COMMISSION MIXTE PARITAIRE

Lundi 6 novembre 2023

- Présidence de Mme Dominique Estrosi Sassone, présidente de la commission des affaires économiques -

La réunion est ouverte à 18 h 00.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de la Première ministre, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation se réunit au Sénat le lundi 6 novembre 2023.

Elle procède tout d'abord à la désignation de son Bureau, constitué de Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente, de M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président, de Mme Anne-Catherine Loisier, sénatrice, rapporteure pour le Sénat, et de M. Alexis Izard, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.

La commission mixte paritaire procède ensuite à l'examen des dispositions restant en discussion.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Nous sommes réunis aujourd'hui dans un contexte particulier. Nous avons examiné, dans des délais contraints, un projet de loi préparé dans l'urgence, dont les conséquences sur nos industriels et sur les enseignes de la grande distribution seront quasiment immédiates ; elles sont même déjà en cours, certains industriels se préparant depuis déjà plusieurs semaines à l'envoi anticipé de leurs conditions générales de vente.

Ce n'est pas la première fois que nos deux assemblées travaillent ensemble sur le sujet des négociations commerciales. Depuis 2018, nous avons trouvé des compromis à trois reprises, sur les lois Egalim 1, 2 et 3. Aujourd'hui, vous serez d'accord avec moi pour constater la modeste ambition du projet de loi sur lequel nous devons trouver un compromis. Il porte une mesure unique, visant à avancer de quelques semaines les négociations commerciales de la grande distribution pour l'année 2024, au nom de la lutte contre l'inflation.

Je salue le travail des deux rapporteurs, Mme Anne-Catherine Loisier et M. Alexis Izard, qui ont cherché, dans un esprit constructif, à améliorer ce projet de loi.

À l'issue de la première lecture dans nos chambres respectives, des divergences persistent. Les rapporteurs nous diront s'ils ont trouvé des points d'accord. Quel que soit le résultat, leurs échanges constants démontrent, une nouvelle fois, la qualité du dialogue institutionnel entre nos deux assemblées. Ce dialogue de qualité se poursuivra, je n'en doute pas, dans le cadre de discussions plus poussées et plus ambitieuses pour l'examen d'une future réforme du cadre des négociations commerciales que le Gouvernement comme le Parlement appellent de leurs voeux.

Je rappelle qu'il ne peut y avoir d'accord partiel en commission mixte paritaire (CMP) ; l'accord final, que nous devons trouver, devra porter sur l'ensemble du texte.

M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président. - Le projet de loi que nous examinons ne correspond certes pas à une réforme globale et structurelle du cadre des régulations commerciales ; il ne vaut que pour cette année et n'avance les dates butoirs que de quelques semaines. Pour autant, il permettra aux consommateurs de bénéficier de la baisse de certains prix alimentaires constatée ces derniers temps. Par ailleurs, après le pic de 2022, la baisse d'un certain nombre d'intrants et de coûts de production devrait logiquement se répercuter sur les prix dans les supermarchés.

Tous les distributeurs ne tiennent pas le même discours, mais certains, parmi ceux que nous avons auditionnés, nous ont assuré de leur capacité à atteindre l'objectif de baisse de prix. En permettant aux consommateurs d'en bénéficier quelques semaines plus tôt, nous agissons en faveur du pouvoir d'achat.

Cependant, nous avons intérêt à viser une réforme plus ambitieuse du cadre des négociations. Si cela ne tenait qu'à moi, on aurait même déjà supprimé cette fameuse question des dates butoirs, en donnant aux acteurs économiques la possibilité de renégocier en cours d'année ; mais, ni les acteurs économiques ni les parties prenantes politiques ne semblent encore assez mûrs pour cette évolution.

La ministre a annoncé le lancement d'une mission gouvernementale associant députés et sénateurs sur le sujet ; espérons que cela aboutisse à une réforme plus ambitieuse, afin d'éviter de légiférer tous les six mois. En attendant, essayons d'obtenir un accord sur une réforme qui peut être bénéfique aux consommateurs.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Pour la quatrième fois en cinq ans, nous examinons un texte sur les négociations commerciales dans la grande distribution. Une fois n'est pas coutume, le texte propose une mesure unique : l'avancement des dates des négociations commerciales pour l'année 2024.

Nos deux assemblées ont cherché à améliorer le texte. Au Sénat, la protection des petites et moyennes entreprises (PME) et des entreprises de taille intermédiaire (ETI) a été notre principale préoccupation. À l'Assemblée nationale, le principe de négociation anticipée des plus petites entreprises a été inscrit dans la loi ; c'est un principe que nous avons conservé, et même renforcé, au Sénat.

Toutefois, des divergences persistent entre nos deux assemblées. Ainsi, nous n'avons pas trouvé de terrain d'entente concernant les modalités de différenciation. Selon nous, le seuil de différenciation - 350 millions d'euros de chiffre d'affaires à l'échelle du monde - garantit une véritable protection des PME et ETI dans nos territoires. Un tel seuil permettrait d'éviter que des filiales de grands groupes ne s'immiscent parmi les très petites entreprises (TPE) et les PME lors de la phase anticipée des négociations. Au Sénat, en cohérence avec le principe de différenciation, nous souhaitons que ces filiales de grands groupes négocient dans la phase secondaire, avec l'ensemble des grands groupes. À ce stade, les députés n'ont pas souhaité reprendre ce principe d'un chiffre d'affaires à l'échelle du monde.

Pour le Sénat, il s'agit d'un projet de loi à l'ambition modeste, et le Gouvernement ne dit d'ailleurs pas autre chose. Depuis le début, nous insistons sur le fait qu'il ne résout en rien les nombreux problèmes des négociations commerciales ; je pense notamment à la question des centrales d'achat basées à l'étranger, de plus en plus nombreuses ces derniers mois, alors même que, dans le cadre de la loi Egalim 3, nous avions réaffirmé la nécessité de soumettre à la loi française l'ensemble des produits commercialisés en France. Malheureusement, les dérives se poursuivent. Avec ce projet de loi, nous ne légiférons que pour une part finalement limitée des produits commercialisés dans nos magasins.

Un autre sujet nous tient à coeur, celui de la transparence. Nous légiférons à l'aveugle, sans avoir de chiffres précis sur l'impact des dispositions. Les marges des industriels comme celles des distributeurs sont encore insuffisamment connues de nos assemblées. À ce titre, nous attendons avec impatience le rapport promis sur le seuil de revente à perte.

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Au moment de l'augmentation spectaculaire du coût des matières premières, nous avons su faire avancer les négociations avec la grande distribution pour obtenir une hausse des prix. Aujourd'hui, alors que nous observons une baisse du coût de ces matières premières - moins 30 % pour le blé, une baisse également importante pour le café et d'autres produits encore -, nos concitoyens peuvent légitimement se demander pourquoi cette baisse ne se répercute pas sur les prix dans les grandes surfaces. Aussi, avec ce projet de loi, nous proposons d'avancer les dates de négociation entre les fournisseurs et la grande distribution.

Initialement, l'accent était mis sur les grandes entreprises françaises ; dans la mesure où leurs marges augmentaient, il leur revenait de rendre les prix plus accessibles pour nos concitoyens. Après les différentes auditions, il est apparu injuste de permettre aux grands groupes de négocier avant nos plus petites entreprises. Comme dates butoirs des négociations, l'Assemblée nationale a donc fixé le 31 décembre pour les plus petites entreprises qui en ont l'habitude, et le 15 janvier pour les autres. À titre personnel, j'avais défendu le principe d'une date unique, avec une convention pour les PME afin qu'elles puissent négocier plus tôt.

