Mercredi 5 juillet 2023

- Présidence de Mme Sophie Primas, présidente -

La réunion est ouverte à 09 h 30.

Conditions d'utilisation de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique - Examen du rapport d'information

Mme Sophie Primas, présidente. - Mes chers collègues, nous avons deux points à l'ordre du jour ce matin.

Nous allons prendre connaissance des conclusions de la mission d'information conduite par nos collègues Dominique Estrosi Sassone et Fabien Gay sur les conditions d'utilisation de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh).

Puis nous recevrons la présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) Emmanuelle Wargon.

Sans plus tarder, je cède la parole à nos collègues rapporteurs.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Merci Mme la Présidente. Mes chers collègues, comme vous le savez, notre commission nous a confié, à mon collègue Fabien Gay et à moi-même, une mission d'information sur les conditions d'utilisation de l'Arenh, et notamment sur les possibles cas de fraudes, le 31 janvier dernier.

C'est un sujet ô combien important : en effet, le relèvement exceptionnel du plafond l'Arenh, de 19,5 térawattheures (TWh), décidé par le Gouvernement au mois de mars 2022, pour endiguer la hausse du prix de l'électricité, a généré des comportements opportunistes de la part de certains fournisseurs alternatifs ; 4 enquêtes, toujours pendantes, ont ainsi été lancées par la CRE.

Dans ce contexte, nous avons auditionné 45 personnalités, issues de 25 organismes, recueillant ainsi le point de vue de l'ensemble des parties prenantes : les acteurs du marché - EDF et les fournisseurs alternatifs -, les acteurs de la régulation - la CRE, le Médiateur national de l'énergie (MNE), la Direction générale de l'énergie et du climat (DGEC), la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) - ou les acteurs de la consommation - les associations de consommateurs et les syndicats de l'énergie.

Le constat que nous dressons est le suivant : si l'Arenh a été peu modifié depuis 2011, le relèvement exceptionnel de son plafond en 2022 a induit de possibles cas de fraudes et son devenir après 2025 fait d'ores et déjà l'objet d'une réflexion.

Depuis 2011, l'Arenh consiste en un dispositif de régulation obligeant le groupe EDF à vendre une partie de sa production aux fournisseurs alternatifs, aux gestionnaires des réseaux de distribution et de transport d'électricité ainsi qu'aux entreprises locales de distribution (ELD). Cette vente intervient en contrepartie d'un prix, de 42 € / mégawattheure (MWh) et dans la limite d'un plafond, de 120 TWh.

L'Arenh vise à favoriser la concurrence sur le marché de détail de l'électricité, afin de faire bénéficier les consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire existant et d'inciter les fournisseurs à développer de nouveaux moyens de production d'électricité. Il a été imposé comme une mesure compensatoire à l'existence des tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE), par la Commission européenne, dans sa décision du 12 juin 2012.

L'Arenh a été introduit par la loi « Nome » de 2010 et modifié par la loi « Énergie-Climat » de 2019 et - tout récemment - par la loi « Pouvoir d'achat » de 2022. Lors de l'examen de cette loi « Pouvoir d'achat », le Sénat dans son ensemble et notre commission en particulier ont d'ailleurs bataillé ferme pour desserrer le dispositif, en relevant son prix et en abaissant son plafond.

La CRE est chargée, quant à elle, de proposer son prix et son volume global, mais aussi de calculer, de répartir et de contrôler les volumes cédés. Les volumes d'Arenh sont calculés sur l'année n-1 et livrés sur l'année n, dans le cadre d'un guichet annuel. Lorsque les volumes demandés excèdent le volume global, la CRE procède à un écrêtement. Tous ces volumes tiennent compte de la part de l'énergie nucléaire dans le mix électrique, via l'application d'un coefficient de bouclage. L'accord-cadre sur l'Arenh comprend actuellement environ 125 titulaires et 105 bénéficiaires. En 2022, 149,5 TWh d'Arenh ont ainsi été alloués, dont 119,5 TWh pour les fournisseurs et 26,4 TWh pour les gestionnaires et les ELD.

L'Arenh fait l'objet de deux dispositifs de contrôle a posteriori : les compléments de prix (CP). Si le volume demandé par un fournisseur excède ses droits théoriques, il est neutralisé par l'application du CP1, dont le produit est réparti entre les fournisseurs. Si ce volume excède ses besoins réels, au-delà d'une marge de tolérance de 10 %, le fournisseur est alors pénalisé par l'application du CP2, dont le produit est alloué à l'État.

L'Arenh fait aussi l'objet d'un dispositif de contrôle a priori ; en effet, depuis un décret - tout récent - du 29 octobre 2022, la CRE peut corriger le volume demandé par un fournisseur, s'il apparaît surestimé ou disproportionné.

Enfin, des sanctions existent, mises en oeuvre par le comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) placé auprès de la CRE. Ce comité indépendant peut mettre en demeure et réprimer les manquements des fournisseurs, dont l'abus d'Arenh. Il peut régler les différends dans l'accès aux réseaux, notamment d'électricité. Il peut interdire l'accès à ces réseaux, dans la limite d'un an, et appliquer une sanction, sans toutefois dépasser 8 % du chiffre d'affaires. Depuis la loi de finances initiale pour 2023 (LFI 2023), le CoRDiS peut être saisi en urgence d'une demande d'interruption de la livraison d'Arenh.

Pour lutter contre la hausse du prix de l'électricité, le Gouvernement a donc procédé à un relèvement exceptionnel du plafond de l'Arenh, par un décret et un arrêté du 11 mars 2022. Cela s'est traduit par une livraison additionnelle, de 19,5 TWh, à un prix de 46,2 € / MWh, et cela d'avril à décembre 2022.

Ce relèvement, parfois qualifié « d'Arenh + », a permis - reconnaissons-le - de contenir la hausse du prix de l'électricité pour les consommateurs résidentiels ou professionnels non éligibles aux TRVE : cette hausse n'a pas dépassé 6 %, contre 4 % pour les consommateurs relevant des TRVE, selon la CRE.

En revanche, ce relèvement a eu un impact considérable, de 8,1 milliards d'euros, pour le groupe EDF, qui a dû acheter des volumes d'électricité au prix de 256,7 € / MWh en moyenne pour les revendre à celui de 46,2 €. Au total, le groupe est exposé à l'Arenh à hauteur de 248 TWh, dont 146,4 TWh liés aux livraisons d'Arenh, 70 TWh valorisés dans ses offres de marché, 50 TWh valorisés dans les TRVE et 3 TWh vendus à ses filiales.

Pire, certains fournisseurs alternatifs sont soupçonnés d'abus d'Arenh. Ces abus correspondraient aux faits, pour un fournisseur, soit de surévaluer ses droits à l'Arenh en amont, ce qui léserait l'ensemble des consommateurs, via une hausse du taux d'écrêtement global, soit de ne pas répercuter ces droits à l'Arenh en aval, ce qui léserait ses propres consommateurs.

Nous avons eu connaissance de tels cas d'arbitrages saisonniers. En effet, certains fournisseurs maximiseraient leur portefeuille de clients, sur la période d'avril à octobre, afin de bénéficier de droits à l'Arenh, qui sont justement calculés sur cette période, puis se sépareraient de ce portefeuille de clients, en augmentant fortement leurs prix, pour revendre leurs droits à l'Arenh, sur le marché de gros de l'électricité.

Si la CRE a indiqué que la quasi-totalité des fournisseurs alternatifs respectent les règles, excluant ainsi des surévaluations de droits volontaires ou des arbitrages saisonniers généralisés, elle a observé des comportements individuels susceptibles de constituer des abus d'Arenh.

Dans ce contexte, et comme je l'ai indiqué au début de mon propos, la CRE a procédé à 11 relances et 4 enquêtes, au titre de 2022, avec 3 saisines possibles du CoRDiS et 1 du Procureur de la République. Les fournisseurs faisant l'objet de ces enquêtes ne représentent cependant que 0,5 % du marché de détail de l'électricité.

De plus, la CRE a effectué 14 corrections et 3 saisines du CoRDiS, au titre de 2023. Cela a d'ailleurs abouti à la suspension de la livraison d'Arenh à 3 fournisseurs, pas plus tard que la semaine passée.

Au total, 5,8 TWh d'Arenh ont été pénalisés a posteriori pour 2022 et 0,56 corrigé a priori pour 2023. En 2022, 58 fournisseurs sont redevables du CP1, pour 1,6 milliard d'euros, et 14 du CP2, pour 21,9 millions d'euros ; les demandes d'Arenh ont été supérieures de 5,6 % aux droits, la surévaluation atteignant 20 % chez 40 fournisseurs ou le double chez 15 d'entre eux.

En dehors de la CRE, dont les travaux font autorité, d'autres acteurs ont avancé des estimations encore plus élevées : ainsi, selon l'association Consommation Logement Cadre de Vie (CLCV), la surestimation de l'Arenh serait de 24 TWh en 2022 et de 12 TWh en 2023, ce qui a conduit l'association à former un recours devant le Conseil d'État à l'encontre du guichet de l'Arenh pour 2023.

En définitive, si l'Arenh a joué son rôle pour contenir les prix, ses paramètres sont restés inchangés depuis 2011, alors que les marchés de détail et de gros de l'électricité ont quant à eux beaucoup évolué ; le relèvement exceptionnel de son plafond en 2022 a induit inévitablement des comportements opportunistes de la part les fournisseurs alternatifs et des coûts très importants pour le groupe EDF. Sur une longue période, outre les arbitrages saisonniers, l'Arenh a aussi été marqué par des cas de résiliations, en 2015 et 2020, ou de faillites, en 2021 et 2022.

Dans la mesure où l'Arenh expire fin 2025, une réflexion a été engagée pour trouver un dispositif de substitution, à l'échelon national, avec le projet de nouvelle régulation économique du nucléaire de 2019, et à l'échelon européen, dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité de 2023.

Les contrats d'écarts compensatoires bidirectionnels - ou Contracts for Difference (CfD) - sont une piste qui est aujourd'hui à l'étude. Il s'agit de contrats de long terme, mis en oeuvre par l'État pour soutenir les investissements dans les nouvelles installations de production d'électricité ainsi que dans le rééquipement, l'agrandissement ou la prolongation de celles existantes. Lorsque le prix d'exercice est supérieur au prix de marché, leurs recettes excédentaires sont reversées aux consommateurs.

Sans plus tarder, je cède la parole à mon collègue Fabien Gay que je remercie sincèrement de son expertise. J'ai été ravie de ce travail en collaboration.

Pour conclure, je voudrais ajouter que le champ de la mission d'information qui nous a été confiée ne concerne que les abus d'Arenh et non le devenir de ce dispositif après 2025, que je n'ai fait qu'évoquer, à la fin de mon propos. Nous faisons le même constat sur ces abus, mais avons, pour ce qui est de ce devenir, et dans le respect des uns et des autres, des positions différentes.

