Mercredi 12 juillet 2023

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 12 h 30.

Politique étrangère et de défense - Initiatives européennes visant à renforcer l'industrie de la défense - communication de Mme Gisèle Jourda et M. Dominique de Legge

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, notre commission avait contribué à la création du Fonds européen de la défense (FEDef), doté de 7,9 milliards d'euros pour la période 2021-2027. Depuis lors, l'Union européenne a l'ambition de promouvoir des projets industriels européens en matière de défense. La Commission européenne s'est d'ailleurs dotée d'une nouvelle direction générale en charge de l'industrie de défense et de l'espace.

En mars 2022, réunis à Versailles, les chefs d'État ou de gouvernement des 27 ont - je cite - « décidé que l'Union européenne assumerait une plus grande responsabilité en ce qui concerne sa propre sécurité et, en matière de défense, qu'elle suivrait une ligne d'action stratégique et renforcerait sa capacité à agir de manière autonome ». Elle s'est dotée à cet effet d'une boussole stratégique qu'il a fallu ajuster dans la dernière ligne droite du processus d'adoption du fait de l'agression russe contre l'Ukraine. La réponse à cette agression, qui ne pouvait attendre, s'est finalement traduite, au moins à court terme, par un retour en force massif des États-Unis d'Amérique et par un affaiblissement de la conception française de l'autonomie stratégique. L'augmentation considérable des budgets de défense évoquée par la déclaration de Versailles bénéficie ainsi en premier lieu aux industries américaines de défense, plus qu'à la base industrielle et technologique de la défense européenne, que le FEDef devait contribuer à renforcer.

Néanmoins, pour appuyer militairement l'Ukraine de façon efficace, les États membres ont besoin de renforcer leur coopération et cela devrait conduire à la mise en place prochaine d'une plateforme européenne conjointe d'acquisition d'armements, ainsi qu'à une mobilisation commune pour alimenter l'Ukraine en munitions. Je laisse le soin aux rapporteurs de nous présenter le détail des propositions législatives qui sous-tendent ces projets et, plus globalement, la dynamique européenne à l'oeuvre en matière d'industrie de défense.

M. Dominique de Legge. - Nous avons souhaité faire un point avant la suspension des travaux du Sénat sur la dynamique européenne à l'oeuvre en matière d'industrie de défense, puisque deux textes proposés par la Commission européenne viennent de faire l'objet d'un accord politique en trilogue :

- d'une part, le projet de règlement créant l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes, plus communément appelé « EDIRPA », qui a fait l'objet d'un accord politique le 28 juin ;

- et d'autre part, celui relatif à l'établissement de l'action de soutien à la production de munitions, auquel il est souvent fait référence sous le terme « ASAP », qui a fait l'objet d'un accord politique le 7 juillet.

Ces deux textes s'intègrent dans une dynamique européenne forte depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Je rappelle en effet que le mois de mars 2022 a été marqué par des initiatives politiques importantes, qui ont eu et continuent d'avoir des répercussions sur les textes proposés par la Commission européenne en matière d'industrie de défense. Le Conseil européen a ainsi adopté, lors de sa réunion informelle des 10 et 11 mars 2022, la « déclaration de Versailles » qui soulignait la nécessité de renforcer les capacités de défense de l'Union, en développant notamment ses capacités de défense de manière collaborative, mais aussi « d'élaborer de nouvelles mesures d'incitation afin d'encourager les investissements collaboratifs des États membres dans des projets conjoints et dans l'acquisition conjointe de capacités de défense ».

Le 21 mars suivant, le Conseil a adopté la « Boussole stratégique » qui mettait à son tour en évidence la nécessité de renforcer la base industrielle et technologique de défense européenne (BITDE), de combler les insuffisances en matière de capacités critiques, de développer les instruments de financement de l'Union dans ce domaine et d'encourager l'acquisition conjointe de capacités de défense au sein de l'Union.

À la demande du Conseil, la Commission européenne et le Haut représentant ont présenté, le 18 mai 2022, une communication conjointe sur l'analyse des déficits d'investissement dans le domaine de la défense et sur la voie à suivre. Cette communication prônait un cadre renforcé de coordination en matière de défense, en mettant en avant sept axes :

1. la création rapide d'une task-force pour soutenir la coordination entre les États membres ; cette structure a bien été créée ;

2. la mise en place d'un instrument à court terme de l'Union destiné à renforcer les capacités industrielles de défense au moyen d'acquisitions conjointes ;

3. un cadre de l'Union européenne pour les acquisitions conjointes dans le domaine de la défense ;

4. un chemin vers une programmation et une acquisition stratégiques conjointes de l'Union européenne en matière de défense ;

5. le renforcement de la capacité industrielle de l'Europe dans le domaine de la défense ;

6. un soutien à l'effort de recherche et développement (R&D) ;

7. un renforcement du soutien de la Banque européenne d'investissement (BEI) à la défense.

Ce cadre marque une vraie rupture par rapport à l'avant-guerre. Certes, il y avait bien eu de premières étapes, comme l'action préparatoire concernant la recherche en matière de défense (PADR), le programme européen de développement industriel dans le domaine de la défense (EDIDP) et le Fonds européen de la défense (FEDef), sur lequel notre commission avait tout particulièrement travaillé.

Mme Gisèle Jourda. - On se rappelle en effet les discussions difficiles et finalement décevantes concernant le budget du Fonds européen de la défense lors des négociations sur le cadre financier pluriannuel. De fait, la guerre en Ukraine a changé la donne et a conduit l'Union à prendre de très nombreuses initiatives en matière d'industrie de défense et de coopération pour soutenir l'Ukraine.

Je rappelle que notre commission avait participé aux travaux de création du Fonds européen de la défense : j'avais, aux côtés de notre ancien collègue Yves Pozzo di Borgo, proposé l'idée d'un tel fonds. Cependant, force est de constater que lorsqu'il a été mis en place, la présidence finlandaise du Conseil s'est empressée d'en réduire les dotations. On ne peut malheureusement pas se satisfaire aujourd'hui de sa réactivation puisque celle-ci a été rendue nécessaire par la situation en Ukraine, mais je souligne ainsi que nous avions pensé en amont la nécessité d'une politique de défense européenne.

Je souligne que la Facilité européenne de paix a été utilisée pour fournir un appui militaire à l'Ukraine, pour un montant de 5,6 milliards d'euros. Les besoins sont tels qu'un accord vient d'être trouvé il y a quinze jours pour majorer de 3,5 milliards d'euros (en prix 2018) le plafond de cette facilité. Au total, le plafond aura été doublé par rapport au montant initialement prévu et atteindra près de 12 milliards d'euros, en euros courants.

Par ailleurs, lors de sa réunion du 20 mars 2023, le Conseil a approuvé une proposition en trois volets, présentée par Josep Borrell, Haut représentant, et Thierry Breton, commissaire en charge du marché intérieur, visant à fournir d'urgence à l'Ukraine des munitions d'artillerie provenant de stocks existants ou faisant l'objet d'une acquisition conjointe.

Les conclusions de la réunion du Conseil européen du 23 mars 2023 soulignent que « compte tenu des intérêts de l'ensemble des États membres en matière de sécurité et de défense, le Conseil européen se félicite de l'accord intervenu au sein du Conseil pour livrer d'urgence à l'Ukraine des munitions sol-sol et des munitions d'artillerie et, si cela est demandé, des missiles, y compris par une acquisition conjointe et la mobilisation de financements appropriés, notamment au titre de la facilité européenne pour la paix, l'objectif étant de fournir un million d'obus dans le cadre d'un effort conjoint au cours des douze prochains mois, sans préjudice du caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres ».

Les trois volets du soutien de l'Union à l'Ukraine comprennent ainsi, tout d'abord, le déstockage urgent de munitions et de missiles ; ensuite, le développement de l'acquisition conjointe de matériel ; enfin, le soutien au renforcement des capacités de production de l'industrie de défense européenne. C'est dans ce cadre général qu'il convient d'apprécier les deux projets de règlement sur les acquisitions conjointes à titre temporaire (EDIRPA) et sur les munitions (ASAP).

M. Dominique de Legge. - La proposition de règlement relatif à la mise en place de l'instrument visant à renforcer l'industrie européenne de la défense au moyen d'acquisitions conjointes pour 2022-2024 (EDIRPA) a été proposée par la Commission il y a un an, le 19 juillet 2022, en se fondant sur l'article 173 du traité relatif au marché intérieur.

Cet instrument, complémentaire du Fonds européen de la défense et spécialement conçu pour faire face aux effets et aux conséquences de la guerre en Ukraine, doit permettre aux États membres procédant à des acquisitions conjointes d'obtenir un soutien financier du budget de l'Union. Le texte du règlement proposé précise que « la contribution financière est établie en tenant compte de la nature collaborative de l'acquisition conjointe » et qu'elle est « majorée d'un montant approprié pour créer l'effet incitatif nécessaire pour encourager la coopération ». L'exposé des motifs de la proposition de règlement soulignait les fragilités liées à la fragmentation des achats d'armement par les États membres et ses inconvénients pour la solidité de la BITDE. Il met ainsi en avant la valeur ajoutée européenne de l'action, qui permet de respecter le principe de subsidiarité. Initialement, l'enveloppe budgétaire dévolue à cet instrument devait s'élever à 500 millions d'euros (en euros courants) jusqu'au 31 décembre 2024. Les négociations ont été difficiles et le montant du soutien a été âprement discuté. Le Parlement européen avait souhaité le relever à 1,5 milliard d'euros, tandis que le Conseil avait proposé dans la dernière ligne droite, afin de financer le volet concernant les munitions, de le ramener à 260 millions d'euros. Le Parlement européen avait également suggéré d'élargir le champ d'application de l'instrument en permettant aux contractants et aux sous-traitants des pays tiers non associés et des pays du partenariat transatlantique d'être impliqués dans les marchés publics. La Commission européenne avait alors menacé de retirer sa proposition de règlement. Finalement, l'enveloppe consacrée à cet instrument sera de 300 millions d'euros, pour une période allant jusqu'au 31 décembre 2025.

En principe, les contractants et les sous-traitants participant à l'acquisition conjointe devront être établis et avoir leurs structures exécutives de gestion dans l'Union ou dans un pays associé et ils ne devront pas être contrôlés par un pays tiers non associé, sauf dérogation. L'utilisation d'installations de pays tiers n'est autorisée que lorsqu'un producteur de l'Union ne dispose pas d'infrastructures pertinentes sur le territoire de l'Union. En outre, les États membres ne peuvent acquérir que des produits qui ne sont soumis à aucune restriction par un pays tiers non associé limitant leur capacité à les utiliser. Pour chaque achat conjoint, cet instrument contribuera à hauteur de 20 % maximum de la valeur estimée du marché public, pour chaque consortium d'États membres et de pays associés comprenant au moins trois États membres. Le Parlement européen réclamait un bonus pour les pays proches de la Russie ou de l'Ukraine mais ne l'a pas obtenu. En revanche, les achats au profit de l'Ukraine ou de la Moldavie pourront être pris en compte dans le cadre de l'EDIRPA. Un pourcentage d'au moins 65 % de composants d'origine européenne a également été fixé pour pouvoir bénéficier des financements de cet instrument. Cet instrument, que le Parlement européen n'approuvera vraisemblablement qu'en septembre en séance plénière, a une vocation limitée dans le temps. Un autre instrument devrait ensuite prendre le relais. La Commission devrait ainsi faire une nouvelle proposition de texte plus pérenne à l'automne.

Mme Gisèle Jourda. - Le deuxième texte que nous souhaitons évoquer est le projet de règlement ASAP sur les munitions, qui a connu un processus de décision beaucoup plus rapide que le règlement EDIRPA, mais qui ressort largement tronqué par rapport aux ambitions de la Commission européenne. Cette proposition de règlement s'appuyait sur deux articles du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne :

- d'une part, l'article 173, selon lequel « l'Union et les États membres veillent à ce que les conditions nécessaires à la compétitivité de l'industrie de l'Union soient assurées », en excluant « toute harmonisation des dispositions législatives et réglementaires des États membres » ;

- et d'autre part, l'article 114 qui stipule notamment que « le Parlement européen et le Conseil (...) arrêtent les mesures relatives au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administratives des États membres qui ont pour objet l'établissement et le fonctionnement du marché intérieur ».

Cette double base juridique correspondait aux deux piliers de la proposition de règlement initiale. Le premier pilier prévoyait des mesures pour appuyer le renforcement industriel tout au long des chaînes d'approvisionnement associées à la production de produits de défense concernés dans l'Union. Il envisageait ainsi un soutien financier à hauteur d'environ 500 millions d'euros jusqu'au 30 juin 2025, dont un fonds de montée en puissance, dit « ramp up » dans le jargon bruxellois, de 50 millions d'euros. Ces 500 millions d'euros, qui ont été confirmés, doivent être prélevés sur le budget initialement envisagé pour l'EDIRPA, à hauteur de 260 millions d'euros, et sur celui du Fonds européen de la défense (FEDef), pour 240 millions d'euros.

Le second pilier de la proposition de règlement comprenait des mesures d'harmonisation destinées à déterminer, à cartographier et à surveiller en permanence la disponibilité des produits de défense concernés, de leurs composants et des intrants correspondants, ainsi que des mesures destinées à établir des exigences assurant la disponibilité durable et en temps utile des produits de défense concernés dans l'Union. Cette cartographie permettrait ensuite de mettre en place un cadre de « commande prioritaire » auprès d'une entreprise, sous certaines conditions, notamment de graves difficultés liées à des pénuries ou des risques graves de pénuries de produits de défense vulnérables aux approvisionnements. La proposition de la Commission prévoyait également la possibilité pour les entreprises d'effectuer des transferts d'équipements militaires au sein de l'Union sans obtenir du gouvernement concerné la licence d'exportation habituellement requise. L'exposé des motifs justifiait ces propositions au regard du principe de subsidiarité en soulignant que les États membres ne peuvent pas parer efficacement, de manière isolée, au risque que des ruptures importantes dues à un déséquilibre de l'offre et de la demande sur le marché intérieur touchent l'approvisionnement concernant ces produits de défense et que, de fait, l'Union est la mieux placée pour remédier à ces problèmes.

Pour autant, cette cartographie et cette surveillance permanente pourraient se révéler très intrusives dans un domaine éminemment régalien et, avec Dominique de Legge, vous-même, Monsieur le Président Rapin, le Président Christian Cambon et notre collègue Pascal Allizard, nous avons alerté la Première ministre sur cette proposition de règlement, en lui demandant de refuser ce volet réglementaire proposé par la Commission européenne.

Les délais d'examen de cette proposition ont été particulièrement brefs, comme en témoigne le calendrier suivant :

- la Commission a présenté le texte le 3 mai ;

- le Parlement européen a décidé, le 9 mai, d'enclencher une procédure d'urgence et a adopté sa position sur le texte en un temps record, puisque le vote en plénière est intervenu le 1er juin ;

- du côté du Conseil, les réunions se sont enchaînées en vue de la validation d'un accord politique au Conseil européen des 29 et 30 juin 2023 ;

- un accord a été trouvé en trilogue le 7 juillet et le texte sera formellement validé dans les 10 jours qui viennent par le Parlement européen et le Conseil pour une entrée en vigueur dès la fin juillet.

Cette urgence pour soutenir l'Ukraine a conduit la Commission et le Parlement européen à renoncer au volet réglementaire qui était jugé excessivement intrusif par de très nombreux États membres. Les mécanismes de cartographie, de commandes prioritaires, de pénalités et d'assouplissements des transferts au sein de l'Union ont ainsi été supprimés. Nous nous en félicitons.

Ceci ne signifie pas pour autant la fin des discussions sur ce point. En effet, pour obtenir un accord politique en trilogue, le Parlement européen et le Conseil ont accepté une déclaration commune ouvrant de nouvelles perspectives à la Commission. Ils reconnaissent ainsi « la nécessité d'envisager toutes les mesures appropriées pour renforcer et développer la BITDE, y compris les PME, et de supprimer les obstacles et les goulots d'étranglement » et demandent dès lors à la Commission de présenter rapidement « d'autres initiatives en vue de renforcer la BITDE, y compris un financement adéquat », par exemple dans le cadre du programme européen d'investissement dans la défense (EDIP), ainsi qu'un « cadre juridique visant à assurer la sécurité d'approvisionnement et à soutenir la production de munitions ».

Concernant le volet budgétaire, l'enveloppe de 500 millions d'euros a été confirmée, de même que le fonds d'accélération de 50 millions d'euros. Le taux de financement s'élèvera à 40 % pour les produits de la chaîne d'approvisionnement, comme la poudre et les explosifs, mais est ramené à 35 % pour les produits finis. Un bonus de 10 % est prévu dans deux cas de figure : premièrement, pour la création d'une nouvelle coopération transfrontalière au sein d'un consortium d'au moins trois entités provenant d'au moins trois États membres ; deuxièmement, si l'objectif est l'acquisition commune d'équipements de défense dans le but de transférer les équipements de défense pertinents à l'Ukraine. En outre, un bonus supplémentaire de 10 % a été validé pour les PME.

M. Dominique de Legge. - Il est difficile de formuler une conclusion dans ce domaine car nous nous situons plutôt au point de départ de plusieurs textes qui devraient nous être présentés prochainement et qui nous amèneront à intervenir à nouveau. Pour résumer la situation, il me semble que, sous couvert de compétences industrielles, la Commission européenne étend son action à l'industrie de la défense. Elle s'y engage à juste titre mais il faut se demander à quel stade doit s'arrêter le curseur de cette intervention au regard de la souveraineté des pays en matière de défense. En effet, l'industrie de la défense et la politique de défense sont intimement liées. Comme Gisèle Jourda l'a bien rappelé dans son propos, la proposition initiale de la commission allait tout de même très loin, en particulier en ce qui concerne la question des stocks, car le texte prévoyait de donner à la Commission européenne plus d'informations sur l'état de nos stocks que ne peuvent en obtenir les parlementaires, notamment lors de la préparation de la loi de programmation militaire : ce sujet est donc extrêmement sensible.

Nous nous situons ainsi à la frontière entre, d'une part, une coopération européenne nécessaire et souhaitable en matière de défense et, d'autre part, une zone d'incertitude sur les limites de cette coopération et ses modalités de mise en oeuvre opérationnelle.

Comme l'a également indiqué Gisèle Jourda, le Conseil européen des 29 et 30 juin derniers a mandaté la Commission pour continuer à travailler sur cette problématique. Nous serons donc nécessairement amenés à examiner de près les prochains éléments de ce dossier et à nous prononcer à nouveau. En résumé, nous sommes au coeur de la confrontation entre deux démarches relatives à la politique industrielle et à la politique de défense.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci pour votre exposé. Je me livrerai juste à un bref commentaire : en termes de politique de défense et d'autonomie stratégique à l'échelle européenne, nous n'en sommes à mon avis qu'aux prémices d'un plan beaucoup plus vaste qui va s'étendre à d'autres sujets comme le spatial ou l'armement lourd. Toutes ces questions vont émerger dans les prochains mois. Elles soulèvent, en fin de compte, la problématique de la subsidiarité et nous amènent à réfléchir sur le champ d'action, en matière de défense ou de stratégie spatiale, que nous sommes prêts à céder au profit de l'Union européenne, avec toutes les garanties nécessaires en termes de sécurité. Comme on peut le constater à propos des munitions, nous traitons ici, ne serait-ce qu'à travers la cartographie, d'outils stratégiques qui, s'ils tombent entre de mauvaises - ou peu bienveillantes - mains, peuvent être de véritables boomerangs.

M. Didier Marie. - Je me limiterai à trois brèves remarques. Tout d'abord, il était temps que l'Europe prenne en considération les problématiques de défense et j'observe qu'elle ne l'a fait que sous la contrainte de l'agression russe en Ukraine. Ensuite, cette situation a révélé les insuffisances de capacité de défense de chacun des pays, y compris le nôtre, qui est pourtant sur le papier l'une des puissances militaires les plus importantes de l'Union européenne. Enfin, notre trop grande dépendance à l'égard des États-Unis et de l'OTAN a été mise en évidence. Ces constats appellent un sursaut, avec la nécessité d'une politique très volontariste non seulement en matière d'industrie de défense mais aussi de coordination des politiques de défense des États pour peser à la fois géopolitiquement et au sein de l'OTAN. On peut quand même regretter, dans l'état actuel des choses, l'insuffisance des financements et, une fois de plus, le prélèvement sur des enveloppes financières existantes pour les redéployer. Cela renvoie donc aux débats récurrents sur le budget de l'Union européenne, son manque d'ambition et la question des ressources propres. Si l'Union européenne veut se donner les moyens de peser sur la scène internationale en matière de défense, au plan commercial ou simplement pour faire prospérer ses normes, elle doit se donner les moyens financiers de le faire.

Je termine en saluant la qualité de cette communication qui montre les progrès réalisés mais aussi les faiblesses persistantes ainsi que les difficultés à coordonner l'ensemble des politiques de défense à l'échelle des 27.

M. Jean-Yves LeconteLa situation qui s'est présentée l'année dernière a rendu absolument nécessaire l'évolution dont nous débattons aujourd'hui : on ne pouvait pas rester sans réaction face aux besoins d'accompagnement des efforts militaires ukrainiens. Il est également vrai qu'au vu des efforts consentis par certains pays d'Europe centrale en matière d'armement depuis l'année dernière, la réponse commune n'apparaît pas encore à la hauteur de la menace, telle qu'elle est perçue par un certain nombre de pays européens.

On peut aussi constater l'évolution de la position française depuis un an sur ce sujet, avec une meilleure prise en compte de la menace russe pour l'Europe centrale et orientale, membre à la fois de l'OTAN et de l'Union européenne. Le discours du président de la République à Bratislava le montre clairement, même si les efforts de l'Union européenne ou consentis dans la loi de programmation militaire apparaissent insuffisants au regard des analyses que nous sommes en train de faire. J'ai été assez frappé, lors de la discussion sur la loi de programmation militaire, par le décalage entre ce texte qui s'inscrit dans la continuité des précédents et un discours qui affirmait une volonté de solidarité avec l'Europe centrale, ce qui implique nécessairement de renforcer nos capacités ainsi que nos stocks de munitions, au-delà de ce qu'a prévu cette loi de programmation militaire. Il est souhaitable de rectifier la trajectoire au niveau national et au niveau de l'Union européenne. Saluons les efforts que celle-ci commence à déployer mais le développement des politiques au niveau de l'Union européenne exige une réflexion parallèle sur les questions budgétaires et les ressources qui feront l'objet de nos prochaines auditions. En l'état actuel, le décalage entre les ambitions européennes et les moyens financiers qui leur sont alloués n'est pas soutenable mais la coordination des efforts s'appuyant sur le marché intérieur est bienvenue.

M. Didier Marie. - On a appris cette semaine la décision des États-Unis de fournir à l'Ukraine des obus avec des sous-munitions alors qu'un certain nombre de pays européens, dont la France, ont signé une convention internationale les interdisant. Je fais observer que cette décision s'explique par le fait que les États-Unis et l'Union européenne sont incapables de fournir suffisamment de munitions conventionnelles à l'Ukraine. Par conséquent, les Américains ont décidé de lui livrer de tels projectiles pour rééquilibrer le rapport de force avec la Russie. Cette triste conséquence démontre toute l'importance qu'il y a aujourd'hui à renforcer nos industries de défense pour être à la hauteur des défis qui se présentent devant nous.

M. Jean-François Rapin, président. - Le sujet concerne surtout les experts de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées qui siègent parmi nous mais j'ai également été frappé par l'annonce du Président de la République selon laquelle nous allons livrer à l'Ukraine des missiles Scalp en Ukraine. Ces missiles sont déjà parvenus sur place mais leur fiche technique indique qu'ils ne peuvent être lancés que par des avions européens comme le Rafale, le Mirage ou le Tornado. Je me demande donc comment les Ukrainiens vont pouvoir les adapter à leurs F-16 américains mais je note qu'ils peuvent d'ores et déjà être utilisés par les avions d'origine russe présents sur le terrain entre les mains des ukrainiens. Par ailleurs, comme le rappelle Valérie Boyer et comme on a pu le constater par exemple en Libye, les sous-munitions dispersent une multitude de petits explosifs sur de larges surfaces et représentent un risque grave de mort ou d'invalidité pour les civils. La décision de les employer représente à mon sens une forme d'escalade du conflit.

Mme Gisèle Jourda. - J'indique, en écho à vos réactions, que notre communication s'est efforcée d'être la plus factuelle et objective possible.

Je rappelle qu'il y a trois ans, lorsque nous avons pris l'initiative d'une proposition de résolution sur le Fonds européen de la défense, d'éminentes personnalités que nous avions auditionnées nous expliquaient que la paix était garantie et doutaient fortement de la pertinence de notre initiative. Je me sentais alors néophyte dans ce domaine par rapport à notre ancien collègue Pozzo di Borgo au moment où, par exemple, des experts comme Nicole Gnesotto estimaient que nous nous égarions dans des schémas abscons. Il est aujourd'hui frappant de constater à quel point les menaces ont été réactivées par le déclenchement de l'agression de l'Ukraine par la Russie. Cette évolution a également relancé nos politiques de défense, comme en témoignent les avancées introduites dans la loi de programmation militaire en cours d'adoption. La vision de la France, dans ce domaine, a changé mais sa volonté de monter en puissance nécessite des moyens financiers massifs et une relance appropriée des industries de défense pour mieux garantir notre autonomie stratégique.

