COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Jeudi 1er juin 2023

- Présidence de Mme Fadila Khattabi, députée, présidente -

La réunion est ouverte à 10 h 00.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à favoriser l'accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse

Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande de la Première ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à favoriser l'accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse s'est réunie à l'Assemblée nationale le jeudi 1er juin 2023.

Elle a procédé à la désignation de son bureau qui a été ainsi constitué :

- Mme Fadila Khattabi, députée, présidente ;

- Mme Chantal Deseyne, sénatrice, vice-présidente.

Elle a également désigné :

- Mme Sandrine Josso, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale ;

- M. Martin Lévrier, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion.

Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - La proposition de loi initiale comptait deux articles. L'Assemblée nationale a ajouté quatre articles et en a supprimé un. Le Sénat, pour sa part, a adopté un article et une suppression conformes. Il a par ailleurs introduit deux nouveaux articles, tandis qu'il en supprimait deux. Six articles restent donc en discussion ce matin.

Il semble que l'on soit proche d'un accord entre nos deux assemblées. Je m'en réjouis, comme toujours quand le travail parlementaire peut faire l'objet d'une coconstruction associant les deux chambres et le maximum de groupes politiques.

Mme Chantal Deseyne, sénatrice, vice-présidente. - Comme vous l'avez indiqué, madame la présidente, le Sénat a apporté plusieurs modifications au texte que lui a transmis l'Assemblée nationale. Nous avons notamment supprimé deux articles. Cela étant, notre assemblée a abordé ce texte dans un esprit constructif. Il me semble qu'aucune de ces modifications ne remet en cause la logique ni l'équilibre du texte. De ce fait, nos désaccords me paraissent très surmontables. Les échanges préparatoires entre les rapporteurs devraient leur permettre de formuler des propositions de rédaction communes. Je suis donc confiante quant à la conclusion de nos travaux.

M. Martin Lévrier, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - La proposition de loi constitue une véritable avancée pour les femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse et leur partenaire éventuel. En associant davantage professionnels de santé et psychologues pour un accompagnement pluridisciplinaire, en garantissant une meilleure prise en charge des interruptions de travail et des séances de suivi psychologique, elle permettra d'améliorer le suivi des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse et de mieux tenir compte du retentissement psychologique que peut avoir cet événement.

Le texte comptait initialement deux articles. L'Assemblée nationale a inséré quatre articles et supprimé le gage de la proposition de loi, qui figurait à l'article 2. Le Sénat a ajouté deux articles et en a supprimé deux. Il a adopté l'article 1er sans modification et a maintenu la suppression de l'article 2. Six articles restent donc en discussion. Je tiens à remercier la rapporteure de l'Assemblée nationale, pour son implication dans la construction de la proposition de loi, et à saluer la qualité de nos échanges, qui nous ont permis d'identifier et de surmonter quelques rares divergences de vues.

L'article 1er A prévoit l'institution par les agences régionales de santé (ARS), d'ici au 1er septembre 2024, d'un parcours spécifique associant médecins, sages-femmes et psychologues dans la prise en charge des interruptions spontanées de grossesse. Celui-ci doit permettre d'améliorer l'information et le suivi médical et psychologique des patientes et de leur partenaire éventuel, ainsi que de renforcer la formation des professionnels de santé impliqués.

Le Sénat a adopté deux amendements à cet article. Le premier prolonge le dispositif voté par l'Assemblée nationale, en renforçant les objectifs d'information assignés au parcours. Il s'agit d'un enjeu essentiel, comme l'ont souligné les associations lors des auditions. Le second renomme le parcours « fausse couche » en parcours « interruption spontanée de grossesse » (ISG), cette expression étant jugée plus juste médicalement et moins stigmatisante par l'ensemble des personnes que j'ai auditionnées. Le Sénat a adopté un amendement apportant la même modification à l'intitulé de la proposition de loi.