Je vous remercie.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Merci Mme la Présidente. Mes chers collègues, à mon tour, je veux vous dire le plaisir que j'ai eu à conduire ces travaux avec ma collègue Dominique Estrosi Sassone. Nous l'avons fait avec sérieux, et parfois un peu de rire. Car certaines réponses nous ont étonnés : ainsi, sur l'allocation du CP1, nous avons mené 45 auditions ... et entendu autant de réponses différentes !

J'en viens maintenant aux quatre séries de propositions, déclinées en ving-cinq mesures législatives ou réglementaires opérationnelles, que nous proposons, afin de mieux prévenir et réprimer les fraudes à l'Arenh.

En premier lieu, nous sommes convaincus de la nécessité de corriger les « effets de bord » de la méthodologie de l'Arenh, d'ici son extinction. Il est nécessaire d'offrir davantage de visibilité sur ce prix, qui doit être relevé à 49,5 € / MWh, comme sur le plafond, qui ne doit pas aller au-delà de 120 TWh ; l'enjeu est, en somme, d'appliquer la loi « Pouvoir d'achat » de 2022, le Gouvernement devant saisir la Commission européenne de ce relèvement de prix. S'agissant des autres critères techniques de l'Arenh, il faut envisager, d'une part, de modifier sa période de calcul, pour éviter les arbitrages saisonniers, et, d'autre part, d'actualiser le coefficient de bouclage, pour correspondre à la production nucléaire. Naturellement, il faut évaluer, au préalable, l'impact de ces évolutions sur les consommateurs, pour ne pas générer d'effets redistributifs, des industriels vers les ménages. Pour rendre les dispositifs de contrôle a posteriori plus efficients, il importe, tout d'abord, d'allouer le montant du CP1 - que vous a présenté ma collègue Dominique Estrosi Sassone - aux consommateurs plutôt qu'aux fournisseurs alternatifs et, plus encore, de supprimer le plafond du CP2, actuellement limité de 20 € / MWh, alors que les prix ont atteint 275,9 € / MWh en moyenne en 2022. La CRE a d'ailleurs admis que les contrats liant les fournisseurs aux consommateurs ne sont pas toujours adaptés pour garantir la répercussion vers ces derniers du montant du CP1, a fortiori de son montant exceptionnel de 1,6 milliard d'euros en 2022. Face à l'absence de chiffrage exhaustif sur le relèvement exceptionnel du plafond de l'Arenh en 2022, une évaluation doit être conduite par la CRE et le ministère de la transition énergétique (MTE). Enfin, il faut intégrer l'énergie nucléaire aux outils de financement à terme, dans le cadre de la réforme du marché européen de l'électricité, pour permettre à d'autres dispositifs, plus équilibrés et plus protecteurs, de se substituer à l'Arenh après 2025.

En second lieu, nous sommes désireux de renforcer les contrôles et les sanctions liés à l'Arenh, qui ont été mis à l'épreuve par le relèvement de 2022. Pour ce faire, il faut faire évoluer la notion d'abus d'Arenh, afin qu'elle puisse réprimer l'ensemble des comportements opportunistes, dont les arbitrages saisonniers. Dans le même esprit, il faut compléter les sanctions à la disposition du CoRDiS, pour lui permettre de supprimer le bénéfice de l'Arenh, en cas d'abus avéré. Au-delà de la définition de l'abus d'Arenh et de sa répression, l'accélération des procédures devant le CoRDiS est une nécessité. À cette fin, des procédures de référé, de transaction ou de clémence peuvent être instituées ; une plus large saisine peut aussi être recherchée. Quant aux signalements du MNE, ils doivent être davantage formalisés pour ne plus rester sans réponse ; qu'on en juge, le MNE nous a indiqué avoir alerté la CRE sur un possible abus d'Arenh en décembre 2021 et avoir reçu une réponse, au terme d'une relance, en août 2022, c'est-à-dire 8 mois après ! Si cela est avéré, c'est un dysfonctionnement, évidemment à corriger ! Il faut appliquer effectivement le régime de contrôle et de sanction. Une plus grande reddition des comptes doit donc être recherchée par la CRE et le MNE, mais aussi par la DGEC et la DGCCRF. Pour promouvoir les meilleures pratiques en matière de contrôle, de sanction ou encore d'information, la CRE et le MTE doivent également tirer le retour d'expérience des contrôles et des sanctions mis en oeuvre dans le cadre du relèvement exceptionnel du plafond de l'Arenh de 2022. Enfin, la réforme du marché européen de l'électricité ne doit pas conduire à des transferts de compétences dans ces domaines, des autorités de régulation ou juridictions nationales vers l'Agence de coopération des régulateurs de l'énergie (ACER).

En troisième lieu, nous sommes déterminés à consolider les obligations des fournisseurs, de manière à conjurer le risque de défaillance, aujourd'hui peu pris en compte. Les conditions requises pour bénéficier d'une autorisation de fourniture doivent être sérieusement consolidées, avec l'imposition d'obligations prudentielles et la réalisation de stress tests. De plus, il faut centraliser les demandes et les contrôles liés aux autorisations de fourniture auprès de la CRE, plutôt que du MTE, dans un souci de rationalité et d'efficacité. C'est bien la CRE qui dispose de l'expertise nécessaire ! Une fois délivrées, ces autorisations de fourniture doivent être mieux encadrées, avec des réexamens, des retraits ou des suspensions effectifs. Autre point important, les fournisseurs de secours en électricité, qui ont été confiés à titre provisoire à EDF, nationalement, et aux ELD, dans leurs ressorts respectifs, doivent être pérennisés, en consolidant leur situation juridique, mais aussi leur indemnisation financière. Sans moyens complémentaires attribués à la CRE, au MNE, à la DGEC et à la DGCCRF, il est illusoire d'espérer réguler efficacement le marché de l'électricité. Enfin, la réforme du marché européen de l'électricité doit être l'occasion d'instituer des obligations prudentielles, non seulement à l'échelle nationale, mais aussi à celle européenne, ce qui est crucial pour mieux réguler un marché intégré.

En dernier lieu, nous appelons à améliorer la protection des consommateurs. Le MNE nous a indiqué que 16 % des litiges portés devant lui concernent une interprétation litigieuse de l'article L. 224-10 du code de la consommation, qui autorise les modifications contractuelles, notamment liées aux prix. Pour les éviter, il est nécessaire d'allonger le délai de prévenance, d'un à trois mois, d'exiger une information loyale, complète et circonstanciée et d'interdire les modifications des conditions d'indexation par ce biais. L'information des consommateurs sur le caractère risqué des offres peut également progresser, en cessant d'assimiler les offres faisant l'objet d'un écrêtement à l'Arenh à des offres à prix fixes. Dans le même esprit, le comparateur d'offres du MNE pourrait être complété, en précisant les fournisseurs ayant fait l'objet de sanctions de la part du CoRDiS, selon une logique de name and shame. Les TPE devraient se voir appliquer les mêmes protections que celles prévues pour les consommateurs résidentiels, par le code de la consommation, s'agissant notamment des frais de résiliation. Quant aux gestionnaires des réseaux de distribution et de transport d'électricité, leurs spécificités dans l'accès à l'Arenh, qui intervient en compensation des pertes d'électricité, doivent être préservées ; ils souhaiteraient de surcroît bénéficier de l'Arenh, directement, sans fournisseur. Enfin, la réforme du marché européen de l'électricité peut constituer une opportunité pour renforcer les protections à destination des consommateurs, avec un élargissement des TRVE, un encadrement des contrats à tarification dynamique, une consolidation des fournisseurs de secours et un encadrement des interruptions de fourniture notamment.

En définitive, nous invitons notre commission à soutenir ces propositions, qui doivent répondre aux difficultés posées par l'Arenh, dont nous voyons bien qu'il s'agit d'un dispositif à bout de souffle.

Ces propositions sont concrètes, pratiques, techniques ; si nous les adoptons, nous en débattrons juste après avec la présidente de la CRE Emmanuelle Wargon.

Pour conclure, comme l'a indiqué ma collègue Dominique Estrosi Sassone, la mission d'information qui nous a été confiée concerne les abus d'Arenh. Beaucoup de personnes auditionnées ont souhaité débattre avec nous du devenir de l'Arenh, après 2025, qui est dans toutes les têtes. Mais ce n'est pas le sujet. Nous aurons l'occasion d'en débattre dans l'année qui vient. Par ailleurs, vous connaissez nos positions respectives dans domaine.

La pénalité de 1,6 milliard d'euros qui va être infligée, pour la première fois, à 58 fournisseurs alternatifs pose une vraie question ; nous défendons le fait qu'elle revienne aux consommateurs et non que ces fournisseurs se partagent le gâteau !

Je vous remercie.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je vous remercie de ce travail, mené de manière transpartisane et qui se prolongera à travers le groupe d'études  « Énergie » ainsi que la préparation de l'examen de la loi quinquennale sur l'énergie et de la révision de la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE). Je crois que ce rapport d'information n'y est sans doute pas pour rien dans les contrôles liés à l'Arenh qui ont été déclenchés par la CRE.

M. Daniel Gremillet, président du groupe d'étude « Énergie ». - Merci de cette présentation très intéressante. Si on veut bien comprendre le contexte, il convient à mon sens de distinguer trois phases : la période avant la pandémie, la pandémie elle-même, puis la reprise. L'un des enseignements, c'est la situation assez incroyable dans laquelle EDF a dû racheter de l'électricité au prix fort pour la revendre au prix de l'Arenh. Pendant la pandémie, dans le cadre de notre cellule de suivi de l'impact de la crise de la Covid-19 sur le secteur de l'énergie, on était harcelés pour que l'on baisse le prix de l'Arenh ou que l'on permette de sortir de l'Arenh, dans une période où le prix de l'énergie était faible voire négatif. La spéculation qui en a découlé, au moment de la reprise, doit nous rappeler à l'ordre.

Pendant la pandémie, on a arrêté de faire l'entretien des centrales nucléaires. Au décalage du calendrier de cet entretien s'est également ajouté le phénomène - imprévisible - de corrosion sous contrainte (CSC), ce qui a induit une situation de sous-production. Il y a une leçon à tirer de l'ampleur de la spéculation que vous avez identifiée : quelles que soient les situations que nous vivons, nous ne pouvons pas nous permettre de retarder ou d'arrêter les entretiens programmés d'installations de production d'énergie - que ce soit les centrales nucléaires ou les installations hydroélectriques.

Une remarque également sur les fournisseurs alternatifs, qui ne respectaient plus leur signature et affirmaient qu'EDF, selon leurs propres mots, se faisaient de l'argent sur leur dos. Je crois qu'on se doit de sanctionner ceux qui ont abusé du système. Je signale au passage que nous n'avions rien dans notre arsenal législatif, lorsqu'un fournisseur alternatif abandonnait en rase campagne ses clients, comme c'est arrivé récemment pour plus de 150 000 consommateurs. Il n'y avait aucune procédure, avant le dispositif de fourniture de secours, que nous avons institué dans le cadre de la loi « Énergie-Climat » de 2019.

Cette situation de crise doit enfin nous conduire à envisager une réflexion pour le futur : la rentrée 2023 et les perspectives pour 2024-2025 vont être passionnantes, d'autant que se pose, en plus, le défi du financement. On est face à un mur d'investissements, dans le renouvelable et le nucléaire, qui va nous obliger à prendre des positions courageuses. La production énergétique nécessite beaucoup de sérieux, et non une vision uniquement tournée vers le business, comme le font certains fournisseurs alternatifs.

