Mercredi 3 mai 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Certification et qualification - Audition

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Mesdames, messieurs, monsieur le Rapporteur, mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui nos travaux par une table ronde sur la certification des entreprises de rénovation énergétique des bâtiments. Nous recevons aujourd'hui les trois organismes qualificateurs accrédités pour attribuer aux entreprises la mention RGE : l'organisme Qualifelec, représenté par Mme Alexandra Del Medico, déléguée générale, l'organisme Qualibat, représenté par son président, M. Gérard Senior, et par son directeur général, M. Éric Jost, enfin l'organisme Qualit'EnR, représenté par M. Richard Loyen, président de la commission communication et délégué aux affaires publiques, et M. Teddy Puaud, délégué général.

Madame, messieurs, vous représentez ainsi les trois organismes accrédités par le comité français d'accréditation (Cofrac) et chargés d'attribuer aux entreprises la mention « reconnu garant de l'environnement » (RGE).

Vous jouez un rôle clé dans la fiabilisation des travaux de rénovation énergétique, alors que cette mention, qui distingue les professionnels du bâtiment engagés dans une démarche de qualité, est une condition indispensable pour l'obtention d'un certain nombre d'aides publiques.

Lors de nos auditions, de nombreux acteurs de la rénovation énergétique ont dénoncé les imperfections du label RGE. Alors que ce label est censé garantir la compétence de l'entreprise rénovatrice, ces critiques semblent dénoter une forme de perte de confiance chez le consommateur dans la qualité des rénovations et la compétence des intervenants.

Du côté des professionnels, notamment des artisans, la critique paraît également vive et nous avons reçu plusieurs témoignages d'entreprises ayant choisi de faire sans, leur clientèle n'étant pas dépendante des subventions pour l'organisation de leurs travaux.

Globalement d'ailleurs, le nombre d'entreprises certifiées est stable, voire décroît légèrement.

Plus généralement, et je sais que notre rapporteur y reviendra, l'équilibre a-t-il aujourd'hui été trouvé entre une certification a priori des entreprises et le contrôle a posteriori de la bonne réalisation des travaux ?

Partagez-vous ces constats ? Quel bilan tirez-vous du label RGE ? Atteint-il ses objectifs ? Est-il efficace contre l'« éco-délinquance » ? Comment peut-on améliorer l'efficience de la qualification et redonner confiance dans la rénovation énergétique ? Enfin, quel bilan tirez-vous de la réforme RGE par l'arrêté du 3 juin 2020 ? A-t-elle permis de répondre à ces difficultés ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'environ cinq minutes chacun, il me revient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié.

Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois ans à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « je le jure ».

Mme Alexandra Del Medico, MM. Gérard Senior, Éric Jost, Richard Loyen et Teddy Puaud lèvent la main droite et disent « Je le jure ».

Madame, messieurs, je vous remercie. Vous avez la parole.

Mme Alexandra Del Medico, déléguée générale de Qualifelec. - Qualifelec est un organisme de qualification qui représente les professionnels du génie électrique, énergétique et numérique. Nous existons depuis plus de soixante ans. Notre métier consiste à reconnaître la compétence professionnelle, l'expertise technique et le sérieux des entreprises du bâtiment, plus particulièrement du métier d'électricien. Notre vocation est d'évaluer sur une base documentaire la capacité d'une entreprise et de son personnel à réaliser des travaux dans le respect des règles de l'art.

Le RGE est venu soutenir le marché de la rénovation énergétique. Dans ce cadre, notre organisme a été autorisé à porter la mention RGE en complément de la qualification métier des entreprises du génie électrique, énergétique et numérique.

Vous avez évoqué l'éco-délinquance. Nous constatons à cet égard que les entreprises concernées constituent une très faible proportion. Elles ne sont pas représentatives du monde de la construction.

Concernant l'évolution du C2E, les entreprises disposant d'une structure nationale redéfinissent le marché du monde de la construction. Elles mettent à mal des professionnels sérieux qui ne s'y retrouvent pas. En effet, les C2E ajoutent des exigences - pertinentes - à une qualification professionnelle. Cependant, toutes les entreprises n'ont pas les moyens de les mettre en avant et souffrent donc d'un manque de visibilité. Il convient de comprendre et de respecter le désarroi de ces professionnels qui ont à coeur de montrer leur compétence.

Le dispositif RGE repose essentiellement sur des éléments administratifs. Il s'ajoute à la compétence métier vérifiée par Qualifelec. De ce fait, nous constatons à ce jour très peu d'éco-délinquants parmi les entreprises que nous qualifions avec la mention RGE.

M. Gérard Senior, président de Qualibat. - L'association Qualibat a été créée en 1949 afin d'identifier les entreprises compétentes pour assurer la reconstruction du pays. Elle regroupe les principales organisations professionnelles du secteur : les entreprises, la maîtrise d'oeuvre, la maîtrise d'ouvrage, les contrôleurs techniques. À travers ses différentes qualifications et certifications, Qualibat valorise, comme Qualifelec, une sélection d'entreprises qui ont fait preuve de leur compétence et de leur savoir-faire.

Il convient de rappeler que la mention RGE est toujours rattachée à une qualification métier. Les exigences additionnelles du critère RGE comportent le rattachement à un établissement et l'existence d'un référent RGE par établissement, formé Feebat ou EnR. De plus, un contrôle de réalisation doit être effectué dans les 24 mois suivant l'attribution du signe. Un second contrôle doit intervenir lorsque la catégorie de travaux est considérée comme critique.

La procédure d'obtention de la qualification RGE consiste d'abord à choisir un métier. Un dossier est ensuite constitué. Il comprend des éléments généraux (régularités fiscale et juridique, inscription au métier, assurances, chiffres d'affaires, effectifs...). S'y ajoutent des éléments techniques (personnel, références de chantiers, attestations de clients...) destinés à attester de la compétence de l'entreprise.

Qualibat vérifie alors la complétude de ce dossier avant de le soumettre à une commission d'examen constituée de professionnels représentant l'ensemble de la filière : entrepreneurs, artisans qualifiés, maîtres d'ouvrage, bailleurs sociaux, architectes, bureaux d'études, contrôleurs techniques... Cette commission décide de l'attribution de la qualification et de la mention RGE. 130 commissions se répartissent ainsi sur l'ensemble du territoire. 2 700 membres bénévoles y participent.

Qualibat dispose de 35 agences en métropole et à La Réunion. Elles sont nationales ou départementales. 160 personnes y sont employées. Elles examinent tous les dossiers de demandes de qualification et les rapports d'audit RGE.

M. Richard Loyen, président de la commission communication et délégué aux affaires publiques de Qualit'EnR. - Qualit'EnR est née en 2006 pour prendre en main la gestion de Qualisol. Cette première qualification avait été créée par l'Ademe en 1999 afin de distinguer les professionnels compétents pour installer des chauffe-eau solaires. Nous avons élargi le champ de nos qualifications au bois-énergie, à la pompe à chaleur, à la géothermie, au photovoltaïque et plus récemment à la recharge des voitures électriques.

Aujourd'hui, 18 000 entreprises sont concernées pour environ 30 000 qualifications actives.

Le dispositif RGE constitue à mon sens un bon outil. Il nous permet de recevoir des réclamations de clients mécontents d'une entreprise. À cette occasion, nous nous apercevons souvent que l'entreprise visée n'est pas - ou plus - qualifiée chez nous. Ainsi, nous mettons régulièrement en demeure des entreprises qui usurpent notre marque. Aujourd'hui, très peu de réclamations concernent des entreprises qualifiées Qualit'EnR. Cependant, lorsque l'entreprise est bien qualifiée chez nous, nous pouvons réaliser un audit et n'hésitons pas à suspendre, voire à radier, la qualification RGE.

L'exemple du photovoltaïque illustre l'intérêt du dispositif RGE. Avant 2017, il n'était pas exigé. Aujourd'hui, les professionnels en subissent encore les conséquences et paient des polices d'assurance élevées. Depuis 2017, le marché s'est assaini grâce à l'exigence de la mention RGE pour bénéficier de la prime à l'autoconsommation et de la vente de surplus. Ce d'autant plus que le secteur est contrôlé de façon récurrente, avec l'obligation de réaliser un audit toutes les quatorze installations. Dès lors, les éco-délinquants tendent à déserter le marché.

Par ailleurs, le dispositif RGE permet de détecter des signaux faibles d'éco-délinquance, comme de faux centres de formation. Nous avons pu engager des poursuites et suspendre les centres concernés. Le « stagiaire-clone » constitue une autre forme d'éco-délinquance : une même personne suit la formation et réussit l'examen sous des identités différentes. Nous avons travaillé avec les pouvoirs publics pour exiger désormais une carte d'identité dans les centres d'examen.

En conclusion, le dispositif RGE est certes perfectible, mais il permet d'intervenir lorsque des clients subissent un préjudice du fait d'entreprises qualifiées. Par ailleurs, une action concertée avec les pouvoirs publics doit permettre de lutter contre celles qui ne le sont pas.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Avant de laisser la parole à notre rapporteur, pourriez-vous rappeler la différence entre qualification et certification ?

M. Éric Jost, directeur général de Qualibat. - La qualification relève généralement d'un régime d'accréditation. À ce jour, il s'agit de la norme NF X50-091. Cette norme ne sera bientôt plus utilisée par le Cofrac. Cela pose d'ailleurs la question de nos propres accréditations qui s'achèveront en fin d'année.

Les certifications relèvent quant à elles de la norme ISO EN 17065.

Dans le domaine de la RGE existent des qualifications et des certifications. Nos trois organismes disposent de qualifications RGE. Qualibat délivre également une certification « offre globale de rénovation ».

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci pour vos premières explications.

Notre commission d'enquête s'intéresse en effet à la qualité des travaux et par conséquent aux qualifications comme aux modalités de contrôle. Le label RGE se trouve ainsi au centre de nos réflexions. Certains dispositifs, comme MaPrimeRenov', réorientent vers ce type de qualifications. Dès lors, il convient de s'assurer qu'ils garantissent la qualité des travaux.

Ma première question porte sur le type de RGE dont doit disposer une entreprise générale. À titre d'illustration, un RGE en électricité permet-il à une entreprise d'effectuer l'ensemble de travaux d'isolation, par exemple, sans disposer d'ouvriers spécialisés sur ce sujet ?