L'article 1er B, ajouté par amendement à l'Assemblée nationale, lève le délai de carence applicable à l'indemnisation des congés maladie pris consécutivement à une interruption spontanée de grossesse. Le Sénat a également adopté deux amendements visant à inclure les indépendantes et les non-salariées agricoles dans le dispositif, afin de le rendre applicable à l'ensemble des assurées. Le Sénat a en effet jugé que pour atteindre pleinement l'objectif de desserrement des contraintes financières susceptibles d'empêcher un arrêt de travail après une interruption spontanée de grossesse, ce dispositif consensuel, qui marque un véritable progrès, devait être étendu à toutes.

L'article 1er C, ajouté par amendement au Sénat, instaure une protection de dix semaines contre le licenciement au bénéfice de femmes confrontées à une interruption spontanée de grossesse dite tardive, après la quatorzième semaine d'aménorrhée. Le Sénat a jugé que cette mesure, qui limite les effets de seuil et protège les femmes concernées contre les risques de discrimination professionnelle, complétait utilement cette proposition de loi.

L'article 1er bis A, ajouté par amendement au Sénat, vise à étendre le champ d'un rapport sur l'accessibilité de MonParcoursPsy, prévu par le législateur dès la mise en place du dispositif, afin qu'il étudie spécifiquement l'accès des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse aux séances de suivi psychologique prises en charge. Compte tenu de la faible participation des psychologues, l'accessibilité du dispositif constitue un enjeu important. C'est pourquoi il me semble utile de conserver ces dispositions.

L'article 1er bis, ajouté à l'Assemblée nationale, a été supprimé par le Sénat. Les professionnels de santé que j'ai auditionnés ont souligné que ces dispositions relatives à l'information et au consentement des patientes étaient déjà satisfaites par le droit en vigueur. La prescription d'examens complémentaires, en outre, est encadrée par les recommandations des sociétés savantes. Il ne me paraît donc pas nécessaire de renforcer sur ce point les contraintes pesant sur les professionnels de santé.

L'article 1er ter, ajouté à l'Assemblée nationale, a également été supprimé par le Sénat. Il demandait un rapport sur l'extension de l'assurance maternité dès les premières semaines d'aménorrhée, laquelle aurait engendré une complexité opérationnelle considérable pour la sécurité sociale, selon les auditions que j'ai conduites.

Grâce aux travaux de l'Assemblée nationale et du Sénat, le texte a été considérablement enrichi par des mesures consensuelles, adaptées et utiles qui offriront aux couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse un meilleur accompagnement médical et psychologique. Je ne doute pas que nous parvenions à un accord qui permette une entrée en vigueur rapide de ces mesures nécessaires, qui ont reçu en première lecture une large approbation dans chacune des chambres. L'échange que j'ai eu avec Mme Josso préalablement à la tenue de cette commission nous a permis de vous proposer une rédaction commune.

Mme Sandrine Josso, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je suis heureuse que nos assemblées puissent travailler en bonne intelligence sur ce texte qui me tient à coeur. La fausse couche est encore taboue dans notre société, alors que c'est une souffrance pour les centaines de milliers de couples qui la vivent. Il était temps que nous leur apportions une réponse.

Depuis son dépôt, la proposition de loi a été considérablement enrichie par nos deux assemblées, qui sont allées dans le même sens. Nous sommes partis d'un dispositif centré sur le suivi psychologique des femmes faisant une fausse couche pour arriver à un véritable parcours qui s'adresse aux couples et englobe les questions de suivi psychologique, mais aussi d'information, d'orientation et de suivi médical. Nous avons aussi avancé sur le congé en cas de fausse couche, grâce au concours du Gouvernement. Désormais, le jour de carence sera supprimé pour tous les salariés, indépendants et travailleurs non salariés agricoles. Ces avancées me paraissent essentielles. Depuis les débats à l'Assemblée, j'ai reçu le témoignage de nombreuses personnes et associations qui nous sont très reconnaissantes de notre engagement sur cette question trop longtemps occultée.

Le texte issu du Sénat me convenait en tout point, hormis un détail : je ne voulais pas que les termes « fausse couche » disparaissent du titre de la proposition de loi, parce qu'il me semblait que l'on risquait de perdre de la clarté. Beaucoup de gens ignorent ce qu'est une « ISG » ; ils peuvent confondre avec interruption volontaire de grossesse (IVG). L'expression « fausse couche » n'est ni très adaptée, ni très heureuse, mais il fallait au moins qu'elle figure dans le titre du texte.

