Jeudi 8 juin 2023

- Présidence de Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, et de M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer -

Parentalité dans les outre-mer - Audition des administrations centrales et de la Caisse nationale d'allocations familiales

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Chers collègues, Mesdames, Monsieur, nous tenons ce matin notre dernière audition plénière consacrée à la parentalité dans les outre-mer.

Depuis le début de l'année, nous menons des travaux sur cette thématique, avec la délégation sénatoriale aux outre-mer, présidée par Stéphane Artano, connecté en visioconférence depuis Saint-Pierre-et-Miquelon, et la délégation aux droits des femmes, que j'ai l'honneur de présider.

Outre les présidents des deux délégations, sont également rapporteures : Victoire Jasmin, sénatrice de la Guadeloupe, et Elsa Schalck, sénatrice du Bas-Rhin, excusée ce matin.

Nous entendons ce matin :

- Anne Morvan-Paris, sous-directrice de l'enfance et de la famille à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS), accompagnée d'Alix Comoy, référente outre-mer pour la DGCS ;

- Jean-Marc Bedon, coordinateur de projet référent outre-mer à la Caisse nationale d'allocations familiales (Cnaf) ;

- Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des outre-mer (DGOM).

Nos attentes ce matin s'articulent principalement autour de deux axes. D'abord, nous cherchons à comprendre les raisons qui expliquent la persistance de différences dans les prestations servies dans les outre-mer et dans l'Hexagone et savoir si certains rapprochements sont envisagés ou envisageables. Je pense notamment au complément familial dans les DROM historiques et aux règles spécifiques qui s'appliquent à Mayotte. Quel serait le coût d'un alignement des prestations ?

Sur le sujet des prestations familiales, nous nous interrogeons également sur la bonne connaissance de leurs droits par les familles des outre-mer. Le taux de non-recours aux droits est-il plus élevé que dans l'Hexagone ? Ce taux diffère-t-il, par ailleurs, en fonction des territoires ultramarins ? Quelles actions menez-vous afin d'améliorer l'accès aux droits ?

Nous avons, par ailleurs, été alertés sur les idées fausses qui circulent concernant les effets de la reconnaissance des enfants par leur père. Comment les dissiper et inciter les pères à reconnaître leurs enfants ? En effet, aux Antilles et en Guyane, deux tiers des enfants ne sont aujourd'hui pas reconnus par leur père à leur naissance.

Notre deuxième axe de discussion ce matin concerne les dispositifs de soutien à la parentalité au sens strict.

Les actions des Caisses d'allocations familiales (CAF) locales ont été saluées par les différents interlocuteurs que nous avons auditionnés au Sénat ou rencontrés lors d'un déplacement en Guadeloupe. Cependant, des difficultés en matière de coordination et un manque de moyens financiers et humains nous ont été signalés. Lors de la détermination des budgets accordés aux CAF des outre-mer, une prise en compte de la précarité de la population couverte est-elle possible ? Des financements structurels aux associations sont-ils également possibles ?

Par ailleurs, comment assurer un déploiement efficace de la stratégie nationale de soutien à la parentalité et du programme des 1 000 premiers jours dans tous les territoires des outre-mer et comment améliorer la coordination entre les acteurs institutionnels et les associations en la matière ?

Vous avez en outre reçu des questionnaires, pour lesquels nous attendons des réponses écrites pour le 12 juin.

Je laisse sans plus tarder la parole à Mme Anne Morvan-Paris pour la Direction générale de la cohésion sociale.

Mme Anne Morvan-Paris, sous-directrice de l'enfance et de la famille à la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). - Madame la Présidente, Monsieur le Président, j'interviendrai principalement sur le soutien à la parentalité dans les outre-mer en rappelant que celui-ci est devenu une politique publique à part entière, avec la parution de la Charte de soutien à la parentalité début 2022. S'y ajoute un ensemble de dispositifs depuis quelques années, qui se traduisent à la fois dans la politique des 1 000 jours, mais aussi dans d'autres dispositifs portés principalement par la branche famille, mais aussi par l'État et par les collectivités territoriales soutenues par l'État. Il est vrai que c'est un enjeu majeur. Au regard des déterminants socioéconomiques que vous avez pu percevoir au cours de vos auditions, qui sont particuliers aux territoires d'outre-mer - je pense notamment au nombre élevé de familles monoparentales et à la question des violences intrafamiliales - cette question du soutien à la parentalité est un enjeu de prévention avant tout. Il s'agit aussi de pouvoir aider les familles dans des moments difficiles.

Les situations varient évidemment d'un territoire à un autre. Vous avez pu vous en rendre compte au cours de vos auditions. Nous avons en revanche dressé un constat commun : les caractéristiques socioéconomiques sont plus défavorables sur l'ensemble des territoires que dans l'Hexagone. Les indicateurs sur le niveau d'éducation et sur les taux de pauvreté sont notamment à prendre en compte dans cette politique de soutien à la parentalité.

Je ne reprendrai pas l'ensemble des chiffres que vous connaissez, mais me concentrerai plutôt sur le programme des 1 000 premiers jours. Il s'agit d'une stratégie large. L'ensemble des acteurs nationaux et locaux sont mobilisés autour du principe selon lequel les 1 000 premiers jours de l'enfance sont déterminants, tant pour l'enfant que pour sa famille. Il y a un consensus scientifique, il est important de le noter. À partir de celui-ci ont été déployées un certain nombre d'actions pour soutenir les familles dès la maternité, avant la naissance et au long des deux premières années de la vie de l'enfant. Venons-en à ce déploiement dans les DROM, et aux améliorations qui pourraient y être apportées.

On pouvait craindre que certains territoires se saisissent mal de cette politique, mais un certain nombre d'actions ont pu être déployées, à commencer par des outillages auprès des parents. Par exemple, le livret des 1 000 premiers jours a été diffusé à partir de 2021. L'Agence régionale de santé (ARS) de la Martinique s'en est servi comme support pour un certain nombre de formations et d'informations auprès des professionnels, pour qu'ils puissent ensuite l'expliquer aux familles. Ensuite, l'entretien prénatal précoce est un vrai enjeu de prévention. Les taux de réalisation sont aujourd'hui très proches du niveau métropolitain en Martinique, Guadeloupe et à La Réunion. C'est en Guyane et à Mayotte, deux territoires particulièrement exposés aux questions d'accompagnement de la natalité, que ces chiffres restent aujourd'hui très inférieurs et que des efforts sont nécessaires. La Guyane a cependant été un territoire expérimentateur au niveau national d'un référent parcours périnatalité. Il s'agit ici d'accompagner des parcours renforcés, notamment lorsque des cas de violences ou de vulnérabilités psychiques sont identifiés. Enfin, La Réunion fait partie des huit CAF expérimentatrices des groupes naissances, qui consistent en un parcours naissance partagé avec les Caisses primaires d'assurance maladie (CPAM).

De plus, des staffs médicaux psychosociaux ont été déployés. Ils permettent d'appuyer dès la maternité un accompagnement de la mère, en particulier sur les enjeux psychologiques et sociaux. Une enveloppe de 400 000 euros y a été allouée en 2021, suivie d'une autre de 200 000 euros en 2022. Il s'agit d'éviter que la détresse psychologique de la mère impacte son lien avec l'enfant dès le plus jeune âge.

Ensuite, le nombre de recours à un congé paternité allongé est de plus en plus important. Il s'élève, selon les territoires, entre 25 et 69 %. L'objectif de 80 % n'est pas atteint, mais un réel progrès a été constaté. Nous pourrons vous en communiquer les détails dans notre réponse écrite.

Par ailleurs, trois territoires se sont saisis d'une contractualisation du côté de la protection de l'enfance, mais surtout d'un appel à projets des 1 000 premiers jours. Ils ont ainsi déployé des actions localement, notamment avec le secteur associatif. Ils ont appuyé des projets pour aller vers les familles, au plus près de ces dernières, et notamment des mères de familles monoparentales. Celles-ci ont été accompagnées pour une meilleure prise en compte de leurs difficultés.

Trois ans après le lancement du dispositif des 1 000 premiers jours, on constate qu'il n'y a pas une stratégie spécifique aux DROM. Elle y est déployée de la même manière que sur le reste du territoire national. Nous sommes aujourd'hui en train d'écrire la deuxième feuille de route. Nous devons nous interroger sur une déclinaison renforcée spécifique aux DROM, en nous intéressant notamment à la déclinaison de tous les outils. Le livret nécessite peut-être une traduction et un accompagnement dans les différentes langues créoles, entre autres. Une déclinaison adaptée à l'environnement culturel de chacun de ces territoires serait judicieuse. En effet, Mayotte et la Guyane sont très différentes, par exemple.

Il convient également d'adapter le sac des 1 000 premiers jours et de mieux le déployer dans les maternités en outre-mer. C'est l'un des enjeux de l'inscription budgétaire pour 2024. Il est ensuite nécessaire de disposer de lieux ressources de proximité. En effet, les familles les plus éloignées de ces outils, qui en ont le plus besoin, ne parviennent pas à trouver la bonne porte d'entrée. Le déploiement des maisons des 1 000 premiers jours et la mise en réseau d'acteurs à échelle territoriale deviennent nécessaires. La déclinaison de ces différents outils sur les territoires ultramarins est identifiée comme l'une des priorités de la future feuille de route.

Concernant les parents et l'approche directe des familles, il faut adapter le parcours naissance et créer des fonds ad hoc entre l'État, la Cnaf et la Caisse nationale d'assurance maladie (Cnam) pour financer des actions locales. Nous retrouvons ici la nécessité de mieux travailler avec les associations et les partenaires qui connaissent les familles. Ils sont plus proches d'elles et peuvent notamment assurer un rôle de médiation. Ils peuvent attirer les familles vers les différents dispositifs en place. Si nécessaire, ils peuvent adapter le droit commun avec un droit spécifique et des démarches d'accès adaptées. Enfin, sur la prochaine vague des 1 000 premiers jours, une vigilance particulière devra être portée aux métiers de la protection maternelle et infantile et aux questions autour de la maternité. Des soutiens financiers spécifiques devront être envisagés, soit dans le cadre de la contractualisation protection de l'enfance avec le fonds d'intervention régional (FIR), soit dans des dispositifs portés par la Cnam afin de réaliser des bilans de prévention par des sages-femmes pendant la grossesse.

Enfin, il est essentiel de s'assurer que le déploiement sera opéré de la même manière sur l'ensemble des territoires. Certains sont aujourd'hui plus en retrait que d'autres, alors que les besoins y sont certainement les plus importants. Mayotte est pleinement concernée par ce que j'évoque. Comment pouvons-nous y apporter des compétences ? Devons-nous les développer localement et les appuyer, ou apporter des compétences depuis l'Hexagone vers les maternités ultramarines ? L'appui aux ressources locales constitue un véritable enjeu. Une volonté de disposer, à terme, d'une unité d'hospitalisation parents-bébé spécialisée en psychiatrie périnatale est évoquée. Par ailleurs, il est important que chaque territoire puisse bénéficier du même type de structure.

Ce point rejoint des sujets évoqués à l'occasion d'autres auditions, et notamment le besoin d'appui à l'ingénierie de projet sur un certain nombre de territoires ultramarins. Ils ne proposent pas tous la même qualité de structuration.

Enfin, venons-en à la coordination des acteurs. Depuis un an, des comités départementaux de service aux familles se déploient sur l'ensemble des départements français. C'est une manière d'animer localement cette politique de modes de garde de l'enfant, mais aussi de la parentalité. Les territoires ultramarins ont demandé à bénéficier d'un allègement de leur structuration, puisque ces comités sont aujourd'hui composés de plus de quarante membres, ce qui rend difficiles leur mise en place et l'organisation de réunions régulières. Nous pourrons répondre favorablement à leur demande, pour qu'ils soient les plus opérationnels possible. Autour du préfet, du président du département et du président de la CAF locale, les enjeux de parentalité et de services aux familles doivent être analysés pour que soient développés les outils les plus pertinents. Je sais que mes collègues de la Cnaf reviendront notamment sur le fonds parentalité, un outil de développement.

Je reste à votre disposition pour toute question complémentaire. Je pourrai revenir sur un certain nombre de points, si nécessaire.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vous remercie. Je donne maintenant la parole à M. Jean-Marc Bedon, coordinateur de projet référent outre-mer à la Cnaf.

M. Jean-Marc Bedon, coordinateur de projet référent outre-mer à la Cnaf. - Permettez-moi de réaffirmer l'attention particulière de la Caisse nationale d'allocations familiales en faveur des territoires d'outre-mer et des CAF des départements et régions d'outre-mer. En effet, les contextes économiques et sociaux de ces territoires, mais aussi leur histoire, au regard de l'égalité des droits, et notamment du droit au titre des prestations sociales versées par les CAF, justifient un dialogue de proximité entre la Cnaf et ses CAF. Le but est d'accompagner au mieux les CAF dans leurs missions et de faciliter le déploiement de leurs actions au profit des populations.

Je rappellerai également brièvement les limites géographiques du périmètre d'intervention et de responsabilité de la branche famille en faveur des territoires d'outre-mer. Les territoires d'exercice de la Cnaf et des CAF concernent les départements de La Réunion, de Mayotte, de la Guyane, de la Martinique et de la Guadeloupe, mais aussi des deux collectivités territoriales de Saint-Martin et Saint-Barthélemy, couvertes par la CAF de la Guadeloupe. Ainsi, les autres collectivités territoriales ultramarines ne sont pas dans le champ de responsabilité de la Caisse nationale et donc des CAF.

Sur cet ensemble géographique, néanmoins, quelques chiffres permettent peut-être de mesurer l'action proposée. En 2022, les cinq caisses d'outre-mer ont versé des prestations à 590 000 foyers allocataires, représentant 1,4 million de personnes. Le taux de couverture de la population par les CAF s'établit à 63 %, soit les deux tiers de la population ultramarine. Par comparaison, les CAF dans l'Hexagone couvrent en moyenne 47 % de la population. Ce taux de couverture supérieur dans les DROM concerne toutes les prestations. À titre d'exemple, 74 % de la population y est bénéficiaire des allocations familiales, contre 62 % en France hexagonale. Les foyers monoparentaux bénéficiaires de l'allocation de soutien familial représentent 15 % des allocataires, contre seulement 6 % en métropole. Un allocataire sur trois est bénéficiaire du RSA dans les DROM, pour seulement un allocataire sur dix dans l'Hexagone. Enfin, pour un tiers des allocataires, les prestations versées par la CAF constituent la seule source de revenus pour vivre. Cette proportion est deux fois plus élevée que dans l'Hexagone, où 17 % des allocataires sont dans cette situation. Ce taux élevé de dépendance aux prestations est certainement le plus révélateur des difficultés sociales de ces territoires. Il engage au quotidien la responsabilité de la Caisse nationale et des caisses d'allocations familiales ultramarines, qui assument de manière encore plus prégnante que sur le reste du territoire national un rôle d'amortisseur social. En effet, les prestations familiales et sociales, leur poids financier, leur caractère redistributif et de solvabilisation des familles constituent des leviers importants des politiques publiques de lutte contre les inégalités, mais aussi de cohésion sociale, tant à l'échelle locale que nationale.