De son côté, le Sénat a souhaité une différenciation plus tardive, en proposant les dates du 15 et du 31 janvier, afin de laisser plus de temps à nos entreprises pour négocier.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Il s'agit aussi d'éviter des négociations compliquées pendant la période des fêtes de fin d'année.

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Notre objectif, je le rappelle, est de proposer des mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation. Avec la rapporteure du Sénat, nous nous sommes entendus sur les dates du 15 et du 31 janvier.

Ensuite, s'est posée la question du seuil. L'Assemblée nationale s'est prononcée en faveur d'un chiffre d'affaires par entité juridique, alors que le Sénat privilégie un chiffre d'affaires à l'échelle du monde. Le risque, si l'on raisonne à l'échelle du monde, est que certaines PME - notamment celles qui ont fait entrer un groupe international dans leur capital - se retrouvent dans la même catégorie que les grands groupes.

J'ai proposé un chiffre d'affaires de 350 millions d'euros par entité, ce qui exclut les 44 plus grands groupes français du dispositif. Ainsi, les PME qui en ont l'habitude pourront négocier jusqu'au 31 décembre, les PME et les ETI jusqu'au 15 janvier, et les grands groupes jusqu'au 31 janvier. Cette position est en contradiction avec celle du Sénat ; nous aurons l'occasion d'en débattre.

Le Sénat a demandé des dates différenciées - 15 novembre et 1er décembre - pour l'envoi des conditions générales de vente, tandis que la position de l'Assemblée nationale s'attache surtout à la dimension d'urgence. Sur ce point, nous avons des possibilités d'accord.

Le Sénat a souhaité exclure les entreprises d'outre-mer du champ d'application ; nous nous sommes mis d'accord de manière à permettre aux entreprises d'outre-mer de négocier selon leurs habitudes. Nous avons également exclu les pharmacies du champ d'application.

Enfin, le Sénat a souhaité multiplier par cinq les sanctions en cas de non-respect des dates limites de négociations. Cette amende vient d'être augmentée dans le cadre de la loi Descrozaille. À titre personnel, je suis défavorable à l'idée d'augmenter une sanction qui n'aurait aucune incidence, dans la mesure où il s'agit d'une loi d'urgence et d'exception et que cette augmentation interviendrait trop tardivement.

Nos discussions mériteraient de s'inscrire dans un cadre plus large. La mission proposée par la ministre doit permettre de réexaminer l'intégralité des négociations commerciales.

Mme Anne-Laure Babault, députée. - Madame Loisier, s'agit-il de chiffres d'affaires combinés et consolidés à l'échelle du monde ?

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Nous prenons en compte l'ensemble des filiales au niveau mondial.

Mme Anne-Laure Babault, députée. - Cela aurait pu concerner les chiffres d'affaires consolidés à l'échelle de la France...

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Précisément, cela ne répondrait pas au problème et ferait rentrer dans la négociation anticipée un certain nombre de grandes multinationales et leurs filiales.

Mme Aurélie Trouvé, députée. - La France insoumise, ainsi que d'autres groupes parlementaires, a voté contre ce texte. Non seulement il ne s'agit pas d'une réforme majeure, mais celle-ci risque même d'accélérer la hausse des prix ; cela a été précisé dans beaucoup d'auditions, ainsi que par de nombreux dirigeants de la grande distribution. Beaucoup d'experts, notamment ceux de l'Institut Nielsen, s'attendent plutôt à une anticipation de la hausse des prix, dans la mesure où les coûts de production ne baissent pas, les prix de l'énergie demeurent élevés, et les marges ne sont encadrées par aucun mécanisme. Cela ne nous empêche pas d'appuyer l'amendement d'exemption concernant les entreprises d'outre-mer, ainsi que l'amendement proposé par le Sénat concernant le chiffre d'affaires consolidé à l'échelle du monde, car cela permet au moins de protéger les TPE et les PME.

Je remarque qu'un certain nombre de sénateurs sont allés dans notre sens, en se montrant sceptiques sur les conséquences de ce projet de loi.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Au Sénat, le scepticisme est partagé par tous : ce projet de loi est peu ambitieux et ses conséquences incertaines.

M. Franck Montaugé, sénateur. - Sans anticiper le résultat des travaux du groupe de travail annoncé par Mme la ministre, on débat depuis des années sur la formation et la répartition de la valeur depuis l'agriculteur jusqu'au consommateur. Tant que l'on ne mettra pas en évidence les mécanismes de production et de répartition, la situation restera opaque, en particulier pour le consommateur.

De plus, si l'on ne revient pas sur certains principes cardinaux de la loi de modernisation de l'économie de 2008, on ne parviendra pas à travailler dans l'intérêt du consommateur. Le groupe socialiste en est convaincu, de sorte qu'il a choisi de s'abstenir sur ce texte et qu'il devrait maintenir cette position à l'issue de ces discussions.

M. Jérôme Nury, député. - Ce texte ne révolutionnera pas le pouvoir d'achat des Français et je le regrette. Toutefois, il ne faudrait pas qu'il ait pour effet de contraindre les PME. Nous sommes très attachés au principe de différenciation qui contribuera à les protéger. Il est donc essentiel de fixer dans ce texte le seuil de 350 millions d'euros de chiffre d'affaires, qui fera référence ultérieurement lorsqu'il s'agira de définir ce qu'est une PME ou une ETI.

Mieux vaut que la rédaction du Sénat soit redondante et que le mot « monde » y figure. Nous ferions ainsi preuve de prudence en protégeant les PME et les ETI, ce que nous souhaitons tous.

Mme Antoinette Guhl, sénatrice. - Le groupe écologiste a voté contre ce texte qu'on ne peut même pas qualifier de « rustine » contre l'inflation, car ce serait encore trop flatteur : il n'y a pas la trace d'une mesure efficace.

L'encadrement des marges, voilà ce qu'il aurait fallu porter ! Les produits sous signe d'identification de la qualité et de l'origine (SIQO) bénéficient d'un taux de marge pour les distributeurs nettement plus important que les produits conventionnels. Nous ne pouvons que le regretter en tant qu'élus des territoires. Malheureusement, l'amendement que j'avais déposé sur ce sujet a été déclaré irrecevable.

Toutefois, nous avons tout intérêt à maintenir la différenciation entre les petites et les grandes entreprises et à conserver une rédaction qui mentionne le chiffre d'affaires « consolidé monde ». Peut-être faudrait-il spécifier le pourcentage de ce chiffre d'affaires dans le capital du groupe auquel l'entreprise est affiliée ? C'est un point qu'il reste à préciser, car on ne peut pas comparer le fonctionnement de deux PME réalisant 100 millions d'euros de chiffre d'affaires, mais dont l'une travaille seule et l'autre est affiliée à un grand groupe. En différenciant leur situation, nous donnerions davantage de linéaire à nos petites entreprises dans les grandes surfaces. Le texte pourrait ainsi présenter une avancée intéressante.

M. Dominique Potier, député. - Tant qu'il n'y aura pas d'encadrement des marges, ce texte n'aura qu'une portée limitée.

Je soutiens l'amendement de la rapporteure pour le Sénat, qui vise à prévenir le risque que représente pour nos PME la concurrence des filiales des multinationales. Il faut lever ce risque, qui serait une absurdité totale.