Mme Michelle Meunier, sénatrice. - Je m'exprime au nom du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat, qui, je le dis d'emblée, votera en faveur du texte. Je ne parlerai pas, toutefois, d'une véritable avancée mais d'un pas supplémentaire pour la santé des femmes, qui justifie notre soutien.

Des regrets ont été exprimés au cours des débats sur plusieurs points, notamment sur le fait que les sages-femmes ne puissent pas effectuer un accompagnement médical des femmes victimes d'une interruption spontanée de grossesse, alors que cette compétence leur est reconnue en cas d'IVG. Il y a là un illogisme auquel il faudra remédier. Cela pourra constituer un levier pour la reconnaissance d'autres pratiques.

La proposition de loi présente le mérite d'apporter de la reconnaissance et de la visibilité à un phénomène très répandu, puisqu'une grossesse sur quatre débouche sur une fausse couche. Cela justifie la définition d'un cadre légal bienveillant. Je suis fière qu'une députée de mon département soit à l'origine de cette initiative.

M. Arthur Delaporte, député. - Le groupe Socialiste de l'Assemblée nationale soutient évidemment tout ce qui permettra d'améliorer la situation des femmes et, plus largement, des couples victimes d'une interruption spontanée de grossesse. Cela étant, comme l'a dit Mme Meunier, nous ne pouvons que regretter qu'un certain nombre de points n'aient pu faire l'objet d'avancées. Pour y remédier, j'ai fait trois propositions de rédaction visant à étendre aux ISG la capacité prescriptrice que les sages-femmes détiennent en matière d'IVG.

Nous n'avons pas réussi à obtenir la création d'un congé spécial pour les femmes victimes d'une fausse couche. Nous le regrettons mais nous aurons l'occasion d'y revenir. Cela faisait partie des propositions faites, lors de la précédente législature, par Paula Forteza, dont le travail a constitué l'un des fondements intellectuels de la proposition de loi en discussion.

Mme Martine Etienne, députée. - Je me félicite que, grâce à ce texte, on reconnaisse les fausses couches, phénomène dont on ne parle pas assez. Les personnes qui en sont victimes, qu'il s'agisse des patientes ou de leur conjoint, ont besoin d'un accompagnement. Toutefois, la proposition de loi est insuffisante ; elle ne répond pas vraiment aux objectifs énoncés. Elle ne fait qu'améliorer l'accès à MonParcoursPsy, sans faire évoluer le dispositif en conséquence. La demande de rapport, ajoutée par le Sénat, est une bonne chose, mais les dispositions actuelles restent largement insuffisantes pour garantir le suivi psychologique des 150 000 personnes qui subissent une fausse couche chaque année.

Nous avions déposé des amendements qui s'inspiraient de la proposition de loi de Paula Forteza, et qui visaient, par exemple, à mener une campagne publique d'information sur la fausse couche, à proposer un dépistage gratuit et préventif de l'endométriose, ainsi qu'à accorder un droit au télétravail aux femmes enceintes et un congé spécial de trois jours aux femmes victimes d'une intervention spontanée de grossesse. Ce dernier amendement a été rejeté, avant que la Première ministre n'annonce la suppression du délai de carence.

Je ne peux que regretter la suppression des articles 1er bis et 1er ter du texte de l'Assemblée, qui avaient été introduits par des amendements de mon groupe. Le premier visait à créer un parcours de soins spécifique pour les femmes victimes d'une interruption spontanée de grossesse et mêlait prévention, traitement et suivi de la patiente. Le second demandait un rapport sur l'extension de l'assurance maternité à l'ensemble des frais, relatifs ou non à la grossesse ou à son interruption. Je demanderai la réintégration de ces dispositions qui, à mon sens, sont indispensables pour assurer un réel accompagnement des femmes victimes d'une fausse couche. Il me paraît également souhaitable que les termes « fausse couche » restent dans le titre.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

Titre

Proposition commune de rédaction des rapporteurs.

Mme Sandrine Josso, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Il s'agit de modifier le titre de la proposition de loi pour rappeler que l'interruption spontanée de grossesse correspond à ce que l'on appelle communément la fausse couche.