M. Éric Jost. - Cela dépend du domaine de compétence des différents organismes qualificateurs. Tous les corps de métier du bâtiment sont représentés chez Qualibat, sauf les électriciens qui sont chez Qualifelec. Cela étant, il n'existe pas de qualification globale, mais des qualifications par métier. Les qualifications métier permettent d'être labellisé RGE dans une catégorie de travaux donnée. Ces catégories sont déterminées par le décret du 3 juin 2020.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Une entreprise générale devra donc faire appel à Qualifelec pour l'électricité et à Qualibat pour les autres travaux. Pour ceux-ci, elle devra répondre à toutes les catégories.

M. Éric Jost. - En effet. Un plombier-électricien peut être labellisé RGE chez Qualifelec dans la catégorie « émetteur électrique » et chez Qualibat dans la catégorie « isolation thermique par l'intérieur ».

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Une question plus générale concerne les résultats.

Différentes études - UFC Que-choisir, rapport du CGEDD... - témoignent de faibles taux de conformité sur les travaux réalisés. Les contrôles ne révèlent pas le résultat escompté. Or, comme l'indiquait Mme Del Medico, la défaillance de quelques entreprises rejaillit sur l'ensemble de la profession.

Par conséquent, ne faudrait-il pas davantage de contrôles a posteriori ? De nombreuses entreprises plaident en ce sens. Quelles sont vos réflexions à cet égard ? Dans le domaine de l'électricité, la démarche du Consuel peut-elle constituer un exemple ? Un dispositif de ce type pourrait-il s'appliquer aux autres aspects d'un chantier et assurer un contrôle a posteriori de la qualité de travaux ?

De plus, certaines personnes auditées ont souligné que la labellisation ne présentait pas une garantie absolue de qualité. De fait, le nombre de RGE est stable, voire en baisse. Nos auditions révèlent que certaines entreprises de qualité choisissent délibérément de ne pas s'inscrire dans le dispositif, car elles estiment ne pas en avoir besoin.

Ainsi, un contrôle a posteriori n'assure-t-il pas une meilleure garantie de qualité qu'un label ? Ce type de système semble pratiqué en Allemagne. Disposez-vous de retours d'expérience d'autres pays ?

M. Gérard Senior. - Les statistiques issues du rapport annuel de Qualibat illustrent la situation. Sur 56 000 entreprises qualifiées, environ 44 000 sont des professionnels RGE. 16 000 chantiers par an sont audités. 83 % des auditions ne révèlent pas de non-conformité et 9 % concluent à des non-conformités mineures, soit 92 % de qualité des travaux réalisés par nos entreprises qualifiées.

L'appréciation négative du RGE repose souvent sur une confusion entre divers dispositifs : RGE, C2E, MaPrimeRenov'... Or ils sont bien différents. Le C2E est un produit financier. Le modèle économique de certains industriels repose sur ce dispositif, puisqu'il repose sur la mobilisation d'aides. Les travaux à un euro ont beaucoup endommagé la réputation du secteur. De nombreux éco-délinquants se sont implantés sur ce marché. De même, les contrôles C2E ne sont pas comparables aux audits RGE. Ceux-ci appliquent une grille définie par décret.

Nous enregistrons 300 réclamations « brutes » par an, avant instruction par nos services et suivi par le Cofrac. Il convient donc de souligner l'écart entre le volume de réclamations et le nombre de chantiers. Des politiques publiques orientées vers la répression et les sanctions pénaliseraient les 92 % d'acteurs compétents.

De plus, elles ne favoriseraient pas la montée en compétences de la filière. En effet, organismes de qualification et organisations professionnelles constituent un écosystème. Lorsque nous repérons des manques, nous les signalons aux organisations professionnelles qui s'attachent à former leurs adhérents.

M. Teddy Puaud, délégué général de Qualit'EnR. - Je souhaiterais intervenir sur plusieurs points.

La conditionnalité des aides à une qualification RGE a représenté un grand pas en avant. Auparavant, la qualité des matériaux était prise en compte, mais non celle du professionnel qui effectuait les travaux.

Or la qualification reflète la capacité d'une entreprise à assurer une prestation donnée. Cette capacité se traduit par le contrôle de diverses exigences que le RGE a renforcées : présence d'un référent technique, réalisation d'un audit après qualification de l'entreprise...

La qualification dans un domaine donné permet de tirer la filière vers le haut. En effet, les dossiers reçus sont rarement bons dès l'origine. Une entreprise qui engage une démarche de qualification devra s'assurer, si elle ne l'est pas, et former son personnel à des systèmes qui, dans notre cas, sont souvent nouveaux. À titre d'exemple, tous les plombiers-chauffagistes n'ont pas suivi de formation sur les pompes à chaleur lors de leur cursus initial. De fait, le taux d'échec lors des formations des référents techniques n'est pas neutre. De telles formations sont exigeantes.

Pour autant, l'action sur les moyens ne garantit pas nécessairement un résultat, d'où peut-être la déception ressentie par certains particuliers.

Cependant, les contrôles réalisés tendent à démentir les critiques fréquemment colportées. Je rejoins Qualibat à cet égard. Les audits sont effectués par des organismes accrédités dans le domaine de l'inspection. Ils s'appuient sur une grille de contrôle plus étoffée que pour une inspection C2E et constatent peu d'écarts de conformité. Chez Qualit'EnR, 80 à 85 % des audits concluent à l'absence d'écart ou à des écarts jugés mineurs.

Les écarts signalés sont corrigés dans une logique d'amélioration continue. En l'absence de correction, le professionnel est systématiquement suspendu. Lorsque les écarts se révèlent importants, l'entreprise est systématiquement réauditée. Si des écarts majeurs devaient persister, le référent technique serait renvoyé en formation.

Concernant le développement du RGE, les réalités apparaissent différentes selon les domaines et les dispositifs incitatifs mis en oeuvre au cours du temps. Dans le domaine des énergies renouvelables, nous enregistrons une croissance constante depuis la mise en place du RGE. Elle s'est même accélérée ces dernières années. Nous constatons un afflux de nouvelles entreprises. Dès lors, certaines se trouvent au début de la courbe d'apprentissage. Les entreprises présentes depuis plus longtemps commettent moins d'écarts. Le dispositif tire vers le haut. Les entreprises amélioreront d'autant plus leurs pratiques que les contrôles seront effectués rapidement.

Comme Qualibat, nous enregistrons un très faible volume de réclamations, alors que tout particulier peut en émettre sur le site de France Rénov' ou s'adresser à nos services. Sauf erreur, les réclamations concernent moins de 2 % des entreprises qualifiées sur une année. De plus, toutes ne concernent pas des erreurs. Elles peuvent résulter par exemple de difficultés relationnelles entre le client et l'entreprise. Cela étant, les résultats des audits sur signalement sont globalement moins bons que ceux des audits aléatoires réalisés dans le cadre de la qualification. Dans le premier cas, la moitié des audits révèle un écart majeur, contre environ 20 % dans le second cas.

Il convient donc de prendre du recul par rapport aux critiques. La situation n'est pas si mauvaise. Bien au contraire, le dispositif tire la profession vers le haut.

Un renforcement des critères peut être étudié, de même que la fiabilisation des contrôles. En effet, la volonté de contourner les critères existants peut témoigner a contrario de leur pertinence. Les contrôles de la formation ou le renforcement de la capacité à rechercher des références à la source (échanges avec le PNCEE, assurances...) sont des axes à développer. Ils permettraient d'éviter les tentatives de faux constatées sur certains documents.

L'accompagnement de la filière constitue un enjeu. Nous pourrions être aidés dans la collecte de documents ou d'informations à la source. En cas de contrôles supplémentaires, il conviendrait de ne pas punir les professionnels qui travaillent déjà bien, comme le démontrent les audits successifs.

M. Richard Loyen. - Je souhaiterais ajouter que Qualit'EnR est parvenue à industrialiser le contrôle qualité des installations d'énergies renouvelables. Environ 14 000 audits ont été réalisés l'an dernier. Ils sont conformes à 80 %.

L'échange de données avec le PNCEE est réellement important, car il peut permettre de contrôler des installations non déclarées par les entreprises.

Par ailleurs, nous aurions besoin d'une task force contre l'éco-délinquance avec les services de l'État. Comme organisme de qualification, nous ne disposons pas de pouvoirs de contrôle. Or nous pourrions travailler ensemble sur des signalements. Ainsi, nous avons beaucoup de retours liés à des publicités d'éco-délinquants sur internet. Ceux-ci bernent les particuliers en toute impunité.

Enfin, il convient de renforcer l'information des consommateurs. Ainsi, nous avons élaboré une note juridique avec Enerplan sur la possibilité de se dédire d'une commande dans le délai de quatorze jours, sauf achat sur foire.

Mme Alexandra Del Medico. - Les certificats RGE ne représentent que 12 % des certificats Qualifelec. Nous ne sommes donc pas les mieux placés pour porter un avis sur le fonctionnement du label RGE et des C2E. Néanmoins, nous délivrons 5 000 certificats IRVE (Infrastructure de recherche pour véhicule électrique) dans un contexte réglementaire. À ce jour, nous n'avons pas eu de cas de non-conformité ni de cas de radiation d'une entreprise à la suite d'une réclamation ou d'un audit.

Aujourd'hui, 1 667 entreprises sont qualifiées RGE. Nous avons réalisé 800 audits de performance en 2022. Trois non-conformités ont été levées après la production du rapport d'audit. Elles n'ont engendré ni suspension ni radiation.

De façon générale, nous n'avons pas de retour de l'Ademe sur des non-conformités majeures qui poseraient un problème sur le marché. Nous ne disposons que de nos propres chiffres.

Vous évoquiez l'Allemagne, monsieur le Rapporteur. La production de diplômes y encadre l'accès au métier. En France, en revanche, un boulanger peut créer une entreprise dans le monde de la construction.

De ce fait, le rôle des organismes de qualification est de réaliser une analyse sur une base documentaire. En matière de qualification, la démarche est portée par des pairs, qui peuvent demander des pièces complémentaires destinées à s'assurer de la compétence métier. La démonstration de cette compétence s'établit sur la base de CV, de diplômes et d'une analyse complète de l'écosystème de l'entreprise.

Cette analyse documentaire est adaptée au monde du bâtiment. Un système de certification serait trop complexe et trop axé sur la notion de service. La démarche serait jugée trop intrusive par les nombreuses entreprises artisanales du secteur, très attachées à leur indépendance. L'analyse documentaire, portée par les pairs, permet au système de fonctionner à l'échelle de Qualifelec.