Certains amendements du groupe socialiste visaient les outre-mer, hors La Réunion. Monsieur le rapporteur, ont-ils été pris en compte dans votre proposition de compromis ?

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Le Sénat souhaitait exclure les collectivités des outre-mer du dispositif. Nous proposons de préciser la rédaction, en excluant les distributeurs établis dans les territoires ultramarins, afin qu'ils ne soient pas soumis aux dates de négociations anticipées pour les produits commercialisés dans les outre-mer. En revanche, les entreprises établies dans les outre-mer négocieront de manière anticipée si leurs produits ne sont pas commercialisés dans les territoires d'outre-mer.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Nous sommes tous d'accord sur la nécessité d'inclure dans la loi un principe de différenciation selon la taille des entreprises. Il reste à fixer le curseur pour préciser l'exercice de ce principe dans les phases de négociation.

EXAMEN DES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION

Article 1er

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Le Sénat a souhaité préciser que le texte s'appliquait à tout distributeur exerçant une activité de commerce de détail à prédominance alimentaire. Il précisait également dans le deuxième alinéa qu'il s'appliquait aussi aux pharmacies, de manière à éviter qu'elles ne perdent un avantage comparatif sur certains produits comme les compléments alimentaires.

Dans la mesure où l'article 1er vise surtout la grande distribution, la proposition de rédaction n° 1 a notamment pour objet de retirer la mention des pharmacies d'officine, en supprimant ce deuxième alinéa.

Mme Anne-Laure Babault, députée. - Certaines marques, notamment de produits cosmétiques, sont commercialisées en pharmacie et en parapharmacie. La différenciation s'exercera-t-elle ?

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Rien n'empêchera les acteurs concernés de négocier plus tôt s'ils ont besoin de le faire.

La proposition commune de rédaction n° 1 des rapporteurs est adoptée.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - La proposition de rédaction n° 2 vise à reporter les dates limites d'envoi des conditions générales de vente (CGV) envisagées initialement, pour pallier un risque juridique. Elles seront fixées au 21 novembre et au 5 décembre, compte tenu du parcours législatif de ce texte dont la date de promulgation interviendra probablement mi-novembre voire après.

La proposition commune de rédaction n° 2 des rapporteurs est adoptée.

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition de rédaction n° 3 vise à préciser la rédaction pour exclure les distributeurs des outre-mer, et non pas toutes les entreprises, du dispositif.

La proposition commune de rédaction n° 3 des rapporteurs est adoptée.

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous ne parvenons pas à trouver d'accord sur le critère du seuil de chiffre d'affaires pour déterminer le principe de différenciation. La proposition de rédaction n° 4 vise à supprimer les mots « consolidé ou combiné » pour se concentrer sur les entités. Il s'agit ainsi de clarifier la rédaction et d'éviter qu'une petite entreprise, dont une partie minoritaire du capital est détenue par un grand groupe, ne soit amenée à négocier avec d'autres grands groupes, dans des conditions désavantageuses pour elle.

En retenant un seuil de chiffre d'affaires fixé à 350 millions d'euros par entité, le texte permettrait d'exclure du dispositif les 44 plus grands groupes - soit un peu moins de 150 entreprises -, qui continueraient de négocier au 31 janvier, de respecter la notion de différenciation souhaitée par le Sénat et de garantir la baisse des prix sur une quantité de produits la plus large possible dans la plupart des rayons.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Nous n'avons pas trouvé de terrain d'entente sur ce sujet. Appliquer le seuil selon un critère par entreprise reviendrait à faire bénéficier du dispositif anticipé un certain nombre de grands groupes et de multinationales.

En outre, alors que dans le projet de loi initial 75 grands groupes étaient concernés, ils ne sont plus que 4. Est-ce à dire que 30 grands groupes basculeraient dans la phase de négociation anticipée dédiée aux PME ? Nous manquons d'information et faute d'éléments suffisants, nous voulons surtout nous assurer que les grands groupes et les multinationales ne bénéficieront pas de la période de négociation anticipée.

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Ce point est crucial. Le seul fait qu'il soit difficile de déterminer quelles entreprises sont concernées par le dispositif justifie que l'on abandonne le critère du seuil de chiffre d'affaires consolidé pour privilégier un raisonnement par entité. Il est problématique que la personne chargée du contrôle ne soit pas capable de déterminer quelles entreprises sont concernées par les négociations anticipées. Le chiffre d'affaires par entité est très simple à établir à partir d'une liasse fiscale.

M. Jérôme Nury, député. - L'exposé des motifs mentionne que le seuil a été proposé par les deux rapporteurs.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Il s'agissait d'une première écriture optimiste...

M. Jérôme Nury, député. - L'Assemblée nationale s'est clairement prononcée en faveur du principe de différenciation, pour avantager les PME. À l'échelle de la France, il est évident que de nombreuses multinationales risquent de contourner le dispositif. Par exemple, il suffirait que l'entreprise Coca-Cola déclare un chiffre d'affaires - hypothétique -de 340 millions d'euros en France, quand il serait bien supérieur ailleurs, pour pouvoir bénéficier des négociations anticipées. En revanche, une entreprise normande qui serait forte d'un chiffre d'affaires de 360 millions d'euros, ne le pourrait pas. C'est absurde.

Il faut revenir à la rédaction du Sénat qui protège davantage les PME. L'enjeu est essentiel pour la suite. Je ne comprends pas la position du rapporteur de l'Assemblée nationale, d'autant qu'elle porte comme autre effet délétère d'encourager des délocalisations.

Mme Anne-Laure Babault, députée. - Plus une entreprise aura une structure juridique éclatée, plus elle pourra contourner le dispositif. L'entreprise vendéenne Sodebo, par exemple, a un chiffre d'affaires de plus de 350 millions d'euros de sorte qu'elle négociera au 31 janvier. Or, ses concurrents, qui sont pourtant principalement des marques détenues par le groupe Nestlé, négocieraient au 15 janvier. Il est clair que les PME ne sont pas suffisamment protégées.

Le principe de différenciation est le seul moyen de donner du poids au texte.

M. Frédéric Descrozaille, député. - Je me félicite de l'esprit positif qui préside à nos travaux.

Il faut rappeler l'objet de nos discussions, à savoir le contrôle que doivent opérer les services de l'État dans un délai de quinze jours. M. Izard mentionne l'insistance de ces services, qui mettent en garde contre la difficulté qu'ils auront à exercer ce contrôle si l'on raisonne par groupe consolidé plutôt que par entité.

En outre, nous pourrions envisager d'abaisser le seuil du chiffre d'affaires si nous choisissons de raisonner par entité, ce qui permettrait d'avantager les PME. Gardons à l'esprit que le contrôle doit se faire en quinze jours.

M. Christian Redon-Sarrazy, sénateur. - Je suis agacé par l'argument selon lequel on ne fera pas parce que l'on ne sait pas faire. Si nous souhaitons instaurer ce seuil, il faut organiser le dispositif dans cet objectif. À quoi servent les cadres financiers et les auditeurs que rémunèrent les groupes si l'on ne peut même pas connaître le chiffre d'affaires de leurs filiales ?