Certains ont cru pouvoir faire le parallèle entre la mobilisation en matière de défense et les efforts de lutte contre la pandémie de Covid-19 mais les problématiques ne sont pas de même nature en termes de périmètre et de souveraineté. Pour l'instant, on peut constater certains aspects positifs, comme la prise de conscience de nos voisins allemands en matière de défense, alors qu'il était hors de question d'en parler il y a quelque temps. Cependant, je ne suis pas persuadée, s'agissant des États membres de l'Union européenne, que leurs visions convergent toutes dans la même direction pour concevoir une défense européenne - pour reprendre l'image de ces couples dont on dit que l'entente repose sur un regard dirigé vers le même horizon. J'ai toujours considéré que l'Europe forme un espace géopolitique extrêmement important pour baser une défense commune, mais cela n'est pas toujours vu d'un bon oeil, en particulier par les États-Unis qui ont pendant très longtemps freiné cette évolution. Je constate - en me gardant bien de les critiquer - que certains pays de l'Union, parce qu'ils ont vécu sous le joug de l'URSS, préfèrent le parapluie américain et celui de l'OTAN. De plus, je m'interroge sur le fait que nos plus proches alliés, au sein-même du couple franco-allemand, ne se portent pas acquéreurs d'avions français.

Je souhaitais ainsi apporter cet éclairage complémentaire. Nous continuerons à suivre attentivement ce dossier de réarmement. Nos soldats ont des armes performantes mais parfois pas assez de munitions pour les alimenter car nous n'en fabriquons pas suffisamment. C'est un sujet dont nous débattons régulièrement depuis que j'ai rejoint la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.

M. Dominique de Legge. - J'abonde dans le sens des propos de Gisèle Jourda pour affirmer qu'on ne peut pas, sous couvert de compétence industrielle, prétendre traiter de la même façon la fabrication de masques anti-Covid et de munitions.

Je rappelle également que la France est le seul pays de l'Union européenne à avoir une armée de projection : cela change singulièrement la donne par rapport aux moyens militaires de pays comme la Croatie ou la Belgique et ces données de base doivent être prises en compte pour construire une approche sérieuse.

Enfin, la difficulté de fond va être de passer du concept de coopération en matière de défense, auquel nous adhérons tous, à la définition précise de son contenu. En cet instant, j'appelle à la plus grande lucidité : alors que nous discutons avec les Allemands et les Espagnols de l'avion ou du char de combat du futur, il faut regarder les choses en face et ne pas croire que les décisions qui seront prises en termes de munitions n'auront aucun impact sur notre propre industrie de défense et sur notre coopération avec l'Allemagne et l'Espagne. Je ne veux pas voir le mal partout mais il ne faudrait pas oublier que, de manière sous-jacente à l'enjeu des munitions, se profile la question des avions, des chars, des canons et autres outils d'armement. Gardons les yeux bien ouverts car il me semble bien que les Allemands seraient très contents de nous reprendre des parts de marché dans les industries de défense, surtout si ce sont les Français qui continuent à faire la guerre.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie. Je vous indique que le président du Parlement du Kosovo devrait rencontrer le président Gérard Larcher au Sénat le 20 juillet prochain à 11 heures. Je ne pourrai malheureusement pas me rendre disponible pour cette rencontre mais j'espère que notre commission y sera représenté par un membre de son bureau.

Mme Marta de Cidrac. - Ma participation y est effectivement prévue en tant que présidente du groupe d'amitié France-Balkans Occidentaux.

M. Jean-François Rapin, président. - Je m`en félicite.

Institutions européennes - Audition de Mme Emily O'Reilly, Médiatrice européenne (en téléconférence)

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, c'est un honneur et un réel plaisir de pouvoir échanger aujourd'hui avec Mme Emily O'Reilly, Médiatrice de l'Union européenne. Je rappelle qu'aux termes de l'article 43 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, « tout citoyen de l'Union ainsi que toute personne physique ou morale résidant ou ayant son siège statutaire dans un État membre a le droit de saisir le médiateur européen de cas de mauvaise administration dans l'action des institutions, organes ou organismes de l'Union, à l'exclusion de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'exercice de ses fonctions juridictionnelles. »

Dans ce cadre, madame la Médiatrice, vous faites preuve d'un engagement sans faille au service de nos concitoyens, engagement que nous voulons saluer.

Tout d'abord, vous les aidez à mieux comprendre l'Union européenne : ainsi, comme l'indique votre rapport d'activité pour 2022, vous avez aidé plus de 16 000 citoyens, donné 13 313 conseils et traité 2 238 nouvelles plaintes. Ensuite, vous incitez l'Union européenne à devenir plus transparente et plus exemplaire pour ce qui est des enjeux éthiques.

J'ajoute que vous avez toujours été attentive à répondre aux interrogations du Sénat et nous vous en remercions. Vous aviez ainsi déjà répondu à notre invitation en mai 2020.

Je veux rappeler maintenant les priorités de la mission de « sentinelle » que vous exercez contre la mauvaise administration.

En premier lieu, vous travaillez à une transparence accrue des institutions de l'Union européenne. Dans ce domaine, au cours des derniers mois, vous avez obtenu plusieurs avancées telles que la transmission de statistiques sensibles sur les pollutions maritimes ou la publication de documents de travail du Conseil sur l'élaboration de la réglementation européenne sur les marchés numériques (DMA).

En revanche, le 14 juillet 2022, vous émettiez publiquement un « signal d'alarme », pour reprendre les termes de votre communiqué de presse, quant au refus de la Commission européenne de transmettre les éventuels SMS qui auraient été échangés par sa présidente avec le président-directeur général d'une société pharmaceutique, en l'occurrence Pfizer, à propos de vaccins contre la covid-19. Vous aviez ouvert une enquête à ce sujet et émis en vain des demandes réitérées de communication de ces documents.

Ce dossier fait aujourd'hui l'objet de deux plaintes, l'une devant la justice belge et l'autre devant le Tribunal de l'Union européenne. Quelles leçons tirez-vous de cette affaire ?

Le dysfonctionnement que vous mettiez en lumière semble cependant d'une ampleur plus large que cette seule affaire. Ainsi, dans une recommandation récente, vous avez dénoncé « les retards systémiques et importants » dans le traitement par la Commission européenne des demandes d'accès du public aux documents. Nous sommes donc intéressés par votre analyse sur ce point.

En deuxième lieu, je voudrais vous interroger sur la pratique du « pantouflage » à la Commission européenne, c'est-à-dire du recrutement de cadres des administrations européennes, voire de commissaires européens qui étaient chargés de réguler un secteur, par une entreprise de ce même secteur, pratique qui a fait l'objet d'une enquête de votre part. Quelles sont les conséquences d'une telle pratique sur les décisions de l'Union européenne ? Comment l'encadrer plus strictement ?

En troisième lieu, je veux saluer votre rôle de conseil au Parlement européen, lequel tente de renforcer ses procédures déontologiques depuis les révélations du scandale dénommé « Qatargate ». Plusieurs parlementaires et anciens parlementaires européens auraient été payés par le Qatar et par le Maroc pour servir les intérêts de ces pays dans les décisions européennes. Ces révélations ont ravivé la méfiance de nombreux citoyens à l'égard des élus. Un plan en quatorze points a été présenté par la présidente Metsola en janvier dernier. Il y est en particulier proposé de mieux encadrer la reconversion des anciens parlementaires en représentants d'intérêts et prévoit une plus grande transparence de l'activité des députés européens et de leurs réunions. Ce plan, qui n'est toujours pas mis en place, vous semble-t-il suffisant ?

La Commission européenne a par ailleurs présenté, le 8 juin dernier - un peu sous contrainte, sans doute -, un projet d'accord interinstitutionnel afin d'instituer un organe d'éthique européen. Soyons clairs : c'est une déception. En effet, cet organe aurait compétence pour formuler des lignes directrices et favoriser l'échange de bonnes pratiques, mais il ne disposerait ni d'un pouvoir d'enquête ni d'un pouvoir de sanction. Et son fondement juridique - il repose, je l'ai dit, sur un accord interinstitutionnel - ne semble pas de nature à assurer l'indépendance de cet organe à l'égard des institutions qu'il est destiné à contrôler.

Chaque institution continuerait donc de s'autoréguler dans le domaine éthique. C'est pourquoi, dès le 6 juin dernier, lors d'une conférence à Bruxelles, vous aviez estimé que la limitation de cette autorégulation était l'une des conditions du succès de la réforme.

Cet organe éthique est-il nécessaire ? Le cas échéant, quelles doivent être ses compétences ? Un lien institutionnel ne devrait-il pas être prévu entre cet organe et votre fonction ?

Je conclurai en constatant l'urgence de cette réforme éthique européenne. En 2018, l'Union européenne a fait le choix de mener une politique dite de l'État de droit, qui permet à la Commission européenne, par exemple, de conclure que la justice n'est pas respectée dans un État membre ou qu'une réforme envisagée menace les libertés dans un autre. Or, pour assumer ce rôle, encore faut-il être soi-même exemplaire en matière d'éthique. À défaut, le risque est d'apparaître comme un « Tartuffe » aux yeux des citoyens européens qui s'exprimeront dans les urnes l'an prochain. Je précise que nous allons nous-mêmes mener des travaux sur ce sujet dans les mois à venir.

Mme Emily O'Reilly, Médiatrice européenne. - Je vous salue depuis Strasbourg, où le Parlement européen tient sa dernière session plénière avant la suspension estivale. Je vous remercie de me donner l'occasion d'expliquer le rôle du Médiateur européen, qui n'est pas toujours bien connu en dehors de Bruxelles.

Le poste de Médiateur européen a été créé par le traité de Maastricht en 1993. Le Médiateur est élu par le Parlement européen ; ni la Commission européenne ni les États membres ne participent à cette élection.

En ce qui me concerne, avant d'être élue, en 2013, j'ai été pendant dix ans Médiatrice et Commissaire à l'information de la République d'Irlande.

J'exerce mes fonctions en toute indépendance : c'est moi qui décide d'ouvrir ou non des enquêtes, soit à la suite de plaintes, soit de ma propre initiative, sur des questions systémiques.

Le bureau du Médiateur doit être « un pont » entre le citoyen européen et l'administration de l'Union européenne, laquelle élabore puis exécute les réglementations européennes et les décisions qui affectent notre vie quotidienne.

Commission, Conseil, Parlement, mais aussi Banque centrale européenne et une quarantaine d'agences de régulation : cette administration est au service d'institutions qui, à elles seules, ont été à l'origine de plus de 250 initiatives législatives en 2022.

Je reçois environ 2 200 plaintes par an de la part de citoyens, d'organisations émanant de la société civile ou d'entreprises ; j'ouvre environ 400 enquêtes.

En 2022, 129 plaintes étaient d'origine française ; 24 d'entre elles ont donné lieu à des enquêtes. Ces enquêtes peuvent concerner des sujets divers : désaccords sur des contrats ou des subventions de l'Union européenne ; refus d'accès à des documents ; violations des droits fondamentaux ; soupçons de conflits d'intérêts ; manquement au devoir de diligence raisonnable dans les procédures d'infraction menées par la Commission.

De façon générale, mon travail est de veiller à ce que les citoyens de l'Union européenne aient à leur service une administration transparente et efficace.

Pour ce faire, je peux faire usage de mon droit d'initiative, pour lancer des enquêtes ou pour demander des informations aux institutions. Cela signifie qu'au lieu d'attendre qu'on attire mon attention sous la forme d'une plainte, je peux ouvrir une enquête de manière proactive, ce qui est particulièrement utile pour s'attaquer à des dysfonctionnements récurrents au sein des institutions européennes.

J'ai ainsi utilisé ce pouvoir pour apprécier la transparence des groupes d'experts qui conseillent la Commission européenne, la façon dont les réunions des ministres chargés de l'économie et des finances de l'Union sont préparées ou encore le respect par l'agence de gestion des frontières de l'Union, Frontex, de ses obligations en matière de droits fondamentaux.

Plus récemment, j'ai réagi à un signalement de la Commission européenne faisant apparaître qu'un haut fonctionnaire chargé de négocier un accord aérien avec le gouvernement qatari avait accepté des vols gratuits de la part de Qatar Airways. Or ce haut fonctionnaire était précisément celui qui était chargé du contrôle des conflits d'intérêts.

Nous espérons que les informations fournies par la Commission montreront plus largement comment celle-ci a traité les potentiels conflits d'intérêts liés aux voyages officiels subventionnés par des tiers, et qu'elles permettront à l'avenir d'améliorer les procédures et les vérifications.

Cet incident n'est qu'un exemple des curieuses lacunes qui subsistent dans le cadre éthique de l'Union, plus de vingt ans après la chute de la Commission Santer à la suite d'un scandale éthique majeur. Ces lacunes ont également été mises en évidence par les révélations du Qatargate qui ont secoué le Parlement européen l'année dernière.

Mon bureau intervient quand les choses tournent mal, quand les procédures impartiales qui sont censées s'appliquer n'ont pas été suivies, quand des intérêts privés ont été privilégiés au détriment de l'intérêt public, quand des personnes, enfin, n'ont pas obtenu les réparations qui leur étaient dues.

Toutefois, je veux souligner le superbe travail et le dévouement des fonctionnaires de l'Union européenne, dont une grande partie passe parfois inaperçue. Pour leur apporter la reconnaissance qu'ils méritent, j'organise d'ailleurs, depuis 2017, une cérémonie biennale de remise d'un « prix d'excellence de la bonne administration » au sein des institutions de l'Union européenne.

Cette année, notre prix principal a été décerné à l'Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) pour sa collaboration avec la Cour pénale internationale (CPI), qui a débouché sur un ensemble de lignes directrices visant à aider la société civile à documenter les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité.

Ce n'est là qu'un exemple du travail, peut-être peu fascinant et néanmoins essentiel, mené en arrière-plan par nos services pour fournir à l'action collective l'infrastructure matérielle et immatérielle dont elle a besoin.

C'est dans ce contexte que nous concevons notre mission pour aider les institutions européennes à relever quelques-uns des plus grands défis que présente notre époque. L'Union européenne a par exemple récemment créé un fonds de relance de plus de 700 milliards d'euros pour aider les États membres à se relever de la pandémie de covid-19. Elle prépare actuellement une série de textes visant à réguler l'activité des grandes entreprises du monde de la technologie. Elle s'est fixé pour objectif d'atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050. Un Fonds européen de la défense est devenu opérationnel en 2021 et, par l'intermédiaire de la Facilité européenne pour la paix (FEP), l'Union européenne a fourni des armes à l'Ukraine.

Ces sujets politiques majeurs ont, pour une grande partie d'entre eux, une portée mondiale. C'est pourquoi Bruxelles est devenu un centre de lobbying majeur pour celles et ceux qui veulent suivre ou influencer l'élaboration de la politique européenne en ces matières. Ainsi la guerre en Ukraine a-t-elle des conséquences dans de nombreux domaines qui façonnent le monde du lobbying bruxellois : l'approvisionnement en énergie, l'environnement, la sécurité, par exemple. Il est donc essentiel que les règles de l'Union européenne en matière d'éthique et de responsabilité soient appliquées avec rigueur et soient régulièrement actualisées.

Un nouveau sujet a récemment émergé : celui de l'enregistrement des conversations téléphoniques et des messages instantanés échangés dans le cadre du travail. Partout dans le monde, des décisions importantes, qui sont prises notamment par des hauts fonctionnaires et des responsables politiques, le sont par le biais d'applications de messagerie instantanée - WhatsApp, Signal, Twitter, Instagram, etc.

L'attrait de ces applications réside dans le fait qu'elles combinent cadre informel, facilité d'utilisation et rapidité. Néanmoins, elles posent de sérieux défis aux bonnes pratiques administratives : l'ensemble du personnel concerné est-il tenu au courant des décisions prises via ces applications ? Les frontières entre les réseaux privés et professionnels ne sont-elles pas en train de s'effacer ?

L'enquête menée par mon équipe sur les SMS écrits par la présidente de la Commission, Mme von der Leyen, dans le cadre des négociations avec Pfizer-BioNTech, a mis en lumière les problèmes et les enjeux de cette affaire. Les messages signalés n'ont pas été considérés comme des documents relevant de la législation européenne sur la liberté d'information. Cela indique que nos cadres réglementaires, européen comme nationaux, risquent d'être dépassés par la réalité. Nous avons fourni des orientations à l'administration de l'Union européenne sur la manière dont elle devrait traiter ces questions, mais le paysage change vite en ce domaine.

Au cours des dernières années, j'ai également mis l'accent sur les problèmes du pantouflage entre les secteurs public et privé, ainsi que sur l'exigence de transparence des activités de lobbying car cette exigence est au coeur du processus de décision communautaire et décisive pour la légitimité démocratique de l'Union européenne.

Les citoyens doivent savoir comment les lois sont élaborées et qui ou ce qui peut influencer ce processus. Lorsqu'une entreprise privée jette son dévolu sur un fonctionnaire européen qui, ayant travaillé au sein d'un organisme de réglementation jouant un rôle clé dans son domaine d'activité, est susceptible de lui fournir des informations confidentielles sur des textes législatifs qui pourraient la concerner, ou lorsqu'un ancien député européen ou un commissaire influent et doté d'un bon réseau, est engagé pour faire en sorte que des intérêts privés aient accès à ce réseau, alors le pouvoir d'influence est augmenté par des moyens certes légaux, mais qui sont souvent difficiles à justifier auprès de nos concitoyens.

Les questions qui se posent sont les suivantes : comment distinguer ce qui est bénin de ce qui peut réellement nuire ? Comment traiter ces situations avant qu'elles ne produisent leurs effets néfastes ? Et comment les sanctionner si le mal est déjà fait ?

Mon travail dans ce domaine porte essentiellement sur l'influence. La législation européenne est-elle influencée, et ce au détriment de l'intérêt public ? La force de cette influence résulte-t-elle d'une incapacité à gérer les conflits d'intérêts, d'un manque de transparence, d'un trop grand laxisme du régime relatif à la régulation du pantouflage ou d'une mauvaise application des règles existantes ?

Nous avons lancé des enquêtes sur les problèmes systémiques qui se posent en la matière ainsi que sur des cas individuels de pantouflage concernant la Banque européenne d'investissement (BEI), l'Autorité bancaire européenne (ABE), l'Agence européenne de défense (AED) et la Commission européenne, entre autres.

C'est en partie grâce à cette surveillance que des progrès ont été réalisés au cours de la dernière décennie sur cette question : une « période de réflexion » plus longue et des restrictions plus strictes s'appliquent désormais aux activités de lobbying que les fonctionnaires et les commissaires peuvent exercer à l'issue de leur mandat et les départs des hauts fonctionnaires vers le secteur privé sont soumis à une transparence accrue.

Néanmoins, les progrès sont lents et progressifs ; il est frappant de constater que les réformes et les innovations importantes émergent en réaction aux scandales et à l'indignation publique, au lieu de prendre leur source dans une évaluation lucide et sereine des risques qui pèsent sur notre déontologie.

J'en viens au Qatargate et aux allégations selon lesquelles des membres ou anciens membres du Parlement européen auraient été impliqués dans un système visant à influencer les travaux parlementaires en échange de paiements versés par des individus étroitement liés aux gouvernements du Qatar, du Maroc et, peut-être, d'autres pays.

Voilà sept mois que ce scandale a suscité une attention toute particulière quant à la manière dont l'Union européenne protège son intégrité, sa crédibilité et sa légitimité.

Ces sept mois nous ont montré que la création d'un cadre éthique solide, susceptible de résister à ce que la présidente du Parlement européen, Mme Metsola, a décrit dans le sillage immédiat du Qatargate comme des « attaques contre notre démocratie », n'était pas chose aisée.

Car la clarté et l'unité qui ont régné dans les premiers jours de cette crise ont été remplacées par un débat complexe sur le fondement juridique de certaines mesures, par des préoccupations liées à l'« indépendance du mandat » des députés européens, ainsi que par d'autres questions, politiques, juridiques et administratives, qui ont été autant d'obstacles à l'élaboration d'une réforme.

Bien sûr, nous touchons ici à des questions éthiques dont le spectre dépasse de loin les faits de corruption dénoncés dans l'affaire du Qatargate.

Nous essayons de construire un système de défense à la fois autour et à l'intérieur de nos institutions, capable de protéger les intérêts des citoyens européens contre toute influence illégitime ou malveillante qui s'exercerait sur les personnes chargées d'élaborer et de faire appliquer nos lois, qu'elle provienne de pays tiers ou d'entreprises privées, qu'elle prenne la forme de transactions détournées ou d'un pantouflage.

Le Qatargate a montré combien une réforme fondamentale était nécessaire. Il nous faut mener une discussion paneuropéenne sur les obstacles qui s'opposent à une telle réforme, car l'incapacité à réformer les règles déontologiques de nos institutions a des répercussions sur l'intégrité du marché unique et de l'espace Schengen, mais aussi sur nos chances d'atteindre nos objectifs communs.

Ce débat paneuropéen peut s'inspirer des expériences et des bonnes pratiques de tous les États membres, qui font eux aussi face à ce défi de la protection de l'intégrité de leurs systèmes politiques.

Par exemple, il nous faut déterminer si les institutions de contrôle - la Médiatrice européenne, l'Office européen de lutte antifraude (Olaf), le Parquet européen et la Cour des comptes européenne - sont suffisamment impliquées et respectées par les organes législatifs et exécutifs. Trop souvent, nous voyons des recommandations constructives et éclairées balayées. Parfois, le Parlement européen refuse même l'accès à ses locaux aux enquêteurs antifraude.

Ceux qui espéraient des réformes systémiques fondamentales et audacieuses pour résoudre certains de ces problèmes seront quelque peu déçus par la proposition de la Commission européenne relative à la création d'un nouvel organe interinstitutionnel chargé des questions d'éthique, publiée le mois dernier. Il n'y aura pas de nouvelles institutions, de nouvelles prérogatives ou de nouvelles règles, du moins pas dans l'immédiat. En revanche, le nouvel organe aura pour mission de définir des normes communes pour ses neuf institutions membres, parmi lesquelles la Commission européenne et le Parlement européen, et servira de forum où lesdites institutions pourront discuter des normes éthiques et demander des comptes aux uns et aux autres en cas de mauvaise mise en oeuvre.

Tout cela est bienvenu, dans le cadre de la méthode progressive qui caractérise la réforme des règles éthiques de l'Union, mais on est loin de l'agence déontologique indépendante que beaucoup ont réclamée et pour laquelle l'institution française qu'est la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique reste une source d'inspiration. Les citoyens des Vingt-Sept, dont certains ont l'expérience d'un système déontologique indépendant véritablement opérationnel, peuvent à juste titre se montrer sceptiques quant à la nature de ce qui est proposé au niveau européen.

Abandonner ou significativement réformer le régime actuel d'autorégulation est en tout cas nécessaire pour rendre ces initiatives à la fois crédibles et efficaces.

Quel que soit le nouveau mécanisme qui sera mis en place, c'est la « culture » qui, en fin de compte, déterminera tout. Il n'est pas difficile, pour les institutions européennes, d'établir des règles ; réformer une culture bien ancrée est chose beaucoup moins aisée.

En tant que Médiatrice, j'ai observé que les administrations les plus vertueuses ne sont pas celles qui sont dotées du plus grand nombre de règles : ce sont celles dont la culture déontologique est si profondément ancrée qu'elles n'en ont pour ainsi dire pas besoin. Cette culture doit être au coeur de nos activités ; nous ne saurions nous contenter de « poser un pansement » quand des actes répréhensibles sont portés à notre connaissance.

La fragilité de l'autorité morale, et même de nos institutions démocratiques, est une chose dont nous sommes douloureusement conscients en ces temps troublés. Renouer avec cette autorité est une tâche difficile, qui exigera du courage, un travail acharné, mais aussi des idées, des stratégies et des règles. En tant qu'Européens, nous avons prouvé maintes fois que nous avions ce courage, s'agissant, d'ailleurs, de relever des défis bien plus importants. Je suis convaincue que nous pouvons, dans le même esprit et avec la même détermination, réparer les dommages causés à l'intégrité et à la réputation de nos institutions démocratiques.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci beaucoup, madame la Médiatrice, pour toutes ces précisions. Elles nous donnent la mesure de votre engagement.

M. Didier Marie. - J'aimerais savoir de quels moyens vous disposez, que ce soit en termes d'effectifs ou de budget, pour mener les investigations que vous avez évoquées.

Mme Emily O'Reilly. - J'ai tendance à dire que nous sommes un petit bureau avec un mandat gigantesque. Nous recevons nos moyens des contribuables européens ; aussi nous efforçons-nous d'utiliser ces fonds le plus efficacement possible.

Comme je vous le disais, c'est moi qui décide ou non de l'ouverture d'une enquête. Je rassemble donc de façon indépendante les pièces nécessaires à l'étude des faits ; les institutions européennes sont d'ailleurs tenues de me les transmettre. Ensuite, c'est aux institutions ou aux agences visées de prendre le relais en agissant en conséquence.

Il n'est pas toujours simple de trouver des solutions rapidement. Parfois, des recommandations donnent lieu à des années de travail, en particulier quand elles sont censées conduire à un changement de culture.

Nous disposons des ressources nécessaires pour effectuer nos missions. Le nombre de nos enquêteurs a même augmenté. À mon arrivée à ce poste, il y a dix ans, on m'a demandé si je souhaitais davantage de moyens. J'ai répondu qu'avant de me prononcer, j'avais besoin de savoir si mon travail avait un impact réel. Aujourd'hui, je peux vous le dire, nous sommes beaucoup plus rapides et beaucoup plus efficaces qu'auparavant.