Un contrôle a posteriori ne serait valable qu'en cas d'encadrement de l'accès au marché, ce que permet aujourd'hui le système de qualification.

À propos des contrôles aléatoires, vous avez évoqué Consuel. Les électriciens ont l'habitude de subir des contrôles sur la sécurité et la conformité aux normes de la part de Consuel ou de bureaux de contrôles lorsque leurs activités sont orientées tertiaire. Ces contrôles sont fondés sur la sécurité et le respect des règles de l'art. Or les contrôles a posteriori vérifient également la performance. Toutefois, une telle mission pourrait s'ajouter à celles des organismes de contrôle et constituer ainsi un système de contrôle unique.

Ainsi, dans le domaine solaire photovoltaïque, Qualifelec ne fait appel qu'à Consuel. Dans ce cadre, le contrôle de la performance s'ajoute à celui de la sécurité. Compte tenu de l'arrêté autoconsommation de 2017, Consuel a pour mission de vérifier la sécurité selon un système qu'il maîtrise. Nous lui avons demandé de réaliser les 7 % d'audits de performance. Dans ce cadre, il nous adresse un rapport en cas de non-conformité. En effet, Consuel ne peut pas empêcher lui-même le professionnel de continuer son activité, comme il peut le faire en matière de sécurité. Il appartient alors à Qualifelec de tenter de suspendre cette entreprise. Nous sommes ainsi conduits à rompre frontalement avec des entreprises, alors que nous devons faire appel à des sous-traitants pour réaliser ces audits de performance.

Une réflexion sur l'évolution serait possible. Le parallèle avec l'arrêté autoconsommation est intéressant. Le parallèle avec le décret IRVE l'est également. Il s'inscrit dans une logique de cohérence où chacun intervient dans son domaine d'expertise : une association pilote les C2E ; une autre encadre les programmes de formation ; les centres délivrent des formations répondant aux attendus de leur population ; enfin, Qualifelec agrée ces centres de formation pour sa qualification et de ses électriciens. De son côté, Consuel a pour mission de contrôler certaines installations IRVE, en toute indépendance par rapport à Qualifelec.

M. Richard Loyen. - Consuel assure également un contrôle des installations photovoltaïques. Lorsque son rapport signale des non-conformités majeures, nous agissons. Nous demandons alors à l'entreprise de procéder à des corrections. À défaut, elle est suspendue.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Vous soulignez tous les bons résultats des contrôles. Pourtant, l'Anah relevait lors de son audition des taux significatifs de non-conformité. Certes, elle n'effectue que 10 % de contrôles sur site. Cependant, comment analyseriez-vous ce décalage de perception ?

Par ailleurs, comment intégrez-vous les matériaux biosourcés (paille, chanvre, etc.) dans vos réflexions ? Envisagez-vous un dispositif RGE spécifique, adapté à ce type de matériaux ? La question apparaît importante dans le cadre d'une montée en charge en matière d'isolation thermique.

M. Gérard Senior. - Je souhaite revenir sur les éléments demandés au cours de la procédure. Ils sont d'abord d'ordre administratif : une inscription au registre des métiers, un code Insee, des attestations de régularité Urssaf, d'assurance décennale, d'affiliation à jour à la Caisse de congés payés du bâtiment, ainsi que des informations complémentaires déclaratives permettant d'apprécier l'activité économique de l'entité (chiffre d'affaires, montant de la sous-traitance, moyens humains et matériels).

Nous demandons aussi des éléments d'ordre technique destinés à apprécier le métier : diplômes, formation, effectifs, chantiers de référence, devis et factures, notes de dimensionnement, etc. Ces éléments sont évalués par des professionnels. En effet, conformément à la norme NF X50-091, la qualification est attribuée par les pairs. En outre, la mention RGE, attribuée par Siret, exige une formation Feebat ou EnR et un contrôle de réalisation.

Il semble difficile d'enlever tel ou tel élément. Cela recadre à mon sens le débat relatif à une simplification du dispositif RGE. En revanche, il est possible de l'améliorer. Si nos contrôles sont suffisamment probants, il convient cependant d'agir à l'encontre des éco-délinquants, qui affectent la réputation du signe RGE.

Ainsi, une entreprise doit aujourd'hui fournir cinq références de chantier. Le décret impose cette exigence à toutes les entreprises, indépendamment de leur taille et du nombre de chantiers qu'elles assurent chaque année. Est-ce logique ?

Un accès à la base de données de tous les chantiers déclarés permettrait de connaître le volume par entreprise et de dimensionner les audits en conséquence. Or l'Ademe ne permet pas cet accès, invoquant le RGPD et la protection des données personnelles.

Par ailleurs, il convient de rappeler, face aux critiques sur la complexité des audits, que la grille d'analyse est fixée par décret. Nos grilles d'audit ont été élaborées pour disposer d'une bonne vision du travail. Les contrôles C2E ne poursuivent pas le même objectif. Nous contrôlons la qualité des travaux, alors que les C2E apprécient la conformité selon des critères plus réduits que les nôtres.

M. Laurent Somon. - Je souhaiterais poser trois questions. La première concerne la possibilité d'accéder aux entreprises qualifiées Qualibat, Qualifelec ou Qualit'EnR. En effet, les particuliers ne savent pas nécessairement où se renseigner.

M. Éric Jost. - Les entreprises qualifiées figurent dans l'annuaire de France Rénov'. La base de données est actualisée quotidiennement.

M. Laurent Somon. - La qualification est-elle bien accordée métier par métier ?

M. Éric Jost. - Tout à fait. Une entreprise générale peut disposer de plusieurs qualifications. Si elle n'est pas qualifiée dans une discipline, elle sous-traite à une entreprise qualifiée RGE dans l'activité concernée.

M. Laurent Somon. - Quels sont le rôle et les compétences du référent qualité ?

M. Éric Jost. - Il convient de distinguer le référent technique du référent RGE. Le référent RGE a suivi une formation adaptée à la catégorie de travaux.

Mme Alexandra Del Medico. - Le référent technique détient la compétence métier. Cette compétence est analysée par un comité de qualification.

Le référent RGE a suivi une formation spécifique. Il s'agit soit d'une formation spécifique à la catégorie d'énergies renouvelables, soit d'une formation commune « Feebat Rénove » en matière d'efficacité énergétique. Cette dernière est en cours de révision.

M. Richard Loyen. - Chez Qualit'EnR, le référent technique est également référent RGE. Il dispose de la compétence métier dans la filière renouvelable dans laquelle il a suivi une formation. Par ailleurs, l'entreprise doit respecter l'ensemble des exigences en matière d'assurances, de métier, etc.

Je souhaiterais revenir sur les positions de l'Anah relatives à la non-conformité, mentionnées par M. Gontard. Nous serions intéressés par les statistiques de l'Anah concernant spécifiquement les énergies renouvelables. La base est plus restreinte.

Par ailleurs, les énergies nouvelles ne sont pas concernées stricto sensu par les éco-matériaux. En revanche, il conviendrait de mener une vraie réflexion sur les besoins en ressources humaines de notre filière. Ainsi, 20 000 installateurs sont nécessaires d'ici 2025. Où, quand et avec qui seront-ils formés ? Des compétences sont indispensables à la réussite de l'accélération de la transition énergétique.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je souhaiterais poser une question à Qualibat. Vous avez évoqué la proportion - 8 % - d'audits non conformes. Pourriez-vous nous communiquer le nombre d'entreprises radiées ou suspendues sur la base de ces audits ?

M. Éric Jost. - En cas de non-conformité, l'entreprise est immédiatement suspendue. Un deuxième audit est déclenché sur un autre chantier. Tous les rapports sont transmis à la commission d'examen. Celle-ci procède au retrait de la qualification ou demande une mise à niveau en matière de formation.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Combien d'entreprises ont-elles été radiées ou suspendues en 2022 après ces deux contrôles ?

M. Éric Jost. - Environ un tiers des 8 % perdent leur signe RGE.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Merci. Les entreprises disposant d'une liberté totale dans le choix d'un organisme de qualification, existe-t-il un risque de distorsion ? Une entreprise peut-elle être tentée de privilégier celui de vos organismes qui délivre la qualification ou la certification le plus rapidement ?

M. Éric Jost. - Une entreprise peut s'adresser indifféremment aux uns ou aux autres. Pour autant, nous ne disposons pas d'une base de données commune qui permettrait de savoir si une entreprise est qualifiée chez tel ou tel organisme. De même, nous ne pouvons pas connaître les retraits de signe RGE ni les motifs de ces retraits.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - En cas de changement d'organisme de qualification, les entreprises en indiquent-elles les motifs ? Le leur demandez-vous ?

M. Teddy Puaud. - Tous les organismes de qualification ne couvrent pas l'ensemble des activités. Les possibilités de changement d'organisme s'avèrent donc limitées. Ainsi, seul Qualibat intervient en matière d'isolation. Cela étant, la tentation pourrait exister dans les domaines où les organismes se trouvent en concurrence.

Les sanctions liées aux audits donnent lieu à peu de communication. En revanche, les organismes de qualification échangent sur les entreprises identifiées et sanctionnées comme éco-délinquantes, notamment lorsqu'elles ont été radiées.

Le volume de ces sanctions demeure très faible, en comparaison de celles qui peuvent être prises dans le cadre des audits. En 2022, Qualit'EnR a notifié plus de 1 500 suspensions à la suite d'audits. 347 étaient encore actives le 29 mars 2023. Dans leur majorité, les entreprises corrigent donc les défauts. Les autres sont suspendues. Elles perdent leur label RGE chez nous et sans doute assez vite de façon générale, puisque peu de qualifications sont communes aux différents organismes.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - M. Bruno Le Maire a énoncé un objectif de 250 000 entreprises RGE en 2025. Combien sont-elles aujourd'hui ? Cette ambition vous semble-t-elle réaliste ? Les délais sont très courts.

M. Éric Jost. - Actuellement, les entreprises RGE sont environ 70 000. Lors du pic de 2017, 90 000 entités professionnelles étaient labellisées RGE. Les 45 000 structures qualifiées RGE chez Qualibat emploient plus de 550 000 salariés. De fait, les entreprises RGE ont assuré davantage de travaux en 2020, alors que le total de professionnels RGE est inférieur à celui de 2017. Il importe donc de considérer le volume des effectifs dans l'activité rénovation, mais également leur formation, leur accompagnement et leur montée en compétences.