M. Vincent Louault, sénateur. - Nous ne pouvons pas faire fi du principe de réalité. Le groupe Tereos détient 100 filiales. Pour connaître l'architecture des filiales, il faut que les grands groupes déposent leurs comptes annuellement. Or, certains ne le font pas, dont Lactalis, qui préfère payer une amende plutôt que de respecter la loi.

Je comprends la position de M. Izard. Il ne nous reste qu'à abaisser le seuil de 350 millions d'euros pour résoudre la question. Obtenir le chiffre d'affaires des filiales et leur pourcentage dans le groupe reste très difficile : il m'a fallu trois semaines pour reconstituer l'architecture du groupe Tereos.

Mme Aurélie Trouvé, députée. - L'amendement de la rapporteure du Sénat me semble utile et nécessaire. Nous considérons que ce texte risque d'être voté au détriment des consommateurs et d'accélérer la hausse des prix ; il serait bon qu'il puisse au moins servir à protéger les PME françaises. La charge de la preuve est pour vous : montrez-nous qu'il ne pénalisera pas les PME françaises.

Il existe toute une palanquée de hauts fonctionnaires compétents pour nous fournir les données nécessaires et faire primer l'intérêt des PME.

Mme Anne Chain-Larché, sénatrice. - Sans porter atteinte au travail des rapporteurs, je souhaite rappeler que ce texte n'a pour ambition que l'année 2024. Il ne présente donc pas de risque très important, hormis celui de fragiliser nos entreprises. Le principe de différenciation doit être respecté, car il est dans la veine prudente du Sénat.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - La validité du texte n'excède pas un an, de sorte qu'il peut avoir valeur d'expérimentation, ne serait-ce que pour le seuil de différenciation.

M. Pierre Cazeneuve, député. - Je suis d'accord sur ce point : nous pourrons constater sur le terrain si le principe de différenciation favorise la protection des petites entreprises en leur garantissant de meilleures négociations.

Nous faisons tous de la politique dans les territoires et il n'y a pas, d'un côté, ceux qui soutiennent les multinationales, et, de l'autre, les partisans des PME et des ETI. Évitons les mauvais procès.

Je reste sceptique sur le seuil tel qu'il a été fixé, car quand bien même les hauts fonctionnaires sont parfaitement compétents, encore faudrait-il que les données soient accessibles.

En outre, le dispositif n'est pas exempt d'effets de bord. Comment l'appliquer par exemple dans le cas d'un groupe qui produit de l'alimentaire, mais relève aussi d'un autre secteur ?

Autre cas qui pourrait donner lieu à un effet de bord : la petite entreprise Meuh Cola, dans l'Orne, qui détient un chiffre d'affaires de 50 millions d'euros, a suscité l'intérêt d'un fonds de pension américain. Alors que l'entreprise fonctionne indépendamment, selon une structure juridique et un pilotage qui lui sont particuliers, dès lors qu'elle sera intégrée à un grand groupe, elle se retrouvera noyée par rapport à des entreprises de plus grande taille comme Coca-Cola.

Mieux vaut rester prudent si l'on ne peut pas garantir avec certitude l'absence d'effet de bord de ce texte.

Mme Delphine Batho, députée. - Je veux souligner le manque de transparence de Bercy, qui ne répond pas aux questions des parlementaires. À aucun moment du débat à l'Assemblée nationale, nous n'avons pu obtenir la liste des 5 000 produits sur lesquels les prix sont censés être bloqués ou en diminution. De la même façon, j'entends que Mme la rapporteure pour le Sénat a demandé un certain nombre de précisions, qui n'ont pas été transmises. Bercy est le ministère le plus puissant en France. Il a les moyens d'obtenir les informations qu'il souhaite avoir !

Il n'y a pas de raison technique, surtout compte tenu de la durée d'application du texte, de ne pas retenir la proposition de rédaction du Sénat, qui correspond à l'intention du législateur d'éviter que les dispositions qui seront mises en place ne fassent subir aux PME et aux ETI une nouvelle forme de concurrence déloyale aggravée.

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je crois que la notion de chiffre d'affaires par entité est une solution claire, qui répond à un certain nombre de craintes que ce texte peut susciter. En particulier, fixer un seuil trop haut reviendrait en quelque sorte à revenir sur la différenciation.

Une proposition de compromis pourrait effectivement consister à rabaisser ce seuil par entité à 150 millions d'euros, ce qui correspond aux 70 plus gros fournisseurs, contre 44 fournisseurs si le seuil est fixé à 350 millions d'euros. Cela est conforme à l'esprit initial du texte.

Ce compromis apporterait un peu d'éclaircissement au texte, sans changer véritablement les ambitions du Sénat.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Vous ne pouvez dire que cela ne changerait pas les ambitions du Sénat. Nous sommes attachés au seuil de 350 millions d'euros.

Je veux revenir sur l'exemple d'une PME qui accepte un investissement venant d'un groupe étranger : pour raisonner en termes de groupe, il faut véritablement que le groupe ait le contrôle total de la PME. Ce cas de figure ne correspond pas du tout aux exemples qui ont été cités.

M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président. - Mettons les choses à plat. Nous sommes sur un projet de loi one shot, qui vaut uniquement pour 2024. Je rejoins Mme Chain-Larché : nous ne prenons pas un énorme risque, ni dans un sens ni dans un autre, en avançant de quatre à six semaines des négociations commerciales entre les acteurs. Cela n'a rien d'une révolution.

Cela dit, il y a des choses que l'on sait, et d'autres que l'on ne sait pas. À cet égard, je comprends la position du rapporteur pour l'Assemblée nationale : nous savons calculer qui est concerné par un chiffre d'affaires à l'échelle de l'établissement - on trouve toutes les données fiscales nécessaires sur le site www.societe.com. Bercy est, de ce point de vue, assez transparent. Le ministère nous a dit que 92 entreprises seraient concernées si le seuil est fixé à 50 millions d'euros, 70 s'il est à 150 millions d'euros, et 44 s'il est à 350 millions d'euros. On sait donc calculer qui est concerné.

Or, dès que l'on envisage la structure capitalistique à l'échelle monde - je rejoins Vincent Louault -, on entre parfois dans une complexité sans nom. Certaines PME françaises ayant ouvert leur capital peuvent avoir des investisseurs français ou étrangers, dont tous, d'ailleurs, ne sont pas dans l'agroalimentaire. Certains peuvent être majoritaires et d'autres minoritaires. Certains peuvent être des conglomérats, des investisseurs institutionnels...

Je veux être certain que, si l'on raisonne à l'échelle monde, l'on sache qui est concerné et que les contrôles puissent être opérés sans contestation. Il faut éviter de retenir un dispositif qui, in fine, créerait du contentieux entre les acteurs et de la complexité pour les entreprises.

Par exemple, le confiseur Violier, à Pégomas, PME qui réalise 4,4 millions d'euros de chiffre d'affaires, a, parmi ses investisseurs, MV Holding, dont je ne connais rien des activités internationales. J'ignore si cette société n'a pas un énorme chiffre d'affaires...

Il faut se mettre à la place de celui qui contrôle. Dispose-t-il des données pour le faire ?

Il importe de clarifier, dans la loi, de qui l'on parle quand on parle d'un groupe. L'interprétation du texte ne doit laisser place à aucun doute. Au-delà du contrôleur de Bercy, il faut que les acteurs économiques eux-mêmes soient capables de savoir s'ils sont concernés ou non. Sinon, ils ne s'approprieront pas notre loi !