Enfin, le total annuel des prestations légales versées par les CAF des DROM s'élève à 5,55 milliards d'euros sur un budget global, pour la France entière, d'environ 100 milliards d'euros. De plus, si durant de nombreuses années, les droits aux prestations comportaient de multiples différences entre les outre-mer et l'Hexagone, on peut souligner aujourd'hui, à l'exception du cas particulier de Mayotte, que l'égalité est quasiment atteinte sur le plan du droit. Toute nouvelle prestation légale nationale est automatiquement applicable dans les départements d'outre-mer, aux mêmes conditions.

Quelques différences persistent néanmoins. Elles concernent les allocations familiales qui sont versées dès le premier enfant dans les outre-mer, mais aussi l'allocation de complément familial, également versée dès le premier enfant. Enfin, dans le domaine du logement par exemple, les locataires du parc social conventionné ne peuvent bénéficier comme dans l'Hexagone d'une aide personnalisée au logement. En revanche, les accédants à la propriété peuvent, si leurs ressources le permettent, bénéficier d'une aide au logement, ce qui n'est plus le cas en France hexagonale depuis 2018.

De même, les DROM bénéficient de deux autres prestations qui n'existent pas en métropole : le revenu de solidarité et la prestation accueil et restauration scolaire (Pars). Cette dernière permet aux CAF d'outre-mer de contribuer au financement de la restauration scolaire dans le but de réduire le reste à charge des familles. En 2021, 344 000 enfants scolarisés de la maternelle au lycée ont bénéficié de cette aide, soit 64 % de l'ensemble des élèves ultramarins. Il convient toutefois de souligner la situation particulière de la Guyane, dont le taux de couverture est le plus faible parmi l'ensemble des départements d'outre-mer, avec seulement 38 % des élèves bénéficiaires. Cette moindre couverture est en partie liée à l'absence de dispositif et d'offre de restauration scolaire dans plusieurs communes de Guyane. La CAF ne peut, à elle seule, au moyen de la Pars, financer une offre de restauration scolaire dont l'organisation, la gestion et le financement relèvent de la responsabilité des collectivités.

Pour clore ce chapitre concernant les prestations dans les outre-mer, je ne peux pas passer sous silence l'action des CAF en matière d'accès aux droits, un enjeu majeur pour ces territoires. Dans ce cadre, les caisses peuvent s'appuyer sur de nombreux leviers et canaux de contact. Elles ont déployé une stratégie proactive d'« aller vers » dans une approche situationnelle, et ont mis en place des parcours usagers. C'est par exemple le cas du parcours « séparation » depuis 2021. Elles déploieront prochainement le parcours « arrivée d'un enfant », dont la généralisation est prévue à la fin de cette année. Celui-ci vise à renforcer l'accompagnement des parents de la grossesse jusqu'aux trois ans de l'enfant. Ces parcours, déclenchés dès la connaissance par la caisse d'un événement, visent à faciliter les démarches des usagers et à valoriser les droits aux prestations. Ils ont aussi pour objectif d'informer, orienter et accompagner les allocataires vers les dispositifs d'aides et services d'action sociale proches de chez eux et pouvant être mobilisés en réponse à leur situation.

Les CAF d'outre-mer ont également développé des formats d'accueil spécifiques, comme des rendez-vous des droits qui sont proposés à des allocataires en situation sociale à risque. Là aussi, l'objectif est d'informer, si besoin, de conseiller, et surtout de veiller à ce que l'ensemble des droits auxquels les allocataires peuvent prétendre soient bien valorisés. Les caisses s'appuient également sur le développement d'un large réseau de partenaires pour mailler le territoire et proposer une information de premier niveau et un accompagnement, notamment numérique. Il peut s'agir d'espaces France services, de Centres communaux d'action sociale (CCAS), de permanences de mairie ou encore de structures partenaires comme des maisons, des parents ou des centres sociaux. Enfin, et compte tenu de leur géographie particulière, les CAF des DOM ont développé des solutions innovantes, mobiles et itinérantes, permettant d'aller au contact des populations. Je pense aux territoires de l'intérieur de la Guyane ou aux villes et communes des Hauts à La Réunion. Ces solutions itinérantes permettent d'aller au plus près des populations.

Ces initiatives, au croisement de l'accès au droit et du développement territorial des offres de services des CAF, m'amènent également à vous dire quelques mots sur l'action tout aussi essentielle des CAF des DOM en faveur des politiques sociales sur ces territoires. Pour contribuer aux politiques publiques et développer leur mission, les caisses disposent de plusieurs leviers financiers et de dispositifs conventionnels stratégiques et opérationnels de partenariat. S'agissant des leviers financiers, elles bénéficient de dotations d'action sociale, plus généralement appelées fonds locaux, à la disposition des conseils d'administration des CAF. Elles sont dépensées dans le cadre de règlements intérieurs définis par chacune des caisses départementales. Elles disposent également de fonds nationaux dédiés, comme le Fonds national parentalité, et de prestations services qui leur permettent de contribuer au développement et au fonctionnement des équipements, déployant des services aux familles et des actions sociales d'accompagnement des populations.

Le Fonds national parentalité a été créé en 2014 de manière à aider les CAF à soutenir le déploiement des actions des réseaux d'écoute et d'accompagnement des parents (REAP), ainsi que pour financer des postes de coordinateurs, animateurs de la gouvernance partenariale locale et acteurs du soutien à la parentalité. Depuis 2022, un nouvel axe est venu enrichir le Fonds national parentalité afin de pouvoir financer des lieux d'accueil et de ressources des familles sur les questions liées à la parentalité, ainsi que le développement de services d'écoute personnalisée et d'accompagnement des parents à distance.

Les financements apportés aux gestionnaires de services ou opérateurs de projets s'inscrivent généralement, sauf dans des cas de projets très ponctuels, dans le cadre de conventions de partenariats et de financement pluriannuel. Elles couvrent aujourd'hui des périodes comprises entre trois et quatre ans. Nous souhaitons l'étendre à cinq ans lors de notre prochaine période conventionnelle, ce qui permettra à l'ensemble des opérateurs et partenaires de se protéger à long terme.

S'agissant du cadre stratégique et opérationnel, tous les territoires ultramarins se sont dotés d'un Schéma départemental des services aux familles (SDSF), dans lesquels les CAF occupent une large place. Ce cadre de gouvernance réunit les différents échelons des collectivités du territoire, les services décentralisés de l'État et les principaux opérateurs de terrain. Cette gouvernance est essentielle pour définir les axes prioritaires d'intervention au regard des diagnostics des besoins sociaux des familles et des territoires, pour structurer et coordonner la mise en oeuvre des actions, et pour mobiliser l'adhésion et l'engagement de chacun en matière de cofinancement des projets et des services. Le cadre stratégique des SDSF s'accompagne pour les CAF d'un autre support-cadre de partenariat, cette fois à l'échelle communale ou intercommunale : les conventions territoriales globales. Celles-ci permettent de définir de manière très opérationnelle les objectifs et les actions à mettre en oeuvre pour répondre aux besoins sociaux des familles et mailler les territoires.

Fin 2022, 81 conventions territoriales globales, couvrant 62 communes, ont été signées par les CAF d'outre-mer avec leurs partenaires communaux. Elles traitent et fixent des objectifs d'action dans de nombreux domaines : la petite enfance, l'enfance, la jeunesse, mais aussi la vie sociale, l'inclusion handicap, le travail social, la précarité et la lutte contre la pauvreté, l'accès au droit, le logement, la santé, la vieillesse, la citoyenneté ou encore le développement durable. Sur ces bases contractuelles, et particulièrement en matière de soutien à la parentalité, les CAF des outre-mer, en lien avec la Cnaf, se sont mobilisées entre 2018 et 2022, avec l'objectif principal de renforcer le maillage des offres de services et des actions de soutien à la parentalité, notamment dans une visée de prévention des exclusions sociales et des situations à risque. Pour ce faire, les CAF ont oeuvré sur l'ensemble des territoires à l'émergence ou à la consolidation des services de médiation familiale. Par exemple, aujourd'hui, onze équipements hors Mayotte sont en fonctionnement et en activité sur l'ensemble des territoires d'outre-mer. S'y ajoutent des structures proposant des lieux d'accueil enfants-parents. Tous les départements aujourd'hui disposent d'une offre. Les CAF ont également contribué à la création et au soutien de onze espaces de rencontres. Enfin, 108 actions d'accompagnement à la scolarité ont été déployées en faveur des enfants et de leurs parents, et de nombreuses actions d'accompagnement à la parentalité sont soutenues dans le cadre des REAP.

De même, nous pouvons évoquer le panier de services, jargon institutionnel consistant à assurer a minima sur un établissement public de coopération intercommunale (EPCI) une offre d'accompagnement à la scolarité, une offre d'accompagnement à la parentalité et la garantie de fonctionnement d'un lieu d'accueil enfants-parents. L'ensemble des EPCI de la Martinique et de La Réunion ont mis en place le panier de services. 50 % des EPCI de la Guadeloupe en sont dotés, contre 25 % seulement en Guyane.

Le soutien à la parentalité s'est également matérialisé par un renforcement et un recentrage des interventions de travailleurs sociaux des CAF en faveur des allocataires en situation à risque. 11 000 foyers allocataires ont ainsi bénéficié en 2020 d'un accompagnement social dispensé par un travailleur social. 84 % des interventions de travail social ont concerné des situations de divorce ou de séparation. Les 16 % restants des interventions concernent des situations de décès d'un conjoint ou d'un enfant, d'impayés de loyer ou pour soutenir des foyers monoparentaux. Enfin, les CAF ultramarines sont fortement mobilisées pour soutenir la création et le développement de structures d'animation de la vie sociale, comme les centres sociaux ou les espaces de vie sociale. Entre 2018 et 2022, plus de 70 nouveaux équipements ont été créés, prioritairement dans les quartiers relevant de la politique de la ville. Par leur ancrage dans les quartiers, ils sont au plus proche des besoins des publics. Ils sont des relais particulièrement pertinents pour les caisses de manière à déployer des services et des actions de soutien à la parentalité.

Toutefois, les CAF sont confrontées dans de nombreux secteurs à l'insuffisance de cofinancement des partenaires, limitant de fait le rendement des leviers et dispositifs de financement nationaux à leur disposition. En effet, de nombreuses collectivités territoriales sont confrontées à des situations financières très concrètes, et ne contribuent pas, ou pas suffisamment, au cofinancement des équipements tels que prévu dans le cadre conventionnel des outils nationaux de la branche famille. Pour pallier ces situations, les CAF sont contraintes de compléter les prestations de services nationales par des apports sur leurs fonds locaux, et/ou par des dispositifs ou mesures dérogatoires ponctuelles validées par la Cnaf.

Dans le cadre des discussions en cours entre la Cnaf et les services de l'État relatives aux orientations et aux moyens de la branche pour la période 2023-2027, la Cnaf porte en faveur des départements d'outre-mer la proposition de soutenir les projets et le fonctionnement des structures d'accueil de la petite enfance et des services aux familles. Il s'agirait de prendre en compte de manière spécifique les problématiques de cofinancement et les besoins de rattrapage des territoires les plus fragiles, identifiés notamment dans le cadre des schémas départementaux des services aux familles. Bien entendu, les territoires d'outre-mer comptent parmi les territoires les plus fragiles.

De même, il est proposé de poursuivre le développement du maillage territorial, notamment dans des quartiers relevant de la politique de la ville non couverts aujourd'hui.

Par ailleurs, au-delà de la problématique de financement, les CAF sont confrontées à un déficit d'opérateurs assis sur des modèles économiques viables et en capacité de mettre en oeuvre des offres de services d'action sociale. Ce point constitue certainement le second trait majeur caractérisant les freins au développement des politiques sociales des CAF ultramarines. Dans de nombreux secteurs d'intervention, ces dernières doivent assumer, parfois intégralement, l'ingénierie sociale nécessaire à l'émergence d'opérateurs et à la création d'offres de services : formation des professionnels, mobilisation des partenaires, montage financier de projets et des services, recherche de locaux, structuration des acteurs et des réseaux relais des CAF, accompagnement au quotidien des opérateurs gestionnaires des services et des familles.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour cette présentation exhaustive et intéressante, comme la première d'ailleurs. Je laisse maintenant la parole à notre dernière intervenante, Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des Outre-mer.

Mme Isabelle Richard, sous-directrice des politiques publiques à la Direction générale des Outre-mer. - La parentalité est un défi pour chaque parent, qu'il vive dans l'Hexagone, dans les territoires ultramarins ou partout dans le monde. Il peut toutefois apparaître encore plus vertigineux en outre-mer, au regard d'un certain nombre de constats, de caractéristiques dont vous avez pris la mesure au fur et à mesure de vos auditions. La part des familles monoparentales est parfois jusqu'à trois fois supérieure au taux hexagonal. Les naissances précoces sont également plus nombreuses. Elles atteignent 10,2 % en Guyane, dans le dernier recensement connu en 2018, contre 2,1 % dans l'Hexagone. Les conditions de vie sont aussi plus difficiles. Le chômage y est plus élevé, bien que son taux soit en diminution dans la plupart des territoires depuis un an. Il s'ensuit un taux de pauvreté qui est encore trop important, et qui culmine, à Mayotte, à 77 %. Les prix sont également plus élevés, ce qui constitue évidemment un souci pour les parents, et ce même si l'inflation est moins élevée depuis un an. Enfin, l'illettrisme et l'illectronisme sont aussi beaucoup plus élevés outre-mer, s'élevant à 30 % en Guadeloupe. Les parents rencontrent des difficultés pour faire valoir leurs droits ou exercer leur parentalité au quotidien.