Mme Marta de Cidrac. - Madame la Médiatrice, je veux vous remercier pour les éclaircissements que vous nous apportez.

Ma question porte sur ces interactions et comportements « bénins » dont vous avez parlé. Loin d'être exemplaires, ils ne tombent toutefois pas sous le coup de la loi ; mais, précisément, quel effet peuvent-ils avoir sur les opinions publiques ? Ne sont-ils pas susceptibles d'abîmer la crédibilité de nos institutions ? Il se peut même qu'ils suscitent une suspicion généralisée, s'agissant d'actions qui ne correspondraient pas aux intentions affichées. Comment se prémunir d'une telle suspicion ? Où est le bon niveau de transparence ?

Mme Emily O'Reilly. - C'est une question de confiance. Nos institutions ne peuvent fonctionner que si elles bénéficient de la confiance de nos concitoyens. Or, sans transparence et, le cas échéant, sans sanctions, la confiance disparaît. Les temps sont difficiles, les élections européennes approchent... Je vais donner quelques exemples.

En fait de pantouflage, je voudrais évoquer le cas de l'Autorité bancaire européenne (ABE), qui a autorisé son ancien directeur exécutif à exercer des activités de lobbying, alors même que l'ABE avait vu le jour au lendemain de la crise financière et devait contribuer à rétablir la confiance des citoyens européens dans notre système réglementaire. Depuis, les règles ont changé et on nous a expliqué que les choses, désormais, seraient faites différemment.

Autre exemple : l'Agence européenne de défense (AED) a autorisé son ancien directeur général à occuper des postes de haut niveau auprès d'Airbus, qui a pourtant signé des contrats avec l'Union européenne. À cette occasion, les mêmes commentaires ont été formulés.

Pour ce qui est de « l'affaire von der Leyen », concernant ces échanges de SMS au sujet du vaccin Pfizer-BioNTech, nous n'avons toujours aucune information. Le secret règne, ce qui nourrit un certain euroscepticisme, en tout cas un défaut de confiance.

À l'époque, la présidente von der Leyen a eu raison de déployer de tels efforts pour que des vaccins soient disponibles, puisque des personnes souffraient et mouraient : elle a agi à juste titre. Néanmoins, la question de la transparence est centrale, en particulier dans nos sociétés dominées par les réseaux sociaux, qui alimentent la défiance. Il faut être particulièrement vigilant, même pour des affaires qui peuvent sembler mineures, puisqu'il y va de la confiance que nous accordent ou non nos concitoyens ; les responsables d'administration des institutions évoquent tous régulièrement, d'ailleurs, cette question de la confiance, qui est la clé de leur légitimité.

M. Jean-François Rapin, président. - Je m'interroge sur le sponsoring de petits pays, dont l'administration est moins pléthorique qu'ailleurs, par des entreprises privées pendant les présidences semestrielles du Conseil. Arrive-t-il, dans ce contexte, que les votes au Conseil réservent des surprises ? Percevez-vous une difficulté à cet égard ?

Mme Emily O'Reilly. - Par le passé, divers intérêts commerciaux ont été en jeu, puisque la présidence du Conseil de l'Union européenne peut être lucrative. Nous avons reçu des plaintes à ce sujet, et des conflits d'intérêts ont été signalés. C'est pourquoi nous avons élaboré des lignes directrices et demandé à ce que de telles pratiques prennent fin. Le résultat fut mitigé, si je puis dire... La présidence de l'Union européenne va continuer à tourner, mais le sponsoring d'entreprises privées va également perdurer. Nous avons mis cette question à l'ordre du jour des discussions politiques ; il faut maintenant s'armer de patience. Dans quelques années, peut-être, cette pratique prendra fin et d'autres solutions seront retenues pour financer les présidences du Conseil de l'Union européenne.

En ce domaine, donc, des travaux sont en cours, et il est facile de comprendre pourquoi les citoyens voient d'un mauvais oeil l'influence d'entreprises privées, dont il faut les protéger.

M. Jean-François Rapin, président. - Madame la Médiatrice, je vous ai demandé, dans mon propos général, ce que vous pensiez du plan de réforme en quatorze points proposé par la présidente Metsola, à la suite du Qatargate. Vous paraît-il utile et comment imaginez-vous son déploiement ?

Je souhaitais également vous entendre au sujet de la transparence de Frontex. Une polémique a éclaté, relayée par de nombreux articles, et la gouvernance de l'agence a été remodelée. Au Sénat, nous avons beaucoup travaillé pour comprendre les causes et le contexte de cette polémique.

Mme Emily O'Reilly. - Le plan Metsola a souffert d'une certaine dilution, vu le nombre d'instances impliquées. Les attentes étaient grandes, à la hauteur de la panique consécutive au Qatargate. La présidente Roberta Metsola avait exprimé de fortes inquiétudes et, s'agissant « d'attaques contre la démocratie », il était nécessaire de tout mettre en oeuvre pour faire la lumière sur ce genre de pratiques. Néanmoins, la politique entre en jeu et il faut tenir compte des équilibres politiques qui règnent au sein du Parlement européen : les mesures pour lesquelles plaident aujourd'hui la gauche et les Verts sont plus sévères que celles que préconise le centre droit...

Dans un premier temps, il avait été proposé d'instaurer une « période de réflexion » de deux ans pour les députés européens qui souhaitent après la fin de leur mandat exercer une activité de lobbying auprès du Parlement européen, mais cette durée a finalement été ramenée à six mois. Voilà un bel exemple de la dilution que j'évoquais !

Depuis le Qatargate, nombreux sont nos concitoyens à avoir pris conscience de l'importance de la déontologie et des critères que doit satisfaire une bonne agence pour mener une action déontologique. Ils ont compris, en particulier, qu'un tel organe doit être indépendant, mais aussi proactif : il doit pouvoir s'autosaisir sans attendre qu'une plainte soit déposée.

Le Parlement européen comprend un organe de conseil à la présidence, le comité consultatif sur la conduite des députés, composé de cinq membres à qui peuvent être adressées des demandes d'enquête. En cas de violation alléguée du code de conduite, il délibère puis formule une recommandation, qu'il adresse à la présidence. La Commission européenne dispose d'un organe similaire. Ces deux organes se montrent réticents à ce que soit mise sur pied une agence indépendante.

Malheureusement, nos concitoyens seront aisément persuadés qu'à défaut d'une telle indépendance, ces organes ne peuvent fonctionner, car ils sont aux ordres de l'institution à laquelle ils sont rattachés. C'est donc la création d'une agence indépendante qu'ils appellent de leurs voeux.

Je le répète, le plan Metsola est très éloigné des attentes initiales. Un long chemin reste à parcourir et, bien entendu, à l'approche des élections européennes, les pressions se multiplient. Les députés ne veulent pas être confrontés à ces polémiques au cours de leur prochaine campagne électorale. Un écart existe en tout cas entre la rhétorique qui s'est imposée au moment du scandale du Qatargate et les mesures qui sont réellement mises en oeuvre.

Pour ce qui est de Frontex, de nombreuses enquêtes ont été menées. Vous faites sans doute référence au tragique naufrage, au mois de juin, de 600 réfugiés au large de la Grèce, les trafiquants utilisant les migrants comme source de revenus. Il est surprenant que l'Union européenne ne se soit pas dotée d'un organisme indépendant chargé d'enquêter sur ces sujets, car, pour ma part, en tant que Médiatrice, mes pouvoirs sont limités. Certains députés européens appellent d'ailleurs désormais à ce qu'une agence internationale soit créée à cet effet.

Néanmoins, Frontex a d'ores et déjà fait l'objet de critiques dans un rapport publié l'an dernier par l'Office européen de lutte antifraude ; ces critiques ont conduit à la démission de membres de la direction. Des allégations de refoulement de migrants ont également été formulées.

Aujourd'hui, Frontex a un nouveau directeur et le travail de l'agence consiste à garantir le respect des libertés fondamentales. Nous allons voir comment la situation évolue, mais le fait même qu'une telle tragédie puisse survenir a surpris beaucoup de monde. En tout état de cause, la réponse apportée actuellement par les institutions n'est pas à la hauteur de ce qu'exigeraient les valeurs européennes.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie, madame la Médiatrice, pour ces échanges, qui nous encouragent à travailler, au cours des mois à venir, sur les recommandations du Parlement européen ou sur l'idée d'une structure indépendante qui pourrait notamment contrôler l'action de Frontex. Toutes les agences existantes sont en effet, d'une façon ou d'une autre, dans une situation de dépendance à l'égard de la Commission européenne. Il serait donc intéressant d'explorer cette piste.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 14 h 15.

Budget de l'Union européenne - Budget européen et révision des perspectives financières de l'Union européenne : audition de Mme Stéphanie Riso, directrice générale du budget de la Commission européenne (DG BUDG) (en téléconférence)

La réunion est ouverte à 16 h 30.

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, nous accueillons cet après-midi, en visioconférence, Madame Stéphanie Riso, directrice générale du budget à la Commission européenne.

Cette audition intervient à un moment important, puisque la Commission européenne a présenté le 20 juin dernier une proposition de nouvelle ressource propre ainsi qu'une révision ciblée du cadre financier pluriannuel (CFP).

Madame la Directrice générale, disons-le d'entrée de jeu, nous étions nombreux à trouver que le CFP 2021-2027, tel qu'il avait été arbitré, ne satisfaisait pas entièrement les priorités du Sénat, et ce malgré le complément de Next Generation EU. Nous étions en même temps bien conscients des contraintes budgétaires pesant sur les États membres.

Depuis la définition de ce cadre, la pandémie de Covid-19, la concurrence mondiale sur les technologies vertes et l'agression de l'Ukraine par la Russie ont complètement rebattu les cartes et amené à réviser certaines priorités.

La Commission propose ainsi en particulier de majorer le CFP actuel de 50 milliards d'euros au titre d'une nouvelle « Facilité pour l'Ukraine » couvrant la période 2024-2027, de 15 milliards d'euros pour faire face au défi migratoire et aux enjeux extérieurs, de 10 milliards d'euros au titre d'une nouvelle plateforme « Technologies stratégiques pour l'Europe », censée soutenir la compétitivité de l'industrie européenne par des investissements dans les technologies critiques, et de 18,9 milliards d'euros pour faire face aux coûts de financement de l'instrument de relance Next Generation EU - sujet sensible au regard des débats que nous avions eus lors de l'examen du projet d'emprunt commun.

Je souhaite évidemment que vous puissiez nous présenter de manière précise ces différentes demandes, mais aussi que vous puissiez faire un point sur l'exécution budgétaire des différents programmes du CFP. Cette exécution vous paraît-elle conforme, à ce stade, aux attentes initiales et aux besoins constatés ?

En parallèle, la Commission a formulé une proposition de nouvelle ressource propre fondée sur les bénéfices des entreprises, dans une formule statistique temporaire qui pourrait ensuite être remplacée par une éventuelle contribution de l'initiative « Entreprises en Europe : cadre pour l'imposition des revenus » (BEFIT). En pratique, la ressource temporaire serait en réalité une contribution nationale versée par les États membres sur la base de l'excédent brut d'exploitation des entreprises financières et non financières, qui pourrait rapporter 16 milliards d'euros par an à compter de 2024 (en prix 2018).

Elle viendrait ainsi compléter le train de ressources propres que la Commission avait proposé en décembre 2021, mais qui n'a pas prospéré à ce stade. Je souhaite donc que vous puissiez nous présenter plus en détail la nouvelle proposition de la Commission, mais aussi que vous fassiez le point en toute franchise sur la perspective réelle d'aboutir sur les nouvelles ressources propres.

Enfin, nous serons également heureux de vous entendre sur les propositions de la Commission relatives aux nouvelles règles de gouvernance économique. La Commission se veut plus pragmatique que par le passé mais nous savons que cette approche suscite des réserves en Allemagne. Vous pourrez ainsi nous faire part de votre analyse de ces enjeux.

Mme Stéphanie Riso, directrice générale du budget de la Commission européenne. - Merci beaucoup, Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Sénateurs. Vous avez dit le principal sur ce réexamen à mi-parcours du cadre financier pluriannuel.

La première question à se poser, c'est pourquoi procéder à ce réexamen à mi-parcours. Il faut rappeler que, dans l'histoire des cadres financiers pluriannuels, seule une revue à mi-parcours a abouti, en 2016. C'était principalement lié à la pression migratoire à laquelle l'Europe faisait face cette année-là. La Commission européenne n'avait pas alors proposé de rehausser les plafonds du cadre financier pluriannuel, mais de reconstituer les marges des instruments spéciaux qui sont, comme vous le savez, les seuls montants du cadre financier pluriannuel qui ne sont pas alloués ou pré-alloués à des programmes. Ce qu'elle propose aujourd'hui est donc inédit dans l'histoire des cadres financiers pluriannuels. La question est donc de savoir pourquoi la Commission formule une telle proposition.

Il est clair que le monde d'aujourd'hui est très différent du monde de 2020, au moment où avait été discuté l'actuel CFP. Nous avons subi trois ans de crises : pandémie de Covid-19, puis crise énergétique, résultante de la guerre en Ukraine. Et au cours de ces trois années, le budget européen a fait une mue, d'abord grâce à Next Generation EU, que vous avez mentionné dans votre introduction, mais aussi parce que, d'instrument d'investissement à long terme, il est progressivement apparu au cours de ces trois dernières années comme une partie des solutions envisageables pour faire face aux crises. C'est nouveau : le budget européen n'avait pas été auparavant un outil de gestion de crise.

C'est pour nous un élément positif, puisque cela signifie que le budget européen peut participer aux solutions, mais cela laisse évidemment des traces : de ce fait, aujourd'hui, à mi-parcours, on doit faire le constat que ce cadre financier est épuisé, c'est-à-dire qu'on a utilisé les trois quarts des marges qui n'étaient pas allouées. Évidemment, ces marges n'ont jamais été très importantes - on parle de 6 milliards d'euros à peine, pour 7 ans, pour 27 pays et pour tous les programmes couverts par le CFP. Mais force est de constater que l'on a déjà consommé 75 % de ces marges en 2023.

C'est encore plus flagrant en ce qui concerne les instruments extérieurs. La réserve de près de 9 milliards d'euros de l'instrument de voisinage, de coopération au développement et de coopération internationale (IVCDCI), seul volant de crédits des instruments extérieurs destiné à faire face aux imprévus et non alloué à des programmes ou à des régions spécifiques, est utilisée et pré-allouée à 80 % environ. Il ne reste donc plus qu'un milliard d'euros pour faire face à tous les imprévus qui pourraient arriver dans le monde entre 2024 et 2027. Il est évident que ce ne sera pas suffisant.

Tout le budget européen a été mobilisé, notamment les instruments de flexibilité. Comme vous le savez, une marge d'environ un milliard d'euros par an non allouée peut permettre de renforcer les programmes existants : cet instrument de flexibilité a été utilisé à 100% tous les ans depuis 2021. Nous avons aussi évidemment mobilisé très fortement la réserve de solidarité et d'aide d'urgence, issue de la fusion entre les fonds de solidarité à l'intérieur et à l'extérieur de l'Union européenne. On a non seulement utilisé ces instruments à 100% chaque année entre 2021 et 2023, mais on les a renforcés de manière significative, en doublant pratiquement à chaque fois les fonds disponibles. Malgré cela, il ne nous a pas été possible de répondre à toutes les urgences et toutes les crises auxquelles nous avons dû faire face, y compris à travers le monde comme dernièrement le tremblement de terre en Turquie, ou la situation de crise en Afghanistan.

Nous avons aussi redéployé les fonds de ce CFP plus que jamais auparavant dans l'histoire des cadres financiers. Ont été reprogrammés pas moins de cinq fois les fonds de cohésion du précédent CFP 2014-2020, à travers les instruments dont vous avez connaissance - Initiative d'investissement en réaction au coronavirus (CRII), Initiative d'investissement plus en réaction au coronavirus (CRII+), Action de cohésion pour les réfugiés en Europe (CARE et CARE 2), Assistance flexible aux territoires (FAST CARE), Fonds stratégique d'autonomie pour l'Europe (SAFE). Ils ont ainsi été des instruments de crise à l'époque du Covid, pendant laquelle les contraintes d'utilisation des fonds de cohésion ont été supprimés pour faire face à la crise. On a ensuite réorienté ces fonds pour permettre notamment l'accueil des réfugiés ukrainiens et faire face à la crise énergétique qui a découlé du déclenchement de la guerre en Ukraine.

Cinq reprogrammations des fonds de cohésion, c'est presque à la limite de la rationalité. Si on reprogramme sans arrêt ces fonds, ils ne pourront pas répondre à leur objet, c'est-à-dire d'être des programmes d'investissement sur le long terme, notamment pour la double transition verte et numérique à laquelle nous devons faire face.

Nous sommes toutefois allés au-delà, en permettant le financement de nouveaux programmes par redéploiement de programmes existants. C'est notamment le cas du Chips Act, en faveur duquel des fonds du programme de recherche Horizon Europe ont été réorientés. C'est également le cas pour l'action de soutien à la production de munitions, qui bénéficiera de redéploiements du Fonds européen de la défense (FEDef) et de la mobilisation des marges et flexibilités restantes.

En outre, les fonds du plan de relance ont été redéployés vers le nouveau programme RePowerEU, solution structurante à la crise énergétique pour mettre fin le plus rapidement possible à notre dépendance énergétique vis-à-vis de la Russie et renforcer le marché intérieur de l'énergie afin de s'orienter plus rapidement vers la transition verte.

Les exemples de redéploiement sont nombreux : je ne vais pas tous les passer en revue. Aujourd'hui, entre la mobilisation des programmes et flexibilités existants et les redéploiements, la Commission est arrivée à la limite de ce que pouvait faire ce cadre financier pluriannuel.

Conserver ce cadre dans les limites que l'on connaît signifie que nous ne serions alors pas en capacité de répondre aux nouvelles priorités politiques que vous avez mentionnées : l'Ukraine, l'immigration et les défis extérieurs ainsi que la compétitivité technologique. Ce sont les trois priorités politiques sur lesquelles cette révision à mi-parcours est ainsi concentrée.

L'Ukraine est évidemment la première des priorités. Nous voulons dans le cadre de cette révision permettre une consolidation à moyen terme du support européen à l'Ukraine. L'Union européenne (UE) a jusqu'à maintenant trouvé les moyens de supporter financièrement l'Ukraine mais n'avait pas encore défini un cadre pérenne, de 2024 à 2027, permettant d'asseoir la crédibilité de son support financier dans la durée. Le Conseil européen, le Parlement européen et la plupart des États membres ont appelé clairement à asseoir avec certitude ce soutien à l'Ukraine dans la durée. Nous avons donc proposé cette nouvelle facilité qui serait l'interface unique entre l'UE et l'Ukraine et permettrait d'établir une programmation pluri-annuelle et de faire évoluer de manière flexible notre support à l'Ukraine avec l'évolution de la situation sur le terrain. Évidemment, tant que la guerre fait rage, nous continuerons le support à la balance des paiements ukrainienne, afin que les fonctions essentielles de l'État puissent être exercées, qu'il s'agisse de la santé, de l'école ou, évidemment, de l'armée. On espère toutefois que, dès que la guerre sera finie, cette même facilité sera utilisée pour aider l'Ukraine à se reconstruire dans la perspective de son adhésion à l'Union européenne. Cela permettrait de mettre l'Ukraine sur les rails au vu des réformes nécessaires, que ce soit dans le domaine de l'État de droit, de la lutte contre la corruption, mais aussi dans le domaine des investissements requis pour la transition verte et la transition numérique.

Les audits et les contrôles constitueront une dimension très importante de la mise en oeuvre de cette facilité qui pourrait s'élever à 50 milliards d'euros. Pour continuer à obtenir le soutien des populations européennes à l'Ukraine, il est fondamental que nous puissions expliquer et démontrer l'utilisation pertinente de ces fonds.

Cette facilité ukrainienne serait fondée sur un plan pluri-annuel qui permettrait de lister les différentes réformes et les différents investissements que l'Union européenne aimerait voir mis en oeuvre en Ukraine. Le paiement des sommes serait subordonné à la réalisation de ces objectifs, sur le modèle des plans de relance mis en oeuvre au sein de l'Union européenne, mais évidemment pas dans les mêmes dimensions, compte tenu de la situation actuelle de l'Ukraine.

Vous l'avez relevé, Monsieur le Président, l'enveloppe consacrée à cette facilité devrait s'élever à 50 milliards d'euros, couvrant à la fois des prêts et des subventions. Il est évident que s'il s'agissait uniquement de prêts, la question de la soutenabilité de la dette ukrainienne se poserait. Nous plaidons pour que l'enveloppe soit répartie de la manière suivante : un tiers de subventions, pour 17 milliards d'euros environ, et deux tiers de prêts, soit environ 33 milliards d'euros. Cette répartition entre prêts et subventions serait décidée de manière annuelle afin d'être ajustée à l'évolution de la situation sur le terrain. Conserver une flexibilité apparaît indispensable.

La deuxième priorité politique porte sur les migrations et les défis extérieurs. Le Conseil a réussi à trouver un accord sur le pacte sur la migration et l'asile, ce qui constitue un progrès majeur. Les trilogues avec le Parlement européen vont bientôt commencer. Nous avons fait l'analyse des conséquences financières de ce pacte et avons conclu qu'il faudrait renforcer les instruments existants permettant d'aider les États membres dans la gestion des frontières et des demandes d'asile. Ce pacte engendrerait selon nous un surcoût d'environ 2 milliards d'euros, d'où la proposition de renforcer d'autant les enveloppes existantes en ce domaine, qu'il s'agisse de celles des États ou de celle gérée par l'Union européenne.

Les défis extérieurs restent immenses et nos partenaires internationaux ont le sentiment que l'Europe s'est un peu repliée sur elle-même à l'occasion de la crise de la Covid et réorientée très fortement en direction de son flanc Est, en abandonnant un petit peu le Sud. Cette perception est erronée, puisque nous n'avons certainement pas coupé les programmes de financement et les différents programmes de développement mis en place avec nos partenaires internationaux, mais elle est très présente. Vous vous souvenez des critiques dont l'Union européenne a fait l'objet lorsqu'elle a été accusée de faire monter le prix des denrées alimentaires ou le prix de l'énergie du fait des différentes actions qu'elle menait à l'encontre de la Russie. Il apparaît donc d'autant plus important de s'assurer que nous aurons bien les moyens financiers de poursuivre nos partenariats avec les différents pays du monde.

Un angle particulier est nécessaire en direction des pays d'origine et de transit, sans négliger aucune route migratoire. C'est l'exemple de ce que nous faisons avec la Tunisie, mais aussi plus largement avec notre voisinage méridional. Je pense notamment à la poursuite du soutien apporté aux réfugiés syriens, notamment au Liban, en Jordanie et bien évidemment en Turquie.

La Commission souhaiterait également établir un partenariat plus approfondi avec les Balkans occidentaux. On sait que l'UE n'aura pas forcément de bonnes nouvelles pour ces pays sur le plan institutionnel d'ici la fin de l'année. Il est donc important qu'elle puisse renouveler son engagement vis-à-vis des Balkans occidentaux en mettant en place des partenariats renforcés. Nous souhaiterions notamment développer un nouveau partenariat économique, suivant le modèle envisagé pour la facilité ukrainienne, c'est-à-dire des programmes de réformes et d'investissements qui s'accompagneraient de nouveaux financements. Ce serait également le cas pour la Moldavie.

La dernière priorité de la révision du CFP concerne la question de la compétitivité mondiale de l'UE. Comme vous l'avez relevé, la concurrence mondiale sur les technologies vertes est vive et n'est pas toujours entièrement équitable. Nous avons l'obligation d'assurer un certain niveau d'indépendance de l'Europe en matière de technologies critiques pour faire face à la double transition que nous devons mener. La présidente de la Commission européenne avait annoncé un fonds pour la souveraineté. Dans ce cadre, nous proposons une première étape vers ce fonds de souveraineté à travers la plateforme « Technologies stratégiques pour l'Europe » (STEP). Cette plateforme vise à renforcer la compétitivité et la résilience de l'industrie européenne dans trois domaines critiques : les technologies numériques - les « deep tech » comme on les appelle en anglais -, les technologies propres ou vertes et, enfin, les biotechnologies.

On dispose déjà de nombreux instruments dans ces domaines - peut-être trop - et c'est une question qu'on se posera dans le prochain cadre financier pluriannuel. Mais à ce stade, dans le cadre de la révision du CFP, nous proposons de renforcer les synergies entre les différents instruments existants pour s'assurer que les ressources publiques européennes, qui sont rares, sont utilisées au mieux.

