain constructible coûte 150 euros dans le sud de l'Ardèche et 6 euros seulement dans ma commune ! Pas facile, dans ces conditions, d'être compris d'un préfet ou d'un sous-préfet, lorsque l'on demande davantage de surfaces constructibles !

J'avoue être pessimiste quant à la situation des maires à l'horizon de 2030, mais peut-être aurons-nous eu d'ici là le temps de nous ressaisir et peut-être serons-nous aidés à l'échelon national ?

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Vous avez tous soulevé les difficultés qui se posent au bloc communal. Nous l'avons dit en préambule de nos travaux voilà quelques semaines : notre volonté n'est surtout pas d'opposer les communes et les intercommunalités. Nous constatons néanmoins un éloignement des compétences et, partant, un éloignement de la prise de décision, ainsi qu'une dilution des responsabilités.

Nous avons, avec l'exemple ardéchois, un bon cas d'espèce. L'intercommunalité représente un sixième du département et compte désormais moins de 5 000 habitants, soit moins que le seuil de la dérogation prévu par la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (loi NOTRe).

La montagne ardéchoise est l'endroit où la Loire prend sa source. Quand on regarde une carte, on ne voit pas vraiment à quel autre territoire il est possible de l'arrimer. Nous touchons là du doigt la complexité ultime de la composition des intercommunalités et d'une géographie qui interdit quasiment une mutualisation au sens où l'on peut l'entendre dans d'autres territoires, là où les communes sont beaucoup plus rapprochées.

Sur cette question qui anime particulièrement le Sénat, peut-être sommes-nous arrivés à une certaine maturité, qui nous permettrait de nous interroger sur les compétences relevant de la proximité, donc du maire, et sur celles qui sont plus stratégiques, comme l'action économique, qui auraient plutôt vocation à échoir à la strate intercommunale.

Par ailleurs, la question de la relation à l'État a été souvent abordée, en creux, dans vos contributions. Il est vrai que les recettes et dotations émanant de l'État sont de plus en plus faibles. La situation est d'autant plus compliquée que les petites communes manquent d'ingénierie pour répondre aux appels à projets, capter les dotations et intégrer les différents dispositifs.

Dans un souci de fluidité, nous réfléchissons notamment à des dotations globales, qui seraient aux mains des préfets, mais bénéficieraient plus facilement aux communes, avec davantage de réactivité et moins de conditionnalité. L'action publique et la vie de nos communes sont en effet trop souvent ralenties. Peut-être avez-vous des éclairages à nous apporter sur ces questions ?

M. Jean-Michel Arnaud. - Le deuxième volet de notre mission d'information concerne la fonction de maire. Avez-vous des suggestions ou des retours d'expérience à nous présenter, sur le cadre statutaire en particulier ? Quels sont les éléments qui, selon vous, faciliteraient l'exercice de votre mandat ?

Mme Annie Sagnes. - Les pistes évoquées pour conjurer l'amenuisement du pouvoir des maires sont très intéressantes. Il est important de restituer à ces derniers les missions qui étaient les leurs. Cela passe nécessairement par de nouvelles discussions sur la limitation des transferts de compétences.

J'en profite pour remercier les élus de la montagne qui se sont battus pour obtenir que les stations classées puissent conserver la compétence tourisme. Pas un jour ne passe sans que nous ne nous félicitions de posséder un office du tourisme communal. Le maire a besoin d'un bras armé pour agir. Il donne la couleur, la signature, la voix de sa ville. Pourquoi ne pas dupliquer ce genre de dérogation ?

Si je manque d'expérience pour me prononcer sur le statut, je tiens à dire que le maire est le maillon de confiance par excellence. Le législateur doit tout mettre en oeuvre pour lui rendre ses prérogatives.

Mme Alice Morel. - En tant que maires de communes de montagne, nous représentons certes des habitants, mais aussi - ce point nous rassemble tous - des territoires. Si la loi parvenait enfin à prendre en considération cette réalité, nous ferions un pas en avant.