M. Gérard Senior. - Les entreprises qualifiées Qualibat emploient 821 000 salariés sur 1,2 million, soit 69 %. Leur chiffre d'affaires global s'élève à environ 140 milliards d'euros sur 150 milliards pour le BTP. Les entreprises qualifiées par notre organisme représentent donc une très grande majorité des acteurs.

Il ne nous appartient pas de commenter la volonté d'un ministre. En revanche, nous avons pris des mesures au sein de Qualibat afin de nous dimensionner en conséquence. Cela étant, le recrutement ne concerne pas que nous.

M. Éric Jost. - La baisse des professionnels RGE n'affecte que les plus petites entités, qui emploient moins de cinq salariés. Les entreprises de plus de vingt salariés demeurent stables et s'engagent même en plus grand nombre dans une démarche RGE. Leur activité est en effet orientée B to B.

À l'inverse, les plus petites entreprises sont davantage sujettes aux fluctuations des aides. Ainsi beaucoup de chauffagistes ont abandonné fin 2022 le signe RGE « chaudière ».

M. Gérard Senior. - Pour autant, il existe des contre-exemples. Ainsi, malgré la baisse des aides, les clients demandent le signe RGE pour les fenêtres. Cela démontre la valeur du label.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Ne conviendrait-il pas de rendre le RGE obligatoire lors de l'installation ?

M. Gérard Senior. - À mon sens, il conviendrait de substituer le seul signe RGE aux trois existants (RGE, C2E et MaPrimeRénov'). En effet, le cumul des trois dispositifs peut se présenter pour certains chantiers et la même entreprise. C'est absurde. Une référence unique clarifierait la situation pour les entreprises comme pour les clients. Le label RGE est le plus complet.

M. Richard Loyen. - Dans le domaine des énergies renouvelables, nous ne constatons aucune régression, mais une progression constante, y compris chez les petites entreprises.

Progressivement, le marché sera moins aidé. Dans ces conditions, la régulation devra s'opérer de façon plus naturelle. Dans un marché mature, les banquiers et les assureurs seront les plus susceptibles de demander une qualification. Dès lors, il conviendrait de partager nos résultats d'audit.

Je milite en ce sens concernant le photovoltaïque depuis 2017. En effet, les assureurs ne regardent pas les résultats des audits devenus obligatoires toutes les quatorze installations. Un travail doit donc être mené auprès des secteurs bancaire et assurantiel afin de susciter la confiance à l'égard des professionnels RGE.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Ces secteurs montrent-ils aujourd'hui de la frilosité ? De la volonté ?

M. Richard Loyen. - Concernant le solaire, le secteur assurantiel devrait modifier ses pratiques à compter de mai 2027. Les technologies ont changé en 2017, mais la garantie décennale s'applique encore. Auparavant, n'importe qui pouvait effectuer les travaux. De plus, la technique dite de « l'intégré bâti » imposait de casser les toits. Dès lors, des désordres peuvent se manifester plusieurs années après l'installation. Depuis 2017, les risques sont limités.

M. Gérard Senior. - Dans le cadre de notre devoir de service auprès de nos qualifiés, nous avons développé un partenariat avec SMABTP. Cet organisme intègre désormais la qualification dans sa cotation des risques. La qualification présente donc une valeur pour cet assureur.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Concrètement, comment se décline le principe de qualification ? Vous nous avez exposé les éléments demandés, mais comment le contrôle s'opère-t-il ?

M. Éric Jost. - Je ne reviendrai pas sur les documents demandés. Je préciserai toutefois que nous sommes partenaires du dispositif Marché public simplifié (MPS). Nous pouvons donc rechercher directement les données auprès des services de l'État. La partie administrative s'en trouve allégée.

Sur la partie technique, l'entreprise doit prouver qu'elle dispose des compétences, du savoir-faire, des moyens matériels et humains adéquats. Nous lui demandons des références de chantiers, des attestations de travaux signées par des clients, des devis, des factures, les fiches techniques de produits mis en oeuvre, la liste de son personnel, son ancienneté et ses classifications, ainsi que le CV et les diplômes du référent technique.

La commission d'examen, composée de tous les acteurs du secteur, étudie ensuite cet inventaire des moyens matériels, des ressources humaines et des réalisations de l'entreprise. Sur cette base, elle décide d'attribuer ou de ne pas attribuer la qualification RGE.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Aucun contrôle sur site n'intervient donc à ce stade ?

M. Éric Jost. - Non. Néanmoins, nous devons effectuer un contrôle sous 24 mois. Dans ce cadre, nous demandons à l'entreprise de nous déclarer cinq chantiers dans les six mois suivants l'attribution du label. Nous choisissons l'un d'entre eux pour réaliser l'audit.

Cette donnée est essentielle pour nous. Si nous disposions des retours de contrôles de l'Anah et des résultats des contrôles obligés, nous aurions une meilleure visibilité sur les professionnels RGE. L'accès à la base de données commune de tous les chantiers aidés nous permettrait de sélectionner aléatoirement les chantiers.

La sélection aléatoire de cinq chantiers différents parmi plusieurs milliers nous permet ainsi d'identifier les éco-délinquants, lorsque cinq audits différents mettent en évidence des non-conformités majeures.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Quelle évolution envisageriez-vous concernant ces cinq chantiers ? Imaginez-vous un choix aléatoire sur l'ensemble du parc ?

M. Gérard Senior. - Il faudrait dimensionner en fonction du volume. Pour cela, les organismes de qualification devraient pouvoir accéder à la base de données commune des déclarations. Cet accès nous permettrait d'abord de procéder à un dimensionnement et de faire évoluer le décret. Nous sommes prêts à en discuter avec les services de l'État. En fonction de ce dimensionnement, nous pourrions ensuite cibler et renforcer les contrôles en fonction des signalements. Nous devrions pouvoir échanger en commission de coordination avec la DGCCRF. Aujourd'hui, celle-ci ne nous signale rien.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Cela, au nom du RGPD ?

M. Éric Jost. - Tout à fait, même s'il existe certaines collaborations (sollicitation des DDPP, requêtes de procureurs...). Toutefois, nous souhaiterions être mieux accompagnés.

M. Richard Loyen. - Un véritable chantier est à conduire avec le PNCEE pour exploiter directement ou indirectement la base de données des clients finaux qui ont demandé une aide. Une extraction de clients semblerait compatible avec le RGPD. De même, l'extraction de cinquante chantiers des professionnels les plus importants constituerait une base.

Une autre solution consisterait à assurer un même niveau de contrôle pour les C2E et une communication des résultats.

M. Teddy Puaud. - À mon sens, les délégataires et les obligés se voient confier des contrôles qui ne relèvent pas vraiment de leur ADN. En effet, il appartient aux organismes de qualification de s'assurer que l'entreprise dispose des moyens nécessaires et réalise correctement ses chantiers.

L'accès à la base de données des clients finaux nous permettrait d'assurer les contrôles aujourd'hui réalisés par des organismes tiers. Ces contrôles seraient certes sous-traités. Néanmoins, à la différence des obligés et les délégataires, nos organismes de qualification disposent de capacités de sanction à l'encontre d'éco-délinquants. Or, aujourd'hui, nous manquons d'informations sur le mauvais comportement d'un professionnel.

Une simplification des démarches serait intéressante : l'entreprise n'aurait qu'un seul interlocuteur, la coordination des contrôles permettrait de corriger les écarts et les capacités de sanction seraient accrues. Une redistribution des rôles fluidifierait le dispositif et améliorerait la qualité des audits comme les suites en cas de malfaçon.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Je vous remercie de ces échanges très intéressants. N'hésitez pas à communiquer d'éventuels éléments complémentaires en réponse au questionnaire que vous avez reçu.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 18 heures.

Jeudi 4 mai 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente -

La réunion est ouverte à 9 h 30.

Audition de M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Nous poursuivons nos travaux avec l'audition d'Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique (SGPE). Monsieur le Secrétaire général, vous occupez ce poste depuis sa création, le 7 juillet 2022. Auparavant, vous étiez déjà en charge des questions d'énergie et d'environnement auprès du Premier ministre, et vous étiez conseiller environnement, énergie et transport à l'Élysée de 2017 à 2019. Enfin, vous êtes ingénieur du corps des mines.

La création du SGPE prend son origine dans l'une des annonces de campagne du candidat Emmanuel Macron de renforcer la planification écologique, afin notamment d'atteindre les objectifs de gains énergétiques et de réduction des gaz à effet de serre. Ses attributions, décrites dans le décret du 7 juillet 2022, comprennent notamment la coordination de l'élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d'énergie, de biodiversité et d'économie circulaire, en s'assurant du respect des engagements européens et internationaux de la France ; le contrôle de la cohérence de l'ensemble des politiques publiques avec les stratégies mentionnées et enfin le contrôle attentif de la mise en oeuvre de ces stratégies par l'ensemble des ministères concernés et à leur déclinaison en plans d'action.

Toutefois, le SGPE n'est pas la seule instance de coordination et planification en matière d'écologie. Il existe également un Haut-Commissariat au plan, et un commissariat général au développement durable. Pour le sujet qui nous intéresse, il y a également un coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments, Simon Huffeteau, que nous avons auditionné dans le cadre de cette commission d'enquête. La répartition des missions et des attributions entre ces différentes fonctions peut donc être difficile à démêler. Ma première question porte donc sur vos attributions. Quel est le rôle exact du SGPE en matière de coordination et de planification de la politique de rénovation énergétique des bâtiments ? Comment vous répartissez-vous les missions avec le coordinateur interministériel du plan de rénovation énergétique des bâtiments ? Avez-vous des instances de concertation ?

Sur le fonds, votre fonction présente une dimension stratégique dans le contexte de l'élaboration de la prochaine programmation pluriannuelle de l'énergie. Un document du SGPE, publié dans la presse, indique que l'atteinte des objectifs européens d'émission de gaz à effet de serre en 2030, c'est-à-dire une diminution de 55 % des émissions par rapport à 1990, supposerait un effort cumulé de 190 millions de tonnes de CO2 à cet horizon. Le secteur du logement résidentiel devrait diminuer ses émissions de 27 millions de tonnes de CO2, dont 17 millions par le remplacement des chaudières fioul et gaz, et 10 millions par la rénovation et la sobriété résidentielle. Pouvez-vous détailler comment ces chiffres ont été déterminés, et quelles sont leurs implications sur la politique de rénovation énergétique des logements ?