Notre approche repose sur trois piliers. Nous souhaitons tout d'abord renforcer un certain nombre d'instruments européens existants, comme Invest EU - comme vous le savez, cet instrument, financé à travers des garanties du budget européen et développé en partenariat avec la Banque européenne d'investissement (BEI), permet de développer une ingénierie financière dans les domaines que l'on citait -, comme le Fonds pour l'innovation, qui permet vraiment de développer des nouvelles technologies, des technologies de rupture en matière de technologies vertes, ou encore comme le Conseil européen d'innovation, qui permet notamment de prendre des participations dans des entreprises prometteuses - start-up, licornes... - qui nécessitent vraiment un soutien européen, notamment lorsqu'elles parviennent à un certain niveau de développement, pour leur éviter d'être immédiatement rachetées par des partenaires extra-européens. Je pense enfin au Fonds européen de la défense dont le lien avec la souveraineté est évident. Ces différents « renforcements » représenteraient une somme totale de 10 milliards, ce qui est relativement faible par rapport à notre ambition en matière de compétitivité technologique, mais qui viendra en appui de l'ensemble des leviers existants, comme la mobilisation du secteur privé et des autres fonds européens. Je pense en particulier aux instruments de la politique de cohésion mais aussi à la facilité pour la reprise et la résilience, qui disposent de fonds importants. Nous souhaitons créer un flux de projets qui répondraient aux exigences de souveraineté et qui pourraient dès lors être financés de manière quasi-automatique par les fonds de cohésion. Pour vous donner un exemple, un porteur de projet sollicitant un soutien du Fonds pour l'innovation, dont le projet serait éligible mais ne pourrait pas être financé en raison des limites budgétaires, recevrait un sceau de qualité ou de souveraineté lui permettant de solliciter un soutien des différentes régions et au titre de la facilité pour la reprise de la résilience. Ce sceau permettrait ainsi de faciliter le financement du projet et de créer une synergie entre les différents instruments.

Financer ces projets est important pour assurer notre souveraine technologique. À partir des multiplicateurs observés par le passé, nous estimons que ces 10 milliards d'euros permettraient de lever jusqu'à 160 milliards d'euros d'investissement, dans l'hypothèse où environ 5 % des fonds de cohésion seraient redirigés vers ces projets et si on fait l'hypothèse d'une augmentation d'environ 10 % des transferts possibles de la Facilité pour la reprise et la résilience vers Invest EU. Selon ces hypothèses, on pourrait donc obtenir 160 milliards d'investissements dans ces technologies critiques, ce qui constituerait un premier pas vers un fonds de souveraineté.

Enfin, je veux évoquer deux autres éléments de notre proposition que vous avez mentionnés. Nous aurons besoin de faire un ajustement technique du cadre financier pour prendre en compte le fait que les coûts des emprunts contractés au titre de Next Generation EU sont supérieurs à ce qui avait été anticipé en 2020. Il ne s'agit pas d'une surprise, tous les émetteurs de dette, qu'ils soient nationaux ou internationaux, font face à une montée très forte des taux d'intérêt, en lien direct avec la poussée inflationniste que nous avons connue. Nous ne sommes pas différents des autres émetteurs de dette et nous devons ajuster en conséquence les données budgétaires.

L'inflation a également un très fort impact sur nos coûts fixes, comme c'est le cas pour l'administration nationale ou internationale, et nous avons donc proposé un ajustement de ces coûts à la nouvelle donne de l'inflation.

Je voudrais enfin évoquer le dossier des ressources propres, que vous avez mentionné dans votre introduction. Lors de la mise en place de Next Generation EU et de la capacité d'endettement collective de l'Union européenne, la Commission européenne, le Parlement européen et le Conseil s'étaient mis d'accord pour réfléchir à de nouvelles ressources propres pour le budget. La Commission européenne avait proposé en décembre 2021 trois nouvelles ressources propres, la première fondée sur les certificats ETS (Emissions trading system ) liés au système de quotas d'émissions de CO2 de l'Union (SEQE-UE), la deuxième reposant sur le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières et la dernière, sur le pilier I des accords fiscaux de l'Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE). Ce dernier volet a pris du retard. Nous avons donc proposé de revoir ces propositions à la lumière des derniers développements. Nous avons notamment proposé d'augmenter les ressources propres qui seraient prélevées sur les certificats ETS, étant donnée la forte hausse des revenus liés à ces allocations : quand la Commission a fait ses premières propositions, la tonne de carbone valait environ 50 euros. Elle en vaut 80 aujourd'hui. Même si l'Union européenne prélevait 30 % des revenus au lieu des 25 % initialement prévus, les États conserveraient des revenus plus importants que ce qui avait été évalué lors de la première proposition de la Commission et cela garantirait au budget européen, en particulier en vue du remboursement des emprunts, une assise plus importante.

Concernant le mécanisme d'ajustement carbone aux frontières, la Commission maintient sa proposition et, comme vous l'avez indiqué, propose la création d'une nouvelle ressource propre sur les bénéfices des entreprises. Nous aurions aimé avoir une proposition d''harmonisation ou au moins un cadre commun pour l'imposition des revenus des entreprises (BEFIT), comme proposé il y a 18 mois : la Commission y travaille et fera des propositions au cours du dernier trimestre 2023, pour permettre d'avoir une certaine harmonisation des bases taxables. Cette harmonisation ne concernerait évidemment pas les taux, les dérogations ou le cadre fiscal qui resteraient nationaux. Nous souhaiterions toutefois travailler sur un cadre commun pour l'imposition des bénéfices des entreprises. Ne disposant pas à ce stade de base juridique sur laquelle asseoir une telle ressource propre, nous avons formulé une proposition de ressource propre temporaire, en attendant ce cadre harmonisé pour l'imposition des revenus des entreprises. Cette ressource statistique, comme vous l'avez relevé, serait assise sur les bénéfices des entreprises qui sont rapportés chaque année par l'institut statistique national à Eurostat, dans le cadre de la consolidation des statistiques nationales des revenus nationaux. Il ne s'agirait donc pas d'une nouvelle taxe et cela ne créerait pas de difficultés administratives nouvelles pour les entreprises. Le processus serait transparent pour elles puisque la contribution serait payée par les États, sur la base des données statistiques. Il ne s'agirait donc pas d'une ressource propre au sens premier du terme, mais d'une nouvelle contribution nationale temporaire, dans l'attente de la proposition législative sur l'harmonisation de la taxation sur les bénéfices des entreprises. C'est une étape importante que nous avons voulu marquer.

Enfin, je veux évoquer l'enjeu de la gouvernance économique. Comme vous l'avez relevé, la Commission a présenté des propositions pour refondre la gouvernance économique, en la fondant sur la soutenabilité de la dette à long terme, plus que sur une vérification annuelle des statistiques liées au déficit. Cette approche liée à la soutenabilité de la dette nous paraît plus pertinente mais l'Allemagne n'a pas accueilli ces propositions très favorablement. Les discussions sont en cours et elles sont difficiles. Les perspectives d'accord sur ce sujet sont d'autant plus compliquées que le gouvernement des Pays-Bas est tombé le week-end dernier. Des élections auront lieu aux Pays-Bas en novembre prochain. Dans ces conditions, il paraît difficile d'envisager un accord sur des décisions qui requièrent l'unanimité, comme la révision du CFP ou la refonte de la gouvernance économique, avec un gouvernement en charge de la gestion des affaires courantes.

Voici les premiers éléments que je souhaitais évoquer, je me tiens maintenant à votre disposition pour répondre à vos questions.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci. Ces sujets méritent qu'on s'y attarde. Je voudrais vous interroger sur la réserve d'ajustement au Brexit, qui a été très commentée en en France, en particulier la sous-utilisation des fonds alloués à notre pays à ce titre et le transfert des crédits non-utilisés vers d'autres programmes.

J'ai sous les yeux le tableau récapitulant les priorités politiques et les crédits associés proposés dans le cadre de la révision du CFP. Je vois une ligne de 3,5 milliards d'euros dédiée aux réfugiés syriens, et donc en partie destinée à la Turquie. A-t-on un état de l'ensemble des crédits versés jusqu'à présent à la Turquie et des actions que celle-ci a menées avec ces fonds, alors que cet État utilise différents leviers de négociation, notamment s'agissant de l'intégration de la Suède à l'OTAN, en essayant de lier celle-ci à la perspective de sa propre adhésion à l'Union ?

- Présidence de M. Claude Kern, vice-président -

M. Jean-Yves Leconte. -Madame la Directrice générale, j'ai deux remarques sur les priorités que vous avez signalées et une inquiétude concernant le « Green Deal » (Pacte vert européen). Concernant la priorité que constitue le soutien à l'Ukraine, j'ai une suggestion à formuler si vous êtes à la recherche d'effets de levier. Les Européens qui se déplacent en Ukraine le font aujourd'hui à leurs propres risques, sans qu'une assurance soit en mesure de prendre ces risques en charge. Les entreprises européennes n'y envoient donc de fait pas grand monde, ce qui entrave les coopérations nécessaires avec l'Ukraine, les personnes s'y rendant le faisant sur une base volontaire. Or ce pays a besoin d'un accompagnement impliquant la venue sur place de personnel humanitaire ou d'entreprises. Dans ces conditions, au titre de l'aide à l'Ukraine, envisagez-vous la création d'un fonds de garantie qui permettrait aux entreprises d'obtenir des assurances adaptées et ainsi de mieux prendre part à la reconstruction des infrastructures vitales ou à l'aide humanitaire ? Je n'imagine pas d'autre opérateur que l'Union européenne pour répondre à ce besoin précis qui exercerait un réel effet de levier.

Deuxièmement, vous avez évoqué la question des migrations. Près de 900 millions d'euros devraient être versés à la Tunisie. On comprend bien l'esprit général de cet engagement, qui revient à accorder de l'argent contre la surveillance des frontières. Quand on observe l'évolution négative de ce pays en matière d'État de droit ou de corruption, quels que soient les discours du Président de la République, est-il vraiment raisonnable de s'engager ainsi, sans prévoir de conditionnalité au titre de l'État de droit ? N'est-ce pas de l'argent versé par les fenêtres pour éviter ce qu'on ne veut pas voir, en aggravant finalement les causes fondamentales de la situation en Tunisie ?

Enfin, je souhaite exprimer une inquiétude concernant le « Green Deal ». Vous ne l'avez pas cité parmi les priorités de la Commission, pas plus que la nécessité de redéfinir notre politique énergétique, mais vous avez cité les recettes issues du marché carbone comme ressources propres. Il me semble pourtant que si l'on veut réussir le « Green Deal » et aboutir à un continent « zéro carbone », il faut utiliser les recettes issues du marché carbone dans cette perspective, et non les détourner vers d'autres objectifs.

M. Claude Kern, président. - Madame la Directrice générale, je veux à mon tour vous remercier pour votre présentation réaliste. Effectivement, la révision du cadre financier pluriannuel met en évidence d'assez nombreux obstacles. Depuis l'adoption du budget à long terme pour la période 2021-2027, l'Union européenne a été confrontée, comme vous l'avez dit, à des défis sans précédent et, surtout, inattendus, qu'il s'agisse des conséquences de la guerre menée par la Russie en Ukraine ou bien de la forte augmentation de l'inflation et des taux d'intérêt. Ce budget de l'Union européenne est donc aujourd'hui sous très forte pression. Le 20 juin dernier, la Commission a présenté trois propositions législatives qui visent à renforcer ce budget dans un nombre limité de domaines prioritaires que vous avez exposés. On sait que le Conseil doit adopter à l'unanimité la révision du règlement CFP. Compte tenu de la chute du gouvernement des Pays-Bas, ainsi que vous l'avez relevé, cela risque d'être compliqué. Les élections pour renouveler le Parlement européen vont intervenir en juin 2024. Pensez-vous que le processus sera terminé avant cette échéance ?

Ma deuxième question rejoint celle de Jean-Yves Leconte, puisque je suis les questions relatives à la Tunisie au sein de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe. Les 900 millions d'euros de crédits européens m'apparaissent aujourd'hui nécessaires pour aider ce pays. Toutefois, comme Jean-Yves Leconte, je m'interroge sur les conditions qui vont être mises en place pour le versement de ces fonds.

Mme Stéphanie Riso. - Je vous remercie pour ces questions.

S'agissant de la réserve d'ajustement au Brexit, il est clair que cette réserve n'a pas été utilisée de manière intensive par les États membres, peut-être pour des raisons de délai ou de lourdeurs administratives, ce qui est assez surprenant dans la mesure où ses conditions d'utilisation étaient relativement peu contraignantes. En plein accord avec les États membres, nous avons fait le choix de réorienter cette réserve vers le nouveau chapitre consacré à l'énergie dans le cadre du plan REPowerEU. Il me semble que c'est finalement une bonne chose de ne pas rester bloqué sur un instrument qui n'a pas atteint ses objectifs et de redéployer les crédits vers des instruments permettant de les utiliser de manière plus efficace.

Concernant les 3,5 milliards d'euros destinés à l'accueil des réfugiés syriens, effectivement, on propose aux États membres de maintenir le soutien financier que l'Union européenne a apporté jusque-là aux réfugiés syriens, notamment en Turquie mais pas seulement. On affiche clairement dans le cadre de cette révision à mi-parcours que le budget de l'Union européenne n'a pas en l'état la capacité de continuer ce soutien qui, à l'origine, représentait un montant d'un milliard d'euros par an, réparti pour moitié entre le budget européen et les États membres. Lors du renouvellement de cet instrument en 2020, il avait été décidé que le budget européen supporterait la totalité de cette dépense, soit un milliard d'euros par an à destination de la Turquie pour son soutien aux réfugiés syriens en 2021, 2022 et 2023. La proposition de budget pour 2024 montre que nous ne pouvons plus soutenir cet effort financier. On a réussi à trouver à peu près la moitié de la somme dans le projet de budget pour 2024, soit environ 500 millions d'euros. On indique clairement aux États membres que s'ils souhaitent que continue le soutien à la Turquie dans la même proportion, alors il faut y consacrer 3,5 milliards d'euros dans le budget européen. Cette proposition budgétaire met les choses à plat.

Vos observations sur l'Ukraine sont très pertinentes. La Commission européenne travaille à la mise en place d'un fonds de garantie, notamment dans le cadre de la plateforme des donneurs internationaux dont elle assure le secrétariat. Des progrès ont été réalisés lors de la conférence de Londres sur le développement d'un système de garanties. Nous partageons votre analyse concernant les obstacles liés à l'absence d'un tel mécanisme.

Concernant le soutien à la Tunisie, je veux vous indiquer que le programme sera assorti de conditions, notamment d'objectifs de réforme du secteur public, de mécanismes de protection sociale, de viabilité des finances publiques, de réforme des entreprises publiques ou encore d'audit et de contrôle de la dépense publique.

L'Union européenne souhaite mettre en place des partenariats plus larges que l'aide au développement ou les enjeux migratoires avec les pays concernés. Avec la Tunisie, l'idée est ainsi de couvrir les enjeux énergétiques ou la transition verte. Des mécanismes de conditionnalité sont bien prévus et s'inspirent du modèle de la Facilité pour la reprise et la résilience, même si elles sont évidemment adaptées dans la mesure où il s'agit d'un État tiers et où les montants financiers ne sont pas de même ampleur. La conditionnalité dans la mise en oeuvre de l'engagement budgétaire européen est une direction que nous souhaitons prendre non seulement à l'intérieur de l'Union européenne mais aussi en matière de politique extérieure.

S'agissant des ressources propres, nous proposons en effet d'utiliser une partie des ressources liées à la vente des certificats ETS pour financer le budget européen mais il faut se rappeler que 30 % des dépenses de celui-ci doivent contribuer à la lutte contre le changement climatique - le pourcentage s'élève même à 37 % dans le cadre des plans de relance. Nous avons jusqu'à présent tenu ces objectifs de dépenses et nous vérifions, non seulement que l'objectif de dépenses est réalisé, mais que ces dépenses permettent effectivement d'atteindre l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui leur est associé. Financer une partie du budget européen à travers la vente des certificats ETS n'apparaît ainsi pas du tout contradictoire avec la mobilisation de fonds en faveur du « Green Deal ».

En outre, augmenter de 25 % à 30 % le taux de prélèvements sur les certificats ETS nationaux en faveur du budget de l'Union européenne correspond à environ 5 milliards d'euros. Or c'est précisément le montant que l'on propose d'allouer pour renforcer le fonds d'innovation, enveloppe de près de 60 milliards d'euros qui est entièrement dédiée au financement des technologies vertes critiques pour la transition vers un continent « zéro carbone ». L'orientation des crédits reste donc la même à l'euro près. Le fonds d'innovation s'ajoute aux 800 milliards d'euros mobilisés dans le cadre de Next Generation EU, dont 37 % seront consacrés au « Green Deal ».

La mobilisation des crédits en faveur du climat est plus forte que jamais dans le cadre de ce CFP et nous partageons votre analyse selon laquelle cet effort doit être maintenu pour atteindre les objectifs. Par ailleurs, les dépenses publiques ne peuvent pas être les seules dépenses prises en considération pour la réalisation des objectifs de l'Union en matière de climat. C'est la raison pour laquelle la Commission européenne a proposé une taxonomie verte pour permettre une mobilisation accrue des fonds privés en faveur des objectifs du « Green Deal ».

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

M. André Reichardt. - Je voudrais remercier Madame Riso pour la qualité de ses réponses et pour son enthousiasme. Il me semble que vous n'avez pas répondu à la question du président Rapin concernant les perspectives d'aboutissement de la proposition de la Commission concernant les ressources propres. J'ai bien compris que le contexte politique actuel dans certains États membres complique la donne mais je souhaite que vous puissiez préciser votre analyse concernant les chances de succès de la création d'une nouvelle ressource propre que vous présentez comme une nouvelle contribution nationale plus que comme une taxe complémentaire, même s'il faut aussi que les États trouvent des moyens de financement pour y faire face.

Mme Stéphanie Riso. - J'ai en effet oublié de répondre à cette question qui est très difficile. Tous les États membres sont partisans des ressources propres, dans la mesure où cela limite les contributions prélevées sur les budgets nationaux, mais aucun ne veut d'une ressource propre en particulier. Or, l'unanimité est requise pour établir de nouvelles ressources propres, ce qui rend l'exercice difficile. Je pense que beaucoup de progrès ont été faits au cours des dernières années. Il y a encore trois ou quatre ans, il était impossible de parler de nouvelles ressources propres. Aujourd'hui, la discussion est plus facile, dans la mesure où tous les États membres considèrent qu'il faut effectivement alimenter le budget européen par de nouvelles ressources propres afin de rembourser l'endettement commun qui a été contracté. À défaut, il sera nécessaire d'augmenter les contributions nationales, ce qui pèsera sur les budgets nationaux et, le cas échéant, sur la fiscalité nationale.

En revanche, la Commission constate qu'aucun progrès n'a été enregistré dans les discussions sur les propositions qu'elle a formulées en décembre 2021, conformément à la feuille de route sur les ressources propres agréée entre les différentes institutions, laquelle prévoyait la présentation d'un premier paquet de ressources propres à la fin de l'année 2021 et d'un deuxième paquet à la fin de l'année 2023. Nous avons fait le choix d'avancer la date de présentation de nos nouvelles propositions au 20 juin 2023, considérant que les États ne s'engageraient pas sur cette question de manière sérieuse tant qu'ils n'auraient pas - et c'est légitime- une vue d'ensemble des nouvelles ressources propres que nous allions proposer.

Je concède que la proposition de nouvelle ressource propre basée sur des statistiques n'est pas une véritable ressource propre, mais un transfert des États vers le budget européen. Cette question des ressources propres est fondamentale en raison de l'endettement collectif contracté à hauteur de près de 450 milliards d'euros, ce qui représente une somme importante si on la rapporte au budget de l'Union européenne, même considéré sur 7 ans.

Le remboursement de cet emprunt ne débutera qu'en 2028, c'est-à-dire à compter du prochain cadre financier pluriannuel. Si on n'a pas renforcé les ressources propres en amont des discussions sur ce nouveau CFP, les négociations seront encore plus difficiles qu'elles ne l'ont été par le passé, car une série d'États membres voudra imputer ce remboursement sur le budget de l'Union, qui se retrouverait alors amputé. Ce n'est évidemment pas l'objectif de la Commission et je ne pense pas que ce soit celui, plus largement, de la plus grande partie de l'Union européenne.

C'est la raison pour laquelle nous avons essayé de réinjecter un peu de dynamisme dans ces discussions, au travers des propositions que nous avons présentées le 20 juin. Évidemment, personne n'a fait part de son accord à ce stade mais les discussions ont redémarré et c'est déjà une étape importante.

L'équilibre est difficile à trouver. Quand on met en place de nouvelles ressources propres reposant sur les émissions de carbone, cela affecte plus fortement des États plus pauvres que la moyenne de l'Union européenne, qui trouvent donc cela injuste. Quand on fait le choix d'une ressource propre fondée sur les bénéfices des entreprises, cela affecte plus fortement d'autres États. On essaie donc de trouver un équilibre entre les différents États pour aboutir à une juste contribution des différents États membres au budget européen.

M. Michel Barnier, pour lequel j'ai travaillé, disait toujours qu'il n'était ni optimiste ni pessimiste, mais déterminé. Je pense que cette formule est appropriée lorsqu'on aborde cette question des ressources propres. La Commission est, en effet, extrêmement déterminée à faire avancer ce dossier.

M. Didier Marie. - Vous avez souligné que les défis auxquels l'Union est confrontée sont immenses. Il faudra qu'on se donne les moyens de financer effectivement les transitions, notamment climatique et numérique, de continuer à soutenir l'Ukraine et de gérer les enjeux de l'immigration.

La Commission propose d'apporter au budget européen un peu plus de 60 milliards d'euros par redéploiement. Cette proposition est à mettre en regard du cadre financier pluriannuel global, qui s'élève à plus de 1000 milliards. On voit bien qu'on est loin du compte. Ceci étant, j'ai bien entendu vos explications. Vous avez aussi mentionné la nécessité, à partir de 2028, de rembourser l'emprunt commun, ce qui implique soit de faire appel aux contributions des États membres - mais je ne vois pas très bien comment une telle proposition pourrait recueillir un accord dans le contexte actuel -, soit d'instaurer de nouvelles ressources propres.

Lors des négociations sur le CFP 2021-2027, le président de la République française avait avancé quelques pistes, notamment une taxe sur les plastiques mais aussi une taxe sur les transactions financières. Où en sont les réflexions sur ces propositions ? Pouvez-vous également préciser comment devrait fonctionner l'embryon de taxe sur les profits des multinationales ou des grandes entreprises que vous avez évoquée. Si j'ai bien compris vos explications, les États membres devront la percevoir puis la transférer à l'Union. Que se passerait-il si certains États refusaient de la collecter ?

M. Pascal Allizard. - Madame la directrice générale, je vous remercie pour vos explications. Pourriez-vous faire le point sur les besoins de financement du plan « Global Gateway » (portail mondial) ? Vous évoquez ensuite de nombreuses nouvelles dépenses : quel en sera l'impact sur l'évolution de la contribution française au budget de l'Union ?

M. Claude Kern. - Vous n'avez pas précisément répondu à ma question concernant le processus de révision du CFP : sera-t-il terminé avant l'échéance des élections européennes de 2024 ?

Mme Stéphanie Riso. - Notre objectif est d'aboutir à un accord sur la révision du CFP en amont de l'accord sur le budget 2024. A ce stade, dans la proposition de budget 2024, aucun soutien financier pour l'Ukraine n'est prévu puisque nous ne disposons pas des fonds nécessaires. Pour continuer à apporter un soutien financier à l'Ukraine en 2024, il faut trouver un accord sur la révision du CFP avant l'accord sur le budget 2024, ce qui signifie que le Conseil européen doit trouver un accord en octobre. Il y a quelques jours, je vous aurais dit que ce calendrier était ambitieux mais réalisable. Aujourd'hui, du fait de la chute du gouvernement des Pays-Bas, je n'en suis plus certaine. Il apparaît en effet très difficilement concevable qu'un gouvernement de gestion des affaires courantes soit en capacité de se prononcer en octobre, avant les élections, sur une telle révision du CFP. Nous en discuterons évidemment avec nos collègues des Pays-Bas pour connaître leur analyse, mais il est possible que nous soyons dans l'obligation d'attendre la formation du gouvernement issu des élections aux Pays-Bas. Or le Parlement européen, deuxième autorité budgétaire même s'il n'a qu'un avis à donner sur le CFP, a affirmé par la voix de son rapporteur sur le budget 2024 qu'il établirait un lien entre la révision du CFP et le budget annuel 2024. Il menace ainsi de ne pas le voter si la révision du CFP n'est pas menée à bien. Je pense qu'il y aura donc un moment de vérité fin 2023.

J'ajoute que la proposition de budget 2024 excède la base du budget 2023. Cela signifie que donc si nous devions travailler par douzièmes provisoires, nous ne serions pas en capacité de terminer l'année 2024. Or nous avons l'échéance des élections au Parlement européen au printemps 2024. Un accord sur la révision du CFP et sur le budget 2024 doit intervenir avant celles-ci.

S'agissant des ressources propres, le calendrier est identique, les contraintes étant les mêmes. Si on n'arrive pas à trouver un accord d'ici au printemps 2024, les négociations seront reportées et interviendront en même temps que celles sur le prochain CFP. Compte tenu du calendrier de reconstitution des institutions à l'issue des élections parlementaires européennes, le nouveau collège de la Commission européenne ne pourrait se saisir de la question que fin 2024 ou début 2025. Or les traités imposent à la Commission de présenter une proposition pour le futur cadre financier pluriannuel 2028-2035 à l'été 2025. Il est donc certain que les États membres ne s'engageront pas dans une discussion en 2025 sur les propositions de ressources propres que nous avons présentées à quelques mois des négociations sur un nouveau cadre financier pluriannuel. Ils voudront examiner en même temps les dépenses et les recettes.

La taxe sur les plastiques, basée sur le taux de recyclage des plastiques dans l'Union européenne, existe déjà. Nous avons pu trouver un accord sur ce dossier lors des négociations sur le CFP 2021-2027. Nous avons travaillé avec Eurostat pour disposer de statistiques solides. Dernière-née des ressources propres, elle est aussi la plus faible en termes de rendement. Quant à la taxe sur les transactions financières, comme vous le savez, la Commission y est favorable et a formulé à deux reprises une proposition législative, sans succès. Les chances d'obtenir un accord sur cette taxe apparaissent aujourd'hui très faibles, d'autant que les négociations sur le pilier I de l'OCDE ont un peu vampirisé le débat.