Par ailleurs, compte tenu des budgets importants et des compétences exercées à l'échelle intercommunale, s'agit-il de s'interroger sur le bien-fondé d'une éventuelle élection des présidents des intercommunalités au suffrage universel ?

M. Gilles Cremillieux. - Mme Morel a raison d'insister sur le paramètre de la surface du territoire. Néanmoins, si nous défendons les communes, je me pose une question très délicate : existe-t-il une carte communale qui ne soit pas à revoir ? Ma commune de 377 habitants est entourée de trois communes, toutes dotées d'un conseil municipal. L'une compte 14 habitants et l'autre une trentaine. Quand des communes sont si faiblement peuplées, n'y a-t-il pas lieu plutôt de renforcer la commune voisine ? Ce n'est pas un sujet facile pour les sénateurs, je peux le concevoir, mais peut-on vraiment défendre Izon-la-Bruisse, 11 habitants ?

M. Sébastien Pradier. - En matière d'investissement notamment, le lien État-commune fonctionne plutôt bien. Ainsi, nous avons pu récemment ouvrir une épicerie communale avec dépôt de pain, en bénéficiant d'un taux de subvention de 80 %. A contrario, l'État endosse le mauvais rôle quand, par exemple, le préfet souhaite débroussailler autour des habitations, fait passer le service départemental d'incendie et de secours (Sdis) et met en demeure le maire d'exercer son pouvoir de police.

S'agissant de la DETR et de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL), je ne comprends pas que les règles diffèrent selon les départements. Je participais hier à une réunion de l'Association des maires ruraux de Rhône-Alpes : alors que, en Ardèche, la voirie n'est pas visée par ces dotations, mon collègue de l'Allier m'expliquait qu'ils avaient fléché 10 % de la DETR vers la voirie communale des communes de moins de 300 habitants. Peut-être peut-on faire en sorte que ces compétences de l'eau et de la voirie soient intégrées dans l'ensemble des DETR ?

Enfin, je suis plutôt en désaccord avec l'idée d'imposer aux petites communes de fusionner avec leurs voisines. Ni les Français ni les maires n'y sont prêts. Dans notre communauté de communes, la fusion récente de deux communes a été un succès, mais elle correspondait à un souhait partagé. Ce qui est imposé, nous le savons, ne fonctionne pas. Ainsi, le transfert de compétences ne fonctionnera pas. Peut-être se fera-t-il en revanche naturellement et dans la douceur, s'il ne nous est pas imposé...

M. André Mir. - En matière de fusion des communes, le volontariat me paraît être un préalable absolu. Actuellement, des maires de petites communes éprouvent les pires difficultés à trouver une secrétaire. Dans ces conditions, la solution réside dans la mutualisation des moyens. Il faudrait donc imaginer un régime plus incitatif pour faciliter la fusion des communes. Bien souvent, cette question soulève des enjeux non pas financiers, mais d'identité pour les petites communes.

En ce qui concerne l'attractivité de la fonction de maire, le plus décourageant me semble être, au-delà des responsabilités, l'aspect chronophage. Je vois mal comment un jeune chef d'entreprise qui s'investit dans son entreprise peut, dans le même temps, occuper la fonction de maire. C'est matériellement impossible.

Par ailleurs, les indemnités sont faméliques. Elles sont sans rapport avec le temps que nous consacrons à la fonction et les responsabilités que nous assumons. Nous devons réfléchir à la façon de rendre plus attractive la fonction de maire. C'est l'enjeu de la prochaine échéance de 2026.

Mme Christine Portevin. - J'ai participé récemment à une réunion de femmes maires du nord du département des Hautes-Alpes et deux d'entre elles m'ont confié qu'il était très difficile de trouver du travail en étant maire. Les 800 euros d'indemnité ne suffisent pas, en effet, pour vivre. Or leur mandat de maire est un frein dans leur recherche d'emploi complémentaire.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Dans la loi du 27 décembre 2019 relative à l'engagement dans la vie locale et à la proximité de l'action publique, nous avons essayé de prendre en compte cette question de l'attractivité de la fonction. Nous devons encore travailler à la question du statut, mais aussi à celle de la disponibilité, qui est trop souvent un frein.