Ces quelques chiffres illustrent aussi le fait que la parentalité ne se limite pas aux enjeux d'éducation et de soin aux enfants. C'est une problématique plus globale, qui doit être prise en compte, notamment dans le cadre du soutien que l'on apporte aux familles, en premier lieu monoparentales. De ce point de vue, un enjeu particulier est celui de l'aide apportée à ces femmes pour qu'elles continuent à se former et à exercer un emploi. C'est sans doute un moyen de rompre le cercle vicieux, puisque les statistiques montrent, dans l'Hexagone comme en outre-mer, une corrélation entre le fait pour la femme d'être elle-même issue d'une famille monoparentale, d'afficher un niveau de formation peu élevé, d'être pauvre, et la reproduction de ce schéma. Un enjeu de formation et d'accompagnement est ainsi identifié, notamment auprès des jeunes filles, femmes et mères. De ce point de vue, il est important de soutenir un certain nombre d'actions. Par exemple, des formations s'adressant à ces publics ont été organisées en Guyane, en permettant à ces femmes de disposer d'un mode de garde à proximité de leur lieu de formation, ou en leur offrant un moyen de locomotion pour s'y rendre.

Le service militaire adapté (SMA), qui est aussi une spécificité outre-mer, permet aujourd'hui aux jeunes mères de poursuivre une formation. Des locaux qui leur sont dédiés s'ajoutent à un accompagnement pour garder leurs enfants pendant leur formation. Plus de 80 % des jeunes sortant de ce dispositif ont ensuite un débouché favorable, et peuvent effectivement trouver un emploi. Il est ainsi nécessaire de multiplier ces formations, qui permettent de concilier la vie de jeune mère - ou parfois de jeune père - avec un accès à l'emploi. Dans la panoplie d'outils existants, n'oublions pas de citer l'Association pour le droit à l'initiative économique (Adie), qui permet d'accompagner les projets professionnels et les créations d'entreprise.

Il faut ainsi multiplier les initiatives pour traiter l'ensemble des problèmes évoqués plus tôt, et les autres. S'agissant de l'illectronisme, l'Agence nationale de lutte contre l'illettrisme (ANLCI) développe un certain nombre d'outils, des diagnostics qu'il faut coupler avec davantage de formation tout au long de la vie professionnelle et personnelle de l'individu.

Ensuite, notre ministre délégué, Jean-François Carenco, a été auditionné par la commission d'enquête de l'Assemblée nationale. Il a pu donner un certain nombre de pistes, à travers le bouclier qualité prix qui permet une stabilité des tarifs d'une année à l'autre, avec un panier étendu à de nouveaux produits. Il a également mentionné quelques pistes sur l'octroi de mer. Celui-ci taxe souvent des produits de première nécessité pour les parents, avec des taux atteignant parfois 20 % dans certains territoires. C'est le cas des petits pots pour bébés ou de produits nécessaires à l'hygiène des enfants. Il est important d'agir sur ce volet des prix.

Il convient également d'aider ces parents ou ces jeunes mères à s'insérer dans la société. Le soutien aux associations est particulièrement important dans ce cadre, j'y reviendrai.

S'agissant du soutien à la parentalité au sens strict du terme, les actions publiques ont été largement rappelées par ma collègue, notamment au travers de l'initiative des 1 000 premiers jours. Nous nous étions déjà rapprochés de nos collègues pour adapter encore plus le livret Conseil ainsi que le coffret remis aux jeunes mères à la maternité. Il s'agit d'adapter l'ensemble des politiques. Il me semble particulièrement important d'intégrer des volets outre-mer dans les grandes stratégies publiques, et dans les grands plans publics. C'est le cas, par exemple, de la stratégie nationale santé sexuelle 2017-2030 dans laquelle figurent des objectifs ambitieux pour les outre-mer, notamment en termes de prévention, de contraception et d'accès à un certain nombre d'informations. Pour la stratégie nationale de soutien à la parentalité, un axe important est dédié aux outre-mer. Il comprend des actions particulières et ciblées, notamment pour améliorer la connaissance des besoins des familles. Avec notre soutien et celui du secrétariat d'État à la protection de l'enfance, en 2019, la production d'une revue de littérature par l'université de Paris-Nanterre a pu être subventionnée. Elle constitue dorénavant une base documentaire unique sur l'éducation et la famille des outre-mer. Un axe a été également dédié aux possibilités d'accompagnement en répondant aux besoins spécifiques des outre-mer. Dans ce cadre, nous avons soutenu l'association idealCO pour l'animation d'un réseau professionnel ultramarin sur les thématiques des politiques jeunesse et la mise en place de plateformes d'échange pour l'ensemble des outre-mer. D'autres actions très importantes visaient à aller vers les parents, notamment dans les territoires isolés. Des initiatives en la matière ont été rappelées par Jean-Marc Bedon.

Les actions publiques s'orientent de plus en plus sur le problème du non-recours, c'est-à-dire le non-exercice par les publics de leurs droits ou le non-accès aux politiques publiques. Je peux citer l'expérimentation « zéro non-recours », dont la réception des candidatures est en cours. Le ministère des outre-mer, par l'intermédiaire des préfets, a essayé de susciter des candidatures ultramarines dans le cadre de cet appel à manifestation d'intérêt. Nombre d'entre elles sont en cours d'examen. Bien sûr, nous formons le voeu qu'elles soient, pour certaines, déclarées recevables et qu'elles puissent participer à cette expérimentation. Les taux de non-recours sont particulièrement élevés en Guyane et à Mayotte. Nous observons un effet important de l'illettrisme et des langues locales, raison pour laquelle il est important de traduire les documents et interfaces informatiques. Il est également essentiel de développer les Maisons France Services. Un objectif en ce sens a été assigné aux outre-mer par l'intermédiaire de l'Agence nationale de la cohésion des territoires (ANCT).

Ensuite, les prestations de restauration scolaire sont très importantes pour l'enfant. L'existence de la Pars a été citée par Jean-Marc Bedon. Nous avons également mené une action en Guyane et à Mayotte, que nous pourrons décrire dans le document. Elle a consisté à réduire le reste à charge pour les familles, en lien avec nos collègues des ministères sociaux. Un décret paru en décembre 2022 réduit encore le reste à charge pour les repas du midi à Mayotte et pour les collations en Guyane. Il me semble important de suivre cette voie, et de tirer des enseignements de l'augmentation de cette prestation pour atteindre la cible précise assignée.

S'agissant de la poursuite de l'alignement des outre-mer sur l'Hexagone en matière de prestations, M. Bedon a indiqué que les différences étaient aujourd'hui très faibles. Il en existe néanmoins. Vous avez cité le complément familial et les prestations à Mayotte. S'agissant du premier, nous avons mené des échanges pour refaire un point avec nos collègues des ministères sociaux. Cette prestation est spécifique aux outre-mer. Elle bénéficie aux familles depuis les trois ans de l'enfant, jusqu'à son cinquième anniversaire. Elle avantage les familles monoparentales ou avec deux enfants. Elle n'existe pas dans l'Hexagone. A contrario, pour les familles nombreuses, elle s'arrête au cinquième anniversaire de l'enfant, et ne les accompagne pas ensuite. Si une réforme concernait ce complément familial, il faudrait être très vigilant à cet équilibre et aux publics bénéficiaires.

Ensuite, le président de la République a annoncé lors de la dernière campagne présidentielle qu'il souhaitait ramener le terme de la convergence sociale de 2036 à 2031 à Mayotte. Elle est déjà bien entamée, puisque de nouvelles prestations ont d'ores et déjà été alignées. Pour autant, il existe encore des différences majeures, notamment en matière de minima sociaux tels que le revenu de solidarité active (RSA), l'allocation aux adultes handicapés (AAH), ou les compléments pour exercice d'un métier. Ils s'élèvent à la moitié des valeurs nationales. À Mayotte, le SMIC est équivalent à 75 % de sa valeur hexagonale. Ainsi, c'est un équilibre qu'il faut trouver entre un accroissement de ce salaire minimum, une croissance économique et les prestations. La croissance des prestations ne peut aller plus vite que les autres facteurs économiques. Une réflexion d'ensemble doit être menée à ce sujet. Il convient d'étudier les dernières prestations sociales pour assurer un équilibre, en lien avec les ministères sociaux, de l'économie et du travail.

Notre réponse écrite donnera quelques éléments d'explications supplémentaires, même s'ils ne pourront être complets s'agissant des statistiques relatives aux familles dans les outre-mer et des raisons expliquant un nombre important de grossesses précoces. J'ai cité quelques facteurs tels que la pauvreté ou la formation, grandes politiques auxquelles le Gouvernement s'attaque en parallèle. C'est tout un front de politiques publiques qu'il faut mener pour améliorer la situation de ces familles dans les outre-mer.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Je vais laisser la parole au président Stéphane Artano, qui est également rapporteur. J'aurai peut-être d'autres questions à vous poser ensuite, avant de laisser mes collègues réagir à vos interventions.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Merci pour ces éclairages. Je n'ai pas beaucoup de questions à vous poser. Tout de même, j'aimerais interroger la DGCS. À quelle échéance prévoyez-vous de sortir la deuxième feuille de route des 1 000 premiers jours, en cours de rédaction ?

Ma deuxième question concerne essentiellement le soutien à la parentalité. Les acteurs entendus au cours de nos travaux ont souligné l'action des caisses sur les territoires, tout en déplorant les financements intervenant majoritairement dans le cadre d'appels à projets. De quelle manière des financements structurels ou pluriannuels en direction des associations pourraient-ils éventuellement être envisagés ? Cette interrogation rejoint la question numéro 13 du questionnaire : dans quelles conditions les fédérations et associations nationales des acteurs du soutien à la parentalité pourraient-elles être plus présentes dans les outre-mer pour soutenir les acteurs locaux ? Nous tentons de réfléchir à la manière de faire de ces acteurs des relais plus importants encore sur les territoires, y compris pour vous. Certaines fédérations disent ne pas disposer de relais sur tous nos territoires ultramarins. Nous réfléchissons à la manière la plus efficace et efficiente d'en faire des relais pour la parentalité, y compris pour les institutions, dans le déploiement de certaines politiques publiques.

Mme Anne Morvan-Paris. - La deuxième feuille de route des 1 000 premiers jours est encore en cours d'élaboration. Une phase de concertation est encore à mener. Nous espérons pouvoir la publier pour la rentrée 2023, dans quelques mois. Sa déclinaison permettra de répondre à certaines de vos questions, notamment s'agissant des appels à projets. L'instruction « appels à projets 1 000 premiers jours » devrait paraître dans les prochains jours. Le sujet de la pluriannualité et de la manière dont on peut mobiliser les acteurs sur des financements plus structurels est en suspens. Un fonds innovation sera également publié dans les jours à venir, en lien avec nos différents partenaires, dont la Cnaf. Est envisagée une pluriannualité de trois ans, ce qui répond en partie aux soucis que nous font remonter les associations. Se pose ensuite une question plus structurelle sur le parcours des 1 000 premiers jours et les Maisons des familles. Nous devons pouvoir réfléchir à des financements plus structurels, entrant dans le cadre de la convention d'objectifs et de gestion (COG), dont l'atterrissage est en cours de finalisation.

M. Jean-Marc Bedon. - Je ne sais pas si j'ai besoin d'ajouter des éléments s'agissant des financements. Je suis d'accord avec les propos précédents. Nous comprenons bien le besoin d'un certain nombre d'associations. Pour autant, il faut distinguer ce qui relève d'une action ponctuelle ou d'un projet innovant, et des fonds assis sur une base contractuelle inscrivant d'emblée une pluriannualité pour la production d'un service. Je pense qu'un segment associatif répond, par sa souplesse, à des urgences, à des innovations, et à des besoins nouveaux qui émergent. Il a besoin d'être accompagné, ensuite, dans une structuration plus pérenne.

Ensuite, la Caisse nationale accompagne chaque année 78 têtes de réseau et associations nationales, dont une cinquantaine dispose d'antennes et d'implantations sur les territoires ultramarins. Nous les soutenons essentiellement pour leur permettre de financer leur action d'animation, de structuration de leur réseau, d'outillage, de ressources méthodologiques, techniques, métiers, législatives... Sur la période de 2018 à 2022, nous avons également souhaité aller un peu plus loin qu'un simple soutien à l'animation globale de leur réseau, en investissant ces associations d'une mission d'accompagnement de proximité auprès de ces territoires. Je pense particulièrement à la Fédération nationale des centres sociaux, partenaire historique de la branche famille. Elle a vraiment joué le jeu. Nous l'avons accompagnée financièrement. Elle s'est fortement investie sur le sujet pour créer et faire émerger des structures, des centres sociaux, des espaces de vie sociale, mais aussi pour construire et créer une instance départementale qui sera ensuite en capacité d'animer et d'accompagner l'ensemble des centres sociaux qui se seront créés sur le département. Nous en avons besoin, puisqu'il y a un segment intermédiaire entre le niveau national et le niveau très local. Dans de nombreux secteurs d'activité, beaucoup de choses se font par le biais de multiples réseaux, mais il manque une échelle de coordination, d'animation et d'accompagnement méthodologique métier, technique, et de formation des professionnels au quotidien.

Dans la prochaine convention d'objectifs, si l'ensemble de ces projets sont validés dans nos discussions avec l'État, nous avons pour objectif, dans les outre-mer, de renforcer cette mobilisation des têtes de réseau national de manière à ce qu'elles puissent se mobiliser davantage en local et construire de l'animation et de la coordination au niveau des départements.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ces réponses. J'ajouterai quelques questions.

Vous avez parlé d'expérimentations en Guyane ou à La Réunion, notamment s'agissant d'un référent natalité ou d'un parcours naissance. Pourrez-vous nous envoyer des éléments plus précis sur leur mise en place ? Des moyens supplémentaires vous ont-ils été alloués ? Pourquoi ces deux territoires ? Comment ces expérimentations s'articulent-elles dans les dispositifs existants ? Vous avez également évoqué des staffs médico-sociaux dotés de budgets de 400 000 euros en 2021, puis 200 000 euros en 2022. Cette somme peut sembler importante, mais combien de personnes représente-t-elle à l'échelle des territoires ultramarins ? Divisée entre les différents territoires, elle peut finalement apparaître un peu ridicule.

Vous avez en outre mentionné une augmentation du recours au congé paternité. On a assez peu évoqué les familles monoparentales et la non-reconnaissance des pères ce matin. Dès lors que deux tiers des enfants ne sont pas reconnus par leur père dans certains territoires, j'imagine que ceux qui reconnaissent leurs fils ou leurs filles sont très motivés.