La proposition de rédaction est adoptée.

En conséquence, le titre est ainsi rédigé.

Article 1er A

Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.

M. Arthur Delaporte, député. - La proposition consiste à insérer un nouvel article dans le code de la santé publique aux termes duquel « l'interruption spontanée de grossesse peut être traitée par un médecin ou une sage-femme ».

Actuellement, les sages-femmes doivent renvoyer les patientes vers les médecins, ce qui entraîne non seulement des ruptures dans les parcours de soins mais aussi des coûts supplémentaires pour la sécurité sociale.

M. Martin Lévrier, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Un amendement ayant le même objet a été rejeté par le Sénat. Les sages-femmes ne peuvent aujourd'hui pratiquer l'IVG instrumentale que sous de strictes conditions tenant notamment à la formation et à l'expérience. Il semble prématuré de les autoriser à traiter l'interruption spontanée de grossesse, sans en avoir précisé au préalable les conditions.

Mme Sandrine Josso, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - La fausse couche s'inscrit souvent dans une pathologie qui amène à consulter un médecin et non une sage-femme.

M. Arthur Delaporte, député. - Faute de majorité pour adopter la proposition de rédaction, je la retire.

La proposition de rédaction est retirée.

Proposition commune de rédaction des rapporteurs.

M. Martin Lévrier, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - L'expression « fausse couche » est jugée stigmatisante par les associations mais celle d'interruption spontanée de grossesse, consacrée médicalement, demeure méconnue. Afin de laisser aux ARS le soin de nommer le parcours de la manière qui leur semble la plus adaptée, la proposition de rédaction tend à supprimer l'intitulé qui lui est donné dans le texte. Il paraît préférable de laisser aux acteurs de terrain le choix de la dénomination, d'autant que les parcours destinés à accompagner les enfants en situation de polyhandicap ou de paralysie cérébrale ou, dans un autre domaine, de surpoids ou d'obésité, ne sont pas davantage nommés dans le code de la santé publique.

Mme Sandrine Josso, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Cette modification est tout à fait pertinente.

La proposition de rédaction est adoptée.

Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.

M. Arthur Delaporte, député. - J'espère que cette proposition de rédaction recueillera une plus large approbation puisqu'elle vise seulement à associer au parcours les sages-femmes, qui attendent un geste de notre part. Elle est le fruit de discussions avec l'Union nationale et syndicale des sages-femmes.

M. Martin Lévrier, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Votre demande est satisfaite puisque les sages-femmes font partie des professionnels médicaux, mentionnés dans l'article, qui sont associés au parcours. Je vous invite donc à retirer votre proposition.

La proposition de rédaction est retirée.

Proposition de rédaction de M. Arthur Delaporte.

M. Arthur Delaporte, député. - Il est proposé d'autoriser les sages-femmes à prescrire un arrêt de travail à la suite d'une interruption spontanée de grossesse.

Mme Sandrine Josso, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Les sages-femmes sont rarement consultées en cas de fausse couche pour les raisons que j'ai indiquées précédemment. En tout état de cause, nous ne pouvons pas nous immiscer dans leur travail ni dans la manière dont elles le font.

La proposition de rédaction est retirée.

L'article 1er A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er B

L'article 1er B est adopté dans la rédaction issue des travaux du Sénat, moyennant l'intégration de coordinations.

Article 1er C

L'article 1er C est adopté dans la rédaction issue des travaux du Sénat.

Article 1er bis A

L'article 1er bis A est adopté dans la rédaction issue des travaux du Sénat.

Article 1er bis

L'article 1er bis est supprimé.

Article 1er ter

L'article 1er ter est supprimé.

La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à favoriser l'accompagnement des couples confrontés à une interruption spontanée de grossesse.

Mme Fadila Khattabi, députée, présidente. - Je vous remercie pour ce travail de coconstruction au service des Françaises et des Français.

M. Martin Lévrier, sénateur, rapporteur pour le Sénat. - Je remercie tous les membres de la commission mixte paritaire. Si la coconstruction a porté ses fruits, c'est parce que le travail en amont a été bien fait et que les deux chambres ont bien travaillé. Le bicamérisme est merveilleux lorsqu'il fonctionne ainsi au service des Français.