Le Sénat a beaucoup travaillé sur la question de la prise en compte de la superficie. Dans une proposition de loi que Philippe Bas et moi avions déposée, nous proposions que le critère du territoire puisse influer sur la gouvernance des intercommunalités. Pour ce faire, une réforme constitutionnelle était nécessaire. Cela nous permettrait notamment de modifier la représentation au sein des intercommunalités, mais aussi de travailler sur la définition des dotations et de tout ce qui participe pleinement de la vie des communes de montagne notamment.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Il était important pour nous de recueillir votre regard de montagnards et de prendre en compte les spécificités de vos communes, qui connaissent des variations de population saisonnières très importantes et qui doivent adapter leurs équipements en fonction. Par rapport à une commune classique, la responsabilité est en effet décuplée lorsque l'on gère une station de ski, des établissements thermaux, voire les deux.

En outre, les communes de montagne sont particulièrement exposées aux risques majeurs que sont les inondations ou autres glissements de terrain. Il est important aussi pour nous de constater que ces responsabilités ne constituent pas forcément des freins à l'exercice de votre mandat.

Vous avez évoqué en particulier deux irritants : le ZAN et la gestion de l'eau potable. Sachez que la semaine dernière, le Sénat a adopté, d'une part, la proposition de loi de Jean-Yves Roux visant à permettre une gestion différenciée des compétences « eau » et « assainissement » et, d'autre part, la proposition de loi de Jean-Baptiste Blanc et Valérie Létard visant à faciliter la mise en oeuvre des objectifs de « zéro artificialisation nette » au coeur des territoires. Cette dernière prévoit notamment une garantie rurale d'un hectare par commune.

Le Sénat travaille donc sur ces sujets, même s'il a parfois le sentiment de ne pas être toujours entendu au sein de l'autre chambre du Parlement...

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion, suspendue à 18h 00, est reprise à 18 h 10.

Audition de représentants d'associations de maires ultramarins

Mme Maryse Carrère, présidente. - Nous passons à notre deuxième table ronde, consacrée aux communes ultramarines.

Je salue notre collègue Marie-Laure Phinera-Horth, membre du bureau de la délégation sénatoriale aux outre-mer, qui nous a rejoints pour cette audition.

Sont ici présents, par visioconférence, M. Jean-Claude Maes, président de l'association des communes et collectivités d'outre-mer, maire de Capesterre-de-Marie-Galante, en Guadeloupe, M. Héric André, premier vice-président de l'association des maires de Guadeloupe, maire de la commune de Vieux-Fort en Guadeloupe, M. Yannick Cambray, maire de Saint-Pierre, à Saint-Pierre-et-Miquelon et M. Franck Detcheverry, maire de Miquelon-Langlade, à Saint-Pierre-et-Miquelon.

Messieurs, je vous remercie de nous éclairer sur les problématiques ultramarines et l'avenir qui se dessine, selon vous, pour les communes et les élus que vous représentez. La remise du rapport de la mission est prévue pour début juillet.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Après les communes de montagne, nous nous intéressons aux problématiques des communes des outre-mer. Nous voulons entendre les maires de tous les territoires, en mettant l'accent sur les singularités des structures communales. Nous les avons abordées avec le Président Larcher lors de notre déplacement en Guadeloupe et en Martinique, il y a deux mois. Par ailleurs, en Guyane, les territoires communaux peuvent être très étendus. Nous souhaitons vous entendre en particulier sur les problématiques liées aux risques naturels majeurs, à la taille des communes et aux relations avec l'État.

M. Yannick Cambray, maire de Saint-Pierre (Saint-Pierre-et-Miquelon). - L'archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est composé de deux communes et d'un conseil territorial. Il s'étend sur 242 km2, pour 6 100 habitants. La commune de Saint-Pierre est le chef-lieu et compte 5 500 habitants ; c'est la plus petite des îles, à 24 km2.