Concernant la taxe sur les profits des entreprises, en réalité, il ne s'agit pas d'une taxe mais d'une estimation statistique de ce que serait une telle taxe. Il s'agit d'une évaluation sur la base des comptes nationaux dans lesquels chaque institut national rapporte statistiquement les profits des grandes entreprises de manière harmonisée. Nous appliquerions alors un taux de 0,5 % à ces montants-là et, sur cette base, nous demanderions aux États de nous fournir la somme correspondante. Ainsi, il n'y a pas de véritable enjeu de collecte, puisqu'il s'agit en réalité d'une nouvelle contribution nationale, plus que d'une ressource propre, je le concède. S'agissant des contributions nationales, nous n'avons jamais eu d'accident de versement au cours de l'histoire du budget de l'Union européenne. Aucun État membre n'a jamais refusé de mettre à la disposition de l'Union les fonds prévus. Je doute que cela se produise mais, si tel était le cas, des mécanismes juridiques sont prévus pour collecter ces montants, notamment à travers des retenues sur versement de fonds européens, qu'il s'agisse des fonds de la politique agricole commune, des fonds de cohésion ou d'autres crédits européens.

Concernant le « Global Gateway », la Commission européenne et la Banque européenne d'investissement (BEI) ont effectivement annoncé en avril 2023 des financements à hauteur de 18 milliards d'euros, notamment pour des partenariats autour des énergies propres avec des pays tiers partenaires. Compte tenu des effets de levier que l'on connaît sur les financements privés, l'objectif est de lever environ 300 milliards d'euros entre 2021 et 2027. A ce stade, il est clair que nous sommes encore dans la phase de négociations et d'identification des projets avec les différents pays concernés. Il n'y a pas encore de mobilisation forte de la dépense. On est toujours dans une phase assez jeune du développement de cet instrument dont on n'a donc pas encore vu l'effet.

M. François Calvet. - Madame la Directrice générale, je vous remercie pour ces explications. Depuis la crise de la Covid, ayant constaté la perte d'un certain nombre d'entreprises, notamment dans le domaine de la santé, tous les gouvernements parlent de réindustrialisation en Europe. Je le constate aussi bien en Espagne, dont je suis frontalier, que lorsque que je me rends à l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe à Strasbourg. Or vous nous proposez d'instaurer une nouvelle taxe sur les entreprises pour financer le budget de l'Union. N'est-ce pas contradictoire ?

Mme Stéphanie Riso. - Je vous remercie pour cette question et je veux insister sur le fait qu'il ne s'agit pas d'une nouvelle taxe. Si l'on prend l'exemple de la France, aujourd'hui les entreprises paient à l'État français un impôt basé sur leur excédent brut d'exploitation. Si notre proposition aboutissait, rien ne changerait demain à cet égard. En revanche, la Commission européenne observerait les montants d'excédent brut d'exploitation transmis à Eurostat par les instituts nationaux de statistiques et leur appliquerait un taux de 0,5 %, pays par pays. La Commission demanderait alors aux États membres de mettre le montant correspondant à la disposition du budget européen. Il est évident que ces montants additionnels devront être financés d'une manière ou d'une autre, mais cela n'implique pas qu'ils soient nécessairement financés, au niveau national, par un impôt supplémentaire sur les entreprises. Cela dépend du choix souverain de chaque État. Cette ressource propre statistique ne poursuit pas d'objectif de politique publique, ce qui est sous-optimal, je le concède bien volontiers.

L'objectif de politique publique qui a été annoncé, connu sous le terme de BEFIT, est une nouvelle approche reposant sur une harmonisation des bases taxables européennes sur les entreprises opérant sur le marché intérieur. Elle s'inscrit dans la logique que vous indiquez, à savoir qu'il faut effectivement réindustrialiser l'Europe et, notamment, rapatrier une partie des chaînes de valeur pour s'assurer une certaine souveraineté technologique et, en tout cas, éviter d'être dépendant d'une seule région du monde, par exemple s'agissant d'éléments critiques pour notre futur développement économique.

Ce nouveau cadre d'imposition des revenus des sociétés fait la synthèse entre le pilier I et le pilier II de l'OCDE. Le pilier I vise à s'assurer que les cent plus grandes entreprises mondiales s'acquittent bien de l'impôt là où elles le doivent. Le pilier II concerne la redistribution des profits de ces entreprises multinationales, là où les opérations ont lieu. Il vise donc à rapprocher l'imposition du lieu de l'activité, en prévoyant un taux minimal de 15% et l'harmonisation de la base taxable des entreprises opérant sur le marché intérieur - ce que nous n'avons pas réussi à faire jusqu'à maintenant.

Nous considérons cet instrument comme une simplification du marché intérieur pour aider les entreprises mondiales à rapatrier une partie de leur activité sur le territoire européen. Faire face à 27 législations nationales différentes en matière d'impôt sur les bénéfices des sociétés constitue un obstacle pour ces grandes entreprises. Ce nouveau cadre commun serait donc un atout pour le rapatriement de certaines activités et donc pour la réindustrialisation de l'Union. Cela ne signifie pas une harmonisation des taux, des critères d'éligibilité ou des dérogations, mais il apparaît important de mettre en oeuvre cette mesure de simplification. Toutefois, cette proposition n'est pas encore sur la table. J'espère qu'elle sera présentée d'ici la fin de l'année 2023.

M. Jean-François Rapin, président. - Merci, Madame la Directrice générale, pour le temps que vous nous avez accordé. Nous serons certainement amenés à refaire un point sur l'évolution de ces négociations à la rentrée.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Institutions européennes - Suites de la Conférence sur l'Avenir de l'Europe - Examen du rapport d'information

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Avec Mme Gisèle Jourda, nous avons participé à la Conférence sur l'avenir de l'Europe -la CoFE- qui s'est déroulée de mai 2021 à mai 2022, cet exercice démocratique inédit lancé à l'initiative du Président Macron destiné à offrir aux citoyens européens une occasion unique de débattre des priorités de l'Europe et des défis auxquels elle est confrontée. Le Président du Sénat nous avait en effet mandatés pour y représenter notre assemblée, au sein du collège des parlementaires nationaux. L'assemblée plénière de la conférence était composée, théoriquement sur un pied d'égalité, de 108 représentants du Parlement européen, 54 du Conseil, 3 de la Commission européenne et 108 des parlements nationaux, ainsi que de 108 citoyens tirés au sort. Il en est résulté 49 propositions citoyennes réparties en plus de 300 mesures concrètes pour faire évoluer l'UE. Pour certaines, une modification des traités serait nécessaire, initiative soutenue par le Parlement européen, mais aussi par la présidente de la Commission européenne et également par le président Macron.

C'est dans cette perspective que nous avons effectué un déplacement à Bruxelles, le 27 février dernier. Il s'agissait de faire le point, près d'une année après la fin des travaux de la conférence, sur le suivi qu'il est envisagé de donner à ses propositions en matière institutionnelle, notamment à cette idée de révision des traités, mais aussi aux possibilités de recours éventuel aux « clauses passerelles » ou aux autres souplesses institutionnelles.

Au cours de ce déplacement, nous avons eu des entretiens avec le représentant permanent de la France auprès de l'Union européenne, Son Exc. M. Philippe Leglise-Costa, la Secrétaire générale du Conseil, Mme Thérèse Blanchet, le directeur général du Service juridique de la Commission européenne, M. Daniel Calleja, les membres des cabinets de la Présidente de la Commission européenne, de la Présidente du Parlement européen et du Commissaire européen Sefcovic, ainsi que le rapporteur de la commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen, le député européen M. Guy Verhofstadt.

Je laisserai la parole à Mme Gisèle Jourda pour qu'elle vous présente un état des lieux du suivi de la conférence et aborde la question d'une révision éventuelle des traités.

J'interviendrai ensuite sur le recours éventuel aux « clauses passerelles » ou aux autres formes de souplesse institutionnelle prévues par les traités.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Avec le Président Jean-François Rapin, j'ai eu l'honneur de représenter le Sénat au sein de Conférence sur l'avenir de l'Europe et je me suis notamment beaucoup impliquée dans le groupe de travail chargé de la politique étrangère de l'Union européenne.

Les propositions issues de la conférence sont de nature très diverse et reflètent les attentes des citoyens européens à l'égard de l'Union européenne, en particulier en matière d'environnement, en matière sociale et de santé, ainsi que s'agissant du fonctionnement démocratique de l'Union européenne.

S'agissant des aspects institutionnels, on peut notamment relever les propositions suivantes :

- passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil dans les domaines qui demeurent encore soumis à la contrainte de l'unanimité, comme la politique étrangère et la défense ou en matière de fiscalité ;

- accorder au Parlement européen un droit d'initiative législative ;

- reconnaître de nouvelles compétences à l'Union européenne, notamment en matière de santé, au regard de la pandémie de la Covid 19 ;

- mettre en place des référendums à l'échelle de l'Union européenne.

Le système institutionnel actuel de l'Union européenne, tel qu'issu du traité de Lisbonne, apparaît effectivement insatisfaisant : non seulement il nourrit un sentiment d'éloignement des citoyens européens à l'égard des institutions européennes, mais en outre il semble inadapté dans l'optique d'un futur élargissement de l'Union européenne aux pays des Balkans, voire à l'Ukraine, à la Moldavie et à la Géorgie.

On peut notamment mentionner la composition pléthorique de la Commission européenne (27 Commissaires), ou la paralysie découlant de la persistance du droit de veto au Conseil dans certains domaines, notamment en matière de politique étrangère et de défense ou de fiscalité.

Près d'un an après la fin des travaux, quelles ont donc été les suites données au rapport final de la Conférence ?

Le Parlement européen a adopté, le 4 mai 2022, une résolution (non contraignante) en faveur d'une révision des traités. Il a également saisi formellement le Conseil d'une demande de convocation d'une convention chargée de réviser les traités.

La commission des affaires constitutionnelles du Parlement européen devrait adopter prochainement une nouvelle résolution en ce sens.

La Présidente de la Commission européenne, Mme Ursula von der Leyen, s'est prononcée, dans son discours sur l'état de l'Union du 9 mai 2022, en faveur d'une réforme de l'UE, y compris “en changeant les traités si nécessaire”.

Le Président de la République M. Emmanuel Macron, après avoir indiqué que la « révision des traités n'était ni un totem ni un tabou », s'est également prononcé en faveur de cette révision, dans son discours devant la Conférence sur l'avenir de l'Europe, le 9 mai 2022.

Je rappelle que les traités (article 48 du TUE) distinguent deux formes de révision des traités : la révision ordinaire et la révision simplifiée.

La procédure de révision ordinaire concerne les modifications les plus importantes (ex : compétences de l'Union). Elle prévoit que le gouvernement d'un État membre, le Parlement européen ou la Commission européenne peut soumettre des projets de révision au Conseil de l'UE, lequel les transmet au Conseil européen et les notifie aux parlements nationaux.

Le Conseil européen peut alors décider à la majorité simple, après consultation du Parlement et de la Commission, de convoquer une convention composée de représentants des parlements nationaux, des chefs d'États ou de gouvernement, du Parlement et de la Commission. Cette convention examine les projets de révision et adopte par consensus une recommandation adressée à une conférence intergouvernementale (CIG), composée de représentants des gouvernements des Etats membres. Les amendements aux traités qu'adopte la CIG n'entrent en vigueur qu'après ratification de tous les États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives.

Toujours dans le cadre de la procédure de révision ordinaire, le Conseil européen, s'il estime que l'ampleur des modifications à apporter aux traités ne justifie pas la convocation d'une convention, peut décider à la majorité simple et après approbation du Parlement, de ne convoquer que la CIG directement.

En définitive, à la lumière de nos entretiens à Bruxelles, nous jugeons qu'une révision des traités semble aujourd'hui peu réaliste.

Elle nécessiterait, en effet, d'obtenir l'unanimité au Conseil et une ratification par l'ensemble des États membres selon leurs règles constitutionnelles respectives (par la voie du Congrès ou par referendum). Or, les États membres sont profondément divisés sur le contenu d'une éventuelle révision des traités, certains pays, comme la Pologne ou la Hongrie, étant hostiles à plus d'intégration. Lancer un processus de révision des traités risquerait d'ouvrir la « boîte de pandore » et de provoquer des divisions entre les États membres, notamment sur les questions sensibles de droit de vote ou des compétences. Pour ne citer qu'un seul exemple, le Président de la République Emmanuel Macron a proposé de modifier les traités européens pour y inscrire le droit à l'avortement mais plusieurs pays, comme la Pologne ou Malte, s'y opposent fortement.

De plus, se lancer dans des discussions institutionnelles pourrait sembler actuellement inopportun alors que l'Union européenne doit faire face aux conséquences de la guerre en Ukraine.

Enfin, l'issue de la procédure de ratification, notamment par referendum, est très incertaine, comme l'ont montré les précédents des traités de Maastricht (avec le non danois), du traité constitutionnel (avec les non français et néerlandais) ou le traité de Lisbonne (avec le non irlandais).

En définitive, on peut appliquer à la révision des traités la même maxime que celle utilisée par Montesquieu à propos des lois, selon laquelle « on ne peut toucher aux lois que d'une main tremblante ».

M. Jean-François Rapin, président et rapporteurComme l'a souligné devant nous Mme Thérèse Blanchet, la secrétaire générale du Conseil que nous avons auditionnée récemment, le traité de Lisbonne comprend des dispositions lui permettant de s'adapter aux circonstances sans avoir à être modifié. Il prévoit ainsi, en plus de la procédure normale de révision des traités, une procédure de révision simplifiée, qui figure à l'article 48 du traité sur l'UE et que l'on appelle, dans le jargon bruxellois, « clauses passerelles ».

En réalité, on distingue plusieurs types de « clauses passerelles ».

Dans le cadre des politiques communes, lorsqu'il est prévu que le Conseil des ministres décide à l'unanimité, le Conseil européen statuant à l'unanimité peut ainsi autoriser le passage au vote à la majorité qualifiée. Cette possibilité est toutefois écartée pour les décisions ayant des implications militaires ou relevant du domaine de la défense.

De même, lorsqu'une procédure législative spéciale est prévue (donc dans les cas où le Parlement européen n'a pas le pouvoir de codécision), le Conseil européen statuant à l'unanimité peut décider que s'appliquera la procédure législative ordinaire (à savoir la codécision).

Le traité prévoit que le recours à une « clause passerelle » est notifié aux parlements nationaux. La décision ne peut entrer en vigueur que si aucun parlement national n'a fait connaître son opposition dans un délai de six mois. Ainsi, chaque Parlement national dispose d'une sorte de droit de véto sur le recours aux « clauses passerelles ».

Toutefois, dans certains domaines particuliers, le Conseil européen ou le Conseil des ministres peut, à l'unanimité, décider d'appliquer le vote à la majorité qualifiée ou la procédure législative ordinaire, sans que les parlements nationaux aient un droit d'objection.

Ces domaines sont : le cadre financier pluriannuel de l'Union ; certaines mesures concernant la politique sociale, l'environnement ; certains décisions de politique étrangère.

Le Parlement européen, le chancelier allemand, puis le Président de la République française, se sont prononcés pour le recours aux « clauses passerelles » afin de passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil et supprimer ainsi le droit de veto, notamment en matière de politique étrangère.

De fait, dans une Europe à vingt-sept États membres, le maintien de l'unanimité au Conseil présente déjà un risque de paralysie, puisqu'il accorde un droit de veto à chaque Etat membre. Risque qui se trouverait accru en cas d'élargissement de l'Union. Il s'agirait notamment de prévoir que les sanctions de l'Union européenne (par exemple contre la Russie) puissent être adoptées à la majorité qualifiée au Conseil et non à l'unanimité, comme c'est le cas aujourd'hui, ce qui permettrait de surmonter les réticences de la Hongrie par exemple.

Le recours aux « clauses passerelles » nécessite toutefois un accord unanime des États membres. Or, selon nos entretiens à Bruxelles, il semblerait qu'il n'y ait pas de consensus sur ce point. Plusieurs États membres seraient opposés à ce passage de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée. Parmi ces pays figurent ceux attachés à leur souveraineté, comme la Pologne et la Hongrie, mais aussi des « petits pays », comme Chypre ou Malte, qui sont très attachés à leur droit de veto.

Ainsi, selon nos interlocuteurs, malgré la demande du Parlement européen et le souhait du Président de la République et du chancelier allemand, le recours aux « clauses passerelles » paraît aujourd'hui peu réaliste.

Toutefois, on peut relever qu'il existe dans les traités d'autres formes de souplesse institutionnelle, qui peuvent permettre de faire avancer la construction européenne, sans passer par la procédure de révision.

Ainsi, le traité de Lisbonne a prévu la possibilité de plafonner le nombre de Commissaires européens, avec un système de rotation égalitaire. Les États membres y ont renoncé en raison du referendum négatif irlandais, pour revenir à la règle d'un Commissaire par État, mais en théorie il est possible de plafonner ce nombre sans réviser les traités.

En outre, on peut mentionner deux articles des traités qui jouent un rôle non négligeable pour renforcer l'intégration européenne.

Le premier est l'article 352 du traité sur le fonctionnement de l'UE : aux termes de cet article, lorsque, dans le cadre d'une des politiques prévues par les traités, une mesure paraît nécessaire pour atteindre l'un des objectifs visés par les traités mais que ceux-ci ne prévoient pas les « pouvoirs d'action » requis à cet effet, le Conseil statuant à l'unanimité peut prendre cette mesure, en accord avec le Parlement européen.

Une clause de ce type a toujours figuré dans les traités européens, mais son objet était limité aux « mesures nécessaires pour réaliser, dans le fonctionnement du marché commun, l'un des objets de la Communauté ». Avec un objet élargi, cet article 352 représente aujourd'hui un levier puissant d'extension potentielle du champ d'action européen.

Le recours à cette clause a été très fréquent par le passé. Il a permis par exemple la création de l'Agence européenne des droits fondamentaux.

Second article à fort impact possible : l'article 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (UE). Celui-ci permet à l'Union européenne de prendre des mesures temporaires en cas de crise.

Ses conditions d'utilisation sont décrites dans deux petits paragraphes. Le premier évoque « de graves difficultés (...) dans l'approvisionnement en certains produits, notamment dans le domaine de l'énergie », le second est activable lorsqu'un État membre subit « des catastrophes naturelles ou des événements exceptionnels échappant à son contrôle ».

Il permet aux États membres de prendre une décision à la majorité qualifiée - et d'échapper à l'unanimité qui est parfois requise, notamment en matière de fiscalité - et, surtout, sans que le Parlement européen soit associé, ce qui peut soulever une question démocratique (en ce sens, cela peut être comparé à une ordonnance ou à une mesure liée à l'État d'urgence).

Cet article a permis à la Commission, depuis trois ans, de faire adopter, dans des délais record, des propositions législatives comme l'achat en commun de vaccins contre le Covid-19, la mise en place d'un instrument communautaire pour aider les gouvernements à financer leur régime de chômage partiel durant la pandémie, la création d'un prélèvement sur les superprofits des producteurs d'énergie, le plafonnement du prix du gaz, l'accélération de la délivrance de permis pour les fermes solaires et éoliennes, la réduction de la consommation de gaz et d'électricité sur le Vieux Continent ou encore l'achat en commun de gaz.

On peut enfin mentionner la possibilité de recourir, dans le cadre des traités ou en dehors, à des formes de géométrie variable, permettant à ceux des États qui le souhaitent de progresser dans la voie de l'intégration sans en être empêchés par d'autres.

On peut distinguer plusieurs formes :

- les formes de géométrie variable en dehors des traités (par exemple le traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance - TSCG).

- les formes à géométrie variable prévues par les traités eux-mêmes (Schengen, euro) ;

- les coopérations renforcées prévues dans le cadre des traités et avec certaines conditions (utilisées par exemple pour la création du Parquet européen ou du brevet communautaire).

Les « coopérations renforcées » sont une forme particulière consistant en l'utilisation des institutions de l'Union par une partie des États membres qui prennent des décisions applicables à eux seuls. Selon le traité de Lisbonne, les coopérations renforcées ne peuvent être lancées qu'en dernier ressort et doivent associer au moins neuf des États membres. Les États membres participant à une coopération renforcée peuvent, à l'unanimité, décider de recourir aux « clauses passerelles ».

L'autorisation de lancer la coopération renforcée est accordée par le Conseil statuant à la majorité qualifiée ; la Commission et le Parlement ont un droit de veto et participent au fonctionnement de la coopération renforcée avec tous les membres qui s'y sont associés.

Toutefois, dans le cas de la politique extérieure et de sécurité commune, le Parlement et la Commission sont simplement consultés, et l'autorisation est accordée par le Conseil statuant à l'unanimité. Par ailleurs, un mécanisme de « frein/accélérateur » facilite le recours aux coopérations renforcées en matière de justice et d'affaires intérieures.

Une formule particulière et plus souple est prévue pour la défense, sous le nom de « coopération structurée permanente », permettant aux pays qui le souhaitent de progresser en matière de défense. Peuvent participer tous les États membres acceptant les engagements précisés dans un protocole annexé aux traités. .

Dans une Europe à vingt-sept pays aujourd'hui, peut-être trente ou plus encore demain, la géométrie variable peut « sembler inévitable pour concilier élargissement et approfondissement », pour reprendre les mots d'Alain Lamassoure.

Pour conclure, si l'idée d'une révision des traités ou le recours aux « clauses passerelles » ne paraît pas réaliste aujourd'hui, les traités prévoient d'autres possibilités pour faire avancer l'intégration européenne. Selon une étude du service juridique du Conseil, sur les 328 propositions qui figurent dans le rapport final de la Convention sur l'avenir de l'Europe, moins d'une trentaine nécessiteraient une révision des traités. Il est donc possible et souhaitable de progresser à traités constants. C'est plus une question de volonté politique.

La question de la révision des traités, ou du moins des politiques de l'Union européenne, devrait toutefois resurgir à l'avenir, avec la perspective d'un futur élargissement de l'Union européenne aux pays des Balkans, voire de l'Ukraine et de la Moldavie, ou plus tard de la Géorgie.

Voilà les principaux éléments qu'avec Gisèle Jourda, nous souhaitions porter à votre connaissance.

M. Pierre Laurent. - Comme vous le soulignez dans votre rapport, et contrairement à ce que certains affirment, les traités européens contiennent de nombreuses dispositions permettant de réaliser des avancées à traités constants. Au cours de la dernière décennie, de nombreuses avancées ont d'ailleurs été réalisées au niveau européen sous la pression des évènements, comme la crise financière, la pandémie de la Covid-19 ou la guerre en Ukraine. Il est donc utile d'explorer toutes les potentialités offertes par les traités et votre rapport est éclairant de ce point de vue.

Dans le même temps, je considère qu'il faut continuer à discuter de la révision des traités européens et je trouve curieux de fermer d'emblée cette possibilité à l'approche des élections européennes. S'il y a bien un moment où il faut parler de l'Union européenne et de la question de la révision des traités avec les citoyens européens, c'est bien lors de la campagne en vue des élections européennes.

Pour ma part, je n'ai jamais proclamé qu'il était indispensable de réviser les traités pour réaliser des avancées, mais je considère qu'il ne faut pas aujourd'hui fermer la porte à cette révision. Il est vrai qu'une révision des traités dans le contexte actuel paraît difficilement envisageable car cela risque de susciter de profondes divisions entre les États membres. Ainsi, le passage de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil soulève de nombreuses réticences chez certains États membres. Mais on pourrait envisager d'autres évolutions, comme par exemple recourir à la géométrie variable pour permettre aux pays qui le souhaitent d'avancer plus vite et plus loin dans la voie de l'intégration sans en être empêchés par les autres.

En tout état de cause, si je partage votre constat, je considère que la question de la révision des traités devrait faire l'objet d'un débat démocratique avec les citoyens européens, à l'occasion de la campagne en vue des prochaines élections européennes. Car, dans le cas contraire, on risquerait d'envoyer un message d'impuissance aux citoyens européens et d'encourager l'abstention ou les forces politiques anti-européennes.

M. Pascal Allizard. - Je vous remercie pour votre rapport qui dresse un état des lieux très éclairant et qui permet de clarifier la question de la révision des traités et du recours aux autres formes de souplesse institutionnelle. Si ce constat est très utile, je partage - une fois n'est pas coutume ! - l'analyse de notre collègue Pierre Laurent. Ces dernières années, l'Union européenne s'est éloignée des citoyens européens. Or, l'absence de débat est un poison mortel pour l'Europe. C'est l'une des leçons que l'on peut tirer du Brexit. Il est donc indispensable à mes yeux de rapprocher l'Europe et les citoyens, de débattre de l'Europe avec eux, de répondre à leurs attentes et à leurs préoccupations. Car sinon on risque d'éloigner encore davantage l'Union européenne des peuples et d'encourager les mouvements anti-européens.

La conférence sur l'avenir de l'Europe avait précisément pour objectif de lancer un tel débat démocratique, mais force est de constater que cet exercice est resté largement inconnu du public et que les conclusions n'ont pas été à la hauteur des espoirs suscités. Il manque un projet pour l'Europe.