Mme Sandrine Josso, députée, rapporteure pour l'Assemblée nationale. - Je félicite chacun d'entre vous pour l'aboutissement de ce travail.

En conséquence, la commission mixte paritaire vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.

La réunion est close à 10 h30.

- Présidence de M. Sacha Houlié, député, président -

La réunion est ouverte à 11 h 20.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution, et à la demande de Mme la Première ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants s'est réunie à l'Assemblée nationale le jeudi 1er juin 2023.

Elle procède à la désignation de son bureau, constitué de M. Sacha Houlié, député, président, M. François-Noël Buffet, sénateur, vice-président, M. Bruno Studer, député, étant désigné rapporteur pour l'Assemblée nationale, Mme Valérie Boyer, sénatrice, rapporteure pour le Sénat.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

M. Sacha Houlié, député, président.  -  Cette proposition de loi a été déposée le 19 janvier 2023 sur le bureau de l'Assemblée nationale par M. Bruno Studer et les membres du groupe Renaissance. Elle a été adoptée par l'Assemblée nationale le 6 mars dernier. Le Sénat l'a ensuite adoptée le 10 mai. Le Gouvernement ayant engagé la procédure accélérée, il a demandé la convocation de la commission mixte paritaire (CMP) qui se réunit aujourd'hui.

La proposition de loi comportait initialement quatre articles. À l'issue des travaux du Sénat, deux articles ont été supprimés et un ajouté. Il reste donc cinq articles en discussion.

Mme Valérie Boyer, sénatrice, rapporteure pour le Sénat. - Nous sommes tous conscients que l'ouverture du monde numérique aux enfants est un défi majeur non seulement pour les familles mais également pour les pouvoirs publics, en particulier les enseignants.

Si l'objectif est partagé, la méthode pour l'atteindre est plus discutée. Pour ma part, je regrette que nous ayons à légiférer dans le désordre, de manière pointilliste, au fil de diverses propositions de loi, et que le Gouvernement n'ait pas été à l'initiative d'un grand texte visant à traiter tous les aspects de la question, y compris ceux concernant la santé publique et l'éducation nationale. Par ailleurs - c'est notre tropisme parlementaire - nous nous reposons trop sur la loi alors que tous les acteurs s'accordent à dire que c'est la prévention, l'éducation et la sensibilisation qui ont une efficacité.

J'ai évoqué le carnet de santé dans mon rapport : c'est un excellent outil pédagogique pour les parents. Je souhaiterais aussi que le code de la santé publique comporte un nouveau livre consacré au numérique, et que puisse voir le jour un programme scolaire de santé publique dans lequel le numérique ait sa part. Nous referons des propositions en ce sens au Sénat.

S'agissant des images d'enfants diffusées sur internet, tous les moyens devraient être mobilisés pour alerter les parents sur les conséquences des utilisations préjudiciables qui peuvent en être faites par la suite - harcèlement scolaire, détournement sur des réseaux pédocriminels, usurpation d'identité ou encore atteinte à la réputation. L'actualité, malheureusement, montre qu'elles peuvent être tragiques.

La proposition de loi de Bruno Studer, dont nous avons tous pu mesurer l'engagement, a le mérite de favoriser une prise de conscience collective. Il la décrit lui-même comme une proposition de loi pédagogique, destinée aux parents. Le Sénat a accepté de suivre cet objectif, tout en recentrant le texte sur l'essentiel et en rappelant que veiller au respect de la vie privée de l'enfant fait déjà partie de la mission exercée conjointement par les parents dans le cadre de l'autorité parentale, conformément à l'article 371-1 du code civil que ceux d'entre nous qui ont été maires connaissent bien. Le Sénat a retravaillé le texte en commission et l'a adopté à l'unanimité en séance publique.

L'article 1er vise à introduire la protection de la vie privée de l'enfant parmi les obligations des parents au titre de l'autorité parentale. Cet article a été adopté par le Sénat qui a rétabli la rédaction initiale de la proposition de loi afin de rattacher la vie privée de l'enfant au respect dû à sa personne, sans placer la vie privée sur le même plan que la sécurité, la santé et la moralité, qui doivent primer.