Le conseil municipal est composé de 29 membres, 24 de la majorité et 5 de l'opposition. Pour 5 500 habitants, c'est trop. La difficulté à trouver des candidats pour établir les listes est un frein à la démocratie. Difficile également de garder des élus motivés, ce qui a des conséquences sur le quorum. Le conseil territorial, qui a beaucoup plus de compétences, ne compte que 19 élus, ce qui est largement suffisant.

Le mandat de maire occupe 8 à 9 heures par jour, quasiment 7 jours sur 7. Je suis artisan, donc issu du privé, et je vous confirme que l'indemnité de maire de 3 100 euros par mois n'est pas assez importante au regard de l'engagement demandé, et n'aide pas à trouver une relève, tant chez des fonctionnaires que chez des salariés du privé. Je peux me permettre d'assumer ce mandat parce que j'ai 62 ans et que j'approche de la retraite. Les adjoints au maire ne touchent que 900 euros par mois, alors que je leur délègue beaucoup de tâches.

J'ai plaidé durant toute ma carrière pour le non-cumul des mandats, mais après trois ans comme maire, je le regrette, pour une raison de poids politique. J'ai la chance d'être maire et membre du Conseil économique, social et environnemental (Cese) : cette seconde casquette me permet d'ouvrir des portes de façon inespérée, et par exemple d'être reçu au ministère des outre-mer, de défendre ma commune, d'obtenir des financements. C'est une façon de mieux se faire entendre. Un parlementaire devrait pouvoir être maire d'une petite commune, et ainsi être ancré dans le territoire.

Mes concitoyens sont de plus en plus exigeants et demandent des réponses souvent immédiates. Je n'ai pas subi de violences, mais le poids des réseaux sociaux est parfois pesant, surtout dans un petit territoire comme le mien.

Vous parlez dans votre questionnaire de la crise des vocations. Ce mandat me prend toute ma vie, il exige de s'y consacrer exclusivement et je n'envisage pas de me représenter.

Le taux de participation aux élections territoriales dans les outre-mer reste plus élevé qu'en métropole, car ce sont un peu nos élections présidentielles. Les élections municipales sont aussi très suivies : en mars 2020, à Saint-Pierre, la participation a été de 57 %, malgré la crise du covid-19 et l'annonce des confinements. La participation est habituellement de 70 %, comme en 2014 ; elle était de 73 % en 2008.

La principale difficulté est l'ingénierie. Nous avons la chance de disposer d'un bureau d'étude dont nous avons doublé l'effectif, passant de deux à quatre agents. Se reposer sur un bureau d'étude solide est nécessaire pour être indépendant et gage d'efficacité pour monter des projets, présenter des dossiers et trouver des financements. Nous obtenons ainsi un taux d'autorisations d'engagement exemplaire, de 94 %.

L'accroissement des lourdeurs administratives et les transferts de compétences chargent notre barque. La gestion des établissements recevant du public (ERP) a été dévolue par la collectivité territoriale aux deux communes, tout comme la gestion des taxis. Les services incendie relèvent aussi de la compétence des communes. Cela fait beaucoup. Il n'y a pas d'intercommunalité, mais nous coopérons dans plusieurs domaines, sur la formation des pompiers, les démarches auprès de la collectivité ou de l'État, ou la question épineuse de la gestion des déchets. Cette gestion ne repose actuellement que sur les deux mairies, ce qui est scandaleux, comme le rappelle un rapport sénatorial de décembre dernier. Je tiens à souligner la bonne entente entre les maires. Nous coopérons par exemple avec notre école de voile.

L'accompagnement de l'État est réel et les relations avec la préfecture sont bonnes. J'ai instauré une réunion mensuelle entre la directrice générale des services (DGS) de la mairie et la secrétaire générale de la préfecture, qui permet de lever les blocages.

Le soutien aux investissements de la commune bénéficie du fonds exceptionnel d'investissement (FEI) du ministère des outre-mer, pour 2,5 millions d'euros par an, ce qui représente une somme très importante pour une commune de 5 500 habitants. Ces crédits sont dépensés, avec - je le rappelle - un taux d'autorisations d'engagement de 94 %.