Je vous remercie de votre rapport d'information et en voterai les conclusions.

M. Franck Montaugé. - Merci aux rapporteurs de leur travail très intéressant. Si j'ai bien compris, l'Arenh a été voulu comme un instrument de contestabilité du marché de l'électricité, contribuant ainsi à la mise en place d'une diversité de fournisseurs. On a souvent entendu dire que ces fournisseurs alternatifs se limitaient finalement à du pur négoce. Vous êtes-vous penchés sur cet aspect ? Leur rôle n'est-il pas aussi d'investir dans les différents modes de production possibles ?

M. Daniel Salmon. - Merci de ce travail qui me semble d'autant plus essentiel en ces temps de crise, où les dysfonctionnements sont encore plus visibles. Vos préconisations me semblent vraiment aller dans le bon sens car, depuis l'ouverture du marché, on assiste à une forme de spéculation sur l'énergie.

Je le dis avec un petit peu de malice, mais dans Arenh, il y a « nucléaire » et on voit bien que la part du nucléaire a été très variable ces dernières années puisque, sur une capacité de 460 TWh du parc, on est descendu à 275 TWh. Ce constat interroge sur la sous-évaluation du coût de l'énergie nucléaire qui a longtemps été présentée comme bon marché. Cela remet un peu les pendules à l'heure.

Je vous remercie de votre rapport d'information et en voterai les conclusions.

M. Serge Mérillou. - Je ne suis pas un spécialiste de l'Arenh, j'ai donc écouté avec attention la présentation de nos collègues rapporteurs. Il me semblait qu'un des objectifs de l'Arenh était que les producteurs alternatifs développent une capacité de production. Qu'en est-il vraiment ? La CRE s'est-elle inquiétée des conséquences pour EDF, qui doit faire face à des investissements colossaux et à de lourdes pertes tout en subissant de plein fouet l'impact de l'Arenh ?

M. Jean-Jacques Michau. - Merci aux rapporteurs de ce travail très intéressant. Au fil des auditions, on s'est aperçu que certains fournisseurs alternatifs s'étaient débarrassés de dizaines de milliers de clients. EDF a dû leur fournir de l'électricité au prix fort ; ce coût a-t-il été intégré dans les 8,1 milliards de pertes du groupe ou la note est-elle beaucoup plus salée ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Je laisse nos collègues rapporteurs répondre à ces différentes interrogations.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Je vais tout d'abord répondre à nos collègues Franck Montaugé et Serge Mérillou sur l'investissement : ce n'était pas le champ de notre mission d'information. C'est un tout autre débat, qui amène une appréciation politique. Il faudra un bilan sérieux de l'Arenh et nous engagerons un débat politique. Ce qui est certain c'est que, mis à part TotalÉnergies et Engie, les fournisseurs alternatifs n'ont pas investi dans la production.

Mme Anne-Catherine Loisier. - Je comprends donc que certains fournisseurs alternatifs ont pu continuer de bénéficier de l'Arenh, alors même qu'ils ne répondaient pas à leurs engagements ; même un contrôle que je qualifierais de « continu » n'a pas pu être opéré. Est-ce exact ?

M. Fabien Gay, rapporteur. - C'est un autre débat, mais je partage personnellement vos propos.

Que l'on soit pour ou contre le marché, nous sommes tous pour la mise en place de règles. Avec ma collègue Dominique Estrosi Sassone, nous nous sommes aperçus que les règles étaient plutôt floues et n'avaient pas été appliquées pour l'heure. Par exemple, le CoRDis - avec lequel nous avons eu un peu de mal car il n'a pas souhaité être auditionné et nous avons dû l'interroger par contribution écrite -, nous a indiqué n'avoir jamais été saisi ces dernières années.

Lors de nos premières auditions, on nous a dit qu'il était impossible de revendre l'Arenh sur les marchés et que, de toute manière, les CP1 et CP2 trouvaient à s'appliquer. Mais personne n'a su si ces compléments de prix avaient été appliqués et à qui ils étaient alloués : EDF, l'État, les fournisseurs alternatifs, les consommateurs...

Nous devons rester humbles, mais, comme l'a indiqué notre Présidente, le lancement de notre mission d'information a accéléré le fait que la CRE applique 1,6 milliard de CP1 et 21,9 millions de CP2. C'est énorme !

La proposition que nous faisons de rendre le CP1 aux consommateurs, qu'ils soient résidentiels ou professionnels, dont les petites PME et les collectivités territoriales, est utile. Lorsque l'on voit la crise énergétique et l'explosion des prix que nous avons connus, on peut parler de « racket », d'argent qui aurait dû revenir aux consommateurs et qui leur a échappé. C'est une sacrée question !

Sur la saisonnalité, nous avons constaté que beaucoup de fournisseurs alternatifs, d'avril à octobre, gonflent leur portefeuille car, le calcul de l'Arenh portant sur les mois de juillet-août et les jours fériés, leur objectif est d'avoir le portefeuille le plus fourni ; à partir de septembre, on dégraisse ! Nous l'avons vu. Beaucoup l'ont fait. Certains ont même dit à leurs clients de retourner chez EDF. Aux 8,1 milliards d'euros de pertes pour EDF, il faut aussi ajouter les quelques 150 000 personnes - évoquées par nos collègues Daniel Gremillet et Jean-Jacques Michau - qui sont revenus chez ce groupe, qui a donc dû acheter des volumes d'électricité sur les marchés pour les fournir. C'est pourquoi nous formulons des propositions sur le calcul de l'Arenh pour éviter cette saisonnabilité.

Dernier point, il faut veiller au sérieux des fournisseurs d'électricité, en les soumettant à des stress tests. Aujourd'hui - j'exagère un peu - n'importe lequel d'entre nous peut s'associer et devenir fournisseur d'électricité en créant une start up. Si nous n'avons pas les reins solides, ce n'est pas grave car nous prendrons l'argent et nous en irons. Je ne parle pas de TotalÉnergies et d'Engie qui ont les reins solides et exercent leur activité de manière sérieuse. Mais il existe une myriade d'acteurs sur le marché ! Tout le monde nous demande de faire le ménage ! Nous souhaitons donc en donner les moyens à la CRE, pour arrêter ce Far West. Il y a même des cas de faillites et de reventes ! Ce sont quelques acteurs.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Oui, ce ne sont pas la totalité des acteurs.

M. Fabien Gay, rapporteur. - Il faut renforcer les contrôles. Tout le secteur, quoi qu'on en pense, est plutôt pour faire le ménage.

Mme Dominique Estrosi Sassone, rapporteur. - Je n'ai rien à ajouter aux propos de mon collègue Fabien Gay. Ce que je souhaiterais dire et ce que nous avons voulu démontrer, c'est qu'une partie de l'électricité a été détournée de son usage initial. Et les sommes sont conséquentes. La CRE doit assumer son rôle de gendarme, en allant au bout de ses contrôles, ce qu'elle n'a pas fait jusqu'alors. Car, aujourd'hui, les contrôles ne sont pas achevés. Quand ils le seront, ils donneront raison à notre analyse et de véritables sanctions devront être prises, ce qui, à nouveau, n'était pas le cas. Cela permettra d'assainir le marché ; tous les fournisseurs alternatifs ne doivent pas être mis dans le même sac, mais certains causent du préjudice aux autres car ils ont fait sciemment du chiffre à travers un détournement de l'électricité, en tordant le dispositif de régulation initialement prévu qu'est l'Arenh.

Mme Sophie Primas, présidente. - Je remercie à nouveau nos collègues rapporteurs et mets aux voeux leur rapport d'information et ses conclusions.

Les recommandations sont adoptées.

La commission adopte à l'unanimité le rapport d'information et en autorise la publication.

C'est un bonheur d'être au Sénat et de travailler ensemble, par-delà nos différences. Nous avons bien vu que, sur le sujet de fond de l'Arenh, nos positions divergent. Je félicite donc les rapporteurs pour avoir trouvé cet équilibre, s'agissant des abus d'Arenh ; il démontre que nous sommes capables d'adopter à l'unanimité des rapports d'information de cette nature. Enfin, je le redis, les sanctions prises par la CRE ne me semblent pas étrangères au lancement de cette mission d'information.

Je vous remercie.

Audition de Mme Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de régulation de l'énergie (CRE)

Mme Sophie Primas, présidente. - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Emmanuelle Wargon, présidente de la Commission de Régulation de l'Énergie (CRE), pour échanger avec elle sur l'actualité de la régulation des marchés de l'électricité et du gaz.

Cette actualité est riche en France avec, ces derniers jours, l'application d'une pénalité de 1,6 milliard d'euros aux fournisseurs alternatifs dans le cadre de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ou la substitution d'un prix de référence aux tarifs réglementés de vente de gaz (TRVG) ou encore la préparation des futures loi quinquennale sur l'énergie et programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE).

C'est aussi une actualité riche en Europe, avec, depuis quelques mois, les négociations en cours sur la réforme du marché européen de l'électricité ou le paquet « Ajustement à l'objectif 55 ».

Notre commission, et son groupe d'études « Énergie », sont très mobilisés sur ce sujet. Nos collègues Dominique Estrosi Sassone et Fabien Gay ont rendu les conclusions de leur mission d'information sur les conditions d'utilisation de l'Arenh, juste avant votre audition. Leur rapport a été voté à l'unanimité, par tous les groupes politiques. De plus, notre collègue Daniel Gremillet a fait adopter deux propositions de résolution européenne sur la réforme du marché européen de l'électricité : la première sur les pouvoirs des autorités de régulation, la seconde sur les outils de financement et de protection. Enfin, nous avons beaucoup légiféré cette année, avec la loi d'accélération des énergies renouvelables, confiée à notre collègue Patrick Chauvet et celle d'accélération de l'énergie nucléaire, dont notre collègue Daniel Gremillet a eu aussi la charge. Ils vous interrogeront.

Quant à moi, je souhaiterais vous poser deux questions introductives, sur la protection des consommateurs.

Tout d'abord, quelle appréciation portez-vous sur le « bouclier tarifaire » et l' « Arenh + » ? Ont-ils vraiment permis de protéger les consommateurs résidentiels soumis aux tarifs réglementés de vente d'électricité (TRVE), dans le premier cas, et les autres consommateurs, résidentiels et professionnels, dans le second cas ? Le coût du « bouclier tarifaire » de 45 milliards d'euros, selon l'État, et celui du relèvement de l' « Arenh + », de 8 milliards d'euros, selon le groupe EDF, sont-ils justifiés ?

Plus encore, quel jugement portez-vous sur l'extinction des TRVG ? Comment s'effectue la sortie de ces tarifs, qui ont concerné trois millions de clients résidentiels, c'est-à-dire 7,5 % de notre consommation de gaz en 2021 ? La CRE et le Médiateur national de l'énergie (MNE) ont-ils organisé une campagne d'information du grand public, comme le prévoit l'article 63 de la loi « Énergie-Climat » de 2019 ? Et le futur dispositif de prix de référence est-il suffisant pour protéger les consommateurs de la flambée du prix du gaz ?

