Mercredi 3 mai 2023

- Présidence de Mme Évelyne Perrot, vice-présidente -

La réunion est ouverte à 14 heures.

Audition de MM. Sylvain Boucherand, président de la commission environnement, Pascal Guihéneuf et Serge Le Quéau, rapporteurs de l'avis « Comment favoriser une gestion durable de l'eau (quantité, qualité, partage) en France face aux changements climatiques ? » du Conseil économique, social et environnemental

Mme Évelyne Perrot, vice-présidente. - Le Conseil économique et social et environnemental (CESE) a adopté le 11 avril dernier un avis relatif à la gestion durable de l'eau en France face aux changements climatiques. Dans le cadre de notre mission d'information sur l'eau, nous recevons aujourd'hui les rapporteurs de cet avis préparé au sein de la commission environnement du CESE, MM. Le Quéau et Guihéneuf, ainsi que le président de la commission, M. Boucherand.

Nous vous remercions d'avoir accepté de nous présenter votre rapport, qui nourrira notre réflexion en vue de la rédaction du rapport de notre mission qui devrait être adopté fin juin ou début juillet. Un questionnaire vous a été adressé pour préciser nos interrogations, mais nous vous invitons à présenter vos travaux et vos vingt-trois préconisations. Nous sommes également très intéressés par votre regard sur les cinquante-trois mesures inscrites au Plan eau du Gouvernement, qui a été présenté le mois dernier et qui rejoint en partie vos propositions.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je remercie nos invités pour leur disponibilité. Nous avons tous conscience de vivre un moment particulier. Le CESE participe également à créer cette résonance politique sur le sujet de plus en plus important de l'eau. La sécheresse hivernale a déjà des impacts dans plusieurs départements.

Tout d'abord, je voudrais vous remercier aussi pour la qualité de vos travaux et vous dire l'intérêt et le souhait que nous avons au niveau du Parlement et au sein du Sénat de pouvoir échanger avec le CESE sur les orientations et les préconisations qu'il a émises à travers votre rapport. Sans attendre, je vous propose d'entrer dans le vif du sujet via les questions qui vous ont été transmises et vos propos liminaires. Je vous propose, après les présentations d'usage, d'entamer nos discussions sur l'initiative de ce sujet, sur la façon dont vous avez appréhendé ce sujet, et quelles sont les connaissances et les approches que vous avez pu aborder le long de vos travaux.

M. Sylvain Boucherand, président de la commission environnement du CESE. - Je me permets quelques mots de contexte sur la prise d'initiative du CESE qui, vous le savez, a la capacité de s'autosaisir et d'être saisi par le Gouvernement et le Parlement. Le Gouvernement l'a saisi, par exemple, sur des questions relatives à la consommation durable et les nouvelles techniques génomiques. L'an dernier, le CESE a donc lancé différents travaux sur des sujets ayant trait aux politiques favorisant la sobriété, au sens large, au regard de l'ensemble des ressources et de nos modes de vie. Cet élément est important pour comprendre l'approche de cet avis sur la gestion de l'eau qui a suivi et qui s'inscrit désormais dans un contexte d'alerte, avant même l'émergence de la crise de l'eau à laquelle nous sommes confrontés depuis plusieurs mois.

Je rappelle qu'au sein de la commission de l'environnement siègent des représentants des entreprises, des syndicats, des agriculteurs, des associations environnementales, des associations familiales, etc. Dans la mesure du possible, la commission de l'environnement tente de créer un consensus autour de ses préconisations.

Afin de répondre plus précisément à vos questionnements et de vous présenter nos préconisations, je vous propose d'entendre Pascal Guihéneuf et Serge Le Quéau, co-rapporteurs de cet avis.

M. Pascal Guihéneuf, co-rapporteur de l'avis du CESE. - Nous nous sommes intéressés à la question de la gestion durable de l'eau, il y a environ un an. 2022 est une année très problématique sur le plan de la sécheresse. Mais en 2022 nous avons aussi connu des épisodes de pluie et d'orages sévères. Ce n'est pas la première fois que le CESE s'interroge sur la gestion de l'eau, puisqu'il avait conduit des travaux remarqués sur les usages de l'eau en agriculture dès 2013 et émis une série de recommandations autour de cette ressource, ainsi qu'autour de l'agroécologie, de la préservation de l'environnement.

S'agissant du plan de l'avis de 2022, nous avons examiné les aspects scientifiques face aux changements climatiques afin de nous acculturer à ce domaine et évaluer les connaissances, les manques et les incertitudes face aux données disponibles. Nous avons notamment évoqué la régionalisation des données du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) pour améliorer notre savoir et mieux appréhender les conséquences de tels changements sur l'eau.

Nous avons également fait un point sur les ressources, les usages et les conflits d'usages en évitant de nous focaliser sur la seule agriculture, même si les conflits dans ce domaine sont nombreux. Nous nous sommes par exemple intéressés aux problématiques d'entreprises qui ont besoin d'eau ultra pure pour leurs activités et au tourisme. En revanche, nous avons peu investigué le domaine de la production d'énergie hydroélectrique, puisque le CESE avait déjà rendu un avis sur ce sujet.

Nous avons également travaillé sur les intrants agricoles et la pollution, sans parvenir cependant à dégager une convergence, même si au cours de la dernière année ce sujet a été beaucoup traité à travers l'actualité législative. En revanche, nous avons beaucoup travaillé sur la rénovation des réseaux d'eau et la réutilisation des eaux usées traitées (REUT). Par ailleurs, nous nous sommes également penchés sur l'organisation de la gouvernance de l'eau et les Assises de l'eau dont les débats se sont prolongés à travers le rapport de la Cour des comptes. Ces débats sont complexes et embarquent très souvent des considérations politiques et des actions de lobbying. Nous avons également organisé une table ronde à laquelle ont participé la FNSEA, la Coordination rurale, la Confédération paysanne et des représentants des conchyliculteurs. Les débats ont été sobres, mais nous avons le sentiment que tout n'a pas été dit. Les désaccords ont été plus marqués lors de la discussion des amendements de l'avis. Ce dernier a cependant été adopté avec une majorité confortable, et seuls les représentants du secteur de l'agriculture intensive et ceux qui estimaient que l'avis n'allait pas assez loin se sont opposés au vote.

M. Serge Le Quéau, co-rapporteur de l'avis du CESE. - Je précise que le rapport pointe également la nécessité d'améliorer la recherche dans le domaine de l'eau, car il existe finalement peu de documentation disponible et celle-ci est très dispersée. Nous préconisons donc que les ressources documentaires soient mieux coordonnées. Le rapport relève aussi une certaine carence de l'État en matière de contrôle et une diminution des effectifs correspondants dans l'administration publique.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je me permets de rebondir sur vos propos. Nous partageons un certain nombre de problématiques que vous avez abordées et nous souhaitons les évoquer le plus directement possible. Vous évoquez la carence des services de l'État. Pouvez-vous préciser quels sont exactement les domaines concernés ? Vous indiquez également des difficultés en matière de connaissance et de recherche. Quelles sont ces difficultés en termes de lisibilité, de complémentarité, de moyens accordés à la recherche fondamentale ou la recherche appliquée ? De quelle façon la recherche peut-elle diffuser ses travaux après des filières professionnelles au travers de la R&D ? S'agissant de la connaissance des données et du niveau d'information, avez-vous rencontré des difficultés pour accéder à certaines d'entre elles ? Je précise que nous souhaitons que soit améliorée la connaissance de la ressource par bassin versant afin de maîtriser le mieux possible la quantité d'eau disponible et son utilisation dans le cadre d'une bonne gouvernance prenant en compte l'ensemble des usages.

M. Serge Le Quéau. - Au sujet de la recherche et du manque des moyens de l'État, il ressort de nos auditions, y compris de celles qui ont été menées avant l'auto-saisine - je pense notamment à celle du président de l'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse - que la recherche ne trouve que ce qu'elle cherche. Or, peu de recherches sont conduites dans le domaine des polluants de l'eau. L'année 2022 semble toutefois marquer un tournant, puisqu'un grand nombre de travaux ont été menés dans ce domaine. Ces derniers ont notamment révélé des pollutions sévères par des métabolites de pesticides tels le S-métalochlore et les PFAS. Dans ce contexte, il est nécessaire d'améliorer les contrôles et de laisser l'ANSES effectuer son travail. Il est également nécessaire d'investiguer davantage ce qui a été fait aujourd'hui dans ce domaine.

En ce sens, l'avis du CESE est d'abord un avis court, mais un avis d'alerte. Nous pensons qu'il existe un véritable problème de la qualité des eaux. D'ailleurs, la France ne respecte pas la directive européenne n° 98/83/CE. Je rappelle que nous avons déjà de sérieux problèmes en matière de pollutions chimiques des eaux, notamment avec les nitrates. La situation doit donc réellement être améliorée. Notre sentiment est que, jusqu'à présent, nous sommes dans un déni collectif. Bien entendu, il ne s'agit pas d'affoler les populations, mais nous ne pouvons pas non plus rester inactifs. Il faut agir pour améliorer la qualité de l'eau.

S'agissant des services de l'État, les Agences de l'eau ont perdu 30 % de leurs effectifs au cours des cinq dernières années. Les services de contrôle, et notamment des inspecteurs de l'eau, ne sont pas en mesure d'assurer leurs missions, ni en capacité de réaliser un travail sérieux.