Avec la perspective de l'élargissement de l'Union européenne aux pays des Balkans occidentaux et le passage de vingt-sept à trente ou quarante États membres, il sera indispensable de revoir le mode de fonctionnement des institutions européennes, notamment la règle de l'unanimité au Conseil. Ce serait une erreur stratégique de laisser ces pays en dehors de l'Union européenne pendant des dizaines d'années mais, dans le même temps, il sera nécessaire d'adapter le fonctionnement de l'Union européenne pour lui permettre de continuer à progresser, et sans doute sous la forme d'une Europe des cercles concentriques, en recourant à la géométrie variable.

M. Dominique de Legge. - Comme vous le soulignez dans votre rapport, il est possible et souhaitable de continuer à progresser à traités constants. Dans le même temps, il faut s'interroger sur les raisons pour lesquelles certains pays refusent de passer de l'unanimité au vote à la majorité qualifiée au Conseil. On évoque souvent la question de la souveraineté, par exemple en matière de politique étrangère et de défense. Mais, il s'agit aussi d'un manque de confiance dans les institutions européennes et dans les autres partenaires européens, car la règle de l'unanimité permet à chaque État d'avoir un droit de veto. Avant d'envisager une révision des traités ou le recours aux « clauses passerelles », il me semble indispensable de remédier à l'opacité de la prise de décision au niveau européen pour instaurer davantage de transparence et de réformer le fonctionnement de l'administration européenne.

Enfin, il faut s'interroger sur la répartition des compétentes entre l'Union européenne et les États membres. Malgré l'absence de compétences dans les traités, l'Union européenne s'est vue reconnaître un rôle en matière de livraison d'armes et de munitions à l'Ukraine. En réalité, cette question de la répartition des compétences au niveau européen me fait penser au débat sur l'intercommunalité en France. D'un côté, les communes souhaitent conserver une large autonomie mais, de l'autre, elles demandent toujours plus à l'intercommunalité. Il faudrait donc revoir la répartition des compétences entre l'Union européenne et les États membres afin de garantir le respect du principe de subsidiarité. Pourquoi ne pas poser clairement la question du modèle fédéral au regard du principe de subsidiarité ?

M. François Calvet. - Le débat européen se focalise souvent sur les questions de procédure et non sur le projet lui-même. Il n'y a plus de vision de l'Europe, plus de projet mobilisateur, qui serait de nature à rapprocher l'Europe des citoyens, en particulier des jeunes. Alors que l'Union européenne finance de nombreux projets, elle sert souvent de « bouc émissaire » dans les opinions publiques.

La levée des contrôles aux frontières intérieures au sein de l'espace Schengen a été un vrai projet et a représenté un réel progrès concret pour les citoyens. En tant que Sénateur des Pyrénées-Orientales, je peux témoigner de l'impact positif de cette levée des contrôles à la frontière franco-espagnole.

Il me semble donc nécessaire de partir des attentes des citoyens -notamment de la jeunesse- et de trouver un nouveau projet mobilisateur pour l'Europe afin de la rapprocher des citoyens.

M. Jean-François Rapin, président et rapporteur. - Nous avons souhaité dresser, dans notre rapport, un état des lieux, un constat, un an après la fin des travaux de la Conférence sur l'Avenir de l'Europe, afin de faire le point sur la question de la révision des traités, le recours éventuel aux « clauses passerelles » ou autres formes de souplesse institutionnelle.

Lancée à l'initiative du Président Emmanuel Macron, la conférence sur l'avenir de l'Europe avait pour vocation de rapprocher l'Europe des citoyens et de répondre à leurs attentes. En réalité, l'exercice a été assez décevant et il a débouché sur un catalogue de plus de 300 mesures d'importance inégale. Le recours à la démocratie participative, au sein de « panels citoyens », n'est pas, à mes yeux, la panacée pour remédier au « déficit démocratique » de l'Union européenne. Les Parlements nationaux ont aussi un rôle essentiel à jouer pour rapprocher l'Europe des citoyens.

Les prochaines élections européennes du printemps 2024 doivent effectivement être l'occasion d'un vrai débat démocratique sur l'Union européenne avec les citoyens européens. À cet égard, la question de l'élargissement aux pays des Balkans occidentaux, à l'Ukraine et à la Moldavie, et de son impact sur le fonctionnement des institutions européennes et sur les politiques européennes, sera certainement au centre des préoccupations. Une éventuelle entrée de l'Ukraine dans l'Union européenne aurait ainsi des conséquences très importantes sur la politique agricole commune ou sur la politique de cohésion. Une adaptation de ces politiques sera certainement indispensable. De même, il sera sans doute nécessaire de revoir le fonctionnement de l'administration européenne et des institutions pour concilier l'élargissement et l'approfondissement.

Faut-il réviser les traités pour aller vers une Europe fédérale ? Cette question mérite d'être posée. Pour ma part, je considère que l'idée d'une Europe fédérale risquerait d'encourager les nationalismes et le sentiment anti-européen. L'Union européenne n'est pas un État souverain, mais un modèle sui generis, une « fédération d'États-Nations » pour reprendre l'oxymore de Jacques Delors.

Mme Gisèle Jourda, rapporteure. - Je partage le constat que la conférence sur l'avenir de l'Europe a été un exercice démocratique assez décevant, avec des « panels citoyens » peu représentatifs, et une absence de visibilité dans l'opinion publique. Au sein du groupe de travail sur la place de l'Union européenne dans le monde dont j'étais membre, les débats manquaient de cadrage, et, en définitive, la conférence a débouché sur un catalogue de propositions assez décevant.

L'objectif de ce rapport est de démontrer que des avancées sont possibles et souhaitables à traités constants pour continuer à progresser dans la voie de l'intégration européenne. Mais, cela ne doit pas nous empêcher de réfléchir aux moyens d'aller vers une Europe politique.

M. Pierre Laurent. - Votre rapport permet une clarification utile. Je pense notamment aux articles 352 et 122 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne. Ces articles ont permis de réaliser des avancées au niveau européen, en l'absence de compétences dans les traités, pour faire face à certains défis, comme la pandémie de la Covid 19 ou la guerre en Ukraine.

D'une manière générale, je souhaite saluer le travail réalisé par la commission des affaires européennes du Sénat pour l'examen des nombreuses propositions de textes européens. Cet examen le plus en amont possible des propositions législatives européennes est très utile pour éviter de découvrir trop tardivement leurs conséquences potentielles.

M. Pascal Allizard. - Il en va de même concernant la négociation des accords commerciaux de l'Union européenne, à l'image du CETA avec le Canada ou, plus récemment, de l'accord entre l'UE et le Mercosur ou de l'accord commercial avec la Nouvelle-Zélande. Les difficultés soulevées par la ratification de ces accords, à l'image de la ratification du CETA en France, auraient pu être évitées si ces négociations avaient fait l'objet de davantage de transparence et de débats en amont.

La commission autorise la publication du rapport d'information.

La réunion est close à 19 heures.

Jeudi 13 juillet 2023

- Présidence de M. Jean-François Rapin, président -

La réunion est ouverte à 8 h 30.

Économie, finances, fiscalité - Matières premières critiques et industrie net zéro - Examen des propositions de résolution européenne et des avis politiques sur la proposition de règlement européen pour une industrie « zéro net » COM(2023) 161 et sur la proposition de règlement européen sur les matières premières critiques COM(2023)160

M. Jean-François Rapin, président. - Mes chers collègues, la crise de la Covid- 19 puis la guerre en Ukraine ont révélé les dépendances industrielles de l'Union européenne (UE) et contribué à une prise de conscience collective de la nécessité de renforcer sa souveraineté économique. Le sommet de Versailles de mars 2022 a entériné au plus haut niveau cette volonté de construire une base économique européenne plus résiliente, en réduisant nos dépendances stratégiques dans les domaines les plus sensibles, à savoir en matière de santé, d'alimentation, de numérique mais aussi de matières premières critiques et de semi-conducteurs.

L'ambition de rendre l'Union moins dépendante va de pair avec celle de la rendre plus compétitive, notamment à l'égard des deux grands concurrents américain et chinois. L'offensive américaine de l'Inflation Reduction Act (IRA), sous couvert de réponse à l'inflation, est venue depuis renforcer encore la compétitivité industrielle américaine en matière de technologies vertes et attire de nombreuses entreprises européennes.

C'est dans ce contexte général de rivalité économique mondiale sur les technologies vertes et les matières premières qui les sous-tendent que s'inscrivent les deux textes que nous allons examiner aujourd'hui.

En arrière-fond de ces propositions législatives, je veux évoquer les financements sur lesquels elles reposent : l'Union a successivement mis en place trois programmes. Tout d'abord, le plan de relance et de résilience NextGenerationEU. Doté de 750 milliards d'euros sur la période 2021-2027, ce plan est destiné à « rendre l'Europe plus verte, plus numérique et plus résiliente ». Il soutient la recherche et l'innovation, par l'intermédiaire d'Horizon Europe, les transitions climatique et numérique équitables, par l'intermédiaire du Fonds pour une transition juste (FTJ) et du programme pour une Europe numérique (Digital), la préparation, la reprise et la résilience, par l'intermédiaire de la facilité pour la reprise et la résilience (FRR ou rescEU) et le nouveau programme dans le domaine de la santé UE pour la santé (EU4Health).

Le programme InvestEU, qui a pris la suite du plan d'investissement pour l'Europe, également appelé le plan Juncker, dont la Banque européenne d'investissement (BEI) est le principal partenaire, en lien avec les banques régionales de développement, réunit, dans une même structure, le Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS) et treize autres instruments financiers de l'UE déjà disponibles durant la période 2014-2020. Ce fonds offre une garantie budgétaire de 26,2 milliards d'euros, un effet de levier destiné à mobiliser plus de 372 milliards d'euros d'investissements publics et privés d'ici à 2027. Le programme comporte, en outre, une plateforme de conseil, qui apporte soutien et assistance techniques aux porteurs de projet, et un portail pour mettre en relation des investisseurs et des porteurs de projets. Ce programme vise à donner une impulsion supplémentaire à l'investissement durable, à l'innovation, à l'inclusion sociale et à la création d'emplois en Europe, tout en contribuant aux objectifs climatiques et environnementaux de l'UE, puisqu'au moins 30 % des investissements au titre du programme sont consacrés aux objectifs du pacte vert pour l'Europe (European Green Deal).

Enfin, en mai 2022, la Commission a présenté le plan RepowerEU, destiné à économiser l'énergie, produire de l'énergie propre et diversifier les fournisseurs d'énergie, afin que l'UE ne soit plus dépendante des énergies fossiles russes. Ce plan vise à mobiliser près de 300 milliards d'euros : environ 72 milliards d'euros sous forme de subventions et 225 milliards d'euros sous forme de prêts, la facilité pour la reprise et la résilience étant au coeur de ce financement, dont 95 % seront consacrés à l'accélération et au renforcement de la transition vers une énergie propre.

Les deux propositions de règlement sur lesquelles se sont penchés nos trois rapporteurs, que je remercie, relèvent donc du volet industriel de la réponse aux crises récentes et de la réduction des dépendances européennes, tout cela dans le respect des objectifs de décarbonation de l'industrie affichés par le plan industriel du pacte vert du 1er février 2023, par le paquet Fit for 55 pour 2030 et par la loi Climat concernant la neutralité climatique de l'Union à l'horizon 2050.

Ces deux propositions de règlement s'inscrivent donc dans la politique industrielle de l'Union. Mais celle-ci, qui est de nature horizontale, est également intégrée dans d'autres politiques européennes telles que celles liées au commerce, au marché intérieur, à la recherche et à l'innovation, à l'emploi, à la protection de l'environnement, à la défense et à la santé publique. Il s'agit donc d'une stratégie d'ensemble complexe qu'il ne faut pas perdre de vue, tout en restant vigilants sur les détails de sa mise en oeuvre.

Mme Amel Gacquerre, rapporteure. - Comme vient de l'indiquer le président Rapin, les deux propositions de règlement sur lesquelles nous nous sommes penchés relèvent du volet industriel de la réponse aux crises successives que l'Europe affronte depuis 2008 et de la politique de réduction des dépendances européennes. Elles s'inscrivent en outre dans la stratégie industrielle révisée et dans les objectifs de décarbonation de l'industrie.

C'est en 2020 que la Commission a adopté un plan d'action pour les matières premières critiques incluant une étude prospective portant à l'horizon 2030 sur les matières premières critiques et à l'horizon 2050 pour les technologies et secteurs stratégiques. En mai 2021, elle a mis à jour la stratégie industrielle européenne en se concentrant sur la résilience du marché unique, les dépendances de l'Union dans les domaines stratégiques clés et le soutien aux petites et moyennes entreprises (PME) et aux start-up, ainsi que sur l'accélération des transitions écologique et numérique.

En février 2023, la Commission a par ailleurs présenté le nouveau plan industriel du pacte vert pour l'ère du « zéro émission nette », pour stimuler l'industrie à zéro émission nette dans l'Union, au moyen de mesures visant à améliorer la compétitivité de cette industrie.

Dans ce cadre, la Commission a présenté trois propositions législatives le 14 mars dernier. Tout d'abord, la proposition de règlement pour une industrie « zéro net », qui se décline en cinq objectifs : simplifier le cadre réglementaire pour la production de technologies clés ; fixer des objectifs pour la capacité industrielle de l'Union en 2030 ; accélérer les procédures d'autorisation ; promouvoir l'élaboration de normes européennes pour les technologies clés ; encourager les pouvoirs publics à acheter davantage de technologies propres au moyen de marchés publics.

Le deuxième texte concerne les matières premières critiques. Il vise à améliorer la sécurité de l'approvisionnement en matières premières nécessaires pour assurer la transition vers le zéro émission nette, en particulier en encourageant le développement des activités d'extraction, de transformation et de recyclage des matières premières critiques sur le territoire européen. Il est complété par une communication intitulée « Un approvisionnement sûr et durable en matière en matières premières critiques à l'appui de la double transition, écologique et numérique », qui met en particulier l'accent sur la diversification des sources d'approvisionnement.

Le troisième texte concerne la réforme du marché de l'électricité afin de le rendre plus résilient, de réduire l'incidence des prix du gaz sur les factures d'électricité et de soutenir la transition énergétique. Notre commission l'a déjà examiné et a adopté une proposition de résolution européenne sur le rapport de nos collègues Daniel Grémillet, Claude Kern et Pierre Laurent.

Des mesures visant à accroître et à accélérer l'accès aux financements publics des États membres ainsi qu'aux financements privés ont en outre été adoptées, qui pourront être utilisées par les États membres pour soutenir les initiatives dans les activités liées aux matières premières critiques et aux technologies zéro net. Le nouvel encadrement temporaire de crise et de transition pour les aides d'État, applicable jusqu'à fin 2025, vise en effet à simplifier l'octroi d'aides d'État en faveur du déploiement d'énergies renouvelables et de la décarbonation des processus industriels. Il donne aux États membres la possibilité d'accorder des aides plus élevées pour la production de technologies stratégiques à zéro émission nette de manière à ce qu'elles correspondent aux aides reçues par des concurrents établis dans des pays tiers.

S'y ajoute la modification du règlement général d'exemption par catégorie (RGEC), qui donne aux États membres une plus grande souplesse pour concevoir et mettre en oeuvre des mesures de soutien dans des secteurs clés pour l'industrie à zéro émission nette, sans devoir attendre l'approbation préalable de la Commission.

Les deux propositions de règlement, dont l'examen est particulièrement rapide et dont l'adoption est souhaitée avant la fin de l'année 2023, prévoient d'utiliser des outils comparables pour atteindre leurs objectifs respectifs. Elles prévoient ainsi la priorisation et l'accélération de la délivrance des autorisations nécessaires pour faciliter et accélérer le développement des initiatives sur le sol européen et réduire les dépendances de l'Union, qui est aujourd'hui fortement importatrice, tant de matières premières critiques, que de technologies zéro net. Un accompagnement des projets considérés comme stratégiques, qui bénéficieraient d'un accès facilité aux financements européens existants, est également suggéré. Ces projets seraient sélectionnés par la Commission pour les matières premières critiques, tandis que les États membres seraient chargés de les sélectionner pour les technologies zéro net.

Enfin, les deux textes fixent des objectifs chiffrés à l'horizon 2030, mais avec un degré de contrainte inégal.

Nous nous sommes efforcés d'étudier au mieux ces deux propositions, dans des délais très brefs et alors que leur traduction en français n'a été disponible que fin mai. Nous avons en particulier échangé avec le cabinet du commissaire Thierry Breton, qui a beaucoup soutenu ces textes, les services de la Commission européenne, le rapporteur fictif du groupe Renew du texte zéro net, - le député européen Christophe Grudler -, ainsi qu'avec les services français - le secrétariat général des affaires européennes (SGAE) à Paris, la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne (RP) à Bruxelles, qui suivent les négociations, et les services techniques du ministère de l'économie et des finances compétents en matière minière et industrielle.

Du côté des entreprises, nous nous sommes entretenus avec des représentants de BusinessEurope, la coalition des producteurs de matières premières utilisées dans la construction, et SMEunited, qui représente les petites et moyennes entreprises (PME) à Bruxelles. À Paris, nous avons entendu EDF et Orano, sans oublier les contributions écrites d'Eramet et de l'Alliance des minerais, minéraux et métaux (A3M).

Nous avons également entendu un représentant de plusieurs organisations de la société civile qui travaillent ensemble sur les deux textes ainsi que l'association France urbaine, qui a formulé les préoccupations des collectivités territoriales françaises, qui sont très directement concernées par ces textes.

M. Didier Marie, rapporteur. - La demande de matières premières critiques indispensables à la fabrication de nombreux produits (téléphones portables, téléviseurs, voitures électriques etc.) pourrait être multipliée par 10 d'ici à 2030. Or l'Union européenne est dans une situation de dépendance très forte vis-à-vis de pays tiers : 98 % des terres rares lui sont fournies par la Chine, 63 % du cobalt utilisé dans les batteries est extrait en République démocratique du Congo (RDC) et la Chine en raffine les deux tiers, 97 % du magnésium provient de Chine et la Turquie assure 98 % de l'approvisionnement de l'UE en borate. L'offre des pays tiers fait en outre face à des risques et défis géopolitiques, environnementaux et sociaux.

La proposition de la Commission était donc très attendue par le Parlement européen, qui a adopté une résolution en ce sens en novembre 2021, comme par le Conseil, qui a souligné l'importance stratégique des matières premières critiques dans la déclaration de Versailles du 11 mars 2022, qu'a rappelée le président Rapin, puis dans les conclusions de la Conférence sur l'avenir de l'Europe, enfin par la France et l'Allemagne, qui ont demandé une législation européenne dans une note libre (non-paper) commune en septembre 2022.

La proposition de règlement vise à soutenir le développement sur le territoire européen d'un écosystème industriel dédié aux matières premières critiques. Elle identifie à cet effet 34 matières premières critiques, dont 16 qu'elle considère comme stratégiques au regard de leur rôle dans les transitions écologique et numérique.

Cette liste nous paraît devoir être complétée par l'ajout de l'alumine, de l'aluminium et de la bauxite, qui jouent un rôle crucial dans les industries aéronautique et de défense, ainsi que du zinc et du nickel, indispensables pour la production d'énergies renouvelables et de batteries électriques. Quant aux terres rares, elles devraient être plus largement visées que celles utilisées dans les aimants permanents et incluses dans la liste des matières premières stratégiques.

Une mise à jour dynamique des listes de matières premières critiques et stratégiques, prenant en compte l'évolution des risques d'approvisionnement pour chacune des matières premières répertoriées, nous paraît en outre indispensable, et ce au moins tous les trois ans, plutôt que tous les quatre ans comme prévu. Enfin, il nous semble qu'une période transitoire devrait être aménagée en cas de sortie d'une matière première des listes au vu des conséquences de ce retrait de la classification pour les opérateurs économiques.

Dans la mesure où, comme nous l'a expliqué une alliance des producteurs de matières premières, d'autres matières premières peuvent venir à manquer, nous préconisons également qu'une liste en soit établie et un suivi mis en place.

La proposition de règlement fixe par ailleurs des objectifs chiffrés de production, à horizon 2030 : l'extraction dans l'UE d'au moins 10 % de sa consommation annuelle ; la transformation dans l'UE d'au moins 40 % de sa consommation annuelle ; le recyclage dans l'UE d'au moins 15 % de sa consommation annuelle.

Tous les segments de la chaîne de valeur sont donc concernés. Les auditions auxquelles nous avons procédé nous ont permis de mesurer la pertinence de ces objectifs et nous conduisent à vous proposer de relever les ambitions en matière de transformation des matières premières critiques de 40 % à 50%, et ceux du recyclage de ces matières premières de 15 % à 20%. En revanche, l'extraction sur le sol européen ne répondant qu'à 3 % des besoins, les objectifs d'extraction ne paraissent pas pouvoir être relevés. Il nous semble en outre que des objectifs devraient être fixés pour chacune des matières premières et complétés par des objectifs à l'horizon 2040 et 2050. Il s'agit, en effet, d'une démarche de longue haleine qu'il faudra poursuivre, en donnant de la visibilité aux opérateurs économiques.

La proposition de règlement entend, dans le même temps, diversifier les sources d'approvisionnement extérieures afin de limiter à 65 % de la consommation annuelle de l'UE, la part provenant d'un seul pays tiers pour chacune des matières premières critiques à l'horizon 2030. Il est prévu que des partenariats stratégiques soient négociés à cet effet. Nous préconisons d'établir une liste des pays avec lesquels de tels partenariats devraient être prioritairement négociés. Par ailleurs, nous demandons que des garanties environnementales et sociales soient introduites dans ces accords.

Il est en outre proposé de mettre en place des projets stratégiques pour renforcer la chaîne de valeur des matières premières critiques. Ces projets seraient sélectionnés par la Commission européenne, à partir d'un ensemble de critères, et bénéficieraient en particulier de délais d'autorisations raccourcis, d'une mise en oeuvre accélérée et d'un soutien pour l'accès aux financements européens.

Ce dispositif appelle plusieurs remarques. Tout d'abord, la priorité accordée à l'examen des demandes d'autorisations et l'accélération de la délivrance de celles-ci ne sauraient interférer avec l'organisation territoriale des États membres et la répartition des compétences. L'obligation de mettre en place un guichet national unique pour les traiter ne nous paraît donc pas acceptable. En revanche, un point de contact unique pourrait être défini pour chaque projet, ce qui permettrait de coordonner les interventions des différentes administrations concernées.

Il est impératif de clarifier l'articulation entre les différentes législations européennes applicables, qu'il s'agisse des législations sectorielles ou des autorisations environnementales. Il y va en effet de la lisibilité des règles applicables pour les porteurs de projets et de l'acceptabilité sociale desdits projets. Nous demandons en outre que les procédures d'autorisations environnementales ne soient pas incluses dans les délais de délivrance des permis et que ces délais puissent être suffisamment prorogés dans des situations exceptionnelles qui le justifient. Quant à considérer que l'autorisation est réputée accordée en cas de dépassement des délais, cela ne nous paraît pas acceptable dès lors que le retard est justifié.

Enfin, aucun financement européen additionnel n'est prévu, mais des fonds existants sont toutefois susceptibles d'être mis à contribution. Il est prévu qu'un sous-comité du comité européen des matières premières critiques, qui regroupe des représentants des États membres, accompagne les porteurs de projets dans l'identification des fonds susceptibles d'être sollicités. La mise en place d'un guichet unique européen associant la BEI nous semblerait également de bonne méthode. Par ailleurs, l'opportunité de la création d'un projet important d'intérêt européen commun (PIIEC) « matières premières critiques » devrait être étudiée.

Venons-en maintenant au suivi des chaînes d'approvisionnement qu'il est proposé de mettre en place pour réduire les risques de perturbation.

Ce suivi comporterait des programmes d'exploration nationaux des gisements de minéraux mis en oeuvre par les États membres ; un rapport annuel des États membres sur les projets nouveaux ou existants concernant les matières premières stratégiques sur leur territoire, identifiant les principaux opérateurs établis et les événements majeurs susceptibles d'entraver leur fonctionnement ; des audits bisannuels des chaînes d'approvisionnement des grands opérateurs utilisant des matières premières stratégiques pour évaluer les risques ; enfin, la transmission d'informations sur les stocks nationaux de matières premières stratégiques.

Si le bien-fondé d'un suivi au niveau européen n'est pas contestable dans son principe, le dispositif proposé appelle plusieurs observations.

La première concerne les stocks nationaux de matières premières stratégiques. Puisqu'il s'agit de données sensibles, les États membres doivent pouvoir refuser de les communiquer si la sécurité nationale est susceptible d'être menacée. Une publicité excessive pourrait en outre fragiliser la situation de l'Union européenne à l'égard des pays tiers fournisseurs, qui disposeraient ainsi d'un effet de levier, sans compter les risques spéculatifs sur le marché international de ces matières premières. Prévoir que l'Union européenne recommande des niveaux de stocks représenterait par ailleurs des coûts élevés, qui devront être pris en charge par les États membres, lesquels pourraient être tenus de partager ces stocks avec d'autres États membres. Il nous semble que ces contraintes sont trop lourdes et qu'en cas d'urgence, d'autres outils européens peuvent être activés.

La pertinence des audits bisannuels des chaînes d'approvisionnement des grands opérateurs envisagés pour évaluer les risques n'est pas contestable. C'est toutefois aux entreprises qu'il revient selon nous de décider de la communication des résultats de ces audits à leurs conseils d'administration. Des représentants d'entreprises de pays non membres de l'Union européenne peuvent en effet siéger dans ces instances, ce qui pourrait poser des difficultés.