Mme Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE. - Madame la présidente, mesdames et messieurs les rapporteurs, sénatrices et sénateurs, merci de me donner l'opportunité de cette audition.

Vous l'avez dit, madame la présidente, nous entretenons des relations de proximité approfondies que je tiens vraiment à maintenir. Cela me paraît très important. Vous êtes donc les premiers à recevoir, ce jour même, notre rapport d'activité 2022.

Nous sommes actuellement très mobilisés sur la préparation des éléments qui permettront de soumettre au vote la prochaine loi de programmation « Énergie-Climat » et des textes réglementaires associés : la programmation pluriannuelle de l'énergie (PPE) et la stratégie nationale bas-carbone (SNBC) notamment.

Trois grands objectifs sont, de mon point de vue, les principaux enjeux des années à venir.

Le premier consiste à engager le pays vers la neutralité carbone en 2050, par conséquent dans la transition écologique, mais surtout à franchir un palier, autour des années 2030 à 2035, qui promet d'être difficile à passer.

Le deuxième vise à renforcer la sécurité d'approvisionnement. C'est un sujet que nous avons vu apparaître lors de la crise liée à la guerre en Ukraine et qui présente encore des défis.

Le troisième tend à permettre à tous les consommateurs - les particuliers, les entreprises ou les industriels - de bénéficier d'une énergie suffisamment abondante à des prix raisonnables qui permettent de maintenir le pouvoir d'achat, d'un côté, et la compétitivité, de l'autre.

Ces trois objectifs ambitieux devront être atteints.

Concernant la production décarbonée et le mix énergétique, nous disposons maintenant, grâce à Réseau de transport d'électricité (RTE), d'éléments sur la trajectoire énergétique qui montrent l'ambition et les paliers à atteindre. Dans la précédente PPE, les hypothèses concernaient la stabilité du besoin d'électricité. Les questions se concentraient donc sur la répartition à l'intérieur d'un besoin et d'une production stables du mix électrique. Ces hypothèses sont dépassées. À chaque fois que RTE effectue des prévisions et les actualise, le besoin d'électricité du pays s'en trouve revu à la hausse. Alors qu'il se situe actuellement à 460 térawattheures (TWh), les prévisions atteignent 800 TWh en 2050 avec une première étape à 650 TWh dès 2035. Le seul secteur industriel verrait son besoin passer de 120 à 180 TWh d'électricité.

Nos besoins électriques sont donc considérables et l'enjeu se situe ainsi au niveau de notre système de production, de distribution, de transport et de réseau. En termes de production, il consiste, du point de vue de la CRE, à développer à la fois l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables. La CRE s'avère peu compétente sur le développement des infrastructures nucléaires, même si, à travers la tarification, nous avons évidemment un rôle à jouer.

Concernant les énergies renouvelables, la CRE fait partie des principaux acteurs, puisqu'elle supervise les appels d'offres pour le compte du Gouvernement. Nous serons par conséquent l'un des acteurs directement concernés par l'ambition visant à accroître de 40 gigawatts (GW) de puissance nos capacités en matière d'éolien offshore, comme nous serons en première ligne sur le développement maîtrisé de l'éolien terrestre et du photovoltaïque, que ce dernier soit sur toiture ou au sol, en tenant compte, bien sûr, des préoccupations liées à la non-artificialisation et au développement d'un agrivoltaïsme qui permette de protéger notre modèle agricole.

Nous sommes évidemment à la fois volontaristes et un peu inquiets : volontaristes en accompagnant tous ces appels d'offres et en travaillant très précisément avec le Gouvernement sur les modalités des appels d'offres et des guichets tarifaires, et inquiets, parce qu'il est impératif d'accélérer. Nous n'y sommes pas encore, mais la volonté existe. La question de l'acceptabilité se pose et il faut parvenir à trouver les moyens de développer à la bonne vitesse le photovoltaïque, le solaire et l'éolien en particulier.

Concernant le mix énergétique, l'enjeu est la complémentarité des énergies. Pour nous, elle est essentielle. Nous sommes le régulateur, non seulement de l'électricité, mais aussi du gaz et, demain peut-être, de l'hydrogène et de la capture du CO2. Nous avons besoin de toutes les sources d'énergies. Nous avons besoin d'électricité et d'un gaz de plus en plus décarboné. Cependant, pour l'instant, nous ne tenons pas notre équilibre énergétique sans gaz.

Nous avons également besoin de réseaux de chaleur, probablement avec un travail de grande proximité à accomplir sur la complémentarité entre gaz et réseaux de chaleur que nous pourrions encore développer. Nous l'avons assez largement mis en évidence dans le rapport que nous avons récemment publié sur les infrastructures gazières. Le gaz a vocation à être totalement décarboné. Le facteur limitant réside dans notre capacité à produire du gaz vert sur le territoire français avec des dispositifs de méthanisation et, potentiellement, d'autres procédés de production, qui eux-mêmes nécessitent, soit de l'électricité, pour produire de l'hydrogène en vue de pouvoir réaliser de la méthanisation, soit d'autres types de techniques.

Dans les hypothèses les plus élevées de production de gaz vert, celle-ci se situe à peu près à la moitié de la consommation actuelle en 2050. Une division par deux de notre consommation de gaz est donc nécessaire pour atteindre notre objectif de décarbonation en 2050. Cela implique une évolution des usages maîtrisée, et dans la durée, car les usages de gaz ne peuvent pas être reportés brutalement vers l'électricité pour des questions de gestion de la pointe et de réseaux.

Les réseaux vont rapidement devenir le facteur bloquant de toute la transition écologique. Ils sont au coeur du métier de la CRE puisqu'elle a été créée pour les réguler.

Nous sommes en pleine négociation des tarifs des réseaux gaziers pour les quatre prochaines années. Nous examinerons les tarifs des réseaux électriques en 2024. Les enjeux ne sont pas du tout les mêmes. Dans le domaine de l'électricité, la question porte sur l'accompagnement le plus rapidement possible du développement des investissements qui doivent couvrir les raccordements des très grosses installations de type éolien offshore, ainsi que des installations extrêmement modestes de production d'énergies renouvelables décarbonées. Les investissements sont considérables et vont passer pour RTE de 1,5 milliard d'euros à 2,5 milliards d'euros par an, tandis que, pour Enedis, ils augmenteront de 4 milliards d'euros à plus de 5 milliards d'euros par an. Les tarifs doivent pouvoir absorber ces besoins d'investissements complémentaires.

Se pose également la question du délai de faisabilité - une question qui renvoie à la filière industrielle nécessaire pour accompagner la filière réseaux. Du renouvellement et des interconnexions devront également être réalisés. Sur le réseau électrique, un développement massif est nécessaire. Sur le réseau de gaz, la situation diffère. Dans ce second cas, nous sommes à ce niveau confrontés à un effet ciseau : nous allons conserver des infrastructures jusqu'à 2050, dans leur très grande majorité, alors que la consommation va baisser. Le tarif unitaire va donc mécaniquement augmenter puisque les mêmes coûts devront être répartis sur une consommation plus faible.

Les enjeux d'évolution de la régulation tarifaire doivent donc être pris en compte dès maintenant pour que cet effet ciseau soit acceptable et supportable du point de vue des consommateurs. Je voudrais insister ici sur la notion de flexibilité. En électricité, en particulier, une partie de la réponse réside dans le développement des réseaux. Une autre partie de la réponse réside dans le développement des moyens de flexibilité de tout type : le stockage, dont les batteries, l'effacement, le déplacement de la consommation, la réduction de la consommation à la pointe et, bien sûr, la sobriété. La CRE a d'ailleurs fait de la sobriété un de ses axes d'action. Cela représente une nouveauté puisque nous sommes indirectement concernés par la sobriété, mais dans les incitations tarifaires, nous pouvons travailler sur ce sujet ; nous allons continuer à soutenir tous les moyens de flexibilité parce que le développement des réseaux ne sera pas suffisant si nous ne l'associons pas à la sobriété et à la flexibilité.

J'en viens maintenant à la question du fonctionnement du marché et de la protection du consommateur. Cela me permettra de répondre à vos deux questions, madame la présidente. Pour que tout ceci fonctionne, il faut parallèlement que les prix de l'électricité et du gaz soient supportables pour nos concitoyens, les entreprises et les industriels. Cet enjeu est au coeur de la réforme du marché européen de l'électricité, avec la volonté de faire émerger des prix de long terme sur le marché de gros et qu'ils se répercutent sur le marché de détail. Cette discussion n'est pas achevée à Bruxelles. La présidence suédoise n'a pas permis d'aboutir. Le sujet est donc repris sous la présidence espagnole. En parallèle, nous sommes en train d'actualiser le rapport que nous avions produit en 2020-2021 sur le coût complet du nucléaire pour permettre au Gouvernement français de proposer au Parlement les modalités de régulation nationale du nucléaire.

Du point de vue de la CRE, l'Arenh constitue un mécanisme qui protège effectivement le consommateur final et non pas un mécanisme qui enrichit les fournisseurs alternatifs. Nous veillons, en mobilisant tous les outils dont nous disposons, dont ceux que vous nous avez donnés, à lutter contre les éventuels abus. Cette préoccupation revêt une grande importance. L'Arenh permet d'assurer un prix de vente modéré, probablement insuffisamment élevé à ce jour puisque les 42 euros ne sont pas représentatifs du coût actuel du nucléaire. Pour autant, il permet de transférer un prix plus bas au consommateur final.

Dans ce cadre, du point de vue de la CRE, l' « Arenh+ » a contribué à limiter un peu les prix, moins pour les consommateurs individuels qui étaient couverts par le « bouclier tarifaire », que pour les entreprises durant l'exercice 2022. J'estime que le « bouclier tarifaire » a réellement couvert très efficacement les consommateurs individuels et tous ceux qui étaient susceptibles de profiter des TRVE avec une dépense budgétaire importante. Nous sommes en train de réévaluer les charges de service public de l'énergie (CSPE). La délibération sera prise le 13 juillet 2023.

Le montant des charges du « bouclier tarifaire » qui vont peser sur l'exercice budgétaire 2023, soit au titre de l'année 2023, soit au titre des rattrapages des années précédentes, approche les 30 milliards d'euros. Cet investissement de la Nation, extrêmement important, a permis de limiter les hausses à 4 % en 2022 et 15 % en 2023. Pour le consommateur individuel, le prix de l'électricité reste en France parmi les plus bas d'Europe.

L'extinction des TRVG, représentait également une préoccupation très importante à mon arrivée. Il me semble que l'accompagnement réalisé par le MNE et par nous-mêmes fonctionne plutôt bien.

Nous avons beaucoup travaillé sur de nombreux points. Le premier concerne l'offre passerelle. Il s'agit de vérifier avec Engie que l'offre par défaut, vers laquelle basculent les consommateurs qui n'ont pas choisi de sortir des TRVG ou, en tout cas, qui n'ont pas choisi un nouveau fournisseur, est acceptable. Elle reste très proche des TRVG actuels. Les consommateurs qui passent en offre passerelle seront, de mon point de vue, dans une situation satisfaisante.