M. Pascal Guihéneuf. - Concernant la quantité d'eau disponible et les simulations en lien avec les changements climatiques, les données sont encore relativement floues. La ligne rouge des +2° d'augmentation de la température au niveau mondial pourrait être dépassée plus rapidement en France. Cette situation impacte fortement la biodiversité, des espèces animales disparaissent déjà et certaines espèces d'arbres ne sont plus acclimatées à leur sol d'origine. Certes, il y a beaucoup d'idées, mais il n'y a pas de réponses stratégiques alors que nous sommes déjà engagés dans une course contre la montre. Il n'est pas impossible que la France de 2050 enregistre une hausse des températures moyennes supérieures comprise entre 2,2 et 2,7° par rapport au début du XXe siècle. Mais que fait-on avec cette information ? Je rappelle que Christophe Béchu, ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires de France, a annoncé une augmentation de la température de près de 4° en 2100. Cet avertissement va au-delà des prévisions du GIEC, sachant que l'Europe se réchauffe plus vite que le reste du monde. Vous le constatez, toutes ces données ne sont pas claires, mais elles dessinent une tendance réelle. À cet égard, l'année 2022 est exceptionnelle. Je rappelle que les prévisions du GIEC, issues de son rapport intermédiaire, avaient évalué une augmentation de la température de 1,7° en 2022, alors qu'elle a été en réalité de 2,9°. De fait, comment expliquer cet écart ? Sans doute la climatologie doit être mieux prise en compte dans les simulations et notamment les vents du Sud qui impactent fortement l'augmentation des températures. Nous devons mieux appréhender et prendre en compte ces éléments. Ainsi, les prévisions saisonnières jusqu'à juillet ne portent aujourd'hui que sur la zone méditerranéenne et aucune tendance des précipitations n'est mesurée. Ce manque de données nuit à toute démarche prospective.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous validez donc l'idée qu'il faut conforter un modèle qui soit le plus performant possible en termes de production de données, notamment à l'échelle des bassins versants ?

M. Sylvain Boucherand. - En effet. Nous avons été surpris du peu de connaissances des quantités d'eau disponibles et des prélèvements effectués. Il semble essentiel d'obtenir une meilleure visibilité, si possible en temps réel, afin de piloter la gestion de l'eau, notamment en période de crise de la ressource. Ce constat passe par une meilleure connaissance et une meilleure information liée à l'eau et nous préconisons que ces données soient publiques afin de faciliter leur accès à l'ensemble des acteurs.

M. Pascal Guihéneuf. - Pour illustrer les propos précédents, nous constatons qu'il est extrêmement compliqué aujourd'hui d'accéder à des données concernant les précipitations en France et celles disponibles ne prennent pas en compte les cinq dernières années alors que le climat a notablement évolué durant cette période. Il est donc nécessaire de raccourcir le temps du traitement des données afin que les informations soient en phase avec le présent.

M. Jean Bacci. - Plus que la quantité, c'est désormais la fréquence et l'intensité des précipitations qui doivent nous interroger. Soit il ne pleut pas ou pas assez pendant de longues périodes, soit les orages sont diluviens et les eaux ruissellent sans pénétrer dans les sols. Ce phénomène doit également nous interroger.

M. Alain Cadec. - Votre rapport dresse un tableau assez sombre de la qualité de l'eau, notamment au sujet des pollutions dues aux nitrates et autres pesticides. Vous proposez un certain nombre de mesures, comme la réduction des cheptels pour lutter contre les apports d'azote, notamment dans les zones vulnérables - certaines de vos propositions sont même radicales. Pensez-vous que, dans une démarche de reconquête de la qualité de l'eau qui est en cours depuis des années, la manière forte soit une bonne solution ou des mesures douces ne seraient-elles pas plus appropriées, telles que Écophyto ou la protection des captages prioritaires ?

M. Serge Le Quéau. - Vous faites sans doute référence à notre préconisation n° 14. Je pense qu'elle a été mal comprise et qu'il s'agit d'un mauvais procès qui nous est fait. Nous recommandons en effet une diminution du cheptel, mais uniquement dans les zones saturées, voire sursaturées. Il s'agit donc d'un redéploiement et non d'une réduction. Je rappelle, à l'instar des scientifiques que nous avons auditionnés, que conserver la qualité de l'eau passe obligatoirement par la conservation et la protection de la qualité des sols qui absorbent les pluies.

S'agissant de la diminution des cheptels en zones sursaturées, nous avons repris les recommandations de la Cour des comptes. J'ajoute que cette préconisation est plus importante encore lorsque l'implantation desdits cheptels déroge aux règles de droit. Des préfets autorisent des extensions d'élevages dans des territoires déjà saturés.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La question sous-jacente d'Alain Cadec porte sur l'acceptabilité et sur la façon de créer des conditions pour aller ensemble vers des objectifs les plus partagés possibles. L'un des sujets que nous évoquons de manière régulière au sein de notre mission d'information est d'imaginer comment nous pourrions créer les conditions d'un contrat d'objectifs et de performance qui permettrait d'engager l'ensemble des parties prenantes pour couvrir tous les besoins - si tant est que nous ayons la capacité effective de l'assurer à un moment donné. Pensez-vous que ces pistes sont intéressantes ?

M. Sylvain Boucherand. - Je souhaite préciser que le point de départ de notre travail est antérieur à la crise que nous avons connue l'été dernier. Notre avis se voulait donc prospectif afin de préparer l'avenir à cinq ou dix ans en maîtrisant la gestion de nos ressources en eau. L'actualité nous a rattrapé et les années difficiles sont déjà là. Plus nous attendons, plus il sera complexe d'embarquer tout le monde dans les changements d'usages. Or, nous ne pouvons plus nous contenter de « petites choses ». Très vite, les ménages, les agriculteurs, les industriels vont avoir besoin d'eau. Dès lors, il faut réfléchir dans le cadre d'une logique de partage. Or, plus la tension sera vive, plus il sera difficile de faire admettre le nécessaire partage d'une ressource qui diminue. Il est urgent désormais d'avancer très vite sur ce sujet.

M. Serge Le Quéau. - Le vrai sujet est celui de l'accompagnement des agriculteurs. Aucun d'eux n'a envie de consommer de l'eau non potable ou de mauvaise qualité. L'un des problèmes majeurs qui a été pointé de manière récurrente lors de nos auditions est que nous sommes tous victimes de l'utilisation des pesticides présents dans l'eau et dans l'air. Croire que le recours massif aux pesticides n'aurait aucune incidence sur la qualité de l'eau et de l'air est une vision de l'esprit. Les méthodes pour sortir de cette spirale sont connues. Il faut se tourner vers l'agroécologie et pour cela accompagner les agriculteurs dans cette transformation. Il faut surtout être en capacité de dire que les externalités négatives coûtent considérablement plus cher que l'aide directe à la transition écologique du secteur. Aujourd'hui, l'agriculture productiviste produit 30 % de plus que l'agriculture biologique. Or, si nous étions capables de quantifier précisément les externalités négatives (qualité de la nourriture, conséquences sur la santé publique, pollution, etc.), la comparaison serait évidemment sans commune mesure, car l'agrobiologie est nettement plus rentable dans ces domaines. Il semble nécessaire que le contrat soit posé clairement avec l'ensemble de la société et qu'elle comprenne que les agriculteurs doivent être financièrement aidés sur le chemin de cette transformation. Cette démarche appelle bien évidemment une cohérence des politiques publiques. L'eau et la qualité de la nourriture ont un coût et il faut l'assumer.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Sans être provocateur, ne pensez-vous pas, au regard du contexte inflationniste que nous traversons, que le coût guide le choix des ménages ? Ainsi, les produits biologiques souffrent depuis plusieurs mois de la baisse du pouvoir d'achat. Que pouvons-nous envisager face à la réalité du marché ? Comment pouvons-nous accompagner les ménages pour soutenir la consommation ? S'agissant de l'agroécologie, chacun sait que ses rendements sont moins importants. Dès lors, comment s'y prendre pour adapter les modèles ?

M. Pascal Guihéneuf. - Avec moins d'eau, les rendements vont mécaniquement baisser. Il est donc impératif d'améliorer la qualité des sols pour retenir l'eau qui va se raréfier. Or l'agriculture intensive consomme énormément d'eau. Les terres agricoles doivent donc redevenir des terres arables et productives sans ajout d'intrants. Notre avis n'est pas opposé à l'accompagnement des agriculteurs même sur un temps long. Des études ont déjà été produites pour une transition agrobiologique d'ici à 2050. Il faut s'en inspirer et mettre en oeuvre maintenant ce qu'elles préconisent. Les Assises de l'eau ont également produit des recommandations en ce sens.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous sommes tous favorables à accompagner des modèles de production adaptés aux nouvelles réalités que sont les enjeux climatiques et écologiques. Cependant, nous sommes parfois confrontés à des logiques de marché et aux réglementations européennes. Aider la filière agricole, c'est se confronter à une logique de concurrence au niveau européen. C'est donc un vrai sujet.

M. Pascal Guihéneuf. - J'entends vos arguments. Mais est-il raisonnable de cultiver du maïs, qui réclame énormément d'eau, en Charente ? Une fois encore, j'en appelle aux scientifiques qui doivent nous aider à déterminer les meilleures zones pour planter du maïs et évaluer le niveau de consommation d'eau de ce type de culture et confirmer que cette ressource est disponible dans la zone. Des expérimentations sont en cours, la Vendée travaille sur des bassins de substitution et l'agroécologie est désormais évoquée en France, mais à petits pas.

M. Serge Le Quéau. - L'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae) a produit récemment un rapport sur l'agriculture européenne sans pesticides en 2050. Ce rapport est d'une grande qualité scientifique et nous devons nous appuyer sur ce type de travaux.

Mme Kristina Pluchet. - J'ai noté que votre rapport évoquait peu la réutilisation de l'eau et qu'il ne propose aucune préconisation à ce sujet. Or, il existe un vrai potentiel à ce niveau et le gain pourrait se traduire en millions de mètres cubes. Par ailleurs, vos travaux évoquent beaucoup la pollution agricole, mais il aborde peu la question de l'enfouissement des déchets. Que préconisez-vous pour réduire ces formes de pollution qui sont tout aussi préjudiciables que les pollutions agricoles ?

M. Pascal Guihéneuf. - Nous n'avons certes pas traité tous les sujets. En revanche, nous avons abordé la REUT et les eaux non conventionnelles. La France maîtrise les techniques de retraitement, mais elles coûtent cher et sont plus onéreuses que l'eau potable. La question qui se pose est qui va payer ce retraitement et les kilomètres de réseaux pour transporter cette ressource de l'usine au consommateur ? La préconisation n° 17 livre quelques pistes de réutilisation, mais elles n'atteignent pas les recommandations du Président de la République, qui fixe un cap à 10 % de réutilisation, un pourcentage ambitieux. Cependant, c'est très certainement une solution. D'autres pays comme Israël ou l'Espagne recyclent leurs eaux dans des proportions bien plus importantes, car ils sont déjà privés de cette ressource. La France n'en est pas là et nous devons commencer par une démarche de sobriété pour économiser notre ressource. Dans ce contexte, je vous rejoins, réutiliser l'eau pour l'agriculture est une bonne piste.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je crois que nous sommes tous d'accord sur ce point. Nous attendons la publication de textes pour que cette réutilisation soit applicable en milieu industriel. Nous souhaitions également aborder la notion de tarification différenciée dans le cadre de l'annonce du Plan eau. Avez-vous des remarques particulières à partager sur le sujet ? Par ailleurs, et c'est une question que nous poussons actuellement au Sénat, comment intégrer les politiques de l'eau dans les documents d'urbanisme, notamment les SCoT et les PLUi ? Avez-vous un avis sur le sujet ?