Le chapitre V de la proposition de règlement concerne la durabilité. Il prévoit des programmes nationaux en matière de circularité pour collecter les déchets présentant un potentiel élevé de valorisation de matières premières critiques, accroître le réemploi des produits et composants présentant un tel potentiel, augmenter l'utilisation de matières premières critiques secondaires, développer la maturité des technologies de recyclage de celles-ci et promouvoir leur utilisation efficace et leur remplacement dans les applications en soutenant des programmes de recherche et d'innovation nationaux.

L'accent devra également être mis sur la limitation de l'exportation des déchets contenant des matières premières critiques afin qu'ils soient prioritairement recyclés sur le territoire européen. Des obligations de conception facilitant la récupération de ces matières premières devraient en outre être introduites dans les législations sectorielles.

Concernant les systèmes de certification de la durabilité des matières premières critiques, la Commission européenne pourrait les reconnaître dès lors qu'ils respectent un ensemble de critères listés en annexe. Il nous semble indispensable que ces critères soient rapidement précisés et progressivement adaptés pour tenir compte de l'évolution des exigences en matière de durabilité. Le règlement sur les semi-conducteurs (Chips Act) constitue à cet égard un modèle pertinent dont la proposition de règlement pourrait utilement s'inspirer.

Pour conclure sur ce premier texte, voici quelques mots sur la gouvernance du cadre proposé. Elle est confiée à la Commission européenne, qui serait chargée de sélectionner les projets stratégiques au vu de justificatifs produits par le porteur du projet, selon des critères définis et au vu de la viabilité économique du projet, après avoir consulté le comité européen des matières premières critiques sur le caractère complet de la demande et le respect des critères.

Il nous semble que l'examen devrait également porter sur les objectifs du projet, sa valeur ajoutée, les délais de sa mise en oeuvre, sa maturité et son articulation avec les autres législations de l'Union européenne.

Le comité européen des matières premières critiques pourrait par ailleurs associer à ses travaux, en qualité d'observateurs, et selon des modalités à définir, les parties prenantes, qu'il s'agisse des acteurs économiques, des partenaires sociaux ou des associations.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Venons-en maintenant à la proposition de règlement concernant l'industrie à zéro émission nette, ou industrie zéro net.

Ce texte est beaucoup moins abouti que le premier, qui appelle pourtant, comme on l'a vu, de nombreux compléments. Il n'a d'ailleurs pas fait l'objet d'une étude d'impact et a été présenté rapidement par la Commission européenne, dans la logique du plan industriel du pacte vert et en réponse à l'Inflation Reduction Act américain publié en août 2022 qui, le président Rapin l'a rappelé, fait craindre la délocalisation aux États-Unis d'investissements dans des technologies essentielles en matière de neutralité climatique et de résilience du système énergétique décarboné de l'Union européenne.

Le cadre de mesures proposées pour renforcer l'écosystème européen de fabrication de produits de technologies zéro net comporte sept piliers, respectivement destinés à : faciliter les investissements dans la conception et la production de technologies zéro net dans l'Union européenne en rationalisant les processus administratifs et la délivrance des autorisations pour les projets stratégiques zéro net ; coordonner le développement des capacités d'injection de CO2 sur le territoire européen ; ouvrir aux technologies zéro net un accès aux marchés publics ; renforcer les compétences en la matière ; promouvoir la création, par les États membres, de « bacs à sable réglementaires » pour appuyer l'innovation ; créer une plateforme Europe zéro net, qui permette à la Commission européenne de coordonner ces différentes actions conjointement avec les États membres et de faciliter le partage des connaissances ; enfin, mettre en place une coopération renforcée en matière de suivi, appuyée sur la collecte d'informations pour anticiper et prévenir les pénuries.

Comme pour le texte sur les matières premières critiques, aucun nouveau financement européen n'est prévu, mais la Commission européenne indique que des outils existants pourraient être mobilisés, ainsi que les fonds dédiés à la plateforme européenne des technologies stratégiques (Strategic Technologies for Europe Platform - Step), qu'elle a récemment proposée. Le rapport stratégique que la Commission européenne a publié la semaine dernière évalue pourtant les coûts de mise en oeuvre du règlement à 92 milliards d'euros additionnels sur la période 2023-2030.

Nous vous proposons de demander qu'à tout le moins, les financements disponibles susceptibles d'être sollicités soient clairement identifiés et que la plateforme de coordination de ces financements soit rapidement mise en place. Il serait en outre pertinent d'examiner l'opportunité de prévoir des financements complémentaires dans le cadre de la révision du cadre financier pluriannuel (CFP), notamment en cas de mobilisation de ressources propres en lien avec les émissions de carbone. La BEI et la future banque européenne de l'hydrogène (BEH) pourraient aussi être impliquées dans le financement.

Enfin, des aides d'État pourront être octroyées pour faciliter le développement de ces technologies et il est spécifiquement prévu que les ménages puissent bénéficier d'une prise en charge à hauteur de 5 % des coûts d'acquisition de produits résultant de l'utilisation de technologies « net zéro ». Nous vous proposons d'aller plus loin en autorisant une prise en charge à hauteur de 20 %.

Onze technologies zéro net innovantes, liées aux énergies renouvelables sont visées. Listées en annexe, elles concernent en particulier le stockage d'électricité et de chaleur, les carburants renouvelables, les électrolyseurs, ou encore le captage et le stockage du carbone. En outre, deux technologies nucléaires de quatrième génération sont incluses : les technologies avancées de production d'énergie à partir de processus nucléaires dans lesquels le cycle de combustible génère un minimum de déchets, et les petits réacteurs modulaires et combustibles connexes les plus performants.

Seuls les systèmes réels achevés et qualifiés pour des tests et démonstrations sont retenus, autrement dit ceux qui présentent un niveau de maturité technologique d'au moins 8 sur une échelle qui comporte neuf niveaux.

Ainsi défini, ce périmètre appelle plusieurs observations. Tout d'abord, il ne prend en compte que les produits finaux et les composants et machines spécifiquement utilisés pour leur production, alors que l'ensemble de la chaîne de valeur, amont et aval, devrait être concernée.

Ensuite, d'autres technologies prometteuses pourraient utilement être ajoutées, en particulier en matière de production d'hydrogène bas-carbone et renouvelable, d'hydroélectricité, de carburants alternatifs durables, ou encore les technologies de décarbonation de l'industrie, de chaleur renouvelable ou d'utilisation du carbone.

La distinction proposée entre les technologies innovantes et les technologies stratégiques, qui bénéficieraient d'une réduction des délais d'autorisation, de l'éligibilité aux critères de soutenabilité et de l'accès à la plateforme de financement, ne nous paraît pas satisfaisante, et nous relevons l'absence dans la liste de technologies matures et décarbonées dans la liste des technologies stratégiques.

Il en est ainsi des technologies nucléaires de production d'électricité de deuxième génération, déjà installées, et de celles de troisième génération, qui sont en cours de déploiement. L'inclusion de ces technologies n'ayant toutefois pas convaincu vos trois rapporteurs, contrairement aux autres propositions que nous vous avons présentées, Amel Gacquerre et moi-même vous proposerons un amendement pour demander que ces technologies soient également prises en compte. Je rappelle d'ailleurs à cet égard que le choix du mix énergétique relève de la compétence des États membres, dans le respect des objectifs de décarbonation relevés par le paquet ajustement à l'objectif 55.

Un objectif indicatif de capacités de production européenne à l'horizon 2030 est défini pour les technologies jugées stratégiques : elles devront répondre à 40 % des besoins annuels de déploiement de l'Union européenne en matière de climat et d'énergie. Logiquement, il nous semble que cet objectif devrait être applicable à l'ensemble des technologies, complétées comme nous le proposons et rassemblées dans une liste unique. Il est en outre nécessaire de détailler des objectifs par secteur et par technologie, dans la mesure où les niveaux actuels et leurs perspectives d'évolutions sont très différents pour chacun d'eux.

Enfin, une mise à jour de la liste au moins tous les trois ans paraît préférable aux quatre ans prévus, afin de prendre rapidement en compte les évolutions technologiques.

Concernant la délivrance des autorisations, comme pour le texte relatif aux matières premières critiques, l'organisation territoriale des États membres et la répartition des compétences doivent être respectées et l'absence de réponse dans les délais prévus par le texte ne saurait valoir autorisation, ce qui ne dispense pas de justifier le retard. De la même manière, afin de s'assurer de l'acceptation sociale des projets, il ne nous paraît pas souhaitable de réduire la durée des consultations publiques et d'inclure les évaluations environnementales dans le délai maximal prévu. Pour autant, une articulation efficace entre les différentes procédures, y compris celles qui sont prévues par la législation européenne en matière environnementale, nous semble devoir être encouragée.

Une autre piste, d'ailleurs initialement envisagée par la Commission européenne, mériterait d'être creusée : la mise en place de vallées d'industries zéro émission, qui pourraient être considérées comme d'intérêt public dans la mesure où elles contribueraient à la réalisation des objectifs du règlement et répondraient à au moins l'un des critères énumérés. L'éligibilité de ces vallées, au cas par cas, aux dérogations environnementales et leur instauration s'appuieraient sur le retour d'expérience des acteurs économiques, des organismes publics compétents et des collectivités territoriales.

Concernant le régime de stockage de CO2 sur le territoire européen, dont la capacité d'injection annuelle, à l'horizon 2030, devrait atteindre au moins 50 millions de tonnes, il est prévu que les États membres identifieront les zones sur lesquelles des sites de stockage peuvent être implantés et devront rendre publiques ces données, tandis que les entités titulaires d'autorisations de prospection, d'exploration et d'extraction d'hydrocarbures devront rendre publiques des données concernant les sites de production déclassés. Là encore, il nous semble qu'une certaine prudence doit être de mise dans la publicité des données portant sur les capacités de stockage des États membres.

Il est en outre prévu que les producteurs de pétrole et de gaz sur le territoire européen seraient soumis à une contribution individuelle sous la forme de la fourniture d'une capacité d'injection de CO2 dans un site disponible d'ici à 2030. Cette contribution, dont le principe ne nous paraît pas contestable, doit être clarifiée, en particulier en cas de défaillance de l'opérateur ou de reprise de ses activités.

Pour favoriser le recours aux technologies zéro net, il est préconisé que les pouvoirs adjudicateurs leur donnent la priorité dans les appels d'offres en pondérant plus significativement la contribution des critères de durabilité environnementale et de résilience. Ces critères nous semblent devoir être précisés et pourraient ne pas être cumulatifs. Pour gagner en efficacité dans l'atteinte des objectifs, et sans que cela soit obligatoire pour les pouvoirs adjudicateurs, il nous semble que la pondération maximale de ces critères pourrait être portée de 10 % à 30 %. En outre, le mécanisme préférentiel prévu par la directive de 2015 pour les opérateurs de réseau pourrait être repris, afin que les offres contenant plus de 50 % de produits originaires de pays tiers n'ayant pas conclu un accord de réciprocité en matière de marchés publics ne soient pas retenues en cas de différentiel des coûts inférieur à 10 %.

La proposition met enfin l'accent sur le renforcement des compétences nécessaires à l'industrie zéro net et propose la création d'académies européennes. Il est bien entendu indispensable de rappeler que ces académies n'ont pas vocation à interférer avec les compétences nationales en matière d'enseignement et de formation professionnelle. Pour autant, il serait intéressant de pouvoir disposer des schémas indicatifs de formation qu'elles pourraient proposer et d'identifier les compétences techniques faisant défaut en Europe.

Pour finir, je parlerai de la gouvernance du cadre proposé. Une plateforme euro zéro net, chargée de conseiller et d'assister la Commission européenne et les États membres dans les actions qu'ils conduisent pour atteindre les objectifs du règlement, serait créée. Elle serait composée de représentants des États membres et de la Commission, qui se réuniraient régulièrement, en présence d'observateurs du Parlement européen. Elle pourrait faire appel à des experts. Comme pour le comité européen des matières premières critiques, nous proposons qu'elle puisse également faire appel, en tant que de besoin, à des représentants des acteurs économiques et des parties prenantes de la société civile.

Mme Amel Gacquerre, rapporteure. - La proposition d'amendement que Daniel Gremillet et moi-même vous présentons vise à compléter la liste de technologies visées. Elle se présente de la manière suivante : « Après l'alinéa 38, insérer deux alinéas rédigés comme suit :

« Constate que seules quelques technologies nucléaires sont prises en compte dans la première liste relative aux technologies innovantes (technologies avancées de production d'énergie nucléaire dans lesquels le cycle de combustible génère un minimum de déchets, petits réacteurs modulaires et combustibles connexes les plus performants) et qu'elles n'apparaissent pas dans la seconde relative aux technologies stratégiques, alors même que les technologies nucléaires sont décarbonées et matures et répondent à l'objectif zéro net ;

« Déplore que cette approche revienne à exclure la production d'énergie nucléaire existante (deuxième génération) et en cours de déploiement industriel (troisième génération) au profit de celle encore à l'état de recherche scientifique (quatrième génération), et notamment à exclure les réacteurs à eau pressurisée et à ne retenir que les petits réacteurs modulaires, dont la maturité et la puissance sont bien moindres, et appelle à considérer l'ensemble de ces technologies nucléaires comme stratégiques. »

M. Pascal Allizard. - Il y a cinq ans, dans un rapport d'information consacré à la Chine, Gisèle Jourda et moi-même avions alerté les pouvoirs publics sur le problème représenté par le quasi-monopole chinois sur les terres rares. Or nous n'avons reçu, à l'époque, aucune réponse de Bruxelles. Même si la proposition de règlement est imparfaite, il était plus que temps de prendre des dispositions sur ce point.

Comment percevez-vous la position de l'Allemagne sur le devenir des voitures électriques et la survie du moteur à explosion ? L'Allemagne envisage en effet de modérer le développement des voitures électriques, au profit de l'usage de carburants verts dans des moteurs à explosion. Or il ne faut pas minimiser la puissance de l'industrie automobile allemande sur ce sujet.

Nous savons tous que les conditions d'extraction et de production des terres rares sont assez scandaleuses. Les textes que vous nous présentez comportent-ils des éléments de régulation à cet égard ?

Enfin, la problématique du recyclage des batteries usagées n'est toujours pas traitée. Avez-vous connaissance d'éléments de programmation ou d'innovation sur ce point ?

Mme Christine Lavarde. - Le besoin d'effectuer de nouvelles explorations pour trouver de nouvelles ressources minières ou constituer des zones d'injection de CO2 a été souligné. Je m'interroge donc sur l'articulation des textes que vous nous présentez avec la loi sur la restauration de la nature adoptée hier par le Parlement européen. Ces éléments paraissent en effet antagonistes.

Par ailleurs, quelles sont les sources de financement prévues pour alimenter les projets envisagés ? Un outil a-t-il été programmé en ce sens, ou est-il à venir ?

M. Didier Marie, rapporteur. - La position allemande sur le carburant vert n'a pas fait l'objet de nos travaux. L'industrie automobile allemande produit des modèles haut de gamme qui ne peuvent pas fonctionner avec des batteries électriques, trop encombrantes et trop lourdes. Elle souhaite donc conserver ses modèles thermiques en utilisant des carburants alternatifs. La proposition zero net pourrait soutenir les carburants alternatifs durables.

Nous avons insisté par ailleurs sur le fait que les conditions d'extraction des minerais dans les pays tiers devaient être proches des nôtres, en matière de responsabilité sociétale des entreprises comme de protection des droits humains. Nous espérons que la Commission prendra cela en considération, en cohérence d'ailleurs avec le texte sur la renaturation qui a été adopté hier au Parlement.

Une directive européenne est consacrée aux batteries. Sa mise à jour, qui renforce les règles de durabilité applicables aux batteries et aux déchets de batteries, est en cours d'adoption et comporte une dimension relative au recyclage.

Je ne pense pas qu'il y ait de contradiction entre le texte relatif à la renaturation et la proposition de règlement pour une industrie zéro net. Nous observons plutôt une volonté de trouver des équilibres entre eux. Il existe d'ailleurs déjà des possibilités, dans les projets importants d'intérêt européen commun, de passer outre certaines précautions environnementales, moyennant la présentation d'une documentation spécifique, pour accélérer certains projets.

Il faut réindustrialiser l'Union européenne, mais cela doit se faire en garantissant notre autonomie stratégique et en nous projetant dans l'avenir, vers une meilleure protection de l'environnement.

Enfin, concernant le financement, je rappelle qu'un dispositif dit Step, d'un montant de 10 milliards d'euros repositionnant des financements issus d'autres dispositifs, a été présenté par la Commission le 20 juin. Ce financement est clairement insuffisant, les moyens à mobiliser pour mener à bien les projets envisagés étant évalués à 160 milliards d'euros.

Mme Amel Gacquerre, rapporteure. - Sur les matières premières critiques et stratégiques, je relève le choix intéressant de la diversification des sources d'approvisionnement afin de renforcer notre indépendance, avec les deux horizons de 2030 et de 2050. Ne serait-ce que pour des raisons d'acceptabilité sociale, l'extraction sur le sol européen est en effet moins prioritaire, avec l'objectif réaliste de passer cette part de 3 % à 10 % des besoins de l'Union européenne. L'approche me paraît équilibrée.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Lors de l'audition du cabinet du commissaire Breton sur les carburants verts, nous avons compris que ceux-ci ne seraient pas disponibles en quantité suffisante pour que tout le monde les utilise et qu'ils seraient principalement réservés aux besoins de l'aviation.

Nous avons aussi senti que les blocs qui s'étaient constitués au sein des pays européens évoluaient. Le bloc allemand tend ainsi à s'affaiblir, mais s'oppose toujours fermement au tout-électrique et à l'énergie nucléaire.

M. Pascal Allizard. - Qu'en est-il à l'égard de l'hydrogène ?

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - Nous retrouvons de nouveau deux blocs, avec des stratégies bien distinctes. L'Allemagne a pour ambition d'importer l'hydrogène, la France, si je schématise, envisage de le produire.

Les batteries constituent un sujet à part entière. Le cabinet du commissaire Breton marque sa volonté de déconstruire et de récupérer les composants des batteries en Europe. Nous savons cependant que les Chinois sont les seuls détenteurs des technologies qui rendent possible ce travail de décomposition à une échelle industrielle.

M. Pascal Allizard. - Autrement dit, l'intention est bonne, mais nous ne disposons pas aujourd'hui, en Europe, des solutions techniques qui nous permettraient de la concrétiser.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - L'Europe entend précisément se doter des moyens d'une industrialisation de la déconstruction des batteries, batteries qui continuent par ailleurs d'évoluer.

Sur l'articulation avec le texte restauration de la nature adopté hier, je précise que lors des auditions, nous pensions que ce texte ne serait pas adopté ; nous n'avons par conséquent pas procédé à ce rapprochement.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous propose d'en venir à la discussion de la proposition d'amendement.

M. Didier Marie, rapporteur. - Comme vous l'avez compris, nous ne sommes pas d'accord sur l'intégration de la totalité de la filière nucléaire dans la catégorie des industries stratégiques. Cette intégration ouvrirait droit à des procédures moins exigeantes en matière de délais, de consultation des populations et de réglementation environnementale. Elle ouvrirait également droit à des financements.

Le vote de la proposition d'amendement permettrait au projet français de construction immédiate de six réacteurs pressurisés européens (EPR), puis de huit autres, de bénéficier de ce dispositif.

Je n'ai pas voté pour le texte du Gouvernement sur l'accélération de la filière nucléaire. D'une part, sans être hostile au nucléaire, je suis en désaccord avec la double remise en cause du choix de ramener à 50 %, dès 2025, la part du nucléaire dans la production nationale d'électricité et d'un mix énergétique combinant énergie nucléaire et énergies renouvelables. D'autre part, je m'interroge sur la fiabilité des EPR, dont la mise en oeuvre apparaît au demeurant difficile. Trois EPR sont actuellement en construction ou en service. En dépit d'un investissement de 19 milliards d'euros, le réacteur de Flamanville n'apparaît pas exactement comme une grande réussite. Celui qui se situe en Chine est à l'arrêt depuis plusieurs semaines en raison de fissures apparues sur les tubes qui accueillent le combustible. Un troisième réacteur connaît également des difficultés.

Il me semblait utile, ainsi que le prévoit le texte de la commission, d'ouvrir une possibilité de financement à la recherche sur des réacteurs de quatrième génération, qui produiraient moins de déchets, voire n'en généreraient aucun, et je regrette à cet égard que le Gouvernement ait finalement abandonné le projet Astrid (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration). Si je pense que nous avons besoin d'une filière nucléaire, encore faut-il qu'elle s'inscrive dans la logique du texte que nous examinons, celle de zéro émission nette de CO2 et de déchets. La filière nucléaire ne répond aujourd'hui pas à cette exigence.

Je ne souscris donc pas à la proposition d'amendement.

M. Daniel Gremillet, rapporteur. - La proposition de modification qu'Amel Gacquerre et moi défendons repose sur l'idée selon laquelle il est essentiel de respecter la liberté des États membres de l'Union européenne de choisir leur mix énergétique. Il s'agit aussi d'envisager le futur et d'y inscrire l'ambition européenne. Devant des besoins en énergie électrique qui ne cesseront de croître partout dans le monde, il serait terrible d'ignorer dans ce texte les technologies des réacteurs de troisième génération améliorés, de quatrième génération et de petits réacteurs. Notre proposition s'inscrit dans la suite de nos précédents travaux parlementaires et répond à la volonté de réindustrialisation de la France.

La proposition de modification est adoptée.

La commission adopte à l'unanimité les propositions de résolution européennes, disponibles en ligne sur le site du Sénat, ainsi que les avis politiques qui en reprennent les termes et qui seront adressés à la Commission européenne.

M. Jean-François Rapin, président. - Je félicite nos rapporteurs pour leur travail de conciliation en dépit de leurs visions différentes sur les deux textes que nous examinions.

Justice et affaires intérieures - Audition de Mme Agnès Diallo, directrice exécutive de l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (eu-LISA)

M. Jean-François Rapin, président. - Nous recevons Mme Agnès Diallo qui, depuis le 16 mars dernier, exerce la fonction de directrice exécutive de l'Agence européenne chargée de la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, également appelée « eu-LISA ».

Madame la directrice exécutive, nous sommes très curieux de vous entendre sur le fonctionnement de cette agence discrète mais essentielle à la coopération européenne dans les domaines policier, judiciaire et de gestion des frontières.

L'agence eu-LISA, qui existe depuis 2011 et a bénéficié de l'élargissement de son mandat en 2018, assure la gestion opérationnelle des trois systèmes d'information créés pour permettre la libre circulation au sein de l'espace Schengen. Le premier est le système d'information Schengen (SIS II), créé en 1995 et récemment modernisé, qui permet aux autorités judiciaires, policières et douanières d'échanger toutes les informations utiles sur les personnes recherchées en vue d'une arrestation, sur les personnes disparues, sur les personnes interdites de séjour ou encore sur les véhicules et objets servant de preuves dans une procédure pénale. Le deuxième système est le système d'information sur les visas (VIS), qui facilite la délivrance de visas dans les pays de l'espace Schengen et permet d'identifier les ressortissants de pays tiers voyageant avec un visa frauduleux. Le troisième est le système européen de comparaison des signalements dactyloscopiques des demandeurs d'asile (Eurodac), qui recense les demandes d'asile dans l'Union européenne et qui est en cours de réforme, dans le cadre du nouveau pacte sur la migration et l'asile.

L'agence eu-LISA exerce toutes les tâches nécessaires au bon fonctionnement de ces systèmes. Elle disposait pour cela d'environ 296 millions d'euros de budget en crédits de paiement en 2022 et de trois sites géographiques : un siège à Tallinn (Estonie), un site opérationnel à Strasbourg et un site de « secours » en Autriche, à Sankt Johann im Pongau.

Elle est aussi au coeur du développement de nouveaux systèmes d'information ambitieux, d'une part pour améliorer la surveillance des frontières, d'autre part pour améliorer la coopération judiciaire européenne.

En matière de coopération judiciaire, on peut citer la création du système e-CODEX, qui doit faciliter les échanges entre juridictions dans le cadre des procédures civiles et pénales transfrontières. On peut aussi mentionner la conception prévue d'une plateforme de collaboration au bénéfice des équipes communes d'enquête (ECE), qui sont constituées par les autorités compétentes d'au moins deux États membres pour mener certaines enquêtes pénales.

En matière de gestion et de surveillance des frontières extérieures de l'Union européenne, eu-LISA supervise la mise en place de deux systèmes d'information qui s'inscrivent dans le projet de « frontières intelligentes » qui avait été présenté par la Commission Juncker. Le premier est le système dit « d'entrée-sortie », qui doit enregistrer les ressortissants de pays tiers voyageant dans l'Union européenne pour un court séjour, mais aussi détecter ceux qui auraient fait l'objet d'un refus d'entrée dans l'Union européenne. Le second, qui s'inspire de l'autorisation de voyage américaine Esta (Electronic System for Travel Authorization), est le Système européen d'information et d'autorisation concernant les voyages (Etias, European Travel Information and Authorisation System). Il concerne les ressortissants de pays tiers exemptés de l'obligation de visa lors du franchissement des frontières extérieures et doit permettre, sur la base d'un formulaire rempli par les intéressés, d'évaluer si leur entrée dans l'Union européenne représente ou non un risque de sécurité ou un risque sanitaire.