Par ailleurs, nous avons cherché à éclairer les consommateurs pour qu'ils puissent choisir un fournisseur dans de bonnes conditions. Au-delà de tous les courriers formels qui ont été envoyés par les gestionnaires des tarifs réglementés, conformément à la loi, nous avons décidé de produire un prix repère qui permet au consommateur d'avoir une idée de la situation du marché en choisissant son fournisseur.

Ces choix de fournisseurs ont lieu en cette période. Nous pourrons donc disposer au deuxième semestre 2023 des chiffres concernant le nombre de personnes qui ont récemment choisi un fournisseur. Néanmoins, ce prix repère est connu et repris par le comparateur d'offres du MNE avec lequel nous travaillons étroitement. Cette information permet d'éclairer les clients dans le choix de leurs fournisseurs.

Je rappelle que les TRVG ont été fixés par la CRE à partir d'une formule de calcul : 85 % du prix était mensuel, et le reste trimestriel, c'est-à-dire que ce prix variait tous les mois. En 2021, avant le « bouclier tarifaire », les TRVG pour les particuliers ont augmenté d'un peu plus de 50 % entre le 1er janvier et le 1er octobre 2021. Les TRVG en eux-mêmes n'étaient pas particulièrement protecteurs des variations du marché puisqu'ils reflétaient ces variations. Les prix réglementés ont augmenté de 50 % en moins d'un an en 2021 jusqu'à ce que le Gouvernement mette en place un « bouclier tarifaire » pour le gaz. La mécanique mensuelle des TRVG s'est révélée peu protectrice des consommateurs, contrairement aux TRVE fixés avec une formule différente, fondée sur les prix des deux années précédentes essentiellement, à laquelle s'ajoutent l'Arenh et l'écrêtement.

M. Daniel Gremillet. - Madame la présidente, je souhaiterais recueillir votre avis sur deux sujets d'actualité.

Tout d'abord, quel est votre point de vue sur la réforme du marché européen de l'électricité ? Les nouveaux outils de financement de long terme - les Contracts for Difference (CfD) et les Power Purchase Agreements (PPA) - sont-ils pertinents ? Pensez-vous qu'un dispositif de CfD puisse se substituer à l'Arenh après 2025 ? Si oui, dans quelles conditions ? Par ailleurs, les interventions ciblées dans la fixation des prix en cas de crise sont-elles satisfaisantes ? Estimez-vous leurs critères de mise en oeuvre - l'initiative de la Commission européenne, l'exigence de hausses de prix ou la limitation de volumes de consommation - suffisamment opérationnels ? Plus encore, quelle appréciation portez-vous sur les futures loi quinquennale sur l'énergie et PPE ? Avez-vous un point de vue sur le mix électrique idéal ? Le Sénat s'est positionné pour un mix majoritairement nucléaire à l'horizon 2050, ainsi que pour un couplage de la production nucléaire avec celle d'hydrogène : partagez-vous cette position ?

Enfin, quel est votre avis sur l'évolution CSPE, qui sous-tendent les dispositifs de soutien publics aux énergies renouvelables ? L'automne dernier, la CRE avait évalué ces charges à - 35 milliards d'euros, compte tenu de la hausse du prix de l'électricité. Où en est-on ? Quels seront leur niveau effectif pour 2023 et celui prévisionnel pour les années à venir ?

M. Patrick Chauvet. - Madame la présidente, je souhaiterais vous poser une question sur l'application de la loi « Accélération des énergies renouvelables ».

Cette loi a modifié les critères de sélection des projets d'énergies ou d'hydrogène renouvelables soutenus par appels d'offres, en leur appliquant un « bilan carbone » et une « contribution territoriale ».

Cette loi a également conforté les attributions de la CRE s'agissant des raccordements, dont la modification de l'ordre de priorité, la mutualisation des travaux de renforcement, ou de la révision des schémas régionaux de raccordement au réseau des énergies renouvelables (S3REnR).

Cette loi a enfin élargi les attributions de la CRE concernant les énergies renouvelables, dont le déploiement de l'hydrogène bas-carbone ou renouvelable, la surveillance des contrats de long terme en électricité et gaz renouvelables ou la mise en oeuvre d'opérations d'autoconsommation étendue en gaz renouvelable.

Quel est votre avis sur ces novations et leur application ?

M. Fabien Gay. - Madame la présidente, je voudrais tout d'abord vous dire publiquement que, même si nous avons des débats, le travail que vous effectuez depuis un an est d'extrême qualité. Je n'étais pas présent l'an dernier lors de ces débats, je ne sais pas ce que j'aurais voté, mais j'aurais probablement voté contre votre nomination. En revanche, si j'avais à voter à l'heure actuelle, je voterais pour que vous poursuiviez votre tâche. Même si nous avons des désaccords, je trouve que vous avez pris les questions en main.

Mme Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE. - Je vous remercie beaucoup. Cela a beaucoup de valeur pour moi.

M. Fabien Gay. - Naturellement, nous avons toujours des débats car je pense : à titre personnel, que l'Arenh ne protège absolument pas les consommateurs. Vous avez annoncé une pénalité de 1,6 milliard d'euros sur le CP1 et de 21,9 millions d'euros sur le CP2. Nous avons été assez surpris dans les auditions conduites, dans le cadre de notre mission d'information, que l'ensemble des personnes auditionnées ne connaissent pas l'allocation du CP1. Or des règles précises doivent être fixées. Il semble en effet plutôt curieux que les personnes qui commettent des fraudes ou des abus puissent tirer avantage d'un « pot commun » ainsi constitué. Si je commets un délit, je dois payer une amende à l'État. Je ne paye pas une amende qui alimente un « pot commun » dont tous ceux qui auraient fraudé dans l'année se verraient attribuer une part. Cette situation est complètement surréaliste. Êtes-vous d'accord avec une des propositions que nous vous faisons, à savoir que cet argent retourne aux consommateurs et aux consommatrices, qu'ils soient résidentiels, TPE, PME notamment ?

Par ailleurs, à titre personnel, je conteste le mode de calcul, qui aboutit à une application du CP1 à partir de 232 euros. 70 % de l'électricité fournie représente l'Arenh au prix de 42 euros. Les 30 % restants, si nous retenons les 232 euros utilisés par vous pour constituer le CP1, approcheraient les 700 euros. Même si un pic à 1 000 euros s'est produit au coeur du mois d'août 2022, je conteste que les fournisseurs, au cours d'une année, aient dû racheter 30 % de l'électricité à un prix moyen de 700 euros. Je pense donc que ces 1,6 milliard d'euros de CP1 sont nettement sous-évalués.

Enfin, nous vous proposons un certain nombre de préconisations pour renforcer les sanctions et les contrôles, notamment concernant les abus d'Arenh et les comportements opportunistes liés à la saisonnalité.

Qu'en pensez-vous ?

Mme Dominique Estrosi Sassone. - Madame la présidente, je voudrais m'associer aux propos de mon collègue Fabien Gay. Lorsque nous vous avons auditionné, dans le cadre de cette mission d'information, vous nous avez apporté un certain nombre d'informations qui nous ont permis d'aller plus loin dans nos travaux.

Nous avons élaboré une série de propositions qui visent à consolider les obligations des fournisseurs. Nous suggérons de renforcer les conditions requises pour bénéficier d'une autorisation de fourniture avec l'institution d'obligations prudentielles. Nous souhaitons également centraliser ces autorisations de fourniture auprès de la CRE, plutôt que du ministère de la transition énergétique (MTE). Une fois délivrées, ces autorisations de fourniture doivent être mieux encadrées, avec des réexamens, des retraits ou des suspensions effectifs.

Notre dernière série de propositions a trait à l'amélioration de la protection des consommateurs. Nous appelons à modifier l'article L. 224-10 du code de la consommation, qui autorise les modifications contractuelles, en allongeant le délai de prévenance, en instituant une information loyale, complète et circonstanciée et en encadrant les évolutions liées aux indexations de prix. Nous proposons aussi de renforcer l'information des consommateurs sur le caractère risqué des offres, en cessant d'assimiler, à des prix fixes, celles faisant l'objet d'un écrêtement d'Arenh. Dans le même esprit, nous voulons compléter le comparateur d'offres du MNE, notamment en envisageant d'y mentionner les fournisseurs ayant fait l'objet de sanctions de la part du CoRDiS, selon une logique de name and shame.

Quel est votre avis ?

Mme Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE. - Permettez-moi de remercier M. le rapporteur Fabien Gay pour son propos introductif, qui me touche beaucoup. Je mets de la volonté et de l'énergie à conduire cette belle institution qu'est la CRE. J'en profite pour saluer l'action du collège, du directeur général et des services de cette institution.

Monsieur le sénateur Daniel Gremillet, selon moi, la réforme du marché européen de l'électricité va dans le bon sens parce qu'elle comporte un élément très important qui consiste à faire en sorte que le prix de marché final pour le consommateur ne soit plus le prix de court terme. Le marché de court terme fonctionne et permet de faire de l'ajustement offre-demande à quelques mois, quelques semaines, voire quelques jours, mais le prix final du consommateur ne devrait pas être aussi dépendant de ce prix de court terme.

Il faut donc privilégier tous les outils de long terme, c'est-à-dire un marché plus liquide avec des échéances à cinq ans, des CfD, qui sont des contrats dans lesquels une contrepartie, en général publique, garantit un prix d'achat et donc de revente aux producteurs et les PPA, qui sont des contrats privés, de gré à gré, entre le consommateur final et le producteur. Le développement de ces outils devrait nous permettre de ramener les prix finaux plus proches du coût de production, donc plus proches de la réalité du mix énergétique sur le territoire national.

De plus, le renforcement des obligations prudentielles des fournisseurs est un élément très important pour la protection du consommateur, mais aussi parce que si les fournisseurs sont obligés d'avoir une partie de leur approvisionnement à long terme, alors le marché long terme se développera encore plus. Le consommateur est ainsi encore plus protégé contre la volatilité des prix.

Le règlement européen actuellement en discussion va dans cette direction. Les discussions portent beaucoup sur les types d'actifs qui peuvent être sous CfD, notamment les actifs existants et en particulier l'énergie nucléaire française. Les discussions ne sont pas achevées. L'Arenh se termine au 1er janvier 2026. La suite doit donc être envisagée, qu'il s'agisse d'un CfD ou d'un plafond de prix. EDF pourrait ainsi commercialiser en toute liberté jusqu'à ce plafond de prix, qui protégerait les consommateurs si les prix devenaient trop élevés. Qu'il s'agisse de l'un ou de l'autre, un mécanisme devra prendre le relais.

Les critères de mobilisation de crise, tels qu'ils ont été rédigés, visent à lutter contre une éventuelle nouvelle crise telle que celle que nous avons traversée. Ils ne sont pas applicables en routine sur le marché. Des outils de routine sur le marché doivent donc être élaborés pour atteindre cet objectif de développement des énergies électriques décarbonées et de protection des consommateurs.