À l'heure actuelle, les politiques de rénovation énergétique ont surtout connu un succès pour le premier aspect, le remplacement des chaudières. Le dispositif de base de MaPrimeRénov', qui représente près de 2,5 milliards d'euros en 2023, finance en grande majorité des changements de systèmes de chauffage. Or, l'installation d'une pompe à chaleur, sans avoir réalisé les travaux d'isolation nécessaires, peut avoir des effets contreproductifs en termes de gains énergétiques. Dès lors, estimez-vous que l'équilibre entre les mesures visant au changement de systèmes de chauffage et celles privilégiant l'isolation des bâtiments est satisfaisant ? Comment peut-on l'améliorer ?

Avant de vous laisser la parole pour répondre à ces premières questions et pour un propos introductif d'une quinzaine de minutes, il me renvient de vous indiquer que cette audition est diffusée en direct et en différé sur le site internet du Sénat et qu'un compte rendu sera publié. Je dois également vous rappeler qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal, qui peuvent aller de trois à sept ans d'emprisonnement et de 45 000 euros à 100 000 euros d'amende.

Je vous invite donc à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, à lever la main droite et à dire « Je le jure ».

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Antoine Pellion prête serment.

M. Antoine Pellion, secrétaire général à la planification écologique. - Merci pour cette audition que je trouve importante car le sujet de la rénovation des bâtiments est très structurant pour notre politique de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre.

Je vous propose d'abord quelques mots de présentation sur la planification écologique ainsi que sur les actions menées par le secrétariat général. Le terme « planification écologique » englobe plusieurs sujets comme la réduction des émissions de gaz à effet de serre, l'adaptation au changement climatique, la protection de la biodiversité, l'économie circulaire et les problématiques liées aux ressources stratégiques comme le lithium, le cuivre, et d'autres matériaux essentiels pour notre souveraineté. Il intègre également les préoccupations de santé et d'environnement comme la pollution atmosphérique. La prise en compte de ces cinq enjeux nécessite de notre part une vision transversale de nombreuses politiques publiques portant sur le logement, le transport, l'industrie, l'agriculture et la production d'énergie. Notre équipe, actuellement composée de 15 personnes, travaille sur ces questions et nous renforçons nos effectifs avec l'ouverture de 10 postes supplémentaires.

Dans un premier temps, nous avons principalement concentré nos travaux sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre et la gestion durable des ressources, comme l'eau. Nous y avons consacré un travail important au cours des premiers mois de l'année pour préparer les annonces du Président de la République sur la gestion de l'eau. En matière de gaz à effet de serre, je vous transmettrai le document qui avait fuité dans la presse pour vous procurer les chiffres précis ; notre démarche part de notre engagement européen et français de réduction de nos émissions de gaz à effet de serre de 55 % net - c'est-à-dire en soustrayant les puits de carbone - d'ici 2030 et nous cherchons à définir les actions concrètes et les leviers à mobiliser pour atteindre cet objectif. Par rapport à la situation actuelle - l'année dernière, la France a émis 408 millions de tonnes de CO2 - nous devons baisser de 50 % les émissions brutes et simultanément accroitre les puits de carbone comme les sols ou les forêts pour atteindre le chiffre de 55 %.

Nous avons donc un effort important à faire pour réduire nos émissions de gaz à effet de serre : vous avez cité le chiffre de 190 millions de tonnes qui cumule les baisses d'émissions et les augmentations du puits de carbone ; la marche à franchir d'ici 2030 est très importante dans tous les secteurs. Le rôle du secrétariat général est ici de mettre en cohérence les prévisions dans chaque secteur et de vérifier que les actions engagées sont à la hauteur des objectifs de réduction de 50 % des émissions brutes d'ici 2030. Chacun doit faire sa part en termes de « bouclage physique », de matériaux, d'électricité ou de biomasse disponibles, d'utilisation des sols, etc., et il faut que les actions proposées dans chacun de ces segments soient cohérentes et adaptées aux moyens disponibles.

La politique de rénovation énergétique des bâtiments est l'un des aspects de cette stratégie mais, dans mon équipe, je n'ai pas une personne dédiée uniquement à ce secteur car le découpage des responsabilités est un peu plus large. L'articulation avec le délégué interministériel à la rénovation énergétique se fait assez naturellement : nous vérifions que la rénovation énergétique des bâtiments fait bien sa part dans la répartition de l'effort entre chaque secteur. Nous sommes garants de l'ensemble des politiques proposées en matière de rénovation énergétique et nous nous assurons de leur efficacité, par exemple en matière de changement de vecteur de chauffage, tout en vérifiant si elles sont suffisantes au regard de nos ambitions. En revanche, nous ne gérons pas opérationnellement la coordination quotidienne des équipes ministérielles, car cela relève du rôle du délégué interministériel. Notre rôle consiste à vérifier que cette coordination est bien réalisée et que tous les ingrédients nécessaires sont présents et cohérents afin de sécuriser notre trajectoire de réduction globale des émissions.

Lorsque nous répartissons notre objectif global de réduction de 50 % des émissions, nous constatons que les défis à relever sont importants pour chaque secteur et nous aboutissons à une cible de diminution d'au moins 60 % dans le bâtiment, ce qui correspond au gain de 27 millions de tonnes de CO2 assigné au logement. Je précise que le secteur du bâtiment recouvre deux tiers de logements et un tiers de bâti tertiaire, le secteur tertiaire relevant pour moitié du privé et pour moitié du public. Il est politiquement important de noter que l'effort de rénovation et de décarbonation des bâtiments doit avoir la même intensité pour l'ensemble des secteurs, aussi bien pour le tertiaire que pour le logement. En effet, il ne s'agit pas de faire porter tout l'effort de la rénovation sur le logement et le secteur tertiaire doit donc contribuer de manière équivalente, voire légèrement supérieure, à ce que nous demandons aux ménages.

En ce qui concerne les leviers d'action, la répartition qui a été mentionnée dans la presse distingue un peu trop artificiellement la contribution spécifique de tel ou tel élément comme les chaudières au fioul ou le gaz dans la rénovation. En réalité, dans un logement donné, le remplacement d'une chaudière s'accompagne souvent de gestes de rénovation. En revanche, il est assez clair qu'un effort important sera déployé pour éliminer l'utilisation du fioul comme vecteur de chauffage. Or on a encore un assez grand nombre de chaudières au fioul, à la fois dans le tertiaire et dans le logement. Le précédent gouvernement a interdit l'installation des nouvelles chaudières au fioul et cela conduit à un rythme d'attrition régulier des chaudières, mais ce rythme ne concerne que le renouvellement et laisserait subsister de nombreuses chaudières fioul dans le parc en 2030. Nous recherchons donc les moyens d'accélérer ce mouvement car notre objectif est de remplacer, d'ici 2030, 75 % des chaudières fioul actuellement en fonctionnement, ce qui correspond à une réduction de 9 millions de tonnes de CO2 par an.

Les autres émissions sont principalement liées au gaz naturel, ce qui impose un travail d'efficacité énergétique pour le remplacer ainsi que des efforts de substitution avec des alternatives comme les pompes à chaleur - y compris les pompes à chaleur hybrides qui utilisent une petite quantité de gaz pour fonctionner - ou l'utilisation de la biomasse sous forme de biogaz ou de bois de chauffage. Nous constatons que pour atteindre nos ambitions de réduction des gaz à effet de serre, il faut réduire la consommation de gaz naturel dans le chauffage, ce qui correspond à une diminution de 8 millions de tonnes de CO2 selon nos estimations. De plus, il est essentiel de mener des travaux de rénovation qui ne se limitent pas seulement au remplacement des systèmes de chauffage car, au-delà d'atteindre nos objectifs de réduction des émissions, il nous faut également progresser en souveraineté énergétique en veillant à diminuer la consommation d'énergie globale.

Aujourd'hui, on a des rénovations qui sont majoritairement des changements de chauffage ainsi que des gestes simples, et minoritairement des rénovations performantes. Notre philosophie consiste à augmenter significativement ces dernières et un simple changement de chaudière accompli dans une passoire énergétique ne doit pas être possible sans l'accompagner systématiquement d'une rénovation. Cependant, nous pensons qu'en termes d'efficacité et de rythme, la rénovation lourde nécessite une accélération significative mais cela ne concernera pas l'intégralité du parc de logements du jour au lendemain, car elle implique des travaux très importants. Par conséquent, pour pouvoir atteindre notre objectif de 2030, il nous semble important, pour les logements qui sont d'ores et déjà raisonnablement isolés, de pouvoir changer plus vite uniquement le chauffage sans réaliser de rénovation plus performante. En cumulant un premier plan d'action qui consiste à changer rapidement les chauffages dans les logements classés de A à D et à effectuer la rénovation la plus performante possible sur le reste du parc, on parviendra à réorienter dans le bon sens l'effort de rénovation de nos logements. Cela suppose de faire évoluer un certain nombre de dispositifs, comme MaPrimeRénov', de monter en puissance sur des outils comme le prêt avance rénovation ou le prêt avance mutation, et d'avoir un accompagnement personnalisé pour un certain nombre de concitoyens avec Mon Accompagnateur Rénov'. Cela suppose aussi d'avoir une filière qui fonctionne et nous examinons l'enjeu majeur que constitue la planification dans ce domaine qui recèle à la fois de bonnes et de mauvaises nouvelles. On a un besoin très important de personnes formées et de salariés dans des métiers qui sont d'ores et déjà en tension. Pour satisfaire les besoins dans le logement et le secteur tertiaire, il nous faudrait former environ 200 000 personnes de plus et c'est un vrai défi. Une réorganisation est très probablement nécessaire pour qu'un certain nombre d'acteurs qui sont très présents uniquement sur la construction neuve puissent progressivement basculer un peu plus sur les activités de rénovation. La bonne nouvelle pour le secteur, c'est une perspective d'augmentation de son chiffre d'affaires compte tenu de l'ampleur de la rénovation.