Je ne suis pas dogmatique, surtout sur un projet de loi qui, comme je le disais, fait courir un risque minime. Cela dit, tâchons de faire une loi qui soit claire pour les acteurs économiques !

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Nous faisons référence dans notre texte à un article de code de commerce relatif aux comptes consolidés qui prévoit d'ores et déjà que « le contrôle exclusif par une société résulte : soit de la détention directe ou indirecte de la majorité des droits de vote dans une autre entreprise ; soit de la désignation, pendant deux exercices successifs, de la majorité des membres des organes d'administration, de direction ou de surveillance d'une autre entreprise. » Les choses sont claires.

En outre, le chiffre d'affaires consolidé et combiné qu'évoque le texte voté par le Sénat est une catégorie juridique stabilisée. Ce n'est pas une invention. Cette notion prévu par le code de commerce est également utilisée par le Conseil national de la comptabilité. Un certain nombre de garanties et de sécurités juridiques font donc tomber les arguments du rapporteur pour l'Assemblée nationale et du vice-président de notre CMP.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Faut-il restreindre le périmètre à l'agroalimentaire ? Non, car cela impacterait un certain nombre d'entreprises non alimentaires. Le projet de loi concerne les produits de grande consommation et non pas seulement les produits alimentaires.

La période d'expérimentation nous permettra de cerner les limites du dispositif.

Quoi qu'il en soit, il me semble plus prudent que nous nous dotions d'un dispositif qui préserve les entreprises françaises en tout cas de figure. C'est la colonne vertébrale de notre schéma.

Nos entreprises se retrouveront alors dans une phase de négociation qui leur sera favorable. Il ne faudrait pas qu'elles pâtissent de la concurrence avec des groupes qui bénéficient de toute la logistique et de l'appui de multinationales. Ne nous tirons pas une balle dans le pied ! Les entreprises françaises d'abord.

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La notion de consolidation n'est pas si simple.

On le voit, par exemple, sur l'obtention de subventions : le périmètre consolidé risque de faire passer dans la catégorie des grandes entreprises les PME ou les ETI qui ont eu le malheur de faire entrer dans leur capital un fonds d'investissement ou un grand groupe industriel, en lien ou non avec leur activité, même si celui-ci n'en détient que 15 ou 20 %. N'étant plus considérées comme une PME au sens européen, elles sont alors empêchées de toucher les subventions qu'elles demandent.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - C'est la même logique qui nous anime.Ces entreprises bénéficient d'une logistique et d'un appui. Au reste, je rappelle que leur situation sera traitée quinze jours plus tard...

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Le fonds d'investissement ne fait que demander un taux de rentabilité interne (TRI). Il n'apporte pas de soutien pour négocier les relations commerciales.

Mme Anne-Laure Babault, députée. - Je rappelle que la proposition des députés se fondait sur le seuil de 350 millions d'euros monde, parce que c'est la définition que retient une directive européenne.

L'objectif de nos échanges est de rééquilibrer les négociations et de donner un peu plus de pouvoirs et de poids aux PME. Or les sociétés rattachées à des filiales bénéficient de la puissance de négociation et de la logistique du groupe.

M. Vincent Louault, sénateur. - Excusez-moi d'insister, mais la difficulté en droit des sociétés, ce sont les mères et les filles !

Par exemple, Lu, qui vend à Leclerc, a des filiales qui vendent parfois à l'étranger. Or Lu peut être la fille d'une autre société mère ! La consolidation est donc vraiment compliquée.

Le flou risque, demain, de créer des contentieux, y compris dans le cadre d'une expérimentation, qui, à titre personnel, me met mal à l'aise.

M. Olivier Rietmann, sénateur. - J'ai l'impression que l'on me fait des démonstrations par l'absurde. La proposition du Sénat et de certains députés couvre l'immense majorité des cas, mais on nous dit qu'il ne faut pas aller dans ce sens, parce que les fonctionnaires de Bercy risquent, une fois ou deux, sur la totalité des négociations, de rencontrer un mouton à cinq pattes...

Cette façon de légiférer pose aujourd'hui de grandes difficultés aux entreprises de notre pays. Le jusqu'au-boutisme du législateur et, surtout, de la haute administration, qui veulent border les choses à l'extrême, conduit à une telle complexification que personne ne parvient à prouver qu'ils ont raison ou tort. Cette complexité coûte 60 milliards d'euros à la France par an.

Travaillons dans les grandes largeurs, et suivons la position défendue par le Sénat.

M. Pierre Cazeneuve, député. - On ne saurait nous faire un procès en complexité ! Notre proposition est limpide. Elle s'appuie sur des données connues et disponibles sur internet.

En regard, on nous propose une solution qui nécessite d'en passer par une consolidation. Ma crainte, avec ce genre de seuils, est qu'un certain nombre de grands cabinets d'avocats fiscalistes ne créent des sociétés-écrans. Je pense très sincèrement que cela va créer du contentieux.

Notre but, aujourd'hui, est le même : protéger nos PME et nos ETI. Mais, pour ma part, je me méfie des truands, qui, malheureusement, sont toujours plus malins que nous.

Mme Anne-Laure Babault, députée. - Je ne dis pas que cela me convient, mais l'option par société avec un abaissement du seuil est peut-être le compromis qui permettra que la CMP soit conclusive.

M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président. - Faut-il abaisser le seuil ou garder un seuil unique à 350 millions ? Je ne suis pas dogmatique sur ce point. J'aimerais juste que l'on sorte de cette CMP avec un dispositif clair, qui permette de savoir qui est concerné et qui ne l'est pas.

Apportons les précisions nécessaires pour ne pas mettre des acteurs économiques en difficulté, parce que l'on aurait nous-mêmes créé de la complexité.

La réunion, suspendue à 19 h 15, est reprise à 20 h 20.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Je laisse M. le rapporteur pour l'Assemblée nationale nous présenter la proposition commune de rédaction des rapporteurs n° 4 bis.

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Il s'agit d'un amendement de précision, qui complète la proposition du Sénat de porter le seuil à 350 millions d'euros de chiffre d'affaires consolidé.

Il vise à préciser ce seuil en renvoyant à l'article L. 233-16 de code de commerce, ce qui apportera un éclaircissement aux fournisseurs.

M. Jérôme Nury, député. - À l'échelle monde ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Oui, comme le Sénat l'a prévu.

Mme Anne-Catherine Loisier, rapporteure pour le Sénat. - Il s'agit de préciser ce que l'on entend par « consolidé ».

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Le sujet n'était pas simple, raison pour laquelle nous avons eu besoin de temps.

Nous aboutissons là à une solution claire, qui permet de rendre la loi intelligible. Les entreprises sauront si elles sont concernées ou non.

La proposition commune de rédaction n° 4 bis des rapporteurs est adoptée à l'unanimité.

M. Alexis Izard, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - La proposition de rédaction n° 5 vise à revenir aux sanctions votées dans la loi Descrozaille voilà quelques mois. Restons cohérents, et ne jouons pas à la surenchère en multipliant par cinq - pour cette année seulement de surcroît, avec un retour à la normale l'année prochaine - le montant de l'amende qui frappera nos entreprises qui auront le malheur de ne pas avoir compris les différents seuils que nous avons votés.

Je propose de rétablir l'amende à 1 million d'euros, ce qui est déjà un beau montant.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Nous maintenons la position du Sénat, sachant bien évidemment qu'il ne s'agit que d'un plafond, et qu'il appartient à la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) de statuer.