L'action de l'agence eu-LISA est ainsi indispensable au bon fonctionnement de la coopération européenne en matière de justice et affaires intérieures (JAI). Cela m'amène, madame la directrice exécutive, à vous poser plusieurs questions.

Tout d'abord, face à ces chantiers d'importance, votre agence dispose-t-elle des moyens de ses ambitions ? En particulier, dispose-t-elle de l'expertise nécessaire en ingénierie informatique ou sous-traite-t-elle ces tâches ?

Par ailleurs, eu égard à la sensibilité des systèmes d'information dont vous assurez la gestion opérationnelle, quels sont les garde-fous qui existent au sein de votre agence, à la fois pour recruter et employer des personnes compétentes et dignes de confiance, et pour faire face aux risques éventuels de « fuites » de données ?

Pouvez-vous aussi nous confirmer que l'agence eu-LISA est bien « armée » contre les cyberattaques ? Je rappelle qu'en mars 2022, la Cour des comptes européenne avait estimé que le niveau de préparation des institutions et des agences européennes face aux incidents de cybersécurité était « globalement insuffisant ».

Enfin, sans surprise, ma dernière question concerne un sujet de préoccupation majeure pour l'ensemble des autorités françaises à la veille des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024. Il s'agit de l'entrée en fonction des systèmes « entrée-sortie » et Etias. J'ai interrogé le Gouvernement à ce sujet. La mise en oeuvre de ces systèmes a déjà fait l'objet de plusieurs reports. Pouvez-vous nous expliquer pourquoi ? Ne faut-il pas désormais reporter cette mise en place à septembre 2024 ?

Mme Agnès Diallo, directrice exécutive de l'Agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice (eu-LISA). - Comme vous l'avez relevé, l'agence eu-LISA reste plutôt confidentielle, quoiqu'elle occupe un rôle central au sein des institutions européennes et en matière de sécurité et d'attractivité de l'espace Schengen.

J'y ai récemment pris mes fonctions de directrice exécutive, après avoir travaillé pendant dix ans dans l'industrie digitale, d'abord auprès d'un géant européen des services numériques, puis au sein de l'Imprimerie nationale, devenue le groupe IN, un spécialiste européen de l'identité et, en particulier, de l'identité digitale. Au service de la France, j'ai participé, il y a deux ans, à la construction et à la gestion opérationnelle du système TAC Verif. Il a permis la vérification du passe vaccinal national après le déclenchement de l'épidémie de covid-19, puis la mise en oeuvre du certificat covid européen qui a autorisé la réouverture des frontières après la période de confinement.

Je dispose donc d'une certaine expérience de la mise en place de systèmes d'information à grande échelle. J'observe que deux thématiques importantes s'y associent toujours. Il s'agit d'abord de leur capacité de cyber-résilience, c'est-à-dire de résistance aux incidents et aux attaques. Il s'agit ensuite de leur respect du règlement général sur la protection des données (RGPD). Ces deux préoccupations se situent au coeur de l'activité de l'agence eu-LISA en ce qu'elle déploie des infrastructures majeures et structurantes pour la sécurité de l'espace européen.

L'agence, vous l'avez rappelé, est chargée par son mandat, renouvelé en 2018, d'assurer la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande échelle au sein de l'espace Schengen. Depuis 2018, elle remplit également des missions supplémentaires, qui consistent à développer de nouveaux systèmes : le système Entrée/Sortie (Entry/Exit (EES)), le système Etias de prévalidation des voyageurs ressortissants de pays tiers exemptés de visa en Europe, ainsi qu'un certain nombre de composants « interopérables ». La connexion de ces derniers permet de construire l'« architecture d'interopérabilité », qui permet aux différents systèmes de sécurité et d'attractivité des différents pays de l'espace européen de fonctionner ensemble, afin d'offrir plus d'efficacité aux policiers et aux gardes-frontière. À terme, l'objectif est bien d'augmenter l'attractivité de l'espace Schengen, qui a accueilli plus de 600 millions de voyageurs en 2022, un résultat qui en fait l'espace régional le plus attractif au monde, devant les États-Unis et la Chine.

Depuis ma prise de fonction, les priorités ont consisté à établir et à assurer le bon fonctionnement de l'agence, à la fois sur ses activités opérationnelles et ses activités nouvelles de développement qui, comme vous l'avez dit, était auparavant dans une situation de blocage.

Au cours de la discussion, je partagerai avec vous les constats, puis les actions mises en oeuvre pour débloquer la situation, notamment sur l'EES, qui constitue le socle de l'architecture d'interopérabilité.

Vous posiez la question des moyens humains, financiers et technologiques. L'agence compte environ 350 collaborateurs et peut également faire appel à des experts techniques externes. Son budget est d'environ 290 millions d'euros.

Ces moyens sont-ils suffisants ? Il est toujours possible de faire mieux. Néanmoins, les ressources dont nous disposons aujourd'hui, du point de vue des compétences techniques, des compétences d'architecture ou de gestion de produits, des compétences d'exploitation de systèmes d'information, nous permettent de remplir de mieux en mieux nos missions. À ce sujet, un questionnaire de satisfaction clients, rempli par les États membres utilisateurs de nos services et publié il y a tout juste quelques semaines, a affiché un taux de satisfaction moyen compris entre 90 % et 95 % sur l'ensemble des systèmes dont nous avons la responsabilité. Ces résultats prouvent que nos activités sont reconnues pour leur valeur, leur stabilité et leur bonne contribution aux missions de tous.

Bien entendu, l'agence poursuit son développement sur des sujets centraux, comme la cybersécurité. Depuis un an au moins, de nouvelles possibilités d'augmentation de ces compétences ont été envisagées, en accord avec la Commission européenne et le Parlement européen. De nouveaux collaborateurs ont déjà été recrutés pour renforcer notre équipe de cybersécurité, qui est désormais reconnue au sein des institutions et fait référence dans le métier.

Au sujet de la protection des données et du règlement général sur la protection des données (RGPD), notre cadre réglementaire est strictement mis en oeuvre et respecté. Sur ces questions, nous sommes accompagnés par le contrôleur européen de la protection des données (CEPD), avec lequel nous conduisons des audits réguliers. L'agence comprend également une équipe interne responsable de la protection des données, qui intervient à la fois sur les mécanismes de contrôle interne, mais aussi sur leur mise en oeuvre opérationnelle.

M. Jean-Yves Leconte. - J'ai une question concernant la mise en oeuvre des systèmes Etias et EES, lancés il y a longtemps et dont la mise en oeuvre a pourtant connu plusieurs reports, alors même que ces systèmes ont vocation à fonctionner ensemble. La décision a donc été prise de découpler la mise en oeuvre de l'un de celle de l'autre. Pouvez-vous nous expliquer comment sont prises ces décisions ? Sont-elles d'ordre technique ou politique ? Quelle difficulté explique ces reports systématiques dans la mise en oeuvre de ces deux systèmes, ainsi que leur séparation ?

Je souhaite également vous poser une question plus précise sur le système Etias. Pouvez-vous nous dire si les personnes qui demanderont une telle autorisation devront formellement présenter l'ensemble de leurs nationalités ? Je pose la question, car je suis très préoccupé par la question des binationaux, qui pourraient se voir refuser le dispositif Etias s'ils disent avoir une nationalité européenne sans présenter un passeport témoignant de celle-ci.

La décision finale est-elle prise à l'échelle de l'Union européenne ou du pays de première entrée annoncé dans le formulaire ? L'origine de la décision sera-t-elle bien précisée en cas de refus ?

Enfin, ma dernière question concerne Eurodac, dont le déploiement pose quelques difficultés en France. Quelque chose est-il prévu pour rendre les terminaux Eurodac moins chers et accessibles en plus grand nombre ?

Mme Agnès Diallo. - Je vais commencer par vous présenter la situation telle qu'elle était au moment de mon arrivée, concernant l'EES. Ce système est important, car il constitue le socle de l'interopérabilité européenne, sur lequel viennent se construire les autres systèmes, notamment le système Etias, qui a vocation à préenregistrer et à prévalider la demande d'accession à l'espace Schengen de ressortissants de pays tiers exemptés de visa.

Je tiens à préciser que ces systèmes sont construits, au travers de leur socle réglementaire, d'une manière combinatoire. Autrement dit, le second système utilise des éléments du premier, et le troisième, des éléments du second ; ils sont donc liés par une chaîne de construction. Par conséquent, quand des difficultés sont rencontrées sur l'un de ces systèmes, elles se répercutent en cascade sur l'ensemble de la chaîne. Cette précision est importante, car elle permet en partie de comprendre le retard actuel.

Pour bien résoudre un problème, il est nécessaire de bien en comprendre les causes. À mon arrivée, ma priorité fut donc d'identifier ces causes. J'en ai identifié trois, au-delà des conséquences de la crise du covid et des pénuries de puces électroniques, qui sont probablement surmontées.

Premièrement, le consortium au service de l'agence n'était pas au meilleur de sa capacité de performance. Il lui fallait un meilleur pilotage ainsi qu'une meilleure collaboration avec l'agence.

Deuxièmement, la situation liée à la mise en oeuvre des systèmes était « enkystée », en raison de ce fort maillage entre systèmes que j'évoquais. Aucune avancée ne fut donc observée au cours des douze ou dix-huit derniers mois et les États membres ne furent donc pas en mesure de s'approprier le système ni d'y travailler.

Troisièmement, enfin, les modes de travail mis en place aussi bien en interne qu'en externe, avec nos partenaires, ne permettaient pas de tirer le plein potentiel de la collaboration entre les équipes.

Sur le fondement de ces observations, j'ai défini une nouvelle stratégie « de résolution », avec le soutien de la commissaire européenne Ylva Johansson et du conseil d'administration de l'agence, dans lequel siègent tous les États membres. L'objectif était de résoudre la situation et d'accélérer le développement de ces systèmes.

Cette stratégie repose sur trois piliers. Le premier est celui de la remobilisation des prestataires. Le processus de sélection a sans doute permis de respecter les règles liées à l'achat public et de sélectionner la meilleure proposition. Néanmoins, une fois la proposition sélectionnée, les prestataires doivent être bien encadrés et pilotés pour s'assurer que, sur ces sujets très complexes, la collaboration entre eux se passe bien. Nous avons travaillé pour obtenir un regain de mobilisation de leur part, qui s'est traduit par le fait que les compétences engagées, le niveau d'engagement, le niveau d'expérience et d'expertise mobilisées sur les systèmes sont devenus appréciables.

Le deuxième axe de travail a consisté à résoudre certaines difficultés qui se présentaient juste en procédant à des simplifications. J'ai proposé que l'on se concentre sur un périmètre plus restreint, qui apporte aux parties prenantes des résultats moindres, mais visibles, qui leur permettront de poursuivre leur travail sur les systèmes. On a travaillé sur un périmètre « intermédiaire » du système, qui concentre les efforts et permet d'apporter déjà des solutions aux difficultés techniques les plus fortes.

Le troisième pilier est celui du renouvellement. Nos modes de travail en interne ont été réformés. De nouvelles pratiques ont été adoptées, inspirées par les pratiques les plus efficaces dans l'industrie du numérique : méthodologies agiles, esprit collaboratif renforcé... Grâce à elles, nous avons pu améliorer notre rythme de travail.

Ces trois éléments ont permis de débloquer la situation sur l'EES et de reprendre en main le calendrier des travaux d'avancement sur l'ensemble des systèmes.

Malgré tout, tous les problèmes ne sont pas réglés et beaucoup de travail reste à faire. Au sujet du calendrier, deux éléments sont à distinguer dans la construction et la mise en oeuvre des systèmes. Le premier consiste à construire le système jusqu'à le rendre fiable, robuste, sécurisé, capable de remplir ses fonctions. Tel est le périmètre d'action de l'agence eu-LISA. Une fois le système construit, ma proposition auprès de la commissaire et du conseil d'administration a consisté à expliquer que le système pouvait être mis à disposition des parties prenantes qui ont vocation à l'utiliser, mais qu'une décision devrait être prise sur la bonne date de mise en oeuvre, adaptée aux situations spécifiques des États membres. La décision technique et opérationnelle, du ressort de l'agence, se détachera ainsi de la décision plus politique. Les deux sont bien entendu liées, mais la décision politique ne relève pas du mandat de l'agence.

M. Jean-Yves Leconte. - J'en conclus qu'aujourd'hui, vous n'êtes pas encore en mesure d'obtenir du Conseil une décision politique.

Mme Agnès Diallo. - Début juin, je suis intervenue au conseil d'administration pour présenter l'avancée des travaux. Un rendez-vous a été pris à l'automne prochain pour proposer un nouveau calendrier. La décision qui permettra d'entériner ce nouveau calendrier sera donc prise à ce moment-là. D'ici là, l'agence a cependant proposé une nouvelle approche « par vagues », qui consiste à mettre en oeuvre les différents systèmes qui constituent le train d'interopérabilité graduellement et de manière réaliste, c'est-à-dire en maîtrisant le calendrier et les risques de mises en oeuvre conjointes trop ambitieuses. Cette approche permet de présenter, tous les six à neuf mois, une avancée réelle dans l'interopérabilité.

La première vague concernera bien entendu l'EES, et permettra d'améliorer la sécurité aux frontières. La deuxième marquera le déploiement du système Etias, et ainsi une amélioration de l'expérience des voyageurs aux frontières de l'Union européenne et à l'intérieur de l'espace Schengen.

M. Jean-Yves Leconte. - Les décisions finales sont-elles nationales ou européennes ?

Mme Agnès Diallo. - La structure des systèmes est bipartite. Il y a une composante centrale, qui est le système central construit par l'agence. Pour chacun des systèmes, cette dernière a reçu un mandat réglementaire. Le périmètre de fonctionnalité et les cas particuliers sont spécifiés dans les aspects réglementaires et leurs déclinaisons.

M. Jean-Yves Leconte. - Dans ce dispositif, je comprends que la demande se fera toujours sur le même portail et sera examinée par les opérateurs de manière centralisée. Le voyageur devra-t-il préciser sa destination ? Reviendra-t-il à l'Union européenne ou à l'État membre concerné de statuer sur son entrée ?

Mme Agnès Diallo. - Le système est construit de manière européenne, mais a un pendant à l'échelle nationale. La décision sera nationale.

M. Jean-Yves Leconte. - Si le voyageur se voyait refuser l'entrée par un État membre, serait-il immédiatement bloqué s'il faisait une demande auprès d'un autre État membre, comme c'est le cas avec le système des visas ?

Mme Agnès Diallo. - Sa situation dépendrait de la décision prise dans chacun des États membres. Ces derniers disposent tous d'équipes dédiées à cette tâche. Les équipes saisiront l'instruction de la demande et la décision prise dans le fichier pertinent. Ces informations seront disponibles pour tous les États membres, mais la décision appartiendra à chacun d'entre eux.

M. Jean-Yves Leconte. - En fin de compte, comme pour les visas, la décision reviendra au pays de première entrée, ce qui soulève la question des recours lorsque la décision rendue est négative. Ces recours seront donc nationaux.

Mme Agnès Diallo. - Le fonctionnement est en effet très proche du système des visas. D'ailleurs, les équipes françaises qui ont aujourd'hui vocation à travailler sur le système Etias manipulent le système Visas pour monter en compétences.

M. Jean-François Rapin, président. - Il est donc possible d'imaginer que les procédures seront accélérées ?

Mme Agnès Diallo. - Tel est l'objectif, en effet.

M. Jean-Yves Leconte. - Dans le cas d'Etias, il n'est pas possible de parler d'accélération puisque rien n'existe aujourd'hui.

Mme Agnès Diallo. - En arrivant à la frontière de l'espace Schengen, le voyageur ressortissant bona fide d'un pays tiers bénéficiera d'un traitement rapide de sa demande. Le système de validation à la frontière sera fluidifié. Certes, ce contrôle spécifique n'existe pas aujourd'hui, mais son traitement numérique permettra d'anticiper l'arrivée à la frontière.

M. Jean-François Rapin, président. - Ce fonctionnement évoque celui de l'Esta, qui avait grandement accéléré les procédures pour entrer aux États-Unis.

Mme Agnès Diallo. - Le système Etias est de fait très proche de celui de l'Esta.

M. Jean-François Rapin, président. - M. Leconte vous avait également interrogé sur les moyens liés aux bornes Eurodac.

M. Jean-Yves Leconte. - Il s'agit là d'une problématique plus matérielle que technologique, mais elle cause une difficulté d'accès.

Mme Agnès Diallo. - J'estime qu'il s'agit d'une problématique nationale, car les bornes sont liées à l'usage qui en est fait sur le territoire. C'est la raison pour laquelle j'ai tenu à faire la distinction entre le système central et son pendant national. Les bornes sont directement liées à l'accès au système.

M. Jean-Yves Leconte. - Il doit y avoir une ou deux bornes par département seulement. Elles ne sont pas disponibles pour tous, coûtent cher...

Mme Agnès Diallo. - L'agence, heureusement, n'a ni la prétention ni les moyens de piloter aussi finement à l'échelle de chaque État membre.

M. Jean-Yves Leconte. - Il est tout de même important que le dispositif n'exige pas des terminaux qui coûtent 100 000 euros l'unité.

Mme Agnès Diallo. - Je suis tout à fait d'accord avec vous, mais, je le répète, l'agence s'inscrit dans le mandat que ses parties prenantes, dont les États membres, ont défini via le trilogue législatif.

M. Jean-François Rapin, président. - Revenons sur la temporalité. Vous avez apporté des éléments de réponse, mais je souhaite plus de précisions à ce sujet, concernant l'échéance des Jeux Olympiques. Pensez-vous être prêts à cette date ? J'ai conscience que cette décision est de nature politique, mais je souhaite savoir si vous pensez que le système sera opérationnel ou s'il est préférable de ne pas y recourir dès cet événement.

Mme Agnès Diallo. - Je vous réponds dans la mesure de mes capacités. Aujourd'hui, la priorité que constitue l'organisation des Jeux Olympiques pour la France, mais aussi pour l'Union européenne, est bien prise en compte, aussi bien par la Commission européenne que par la France. Une bonne coordination est mise en place pour que la mise en place du système soit sans conséquence sur l'évènement.

M. Didier Marie. - Cette mise en place aura-t-elle lieu avant ou après les Jeux Olympiques ?

M. Jean-Yves Leconte. - Sur le plan technique, il semble que vous n'ayez pas, aujourd'hui, l'assurance d'être totalement prêts à temps.

Mme Agnès Diallo. - Sur le plan technique, le calendrier proposé prévoit une mise en oeuvre au deuxième semestre 2024, mais il n'est pas encore entériné. Cette échéance constitue néanmoins la base de travail de l'agence.

M. Jean-François Rapin, président. - Je comprends que ce ne soit pas facile de répondre fermement, tant il y a d'incertitudes.

M. Didier Marie. - L'échéance du deuxième semestre 2024 signifie que le système ne sera pas en place pour les Jeux Olympiques.

Mme Agnès Diallo. - Ce qui est certain, c'est que le dispositif ne sera pas mis en place si son incidence sur l'organisation des Jeux Olympiques est négative.

M. Jean-Yves Leconte. - Le système France-Visas, mis en place depuis dix-huit mois au sein du ministère des affaires étrangères, a présenté de grandes difficultés de fonctionnement pour les consulats, compte tenu de l'interopérabilité des bases qu'il consulte. Si Etias interroge les mêmes bases de données, les mêmes difficultés opérationnelles risquent de se poser dans un premier temps. C'est la raison pour laquelle je vous interrogeais sur e-Visa. L'expérience France-Visas montre que la Commission européenne n'avait pas encore mesuré les difficultés de mise en oeuvre du système lorsqu'elle l'avait proposé.

Mme Agnès Diallo. - Il faut faire preuve d'humilité. Ces systèmes ont des composantes techniques complexes, mais ils ont vocation à être utilisés par des agents opérationnels sur le terrain, dont ils changent grandement les pratiques professionnelles. J'observe la mise en oeuvre de systèmes depuis vingt ans, dont dix ans en tant que responsable ; je peux donc affirmer que tous les systèmes exigent une phase de rodage, au cours de laquelle le système est affiné, ajusté, enrichi de fonctionnalités proposées par les utilisateurs de terrain. En somme, cette phase permet un affinage de plus en plus précis entre la théorie et la pratique.

En résumé, la seule assurance que je puis vous donner est que la complexité de mise en oeuvre et les possibles incidences opérationnelles, notamment au cours des Jeux Olympiques et Paralympiques, sont bien prises en compte dans le déploiement du système.

Mme Amel Gacquerre. - Avons-nous, aujourd'hui, une idée du coût du dispositif Etias ? Combien coûtera-t-il au citoyen ?

Mme Agnès Diallo. - De la même manière qu'avec le système Esta, c'est le demandeur qui paie. Je ne saurais vous indiquer la tarification précise, elle doit figurer dans le règlement, mais, comme pour Esta, il y a une étape de paiement prévue dans le système.

M. Jean-François Rapin, président. - Le rapport de la Cour des comptes européenne avait précisé que les moyens de l'Agence étaient trop faibles par rapport à ses perspectives de croissance. Vos moyens seront-ils adaptés à vos besoins ?

Mme Agnès Diallo. - Le mandat de mise en oeuvre d'un système est associé à une enveloppe financière et à des ressources, c'est-à-dire des compétences techniques et transverses, pour les fonctions support. L'enveloppe est définie en fonction du périmètre.

M. Jean-François Rapin, président. - Donc pas d'inquiétudes pour vous ?

Mme Agnès Diallo. - On peut toujours faire mieux. D'ailleurs, dans son dialogue budgétaire annuel, l'agence discute des moyens, pour ajuster ces derniers aux nécessités identifiées. Cela a permis, par exemple, la constitution, l'année dernière, de l'équipe de cybersécurité que j'évoquais.

M. Jean-François Rapin, président. - L'équipe est transnationale ?

Mme Agnès Diallo. - Complètement. Tant à Strasbourg qu'à Tallinn, il y a une représentation de toutes les nationalités, avec un équilibre subtil.

M. Jean-Yves Leconte. - Permettez-moi d'insister sur la question des binationaux. Nombre de binationaux vivent dans des pays qui ne sont pas soumis à visa et n'ont pas de passeport européen. Dans le questionnaire à renseigner pour obtenir une autorisation via Etias, si une personne affirme avoir une nationalité européenne, la réponse sera-t-elle systématiquement négative pour elle ? Ou examinera-t-on tout de même son dossier sur le fondement de son autre passeport ? Cela peut avoir des répercussions pour des centaines de milliers de personnes.

Mme Agnès Diallo. - L'instruction du système Etias repose sur le mandat qui nous a été donné. Il est orienté vers les ressortissants des pays tiers. S'il s'agit d'un ressortissant européen, il est exempt de visa.

M. Jean-Yves Leconte. - Mais quid des personnes qui n'ont pas la capacité de prouver leur nationalité européenne ? Ils déclareront une nationalité européenne mais ne pourront montrer que leur passeport étranger, canadien par exemple. S'ils ne peuvent plus entrer avec ce passeport, il faut à tout le moins engager une campagne de communication importante pour les informer.

M. Didier Marie. - Ils peuvent avoir une carte d'identité.

Mme Agnès Diallo. - En effet. Il leur faut prouver leur identité.

M. Jean-Yves Leconte. - Mais l'obtention d'un document d'identité quand on est hors de l'Union européenne n'est pas simple. Les rendez-vous sont difficiles à obtenir, les consulats sont parfois situés à des milliers de kilomètres, etc. Les consulats ont été embouteillés lorsque priorité a été donnée aux arrivées en Europe pour raisons impérieuses. Nombre de binationaux ne pouvaient entrer en Europe, car ils n'avaient pas de motif impérieux. Depuis lors, ils demandent un passeport, mais les consulats sont au bord de l'embolie.

Mme Agnès Diallo. - Le système Etias ne change rien à cet égard.

M. Jean-Yves Leconte. - Mais il a un impact sur cette situation.

Mme Agnès Diallo. - Aujourd'hui, le citoyen binational qui se présente à une frontière Schengen doit prouver son identité. Cela ne changera pas. Le système Etias permettra de numériser le processus, mais l'accès au territoire sera le même qu'aujourd'hui. Si un binational est dans l'impossibilité de produire la preuve de sa nationalité européenne, il devra, comme aujourd'hui, faire la preuve de son autre nationalité et le garde-frontière devra déterminer si c'est un voyageur bona fide ou non. Etias n'ajoutera pas une difficulté, mais digitalisera le processus.

M. Jean-Yves Leconte. - J'avais compris de nos discussions avec la commissaire que le système Etias répondrait par la négative à une personne qui a la nationalité d'un État membre de l'Union européenne mais fait valoir son autre identité.

Mme Agnès Diallo. -Si c'est un ressortissant d'un pays tiers exempté de visa, comme aujourd'hui, comme avec Esta, la démarche sera la même.

M. Jean-Yves Leconte. - La difficulté concerne ceux qui ne renseigneraient pas correctement le formulaire au sujet de leur seconde nationalité.

Mme Agnès Diallo. - Je perçois la complexité, mais, pour le cas majoritaire, le ressortissant d'un pays tiers exempt de visa ne rencontrera pas d'opposition. Le système fluidifiera simplement les entrées, comme on l'a vu pour les États-Unis. Cela ne pose pas de problème pour la plupart des gens, mais cela permet de resserrer les mailles du filet dans les cas où il faut accentuer la sécurité.

M. Jean-François Rapin, président. - Je vous remercie, madame la directrice. Nous reviendrons vers vous au moment de l'installation du dispositif.

Mme Agnès Diallo. - Avec plaisir.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 25.