M. Jean-Claude Maes, président de l'Association des communes et collectivités d'outre-mer (ACCD'OM), maire de Capesterre-de-Marie-Galante (Guadeloupe). - La Guadeloupe, la Guyane, la Martinique, Saint-Pierre-et-Miquelon ou la Nouvelle-Calédonie connaissent des difficultés très diverses.

L'exercice du mandat de maire est de plus en plus difficile. Nous assumons de plus en plus de responsabilités, y compris sur le plan pénal. Des maires ont été attaqués au sein même de leur conseil municipal. Les vocations se font rares, tant la tâche est ardue. Nous avons de moins en moins de moyens financiers, pour répondre à une population de plus en plus exigeante. Par exemple, aux Antilles, il manque des emplois et des logements, en raison du foncier et des coûts d'aménagement. Le maire de Saint-Laurent-du-Maroni, en Guyane, est confronté à une démographie galopante : il devrait ouvrir une école tous les huit mois. Il y aura 1 800 nouveaux inscrits en 2023, contre 1 400 en 2022. À l'est de la Guyane, sur le fleuve Maroni, les enfants se rendent à l'école en pirogue. Chaque département doit avoir un traitement différent. À Mayotte ou en Guyane, la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) est très insuffisante face au chiffre réel de la population, bien supérieure aux statistiques de l'Insee.

Les dépenses de personnel, supérieures de 40 %, coûtent très cher aux mairies. S'ajoutent les difficultés liées à la mobilité, par exemple pour la formation en métropole, aussi bien pour les élus que pour les cadres, difficultés amplifiées par l'explosion des tarifs aériens.

On manque d'ingénierie dans les communes, mais aussi dans les services de l'État, par manque d'attractivité des postes.

Les relations avec l'État et avec les intercommunalités sont bonnes, ce qui est en partie dû au fait que les intercommunalités ont moins de communes membres qu'en métropole.

La géographie en archipel doit aussi être prise en compte. Par exemple, pour assister à une réunion en Guadeloupe, je dois prendre le bateau, ce qui est très chronophage. Cet aspect archipélagique des départements d'outre-mer impose beaucoup de contraintes et devrait être pris en compte.

Enfin, chaque département d'outre-mer devrait jouir d'un traitement différencié, adapté à ses réalités.

Si l'on veut inciter les jeunes à s'engager dans le mandat de maire, il faut régler le problème du déséquilibre entre des responsabilités écrasantes et des moyens insuffisants. Nous sommes le premier rempart en cas de difficultés. Il faut remettre le maire au centre des décisions, d'autant que la population aime son maire dans les outre-mer - la participation est de 85 % dans ma commune - mais celui-ci n'a pas les moyens de rendre le service attendu. Il faut un statut particulier pour ces élus de proximité.

Dernier point : la commission départementale de la préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (Cdpenaf) donne des avis simples en métropole, mais des avis conformes en outre-mer - deux poids, deux mesures. Le développement des outre-mer en souffre. Les maires doivent retrouver plus de pouvoir.

M. Franck Detcheverry, maire de Miquelon-Langlade (Saint-Pierre-et-Miquelon). - Miquelon-Langlade, du fait de la double insularité, est une commune très isolée ; elle s'étend sur 200 km2, pour 600 habitants. Le mandat de maire a de moins en moins de succès : il n'y avait pas de liste en 2020 et la commune risquait de disparaître. Nous comptons 11 conseillers au lieu de 15, car nous n'avons pas réussi à obtenir une liste complète.

Depuis le début de mon mandat, je suis surpris par l'étendue du chantier : les sujets sont nombreux or nous avons très peu de moyens. L'indemnité est de 900 euros pour les adjoints et de 1900 euros pour le maire, ce qui m'oblige à travailler à côté de mon mandat. Il faudrait donner les moyens aux employeurs de libérer du temps pour les élus. Bien que salarié d'une grande entreprise, EDF, j'ai du mal à me libérer, alors que ma petite commune est directement en lien avec les ministères, la préfecture et la collectivité territoire et que nous présentons un projet phare de déplacement de village, unique en France.

Le nombre d'élus est trop important : pour 600 âmes, dix élus suffiraient.