M. Guillaume Kasbarian, député, vice-président. - Je soutiens bien évidemment l'argumentaire de M. le rapporteur pour l'Assemblée nationale. Multiplier par cinq une pénalité qui ne s'appliquera que cette année, pour ensuite la rediviser par cinq l'année prochaine nous paraît quelque peu baroque !

Cela dit, nous avons compris que certains sénateurs y tenaient beaucoup. Dans notre grande volonté de coconstruction avec le Sénat, nous retirons l'amendement.

Mme Dominique Estrosi Sassone, sénateur, présidente. - Ce point pourra également être évoqué dans le cadre du groupe de travail que Mme la ministre déléguée Olivia Grégoire souhaite mettre en place.

La proposition de rédaction n°5  est retirée.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion du projet de loi portant mesures d'urgence pour lutter contre l'inflation concernant les produits de grande consommation.

La réunion est close à 20 h 25.

Mercredi 8 novembre 2023

- Présidence de Mme Aude Luquet, députée, présidente -

La réunion est ouverte à 19 h 30.

Commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et à la demande de Mme la Première ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains s'est réunie à l'Assemblée nationale le mercredi 8 novembre 2023.

Elle a procédé à la désignation de son bureau, qui a été ainsi constitué :

- Mme Aude Luquet, députée, présidente ;

- M. Jean-François Longeot, sénateur, vice-président ;

- M. Jean-Marc Zulesi, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale ;

- M. Philippe Tabarot, sénateur, rapporteur pour le Sénat.

Mme Aude Luquet, députée, présidente. - Je souhaite la bienvenue à nos collègues sénateurs pour cette commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains.

Je salue tout d'abord le travail mené par les députés et les sénateurs sur ce texte dont nous mesurons tous l'importance, puisqu'il s'agit d'améliorer concrètement la vie quotidienne de millions de nos concitoyens, avec la mise en oeuvre des services express régionaux métropolitains, les Serm.

Nous partageons tous le même objectif en la matière. Je salue l'initiative du président Jean-Marc Zulesi : en élargissant le champ des compétences de la Société du Grand Paris, devenue Société des grands projets (SGP), la proposition de loi devrait permettre d'agir sur plusieurs fronts.

Il s'agit d'abord de renforcer la décarbonation des transports du quotidien, alors qu'un tiers de nos émissions de gaz à effet de serre est lié à nos déplacements et que le recours à la voiture individuelle est souvent contraint, en raison de l'absence ou de l'insuffisance de solutions alternatives.

Ensuite, la proposition de loi permettra de rééquilibrer l'aménagement de notre territoire par des solutions de desserte afin de lutter à la fois contre l'enclavement de certains territoires et contre la congestion d'espaces urbains proches de l'asphyxie.

Enfin, le texte offrira, par l'expertise de la SGP, une capacité d'ingénierie précieuse pour les collectivités locales.

Les débats, qu'ils se soient tenus à l'Assemblée nationale ou au Sénat, ont été très constructifs. Le même état d'esprit a prévalu dans les échanges entre les deux rapporteurs, dans la perspective de cette commission mixte paritaire.

M. Jean-François Longeot, sénateur, vice-président. - Je vous remercie de nous accueillir à l'Assemblée nationale pour cette réunion de commission mixte paritaire, chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains.

Au Sénat, après des discussions nourries, en commission puis en séance publique, le texte a été adopté de façon transpartisane. Je salue à cet égard l'esprit de dialogue et d'ouverture du rapporteur au Sénat, Philippe Tabarot.

L'examen du texte à l'Assemblée nationale puis au Sénat aura permis de l'enrichir, au service de l'accélération des projets de Serm, au bénéfice de tous nos territoires. Si quelques points de divergence sont apparus au cours de la navette, les échanges constructifs et intenses entre les rapporteurs ces derniers jours devraient permettre d'aboutir à un texte équilibré qui conserve de nombreux apports des deux chambres, ce dont je ne peux que me réjouir.

La proposition de loi constitue une première étape indispensable au déploiement rapide des services de transport collectif dans nos territoires et au désenclavement de ces derniers. Je tiens à en remercier son auteur et rapporteur, Jean-Marc Zulesi.

Le texte ne résout toutefois pas l'épineux problème du financement de ces infrastructures et de leur exploitation, question à laquelle le projet de loi de finances pour 2024 ne répond que partiellement. Je forme le voeu que la conférence nationale de financement prévue à l'article 3 quater de la proposition de loi permette rapidement d'identifier les modèles de financement de chacun des Serm, avec à la clé de nouvelles sources de financement pour les autorités organisatrices de la mobilité.

M. Jean-Marc Zulesi, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je salue la qualité des travaux du Sénat sur la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains, qui nous réunit ce soir. Je me réjouis également du travail particulièrement constructif mené avec le rapporteur Philippe Tabarot ces derniers jours, qui nous permettra, je l'espère, d'aboutir à une commission mixte paritaire (CMP) conclusive.

La proposition de loi comportait à l'origine six articles ; elle en compte désormais vingt-cinq. Les travaux de nos deux assemblées ont donc permis d'enrichir considérablement le texte initial, pour aboutir à une proposition de loi ambitieuse.

À l'Assemblée nationale, a été mené un travail consensuel, transpartisan : nous avons souhaité compléter la définition des services express régionaux métropolitains, grâce à l'adoption de nombreux amendements. Ainsi, les Serm peuvent désormais comporter un service de transport fluvial ou de transport guidé, ainsi que des gares et des pôles d'échange multimodaux.

Des amendements des députés écologistes ont été adoptés afin d'introduire dans cette définition un objectif de diminution de la pollution de l'air et de lutte contre l'autosolisme. Nos collègues du groupe LIOT ont aussi fait adopter un amendement prévoyant que la SGP pourra être désignée maître d'ouvrage, à la demande des collectivités territoriales. Enfin, nous avons avancé ensemble vers une idée chère à la majorité, le titre unique de transport.

Le Sénat a fourni un travail considérable, dont je tiens à saluer la qualité. La définition des Serm a été enrichie grâce à l'ajout des réseaux cyclables ainsi que des services de covoiturage et d'autopartage. L'accessibilité des personnes en situation de handicap a été renforcée. La Chambre haute a aussi élargi la composition des comités des partenaires institués par la loi d'orientation des mobilités (LOM), et renforcé la consultation, en particulier des élus locaux. Elle a également adopté une série de mesures de simplification et d'accélération des procédures tout à fait bienvenues, que nous avons souhaité maintenir en les améliorant.

Quelques dispositions ont fait l'objet de compromis entre les deux chambres.

Nous souhaitons réaffirmer l'indispensable structuration des services express régionaux métropolitains autour d'une colonne vertébrale ferroviaire, en insistant sur la multimodalité. Nous proposons aussi d'inscrire dans le texte la nécessité de déployer systématiquement des cars express et des réseaux cyclables, conformément au souhait du Sénat. Les territoires pourront ainsi bénéficier du nécessaire choc d'offre de service de transports publics.

Par ailleurs, nous souhaitons ajouter que les Serm doivent prendre en compte les enjeux liés au déploiement des zones à faibles émissions mobilité, les ZFE-m. C'est non seulement un enjeu d'acceptabilité pour nos concitoyens, mais aussi une prise en compte des préoccupations exprimées dans les débats au Sénat. Cette disposition ne retire rien à notre volonté de nous appuyer sur les services express régionaux métropolitains pour désenclaver les territoires.