L'article 2 a été supprimé par le Sénat. En effet, nous avons considéré qu'il s'agissait d'une sorte de répétition, spécifiquement consacrée au droit à l'image, des dispositions des articles 371-1 et 372 du code civil. Le Sénat, en particulier sa commission des lois, est attaché à limiter l'utilisation du code civil à des fins pédagogiques, afin de ne pas s'exposer au risque de le voir grossir très rapidement.

Il me semble qu'il n'y a rien de bloquant au sujet de ces articles, pas plus que dans l'article 5, que nous avons ajouté en commission. Il permettrait à la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) d'agir en référé en cas d'atteinte aux droits des mineurs en matière de données à caractère personnel, sans condition de gravité ou d'immédiateté.

Les deux points de dissensus concernent les articles 3 et 4.

L'article 3, dans la version adoptée par l'Assemblée nationale, est un rappel des règles existantes lorsqu'il y a un désaccord entre les parents en matière d'exercice de l'autorité parentale. Nous avons choisi plutôt d'inscrire dans la loi que la diffusion au public de contenus relatifs à la vie privée de l'enfant, ce qui comprend les photos et les vidéos, nécessite l'accord de chacun des parents.

Cette disposition éviterait toute divergence d'approche entre les juridictions lorsqu'il s'agit de décider s'il s'agit d'un acte usuel ou non usuel et permettrait au parent non consentant de saisir le juge aux affaires familiales (JAF) d'une demande d'interdiction.

Les parents, ce qui me paraît le plus important, seraient obligés de réfléchir ensemble avant de diffuser au public une image de leur enfant qui pourrait avoir des conséquences préjudiciables pour celui-ci. Ce serait un véritable changement de paradigme qui mettrait fin à l'insouciance avec laquelle des parents postent des photos de leurs enfants sur les réseaux sociaux. J'ajoute qu'il n'y a jamais d'urgence à publier une photo - j'exclus du raisonnement, bien sûr, toutes les boucles familiales ou privées, qui ne sont pas concernées par le texte.

Nous avons choisi une formulation large afin d'inclure toute information relative à la vie privée et de couvrir toute situation, comme la divulgation d'un bulletin de notes ou de santé.

L'article 4, dans la version adoptée par l'Assemblée nationale, tend à permettre une délégation forcée de l'exercice du droit à l'image de l'enfant lorsque la diffusion d'images de lui porte gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale.

La difficulté, pour nous, est que cette mesure ne paraît pas opérante. Cette délégation n'aurait que peu d'effet : le parent continuerait à pouvoir filmer ou photographier l'enfant dans son quotidien et publier ces images sur les réseaux sociaux. Mais ce qui nous gêne le plus, c'est que cela reviendrait à mettre sur le même plan des comportements dont la gravité est très différente : la délégation forcée de l'exercice de l'autorité parentale est en effet réservée aux cas de désintérêt manifeste des parents, d'impossibilité d'exercer tout ou partie de l'autorité parentale ou du meurtre d'un parent par l'autre.

Je rappelle que la diffusion d'images de l'enfant portant gravement atteinte à sa dignité ou à son intégrité morale caractérise une carence éducative qui peut justifier la saisine du JAF en vue du prononcé de mesures d'assistance éducative. Il n'y a donc pas de vide législatif en la matière.

Voilà l'état de nos divergences. Nous partageons l'esprit du texte, mais je regrette encore une fois le « saucissonnage » dont la question fait l'objet. Il me semble qu'un texte plus global permettrait d'atteindre un consensus.

M. Bruno Studer, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.  - Ce texte m'est particulièrement cher. C'est le troisième que j'ai déposé dans ce domaine, après celui qui encadre le travail des enfants influenceurs et celui qui renforce le contrôle parental sur les moyens d'accès à internet. Par ailleurs, c'est l'aboutissement de nombreuses années de travail. J'ai défendu cette proposition de loi auprès du Gouvernement, qui a accepté d'engager la procédure accélérée, puis à l'Assemblée, qui a adopté le texte à l'unanimité, ce qui n'est pas négligeable dans le contexte politique actuel.