Il faudrait permettre le cumul les mandats dans les petites communes. J'assume aussi un mandat de conseiller territorial, qui ne m'apporte quasiment rien de plus que mon indemnité de maire.

Le soutien de l'État est important, nous obtenons régulièrement des subventions, mais faute d'ingénierie, il est difficile de monter des dossiers. J'ai cependant obtenu une petite aide du ministère des outre-mer pour des prestations d'assistances à maître d'ouvrage - cela reste insuffisant - et nous avons fait appel à un juriste, notamment au regard de la responsabilité pénale du maire. Pour attirer les jeunes, il faudrait leur assurer une défense pénale et une rétribution à la mesure des risques encourus.

Nous sommes en position de vassal face à l'intercommunalité, il est très difficile de se faire entendre. Ma commune n'est pas compétente en matière de foncier et d'urbanisme ; je subis l'urbanisation de certaines zones, avec obligation d'y assurer les services de secours. Nous sommes aussi seuls à gérer les déchets. Tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés s'affichent sur les réseaux sociaux ou les médias - difficile d'attirer les jeunes dans ces conditions. Il nous faut respecter de plus en plus de normes avec de moins en moins de moyens. La responsabilité pénale est très lourde à porter. Mon collègue de Saint-Pierre a passé six heures en gendarmerie pour une question de gestion des déchets, ce que je ne souhaite à personne.

Le taux de participation aux élections est de 70 %, signe de l'attachement de la population à sa mairie, comme à la collectivité. Mais les populations identifient mal le partage des compétences et s'adressent systématiquement au maire, hélas souvent démuni pour répondre aux demandes. En l'absence d'intercommunalité, qui est le niveau compétent en métropole, la compétence Gemapi (gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations) est revenue à la mairie de Miquelon, mais il nous est impossible de gérer les dizaines de kilomètres de dunes et de faire face à l'érosion marine, malgré notre responsabilité juridique.

Il faut que l'État nous entende. Appliquer sans discernement un schéma métropolitain à des situations ultramarines spécifiques ne marche pas.

À court terme, notre commune risque de disparaître. Je ne me représenterai pas : le mandat est trop lourd et empiète sur ma vie privée. Les réseaux sociaux sont omniprésents. La période « covid » a été très difficile, à cause des confinements et des vaccinations obligatoires. J'en vis les conséquences aujourd'hui : certains administrés ne m'adressent plus la parole. Les mesures imposées par l'État ont disparu, mais pas la rancune, ce qui ne me donne pas envie de continuer la politique. Face à la lourdeur des normes et l'absence de moyens, par manque de maires, les mairies ultramarines et métropolitaines, malheureusement, n'ont pas fini de disparaître.

M. Héric André, premier vice-président de l'association des maires de Guadeloupe, maire de la commune de Vieux-Fort. - Je représente le président de l'association des maires de Guadeloupe. J'ai été élu maire en 2020. Vieux-Fort est une petite commune, mais nous rencontrons les mêmes difficultés que les grandes, avec moins de moyens pour les régler.

Depuis la tempête Fiona, les réparations n'avancent pas, faute de moyens, alors que les cabinets d'études ont fait leur travail. Les marins de notre commune ont le plus grand mal à exercer leur activité. Il nous faut des moyens supplémentaires de la part de l'État pour nous permettre d'assumer pleinement notre mission de service public.

Le directeur général des services (DGS) ayant été contraint au départ pour raisons de santé, j'ai exercé pendant un an et demi à la fois les fonctions de maire et de DGS. Cette fonction à temps plein demande des sacrifices : vie privée dégradée, départ à la retraite presque forcé.

En Guadeloupe, nous ne manquons pas de candidats. La difficulté est de réussir à apporter les services à la population. L'expression des besoins passe par les maires, mais les moyens manquent. Dans ma petite commune, je n'ai aucun cadre : il est très difficile de monter des dossiers techniques. Il y a eu des avancées, mais nous ne pouvons pas répondre aux appels à projet, par manque d'expertise. Plus des deux tiers des communes de Guadeloupe sont en difficulté financière. Les contrats de redressement en outre-mer (Corom) permettent à des communes en grande difficulté d'obtenir des aides, mais il faudrait étendre le dispositif à d'autres communes, qui elles aussi ont besoin d'aide.