Nous avons aussi trouvé un équilibre quant à la répartition des compétences entre la Société des grands projets (SGP), d'une part, et SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions, d'autre part. Le principe est simple : dès lors qu'une gare est en exploitation, elle reste dans le champ d'intervention de SNCF Réseau ou de SNCF Gares & Connexions. Des précisions sur la répartition des compétences feront l'objet de propositions de rédaction.

Enfin, le Sénat a souhaité mettre en avant la question essentielle du financement, notamment à travers un plan de financement, dès la définition des services express régionaux métropolitains. L'idée est bonne : nous proposons de la garder et de mettre au coeur de la discussion la conférence nationale de financement des services express régionaux métropolitains, un rendez-vous important qui se tiendra en juin 2024 au plus tard.

Pour conclure, j'insiste sur le travail remarquable réalisé avec le rapporteur Philippe Tabarot.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - Je salue l'ensemble des députés, notamment David Valence, président du Conseil d'orientation des infrastructures, avec lequel j'ai mené un travail important dont ont découlé des actions qui nous permettront d'atteindre les objectifs essentiels pour la mobilité dans notre pays. Je me réjouis que nos échanges arrivent à leur fin : c'est une première marche importante pour le déploiement des Serm.

Je souligne la qualité des échanges avec Jean-Marc Zulesi. Notre dialogue a été mené dans une volonté de compromis partagé. Il nous permet d'arriver à un texte qui retient le meilleur des apports des deux chambres.

Au Sénat, notre démarche a suivi plusieurs axes qui sont apparus comme essentiels au fil des travaux. Le premier est de faire en sorte que les Serm soient un outil pensé par les territoires. C'est pourquoi nous avons tenu à renforcer le rôle des collectivités territoriales dans la mise en oeuvre des Serm.

Les Serm doivent aussi être déployés au service de tous les territoires, notamment les plus enclavés. C'est la raison pour laquelle il nous paraissait essentiel que les projets incluent systématiquement, en complément du transport ferroviaire, des cars express, à même de desservir des territoires plus éloignés du coeur des métropoles.

L'inclusion de ces cars express dans les Serm répond à une troisième priorité, celle de répondre, par leur déploiement rapide dans des territoires encore mal desservis, à l'urgence du « couperet » des zones à faibles émissions mobilité. Cette prise en compte des enjeux des ZFE-m dans les Serm est centrale, pour assurer leur acceptabilité sociale.

Je me réjouis qu'avec le rapporteur Jean-Marc Zulesi, nous soyons parvenus à trouver des rédactions communes sur ces points majeurs.

Le déploiement des Serm doit en outre être rapide et efficace. Tel est l'objet de nombreuses mesures d'accélération, qui n'ont de sens que si les différents acteurs peuvent réellement travailler de concert et en toute confiance. C'est pourquoi j'ai veillé avec mes collègues, tout au long de nos travaux, à ce que les relations entre SNCF Réseau et SNCF Gares & Connexions, d'une part, et la SGP, d'autre part, demeurent les plus équilibrées possible.

Enfin, le financement des Serm est le « nerf de la guerre » : cela concerne tant les dépenses d'investissement que les coûts de fonctionnement qui en résulteront pour les autorités organisatrices de la mobilité. À cet égard, le précédent du Grand Paris Express est particulièrement éclairant, voire inquiétant, comme l'a rappelé la présidente Valérie Pécresse. Il est donc nécessaire de réunir rapidement une conférence nationale de financement pour identifier collectivement les financements nécessaires. Il est en outre opportun que les Serm bénéficient d'une tarification des péages ferroviaires spécifique. Il ne s'agit pas d'assécher les financements de SNCF Réseau, notamment ceux consacrés à la régénération et à la modernisation du réseau que nous appelons de nos voeux, et qui doivent bien entendu être sanctuarisés et annexés au contrat d'objectifs et de performance conclu entre SNCF Réseau et l'État.

En revanche, il s'agit d'éviter la situation dans laquelle des collectivités menant un choc d'offre en faveur des mobilités décarbonées subiraient une double peine financière, c'est-à-dire qu'elles supporteraient l'essentiel de la charge financière des investissements, puis des dépenses de fonctionnement qu'elles ne pourraient assumer.

Pour conclure, il paraît impératif que la SGP dispose de moyens humains pour mener à bien les missions qui lui seront confiées. Ce coût sera majoritairement financé par les collectivités territoriales. Je prends acte de l'augmentation à venir du plafond d'emplois dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2024 et je forme le voeu que cette évolution se poursuive dans les prochaines lois de finances, en cohérence avec la montée en puissance des nouvelles missions de la SGP, y compris celles qui seront liées aux Serm, au service des territoires.

M. Jacques Fernique, sénateur. - Le texte qui se profile à l'issue de cette CMP paraît satisfaisant aux yeux des groupes écologistes du Sénat et de l'Assemblée nationale. Il comprend des dispositions intéressantes pour faciliter l'instauration des Serm, leur donner de la cohérence, les amplifier, procéder à des clarifications et sécuriser les financements nécessaires.

La priorité au développement du ferroviaire ne disqualifie pas les autres composantes essentielles du système vertueux d'intermodalité. Supprimer l'expression discriminante « le cas échéant » est une bonne solution : les réseaux cyclables et les cars express, notamment, sont et seront des accélérateurs d'intermodalité et de décarbonation.

En affirmant la nécessité d'aller vers une garantie d'interopérabilité billettique et de l'information aux voyageurs, on renforcera la fluidité à laquelle aspirent les usagers.

Avec ce texte, nous évitons aussi de compromettre la mise en oeuvre des ZFE-m, ce qui serait advenu si on avait conditionné les moyens d'assurer leur efficacité, c'est-à-dire les modalités de leur contrôle, et les sanctions qui y sont attachées au déploiement effectif préalable de Serm. Oui, il faut des alternatives décarbonées, mais sans neutraliser les démarches liées aux ZFE-m, qui ne sont pas faciles.

Notre groupe est en outre très satisfait que l'apport sénatorial de la conférence nationale de financement soit maintenu. Il l'est aussi de la mention claire du caractère gratuit de la remise des nouvelles infrastructures à SNCF Réseau ainsi que du règlement de la question des péages ferroviaires, lesquels ne doivent pas freiner le développement des Serm.

Notre groupe émet toutefois des réserves sur l'article 5 ter A, qui aurait pour conséquence d'imputer au forfait national prévu par la loi dans le cadre de l'objectif « ZAN » (zéro artificialisation nette) les consommations foncières des principales nouvelles infrastructures résultant des Serm. Il serait contre-productif que ces projets d'intérêt régional relèvent de ce forfait : les inclure dans le forfait régional serait plus logique, et rendrait plus attentif à la consommation d'espaces.

Hormis cette réserve, nous estimons que les ingrédients d'un bon texte sont réunis.

M. Pierre Vatin, député. - Le groupe Les Républicains de l'Assemblée nationale est favorable à cette proposition de loi du président Jean-Marc Zulesi, qui soulève un réel espoir d'améliorer enfin l'offre de transport des zones rurales et périurbaines à proximité des métropoles. Nous remercions aussi le rapporteur Philippe Tabarot et les sénateurs pour leur travail qui a utilement amélioré le texte, en répondant à certaines de nos inquiétudes.