Concernant la loi de programmation et la PPE, sur le mix énergétique, je ne sais pas si le rôle de la CRE consiste à prendre une position en opportunité sur la répartition du mix. Évidemment, la CRE soutient un mix décarboné ; c'est l'enjeu des cinquante années à venir. Il s'agit de décarboner, non seulement notre production électrique, qui l'est déjà très largement, mais aussi notre économie, c'est-à-dire les transports, le bâtiment et l'industrie.

Au sein d'un mix décarboné, nous avons besoin d'une fraction de pilotable significative. En effet, équilibrer l'offre et la demande s'avère compliqué, au-delà d'un certain volume d'énergies renouvelables. Je ne me risquerai pas à donner une indication chiffrée, c'est pour cette raison que nous avons besoin d'énergie nucléaire, qui est une énergie de base, et d'énergie hydraulique, qui est une énergie assez largement pilotable. Nous pouvons et devons développer des énergies renouvelables classiques, solaire et éolien. Plus nous disposons d'énergies renouvelables classiques, plus les mécanismes de stockage et de flexibilité deviennent très importants. En effet, plus les énergies sont intermittentes, plus il faut trouver une réponse au décalage entre la production intermittente et la consommation à des moments qui ne correspondent pas forcément aux périodes de production. Nous avons besoin d'électricité, de gaz vert, de réseaux de chaleur, en somme, d'un équilibre global des sources d'énergies.

Concernant la CSPE, nous allons délibérer le 13 juillet 2023, et procéder de nouveau à une analyse, à une hypothèse sur la contribution des énergies renouvelables aux CSPE. Cette contribution ne sera pas à la hauteur de ce qu'on avait calculé en novembre 2022, puisqu'elle avait alors été calculée avec les prix de marché de septembre 2022. Les prix ont été divisés plus que par deux. La nouvelle hypothèse devrait donc être l'équivalent de notre précédente hypothèse, divisée par deux. Je ne dispose pas encore du chiffre définitif, puisque la délibération aura lieu la semaine prochaine.

Monsieur le sénateur Patrick Chauvet, concernant l'application de la loi « Accélération des énergies renouvelables », la CRE était favorable aux différentes évolutions de ses compétences. Nous allons donc essayer d'y répondre au mieux avec des équivalents temps plein (ETP) limités. Se pose toujours la même question : comment faire sans disposer de plus de personnes et de plus d'agents ? Cette question est récurrente.

Réussir à intégrer dans les appels d'offres le « bilan carbone », d'un côté, et la « contribution territoriale », de l'autre, est très important. Nous avons besoin, dans les appels d'offres, de pouvoir favoriser un écosystème français et européen. Les Américains le font massivement avec l'Inflation Reduction Act (IRA). La France n'a aucune raison d'être la seule zone de développement qui n'essaie pas de développer et de maintenir des filières industrielles absolument stratégiques. Pour l'instant, nous sommes très limités par ces critères. Si les critères pouvaient être rédigés de façon plus ouverte et plus opérationnelle, nous nous en réjouirions.

Nous travaillons énormément sur la mutualisation du raccordement avec Enedis et RTE, à la fois pour anticiper les travaux de raccordement quand c'est possible - nous l'avons réalisé à Dunkerque - et pour gérer avec eux la modification de la file d'attente dans les zones où les demandes sont trop importantes, afin de choisir des projets matures. L'objectif est de ne pas bloquer la puissance de raccordement pour des projets qui, en fait, ne se réaliseraient pas. Dans la zone de Fos-Marseille en particulier, où j'étais ces jours derniers, les besoins de raccordement sont immenses, en raison de nombreux projets industriels de décarbonation en attente.

Nous souhaitons une surveillance des contrats de long terme. Nous sommes absolument convaincus de la nécessité de développer les contrats de long terme sur le marché. Nous avons également besoin d'une visibilité sur les conditions contractuelles, concernant les prix et les autres conditions, afin de pouvoir ajuster la partie appel d'offres à la réalité du marché. Nous avons souhaité pouvoir être mobilisés pour réaliser un rapport d'évaluation sur ce sujet. Vous nous avez donné partiellement cette compétence. Je dis « partiellement », parce que nous voulions pouvoir demander à tous ceux qui signent des PPA, c'est-à-dire à tous les fournisseurs, de nous procurer les informations, pas seulement quand il s'agit des installations en partie régulées, mais cette possibilité n'a pas été retenue dans la version définitive de la loi. Nous considérons que nos pouvoirs de police généraux nous permettent de le faire, et nous verrons bien si les fournisseurs refusent ou acceptent.

L'auto-consommation est également un sujet que nous allons reprendre. Elle doit être développée dans des conditions qui permettent toujours la solidarité nationale sur les réseaux. Cela représente un enjeu.

Concernant les CP1 et CP2, je partage assez largement votre analyse. Tout d'abord, nous n'avons pas encore vu vos propositions, Mme le rapporteur, M. le rapporteur, parce que vous avez adopté le rapport d'information tout récemment. Nous les découvrirons donc quand le rapport d'information sera rendu public et nous les lirons avec beaucoup d'intérêt. Le CP1 va des fournisseurs qui avaient exagéré leur demande aux fournisseurs dont la demande était plus mesurée.

Je partage votre point de vue sur le fait que, in fine, le CP1 devrait retourner aux consommateurs. Nous l'avons d'ailleurs écrit dans la délibération sur les CP1 et CP2. Quand il s'agit de consommateurs, en dehors des mécanismes de tarifs réglementés et de « boucliers tarifaires », nous avons invité les fournisseurs à restituer cet argent aux consommateurs. Nous n'avons pas pu faire plus, parce que nous ne disposons pas des éléments légaux pour agir. Mais dans une période pendant laquelle les prix ont énormément augmenté et où certains fournisseurs in fine récupèrent de l'argent, cela nous semblerait normal.

Par conséquent, je le dis à nouveau, nous souhaitons vraiment que les fournisseurs rendent à leurs clients, en fonction des conditions contractuelles et en fonction de leur situation, la quote-part du CP1 que les fournisseurs, qui avaient moins demandé, ont reçue. Les consommateurs protégés par le « bouclier tarifaire » n'ont pas été pénalisés par le fait que l'écrêtement s'est finalement avéré un peu plus élevé que prévu. Il faudrait en fait le rendre au budget de l'État, mais aucun mécanisme dans les textes actuels ne permet de le faire.

Nous disposons de plus de marge de manoeuvre sur le bouclier 2023, puisqu'il prévoit que les fournisseurs sont compensés dans la limite de leur coût d'approvisionnement. Nous pourrions ainsi considérer que leur récupération de CP1 fait baisser leur coût d'approvisionnement. Cette mécanique est un peu complexe de notre côté, mais nous pourrions considérer que nous saurions l'appliquer sur le bouclier 2023. Les textes n'ont pas été conçus dans une période où il y avait autant de CP1 et, selon l'analyse de la CRE, la situation était vraiment difficile à prévoir. Ainsi, nous enregistrons 5,6 % de surdemande dans une période où la consommation a in fine baissé de 4 %, de manière imprévue, tandis que les fournisseurs alternatifs ont massivement perdu des clients. Je vous rappelle que le guichet de l'Arenh a eu lieu avant le phénomène de corrosion sous contrainte (CSC) et avant la déclaration de guerre de la Russie à l'Ukraine. À ce moment-là, prévoir une baisse de consommation et une répartition du marché de ce type n'apparaissait pas comme une évidence. Si le système était maintenu, le CP1 aurait vocation à retourner vers les consommateurs.

Concernant l'abus d'Arenh, nous mobilisons tous les outils dont nous disposons. Nous avons requalifié les demandes d'Arenh au guichet 2023, envoyé trois fournisseurs au comité de règlement des différends et des sanctions (CoRDiS) en demandant une suspension des livraisons d'Arenh courant 2023, grâce aux nouvelles compétences que vous nous avez données dans la dernière loi de finances pour 2023. Trois enquêtes se déroulent actuellement : un procès verbal (PV) est chez le fournisseur pour contradictions ; j'ai déjà procédé à un signalement article 40 ; je dois signer le deuxième PV la semaine prochaine et le troisième dès que possible. Ces dossiers seront ensuite transmis au CoRDiS, et des enquêtes de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) sont en cours. Actuellement, nous mobilisons vraiment tous les outils en notre possession pour lutter contre les abus d'Arenh.

Une question sous-jacente porte sur la saisonnalité des droits d'Arenh comparée à l'utilisation. Le mécanisme de l'Arenh va durer encore deux exercices et a vocation à être remplacé. Si l'Arenh était pérenne, cette question mériterait d'être posée à nouveau. Je rappelle que le dispositif a été conçu pour privilégier les industriels dans les droits Arenh, c'est-à-dire pour privilégier les gros consommateurs au détriment, si je peux dire, des consommateurs individuels. La raison d'un déséquilibre entre la période qui génère des droits et la période d'utilisation, visait à essayer de donner proportionnellement un peu plus de droits aux gros consommateurs industriels, et un petit peu moins aux consommateurs individuels.

Pour répondre à Mme le rapporteur Dominique Estrosi Sassone, nous aimerions récupérer les autorisations de fourniture et durcir les textes. Si cela se produit, nous le ferons avec vigilance et rigueur parce que les obligations prudentielles sur les fournisseurs doivent être durcies et les autorisations de fourniture, révisées à intervalles réguliers. La fourniture d'électricité ou de gaz, diffère de la fourniture de n'importe quel autre produit. La capacité du fournisseur à assumer son activité doit donc être vérifiée. Certains fournisseurs commencent, arrêtent, transfèrent des portefeuilles clients à d'autres filiales, qui émergent à nouveau. Vous avez dû les repérer également. Nous essayons de lutter, avec les moyens dont nous disposons, dans ces situations-là.

Nous considérons également avec intérêt le sujet de l'amélioration de la protection des consommateurs et l'information des consommateurs, notamment concernant les modifications contractuelles. Nous discutons de ces sujets avec la DGCCRF pour déterminer comment elle peut, elle aussi, agir pour la protection des consommateurs. Je serais à première vue favorable, même si je n'ai pas encore lu les propositions, à un renforcement des dispositions du code de la consommation.

Les consommateurs n'ont pas l'habitude de regarder de près leur contrat d'électricité et de gaz, contrairement à leur contrat de téléphonie et de box Internet. Le simple fait de savoir que leur contrat est à prix variable n'est pas du tout une évidence. Une grande partie des contrats se base sur un prix variable indexé. Les modes d'indexation restent mal connus et les conditions dans lesquelles les conditions contractuelles peuvent changer le sont également. Nous devons donc transmettre beaucoup d'informations au consommateur, concernant le choix d'un contrat. Par ailleurs, renforcer les obligations pour éviter les modifications, de façon unilatérale ou dans des délais trop courts notamment, me paraît tout à fait une bonne idée.

M. Franck Montaugé. - Madame la présidente, merci de votre présentation, ainsi que de votre travail. J'aimerais aborder trois sujets.