M. Sylvain Boucherand. - La tarification sociale progressive de l'eau est l'une de nos préconisations. Nous nous réjouissons qu'elle ait été reprise dans le Plan eau et que le Gouvernement ait prévu de saisir le CESE pour en définir les modalités de mise en oeuvre.

M. Pascal Guihéneuf. - Le bilan 2019 de l'expérimentation de la tarification sociale de l'eau, en application de la loi Brottes de 2013, est très intéressant. Certaines instances ne sont pas encore intéressées à la tarification sociale et différenciée. Nous avons néanmoins précisé dans notre rapport que la tarification régressive n'était pas souhaitable, que ce soit pour l'eau domestique ou pour tout autre type d'usage de l'eau. Cette mesure suscitera des réactions des industriels, car historiquement, plus on consomme de l'eau, moins elle est chère. Aujourd'hui, il faut inverser cette approche. Évidemment, si un industriel traite ses eaux usées ou qu'il a besoin d'eau ultra pure pour ses activités, cela doit se négocier au niveau local.

M. Serge Le Quéau. - Nous demandons également que la société civile et les organisations syndicales soient associées plus étroitement à la gestion de l'eau au sein des Agences de l'eau ou des comités de bassin.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je note que chaque fois que nous demandons comment pourrait s'organiser la gouvernance, toutes les parties prenantes répondent qu'elles n'ont pas suffisamment de place. Dans ce contexte, c'est peut-être le fonctionnement même des organisations qu'il faut interroger. Nombre de collectivités ou de syndicats disent qu'ils participent à « main levée », car ils n'ont ni le temps ni la possibilité de discuter. De fait, lorsque les sujets sont examinés en commission plénière, ils sont déjà tranchés. Malgré ce constat, nombre de parties prenantes indiquent que cette gouvernance fonctionne finalement plutôt bien, mais que le système est lourd et complexe, et qu'il est parfois difficile que chacun trouve sa place. Partagez-vous ce constat ?

M. Serge Le Quéau. - Il ne faut pas fermer la porte aux organisations qui veulent s'intéresser à l'eau. Pourtant, c'est ce qui se passe actuellement.

M. Pascal Guihéneuf. - S'agissant des documents d'urbanisme, c'est une évidence à notre niveau et cette « solidarité » entre urbains et ruraux doit se traduire de manière détaillée dans les plans d'aménagement. Par exemple, des PLU prévoient l'implantation de haies pour retenir l'eau dans les sols, mais qui s'en occupe réellement en campagne et en ville ? Nous voyons bien qu'il est difficile d'orchestrer cette mesure sur le terrain.

Mme Évelyne Perrot, vice-présidente. - Je note que la population est insuffisamment sensibilisée aux problèmes de l'eau à court terme, alors qu'elle est sanctionnée, notamment l'été, par des interdictions d'usage de toutes sortes.

M. Serge Le Quéau. - Vous avez raison. Notre avis vise la sobriété d'utilisation de la ressource et une prise de conscience générale. Dans certaines zones touristiques par exemple, la capacité d'accueil n'est pas en adéquation avec la disponibilité de l'eau. Cette vigilance doit également être portée lors de l'implantation de sites industriels. La gestion de l'eau doit être mise au sommet des agendas des politiques publiques.

Mme Marie-Claude Varaillas. - Quel est votre avis sur les retenues collinaires et les grandes bassines, car il n'y aura pas d'agriculture sans arrosage ? Certes, le partage de l'eau appelle la sobriété, mais les cultures ne peuvent se passer d'eau.

M. Serge Le Quéau. - Nous regrettons les conflits de Sainte-Soline, mais il existe d'autres sites où les bassines ne posent pas de problème, car tous les acteurs ont réussi dans le dialogue à trouver un consensus dans le cadre par exemple des PTGE, dispositif que notre avis souhaite voir se développer. Pour parvenir à ce résultat, il est indispensable de discuter sur la base de l'analyse de la situation.

M. Pascal Guihéneuf. - Les bassines peuvent constituer une solution, mais une fois encore, il faut travailler sur les sites d'implantation et évaluer l'impact qu'elles peuvent avoir en aval.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La remontée d'information s'effectue au niveau des comités de bassins. Il est donc nécessaire de mieux maîtriser la connaissance des usages et des consommations. Ensuite, il faut partager les enjeux et organiser la distribution avec parfois des choix difficiles à opérer. Or, souvent, ces enjeux ne sont pas partagés. Globalement, nous avons tous le sentiment que l'eau est une ressource inépuisable pour tout le monde. Ce n'est pas le cas.

M. Pascal Guihéneuf. - De l'eau il y a en a, mais elle ne se renouvelle pas assez. Un travail de prévision et d'anticipation doit cependant être mené. En effet, d'ici à quinze ou vingt ans, la disponibilité de la ressource sera sans doute moindre.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ce qui nous intéresse dans le dialogue que nous établissons aujourd'hui, c'est de trouver des voies permettant de travailler sur l'acceptabilité d'un certain nombre de projets. Demain, il faudra limiter les rapports de force et les conflits. La nature même du CESE est intéressante à ce niveau dans les réflexions qu'il peut mener.

M. Sylvain Boucherand. - Je rappelle que le CESE a travaillé l'an dernier sur l'acceptabilité de l'installation d'infrastructures énergétiques dans les territoires. Beaucoup d'idées qui ont émergé peuvent être transposées à la problématique de la gestion de l'eau et plus largement à l'ensemble des questions liées aux ressources naturelles.

Mme Évelyne Perrot, vice-présidente. - Je vous remercie pour cet échange.

La réunion est close à 15 heures.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Jeudi 4 mai 2023

- Présidence de M. Hervé Gillé, rapporteur -

La réunion est ouverte à 11 heures.

Audition de MM. Hervé Paul, vice-président « référent eau », Franco Novelli, adjoint au chef du département cycle de l'eau et Mme Cyrielle Vandewalle, chargée de mission gestion et préservation des ressources en eau de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR)

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Merci pour votre participation à notre audition du jour. Le contexte actuel nous permet d'affirmer notre démarche et de souhaiter une politisation du sujet de l'eau au sens noble du terme. Évidemment, notre mission rencontre un ensemble de parties prenantes, car le sujet de la gestion durable de l'eau est relativement large. Il fait naturellement écho au Varenne de l'eau ainsi qu'au Plan eau annoncé récemment.

Vous pourriez commencer en présentant la FNCCR qui est une fédération importante, notamment en raison des relations qu'elle entretient avec les collectivités. Nous aborderons ensuite les premières questions du questionnaire qui vous a été transmis. Nous n'aurons certainement pas l'occasion de le traiter entièrement, mais vous pourrez nous transmettre des éléments écrits complémentaires.

M. Hervé Paul, vice-président « référent eau » de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR). - Je suis maire de la ville de Saint-Martin-du-Var. Également vice-président de la métropole Nice-Côte d'Azur, j'y suis responsable de l'eau, de l'assainissement et de l'énergie. Je siège dans toutes les instances du comité de bassin Rhône-Méditerranée-Corse (RMC). J'y suis vice-président du comité d'agrément aux côtés de Martial Saddier. Je siège au conseil d'administration de l'Agence depuis 2008. Je suis également vice-président de la FNCCR et référent du cycle de l'eau ; enfin, je suis vice-président du Comité national de l'eau que j'aurai le plaisir et l'honneur de présider cet après-midi en l'absence de Jean Launay.

Mme Cyrielle Vandewalle, chargée de mission « gestion et préservation des ressources en eau  » de la FNCCR. - Depuis quelques années maintenant, je travaille à FNCCR sur la gestion et la préservation des ressources en eau : j'ai beaucoup travaillé sur la préservation de la ressource par rapport aux pollutions d'origine agricole ou non agricole ; ces derniers temps, j'approfondis également les aspects concernant la quantité et l'économie de l'eau, car la FNCCR anime le Club des bonnes pratiques d'économies d'eau et de tarification depuis trois ans.

M. Franco Novelli, adjoint au département Cycle de l'eau de la FNCCR. - En tant qu'adjoint au chef du département Cycle de l'eau de la FNCCR et ingénieur, je me charge particulièrement des questions techniques relatives à l'eau potable, à l'assainissement collectif et à la gestion des milieux aquatiques et prévention des inondations (GEMAPI), en appui des collectivités adhérentes à la FNCCR et des associations partenaires.

M. Hervé Paul. - La FNCCR est une association de collectivités locales - exclusivement - qui exerce trois missions principales : accompagner les collectivités locales adhérentes en matière juridique et technique - la FNCCR est un centre de formations certifiées pour les agents et les techniciens - mettre les membres en réseau en tenant compte de leur grande diversité - syndicats de communes, importantes intercommunalités, syndicats interdépartementaux - et faciliter leurs échanges et encourager les partages d'expérience et d'expertise, et enfin représenter les adhérents auprès des pouvoirs publics.

Comme vous l'avez évoqué, la FNCCR se montre très active depuis les deux cycles des Assises de l'eau, le Varenne agricole de l'eau et le Plan eau. Elle s'implique également dans la réforme des redevances des Agences de l'eau, laquelle est inscrite à l'ordre du jour du prochain Comité national de l'eau.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cette réforme émane-t-elle d'une commande du Gouvernement ou des parties prenantes ?

M. Hervé Paul. - Ce sujet est évoqué depuis 2019. En effet, les produits des Agences de l'eau reposent aujourd'hui sur les redevances. Les collectivités bénéficient d'une contrepartie, les primes de performance épuratoire, qui les incitent à agir convenablement. Or, l'Europe - ainsi que certains comités de bassins - a remis en question ces redevances pour prime épuratoire, car elle considère qu'elles constituent une subvention de fonctionnement que les services d'eau et d'assainissement n'ont pas à recevoir. La disparition de ces primes épuratoires dans le douzième programme des Agences aurait pour effet mécanique d'augmenter les contributions des bénéficiaires. Il n'y aurait alors plus de dispositif incitatif aux bonnes pratiques. L'idée consisterait donc à introduire dans le nouveau dispositif un mécanisme incitatif, qui interviendrait à la fois sur les performances des services d'eau et d'assainissement.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Certaines Agences de l'eau atténuent pourtant la participation des usagers en participant aux coûts de fonctionnement de certains services, par exemple à travers les redevances pour soutien d'étiage.