M. Guillaume Gontard, rapporteur. - Merci, monsieur le Secrétaire général pour vos premières explications. Je voulais revenir sur l'objectif de réduction des émissions de carbone qui pourrait être atteint si, dans l'absolu, on remplace par exemple l'ensemble des chaudières fonctionnant avec des énergies fossiles par des pompes à chaleur, en présupposant que l'électricité est une énergie non carbonée. Même si on atteint ce but en termes de CO2, on se heurte à d'autres objectifs en termes de rénovation thermique globale, de confort, de santé et surtout de sobriété, puisque le Président de la République a insisté sur la nécessité de réduire notre consommation de façon globale, quelle que soit l'énergie utilisée. On se pose beaucoup de questions sur la façon de suivre cette trajectoire vertueuse en évitant la dérive qui consisterait à se contenter d'un seul geste comme un changement de chaudière, sachant qu'en l'absence de rénovation globale d'un bâtiment, la nouvelle chaudière ne sera certes plus alimentée en fioul ou en gaz mais nécessitera de développer une puissance bien supérieure aux besoins minorés qui résulteraient d'une isolation efficace. Pouvez-vous préciser comment on peut mener de front ces deux objectifs ? Beaucoup d'intervenants que nous avons auditionnés ont exprimé des doutes sur l'efficacité d'un geste unique et préconisent de privilégier les rénovations globales ; le Haut Conseil pour le climat, France Énergie partagent cette vision et je souhaite recueillir la vôtre. Il est vrai que Julien Denormandie, à l'inverse, a estimé souhaitable de ne pas décourager la rénovation ponctuelle car un geste rénovateur en amène d'autres et peut servir de «  porte d'entrée » à la rénovation globale. Il me semble tout de même nécessaire, quel que soit le nombre d'opérations ponctuelles, de réaliser des études complètes pour donner une vision d'ensemble du processus de rénovation et des priorités tout en prévoyant un accompagnement en termes d'ingénierie. Quelle est votre vision sur ce point ?

Ensuite, avez-vous conduit des réflexions sur le confort d'été ? Ce sujet semble avoir été un peu mis de côté - en particulier dans le diagnostic de performance énergétique (DPE) - alors qu'il va devenir de plus en plus problématique : l'enjeu porte sur le confort dans les bâtiments mais aussi sur la sobriété énergétique parce qu'un éventuel recours à la climatisation est énergivore.

Je fais le lien avec les matériaux biosourcés qui peuvent améliorer le confort d'été des bâtiments et avec la problématique de la structuration de notre filière de rénovation. Vous avez évoqué les enjeux « classiques » que sont la formation et l'emploi dans ce secteur ; je trouve également intéressant d'insister sur la dimension territoriale et innovante de la filière avec de nouvelles productions locales de matériaux biosourcés et le nécessaire accompagnement des entreprises ainsi que des artisans pour les utiliser.

Au cours des auditions, plusieurs des intervenants ont souligné le besoin de planification et d'une loi de programmation pour donner plus de visibilité à la rénovation des bâtiments : quel est votre avis sur ce point ?

Enfin, vous avez évoqué le réflexe qui consiste à affirmer qu'il faut arrêter systématiquement le recours au fioul et au gaz pour faire fonctionner les chaudières car ce sont des énergies carbonées. Je mentionne cependant l'existence de spécificités locales avec, par exemple, la méthanisation qui alimente des réseaux de gaz locaux qu'il serait dommage d'abandonner : d'où l'idée de mieux cibler les aides en fonction des spécificités de la production d'énergie dans chaque territoire. Quelle est votre vision à ce sujet ?

M. Antoine Pellion. - S'agissant de votre première question, je vous confirme que nous ne sommes clairement pas sur une stratégie qui serait uniquement limitée aux changements de chaudière pour atteindre nos objectifs. En effet, comme vous l'avez indiqué, le sujet de la sobriété comportementale est important en tant que première étape. Globalement, le calcul des effets induits par un simple remplacement des chaudières montre l'insuffisance de ce seul procédé pour atteindre nos objectifs de réduction de la consommation d'électricité. De plus, dans le cadre d'une utilisation raisonnée de la biomasse, on n'a pas suffisamment de ressources en bois ou en biogaz et, en termes d'électricité, on peut avoir des difficultés pour gérer les pics de consommation. Il est donc impératif de combiner la rénovation globale et le changement de vecteurs de chauffage : cela ne fait aucun doute pour nous.

En ce qui concerne la méthode, nous sommes totalement alignés sur la nécessité de privilégier les rénovations performantes mais notre approche est réaliste : ces rénovations lourdes sont surtout envisageables à certains moments de la vie des bâtiments, comme la cession ou le réaménagement car ces opérations sont compliquées à réaliser quand les personnes vivent dans les logements. Lorsque l'on fait des projections sur les conséquences de cette analyse, on voit que nous sommes bien en deçà de ce que nous devrions faire en termes de rénovation performante. Par conséquent, les efforts principaux que nous allons engager pour faire monter en puissance les rénovations performantes consistent à augmenter l'accompagnement individuel pour privilégier ces dernières et à augmenter un certain nombre d'aides comme MaPrimeRénov' ainsi que le prêt à taux zéro pour pouvoir les financer. Cependant, notre analyse montre que même en poussant ces curseurs au maximum, cela sera insuffisant pour atteindre l'ampleur de la baisse d'émissions de gaz à effet de serre requis à l'horizon 2030. D'où l'idée de favoriser les actions complémentaires : il s'agit là de changer les chaudières - ce qui peut s'accompagner d'un ou deux gestes complémentaires - en ciblant les logements qui sont déjà les plus performants. Tel était le sens de mon propos introductif : un logement qui a une étiquette A,B,C ou D peut certes être amélioré dans sa performance globale mais s'il ne relève pas de la catégorie des passoires énergétiques, il est raisonnable, à ce stade, pour ceux qui se chauffent au gaz naturel ou même au fioul, de ne pas hésiter à changer de chaudière pour réduire rapidement les émissions de gaz à effet de serre. Il faut ainsi cumuler ces deux approches pour parvenir à des résultats et MaPrimeRénov' est un bon outil car elle permet de financer les deux types de travaux. Toutefois, il est important de noter que MaPrimeRénov'est un guichet ouvert et il faut donc aller à la rencontre des propriétaires de logements énergivores pour les engager dans un parcours de rénovation : il convient de leur proposer, dès le début, une rénovation performante et d'envisager des travaux sur plusieurs années. C'est la stratégie que nous essayons de déployer et qui nous amènera à proposer des évolutions dans les semaines ou les mois à venir pour intensifier les rénovations performantes.

S'agissant du confort d'été, je suis tout à fait d'accord avec vous sur le fait que c'est un élément important, surtout dans le contexte du changement climatique qui s'accompagne de températures de plus en plus élevées et d'épisodes de sécheresse. Dans les constructions neuves, cette problématique est déjà bien intégrée, notamment à travers la réglementation environnementale RE2020 ; il faut également incorporer ce volet « confort d'été » dans les diagnostics des logements, dans la notion de rénovation performante et dans les parcours de travaux.

En ce qui concerne les filières et les matériaux, je partage totalement vos propos sur la nécessité de développer les produits biosourcés et la construction en bois. Cela renvoie à la mobilisation de notre biomasse à travers des filières agricoles pour un certain nombre de produits - chanvre et produits isolants, par exemple - ou forestières en perfectionnant l'intégration de notre filière bois, dans laquelle nos scieries ont un rôle important à jouer, pour augmenter l'incorporation de ce matériau dans notre construction. Nous menons cette réflexion en lien avec la thématique forestière et, dans ce domaine, on a clairement des marges d'amélioration compte tenu de notre assez faible taux de recours aux matériaux biosourcés qui permettent d'ailleurs d'améliorer le stockage du carbone.

Je fais observer que notre discussion porte ici sur des transformations très profondes, à la fois en termes de travaux chez nos concitoyens, de filières économiques qui montent en puissance, donc la notion de programmation est indispensable à trois points de vue. Elle doit d'abord donner de la visibilité quantitative sur le nombre de rénovations et les moyens à mobiliser pour que les acteurs puissent s'organiser. Ensuite, la programmation nécessite un volume très important d'investissements publics et privés. Cette programmation concerne enfin les matériaux biosourcés et les filières industrielles comme celle des pompes à chaleur qu'il faut développer car aujourd'hui on a des acteurs en France qui les assemblent - plus qu'ils ne les construisent - à partir de composants dont beaucoup sont fabriqués en Chine. Nous avons à coeur, dans cette programmation, de donner des signaux clairs aux acteurs industriels qui produisent les chaudières tout en leur laissant le temps nécessaire pour monter en puissance : il convient, en effet, d'éviter que l'effet immédiat de notre politique ne se limite pas à un afflux de chaudières produites dans des pays asiatiques. Voilà donc les contraintes que nous prenons simultanément en compte pour renforcer l'efficacité de la transition énergétique.

Faut-il, comme vous en évoquez l'hypothèse, une loi de programmation ou un autre vecteur pour la rendre plus visible ? Je ne suis pas en mesure de vous répondre précisément sur ce point mais il est certain qu'il faut que cette programmation soit explicite, discutée et partagée.

Sur la question du gaz et du fioul, je vous rejoins totalement sur la nécessité de prendre en compte de nombreux cas particuliers. Je rappelle que le principe de l'interdiction d'installation de nouvelles chaudières au fioul a été posé par un texte qui prévoit des dérogations très ciblées, par exemple dans des zones non raccordées au gaz et à l'extrémité d'un réseau électrique sur lequel on a des problèmes de puissance et donc pas vraiment d'alternative. Il faut donc persévérer dans cette approche très pragmatique : dans 95 % des cas, il est possible d'écarter les énergies fossiles mais il faut tenir compte des situations particulières et ne pas placer nos concitoyens dans une impasse.

Par ailleurs, la production de biogaz repose sur notre capacité à mobiliser de la biomasse. Or quand on additionne tous les besoins en bioénergie de l'industrie, du transport et de chauffage, on constate l'insuffisance de la disponibilité en biomasse pour remplacer en grande partie les énergies fossiles et pouvoir décarboner massivement notre économie. Nous ne souhaitons pas - et c'est aussi une des missions de la planification - remplacer la dépendance aux énergies fossiles importées par une dépendance vis-à-vis de la biomasse que l'on importerait également. Cela nous renvoie à nouveau sur la capacité d'organisation de notre gestion forestière, de nos terres agricoles et aussi de récupération de déchets de biomasse pour alimenter nos moyens de production. Je rappelle que la biomasse fait l'objet d'utilisations concurrentes par les secteurs de l'énergie, de la construction et de l'alimentation, entre autres. Il faut réconcilier ces usages dans un écosystème global où le choc climatique va globalement réduire les rendements de notre production de matières agricoles et de bois. Je signale par exemple que la forêt, depuis 10 ans, pousse beaucoup moins vite qu'avant et subit une mortalité bien supérieure si bien qu'on enregistre deux fois moins de production de bois en 2020 qu'en 2010 -je parle ici de la croissance naturelle des arbres en soustrayant la mortalité des peuplements forestiers. Cet exemple illustre la nécessité d'une grande vigilance sur les usages de la biomasse et des bioénergies. La France ne produisant pas aujourd'hui suffisamment de biomasse pour satisfaire l'ensemble des usages, il va donc falloir prioriser un certain nombre d'entre eux où on n'a pas de possibilités de substitution : il en va ainsi pour certaines industries qui ne peuvent pas se passer de gaz, ce qui oblige à recourir au biogaz. Il en va de même pour certains déplacements ou secteurs économiques dans les territoires insulaires. On ne peut pas donc affirmer que dans les territoires qui disposent de biogaz, la bonne solution est de l'injecter dans le réseau et de l'utiliser pour le chauffage ou pour la cuisson : une partie du biogaz sera utilisée de cette façon mais on ne peut pas massivement verdir le réseau de gaz.