Quels enseignements tirez-vous, dans le cadre de votre mission de fonction de contrôle, des déficiences de la CRE en matière de contrôle des fournisseurs alternatifs, en tout cas, de certains qui ont bénéficié de l'Arenh ? Des sanctions ont été prises, très tardivement, et nous savons par ailleurs que la plupart des bénéficiaires de l'Arenh en tant que fournisseurs n'ont pas, par exemple, contribué à la production.

Quelle est votre contribution en termes de propositions et d'échanges avec les autres autorités de contrôle européennes en matière de market design ? Les Français ont intérêt à ce que les prix se forment au plus près des composantes diverses de notre mix énergétique national. Quelles sont vos propositions en rapport avec ce sujet ?

Si cela fait partie de vos compétences, mais je n'en suis pas certain, quelle analyse ou évaluation faites-vous à ce stade de la mise en oeuvre de la loi « Accélération des énergies renouvelables » ? Elle est récente, mais les choses sont en train de se mettre en place dans les territoires, et je pense qu'il ne faut pas manquer le début. Avez-vous examiné la situation et éventuellement pouvez-vous formuler des propositions pour que les choses se passent au mieux et le plus rapidement possible ?

M. Pierre Louault. - Madame la présidente, le développement des pompes à chaleur (PAC) est encouragé, ce qui est logique. Dans le même temps, la suppression des chaudières à gaz est exigée, alors que nul ne sait quand la production d'électricité s'avérera suffisante pour répondre à toutes les demandes. De plus, personne ne sait si les réseaux seront adaptés. Ne serait-il pas sage de garder en secours des chaudières à gaz au moment où nous ne tiendrons plus le réseau électrique ?

M. Serge Mérillou. - Madame la présidente, ma question porte sur l'inquiétude face à l'augmentation de consommation d'électricité et les investissements nécessaires, d'une part, pour la production d'électricité via le nucléaire et les EnR et, d'autre part, pour les réseaux qui représentent un point fragile et sensible. Sommes-nous sereins face à cette augmentation dans la capacité de production et de transport ? Quel sera l'impact sur l'augmentation du coût de l'électricité qui, en France, reste quand même plutôt abordable et constitue un atout pour l'activité industrielle ?

Si j'ai bien compris, la loi ne vous donne pas toutes les possibilités de contrôle sur l'Arenh. Souhaitez-vous que la législation évolue pour que le contrôle de l'Arenh devienne beaucoup plus strict ? Pourrions-nous notamment imaginer que les producteurs alternatifs soient réellement obligés de construire des capacités de production ou de participer financièrement aux programmes d'investissement des industriels ? Je pense notamment à EDF qui, lui, produit et investit pour produire de l'énergie électrique.

M. Jean-Jacques Michau. - Les moyens dont vous disposez seront-ils suffisants pour atteindre tous les objectifs assignés à la CRE ?

J'aimerais revenir sur le rapport d'information que notre commission vient d'adopter sur l'Arenh. Il semble qu'il existe un « fatras » d'organismes qui interviennent : EDF, RTE, la CRE, la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Une simplification pourrait-elle être envisagée, au moins pour une meilleure lisibilité des sommes qui sont en jeu ?

Dans votre propos liminaire, vous avez parlé des enjeux du développement des énergies renouvelables et de l'énergie nucléaire : existe-t-il une hiérarchie entre ces sources d'énergies ? En effet, il me semble que, dans le mix énergétique, nous avons besoin d'une offre d'électricité de base. Si elle est produite par les énergies renouvelables, parviendrons-nous à financer l'énergie nucléaire ?

M. Bernard Buis. - Madame la présidente, j'aimerais vous poser deux questions rapides concernant la souveraineté et la sobriété. À l'heure de la guerre en Ukraine, ne faudrait-il pas envisager assez rapidement une Union européenne de l'énergie ?

Ma deuxième question porte sur les perspectives d'inflation en matière d'évolution des tarifs pour nos collectivités locales, les régies et les délégations de service public. Disposez-vous d'une lisibilité ?

M. Olivier Rietmann. - Dans mon département, qui constitue un petit territoire rural, nous possédions jusqu'à maintenant des réseaux adaptés à la population, et à notre capacité de production très limitée. En effet, nous ne disposions ni d'unités hydrauliques, ni de capacités de production d'énergies fossiles ou nucléaire. Nous avons désormais un potentiel assez important en termes d'EnR. En effet, en matière de gaz, la Haute-Saône atteindra avant tout le monde 50 % de production de gaz vert dans les deux ans à venir, notamment grâce aux méthaniseurs. Nous avons par ailleurs un potentiel de développement en matière d'énergies renouvelables électriques. La semaine dernière, j'ai accompagné des membres de notre commission, pour la visite d'une canopée agrivoltaïque sur grandes cultures, une première au monde. Elle est installée en Haute-Saône sur trois hectares.

Les opérateurs présents nous ont confirmé que nous possédons une capacité de production d'énergie, notamment photovoltaïque ou de méthanisation, très importante. Cependant, nos réseaux seront complètement saturés dans les dix ans à venir. Transporter cette électricité via des raccordements coûte très cher. Cette difficulté empêche tous les projets qui pourraient être mis en place. Je comprends que de gros accompagnements soient prévus pour des projets importants, mais projetez-vous également d'accompagner financièrement les petits territoires dans le développement de leurs réseaux ?

M. Christian Redon-Sarrazy. - Merci madame la présidente de vos propos. Je reviendrai rapidement sur la fin des TRVG et en particulier les conséquences pour les collectivités territoriales qui sont, pour nombre d'entre elles, très dépendantes du gaz et rencontrent des difficultés pour évoluer vers d'autres sources d'énergies. Les organismes en charge des habitations à loyer modéré (HLM) sont également concernés. Les collectivités territoriales se trouvent actuellement dans des difficultés budgétaires majeures, très inquiétantes pour les exercices à venir. Quel accompagnement prévoyez-vous pour éviter que ce poste de dépense ne grève la capacité d'action de nombreuses collectivités territoriales ?

Mme Anne-Catherine Loisier. - Madame la présidente, le bois-énergie, première énergie renouvelable pilotable en France, représente entre 36 et 40 % de la production renouvelable et un équivalent de 125 TWh. J'aimerais connaître votre stratégie concernant cette énergie renouvelable notamment, comme cela a été évoqué, en matière de soutien financier aux réseaux liés aux chaufferies biomasse bois dans les territoires.

M. Daniel Salmon. - Merci madame la présidente de cette présentation. Nous savons que les dix à quinze années à venir s'annoncent difficiles s'agissant de l'équilibrage du réseau électrique. Le remplacement de toutes les chaudières à gaz par des pompes à chaleur (PAC) provoquerait une pointe de 20 GW, ce qui s'avère impossible à tenir. J'aimerais connaître votre position sur ce sujet des chaudières à gaz, ainsi que sur la question des réseaux, déjà évoquée, mais fondamentale. À ce jour, la tendance s'inverse pour passer d'une production très centralisée vers des productions très diffuses. La question des réseaux se révèle donc légitime et soulève le sujet de l'investissement.

Par ailleurs, vous avez parlé de l'effacement qui s'annonce crucial dans les années à venir. Une hiérarchisation devra être réalisée. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ? Quels contrats sont mis en place à ce niveau ?

Mme Sophie Primas, présidente. - Merci mes chers collègues, madame la présidente. Vous savez que les producteurs qui possèdent des méthaniseurs ont signé des contrats correspondant à un certain niveau de production. Pendant cette crise qui a vu le prix de l'électricité augmenter, ils étaient obligés d'acheter très cher de l'énergie sur le marché, en remettant en cause l'équilibre budgétaire de leur production issue des méthaniseurs. Ils ont demandé à pratiquer l'autoconsommation et à passer au-dessus de leur niveau de contrat sur la partie qui leur sert à produire. Mais cela s'est avéré impossible.

La CRE pourrait-elle se pencher sur ce sujet ?

Mme Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE. - Merci madame la présidente, je vais essayer de répondre à toutes ces questions.

Monsieur le sénateur Franck Montaugé, en ce qui concerne les fournisseurs alternatifs, le système a été construit dans une période où les besoins d'investissement étaient moins importants. Surtout, la crise des prix et l'évolution des prix différaient de celles que nous avons connues. Selon moi, les grands éléments de modification du système se traduiront par plus de rigueur au niveau des fournisseurs alternatifs, avec des autorisations de fourniture revues et rendues plus strictes, et des obligations prudentielles, sous une forme qui reste à définir, mais dans laquelle les fournisseurs alternatifs seront incités à s'approvisionner en partie à long terme, quel que soit le type d'obligations mis en place.

Ils seront ainsi incités, soit à s'intégrer avec de la production en amont, en produisant eux-mêmes, soit à contractualiser à moyen ou long terme avec de la production en amont, s'ils sont trop petits pour produire eux-mêmes. Ce système s'avérera bénéfique pour les producteurs qui disposent d'un débouché à long terme, ainsi que pour les consommateurs des fournisseurs alternatifs, parce que la fourniture sera adossée à la production qui elle-même se trouve verrouillée, d'une certaine manière, à long terme. Selon moi, il faudrait vraiment adopter ce système.

Le mécanisme de l'Arenh lui-même s'avère asymétrique car la période de constitution des droits ne correspond pas à la période d'utilisation des droits et cela crée des difficultés. Les outils juridiques se sont renforcés. Cela prend simplement du temps. J'ai lancé les premières enquêtes en septembre 2022, mais il faut un agent enquêteur dédié qui enquête par écrit, récupère des réponses, les analyse, établisse ensuite un procès-verbal, et constate donc qu'il y a des manquements ; ce procès-verbal part à la contradiction puis au CoRDiS qui va réinstruire et tout cela va prendre beaucoup de temps.

Le CoRDiS, présidé par Thierry Tuot, qui est la formation de jugement de la CRE et demeure autonome par rapport au collège, est en train de faire aboutir un travail sur des propositions législatives pour simplifier et accélérer les sanctions. Pour l'instant, nous instruisons trois fois. Un vecteur législatif devra donc être trouvé, éventuellement la loi de transposition de la réforme du marché européen de l'énergie. Nous nous retrouvons bloqués, alors même, qu'au bout de longues procédures, nous avons les éléments pour constater des abus. La prochaine modification, devra donc concerner les procédures et nous fera gagner beaucoup de temps.

Concernant le market design, si les obligations des fournisseurs sont vraiment adossées à de l'approvisionnement long terme, les prix de marché se rapprocheront des outils de production sur sol français, donc du mix national. Les fournisseurs concluront des contrats de long terme et les interconnexions étant limitées - de notre côté, nous souhaitons aussi que des contrats de long terme soient conclus sur les interconnexions, mais c'est impossible - ils iront forcément chercher de l'électricité là où elle est produite, ce qui rapprochera le prix final du prix long terme.