M. Hervé Paul. - La réforme ne concerne pas les aides (dépenses), mais les redevances (recettes) payées par les abonnés domestiques et assimilés.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Quand le calendrier proposé sera-t-il cristallisé ?

M. Hervé Paul. - L'objectif est que la réforme entre en vigueur le 1er janvier 2025, en même temps que le douzième programme des Agences de l'eau. Le CNE rendra un avis sur la réforme cet après-midi. Les conférences budgétaires préciseront ensuite certaines modalités, notamment les indicateurs de performance, pour que chaque comité de bassin puisse définir, en 2024, avec le conseil d'administration de l'agence, les taux de redevance qui seront appliqués dès 2025. Le processus de concertation touche donc à sa fin.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Telle qu'elle est définie dans les objectifs, la tarification différenciée est également susceptible d'impacter le fonctionnement du modèle économique des redevances ?

M. Hervé Paul. - Aujourd'hui, les redevances procurent environ 1,450 milliard d'euros de recettes annuelles aux Agences de l'eau. La réforme devrait proposer d'asseoir deux tiers de la redevance sur les volumes consommés du réseau d'eau potable et de répartir le tiers restant sur des objectifs de performance des services d'eau (connaissance patrimoniale, niveau de rendement, plan d'action mis en oeuvre pour réduire les fuites) et des systèmes d'assainissement (stations d'épuration, réseaux de collecte) et d'appliquer un coefficient - compris entre 0,3 et 1 sur la part eau ; entre 0,4 et 1 sur la part assainissement - en fonction de la performance du système.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ce système ne pénalise pas les bons élèves ?

M. Hervé Paul. - Non. Le mécanisme est incitatif, car le coefficient 1 est appliqué à la redevance lorsque le système n'est pas performant. Le montant obtenu sera répercuté sur la facture d'eau de l'abonné au titre des redevances. L'abonné sera donc pénalisé si son service n'est pas performant, mais les bons élèves paieront moins que les mauvais.

Mme Florence Blatrix Contat. - Le calcul des redevances sur les prélèvements professionnels a-t-il évolué ?

M. Hervé Paul. - Ce deuxième chantier, mené en parallèle, fera l'objet d'une présentation dans le cadre du Plan eau cet après-midi. Aujourd'hui, le ministère et le Gouvernement envisagent d'une part de mettre en place des montants plancher en dessous desquels les comités de bassin et les conseils d'administration ne pourront pas délibérer ; d'autre part, d'augmenter le plafond des redevances de prélèvement pour valoriser raisonnablement le coût de l'eau prélevée dans les milieux naturels.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cela étant, le nouveau système participera au refinancement des Agences de l'eau avec l'objectif de trouver 475 millions d'euros de plus.

M. Hervé Paul. - La réforme des redevances a été conçue à iso-fiscalité alors que la répartition des efforts nécessaires pour atteindre les objectifs fixés par le douzième programme reste inconnue, car les recettes sont nouvelles. Ces deux sujets se télescopent. Chaque comité de bassin devra donc débattre des parts qui seront supportées respectivement par les usagers domestiques et assimilés, le monde agricole, le monde industriel et le monde de la production d'énergie hydraulique.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'objectif assigné par le président de la République devra pourtant être pris en considération.

M. Hervé Paul. - Certes. Aujourd'hui, la FNCCR estime que les usagers domestiques et assimilés contribuent à hauteur de 82 % aux recettes des Agences de l'eau tandis que la part de l'ensemble des produits des Agences de l'eau affectées dans le cadre du onzième programme au petit cycle de l'eau représente environ 34 %.

Aujourd'hui, les politiques environnementales, notamment la politique de l'Office français de la biodiversité (OFB) et les actions en faveur des milieux, subventionnées pas les Agences de l'eau, sont principalement financées par les usagers domestiques et assimilés. Sur le bassin RMC, les recettes des Agences provenant des redevances agricoles restent légèrement inférieures aux aides dont bénéficient les agriculteurs. Comme pour les industriels, les montants concernés, relativement faibles, sont à peu près équilibrés. Dès lors, la FNCCR suggère de profiter de l'augmentation des plafonds de dépense des Agences de l'eau pour rééquilibrer les contributions des différents usagers de l'eau, notamment les producteurs d'énergie hydraulique dont la participation reste marginale par rapport à leur chiffre d'affaires.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous introduisez donc discrètement des redevances complémentaires dans le cahier des charges de la mise en concurrence des barrages hydroélectriques ?

M. Hervé Paul. - Je ne souhaite pas entrer dans ce débat pointu.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous approfondirons ce sujet qui est majeur aujourd'hui. Lorsque les politiques européennes sont évoquées, l'approche concurrentielle est régulièrement avancée. Or, il apparaît intéressant de comparer les pratiques et le fonctionnement des autres pays européens. Disposez-vous d'une expertise en la matière ?

M. Franco Novelli. - Nous avons des rapports avec des associations qui oeuvrent au niveau européen, mais nous ne connaissons pas précisément le système de chaque pays. Nous savons que le principe « pollueur-payeur » envisagé dans le cadre de la révision de la directive européenne relative aux eaux résiduaires urbaines repose sur une entité indépendante, laquelle est chargée de collecter les produits des redevances liées à la pollution - des industriels notamment. Ce système (collecte des redevances, modernisation des réseaux) n'existe pas dans d'autres pays. Dans ce cadre, nous soutenons l'importance de protéger le modèle français, notamment pour éviter qu'une entité parallèle ne gère ces questions.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cette position suppose que le système français est l'un des plus vertueux.

Aujourd'hui, nous devons tracer des voies pour limiter les conflits d'usage. Celle des PTGE reste pertinente à condition qu'elle repose sur une méthodologie fine et respectée. Nous souhaiterions connaître votre analyse sur ce sujet.

Concernant la gouvernance, avez-vous quelques propositions à formuler ?

Enfin, quel est votre niveau d'analyse par rapport aux efforts de sobriété réalisés dans le cadre de la consommation domestique ? Comment abordez-vous la tarification différenciée ? Comment améliorer les politiques de sobriété ?

M. Hervé Paul. - Concernant l'organisation de la gouvernance, la FNCCR estime qu'imposer des SAGEs en tout lieu ne permet pas nécessairement d'agir rapidement au plus près des territoires, car les SAGEs aboutissent en moyenne en dix ans.

Aujourd'hui, la sécheresse n'est pas un épiphénomène. Or, les PTGE sont élaborés à partir des volumes prélevables moyens des dix dernières années alors qu'il conviendrait de les anticiper à partir de l'eau qui sera disponible au cours des dix prochaines années. Ce biais conduit les participants à déceler une forme de droit de prélèvement qui paraît décalé par rapport aux volumes d'eau disponibles aujourd'hui.

Dans les territoires qui ont subi des manques d'eau importants l'année dernière, il est encore possible d'organiser localement, avec les comités de bassins et les préfectures, des Assises de l'eau pour encourager les acteurs à discuter, à agir concrètement, à proposer des solutions simples reposant sur la réalité et à construire des objectifs cohérents avec la quantité d'eau qui sera disponible dans le futur.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Dès lors, comment affirmer la notion de préconisations ? Il faudrait un document qui permette de fixer, voire d'imposer, de grandes orientations.

M. Hervé Paul. - Il paraît effectivement raisonnable d'envisager, comme pour les PAPIs, un SAGE d'intention comportant quelques grandes orientations et des actions immédiates ou de très court terme avant d'élaborer un document plus construit contenant des perspectives de long terme et des dispositions transversales.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Néanmoins, la mise en place de politiques repose sur la définition d'axes d'orientation. Nous travaillons également pour inscrire la gestion de l'eau dans les documents d'urbanisme (SCoT, PLUi).

M. Hervé Paul. - Il est vrai que les politiques de l'eau méritent d'être mieux prises en compte. La FNCCR estime toutefois plus raisonnable de convaincre les gens d'agir plutôt que de les forcer, les sanctionner ou les stigmatiser.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Votre position repose donc sur la bonne volonté.

M. Hervé Paul. - Il s'agit d'inciter, sous l'égide des comités de bassin et des préfets, la bonne volonté et les actions de court terme avant de réfléchir ensemble à des politiques plus transversales.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Approuvez-vous la conditionnalité dans ce contexte ?

M. Hervé Paul. - Oui, je l'approuve. Dans le cadre des politiques d'aménagement du territoire, il me semble également raisonnable que les entreprises industrielles ou les exploitations agricoles génératrices d'une consommation d'eau importante soient désormais implantées à proximité de l'eau.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Vous soulignez l'intérêt d'une planification partagée : au niveau d'un SCoT, la gestion de la ressource repose sur la connaissance du nombre de mètres cubes disponibles sur un territoire pour accueillir des activités et des populations dans les meilleures conditions. La planification territoriale concerne donc les activités économiques, mais également l'attractivité des territoires. Quelle stratégie adopter vis-à-vis des territoires qui gagnent beaucoup de populations alors que leur ressource en eau est déficitaire ?

M. Hervé Paul. - Certains territoires comme Montpellier, Rennes ou Bordeaux, connaissent une forte progression démographique en raison de la mise en oeuvre de politiques visant à accroître leur attractivité. Or, une baisse des consommations de 1 % restera insuffisante pour couvrir les besoins d'une population qui augmente de 20 % en 10 ans. De l'eau devra donc être acheminée vers ces territoires. La FNCCR estime fondamental d'arrêter, d'ici dix ans, l'usage des produits chimiques sur les aires d'alimentation des champs de captage, dont la surface totale représente 3 % de la surface agricole utile.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Sur ce sujet, la filière agricole demande des compensations.