S'agissant du parcours des 1 000 premiers jours et de sa nécessaire adaptation, je suis assez surprise que l'on n'ait pas imaginé une traduction pour rendre le dispositif compréhensible partout sur le territoire, de la part des parents. On insiste souvent sur le besoin d'actions en proximité, qui font écho aux ressources locales, humaines. Parvenez-vous à en avoir ? Formez-vous de plus en plus de personnes pour être au plus près du terrain ?

J'aimerais ensuite vous interroger sur les parcours « séparation » et « arrivée de l'enfant » évoqués par M. Bedon. Sont-ils mis en place au sein de chaque territoire ultramarin ? S'agit-il d'une expérimentation ? S'ils ne sont mis en place que sur certains territoires, quelle en est la raison ?

Enfin, nous avons peu parlé d'IVG. Des stratégies pour limiter leur nombre sont-elles en place ? Diffèrent-elles selon les territoires, du fait de situations différentes ?

Mme Annick Petrus. - Merci à tous d'avoir apporté un éclairage sur cette problématique. Je suis sénatrice de la collectivité territoriale de Saint-Martin, qui fête ses 17 ans cette année. J'ai occupé le poste de troisième vice-présidente en charge de ces sujets. Ainsi, les chiffres énoncés ce matin ne m'étonnent pas, d'autant que les territoires d'outre-mer ont souvent été pointés du doigt comme des consommateurs de la Caisse d'allocations familiales. Nous étions qualifiés de champions de la consommation de ces aides. Je ne reviendrai pas sur le sujet. C'est la situation de ces territoires et surtout de leurs habitants qui en sont la cause. Certains n'ont d'autres possibilités que de vivre de ces aides, puisqu'ils n'ont pas de travail. Parfois, ces situations se reproduisent de génération en génération. Lorsqu'une mère a vécu avec les allocations familiales et aides sociales de toutes sortes, faisant un bébé tous les trois ans pour ne pas perdre le bénéfice de l'aide, leurs enfants peuvent être tentés de reproduire le même schéma. Ce n'est pas qu'ils ont choisi cette façon de vivre, mais ils n'en ont pas trouvé d'autres. Dès lors qu'ils rencontrent une autre possibilité, ils parviennent à s'en sortir. Je suppose que cela a été dit au cours des auditions de ce cycle.

Il y a six mois, la collectivité de Saint-Martin a signé un plan territorial d'insertion (PTI) et une convention territoriale globale (CTG) avec la CAF. Les collectivités ne sont pas toujours informées de tous les dispositifs existants au sein de la CAF. Je le disais, j'ai présidé une délégation. C'est au fur et à mesure que je découvrais des dispositifs qui pouvaient être mis en place pour aider les familles, la plupart du temps monoparentales, à appréhender autrement la parentalité.

À titre d'exemple, j'ai appris récemment que les bénéficiaires du RSA pouvaient obtenir des aides pour faire garder leur enfant le temps d'un entretien d'embauche ou d'une recherche de travail. Je ne disposais pas de cette information lorsque j'étais vice-présidente. Si j'en avais eu connaissance, nous aurions pu mettre en place ces aides très rapidement en les versant à des structures ou associations qui accompagneraient ces familles dans la garde de ces enfants, plutôt que de les verser directement aux bénéficiaires. En effet, nous observons beaucoup de détournements d'aides, qui seraient évités par cette manoeuvre.

L'aide de rentrée scolaire n'est pas systématiquement détournée. Pour autant, j'ai été directrice d'un établissement scolaire dans une autre vie. Je peux assurer que ces prestations ne sont pas toujours utilisées intégralement pour l'enfant. Les allocations familiales non plus, d'ailleurs. Certains enfants sont bien lotis du 1er au 15 du mois. Ils ont un goûter, tout va bien. À partir du 15 du mois, ils n'ont plus de goûter, parce que l'argent a été mal géré, et qu'il n'y en a plus.

J'ai compris que la CAF ne pouvait pas aider à la gestion des allocations familiales. Néanmoins, pourrait-on trouver des dispositifs par le biais de structures, d'associations, pour aider ces familles ? Dernièrement, j'ai demandé au Pôle solidarité famille de mettre à disposition de ces familles des conseillers sociaux, familiaux ou économiques. Elles vont remplir le frigo les quinze premiers jours avec l'argent des allocations familiales. Les enfants vont tout manger en deux semaines. Après, il n'y aura plus d'argent, et ils viendront à l'école sans goûter. Il faut les aider. Comment pourrait-on mettre en place des dispositifs pour aider à la bonne utilisation de cette aide ? La CAF joue son rôle, elle donne de l'argent, mais la gestion de celui-ci ne permet pas aux parents d'embrasser convenablement leur mission, leur rôle et l'utilisation de ces fonds.

Sur le territoire de Saint-Martin, au lendemain de l'ouragan Irma, nous avons expérimenté une carte Cohésia. Certes, certains ont émis des doutes sur sa conformité à la réglementation. Ne pourrait-on pas initier des partenariats, des conventions avec des librairies, entre autres, pour nous assurer qu'une partie des aides soit dépensée dans ce cadre, et non pour rembourser les traites d'une voiture, par exemple ?

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Merci pour ce témoignage en prise directe avec la réalité de Saint-Martin, où nous nous sommes rendues avec Micheline Jacques, sénatrice de Saint-Barthélemy.

Je vous laisse donc répondre, dans l'ordre qui vous convient le mieux. Je me permets également de vous interroger sur le contrat d'objectifs et de gestion (COG) et ses délais. Comment vous organisez-vous dans ce cadre ?

Mme Anne Morvan-Paris. - D'abord, vous m'interrogiez sur les parcours natalité, les staffs médico-psychosociaux et leur mise en place. Il s'agit aujourd'hui d'une expérimentation faisant suite à un appel à candidatures et à un arrêté d'expérimentation. La Guyane a été retenue dans ce cadre, notamment pour la mise en place d'un référent parcours. Celui-ci a pour rôle d'accompagner au mieux des personnes repérées comme vulnérables lors de l'entretien précoce prénatal, lors de la maternité ou lors du retour au domicile. Il s'agit d'assurer la présence d'un professionnel pour que le lien d'attachement se noue au mieux, dès l'arrivée de l'enfant, pour que le parent, même en difficulté sociale, assume pleinement son rôle. On peut être un bon parent dans tout contexte social, mais ce lien est primordial. Il convient de trouver les ressources personnelles, d'accompagner la mère pour qu'elle soit capable d'élever son enfant, par des conseils d'ordre matériel, mais aussi par des jeux, des regards, des temps d'observation.

Ensuite, le staff médico-psychosocial correspond à un renforcement des moyens, notamment en termes de présence de personnels médicaux et paramédicaux au sein des maternités pour détecter des personnes en situation de fragilité. Certaines ne s'en aperçoivent pas elles-mêmes, mais leur retour à domicile pourra être très compliqué. Nous nous positionnons aussi dans la prévention avant la protection de l'enfance. Nous devons soutenir au plus fort, au plus vite, avant d'entrer dans des dispositifs relevant de la protection de l'enfance. Ces staffs se sont développés dans le cadre d'une expérimentation, mais nous souhaitons que chaque maternité puisse en bénéficier à terme. Ce repérage et ce dialogue entre professionnels, avec la PMI qui peut revenir à domicile lorsque des signaux ont été détectés, permettent d'assurer une meilleure prise en compte des difficultés parentales.

Ensuite, je ne dispose pas d'analyse sur la non-reconnaissance des enfants par leurs pères dans les outre-mer. Je pense que des études sociologiques ont été menées sur le sujet. Je verrai si nous avons des éléments à vous apporter. Sinon, nous y travaillerons collectivement. La place du père est à nos yeux un grand objet de la future stratégie des 1 000 jours. Elle a trop été oubliée dans la première feuille de route. Le congé paternité est un outil, mais pas seulement. Y compris en protection de l'enfance, la place des deux parents est importante. Nous devons être plus attentifs à la reconnaissance de la place du père auprès de l'enfant. Il sera aussi un soutien auprès de la mère en cas de séparation.

La Cnaf a développé de nombreux outils autour de la séparation et de l'accompagnement des familles dans ces moments.

Enfin, vous m'interrogiez sur l'IVG. Mes collègues de la santé ne sont pas présents ce matin, mais nous pourrons vous apporter des éléments sur le sujet, puisque la Direction générale de la santé a déployé un certain nombre de programmes en la matière.

M. Jean-Marc Bedon. - J'évoquais plus tôt différents parcours. Il s'agit de dispositifs construits dans le champ de l'action sociale, à la main du conseil d'administration de la Cnaf et des CAF, en concertation avec les services de l'État. Nous sommes ici positionnés dans le champ des aides légales. Nous définissons les périmètres. Ici, il est construit pour l'ensemble du réseau des CAF, y compris et a fortiori les cinq départements d'outre-mer. Nous prenons d'ailleurs attache avec les outre-mer dès que nous le pouvons. Le parcours « séparation », mis en place en 2021, a fait l'objet d'une phase d'expérimentation, associant la CAF de la Martinique. Le parcours « arrivée de l'enfant » sera déployé en fin d'année ou en début d'année prochaine. Il a lui aussi fait l'objet d'une phase d'expérimentation qui, cette fois-ci, a associé la CAF de La Réunion. Nous avons bien identifié des particularités. Nous avons tendance à construire depuis le niveau national vers le local, avec une prégnance de ce que l'on sait des besoins de 90 % des territoires. Parfois, malheureusement, nous allons trop vite, et oublions des particularités propres à des mécanismes ou des réalités sociales des outre-mer. Pour cette raison, lorsque nous menons des expérimentations, nous essayons dès que nous le pouvons d'inscrire d'emblée les territoires ultramarins de manière à ce qu'ils nous alertent si nous allons trop vite ou si nous oublions quelque chose. Nous faisons en sorte que le cadre national construit soit suffisamment inclusif, et qu'il prenne en compte les réalités sociales de ces territoires.

Ensuite, je n'ai pas de réponse particulière à apporter à l'intervention de Mme Pétrus, qui fait écho à la réalité. Je prends bien note de la demande d'amélioration et de construction de la communication vis-à-vis des institutions, des allocataires, des partenaires. S'agissant de ces derniers, les problématiques que vous posez existent chez vous, mais aussi en Seine-Saint-Denis, comme partout en France. L'utilisation par les parents des allocations familiales, et autres prestations familiales ou sociales qui leur sont versées, renvoie effectivement à la nécessité impérieuse d'avoir des associations relais à leurs côtés, des travailleurs sociaux. Vous pointiez les conseillères en économie sociale et familiale qui assurent un rôle sur la gestion budgétaire des familles. Malheureusement, je pense que sur certains territoires, ces corps intermédiaires, relais de l'information et de l'accompagnement des familles, ne sont pas suffisamment nombreux. Nous sommes confrontés à une pénurie de professionnels dans le domaine social en général.

Vous m'interrogiez ensuite concernant le contrat d'objectifs et de gestion. Depuis une petite vingtaine d'années, la Cnaf contractualise ses orientations et les moyens permettant de les mettre en oeuvre tous les cinq ans avec l'État. Nous venons de terminer la précédente convention, qui courait sur les années 2018 à 2022. Nous avons réalisé un travail avec l'ensemble de notre réseau pour dresser un bilan de cette période et construire les prochaines orientations, pour la période courant de 2023 à 2027. Nous sommes en négociation avec l'État sur tous nos champs d'intervention, d'actions sociales, de relations de service, d'outillage, de systèmes d'information, de prestations et de fonctionnement de notre réseau.

Nous avons, dans le cadre de cette discussion avec l'État, une fiche spécifique dédiée aux outre-mer. Loin de nous le souhait d'extraire ces territoires du réseau national, mais il nous a semblé nécessaire de mettre en lumière des conditions et des contextes un peu particuliers, et des actions particulières, elles aussi, en termes de vigilance et de renforcement de la caisse nationale vis-à-vis des outre-mer.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Comment les acteurs institutionnels prennent-ils en compte l'adoption coutumière, fréquente dans certains territoires tels que la Polynésie ou les sociétés kanak ? Comment gérez-vous la parentalité dans ce cadre exceptionnel ?

Mme Anne Morvan-Paris. - Ces sujets sont délicats, au regard des textes en vigueur dans l'Hexagone sur l'adoption. La façon dont on conçoit l'adoption est en pleine évolution. Un Conseil national de l'adoption a été mis en place récemment. L'État pourra lui soumettre un certain nombre de décrets déclinant la loi de février 2022, qui a revu un certain nombre d'éléments. L'une de nos questions concerne l'application d'une coutume en Polynésie, qui ne relève pas du champ de l'adoption, et qui ne peut pas être reconnue. Elle pose de réelles questions de filiation et de droits pour l'enfant. Je propose de vous répondre à cette question par écrit, de façon aussi précise que possible.

En termes de réseau de formation, on apprend de l'outre-mer la manière dont la famille et l'entourage familial peuvent être un soutien pour l'enfant. Dans le cadre de la loi de protection de l'enfance, on se rend compte que l'entourage de l'enfant dans l'Hexagone - les figures d'attachement autres que les parents - n'est pas regardé, contrairement aux outre-mer. Au sein de ces territoires, il est possible de concevoir la famille de manière élargie. Nous ne devons pas remettre en cause ce modèle en nous appuyant sur un regard uniquement hexagonal, mais nous devons tout de même nous attacher aux droits qui en découlent pour l'enfant et la famille.

Mme Annick Billon, présidente de la délégation aux droits des femmes, co-rapporteure. - Lorsqu'on gagne des droits pour les femmes, on les gagne pour la société, pour les hommes comme pour les femmes. Je suis persuadée que les travaux que nous menons avec la délégation aux outre-mer nous permettront de flécher de bonnes pratiques et expérimentations, qui pourront être dupliquées. Comme le soulignait M. Bedon, des difficultés pointées par Mme Pétrus, sénatrice de Saint-Martin, peuvent également être observées dans d'autres territoires.

Je vous remercie sincèrement pour la précision de vos réponses. Vous pouvez nous adresser des compléments par écrit avant le 12 juin, si cela est possible, pour que nous les intégrions dans notre rapport et dans nos préconisations. J'excuse nos rapporteures Elsa Schalck et Victoire Jasmin, absentes ce matin pour raisons médicales.