M. Laurent Burgoa. - N'y a-t-il pas, à votre avis, trop de normes et de labels en matière de rénovation énergétique ; cela pourrait-il nuire à l'efficience des politiques publiques dans ce domaine ?

M. Antoine Pellion. - Effectivement, la question se pose, mais je pense qu'en matière de rénovation nous n'avons pas un nombre excessif de labels ou de normes. En réalité il faut distinguer plusieurs sujets. S'agissant des constructions neuves, l'encadrement est très strict et on rencontre des difficultés pour mettre en oeuvre cette réglementation, en particulier pour pouvoir, dans une période d'inflation sur les matériaux de construction, maîtriser les coûts : nous regardons ce point avec attention.

Au contraire, la rénovation est soumise à beaucoup moins de normes et je pense qu'on a besoin de plus d'encadrement dans ce secteur. C'est d'ailleurs l'un des problèmes que nous rencontrons aujourd'hui : comment peut-on garantir aux particuliers qui font appel à des artisans que la qualité des travaux sera suffisante en termes d'efficacité énergétique ? Une partie de la difficulté de la montée en puissance de la rénovation est liée à cette incertitude, car, à travers notre excellent tissu artisanal, il est difficile de repérer certaines contre-performances importantes. De plus, il est difficile de mesurer immédiatement l'efficacité de ces travaux et nous devons progresser sur ce point. Je ne suis pas sûr que cela passe par plus de normes et de réglementation : il faut plutôt une exigence de qualité plus forte sur les labels existants, comme le label reconnu garant de l'environnement (RGE). Il est également nécessaire de mieux former les 200 000 nouvelles personnes qui doivent arriver dans le secteur de la rénovation pour atteindre nos objectifs. En outre, il est important de mieux matérialiser le lien entre la mesure de nos consommations d'énergie dans le logement - facilitée par les compteurs qui ont été déployés - et les travaux qui ont été réalisés pour en évaluer l'efficacité.

Le secteur de la rénovation n'est donc pas bloqué par un excès de normes, contrairement au secteur du neuf qui est beaucoup plus encadré. Nous avons pris globalement un bon départ et les acteurs de la rénovation sont plutôt à l'aise avec les évolutions de la réglementation qui ont été retravaillées. Cependant, il faut arriver à progresser en qualité sur la rénovation.

M. Franck Montaugé. - J'aurais voulu savoir, parce que je ne l'ai pas trouvé sur le site internet du Gouvernement, comment s'organise le « management » de l'action au niveau de votre secrétariat général, sachant que vous n'avez, en propre, la main sur aucun secteur et que vous vous appuyez sur l'ensemble des ministères qui déclinent la politique générale. Avez-vous, par thématique ou par chantier, des objectifs planifiés dans le temps et, si oui, peut-on en avoir connaissance car cela nous permettrait d'y voir plus clair sur l'avancée et l'efficacité des politiques publiques qui sont menées dans les différents secteurs.

En complément de cette question globale, je souhaite vous interroger sur l'accès aux moyens de financement dans le domaine de la rénovation énergétique de l'habitat et du logement. J'ai lu que vous aviez entrepris des travaux sur ce sujet : où en êtes-vous ?

Un peu en marge de la principale cible de cette commission d'enquête, je m'interroge également sur les sols, qui ont cependant un rapport avec l'habitat. Je pense au zéro artificialisation net (ZAN) ou à l'agriculture : quel est votre regard dans ce domaine ?

M. Antoine Pellion. - Tout d'abord, le secrétariat général à la planification écologique est placé aux côtés de la Première ministre et je dispose pour ma part d'une double casquette en tant que secrétaire général et membre du cabinet de la Première ministre. Nous avons un rôle d'ensemblier et d'aiguillon, c'est-à-dire que nous ne remplaçons pas les ministères, mais nous nous assurons que les leviers concrets d'action et le calendrier qu'ils proposent sont en adéquation avec nos objectifs et suffisamment crédibles. Nous avions par exemple constaté que les équipes chargées de préparer la stratégie nationale bas-carbone avaient parfois retenu des paramètres très optimistes en matière de déplacements alors que la direction qui était en charge des mobilités n'avait pas du tout les mêmes hypothèses : notre rôle consiste à remédier à ces incohérences. Nous devons nous assurer que ces politiques s'inscrivent dans les limites physiques réalistes - en termes d'électricité ou de biomasse et de financement global. Nous devons également tenir compte des contraintes en emplois, en compétences ou en formation et sommes donc les agrégateurs des productions des ministères. Nous ne nous substituons absolument pas à ces derniers mais nous vérifions que le bouclage final est adéquat. Tel est notre mode d'action et nous utilisons les outils classiques de gestion interministérielle, c'est-à-dire des réunions avec les services ou les cabinets ministériels. S'y ajoutent les réunions avec les ministres concernés, autour de la Première ministre, pour prendre des décisions politiques qui, comme l'avait annoncé le Président de la République en juin dernier, serviront à présenter concrètement nos leviers d'action pour atteindre notre trajectoire de baisse de 50 % des émissions de CO2 d'ici 2030.

M. Franck Montaugé. - En tant que législateur, nous souhaitons savoir où en est l'action publique au regard des objectifs qui sont définis. Notre mission est d'en évaluer l'efficacité, secteur par secteur, domaine par domaine, en lien avec le sujet de notre commission d'enquête. Ma question est de savoir si le processus que vous exposez est clairement rendu public : les données sont-elles publiées et portées à la connaissance du public ? Pouvons-nous, en tant que législateur, y accéder pour pouvoir faire notre travail ? Il ne s'agit pas de critiquer le système mais de savoir où nous en sommes. Ma question est donc très concrète : je suppose que vous effectuez ce que les entreprises appellent des revues de processus et que vous avez un système de management qui vous permet de mener les actions que vous nous décrivez. Peut-on avoir accès aux résultats et à l'avancement de celles-ci ?

M. Antoine Pellion. - Les travaux que nous avons réalisés sont assez récents et se concentrent principalement sur la façon de documenter les nouvelles mesures pour pouvoir faire de la prospective, en partant de la situation actuelle, pour atteindre les objectifs carbone fixés pour 2030. Nous disposons d'un certain nombre de documents de travail qui comportent encore beaucoup d'incertitudes liées aux différentes options envisagées. Dans le cadre de la commission d'enquête, nous pouvons vous transmettre certains de ces éléments encore confidentiels. Conformément à leur statut, ces documents de travail contenant plusieurs hypothèses ne sont pas encore diffusés : une fois finalisés, nous prévoyons de les rendre publics d'ici le mois de juin. Je précise que ces documents concernent principalement la façon dont nous envisageons d'évoluer entre 2023 et 2030 pour atteindre nos objectifs, plutôt qu'une analyse historique des politiques antérieures. Le coeur de notre démarche, c'est notre action transformatrice.

Il est également nécessaire de financer la rénovation des bâtiments et je diviserai cette problématique en plusieurs segments. Dans le secteur tertiaire privé, nous considérons que l'investissement privé doit couvrir intégralement la rénovation énergétique et le décret tertiaire fixe des obligations de réduction de la consommation ainsi que des émissions de gaz à effet de serre d'ici 2030. Dans le secteur tertiaire public - qui représente 50 % des coûts de rénovation énergétique - nous travaillons activement sur la façon dont l'État peut rénover ses propres bâtiments, ce qui nécessite une trajectoire d'investissement et une amplification des actions conduites dans le cadre du plan de relance. En ce qui concerne le secteur tertiaire des collectivités, j'indique que le ministre Christophe Béchu va présenter le 9 mai prochain un plan d'accélération de la rénovation du bâti scolaire en collaboration avec les collectivités concernées et en mobilisant les financements de la Caisse des dépôts ainsi qu'un accompagnement de l'État. Sur la partie logement du parc relevant des collectivités, on doit combiner les aides et aménager des extensions aux outils classiques : l'accompagnement des ménages à travers MaprimeRénov' mérite à mon sens un soutien plus important, en particulier pour les déciles de revenus les plus bas afin de ne laisser personne dans l'impasse. On dispose également d'un complément de financement en certificats d'économies d'énergie (CEE) qu'il faudra mobiliser plus intensément. Subsiste enfin la question du reste à charge, et je souligne ici le rôle des prêts avance mutation (PAM) et avance rénovation (PAR) qui permettent de ne rembourser, dans un premier temps, que le capital de façon à dégager des marges de financement pour les travaux. Pour l'instant, ces prêts sont d'ampleur trop limitée car on les a trop fortement conditionnés pour bénéficier aux revenus les plus faibles : il faut élargir le dispositif pour le déployer plus massivement. Enfin, un certain nombre de ménages peuvent supporter le reste à charge, notamment en l'adossant à des économies de factures énergétiques. J'observe, dans le secteur financier, une conjonction assez intéressante : les banques, soumises à des obligations de faire figurer des proportions d'investissements verts toujours plus importantes dans leurs bilans, pourraient trouver dans la rénovation énergétique des projets à financer leur permettant de satisfaire ces exigences. Cette possibilité se heurte pour l'instant à une difficulté : au titre de la réglementation bancaire, il faut documenter extrêmement finement ce qui a été réalisé pour réduire les émissions. Or, les banques, au titre des crédits immobiliers ou finançant des travaux, ne parviennent pas à collecter des informations et des évaluations suffisamment précises des réductions d'émissions liées aux prêts qu'elles ont consentis pour pouvoir les classer dans la part verte prévue par la réglementation. Si on arrive à déverrouiller ce mécanisme - en recueillant les données à partir des compteurs et en les agrégeant - on donnera probablement l'opportunité aux banques de financer plus massivement les travaux de rénovation.