M. Hervé Paul. - La FNCCR considère que les compensations reposent d'abord sur le modèle agricole choisi. En effet, il ne paraît pas raisonnable qu'un agriculteur qui exploite une aire d'alimentation de captage suive le même modèle économique qu'un agriculteur contraint de réaliser une production intensive. Un tel système ne fonctionne pas, car le kilogramme de blé est alors payé via la facture d'eau. Il existe d'autres modèles, moins extensifs, qui permettent à l'agriculteur de vivre du produit de ses revenus et qui pourraient être développés, en dix ans, sur 3 % de la surface agricole utile.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'installation de ces nouveaux modèles requiert toutefois qu'une politique d'accompagnement soit mise en oeuvre.

M. Hervé Paul. - Aujourd'hui, les Agences de l'eau payent des prestations pour services environnementaux (PSE). J'ai la faiblesse de croire que ces services restent parfois supposés ou attendus. Or, j'aimerais que le paiement concerne les services rendus effectivement.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - La qualité de l'évaluation des compensations et des services rendus représente un vrai sujet dans notre pays.

Mme Sylvie Robert. - Vous évoquez des sujets très importants : accompagnement, ingénierie, coordination, incitation. Je partage entièrement les objectifs que vous citez, mais les paroles doivent être suivies d'effets.

Mme Florence Blatrix Contat. - Nos collectivités et nos syndicats des eaux ont été confrontés aux problématiques liées au S-métalochlore. Elles vous ont beaucoup interpellés à ce sujet. Aujourd'hui, quel bilan tirez-vous des politiques relatives aux captages prioritaires ? Sur les 35 000 captages, à combien évaluez-vous ceux qui seront concernés par des problématiques de pollution dans les trois prochaines années ? Enfin, quelles actions envisagez-vous ?

M. Hervé Paul. - Dans le cadre des Assises de l'eau, la FNCCR a proposé une mesure novatrice, laquelle consiste à accorder un droit de préemption prioritaire permettant aux services d'eau d'acquérir les aires d'alimentation des champs de captage. Eau de Paris travaille ainsi avec des agriculteurs qui exploitent des périmètres d'alimentation de champs de captage mobilisés pour alimenter la capitale en eau potable. Ce dispositif, utilisé depuis plusieurs années, a apporté des résultats très intéressants. Premièrement, il s'agit de permettre aux services d'eau d'acquérir ces terrains et de conditionner le bail au respect d'un cahier des charges. Ensuite, la transition doit être accompagnée : la FNCCR estime que les sommes prévues par le Plan eau (100 millions d'euros) pour accompagner les agriculteurs restent insuffisantes. Pour changer de paradigme, la France doit envisager de réorienter des crédits de la PAC vers l'accompagnement au changement de pratiques agricoles plutôt que de compter uniquement sur les économies que pourront réaliser les usagers particuliers.

M. Franco Novelli. - Vous avez évoqué la pollution au S-métolachlore et à ses métabolites. Aujourd'hui, de nouvelles pollutions apparaissent, résultant de l'utilisation d'herbicides et de fongicides en agriculture conventionnelle (chlorothalonil et ses métabolites). Les captages dits prioritaires qui ont fait l'objet des programmes et des plans d'action ont globalement conduit à une amélioration sur les molécules suivies historiquement, mais le fait de tenir compte des nouvelles molécules n'apporte pas de changement significatif. Elles concernent en effet plus de la moitié des ressources en eau et plus d'un tiers de l'eau potable.

À moins de dépenser des milliards d'euros pour mettre en place des traitements efficaces, nous ne sommes plus en mesure de respecter nos propres règles en matière de production d'eau potable. Dès lors, il paraît plus utile d'utiliser ces moyens à la transition des exploitations agricoles plutôt que de payer des traitements qui ne pourront pas être généralisés. En effet, seules les agglomérations importantes ont les moyens et la technicité nécessaires. De plus, il n'est pas possible de rejeter les eaux polluées issues de ces traitements dans les campagnes. Enfin, ils requièrent la mise en oeuvre de techniques et de technologies très consommatrices d'énergies et de ressources qui proviennent d'ailleurs. Or, dans une optique de gestion durable, il ne paraît pas raisonnable de se rendre dépendant pour produire de l'eau potable. Pour protéger la santé de la population vis-à-vis de certaines pollutions, il importe alors d'engager une transition et de cesser de faire croire aux agriculteurs qu'ils peuvent continuer leurs pratiques.

M. Daniel Breuiller. - Actuellement, un débat public concerne l'osmose inverse, dont le coût pour le SEDIF, estimé à deux milliards d'euros, reste absorbable par les Franciliens. Pourtant, cette technique ne peut pas être généralisée. Elle soulève également une question d'ordre conceptuel, car elle suppose que des milliards d'euros soient investis dans le traitement plutôt que dans la prévention. Enfin, vous avez précisé qu'elle nécessite d'importer des ressources.

M. Franco Novelli. - Concrètement, le charbon actif, qui est utilisé lorsque l'osmose inversée basse pression ne l'est pas, est importé. De plus, il doit être régénéré à des fréquences quatre à cinq fois plus élevées que les fréquences anciennes.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les usagers se dotent progressivement de dispositifs de traitement individuels.

Mme Cyrielle Vandewalle. - Depuis plusieurs années maintenant, les territoires disposent d'une expertise pour accompagner les agriculteurs dans la transition agroécologique. Nos propositions visent à accompagner les agriculteurs des aires d'alimentation de captage pour atteindre un objectif à dix ans et construire avec eux les étapes de leur transition agroécologique. Néanmoins, l'impulsion du Gouvernement reste essentielle.

Les concertations actuelles cherchent à définir les étapes qui conduiront progressivement certaines aires d'alimentation de captage à ne plus utiliser de pesticides de synthèse d'ici dix à quinze ans. Dans ce contexte de transition agroécologique, il paraît notamment envisageable d'installer des aires d'alimentation de captage dans des territoires expérimentaux.

Concernant les PSE mis en oeuvre par Eau de Paris, cette mesure a été notifiée à la Commission européenne, car les nombreuses réglementations relatives aux aides agricoles contraignent l'action des collectivités pour accompagner les agriculteurs dans leur transition et les processus de notification d'aides agricoles restent très complexes. Le dispositif d'Eau de Paris semble fonctionner et donner des résultats intéressants.

Enfin, les collectivités qui ont mis en place des plans d'action depuis plus de dix ans comme Eau de Paris ou Eau du bassin Rennais, ont obtenu des résultats grâce à des politiques très innovantes pour protéger les aires d'alimentation de captage.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les SCoT ont le mérite de participer d'une négociation commune entre les collectivités concernées. Dès lors, l'identification de tous les périmètres de captages permet de définir des zonages sur lesquels la reconversion peut être introduite.

Mme Cyrielle Vandewalle. - La mise en cohérence de toutes les politiques publiques (développement rural, alimentation, eau, aménagement du territoire) serait effectivement intéressante.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Certains PAT commencent d'ailleurs à s'y intéresser.

Je voudrais aborder le sentiment de sous-investissement des collectivités, lequel concerne notamment l'entretien des réseaux et les réseaux fuyants. Certains évoquent la nécessité d'un « Plan Marshall ». Quelle est votre vision sur ce sujet ? Avez-vous un avis sur la question délicate de la gestion différenciée ? Estimez-vous notamment préférable de promouvoir des systèmes qui reposent sur une assiette suffisamment large pour pouvoir accompagner les programmes ?

M. Hervé Paul. - La FNCCR représente plus de 600 collectivités et 90 % de la population desservie en eau en France. Son assise est donc représentative et sa position, très claire : un service d'eau qui n'a pas atteint une taille critique ne peut pas mener à bien une politique ambitieuse de l'eau : protection de la qualité, continuité du service, politique d'investissement ...

Au demeurant, il est surprenant de constater qu'aujourd'hui, les dérogations qui existaient avant la loi NOTRe continuent à s'appliquer : elles permettent aux communes de moins de 1000 habitants de ne pas appliquer la Loi relative à l'eau impliquant une budgétisation séparée, et de proposer des tarifs défiant toute concurrence, l'impôt payant le cantonnier, le véhicule et les tuyaux.

L'application de la loi NOTRe impose une taille de service supérieure à celle de l'intercommunalité. La FNCCR estime que chaque système peut choisir son mode d'organisation : la gestion par les intercommunalités fonctionne bien, comme par des syndicats intercommunaux et interdépartementaux. En revanche, la FNCCR considère qu'il n'est pas possible de rester isolé et de se plaindre de l'insuffisance des aides.

Chaque habitant du territoire français a le droit d'avoir de l'eau potable. Or, aujourd'hui, dans les services modestes, lorsqu'un contrôle est organisé, ce qui est rare, l'agent du laboratoire chargé de réaliser le prélèvement est souvent prévenu et accompagné d'un représentant du service d'eau. L'application d'une telle procédure au sein d'un service important conduirait à un taux de conformité de 105 % !

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Quelles solutions envisagez-vous pour les réseaux fuyards ?

M. Hervé Paul. - Il importe de distinguer le volume financier investi dans les renouvellements de canalisations et l'efficacité de l'argent engagé : une question d'efficience se pose, car il est possible de dépenser 2 % de son budget pour renouveler les canalisations sans améliorer les performances du réseau.

La question essentielle ne concerne pas le volume d'argent engagé ou le linéaire de canalisation remplacé, mais les outils disponibles pour optimiser le rendement de réseau. Il importe donc de connaître le réseau grâce à la gestion patrimoniale ; d'utiliser l'intelligence artificielle pour connaître les secteurs les plus fuyards ; enfin, de travailler sur la pression d'eau.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Dès lors, il convient d'affirmer les conditionnalités dans la connaissance fine du patrimoine. Cela suppose que les syndicats soient en mesure d'avoir une vision la plus exacte possible sur laquelle ils devraient adosser un programme pluriannuel d'investissements inscrit dans un modèle économique nécessairement calculé.

M. Hervé Paul. - Ce critère a effectivement été retenu pour calculer la redevance de performance des services d'eau et d'assainissement évoqué en introduction.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous ne pouvons que souscrire à cette démarche qui rejoint celle que nous essayons d'approfondir au sujet de l'intérêt des contrats d'objectifs et de performance à tous les niveaux.

M. Hervé Paul. - Parmi les 53 mesures que propose le Plan Eau, la tarification progressive représente une possibilité offerte aux services.