M. Stéphane Artano, président de la délégation sénatoriale aux outre-mer, co-rapporteur. - Merci Annick, merci à tous pour la qualité de cette audition et pour les apports dont vous nous avez fait part. La matière est en mouvement au niveau national, notamment dans le cadre du COG de la Cnaf. J'attends de voir de quelle manière l'adaptation de la feuille de route des 1 000 premiers jours aura lieu en outre-mer. Au sein de notre délégation, et au sein du Sénat, je le crois, nous plaidons pour une différenciation de mise en oeuvre des politiques sur chacun de nos territoires pour tenir compte de leur sociologie et de leurs contextes économiques et sociaux. N'hésitez pas à nous faire part de vos remarques et compléments que vous jugeriez utiles. Merci à tous pour votre présence et votre participation active.

Jeudi 8 juin 2023

- Présidence de Mme Vivette Lopez, vice-président -

Foncier agricole dans les outre-mer - Table ronde avec les ministères et l'ONF

Mme Vivette Lopez, président, rapporteur. - Mesdames, Messieurs, chers collègues, nous poursuivons nos travaux dans le cadre de notre étude sur le foncier agricole outre-mer dont j'ai l'honneur d'être rapporteur, avec Thani Mohamed Soilihi qui nous rejoindra dans un instant.

Je souhaite d'abord la bienvenue à nos invités et les remercie de leur présence. Je salue également le Président Stéphane Artano qui nous suit en visioconférence depuis Saint-Pierre-et-Miquelon et souhaite vous adresser un mot de bienvenue.

M. Stéphane Artano, président. - Je suis très heureux de vous retrouver. Je remercie nos invités pour leur présence et en particulier Arnaud Martrenchar, que nous entendons pour la seconde fois. Le sujet le mérite.

L'étude sur le foncier disponible, lancée début mars 2023, touche quasiment à sa fin, puisque l'examen du rapport est fixé par notre délégation au 28 juin prochain. Il est heureux que les représentants des services ministériels et de l'Office national des forêts (ONF), dont il a beaucoup été question, puissent répondre aux interrogations de nos rapporteurs sur ce sujet qui reste complexe.

Comme vous avez pu le constater au travers du questionnaire de nos rapporteurs, nos interrogations sont nombreuses et couvrent de nombreux sujets qui ont trait à la réglementation et à son application effective. Le temps va nous manquer pour aborder l'ensemble des territoires ultramarins mais la moisson sur les départements et régions d'outre-mer (DROM) est déjà fort riche, si vous me permettez cette expression.

Nous entendrons le 20 juin prochain le ministre de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire, M. Marc Fesneau. Les ministères concernés travaillent de concert, sur ce sujet sensible, dans le contexte du prochain CIOM (Comité Interministériel des Outre-mer), dont la date a été fixée au 6 juillet prochain. Il se réunira juste après la parution de notre rapport et nous espérons qu'au moins une partie des recommandations de nos rapporteurs y figureront. Le ministre Jean-François Carenco a d'ailleurs l'intention de réunir de nouveau les deux délégations, de l'Assemblée nationale et du Sénat, afin de faire un point sur les travaux du CIOM.

Je relève qu'il a beaucoup été question, au cours des auditions, de conflits d'usage, comme dans l'Hexagone, et de l'urbanisation qui s'étend. Se pose la question du renforcement de la défense des espaces boisés et naturels, sur des territoires qui sont exigus - en dehors de la Guyane. Les terres agricoles se trouvent prises en tenaille entre différents objectifs et leur protection constitue un combat à mener.

Des critiques ont porté aussi sur le manque de coordination des services de l'État et sur l'insuffisance du dialogue avec les autres acteurs dans les territoires. Nous ressentons ce besoin de concertation, de dialogue, ce qui pourrait conduire à plaider pour une sorte de guichet unique dans chaque territoire. Des efforts de simplification semblent en tout cas nécessaires dans les procédures, notamment pour ne pas décourager les jeunes agriculteurs de venir s'installer et ainsi favoriser le retour dans nos territoires. Nous sommes dans l'attente d'éclairages de votre part sur le bilan des commissions de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPENAF) et le rôle des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (Safer) dans les outre-mer : faut-il les réformer ? Si oui, sur quels points précisément cette réforme doit-elle porter ? Nous formons aussi des espoirs sur les prochains Pacte et loi d'orientation et d'avenir agricoles (PLOA). Il ne faudra évidemment pas oublier les outre-mer dans les concertations à conduire, car nous faisons face à une situation d'urgence pour l'avenir de l'agriculture dans les territoires ultramarins d'une manière générale.

Je vous souhaite de bons travaux, que je suivrai avec beaucoup d'intérêt, en étant connecté à distance.

Mme Vivette Lopez, président, rapporteur. - Merci Monsieur le Président. Nous recevons donc ce matin :

- M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, représentant les ministères des outre-mer et de l'agriculture ;

- M. Christophe Suchel, adjoint au sous-directeur, sous-direction de l'aménagement durable, direction de l'habitat, de l'urbanisme et des paysages (DHUP) du ministère de la transition écologique ;

- M. Jean-Yves Caullet, président du conseil d'administration de l'Office national des forêts (ONF), accompagné de Mme Nathalie Barbe, directrice des relations institutionnelles, de l'outre-mer et de la Corse de l'ONF.

M. Arnaud Martrenchar, c'est la seconde fois que nous avons le plaisir de vous accueillir puisque vous étiez venu le 6 avril dernier avec le directeur de l'Office de développement de l'économie agricole d'outre-mer (ODEADOM), M. Jacques Andrieu. Vous êtes cette fois-ci doublement mandaté par les ministères que j'ai cités et nous sommes heureux que vous puissiez nous apporter de nouveaux éclairages à ce stade de notre réflexion.

M. Christophe Suchel, nous avons été très frappés, lors de notre déplacement en Martinique, par l'importance croissante de la problématique de l'eau et de la demande d'irrigation pour l'agriculture. Nous attendons avec intérêt vos éclairages sur les moyens mobilisables et les investissements possibles dans ces territoires confrontés à l'urgence climatique.

M. Jean-Yves Caullet et M. Nathalie Barbe, force est de reconnaître que, lors de chacun de nos rendez-vous pendant notre déplacement, le rôle de l'ONF a été évoqué, à la fois comme protecteur des espaces dont il a la charge, mais aussi comme élément bloquant pour l'extension ou la remise en culture de certains terrains à vocation agricole. Nous serons heureux de vous entendre sur ces difficultés.

Nous allons vous donner la parole, dans l'ordre que je viens d'énoncer, pour une dizaine de minutes chacun pour votre propos liminaire. Une trame de questions vous a été adressée et vous pourrez vous en inspirer pour la partie correspondant à vos missions.

M. Arnaud Martrenchar, délégué interministériel à la transformation agricole des outre-mer, représentant les ministères des outre-mer et de l'agriculture. - Le foncier agricole constitue une priorité pour les ministères de l'agriculture et de l'outre-mer. Il a fait l'objet d'une impulsion politique au plus haut niveau : le Président de la République a souhaité que l'on avance, autant que faire se peut, vers l'autonomie alimentaire. Des comités de transformation agricole se sont tenus en 2020, 2021 et 2022. En 2023, les ministres de l'agriculture, des outre-mer, de la santé et de la mer ont écrit aux préfets pour leur demander de constituer des plans de souveraineté alimentaire, pour chacun des territoires, adossés à des objectifs. Ceux-ci, pour les plus parlants, c'est-à-dire les taux de couverture dans chacun des territoires, pour chacune des grandes filières, seront publiés dans le cadre des « politiques prioritaires du Gouvernement » intitulées « accompagner le développement des territoires ultramarins ». Ces politiques sont divisées en chantiers et l'un d'entre eux vise à déployer les plans de souveraineté alimentaire dans les territoires. Les taux de couverture seront donc publiés dans un outil public appelé « PILOTE » à partir des données que nous ont transmises les préfets.

Nous avons reçu tous les plans de souveraineté. Ils ont été bâtis avec l'ensemble des acteurs locaux, notamment la collectivité qui gère le FEADER, mais aussi les représentants du monde agricole dans les chambres d'agriculture, les syndicats agricoles ou encore les représentants des grandes filières. Ces plans de souveraineté ont ainsi permis de définir des objectifs.

La surface agricole utile (SAU), qui est la base de la souveraineté alimentaire, diminue, comme le montrent les statistiques. Nous savons que ce phénomène n'est pas spécifique aux outre-mer : la SAU baisse partout dans l'Hexagone, sauf en Guyane. Nous nous efforçons de mettre en place des dispositifs afin de freiner cette diminution de la SAU. Nous essayons aussi d'estimer les besoins. Chaque territoire a établi des trajectoires qui leur ont semblé réalistes en vue de l'autonomie alimentaire. Pour les céréales, cette ambition ne peut raisonnablement être définie comme objectif à l'horizon 2030. Dans les filières animales, nous n'atteindrons pas non plus l'autonomie alimentaire. Même si nous avons progressé quant aux taux de couverture, nous restons dépendants, du moins pour les filières « porc » et « volaille », d'une alimentation qui représente 60 % à 80 % du coût de production de ces filières. Or, cette alimentation ne vient pas du territoire : elle vient de l'Hexagone. C'est donc une souveraineté un peu particulière. Lorsque nous avons voulu estimer les besoins en surface pour essayer d'atteindre les objectifs fixés, des données ont été publiées par le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD). Le rapport de M. Olivier Damaisin fixe des surfaces, lesquelles vont de quelques centaines d'hectares, pour les fruits et légumes, à des besoins plus importants pour la filière bovine puisqu'il peut y avoir des besoins en pâturage de plusieurs milliers d'hectares. On estime en tout cas que les besoins sont compatibles avec le disponible. En Guadeloupe, par exemple, sur une surface de 31 000 hectares, la filière végétale aurait des besoins de 300 hectares. La Guyane, sur 36 000 hectares de SAU, aurait besoin de 2 500 hectares. La Martinique a elle-même estimé ses besoins, à travers le rapport de la collectivité territoriale qui décrit sa stratégie de développement, à 1 000 hectares. À La Réunion, ce besoin estimé est de 500 hectares et il est, à Mayotte, de 140 hectares. Le disponible couvre largement ces besoins. Il faut travailler, en revanche, sur l'aménagement et la protection.

Nous savons qu'il existe différents outils de protection. L'outil le plus sensible est constitué par les CDPENAF. Comme vous le savez, contrairement à ce qui prévaut pour l'Hexagone, les avis, pour les CDPENAF outre-mer, sont conformes. Le ministère défend le maintien d'un avis conforme, car on estime que sa suppression nous conduirait vers un émiettement du foncier agricole. Les maires ne partagent pas cet avis. Ils ont déjà très clairement fait savoir, notamment au Président de la République, en février 2019, plus récemment auprès du ministre délégué chargé des outre-mer Jean-François Carenco, qu'un avis simple devrait suffire. Il n'y a pas de raison, à leurs yeux, de les déposséder de ce pouvoir de décision outre-mer et ils se jugent aussi capables que les maires de l'Hexagone de décider de ce qu'il faut protéger. C'est un sujet législatif qui sera débattu au Parlement, puisque le projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles sera discuté à l'automne.

Les Safer constituent un autre instrument de préservation du foncier. Si c'est principalement une prestation d'aménagement qui est attendue de ces acteurs, ils ont aussi un rôle de protection à travers le droit de préemption. Les Safer disposant d'un argument peuvent ainsi s'opposer à la vente de terres agricoles si elles estiment qu'il en résulterait une perte de capacités d'exploitation agricole ou si le prix ne correspond pas au prix du marché. Les Safer (qui sont des sociétés anonymes) fonctionnent dans l'Hexagone, sur le principe de leur équilibre financier dans la mesure où elles se rémunèrent sur le marché du foncier, un peu comme les agences immobilières. Or, la situation est différente dans les outre-mer, où le foncier est beaucoup moins abondant. La Fédération nationale des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural (FNSafer) produit des études qui montrent que le modèle de fonctionnement à l'équilibre qui prévaut dans l'Hexagone n'est pas transposable en outre-mer. Les Safer d'outre-mer disposent aujourd'hui d'une dotation du ministère de l'agriculture. Son montant varie tous les ans. Cette enveloppe est affectée aux Safer d'outre-mer et à la Corse afin de les aider à préserver leur équilibre.

À Mayotte, il n'existe pas de Safer mais un établissements public foncier (EPF) dispose depuis deux ans de l'agrément Safer et met en oeuvre le droit de préemption. Il bénéficie, à ce titre, de l'enveloppe nationale allouée aux Safer. Il existe une particularité en Guyane, où un établissement public foncier pouvait avoir, selon les textes, la compétence sur le foncier agricole. Il ne l'avait pas dans les faits, en l'absence d'un décret que le ministère de l'agriculture ne prenait pas, tenant compte de débats locaux et de la position de certains acteurs qui estimaient qu'un établissement public foncier ne pouvait pas suffisamment protéger le foncier agricole, ce qui a conduit à privilégier l'existence d'une Safer au niveau local. C'est ce que prévoient les accords de Guyane. Un groupement d'intérêt public a été constitué et une Safer a été créée. Une nouvelle présidente a été élue récemment. Elle a rencontré le ministère de l'agriculture ces derniers jours pour demander qu'il subventionne la Safer durant ses premières années de fonctionnement, tout en proposant qu'ensuite, la Safer exerce une prestation d'aménagement foncier rémunérée, ce qui lui permettrait de ne pas dépendre indéfiniment des subventions publiques. Elle souhaite être subventionnée pour moitié par l'État et pour moitié par la collectivité territoriale de Guyane. Nous lui avons indiqué que l'on pouvait envisager un soutien initial au démarrage mais que nous avions besoin de disposer du programme pluriannuel d'activité de la Safer (document obligatoire dans le cadre de la procédure d'agrément des Safer), dont nous ne disposons pas pour le moment, afin de savoir ce qu'il est prévu de faire avec les subventions que le ministère pourrait attribuer.

Un autre sujet revient régulièrement dans le débat : comment améliorer le financement des Safer ? La taxe spéciale d'équipement est évoquée de façon récurrente depuis plusieurs années. Cette taxe est attribuée aujourd'hui aux établissements publics fonciers. Un plafond est fixé par les textes à hauteur de 20 euros par habitant et par an. Dans certains territoires, notamment la Guyane, ce plafond n'est pas atteint et des débats ont lieu chaque année, considérant qu'il serait possible d'augmenter le montant de cette taxe de 2 euros, par exemple, pour affecter le produit de cette taxe au fonctionnement des Safer. Ce sujet sera discuté dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances par le Parlement. Nous voyons bien le bénéfice que pourraient retirer les Safer d'une taxe affectée. Ce principe poserait toutefois deux difficultés. D'une part, il s'agirait d'une taxe supplémentaire qui pèserait sur le citoyen. D'autre part, il n'est pas d'usage d'affecter des taxes à des sociétés anonymes. Elles sont plutôt affectées, le cas échéant, à des établissements publics. C'est le cas notamment pour les établissements publics fonciers.