Nous sommes partis d'un constat simple : la nécessité de mieux protéger les images des enfants, qui font l'objet d'abus croissants, notamment sur les réseaux sociaux. Des vlogs familiaux montrent l'enfant malade, en train de dormir, de faire une colère, de manger, dans sa vie quotidienne, sans qu'il lui reste la moindre intimité - sans parler des pranks, ou mauvaises blagues. S'il peut m'arriver de faire pleurer mon enfant parce que je l'ai grondé, il ne me viendrait jamais à l'idée de le filmer à ce moment-là et de publier ces images pour le monde entier. Les pleurs d'un enfant n'appartiennent qu'à lui.

Il s'agit d'un texte de bon sens, qui n'a pas qu'une visée pédagogique. Il lance un signal d'alarme et prévoit des mesures concrètes et opérationnelles, en particulier dans l'article 4.

Nous avons eu des échanges nourris, Mme Boyer et moi. Nous sommes convaincus de la nécessité de mieux protéger les enfants, mais nous n'avons pas réussi à nous accorder sur un texte commun.

L'article 1er ne pose guère de difficultés. Les discussions à l'Assemblée nationale avaient permis d'adopter une rédaction plus ambitieuse qu'initialement, qui plaçait la protection de la vie privée parmi les objectifs de la parentalité, mais nous entendons la volonté du Sénat de revenir au texte initial.

L'article 2 a beaucoup d'importance à nos yeux, non seulement parce qu'il inscrit noir sur blanc l'importance spécifique de l'association de l'enfant à la prise de décision concernant sa vie privée, conformément à la Déclaration des droits de l'enfant, mais surtout parce qu'il fait référence au code pénal, ce qui permet de donner une portée contraignante à une disposition actuellement proclamatoire. Mais le Sénat a choisi de supprimer cet article, ce que j'étais prêt à accepter.

L'article 3, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, prévoyait la possibilité, en cas de désaccord entre les parents sur l'exercice du droit à l'image, de saisir le juge pour que celui-ci prononce une interdiction de diffuser un contenu sans l'accord de l'autre parent. Nos collègues sénateurs sont allés plus loin en prévoyant la nécessité d'un accord des deux parents pour toute diffusion d'un contenu relatif à la vie privée de l'enfant. Nous visons donc le même objectif, mais selon une temporalité différente. Nous préférions attendre que le désaccord soit acté pour que le juge intervienne pour quelques situations problématiques, plutôt que d'adopter une disposition contraignante qui s'appliquerait à tout le monde sans distinction. Cette disposition aurait risqué de contraindre excessivement la vie des parents, mais nous étions prêts à trouver une rédaction de compromis.

L'article 4, supprimé par le Sénat, visait à permettre une délégation partielle de l'exercice du droit à l'image des parents qui en font un usage déraisonnable. La création de cette nouvelle condition de délégation partielle de l'autorité parentale serait une réelle avancée qui permettrait de traiter des cas très concrets, présents dans l'actualité. Un parent qui ne respecterait pas la délégation de l'autorité parentale se retrouverait dans la situation de n'importe quelle personne diffusant l'image d'un enfant sans être titulaire du droit à l'image : il pourrait être poursuivi pénalement. Cet article offrait un nouvel outil au JAF et était opérant.

L'article 5, préparé avec la Cnil, semble-t-il, a été ajouté par le Sénat. Je ne m'y oppose pas : il aurait peut-être fallu le circonscrire un peu mais il aurait permis de faciliter l'intervention du régulateur en cas d'atteinte à la vie privée des mineurs sur internet.

Même si nous partageons les mêmes objectifs, il existe entre nous un certain nombre de désaccords, dont nous prenons acte. Nous étions prêts à faire des concessions, notamment au sujet de l'article 3, mais ce n'était finalement pas assez pour que nous puissions nous rejoindre.

M. Sacha Houlié, député, président. - Chers collègues, il apparaît que les positions de nos deux rapporteurs ne sont pas compatibles. Dans ces conditions, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin et je constate donc l'échec de la CMP.

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à l'adoption d'un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à garantir le respect du droit à l'image des enfants.

La réunion est close à 11 h 35.