La FNCCR estime que chaque service d'eau doit mettre en oeuvre une tarification adaptée en fonction de la réalité de son territoire. Cette démarche repose sur la connaissance très fine, voire exhaustive, de la segmentation de ses consommateurs et sur l'évaluation des impacts des actions envisagées - certaines grandes idées produisent des effets secondaires catastrophiques et contre-productifs sur le terrain.

Depuis 2015, la tarification progressive a été mise en oeuvre à Nice. Elle distingue trois tranches : jusqu'à 60 mètres cubes ; de 60 à 120 mètres cubes ; au-delà de 120 mètres cubes - la tarification antérieure reposait sur une iso-facture à 350 mètres cubes. Toutefois, ce système ne conviendrait pas nécessairement à Cannes, Paris ou Montpellier.

La FNCCR estime important d'installer une tarification différenciée ou saisonnière, notamment lorsque les communes abritent des résidences secondaires, car la consommation marginale définit les besoins du service. En effet, le service est dimensionné sur le besoin de pointe et non sur le besoin moyen. Les capacités de production, les réservoirs, la capacité de stockage et les diamètres des canalisations sont ainsi renforcés pour quelques centaines de résidents qui passent quinze jours par an dans la commune. Or, ces usagers contribuent modestement aux charges du service, car leurs consommations restent très faibles.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ils payent pourtant un abonnement annuel.

M. Hervé Paul. - L'abonnement ne permet pas de dimensionner le service, car il ne peut pas représenter plus du tiers de la consommation. Dès lors, les contributions aux charges du service restent modestes par rapport aux investissements et au coût d'exploitation générés en période de pointe. Or, les périodes de pointe sont aussi celles de l'étiage. Le système d'alimentation en eau est donc revu pour des consommations limitées dans le temps. Les stations de ski connaissent la même problématique.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le Gouvernement souhaite faire travailler le CESE sur la tarification. Comment envisagez-vous d'intervenir sur la différenciation tout en prévoyant une montée en conscience collective sur le sujet ? En tant qu'organisme de formation et d'accompagnement, comment prévoyez-vous de capitaliser les travaux collectifs ?

M. Hervé Paul. - En tant qu'animateur du Comité Consultatif sur le Prix et la Qualité du Service Public de l'Eau et de l'Assainissement (CCPQSPEA) qui émane du CNE, je vous assure que ce sujet fait l'objet de débats à chaque réunion. De nombreuses expérimentations ont été réalisées sur la tarification sociale. Sur le territoire du Dunkerquois, le service d'eau rencontre des difficultés pour accéder aux données de la CAF lui permettant de mettre en oeuvre une politique sociale. Les politiques tarifaires doivent poursuivre un double objectif : permettre à chacun d'accéder à l'eau et de payer sa facture d'eau, d'une part ; permettre au service de recevoir un niveau de recettes suffisant pour faire face aux enjeux d'accélération de l'adaptation aux changements climatiques, de raréfaction de la ressource, d'augmentation des traitements et d'incitation aux économies d'eau, d'autre part. Or, les recettes que perçoit le service d'eau sont proportionnelles aux volumes consommés. Le sujet est donc complexe, car il aborde plusieurs problématiques : l'accès de tous à l'eau, l'équilibre du système et son financement ; le financement des Agences de l'eau.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Que pensez-vous de la méthode qu'envisage le Gouvernement ?

M. Hervé Paul. - J'observe qu'il a oublié de solliciter le CCPQSPEA, qui regroupe pourtant les services d'eau, les associations de consommateurs, les agriculteurs et les industriels.

M. Daniel Breuiller. - Estimez-vous déraisonnable le maintien de tarifications dégressives ?

M. Hervé Paul. - Les tarifications dégressives méritent d'être interdites instantanément, car elles encouragent la surconsommation.

Mme Cyrielle Vandewalle. - Les tarifications incitatives et sociales ont fait l'objet de nombreuses expérimentations, mais leurs effets ont été peu étudiés.

M. Hervé Paul. - Aujourd'hui, l'efficacité de la politique tarifaire sur la diminution de la consommation d'eau n'a pas été démontrée.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il existe probablement un effet de seuil, car ce levier est efficace sur la consommation d'énergie.

Mme Cyrielle Vandewalle. - Sans sensibilisation, l'impact de la tarification sur les consommations reste effectivement limité.

M. Hervé Paul. - Le prix de l'eau n'est certainement pas évalué à sa juste valeur. Il n'est pas possible de mener à bien les politiques ambitieuses précédemment décrites alors que certaines collectivités continuent de se vanter d'avoir l'eau « la moins chère » de France.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les deux paramètres que sont le coût et l'accès à la ressource peuvent être corrélés.

Mme Cyrielle Vandewalle. - L'accès à l'eau est effectivement un objectif de la directive eau potable.

M. Hervé Paul. - L'industriel dont la consommation estivale sera limitée réfléchira certainement à des process qui optimiseront sa consommation d'eau.

Pour conclure, je vous remercie de nous avoir reçus et écoutés attentivement. Nos échanges ont montré que la politique de l'eau est une politique globale qui demande une vision d'ensemble et de long terme - les Romains construisaient des aqueducs avant de construire des villes. Les documents de partage de la ressource doivent s'appuyer sur les volumes qui seront disponibles lorsque l'eau sera utilisée. Par ailleurs, la quantité d'eau disponible est indissociable de sa qualité. La raréfaction de la ressource entraîne une dégradation de sa qualité, et réciproquement. Enfin, le modèle agricole doit être interrogé. Sur les aires d'alimentation des champs de captage, il est essentiel de s'engager dès à présent à supprimer d'ici dix ans la totalité des intrants chimiques qui dégradent la qualité des masses d'eau.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous remercie pour ces échanges.

La réunion est close à 12 h 10

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

- Présidence de M. Hervé Gillé, rapporteur -

La réunion est ouverte à 12 h 15.

Audition de Mme Aurélie Colas, déléguée générale, et MM. Christophe Tanguy et Vincent Darras, membres du bureau de la Fédération professionnelle des entreprises de l'Eau (FP2E)

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je rappelle que cette mission d'information a été proposée par le Groupe Socialiste, Ecologiste et Républicain, dont je suis membre en tant que rapporteur. J'excuse notre président, Rémi Pointereau, membre du groupe Les Républicains, qui ne peut pas être présent aujourd'hui. Les missions d'informations sont transpartisanes dans leur composition, car le Sénat recherche toujours les démarches les plus consensuelles possibles. Nous devrions rendre nos travaux fin juin. Soyez assurés que nous prendrons en considération les éléments que vous nous transmettrez si le cadre des échanges ne nous permet pas de les aborder. Je vous propose de commencer par présenter la FP2E. Ensuite, nous irons directement à l'essentiel du questionnaire que nous vous avons envoyé.

Mme Aurélie Colas, déléguée générale de la Fédération professionnelle des entreprises de l'eau (FP2E). - Je suis déléguée de la FP2E depuis deux mois.

M. Christophe Tanguy, membre du bureau de la FP2E. - Membre du bureau de la FP2E, je suis également le directeur général adjoint du groupe Saur au sein duquel je suis chargé des projets et des initiatives stratégiques.

M. Vincent Darras, membre du bureau de la FP2E. - Membre du bureau de la FP2E, je suis directeur Exploitation France de la Société des Eaux de Fin d'Oise (SEFO, groupe Aqualia).

Mme Aurélie Colas. - La FP2E regroupe les entreprises qui assurent les services publics d'eau et d'assainissement en France, après mise en concurrence. Les entreprises de l'eau alimentent 60 % de la population française en eau potable et fournissent les services d'assainissement d'un français sur deux. Les adhérents de la FP2E emploient 28 000 personnes en France, réparties sur l'ensemble du territoire. Elles mènent notamment des projets de recherche-développement afin de répondre aux besoins spécifiques des collectivités. La FP2E a pour finalité d'oeuvrer à la préservation des ressources, à la qualité de l'eau et à l'avenir de la biodiversité. Elle soutient la performance des services publics d'eau et d'assainissement. Bien sûr, elle interagit avec l'ensemble de ses parties prenantes.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à un contexte d'urgence hydrique sans précédent. Nous remercions le Sénat d'auditionner la FP2A. Nous souhaitons ainsi faire part de notre vision de la gestion durable de l'eau, car cette ressource impacte à la fois la santé humaine, la biodiversité et l'activité économique, aujourd'hui et pour les générations futures dans un contexte de dérèglement climatique.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - En tenant compte des récentes annonces gouvernementales - notamment le Plan Eau, quelles interrogations et inquiétudes éventuelles souhaitez-vous nous communiquer ? Les précédentes auditions ont mis en évidence le sujet majeur de la pollution diffuse et la montée en puissance de difficultés concernant la potabilisation de l'eau. La réutilisation des eaux usées semble également représenter une voie intéressante, mais elle reste difficile à appréhender. Avez-vous des éléments à partager sur ce sujet ? Enfin, en matière de sobriété de la consommation de l'eau, toutes les parties prenantes sont directement interpellées aujourd'hui. Nous aimerions avoir un retour de votre part.

Mme Aurélie Colas. - L'ensemble des experts que vous avez rencontrés partagent certainement le constat suivant : l'état de la ressource est aujourd'hui extrêmement préoccupant. Vous connaissez sûrement les conclusions du comité d'anticipation et de suivi hydrologique (CASH) qui a eu lieu la semaine dernière : le panorama de l'été prochain est inquiétant, car les nappes ne se sont pas rechargées pendant la période hivernale. Malgré les épisodes pluvieux enregistrés aux mois de mars et d'avril, de fortes tensions persistent sur un arc qui va du Pays basque à la frontière italienne.

Ce phénomène, structurel et pérenne, est lié au réchauffement climatique et impacte directement l'ensemble du cycle de l'eau : étiages, niveaux des nappes phréatiques, mutation des sols et des sous-sols. À l'horizon 2050, les experts du GIEC annoncent de 10 à 25 % de baisse des niveaux de recharge des nappes phréatiques et de 20 à 40 % de réduction du débit moyen des fleuves.

Pour couvrir l'ensemble des questions que votre mission aborde, il importe de souligner le changement qui s'est opéré à la faveur de l'été 2022 en matière de prise de conscience par nos concitoyens et par conséquent, sur le degré d'acceptabilité de mesures éventuelles qui pourraient concourir à la sobriété et des solutions techniques et innovantes pour lesquelles il faudrait investir. Désormais, les chiffres du Centre d'information sur l'eau montrent que sept Français sur dix considèrent qu'ils manqueront d'eau dans leur région - ils étaient 25 %, il y a à peine vingt ans. Les Français ont donc conscience de la nécessité d'apporter des solutions à cet enjeu majeur.