Se pose aussi le problème des terres en friches et des terres incultes. Nous en avions discuté lors de ma dernière audition. J'ai vu qu'une audition était prévue avec les notaires sur ce sujet. Je ne sais pas si l'objectif initial - discuter avec eux des modifications législatives qu'il serait utile de rechercher afin d'améliorer la mise en culture des terres en friches et des terres sous statut d'indivision - a été atteint. Chaque territoire, dans le cadre de sa feuille de route territoriale vers la souveraineté alimentaire, a identifié le foncier comme un facteur limitant. Il leur est demandé d'actionner les procédures de mise en valeur des terres incultes. Elles existent aujourd'hui dans le code rural mais sont peut-être insuffisamment mises en oeuvre. Dans cette procédure, le propriétaire est mis en demeure. Si celui-ci n'obtempère pas, on peut aller jusqu'à un fermage obligatoire, décidé par le préfet. Souvent, le processus ne va pas jusqu'à cette décision. Je pense qu'il faut relancer ce sujet. Cela me semble assez important.

Les taux de couverture, dans les territoires, sont publics. Je vous transmettrai le lien permettant d'y accéder. Ils sont publiés par l'Observatoire de l'ODEADOM. Deux taux de couverture, calculés de deux manières distinctes, sont publiés tous les ans. Le numérateur est la production locale, que l'on peut mesurer. Le dénominateur est constitué par les besoins, c'est-à-dire la somme de la production locale et des importations. Tout dépend de ce que l'on inclut dans les importations : on peut ne comptabiliser, pour les viandes ou les produits alimentaires, par exemple, que les produits frais ou congelés mais on peut aussi y ajouter les produits transformés. Dans le premier cas, le taux de couverture est plus élevé que dans le second. Deux taux distincts sont ainsi établis, ce qui n'est pas propre à l'outre-mer. Dans le plan national de souveraineté « fruits et légumes », qui vient d'être publié pour l'ensemble du territoire national, apparaissent également deux taux de couverture, l'un pour les produits frais, l'autre pour les produits frais et transformés. Des objectifs de progression ont été définis pour ces différents taux.

En ce qui concerne les retraites, nous avons une difficulté : les retraites agricoles sont très faibles outre-mer, principalement parce que les agriculteurs n'ont pas de carrières complètes. Le principe qui prévaut désormais, selon lequel chaque retraite ne peut être inférieure à 85 % du Smic, ne peut s'appliquer que pour les carrières complètes. Une personne n'ayant pas suffisamment cotisé n'aura pas le bénéfice de cette disposition. En conséquence, certains exploitants restent à la tête de leur exploitation, ce qui empêche les jeunes de s'installer. Nous avons instauré, dans le cadre du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles, des concertations dans l'ensemble du territoire national, y compris en outre-mer. De nombreuses demandes nous sont remontées. Trois groupes de travail ont été constitués (orientation et formation, installation-transmission, adaptation au changement climatique). Le problème des retraites y revient régulièrement : il est demandé de verser une préretraite afin d'aider les agriculteurs en âge de prendre leur retraite à le faire. On demande aussi une évolution de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa). Ce sujet a déjà été débattu au Parlement, notamment au Sénat, en délégation, et à l'Assemblée nationale. Le sujet n'est pas spécifique aux outre-mer. Il se pose aussi dans l'Hexagone avec le problème du recouvrement : de nombreux agriculteurs hésitent à demander l'Aspa, car il reviendra ensuite à leurs descendants de rembourser. Il me semblerait cohérent que la maison d'habitation, dans les outre-mer, soit réputée attenante au bâtiment d'exploitation agricole et donc exclue du champ de recouvrement de l'Aspa, car l'histoire a été différente en outre-mer et dans l'Hexagone. Dans les faits, souvent, les maisons d'habitation ne sont pas attenantes, en outre-mer, aux bâtiments d'exploitation agricole et sont donc incluses dans le champ de recouvrement. Cela pourrait être modifié dans la loi. Cela permettrait aux agriculteurs de disposer d'un revenu décent et aux jeunes de s'installer, puisque l'Aspa représente plus de 900 euros par mois, ce qui favoriserait la souveraineté alimentaire. Ce débat doit également avoir lieu dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances.

Chaque plan de souveraineté alimentaire comporte un plan d'action sur le problème de l'eau agricole, afin de travailler avec le gestionnaire du réseau, chargé de son entretien. Des investissements d'un montant important sont généralement indispensables pour entretenir le réseau d'eau potable. Chacun connaît la situation de l'eau potable dans les territoires ultramarins et en particulier en Guadeloupe. Il existe des appuis publics, au travers du plan stratégique national (PSN) mais aussi au travers du plan de relance et de France 2030 : des guichets sont prévus afin de soutenir les équipements permettant de faire face aux aléas climatiques, dont fait partie la sécheresse. Il faut donc mobiliser ces instruments d'investissement. Le Président de la République a par ailleurs annoncé, le 30 mars dernier, le lancement du « plan eau » afin qu'une réflexion globale soit conduite sur les enjeux de l'eau (réseaux, sobriété, partage des usages) au sein de chaque territoire.

Mme Vivette Lopez, président, rapporteur. - M.  Christophe Suchel, vous avez la parole.

M. Christophe Suchel. - Comme vous le savez, le ministère de la transition écologique a mis en oeuvre une réforme importante, dite « zéro artificialisation nette ». Elle fait l'objet d'une proposition de loi qui a été votée par le Sénat et qui sera discutée à partir de la semaine prochaine à l'Assemblée nationale. Il s'agit d'une réforme très structurante qui a pour vocation de protéger les espaces naturels. Tous les territoires doivent s'engager dans cette trajectoire en vue de l'objectif de « zéro artificialisation nette » en 2050.

L'objectif principal est la protection des espaces naturels et agricoles. Cette réforme structurante va donc pleinement dans le sens de nos débats de ce jour.

Elle a un impact sur l'urbanisation, puisqu'elle restreint la capacité physique d'urbanisation. Il en découle un changement de paradigme quant à la manière de concevoir la ville. Il faut en particulier concevoir des formes urbaines plus denses, qui permettent de loger des activités et des habitants dans des territoires restreints.

Les établissements publics fonciers (EPF) sont à la manoeuvre pour devenir des opérateurs de cette réforme, et en particulier en vue d'intervenir, étant entendu que cette intervention ne peut se faire pratiquement qu'en renouvellement urbain - mode d'intervention beaucoup plus coûteux que la construction. Le ministère de la transition écologique n'est pas favorable, à ce stade, à ce que la taxe spéciale d'équipement soit disjointe de son objet actuel, à savoir le financement des EPF, car ceux-ci seront amenés à structurer leur activité autour d'opérations de plus en plus coûteuses. Nonobstant la question d'une taxation supplémentaire sur les habitants et les entreprises, nous nous attendons à ce que les concours des EPF augmentent, y compris sur le plan financier, afin de renouveler le tissu urbain dans le cadre d'opérations qui seront de plus en plus déficitaires. D'une certaine manière, cela contribue aussi à la préservation des espaces agricoles.

Vous avez évoqué l'intervention, en Guyane et à Mayotte, des établissements publics fonciers et d'aménagement (EPFA). Il s'agit de deux territoires particuliers et le Gouvernement a fait le choix, compte tenu des enjeux, de mobiliser un outil assez exceptionnel. Il est vrai que les enjeux d'aménagement sont particulièrement prégnants dans ces deux territoires, notamment à Mayotte, dont la population devrait connaître un quasi-doublement d'ici 2050. Des missions de Safer sont ainsi assurées aujourd'hui, à Mayotte, par l'EPFA de Mayotte (EPFAM). Celui-ci intervient pour l'aide à l'installation des agriculteurs et l'aménagement des parcelles agricoles. En Guyane a eu lieu le débat que vous avez évoqué. Il a conduit à la création d'une Safer. Une coopération s'est nouée entre l'État et la Safer, afin de travailler de concert sur ces questions de mise à disposition et de viabilisation de parcelles agricoles. Une convention a été signée par la FNSafer et l'État, et un projet de convention, organisant la coopération avec la Safer locale, a été examiné par le conseil d'administration de l'EPFAG (EPFA de Guyane). Ces deux établissements interviennent en particulier pour constituer des espaces agricoles dans les surfaces d'aménagement qui dépendent d'eux, ainsi que pour l'aide à l'agriculture durable et pour l'aide à l'installation des jeunes agriculteurs.

S'agissant du « plan eau », il existe effectivement une volonté. Des financements sont prévus pour l'aide à l'agriculture sobre, notamment en matière d'eau, ainsi que pour conduire la réflexion sur la modernisation des réseaux d'adduction et d'alimentation en eau. Ces aides viendront évidemment compléter le dispositif qui a été décrit sur l'eau. Il existe un enjeu national de tout premier plan, qui présente des spécificités en outre-mer autour du partage de la ressource. Les questions de ressources sont parfois moins prégnantes dans les territoires ultramarins que dans certaines régions métropolitaines comme le sud-est et le sud-ouest de l'Hexagone. Il faut, en revanche, prendre en charge les questions de pollution et les variabilités qui touchent la ressource du fait d'aléas climatiques pouvant représenter un risque différent suivant les territoires. Les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux (SDAGE) sont en cours sur les territoires ultramarins. Ils seront renforcés en vue de préserver la ressource agricole, de disposer d'une agriculture qui soit confortée et de subvenir, autant que possible, malgré les objectifs de sobriété, aux besoins économiques locaux.

M. Jean-Yves Caullet, président du conseil d'administration de l'Office national des forêts (ONF). - Je voudrais tout d'abord rappeler le rôle de l'ONF. Étant souvent sur le terrain au contact des habitants et porteurs de projets, nous sommes perçus comme le décisionnaire, ce qui n'est pas notre rôle. L'ONF gère la forêt publique et ce rôle de gestionnaire a un impact sur l'agriculture, car la forêt contribue à la protection des sols contre l'érosion, et dans une certaine mesure contre les remontées salines, qui sont nuisibles à l'agriculture. La forêt constitue aussi un élément très important de la ressource en eau. Le rôle de gestionnaire de la forêt publique n'est donc pas un rôle jaloux et égocentrique : nous l'exerçons en toute connaissance des aménités que fournit la gestion saine d'une forêt au regard des activités humaines, quelles qu'elles soient.

Concernant les questions que vous nous avez transmises, je voudrais souligner que nous n'intervenons que pour le compte de l'État, pour instruire des demandes de défrichement ou des procédures contre les défrichements illicites. Cette mission est financée par une mission d'intérêt général dotée de 1,5 million d'euros provenant du ministère de l'agriculture et de la souveraineté alimentaire. Cette activité d'instruction se développe, même si les surfaces concernées diminuent, ce qui tend à prouver que les gens savent qu'il faut initier des procédures et font appel à celles-ci, au lieu de se lancer dans le défrichement qui deviendra illicite. Il faut donc plutôt voir là une forme de progrès. À titre d'exemple, 500 visites préalables ont lieu en outre-mer chaque année pour pré-instruire ou instruire ce type de demande.

En ce qui concerne ce que vous avez appelé dans votre questionnaire « la taxe », il convient de rappeler que depuis la loi d'avenir pour l'agriculture, l'alimentation et la forêt (LAAAF) de 2014, une compensation est mise en oeuvre en cas de défrichement autorisé. Il n'y a plus de taxe à proprement parler. La compensation prend la forme d'un reboisement, d'un travail sylvicole, pour enrichir et améliorer l'état de la forêt, ou, lorsque ce n'est pas possible, d'un versement pécuniaire. Celui-ci n'est ni fixé ni perçu par l'ONF, même si souvent, dans l'interface de dialogue avec nos concitoyens, l'agent de l'Office est celui qui les informe en premier lieu. Ces recettes alimentent le fonds stratégique de la forêt et du bois, géré par l'État, et le montant de la compensation pécuniaire est également fixé par l'État, même si nos services émettent des propositions. Aux Antilles, par exemple, la compensation pécuniaire, lorsqu'on ne peut procéder autrement, est fixée à un euro par mètre carré, avec un coefficient multiplicateur pouvant aller jusqu'à cinq, lorsque l'on touche à des espaces classés ou extrêmement sensibles qu'il est très difficile de compenser. Il existe aux Antilles un minimum forfaitaire de mille euros. Je pense que cette décision a été prise par l'État pour dissuader le mitage par de nombreux petits défrichements qui finiraient par se mailler et in fine impacter davantage les surfaces.

Mme Vivette Lopez, président, rapporteur. - Si la personne défriche pour faire de l'agriculture, est-elle également sanctionnée ?

M. Jean-Yves Caullet. - Elle doit compenser également. Lorsqu'on change la nature forestière, quel que soit le projet (construction, agriculture, etc.), le principe fixé par la loi est celui de la compensation.

Mme Vivette Lopez, président, rapporteur. - Si vous êtes propriétaire de cette friche, c'est tout de même différent.

M. Jean-Yves Caullet. - Je ne parle pas de friches ici. Nous ne parlons que de forêts.

Si nous parlons d'un enfrichement qui n'est pas encore forestier, la situation est très difficile : on remet en culture un terrain qui a fait l'objet, par le passé, d'une exploitation agricole. Là aussi, la durée a été fixée par la LAAAF de 2014 à trente ans. Cela correspond à une révolution forestière très rapide : au terme de cette durée, on a un espace qui peut être considéré comme forestier. Si vous avez laissé votre terrain en friche durant plus de trente ans, il est difficile d'expliquer que vous avez un besoin urgent et vital d'exploitation agricole. Cela redevient un défrichement.

Entre-temps, il est possible de remettre la surface en culture. Je constate que jusqu'à présent, l'ONF n'a pas reçu ce type de demande en outre-mer. Il y a des raisons opérationnelles à cela : un terrain abandonné outre-mer est très rapidement colonisé par des espèces, notamment invasives. La question d'un défrichement ne se pose donc pas, puisqu'en principe, on souhaite les éliminer. Il appartiendrait de toute façon au propriétaire, selon la loi, de démontrer qu'il y a moins de trente ans, sa parcelle était agricole, ce qui n'est pas toujours évident. Il existe généralement suffisamment de photos et de témoignages pouvant en attester. Pour l'instant, nous ne sommes pas confrontés de façon massive à ce type de problématique. Cela reste intéressant, car une friche est négative : elle ne se constitue pas en forêt à protéger pour le futur, mais une zone de colonie pour des espèces qu'on aimerait voir moins présentes. Nous n'avons pas intérêt, dès lors, sur le plan technique, à voir des friches protégées continuer de proliférer, et avec elles des espèces invasives. Nous préférons une belle forêt et une belle agriculture, dans le cadre d'un aménagement du territoire bien pensé et bien équilibré, à une sorte de laisser-aller.