Enfin, la question des sols - sans ouvrir le débat sur le ZAN - porte essentiellement sur les constructions neuves. Du strict point de vue de l'occupation des sols, la rénovation énergétique est très pertinente et nous sommes favorables à son développement massif car elle permet de refaire « la ville sur la ville » en rénovant les logements dans des zones qui sont déjà artificialisées. La construction neuve, en revanche, va artificialiser les sols mais notre conviction est que les collectivités avaient d'ores et déjà engagé une trajectoire de baisse de l'artificialisation des territoires. Quand on additionne les constructions neuves, la réindustrialisation, le développement du photovoltaïque, l'extension de la forêt et le maintien de la surface agricole utile, j'estime que la bonne nouvelle est qu'on pourra concilier ces divers usages du sol au regard des surfaces globales. Toute la difficulté réside dans la bonne répartition géographique et la gestion locale du coût de ces enjeux avec des questions extrêmement complexes, territoire par territoire, pour opérer les bons ajustements. Ce n'est pas à l'État central de gérer cette problématique : l'intervention des communes et de leurs établissements publics est ici absolument indispensable.

M. Franck Montaugé. - Merci pour vos réponses. Je reviens tout de même sur le ZAN et ses conséquences sur le logement et l'habitat. La question qui va se poser très vite est celle de l'accompagnement des collectivités et des particuliers pour la réutilisation de logements parfois très anciens et inoccupés depuis très longtemps. Il faut en effet, malgré les contraintes du ZAN, poursuivre l'accueil des populations, surtout dans les zones rurales et les coeurs de village. Examinez-vous ce sujet - qui est lié à celui de la finance verte - dans votre rôle d'agrégateur des politiques publiques menées par les ministères concernés ?

M. Antoine Pellion. - Notre approche part du principe qu'il faut satisfaire la demande de logements en activant différents leviers comme le réaménagement de bâtiments existants ou la réduction de la vacance. Au-delà de cette vision macro-nationale, les difficultés réelles se situent dans l'offre de logements en zone tendue : on rentre ici dans une dimension territoriale où les compétences sont entre les mains des collectivités locales avec un sujet de court terme d'offre disponible et des enjeux de long terme d'aménagement, d'urbanisme, de développement du territoire et de densification des villes moyennes. Il s'agit non seulement d'aménagement du territoire mais aussi de répondre aux problématiques environnementales de qualité de vie et de mobilité. Ce sont des actions à long terme pour lesquels des programmes comme Action coeur de ville ont été lancés de façon à préparer le futur, mais leurs effets tangibles en volume ne se manifesteront qu'après 2030.

Mme Daphné Ract-Madoux. - Je rappelle que la planification peut se révéler antinomique avec l'efficacité de la mise en oeuvre sur le terrain. Comment travaillez-vous pour essayer, au plus près des territoires, de proposer des mesures réalistes et opérationnelles ?

S'agissant du financement, je souligne que les travaux de rénovation, s'amortissent sur des durées en général plus longues que la moyenne du « turnover » de cessions de logements. Quels outils vous paraissent pouvoir répondre à cette difficulté ? Je mentionne ici le bail réel solidaire (BRS) qui pourrait favoriser une transmission de la charge de la dette, en particulier pour les copropriétés.

Je souhaite également vous interroger sur le réemploi et la déconstruction des bâtiments qui soulèvent des difficultés assurantielles et de certification qu'il conviendrait de débloquer.

Enfin, je rappelle que les Agences locales de l'énergie et du climat (Alec), au nombre de 40 en France, sont des structures extrêmement performantes pour objectiver les diagnostics de performance énergétique, ce qui est extrêmement utile pour les particuliers ou les copropriétés : comment relier leur action à celles des Accompagnateurs Rénov' pour renforcer le pragmatisme des démarches ?

M. Antoine Pellion. - Je précise tout d'abord avec beaucoup d'humilité que notre travail de planification a consisté, dans une première étape, à améliorer la cohérence d'ensemble des multiples briques dont on disposait pour en améliorer la crédibilité, clarifier la trajectoire d'ensemble et la mettre en regard des ressources en emplois ou en financements.

Cette démarche doit être assortie de deux importants caveat. La première réserve est que nous ne sommes pas en train de prescrire à tous une façon de faire uniforme : nous essayons d'identifier un chemin possible et chacun - entreprises, collectivités et ménages - doit pouvoir participer, selon ses compétences, à la mise en oeuvre de ce schéma illustratif. Nous abordons une deuxième phase et avons pour l'instant plutôt dialogué avec des associations d'élus locaux pour commencer à les intégrer dans cette démarche, sachant que certains territoires ne nous ont pas attendus pour commencer à travailler sur le sujet. Le secrétariat général s'efforce ainsi de nouer des échanges avec les collectivités sur la base des travaux qu'elles ont déjà engagés pour identifier les leviers les plus efficaces en matière de baisse de gaz à effet de serre et nous arriverons certainement à la conclusion qu'il faut différencier la vision nationale en indiquant que tel ou tel territoire devra consentir des efforts plus importants en matière de transport ou de logement. Cette discussion est encore largement devant nous et le même type de concertation est nécessaire avec les filières industrielles et économiques. Ce dialogue a commencé dans le cadre de l'article 301 de la loi Climat et résilience que vous avez votée et qui prévoit des contrats de filières industrielles : les opérateurs ont commencé à travailler sur ce sujet et nous intégrons leurs propositions - sans être toujours d'accord celles-ci. Au-delà des filières, l'engagement individuel de chaque entreprise est indispensable.

S'agissant du financement de la rénovation, je crois beaucoup aux dispositifs de prêts avance rénovation ou mutation qui permettent d'engager des travaux, même si on a prévu de vendre le bien concerné dans les cinq ou six ans, en se limitant à payer les intérêts pendant la période où on l'habite. Au moment de la cession du logement, on rembourse le principal du prêt et, d'une certaine manière, c'est l'acheteur qui reprend l'intégralité des travaux. J'estime que cette solution ne résout pas toutes les difficultés mais qu'elle facilite un certain nombre de rénovations. En copropriété, la situation est un peu différente et on peut avoir recours au dispositif de fonds travaux, rendu obligatoire par la loi Climat et résilience : ce fonds mutualisé est abondé régulièrement et permet de faciliter le déclenchement des travaux ainsi que leur vote en assemblée générale.

Le réemploi des bâtiments et sa dimension assurantielle renvoient à un enjeu plus général d'économie circulaire dans le secteur du BTP et je crois beaucoup dans ce domaine à la mise en place - même si elle rencontre des difficultés - de la filière à Responsabilité élargie des producteurs (REP) permettant un réemploi des matériaux. Je vous avoue ne pas être totalement au clair sur le sujet assuranciel mais je reviendrai vers vous sur ce point.

Mme Daphné Ract-Madoux. - J'illustre ma question avec un exemple : lorsque vous déconstruisez un bâtiment et démontez les fenêtres pour les réutiliser, la garantie décennale n'est pas, sauf exception, opérationnelle et donc on rencontre ici un frein.

M. Antoine Pellion. - Il faudrait effectivement travailler sur ce sujet.

Je termine en évoquant, en trois axes, le tissu d'accompagnateurs pour aider concrètement les ménages dans la rénovation énergétique. Nous avons tout d'abord le réseau des guichets physiques présents sur le territoire et, pour le densifier, nous encourageons beaucoup le développement du réseau France Rénov' qui fusionne les entités préexistantes : notre objectif est qu'on puisse trouver dans chaque Établissement public de coopération intercommunale (EPCI) un point de contact physique globalement, si je devais résumer les choses. Cependant, un tel guichet ne dispose pas toujours de toutes les compétences pour assurer un accompagnement personnalisé de qualité pour réaliser des diagnostics et recommander des travaux. Ce guichet physique doit donc pouvoir aiguiller les personnes vers des accompagnateurs de qualité certifiés. Il faut donc développer simultanément ces deux catégories d'acteurs en progressant en compétences et en volume : nous venons d'ouvrir le guichet de certification des Accompagnateurs Rénov, avec une montée en puissance tout au long de l'année 2023, pour qu'au 1er janvier 2024, on dispose d'un réseau suffisamment dense et opérationnel.

Parallèlement les opérateurs de tiers financement doivent continuer à se déployer car ils offrent un « package » intéressant qui porte à la fois sur la qualité des travaux et des solutions de financement : les volumes traités sont pour l'instant trop limités dans ce secteur.

Mme Christine Lavarde. - Je souhaite vous interroger sur un sujet connexe à celui des assurances. L'ordonnance très récemment publiée sur le risque de retrait-gonflement des argiles pourrait aboutir à injecter un montant considérable de fonds publics dans des passoires thermiques avec une obligation d'utilisation par les sinistrés des indemnités pour réparer les dommages. Il pourrait être beaucoup plus judicieux d'utiliser ces sommes, qui peuvent atteindre 150 000 à 160 000 euros, pour aller se loger ailleurs, ou carrément tout raser et reconstruire des bâtiments à la fois performants d'un point de vue thermique et pour prévenir le retrait gonflement des argiles : or la rédaction du texte interdit ces solutions alternatives. Comment analysez-vous cette situation qui me paraît un peu absurde au plan micro et macro ?

Oui, effectivement, le sujet encore autrement retrait gonflement d'argile a été abordé récemment.

M. Antoine Pellion. - À ma connaissance, les indemnisations prévues sont destinées à la stabilisation des sols, avec par exemple la pose de micropieux. Je suis preneur d'informations sur des cas concrets dans ce domaine mais il me semble que des subventions de l'ordre de 100 000 euros ne permettent pas de se racheter une maison. L'indemnisation n'a donc pas pour cible un changement d'habitation mais la stabilisation du sol : 10 millions d'habitations sont potentiellement concernées par un risque de retrait-gonflement des argiles que la solution des micropieux permet d'éliminer totalement.

Mme Christine Lavarde. - Mon récent rapport d'information sur le financement du risque de retrait gonflement des argiles et de ses conséquences sur le bâti a recensé plusieurs cas d'indemnisations qui étaient supérieures à celui du coût de construction d'une maison, selon les données récentes.

Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente. - Monsieur le Secrétaire général, je vous remercie pour cette audition.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 05.