Face à ce constat, le Plan eau a été annoncé après plusieurs reports. Nous avons largement participé aux travaux préparatoires : groupes de travail, Assises de l'eau, Varenne agricole et de l'eau. Finalement, plusieurs solutions partagées avaient été identifiées pour répondre aux constats réalisés, mais la mise en oeuvre a tardé. Aujourd'hui, nous nous réjouissons que ce sujet, qui intéresse au plus haut sommet de l'État, soit mis à l'agenda politique, et nous attendons du Plan Eau qu'il soit mis en oeuvre complètement et rapidement.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il ne comporte pourtant aucune mesure par rapport à l'urgence de l'exercice.

Mme Aurélie Colas. - Effectivement, il n'apporte pas de réponse immédiate à la probable sécheresse de l'été 2023, car il s'agit d'un plan pluriannuel. Les objectifs de sobriété et de gestion de crise permettront probablement d'accompagner la séquence estivale pour éviter qu'elle ne soit trop tendue. Nos entreprises sont mobilisées. Nous avons identifié plusieurs points de vigilance.

Comme vous le savez certainement, la filière française de l'eau a évalué à trois milliards d'euros supplémentaires par an pendant cinq ans - soit quinze milliards d'euros sur cinq ans - le volume budgétaire d'investissements nécessaires pour adapter les services publics de l'eau et de l'assainissement au changement climatique : renouvellement des réseaux, mise aux normes des stations d'épuration, mise en place d'interconnexions, lutte contre les micropolluants, etc. Les financements proviennent de l'État et des collectivités territoriales.

Nous saluons le fait que le Plan eau alloue 20 % de ressources supplémentaires aux Agences de l'eau. Néanmoins, nous nous interrogeons sur le coefficient multiplicateur annoncé par le président de la République. Les 475 millions d'euros supplémentaires sont supposés générer 6 milliards d'euros d'investissements. Or, hier, lors de son audition devant la Commission du développement durable de l'Assemblée nationale, le ministre de la Transition écologique a expliqué l'existence d'un rapport d'un à dix pour générer cet effet levier. Notre expérience des investissements déployés nous invite donc à appréhender cette capacité d'investissement avec circonspection.

Par ailleurs, nous restons dans l'attente d'une intensification des subventions vers les services publics de l'eau et de l'assainissement pour soutenir les innovations qui seraient utiles à la sobriété ou au recyclage : réutilisation des eaux usées traitées, digitalisation des services).

Plus généralement, nous estimons que les sommes annoncées dans le Plan Eau ne suffiront pas à résoudre le problème du financement de l'eau.

En revanche, nous saluons la volonté présidentielle de déployer le recours à la réutilisation des eaux usées traitées. Cette proposition figure dans notre manifeste 2022-2027, accompagnée de plusieurs demandes comme la simplification des démarches administratives pour les porteurs de projets, la mise en place d'un guichet unique, l'allongement de la durée des expérimentations et la création d'un observatoire des eaux non conventionnelles.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'Espagne et l'Italie ont avancé sur ces sujets. Existe-t-il un retour d'expérience européen ?

M. Christophe Tanguy. - Effectivement, mais le retour d'expérience est rare et nous communiquons peu sur les actions déjà engagées en France alors que des initiatives existent depuis plus de quinze ans et donnent largement satisfaction. Aujourd'hui la réutilisation semble approuvée par tous, mais elle ne résoudra pas l'ensemble des problématiques. En effet, la sobriété repose sur une vision globale et territoriale. Elle s'appuie sur un ensemble de solutions : la performance des réseaux et des usines, la réutilisation, la sobriété des agriculteurs, des usagers et des industries de la mer.

Dès lors, la notion de territorialité apparaît fondamentale dans les projets de territoires pour la gestion de l'eau (PTGE). Il convient alors d'associer à la réutilisation de l'eau tous les sujets pertinents, notamment la biodiversité ou le débit d'étiage. Même si la réutilisation reste peu évoquée en France, la mise en place d'un dispositif n'est pas compliquée techniquement. Elle nécessite cependant d'avoir une vision territoriale, de connaître les usagers et les types d'eau, de définir les modalités organisationnelles et d'intégrer les coûts de ce traitement additionnel.

La complexité relève surtout des inquiétudes relatives à l'hygiène. Aujourd'hui, les derniers retours d'expérience montrent que le dispositif peut être très bien cadré et sa mise en place accélérée. La réutilisation est donc pertinente, mais elle doit s'inscrire dans un projet territorial et intégrer les différents leviers qui permettront de préserver la ressource.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Au niveau national, le principal frein émane des ARS et des autorités de Santé ?

M. Christophe Tanguy. - Aujourd'hui, la difficulté résulte du délai technico-administratif nécessaire pour valider un projet et les garanties qui lui sont associées.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Cette contrainte relève des instances nationales ?

M. Christophe Tanguy. - Elle relève principalement de l'échelon départemental, car les dossiers sont soumis aux ARS et aux CODERSTs départementaux.

Mme Aurélie Colas. - Il serait effectivement souhaitable d'adapter le cadre réglementaire existant.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je me permets d'insister sur le sujet, car à chaque fois que nous l'abordons, nous avons beaucoup de mal à identifier la manière dont la situation pourrait évoluer plus favorablement. Nous percevons une forme d'immobilisme indépassable qui ne dépend pas seulement des ARS. Pourquoi l'eau est-elle peu réutilisée pour l'irrigation ? Les possibilités existantes ne sont pas exploitées et les freins sont très importants au niveau industriel.

M. Christophe Tanguy. - Je pense que l'échelle territoriale reste extrêmement importante, car elle réunit des acteurs qui ne travaillent habituellement pas ensemble sur les usages de l'eau.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Quel acteur doit être à l'origine de ces réunions ? Cette question est importante, car il importe désormais de proposer une méthode pour avancer concrètement.

M. Christophe Tanguy. - Effectivement, l'échelle et la colonne vertébrale restent à définir pour conférer une légitimité à ce travail.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ce chantier doit-il être ouvert par les Agences de l'eau à chaque niveau ?

M. Christophe Tanguy. - Au niveau d'une Agence de l'eau, tous les acteurs sont effectivement présents.

Mme Aurélie Colas. - Il existe néanmoins des verrous règlementaires : nous attendons déjà des décrets de simplification. Dans le cadre de notre manifeste, nous avons mis en avant une donnée intéressante : 10 % de réutilisation des eaux usées traitées représente environ 500 millions de mètres cubes d'eau, soit 15 à 20 % des besoins en eau de l'agriculture. Or, aujourd'hui, nous sommes capables d'adapter des qualités d'eau avec la réutilisation. Comme vous, nous attendons donc la levée des freins qui persistent.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Je vous propose d'aborder la sobriété, les consommations domestiques et la tarification différenciée.

M. Christophe Tanguy. - Depuis plusieurs années, nous observons une baisse des consommations unitaires, notamment en raison de la modernisation des équipements ménagers. Deux approches sont envisagées pour travailler sur la sobriété : l'approche pédagogique et l'approche technique, laquelle repose sur la mise en place de compteurs intelligents qui permettent la télérelève ou la radiorelève des données de consommation. Aujourd'hui, 40 % des ménages sont équipés de ce type de dispositif. La télérelève permet de disposer des informations à tout moment tandis que la radiorelève impose d'aller récupérer l'information en proximité des compteurs. Nous travaillons avec des partenaires, comme La Poste ou les équipes responsables des ordures ménagères, pour augmenter la fréquence de collecte des données issues de la radiorelève et offrir aux usagers l'accès à des informations qui leur permettent de maîtriser leur consommation.

Mme Florence Blatrix Contat. - Comme vous intervenez dans le cadre de délégations de service public, l'augmentation de la fréquence des relèves entraînera des conséquences financières.

M. Christophe Tanguy. - La facturation tient effectivement compte du nombre de passages mensuels. Si un partenariat permet de modifier les modalités de la collecte, l'équilibre des coûts et des bénéfices sera réévalué avec les collectivités. Les collectivités équipées de dispositifs de radiorelève peuvent déjà accéder à une fréquence d'informations leur permettant de gérer leur consommation. Aujourd'hui, les systèmes de télérelève - et assimilés - aident véritablement les citoyens à optimiser leur consommation ; à identifier les postes de consommation et les éventuelles fuites et à engager des actions correctives. À l'échelle territoriale, ils représentent une solution parmi d'autres.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - L'accessibilité et l'appropriation de la démarche restent essentielles, mais cela n'est pas évident pour les immeubles collectifs.

M. Christophe Tanguy. - Effectivement, l'appropriation des outils repose sur un travail de fond et d'animation. L'ensemble du dispositif de services peut être associé à la démarche d'information régulière des usagers. Un autre travail de fond est mené avec les syndics de copropriété pour sensibiliser les usagers à leur consommation individuelle et aux dérives possibles.

Mme Florence Blatrix Contat. - Pensez-vous qu'une obligation légale serait utile dans ce cadre ?

M. Christophe Tanguy. - Ce levier pourrait être utilisé pour sensibiliser plus largement à l'action de sobriété, mais cette décision relève de l'État.

Mme Aurélie Colas. - Les Français interrogés manifestent leur volonté de suivre leur consommation d'eau. Il y a une démarche d'adhésion, mais aussi une démarche d'accompagnement de nos entreprises. Nos entreprises s'impliquent donc, en fonction des besoins des collectivités locales, dans l'accompagnement des usagers, en collaboration avec des acteurs de l'économie solidaire. Par ailleurs, la sobriété ne doit pas porter uniquement sur les usages particuliers - les seniors doivent prendre des douches en période de canicule, c'est un enjeu de santé. Nous cherchons donc à construire collectivement la pérennité du service.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Ce qui nous amène à la façon dont on gère les crises, notamment celles de sécheresses. Aujourd'hui, la qualification des cellules de crise et la gestion de crise sont des sujets particulièrement importants. Par ailleurs, certains plans ont permis d'intervenir sur des politiques de sobriété avec des fonds européens, notamment avec de nouveaux équipements pour les ménages.