Le discrédit de la fonction du maire ne doit pas être aggravé par l'impossibilité dans laquelle nous sommes placés de répondre aux besoins du territoire. Il faut nous aider pour changer cela. Au début de mon mandat, les lignes directrices de gestion n'étaient pas réalisées, alors que c'est une obligation légale. Heureusement, un sous-préfet nous a aidés à nous acquitter de cette obligation. Idem pour le plan communal de sauvegarde (PCS), qui a été très difficile à mettre en place : géographie, aléas climatiques, autant de points techniques qui ne peuvent être étudiés par les seuls agents communaux. L'État doit nous donner les moyens nécessaires.

En Guadeloupe, nous ne manquons pas de motivation, mais si de bonnes conditions d'exercice du mandat ne sont pas réunies, peu à peu, comme à Saint-Pierre-et-Miquelon, nous finirons par manquer de candidats.

M. Mathieu Darnaud, rapporteur. - Le besoin en ingénierie est criant. S'ajoute la problématique des ressources financières. À Saint-Pierre-et-Miquelon, l'accompagnement de l'État est à saluer, mais pour les risques majeurs, en Guadeloupe ou à Mayotte, les réparations sont très coûteuses. Quel est votre retour sur le sujet et sur vos relations avec l'État ?

Malgré une forte participation, quel est le lien avec la population ? On évoque souvent les réseaux sociaux.

M. Héric André. - Nous ne voulons pas aller contre la dynamique des réseaux sociaux, mais ils accentuent la pression sur les élus. Les citoyens veulent des réponses du jour au lendemain. Or nous manquons de moyens. L'essentiel est de pouvoir répondre rapidement aux problèmes les plus concrets.

L'État nous propose des aides, notamment pour dresser les constats à Vieux-Port après le passage de la tempête Fiona. Nous avons de très bonnes relations avec les préfets, qui ont été à l'écoute. Les sous-préfets sont sur le terrain et nous accompagnent, donnant du crédit au travail de l'État.

M. Jean-Claude Maes. - Face à l'immédiateté des réseaux sociaux, nous ne pouvons pas répondre à toutes les demandes. Comment faire quand, par exemple à Mayotte, la mairie n'a pas les moyens d'assurer l'accompagnement des enfants à l'école en toute sécurité ? Bien souvent, les maires sont dépourvus de moyens juridiques pour remédier aux difficultés, comme en cas de conflit de voisinage. Je vous confirme que des maires se découragent et ne souhaitent pas se représenter pour un nouveau mandat.

M. Héric André. - Prenons l'exemple des algues sargasses, dont l'accumulation crée des phénomènes biologiques que nous ne pouvons pas assumer. L'État lui-même n'arrive pas à assurer de bonnes conditions sanitaires aux populations.

Après Fiona, la région s'est mobilisée pour régler le problème de l'eau. La situation se dégrade et discrédite la proposition initiale de l'ancien ministre des outre-mer Sébastien Lecornu. Sans moyens, la structure de concertation ne peut fonctionner. Et cela dure depuis vingt ans ! Impossible d'assurer une adduction en eau convenable à tous les Guadeloupéens. C'est au maire que les populations s'adressent, même si la compétence a été transférée aux syndicats. Nous manquons de moyens pour répondre aux besoins des populations.

M. Jean-Claude Maes. - Mon prédécesseur a démissionné, car elle était démunie face aux sargasses. Elle n'avait aucun moyen. Trop souvent, les maires sont pointés du doigt.

M. Yannick Cambray. - Le mandat de maire est celui où l'on peut agir sur le quotidien. Quand la situation budgétaire est saine et que l'on dispose d'une ingénierie, les résultats sont très bons. Ce mandat est très beau, mais très prenant.

Mme Maryse Carrère, présidente. - Merci pour vos contributions.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 19 h 20.