Vous avez posé, à propos des terrains pollués par la chlordécone, la question de l'échange foncier, qui est très importante. Je vais tenter de vous répondre sans donner l'impression de botter en touche. Pour le moment, la manière dont la forêt pourrait participer à la dépollution n'est pas totalement établie. On sait qu'un espace forestier protège d'autres utilisations du sol qui pourraient présenter des inconvénients. L'échange constitue cependant une autre question : il voudrait dire que l'on autoriserait des défrichements, en prévoyant une sorte de compensation à l'envers. Pour l'heure, la loi ne le prévoit pas. Le fait de planter une forêt ne vous autorise pas à défricher. Cela fonctionne en sens inverse : le fait de défricher vous oblige à replanter. Nous ne pouvons donc pas vous dire que ce serait une bonne idée, car la loi ne le prévoit pas. Si l'on établit que la forêt accélère la dépollution, ce sera effectivement un sujet à travailler, car nous parlons de territoires limités en surface. Ce mode de traitement des surfaces polluées devra être conçu, dès lors qu'il sera bien établi sur le plan technique et que ses performances seront reconnues.

L'ONF n'est pas membre, outre-mer, des CDPENAF. Nous y sommes parfois associés avec voix consultative, sans en être membres. Lorsque nous sommes consultés, nous donnons notre avis dans l'esprit de ce que j'indiquais, c'est-à-dire un souci de protection de la forêt eu égard aux aménités sociales et environnementales qu'elle fournit de manière importante.

Je n'exprimerai pas d'avis quant au caractère conforme des avis des CDPENAF outre-mer, par comparaison avec les dispositions qui s'appliquent dans l'Hexagone. Je partage l'analyse selon laquelle le foncier étant un enjeu beaucoup plus contraint outre-mer, il paraît logique que les moyens de défense des terrains agricoles soient un peu plus fermes. J'exprime cet avis hors de mes compétences et au vu des échanges qui ont eu lieu tout à l'heure.

Pour l'agroforesterie, l'ONF délivre les autorisations. Nous pensons que c'est intéressant pour la qualité de la production et pour la reconnaissance de sa qualité environnementale. De plus, cela permet de rompre la frontière entre agriculture et forêt. L'agriculteur voit toujours la forêt comme la frontière d'un espace éventuellement à conquérir et le forestier voit l'agriculture comme une activité susceptible de grignoter le territoire forestier dont il est chargé de la protection. L'agroforesterie permet de faire comprendre l'intérêt mutuel des deux occupations de l'espace et l'ONF instruit les demandes d'autorisation à ce titre. Je laisserai Nathalie Barbe préciser les choses car les différences sont très importantes selon les territoires. À Mayotte, par exemple, où la déforestation constitue un problème majeur, qui a des conséquences très prégnantes sur l'eau, il vaut mieux avoir des agriculteurs qui protègent le couvert forestier (qui leur est bénéfique), plutôt que de laisser une frontière un peu sauvage s'installer entre des agriculteurs qui défrichent et une forêt qui dépérit.

Il reste le problème de la mise en concurrence. L'autorisation donnée à une personne de pratiquer une activité privée est valable pour une certaine durée. Il faut déterminer si, au terme de cette période, l'autorisation doit être renouvelée ou si une autre personne peut faire la même demande. Nous devons gérer cette interface, ce qui n'est pas toujours simple. Les redevances d'occupation sont modestes et attribuer un lot à quelqu'un au motif qu'il rapportera un peu plus que son prédécesseur n'est pas forcément pertinent. En outre, pour l'ONF, ce n'est pas une ressource financière. Il nous importe surtout que le travail soit bien fait, et non que l'on touche quelques euros de plus par hectare en agroforesterie.

Cette question se gère souvent par du maintien en gré à gré, ce qui peut apparaître comme une limite du point de vue de l'installation de jeunes agriculteurs. Nous intervenons avec un cahier des charges relativement détaillé, ce qui permet de rechercher de manière synergique une qualité forestière et agricole.

Enfin, je voudrais évoquer le projet de règlement proposé par la Commission européenne pour lutter contre la déforestation et la dégradation forestière. Vous connaissez ce schéma qui explicite l'effet de cliquet existant. Tout ce qui est forestier doit rester forestier, avec des systèmes de compensation éventuels. La forêt primaire ne peut être transformée en forêt plantée ou cultivée. C'est une sorte de dispositif de poupées russes restrictives. Les forêts de plantation ne peuvent être défrichées. Cette directive va donc renforcer encore la protection des espaces forestiers. Nous vous remettrons une note qui détaille certains chiffres et certains points de vue, territoire par territoire.

Mme Nathalie Barbe, directrice des relations institutionnelles, de l'outre-mer et de la Corse de l'ONF. - Je vais apporter deux ou trois éléments de complément concernant l'agroforesterie. Pour l'ONF, il s'agit d'une production agricole sous couvert forestier. Il ne s'agit pas de maintenir quelques arbres pour réaliser une production agricole dans la parcelle forestière. C'est malheureusement ce que nous voyons à Mayotte, où ont lieu des occupations illégales pour faire de l'agriculture au sein de la forêt publique, ce qui a des conséquences. On a tant supprimé de forêts pour y faire de l'agriculture illégale, à Mayotte, que nous sommes confrontés à un problème de disponibilité en eau, sur cette île, particulièrement en 2023, au point de remettre en cause l'agriculture en zone légale. On se retrouve avec de l'agriculture et deux ou trois arbres au milieu. Nous ne pouvons laisser faire cela, eu égard à nos missions. Lorsque l'on crée des lots susceptibles d'accueillir de l'agroforesterie, on définit un cahier des charges précisant l'état de la forêt au début de la concession d'agroforesterie, ainsi que les itinéraires techniques pouvant être mis en place par l'agriculteur (en prévoyant par exemple l'absence d'usage de produits phytosanitaires et l'absence de tassement des sols). Chaque année, des contrôles sont menés afin de vérifier que le peuplement en place est toujours présent à l'issue de la concession d'occupation temporaire.

Effectivement, le règlement de lutte contre la déforestation et contre la dégradation des forêts aura des conséquences non négligeables pour les territoires ultramarins. L'objectif de la Commission européenne est d'interdire au sein de l'Union ce que celle-ci ne souhaite pas voir proliférer dans d'autres pays, en particulier les pays producteurs d'huile de palme, de canne ou de boeuf, où existent de très importants fronts pionniers de déforestation. Ces règles devront s'appliquer dans les territoires ultramarins et, compte tenu de la part encore importante de forêt primaire qui existe dans ces territoires, des conséquences se ressentiront sur les produits élaborés après déforestation. Cela va donc redonner de la force à l'ensemble du dispositif mis en place (demandes d'autorisation de défrichement, compensations, etc.).

Le président Jean-Yves Caullet a souligné que la situation variait grandement d'un territoire à un autre. À La Réunion, la vanille Bourbon, bénéficiant d'une appellation d'origine, a davantage d'antériorité que des concessions d'occupation temporaire pour agroforesterie et production de vanille. Des ruchers sont également installés en forêt, ce qui n'a aucune conséquence sur le peuplement forestier. En Guadeloupe, une démarche est en train de prendre de l'ampleur, à travers trois productions principales : vanille, café et cacao. Ces deux dernières productions entrent dans le périmètre du règlement de lutte contre la déforestation et la dégradation. En Martinique, cela a démarré plus tardivement mais il y a énormément de demandes. Comme il s'agit à nos yeux d'une production sous couvert forestier, cela nécessite, pour l'ONF, d'identifier les parcelles forestières dont le couvert permet d'accueillir une activité agricole. Nous sommes en train d'identifier les lots et allons les mettre en concurrence.

Nous sommes tout à fait conscients que, dans le cas d'une concession pour une production de cacao, par exemple, il n'est pas question d'arrêter immédiatement la concession, puisque le plan produit au bout de cinq ans : l'agriculteur doit bénéficier d'un retour sur investissement pour son activité. Nous ne pouvons néanmoins nous engager au-delà de dix-huit ans, sauf à soumettre ces concessions à l'avis du propriétaire dont le représentant est le ministère de l'agriculture.

Mme Marie-Laure Phinéra-Horth. - À mon avis, l'accès au foncier passe aussi par la possibilité de profiter de nos territoires. L'utilisation d'engins motorisés, dans le domaine forestier, est bien entendu strictement réglementée. En Guyane, les pistes forestières permettent aux chasseurs et aux promeneurs d'accéder à notre territoire. Elles sont pourtant strictement interdites. Un consensus pourrait-il voir le jour avec l'ONF afin de mettre en place des accès réglementés ?

L'État et certaines communes ont accepté d'installer des agriculteurs le long des pistes forestières. Aujourd'hui, en raison de la fin de l'activité forestière, ces pistes ne sont plus entretenues. Les agriculteurs éprouvent le plus grand mal à maintenir leurs activités. Le rapport de M. Olivier Damaisin, rendu il y a quelques semaines, plaide bien pour une amélioration des conditions d'exercice des professions agricoles. Je connais les difficultés administratives autour des anciennes pistes forestières. Qu'attendez-vous pour lancer un état des lieux ? Je rappelle que ces conditions ont poussé deux agriculteurs à mettre fin à leurs jours.

Mme Nathalie Barbe. - En 2022, des discussions ont été entamées avec les chasseurs, afin de préciser les conditions dans lesquelles ils peuvent avoir accès aux pistes. À ma connaissance, ce problème est résolu. Arnaud Martrenchar a insisté tout à l'heure sur la souveraineté alimentaire de ces territoires. Nous sommes conscients que la chasse constitue l'un des leviers permettant d'atteindre cet objectif. À moins qu'il existe une piste forestière pour laquelle subsisterait un problème particulier, le travail a été fait, dans ce domaine, après la crise Covid.

Vous avez posé la question de l'entretien des pistes. En Guyane, il existe deux routes nationales et l'infrastructure d'accès aux 8 millions d'hectares de surfaces (dont 6 millions d'hectares gérés par l'ONF) repose sur les pistes forestières. Celles-ci constituent un préalable pour désigner les bois exploités dans cette forêt primaire. L'investissement, au sens de la création des pistes, est financé entièrement par les fonds FEADER jusqu'au 1er janvier 2023. Nous sommes en train de mettre en application le plan stratégique national (PSN). Nous avions donc les ressources nécessaires pour créer les pistes. Ces deux dernières années ont prévalu des conditions météorologiques très difficiles, avec énormément de précipitations. De ce fait, et compte tenu de la topographie et de la conception de ces pistes, des travaux d'entretien très importants sont indispensables. Or, ces travaux ne font pas l'objet de subventions. L'ONF doit assurer ce financement et il faut parvenir à équilibrer le modèle, du point de vue économique, entre l'entretien nécessaire pour des kilomètres de pistes, d'une part, et la ressource en bois qui sera extraite de ces massifs, d'autre part.

Dans le cas du massif de Balata, par exemple, qui est l'un des plus anciens, lorsqu'aura lieu une vidange totale de ce qui est permis par l'aménagement forestier de ce massif, la piste sera fermée au sens de l'ONF, sauf si la collectivité et l'État décident de changer le statut de piste forestière. Des discussions sont en cours du fait de la présence de seulement deux routes nationales et de la nécessité de pouvoir accéder à l'intérieur du territoire, ce qui peut conduire certains acteurs à proposer un changement du statut de piste de certains itinéraires. Tant qu'il s'agit d'une piste forestière, si nous n'avons plus de grumes à exploiter dans ces forêts, nous serons obligés de fermer la piste. Nous avons conscience des difficultés que cela pose, dans la mesure où ces pistes donnent également accès à l'intérieur du territoire pour l'orpaillage légal, par exemple. Il existe des charges roulantes très importantes. Pour l'instant, l'entretien est pris en charge par l'ONF. Le sujet est sur la table depuis des années. Nous le poussons car nous sommes dans un contexte où nous n'aurons plus de vidange à effectuer. Plus nous avançons dans le temps, plus l'acuité de ce sujet sera grande.

Mme Marie-Laure Phinéra-Horth. - De nombreux jeunes agriculteurs sont installés de part et d'autre des pistes forestières. Comme vous l'avez dit, la Guyane connaît une pluviométrie particulière. De ce fait, leurs véhicules sont rapidement abîmés. Nous avons eu une discussion avec le préfet afin de savoir qui pouvait les aider. Bien souvent, ils abandonnent car ils n'en peuvent plus. Ils sont très loin de la route nationale. Les enfants sont scolarisés et il faut les réveiller à 4 heures du matin pour faire la route, en leur donnant leur petit-déjeuner sur le bord de la route en attendant le bus. Bien souvent, les agriculteurs cessent leur activité, lorsqu'ils ne mettent pas fin à leurs jours.

Mme Nathalie Barbe. - Nous avons conscience de ces spécificités qui constituent aussi l'une des difficultés du modèle économique de l'ONF en Guyane. Dans l'Hexagone, le schéma de desserte a été réalisé depuis des années et le volume de bois mis en vente chaque année équilibre les charges. Du fait du climat, la dégradation des pistes est aussi bien moindre, d'autant plus que les pistes de l'Hexagone ne sont quasiment utilisées que par l'ONF ou par les usagers de loisirs. En Guyane, le problème se pose dans des termes très différents et nous avons pleinement conscience des distances que cela représente pour les populations vivant dans ces territoires.

M. Jean-Yves Caullet. - Nous connaissons parfois ce type de problème dans les zones périurbaines de l'Hexagone, où les pistes forestières ont fini par représenter des itinéraires intéressants de délestage ou de raccourci. L'usage augmentant, la dégradation de ces pistes augmente aussi. L'Office considère que l'entretien d'itinéraires routiers du quotidien, pour la population, ne lui incombe pas. Lorsque c'est trop dangereux, du fait d'ornières par exemple, nous sommes parfois amenés à fermer la piste à l'usager, qui avait l'habitude de l'utiliser depuis dix ou quinze ans. Si une infrastructure doit être entretenue en application d'un modèle économique qui ne le permet pas, elle se dégradera. Si l'on en a besoin, il faut trouver la solution pour que l'infrastructure considérée rende l'usage qu'on attend d'elle. En outre, l'absence d'entretien régulier fait diminuer une part de l'investissement. Une réfection de piste peut ensuite s'avérer nécessaire, ce qui est encore plus coûteux.