Mme Aurélie Colas. - Effectivement, la performance de ces nouveaux équipements impacte directement la consommation d'eau, comme par exemple, avec des ballons d'eau plus ingénieusement conçus, et qui permettent de faire des économies d'eau.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Néanmoins, actuellement la stratégie pédagogique d'accompagnement des usagers vers une démarche de sobriété reste relativement pauvre et peu organisée.

Mme Aurélie Colas. - Sur ce sujet, nous avons été les premiers en juin 2022 à relayer l'appel du ministère de la Transition écologique en développant une campagne de communication pour appeler nos concitoyens à la sobriété. Il importe de faire évoluer les comportements sans culpabiliser les usagers, car il faudra aussi développer des objectifs de sobriété en période hivernale. Il importe également de garantir une information large et lisible pour qu'à l'échelle du territoire, les efforts soient compris, partagés et consentis et qu'ils ne conduisent pas à des usages conflictuels de l'eau.

M. Vincent Darras. - En Italie et en Espagne, la réutilisation des eaux usées épurées fonctionne à très large échelle depuis vingt ans au moins. Les process sont éprouvés et il est notamment inconcevable d'arroser un golf avec de l'eau potable.

Pour revenir sur la qualité de l'eau, notamment concernant la protection des captages, il convient d'évoquer en premier lieu l'aspect préventif. La FP2E a noué un partenariat avec l'Assemblée permanente des Chambres d'agriculture (APCA) pour travailler sur 1000 captages prioritaires en France, notamment au moyen d'un logiciel qui modélise les mouvements des composés azotés et leur évolution dans les nappes phréatiques. La force de ce partenariat réside dans sa capacité à réunir l'ensemble des acteurs : collectivités locales, Agences de l'eau, agriculteurs concernés. La démarche consiste à contrôler le matériel agricole pour éviter les fuites de produits phytosanitaires et à maîtriser les intrants. Elle fonctionne : concrètement, une évolution positive de la qualité de l'eau a été déjà confirmée par la disparition de traces phytosanitaires.

Concernant l'aspect curatif, nos entreprises savent adapter tous les traitements à la qualité de l'eau. Il est possible d'éliminer 80 à 90 % des micropolluants grâce à des techniques connues, mais aussi par des traitements supplémentaires qui impactent directement le prix de l'eau. Toutefois, l'eau du robinet reste moins chère que l'eau en bouteille, avec une empreinte carbone nettement meilleure.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le prix de l'eau en France restant légèrement inférieur au prix moyen constaté dans les pays européens, il autorise une certaine marge de manoeuvre, mais la filière agricole serait particulièrement sensible à une hausse du prix de l'eau.

Mme Florence Blatrix Contat. - Je reviens sur la protection des captages : le travail réalisé sur les 1000 captages prioritaires reste relativement lourd. Certains acteurs proposent finalement de s'orienter vers une limitation, voire une interdiction, des intrants phytosanitaires - et autres - dans les périmètres sensibles des captages à échéance de dix ans. Qu'en pensez-vous ? Quelles limites et quels avantages percevez-vous ?

M. Vincent Darras. - L'objectif dans tous les cas reste la maîtrise des intrants dans le périmètre immédiat, rapproché ou éloigné.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Actuellement, la surface concernée représente de l'ordre de 3 % de la surface agricole utilisée (SAU) : rapportées à la SAU totale, les zones de conflits apparaissent donc mineures. Dès lors, il devient essentiel de les protéger à condition de prévoir un accompagnement et de tenir compte des coûts induits par le traitement des pollutions.

M. Vincent Darras. - Ce qu'on peut ajouter, c'est que ce partenariat reste relativement récent, car les acteurs se connaissaient peu auparavant. Le partage des enjeux conduira certainement à l'efficacité et à des résultats probants.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il y avait également la question d'accompagner l'évolution des pratiques face aux services rendus. Les Agences de l'eau pourront jouer un rôle d'accompagnement pertinent dans l'évolution des pratiques et la réorganisation de la filière.

M. Vincent Darras. - Nous travaillons avec les Chambres d'agriculture pour aider au Plan d'épandage, participer à l'analyse des sols et identifier les besoins. Cette relation existe et s'appuie déjà sur une logique de conseil, car nous orientons les besoins d'épandage en fonction du sol. Il s'agit de la développer pour la généraliser à l'usage des autres produits, encourager les agriculteurs à utiliser des engrais verts et gérer les substances déjà présentes dans le sol. Cette démarche mérite toutefois d'être légitimée par un cadre.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le positionnement des collectivités et des régions est également interrogé pour piloter et accompagner les filières professionnelles dans des stratégies partagées et des enjeux d'évolution des territoires (SRADDET) et des espaces naturels sensibles. Comme les filières professionnelles se croisent-elles au niveau régional ? Des stratégies partagées pourraient éventuellement converger pour réunir des compétences sur le terrain ?

Mme Aurélie Colas. - La révision de la directive eaux résiduaires urbaines vise à renforcer la dimension de station d'épuration ressource et à développer la neutralité énergétique à l'échelle nationale. Il existe ici un gisement de compétences, de matière grise et de progression partenariale qui permettront de rejoindre les objectifs que vous décrivez.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Concernant le cadre, les Chambres d'agriculture créent un point d'entrée, mais elles doivent connaître le territoire. C'est une interrogation à creuser.

M. Vincent Darras. - Pour compléter le point sur la sobriété, et concernant les réseaux : quelques indicateurs permettent de mesurer la performance des réseaux. Aujourd'hui, le rendement de réseau atteint 80,4 % en moyenne ; il présente de fortes disparités géographiques entre les zones rurales et urbaines ; il atteint 79 % au Royaume-Uni, 73 % en Belgique et 62 % en Italie. Il faut toutefois faire mieux et viser 85%.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Le rapport coût-bénéfice importe, car le prix augmente pour chaque pourcentage gagné.

M. Vincent Darras. - Le deuxième indicateur est le taux d'investissement, c'était l'une de vos questions. En France, le taux d'investissement annuel moyen reste insuffisant, car il est de 0,67 %. Nous estimons souhaitable de doubler les investissements pour atteindre 1,5 % par an. C'est significatif.

Enfin, pour diminuer la pression sur les ressources, il nous paraît essentiel de coupler le renouvellement des réseaux avec des compteurs intelligents, car ils permettront de calculer quotidiennement les rendements de réseau, de multiplier la fréquence de contrôle et d'agir sur les fuites.

Mme Florence Blatrix Contat. - Connaissez-vous la part du télérelevé dans les territoires ruraux ?

M. Vincent Darras. - Nous pourrons vous communiquer cette donnée.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - En effet, l'analyse deviendra d'autant plus fine que la qualité des contrôles et des relevés d'informations sera développée. L'amélioration des systèmes d'information et de gestion fera certainement l'objet d'une préconisation particulière dans le rapport.

M. Christophe Tanguy. - La digitalisation et l'accès à la donnée deviennent essentiels pour permettre à la collectivité de gérer ses ressources de manière dynamique et équilibrée.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Nous soulignerons fortement ce principe dont nous sommes convaincus.

M. Vincent Darras. - J'ajoute que les télérelevés permettent de détecter les fuites quotidiennement. Nous apportons ainsi à nos clients un service nettement amélioré.

M. Christophe Tanguy. - Enfin, l'accès à ces données en amont permet de préparer une crise et d'agir sans précipitation pour la gérer.

Mme Aurélie Colas. - Nous sommes convaincus que les usages de l'eau doivent faire l'objet d'une information et d'une communication larges et transparentes. Aujourd'hui, le public manifeste sa volonté de comprendre les enjeux de la performance des services publics d'eau et d'assainissement. Toute clarification qui participe d'une prise de conscience globale doit impliquer l'ensemble des acteurs qui sont mobilisés vers le même enjeu de préservation de la ressource et de qualité du service public.

Rappelons également que la tarification sociale a du sens. Les entreprises de l'eau ont été les premières à proposer des « chèques-eau » aux collectivités locales. Les pistes ouvertes méritent certainement d'être renforcées pour assurer un accès équitable à l'eau à tous nos concitoyens et rester vigilant par rapport aux impayés dont nous avons constaté la forte augmentation. Dans le cadre du manifeste, nous avons partagé le constat de la FNCCR et formulé quelques propositions. Nous recommandons de doter les maires de la capacité à collecter les impayés auprès des foyers qui ne rencontrent pas de difficultés financières pour allouer les sommes récupérées à l'accompagnement des foyers les plus précaires et mener une véritable politique sociale de l'eau. Nous vous transmettrons le manifeste dans lequel nous avons formalisé cette contrainte budgétaire.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Il semble également pertinent de repérer les moyens de paiement les plus efficaces. Concernant la communication, je vous rappelle qu'il faut prendre en compte le niveau de compréhension par le public. Au passage, aucune évaluation comparative n'est diffusée, même à l'échelle des collectivités locales. Aussi, il paraît souhaitable d'envisager une fiche synthétique par foyer afin de mettre en évidence toutes les ressources consommées.

Mme Aurélie Colas. - Effectivement, l'eau et l'assainissement sont longtemps restés des sujets d'experts.

Mme Florence Blatrix Contat. - Il me semble important d'accompagner également les collectivités dans cette communication.

Mme Aurélie Colas. - Nous nous adaptons généralement aux demandes des collectivités, mais j'approuve votre position, car la confiance dans l'eau potable repose aussi sur la connaissance. Un rapport récent de l'Inspection générale de l'Environnement et du Développement durable (IGEDD) montre que l'assainissement et ses enjeux restent assez opaques. Pourtant, les stations d'épuration permettront de développer des ressources supplémentaires pour les agriculteurs et les collectivités locales dans un contexte de tensions financières. Nous devrons donc apprendre à communiquer sur ces outils industriels intéressants. Déployés par des acteurs économiques français, ils mobilisent 28 000 collaborateurs et représentent un savoir-faire français non délocalisable.

M. Christophe Tanguy. - Désormais, le volet communication apparaît systématiquement dans les appels d'offres.

M. Hervé Gillé, rapporteur. - Les modalités de communication méritent effectivement de faire l'objet de réflexions approfondies, car, malheureusement, nos concitoyens observent la communication institutionnelle avec distance. Je vous remercie pour ces échanges intéressants.

La réunion est close à 13 h 10.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.