La question sur l'application de la loi « Accélération des énergies renouvelables », est un peu prématurée. Nous travaillons sur une partie, mais le plus important, est vraiment de réaliser les schémas territoriaux, les zones d'accélération territoriale pour déterminer les zones dans lesquelles cela se révèle difficile, ainsi que les zones dans lesquelles cela est faisable. Nous sommes concernés au deuxième niveau parce que nous réalisons les S3REnR. Nous ne sommes pas partie prenante de la discussion locale, puisque la CRE est essentiellement un organisme national. À titre personnel, je commence à consacrer un temps important à des visites de terrain, parce que je pense qu'il est utile d'aller à la rencontre des élus et des producteurs locaux. Les schémas de raccordement doivent être cohérents avec les zones d'accélération. Nous devons donc les réaliser ensemble, car nous ne pouvons pas établir des schémas de raccordement avant de savoir où les énergies renouvelables seront installées.

Concernant les PAC et les chaudières à gaz, je fais preuve d'une grande prudence. Le chauffage doit bien sûr être décarboné. J'ai d'ailleurs porté dans mes fonctions antérieures le dossier sur la fin des chaudières au fioul, un sujet difficile et délicat à mettre en oeuvre. Les chaudières à gaz ne représentent pas le même volume. Le rapport que nous avons réalisé sur les infrastructures montre que, dans le cadre des pires hypothèses, c'est-à-dire, si nous n'effectuons pas assez de rénovations, cela pourrait provoquer une pointe supplémentaire jusqu'à 35 GW qui ne serait pas du tout acceptable pour le réseau électrique.

La solution consiste donc à réussir à faire monter en puissance le réseau électrique, à la bonne vitesse par rapport à l'évolution des chaudières à gaz. Dans un premier temps, cela se traduira par la fin des aides avant d'imposer une interdiction pure et simple. Cette évolution ne peut se faire qu'en coordination avec l'évolution de la capacité électrique et celle des réseaux. Se pose également la question des PAC classiques ou des PAC hybrides qui permettent d'aller chercher du gaz, soit quand il fait vraiment très froid et qu'elles fonctionnent moins bien, soit quand le flux d'électricité se trouve trop tendu. La crise précédente a ainsi montré la complémentarité des réseaux.

Concernant le réseau, nous ne sommes pas totalement sereins car nous avons un énorme pic d'investissement à passer. Le sujet porte à la fois sur le financement et la faisabilité opérationnelle. Nous discutons également au quotidien avec Enedis et RTE de leur capacité à s'approvisionner en postes sources ou en câbles pour les équipements et de leur capacité à détenir leurs propres compétences, ainsi que celles des entreprises sous-traitantes et partenaires. La trajectoire d'investissement est élevée, les tarifs d'utilisation des réseaux qui vont augmenter, représentent un énorme sujet pour la prochaine campagne tarifaire.

Nous sommes déterminés. 40 GW de puissance d'éolien offshore doivent être raccordés, ce qui n'est pas du tout comparable à ce que nous avons réalisé jusqu'à présent. Je voudrais saluer RTE qui a assuré les raccordements sur l'éolien offshore. Le volume de raccordement est énorme. Nous sommes extrêmement conscients qu'il existe des raccordements gros, moyens et petits. Notre système simple, cartésien, centralisé et descendant reposait sur 56 réacteurs nucléaires qui produisaient l'essentiel de l'électricité, ainsi qu'un maillage qui l'acheminait jusqu'au consommateur final. Quant au gaz, il était importé et son réseau permettait d'acheminer ces flux d'import jusqu'au consommateur final.

Notre futur système doit être maillé complètement différemment en tenant compte de la production un peu partout et doit être bidirectionnel. Cette évolution représente une révolution culturelle chez GrDF qui est extrêmement mobilisé. Ce sujet est au coeur des projets stratégiques du distributeur qui accepte désormais du gaz sur le réseau et odorise alors qu'il ne s'était jamais posé la question de l'odorisation auparavant. Il a désormais des clients producteurs et pas uniquement consommateurs. Un changement complet de culture est en train d'advenir, et je voudrais saluer la motivation des équipes de GrDF.

De notre côté, nous devons valider des investissements de renforcement de maillage et de rebours. Nous restons très vigilants sur ce point. Chaque trimestre, nous délibérons pour valider les investissements proposés - en général une vingtaine ou une trentaine - et désormais nous passons tout le reste de la séance à discuter des projets d'investissement que les services ne veulent pas retenir. Concrètement, le collège challenge les services, leur demande d'expliquer les raisons de leur refus et la façon de faire évoluer la solution pour répondre aux besoins.

Nous souhaitons vraiment accompagner le développement des réseaux de gaz et d'électricité. Dans certains endroits, il n'a pas du tout été conçu pour supporter autant de trafic notamment en électricité, en raison du faible nombre d'habitants. Peu de maillage électrique et peu d'habitants égalent beaucoup de possibilités d'EnR et donc une transformation du réseau à réaliser rapidement. Nous suivons les délais de raccordement avec Enedis, mais nous ne sommes pas totalement d'accord. En effet, Enedis prend en compte toute la chaîne de délais de raccordement et considère qu'elle s'améliore, tandis que de notre côté, nous considérons la chaîne sous la responsabilité d'Enedis et considérons qu'elle s'améliore, mais pas assez rapidement. Nous discutons donc des indicateurs. Nous devons mener une révolution des réseaux autant qu'une révolution de la production. Nous ne sommes pas totalement sereins, mais mobilisés.

Pour être honnête, nous n'avons pas suffisamment d'effectifs pour mener à bien toutes ces missions. Notre budget est discuté chaque année, 160 personnes travaillent pour la CRE. J'en profite à nouveau pour saluer leur motivation, leur engagement et leur professionnalisme. Nous récupérons régulièrement beaucoup de nouvelles missions, nous souhaitons également être acteurs dans le domaine de l'hydrogène et de la capture du CO2, mais la situation s'avère tendue. Nous avons beaucoup de missions très diverses, chacune gérée par une petite équipe de chargés de missions. Cela représente beaucoup de travail. Nous vous adresserons probablement une demande de budget complémentaire.

Concernant les circuits Arenh, les calculs sont réalisés par la CRE, puis la CDC paye, en tant qu'opérateur et acteur des droits Arenh. Nous ne rencontrons pas de difficulté particulière avec ce fonctionnement. Ni RTE, ni EDF ne sont impliqués.

M. Dominique Jamme, directeur général de la CRE. - RTE fournit les données de consommation. Nous reprenons entièrement l'année 2022 demi-heure par demi-heure pour l'ensemble des clients français. M. le rapporteur Fabien Gay disait que les acteurs ne disposent pas de l'information. C'est normal, car tous ces calculs doivent être réalisés. RTE intervient donc en tant que fournisseur de l'ensemble des données de consommation sur le territoire national.

Mme Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE. - Les EnR et le nucléaire ne relèvent pas de la même temporalité. Le projet du nouveau nucléaire a été lancé. Les mécanismes de son financement sont actuellement à l'étude, pour qu'une décision soit prise rapidement. Les prochains réacteurs nucléaires seront installés autour de 2035, dans une hypothèse favorable. D'ici là, le besoin électrique présentera un pic majeur auquel peuvent répondre les énergies renouvelables. Les énergies renouvelables et le nucléaire ne doivent donc pas être opposés, car nous avons vraiment besoin des deux. Au cours des dix prochaines années, nous avons, entre autres, besoin de l'éolien offshore. Quand le nouveau parc nucléaire sera exploitable, une partie des réacteurs actuels pourra être prolongée jusqu'à soixante ans ou pas. À ce moment-là, nous disposerons peut-être d'un peu plus de flexibilité au niveau du choix du parc. Mais pour l'instant, toutes les énergies renouvelables confondues nous permettront de passer le pic à venir, qui s'annonce extrêmement important pour la période 2030-2035.

Monsieur le sénateur Bernard Buis, votre question très ouverte sur l'Union européenne de l'énergie mériterait une audition à part entière. Pour l'instant, il existe un marché unifié mais un mix énergétique qui reste sous compétence nationale. Il est important pour moi de maintenir cette compétence nationale, sinon une Union européenne de l'énergie irait probablement un cran plus loin.

Les prix de l'électricité et du gaz ont baissé. Le gaz est vraiment revenu à un niveau assez bas, tandis que l'électricité est revenue à un niveau intermédiaire avec une prime de risque pas négligeable entre l'Allemagne et la France. Les tarifs de réseaux vont finir par peser de façon non négligeable sur les tarifs finaux.

Monsieur le sénateur Christian Redon-Sarrazy, concernant la fin des TRVG, nous avons proposé une offre de service aux organismes HLM et aux collectivités territoriales. Nous travaillons avec l'Union sociale pour l'habitat (USH) sur un appui à la contractualisation et un guide pratique, qui sera publié fin juillet 2023. Nous aidons donc les organismes comme les entreprises sociales pour l'habitat (ESH) et les offices publics de l'habitat (OPH) à contractualiser. Nous avons proposé la même offre de services à l'Association des maires de France (AMF) pour travailler avec les collectivités locales. Nous prévoyons de collaborer avec d'autres associations de collectivités pour travailler sur le mode de contractualisation et aider, en particulier, les petites collectivités.

Madame la sénatrice Anne-Catherine Loisier, nous ne sommes pas directement compétents sur le bois-énergie. Nous sommes compétents quand nous voyons la biomasse arriver dans le mix énergétique, en cogénération ou sur de la production électrique, parce que le bois-énergie, pour les réseaux de chaleur en particulier, représente probablement une vraie solution. Se pose la question du travail de façon transversale sur toutes les énergies à l'échelle locale. Nous possédons une vision nationale, alors que la cohérence des approvisionnements des réseaux de chaleur, les approvisionnements en gaz et en biogaz, les éventuels développements locaux en électricité et en bois-énergie, se jouent à l'échelle locale. Il s'agit, selon moi, d'une filière indispensable dans la PPE.

Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice. - Le sujet de la cogénération existe pour les industries de la filière bois qui peuvent produire leur propre électricité et disposer ainsi d'un élément de compétitivité décisif pour ces entreprises.

Mme Emmanuelle Wargon, présidente de la CRE. - Ce point est partiellement couvert par les tarifs et nous y serons vigilants. Nous essayons d'accompagner au mieux les prochaines dix à quinze années difficiles sur les réseaux.

Monsieur le sénateur Daniel Salmon, concernant l'effacement, nous avons recommencé à travailler sur tous les mécanismes de flexibilité pour trouver comment les positionner. Tout le mécanisme de capacité peut également entrer en jeu. Nous avons vraiment besoin de la production, des réseaux et de la flexibilité au sens large du terme.

Madame la présidente, s'agissant des méthaniseurs, de nombreux ajustements ont récemment été réalisés pour essayer de permettre le dépassement de la consommation maximale d'énergie (Cmax), plusieurs fois sur une période de deux ans, contre un an auparavant, et pour apporter plus de flexibilité. Le MTE y travaille avec la CRE. Nous avons récemment délibéré sur un certain nombre de décrets et d'arrêtés en donnant un avis favorable. Nous avons effectivement besoin de donner un peu de flexibilité au monde de la méthanisation qui, lui aussi, a été très frappé par les variations de consommation et de prix.

Mme Sophie Primas, présidente. -Madame la présidente, je vous remercie beaucoup d'avoir répondu de façon complète à l'ensemble des questions de mes collègues. Je vous souhaite une bonne continuation dans vos fonctions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 11 h 45.