Mme Nathalie Barbe. - Le problème de la Guyane réside dans le fait qu'il n'y a pas d'alternative.

M. Arnaud Martrenchar. - Le problème des pistes est important et bien identifié. Nous vous avons communiqué, en toute transparence, le rapport de M. Olivier Damaisin. Le problème a bien été décrit par M. Jean-Yves Caullet et par Mme Nathalie Barbe : qui doit payer l'entretien des pistes ? Dans de tels cas, chacun se tourne naturellement vers l'État, estimant que la prise en charge de l'entretien des pistes doit lui revenir. La discussion qui a eu lieu avec les maires a souligné le coût du premier travail à réaliser, la réfection de la piste, lorsque celle-ci est très dégradée. Les maires se sont dits prêts à prendre en charge cette première étape des travaux, pourvu que la piste soit d'abord remise à niveau, de façon à ce qu'un travail d'entretien beaucoup plus léger leur échoie, au lieu de devoir la refaire intégralement. Il existe aussi une différence entre une piste publique et une piste privée : le niveau de sécurité exigé diffère dans les deux cas, ce qui influe sur le coût de réfection. Nous avons initié un travail avec la préfecture et ce sujet, qui n'est pas simple, sera évoqué prochainement lors d'une réunion au niveau régional dans un cadre interministériel. Nous associerons bien sûr les parlementaires, car cela contribue effectivement à l'isolement des agriculteurs. Souvent, ils se trouvent dans des zones blanches, privées de téléphone et d'internet, ce qui contribue au développement d'un sentiment de solitude et d'insécurité. Il pleut très fréquemment, à la différence de l'Hexagone, et cela pose problème puisque les travaux ne peuvent être réalisés lorsqu'il pleut.

M. Jean-Yves Caullet. - Nous avons d'ailleurs repoussé certains travaux pendant deux ans.

Mme Nathalie Barbe. - L'ONF crée environ 40 kilomètres par an de pistes forestières en Guyane et il y a 400 kilomètres de pistes forestières à entretenir.

Mme Vivette Lopez, président, rapporteur. - J'ai aussi quelques questions concernant un désordre foncier. Un rapport de décembre 2022 a pointé un désordre foncier, au vu de l'ampleur des indivisions. C'est le cas par exemple en Martinique, où près de 40 % du foncier se trouve perturbé par l'indivision. Des problèmes sont notamment liés au titrement du passé : certains propriétaires ne cèdent pas leur parcelle parce qu'ils n'en sont pas officiellement propriétaires, aucun acte officiel n'ayant été réalisé, ou du fait de l'absence de cadastre. De grandes complications en découlent. Le manque de professionnels (notaires, géomètres, etc.) constitue une autre difficulté. Il semblerait en particulier que la présence et la disponibilité des notaires, dans ces territoires, soient très limitées.

À cela s'ajoutent un nombre considérable de constructions sans permis et un manque de police pour sanctionner ces situations, ainsi que la multiplication de situations d'occupation illégale. Il semble que certains ne veuillent pas entendre parler du fermage, la personne occupant le terrain cessant de payer le loyer au bout d'un certain temps, considérant qu'elle est chez elle. Les imperfections du cadastre ont aussi pu conduire à des situations d'occupation - remontant parfois à un passé lointain - dont l'irrégularité n'a jamais été signifiée aux personnes concernées. Cela pose également problème. Nous avons cru comprendre qu'en Martinique, de telles situations concernaient environ 12 000 personnes. Quel bilan dressez-vous de la loi Letchimy et sur quels points précis pourrait-elle être perfectionnée afin de réduire l'indivision successorale ?

Le prochain projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles comportera-t-il un volet dédié aux outre-mer et, si oui, sur quels points particuliers portera-t-il ?

Je sais qu'un point est cher à mon collègue Thani Mohamed Soilihi, puisqu'il soulève cette question lors de chaque audition : pour faciliter les transmissions d'exploitations, un dispositif de fonds agricole (à l'image des fonds de commerce) existe-t-il ou pourrait-il être pertinent ?

M. Arnaud Martrenchar. - Nous savons très bien que la nature ayant horreur du vide, chaque fois que les commissions d'attribution foncière prennent trop de temps, des installations illégales ont lieu. C'est surtout vrai en Guyane, où l'on disait, à un moment donné, que chaque jour, trois logements se construisent, un légal et deux illégaux. Je ne sais pas si c'est toujours vrai ni sur quels éléments se fondait cette affirmation. En tout état de cause, la procédure étant trop longue (ce dont se plaignent les agriculteurs), lorsqu'elle finit par aboutir, la personne s'installant sur la parcelle découvre que celle-ci est déjà occupée. Il faut ensuite mobiliser des procédures de police pour expulser des personnes qui exploitent parfois le terrain depuis plusieurs années.

M. Victorin Lurel avait rappelé, lors du débat qui a eu lieu au Sénat, qu'un travail avait été fait pour amender la loi Letchimy. Certaines dispositions sont déjà rédigées pour améliorer cette loi, sur la base du bilan qui a été établi. Apportons les modifications législatives sur la base de ce travail. Dès lors qu'il existe des dispositions agricoles, les parlementaires peuvent les porter au titre du projet de loi d'orientation et d'avenir agricoles.

La structure du projet de loi n'est pas encore rédigée. La démarche nationale conduite jusqu'à présent a consisté à initier des concertations. Nous avons reçu des contributions des outre-mer. Elles proviennent notamment des concertations organisées par les préfets. Chaque territoire a conduit au moins une concertation publique, en sus des concertations menées avec les acteurs. Nous avons aussi reçu une contribution de chambres d'agriculture France, qui a synthétisé les contributions des chambres d'agriculture des outre-mer. Sur tous les sujets, des demandes sont formulées.

Lorsque l'on compare ces éléments aux demandes de l'Hexagone, il apparaît que les sujets sont souvent voisins. Il existe quelques sujets spécifiques, par exemple des demandes d'enseignement de shimaoré ou de pistes agricoles en Guyane. Des amendements à la loi Letchimy pourraient aussi constituer des dispositions spécifiques aux outre-mer. Nous élaborons actuellement la compilation de ces demandes. Ce projet de loi comportera un volet spécifique aux outre-mer s'il y a suffisamment de matière. Un titre spécifique aux outre-mer avait été inséré dans la LAAAF de 2014. Les comités d'orientation stratégique et de développement agricole (COSDA) avaient notamment été mis en place dans ce cadre. On peut aussi insérer des articles spécifiques aux outre-mer dans un projet de loi sans que cela ne constitue un titre à part. Ce n'est qu'un choix d'écriture. Le Gouvernement n'a pas encore pris la décision.

Il existe depuis des années le fonds agricole, dans l'Hexagone comme dans les outre-mer, afin de faciliter les transmissions. Nous n'avons pas de mécanisme de collecte de données qui nous permettrait de réaliser un bilan de cette utilisation. Ce sont des procédures mises en place par les notaires : lors de la transmission, l'agriculteur indique qu'il transmet le fonds agricole (qui englobe notamment le foncier, les équipements, les bâtiments, etc.). Je crois qu'il n'existe pas de mécanisme permettant aux notaires d'indiquer que sur tel nombre de transactions, tel nombre de transactions s'est effectué sur la base du fonds agricole. Nous pourrions y travailler.

Mme Vivette Lopez, président, rapporteur. - Je constate qu'il existe de nombreuses choses qui ne sont pas mises en place, ce qui se traduit par des délais beaucoup trop longs, favorisant des occupations illégales. Les notaires, par exemple, ne sont pas suffisamment nombreux. Sans doute faudrait-il donner un coup d'accélérateur afin d'aboutir à des solutions qu'il ne serait peut-être pas si difficile à faire émerger. Dans le cas du titrement, des améliorations pourraient assez aisément être apportées, me semble-t-il.

Mme Micheline Jacques. - L'ONF n'intervient pas à Saint-Barthélemy, où nous avons la compétence en matière de gestion et d'aménagement du territoire. J'ai cependant le sentiment qu'il n'y a pas de concertation entre les élus chargés de l'aménagement du territoire et l'ONF. J'aimerais savoir quelle est la nature des relations que vous entretenez avec les exécutifs locaux.

M. Jean-Yves Caullet. - Au niveau national, nous avons instauré il y a quelques années une commission consultative des forêts d'outre-mer, qui nous permet d'institutionnaliser un dialogue qui n'existait pas auparavant. Nathalie Barbe va vous dire la manière dont les contacts s'établissent en pratique au niveau local.

Il existe une difficulté que j'ai signalée tout à l'heure : le pétitionnaire qui souhaite faire quelque chose rencontrera quasiment en premier un agent de l'ONF. Il va donc considérer que la réponse qui lui est donnée ne vient que de cet organisme. Lorsque cela ne lui convient pas, il va solliciter un élu en regrettant que l'ONF oppose un refus à son projet. L'élu découvre alors le projet particulier et répond à son administré qu'il n'en a pas connaissance.

Mme Nathalie Barbe. - L'ONF a signé et renouvelle des conventions avec les conseils départementaux, qui sont nus propriétaires. Nous avons renouvelé il y a deux jours la convention pluriannuelle cadre avec le conseil départemental de La Réunion et j'étais au mois de mars à Mayotte pour signer une convention avec le conseil départemental de ce territoire. Nous venons également de signer, en février ou mars dernier, une convention pluriannuelle avec la Martinique. Il n'existe pas de telle convention en Guadeloupe, où les relations sont plus compliquées entre le conseil régional et le conseil départemental. Il n'existe pas de collectivité unique. Enfin, nous avons des échanges avec la collectivité territoriale de Guyane sans être néanmoins dans une phase de discussion d'une convention. La situation de la Guyane est très particulière puisqu'il n'y existe que du foncier domanial. Nous y travaillons.

Pour l'ONF, l'aménagement d'une forêt publique commence par une phase de conception d'un aménagement forestier. Ce travail consiste à prévoir la manière dont la forêt sera gérée durant quinze ou vingt ans (coupes à réaliser, équipement éventuel par des routes, des pistes ou des infrastructures d'accueil du public). Il s'agit aussi de déterminer si des travaux sylvicoles seront effectués afin d'améliorer ou d'entretenir ce peuplement. Ce document programmatique, sur quinze ans, fait l'objet de concertations avec la commune sur laquelle se trouve la forêt publique.

Ce dispositif est donc encadré. Si vous avez l'impression que, sur votre territoire, cette phase de concertation doit être améliorée, n'hésitez pas à nous en faire part. L'État signe avec l'ONF un contrat d'une durée de cinq ans. La concertation constitue l'un des axes d'amélioration avec les communes de situation, si elles ne sont pas propriétaires.

Ce n'est certes pas la même chose de mener une concertation sur des massifs tels que ceux de la Guyane, où l'ONF gère 6 millions d'hectares dont 2,4 millions d'hectares divisés en 35 massifs forestiers représentant chacun 60 000 hectares. Cela n'a rien à voir, en termes d'échelle, avec l'Hexagone où nous avons environ 1 300 forêts domaniales représentant, au total, 1,4 million d'hectares. Avec des populations très dispersées, de surcroît, en Guyane, la concertation est sans doute plus compliquée à organiser au XXIe siècle.

M. Jean-Yves Caullet. - Le lancement d'une concertation pour l'aménagement forestier, d'une durée de quinze ans, peut laisser entendre qu'au cours des quinze années suivantes, ces décisions sont mises en oeuvre, en considérant que tout le monde est au courant. Or, tel n'est pas nécessairement le cas, et la durée des mandats locaux n'est pas de quinze ans. Il peut apparaître, par moments, un sentiment de découverte de tel ou tel projet. La concertation constitue donc un sujet en construction permanente.

Il faut veiller à ce que les outils structurants fassent bien l'objet de concertations mais on ne peut pas nécessairement s'en satisfaire. Je citais le cas d'un porteur de projet qui s'adresse directement à l'ONF et non à la direction en charge des affaires foncières. On ne lui donne pas satisfaction. C'est à ce moment-là que l'élu découvre l'existence d'un projet. S'il en avait eu connaissance dès le départ, peut-être aurait-il expliqué à son administré pourquoi son projet ne pourrait voir le jour. L'élu se retrouve ainsi en porte-à-faux vis-à-vis de son administré. Une relation presque permanente est nécessaire et nos effectifs présents sur le terrain sont très sollicités par divers enjeux.

Mme Micheline Jacques. - Dans les communes où l'ONF est présent, êtes-vous associés aux plans locaux d'urbanisme et autres schémas d'aménagement du territoire ?

Mme Nathalie Barbe. - Je complète d'un mot le propos de Jean-Yves Caullet. Si vous êtes une commune ou une collectivité propriétaire, chaque année, l'ONF réalise le bilan de son plan de gestion et recueille la décision du territoire qui est propriétaire. Nous conseillons et mettons en oeuvre le document voté par le précédent conseil municipal.

Si je suis une commune de situation, c'est-à-dire la commune sur laquelle se trouve la forêt de la collectivité ou de l'État, la concertation ne fait pas partie d'une coche annuelle. De plus en plus, le maillage territorial de l'ONF nous permet d'aller au contact des acteurs que nous nous efforçons d'informer. Il est nécessaire que la commune soit disponible au moment où la décision est à prendre, et des améliorations peuvent être apportées sur ce point.

L'action n° 1 de la mission d'intérêt général que nous confie l'État dans les outre-mer consiste à assister les directions départementales de l'agriculture dans les territoires ultramarins. S'il y a un plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) dans les zones N (qui nous concernent particulièrement du fait du coeur de nos missions), nous émettons un avis et évaluons la pertinence de l'évolution du zonage, au regard de ce qui est prévu.

M. Jean-Yves Caullet. - Nous intervenons dans une logique de « porter à connaissance ». Notre avis d'expertise est ensuite intégré ou non par les services de l'État dans la procédure.

Mme Vivette Lopez, président, rapporteur. - Je vous remercie pour toutes les informations que vous avez pu nous donner.

M. Stéphane Artano, président. - Merci, chère collègue, d'avoir animé cette séance et à nos invités pour leur participation à cette audition. Comme vous le savez, il est de tradition de vous adresser une trame d'audition qui prend la forme d'un questionnaire. Nous vous serions reconnaissants de nous faire parvenir dès que vous le pourrez vos contributions écrites, qui faciliteront le travail de nos rapporteurs.