En prévoyant une conférence nationale de financement avant la fin du mois de juin 2024, le nouvel article 3 quater permettra d'amener l'État à s'engager sur une trajectoire de soutien à ces investissements, ce qui préoccupe chacun d'entre nous. Je l'ai dit en séance publique, la « loi Zulesi » n'existera que si l'État lui en donne les moyens.

L'article 1er donne une définition des Serm comprenant à la fois une offre ferroviaire et des cars express. Il serait utile de conserver une rédaction ménageant ces deux types de solutions, l'option du train étant en l'état inexistante dans de nombreux territoires ruraux riverains des métropoles. À l'alinéa 15, j'insiste sur l'idée que j'avais soumise en séance publique de garder certaines facilités, comme des péages adaptés.

À l'article 5 ter A, je défends l'exemption des règles du ZAN. Par ailleurs, la réflexion sur les futures recettes d'exploitation aux articles 5 ter, 5 quater et 5 quinquies A devra être menée dans un avenir proche.

Enfin, certaines inconnues devront être réglées en dehors de cette proposition de loi, en premier lieu la question des noeuds ferroviaires saturés que le plan à 100 milliards d'euros du Gouvernement devra traiter préalablement, sous peine d'aggraver la congestion des gares. Il faudra aussi traiter la capacité à mobiliser du matériel roulant et du personnel, sans lesquels il ne saurait y avoir de Serm de qualité.

M. Hervé Gillé, sénateur. - Nous sommes très satisfaits du travail accompli tout d'abord au sein de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, avec Philippe Tabarot, puis du dialogue qui s'est établi avec nos collègues de l'Assemblée nationale. Le texte et les compromis discutés semblent particulièrement satisfaisants.

Certes, pour ce qui est de l'interopérabilité et de l'intermodalité, nous n'allons peut-être pas encore suffisamment loin. Or il s'agit bien du nerf de la guerre, pour que ces investissements soient les plus rentables possible et que l'on puisse dessiner une vision globale, qui optimise coûts et investissements.

De même, en matière de planification, quelques éclairages supplémentaires font défaut, notamment pour bien décliner les schémas de mobilité régionaux à tous les échelons. Il serait bon de pouvoir les retrouver dans les documents de planification, tels les SCoT
- schémas de cohérence territoriale - ou les PLUI, les plans locaux d'urbanisme intercommunaux.

Nous sommes donc globalement satisfaits du compromis trouvé concernant les déclarations d'utilité publique (DUP) sur les grands projets, qui se répercuteraient sur l'enveloppe ZAN au niveau national, les petits projets impactant l'enveloppe au niveau régional.

Mme Christine Arrighi, députée. - Les mobilités représentent 30 % des émissions de gaz à effet de serre, voire davantage selon certains scientifiques. Les transports de proximité sont au coeur de la stratégie bas carbone fixée par le Gouvernement : si nous ne les développons pas, nous n'atteindrons pas, ou nous atteindrons difficilement, les objectifs que nous nous sommes fixés. Or les mobilités et les transports de proximité sont un élément essentiel de l'acceptation sociale des ZFE-m car les personnes qui se verront refuser l'utilisation de leur voiture polluante rejetteront le dispositif. Pourtant, nous vivons dans des « ZFP », des zones à forte pollution, et les ZFE-m sont destinées à y remédier.

Nous sommes donc très favorables à cette proposition de loi et remercions les membres du Sénat de l'avoir améliorée. Dans le droit-fil des propos de mon collègue Jacques Fernique, nous nous félicitons particulièrement qu'une conférence nationale de financement se tienne avant juin 2024. Vous le savez, pour l'instant, la proposition de loi n'est accompagnée que de 765 millions d'euros pour cinq ans, dans le cadre des négociations des contrats de plan État-région (CPER). À défaut d'une autre solution, dans cinq ans, on en sera toujours à mener des études : on n'aura pas avancé sur les transports de proximité. J'ai pu demander au ministre M. Clément Beaune s'il avait l'intention d'abonder les CPER, et, le cas échéant, à quelle hauteur, lorsque les premiers Serm auront été labellisés - certains sont presque prêts. La conférence nationale de financement pourra répondre à cette question.

Le Sénat a par ailleurs amélioré la proposition de loi initiale de l'Assemblée nationale en ce qui concerne la gouvernance du groupement d'intérêt public, le GIP, eu égard aux concurrences, financières ou politiques, ou aux désaccords entre collectivités pouvant exister dans certaines régions. Un directoire exerçant ses fonctions sous le contrôle d'un conseil de surveillance paraît une gouvernance solide pour permettre aux Serm, lorsqu'ils existeront, de perdurer au-delà des mandats électifs de chacun.

S'agissant du ZAN, nous partageons ce qui a été dit : à force de faire peser toutes les évolutions les concernant sur le niveau national, on ne pourra plus le respecter. Or le ZAN est également une des conditions de la stratégie bas-carbone. Nous devons être très vigilants sur ce point.

M. Sébastien Rome, député. - Notre groupe salue l'intention de la proposition de loi, du moins de ses deux premiers articles : ils indiquent une direction essentielle que nous aurions dû suivre bien plus tôt. Aujourd'hui, les enjeux sont importants : de grandes métropoles rencontrent des difficultés d'accès ; la question des ZFE se pose, ainsi que celle du financement. Ces promesses de grands projets ne doivent pas se décaler dans le temps, ce qui désespérerait nos concitoyens. Il faut donc apporter une amélioration notable à la situation dans les cinq à dix ans qui viennent.

J'appelle votre attention sur les conséquences de ces projets sur l'aménagement du territoire. Aux enjeux de la mobilité s'ajoutent ceux de la relocalisation des activités. Actuellement, l'activité économique se concentre dans les métropoles. Il est à craindre qu'une organisation en étoile ne conduise à une nouvelle concentration de l'activité économique et à un assèchement des territoires. Ce serait une occasion manquée de redéployer l'activité dans les territoires périurbains et ruraux. Le texte est lacunaire à ce sujet.

Nous restons sceptiques, au sein du groupe La France insoumise, sur la différenciation entre la SGP et la SNCF. L'ingénierie devrait être concentrée au sein d'un seul groupe public. Il convient de se prémunir contre les risques de concurrence. Il ne faudrait pas que les services express validés soient uniquement ceux portés par la SGP.

Enfin, il serait préférable de mentionner systématiquement, dans le texte, le GIP et les autres formes d'organisation.

M. Vincent Thiébaut, député. - Ce texte essentiel concrétise le travail que nous accomplissons depuis 2018 puisque, dès la loi d'orientation des mobilités (LOM), nous avons proposé le déploiement de services express régionaux. Le premier réseau métropolitain express a été développé sur mon territoire. L'expérience montre qu'il faut accompagner les collectivités territoriales face à la SNCF. Il est essentiel qu'une structure indépendante accompagne la réalisation de ces projets.

Autour de Strasbourg, qui a un taux de chômage supérieur à 11 %, des territoires se développent. Sur le mien, le chômage n'excède pas 4 % et 1 500 emplois industriels devraient y voir le jour dans les prochaines années. Il est donc important de permettre aussi la mobilité de la métropole vers les territoires.

Je regrette qu'un article résultant d'un amendement que nous avions adopté à l'Assemblée nationale sur les lignes à vitesse intermédiaire ait été supprimé, mais je n'en ferai pas un cheval de bataille.

M. David Valence, député. - Des débats très vifs ont eu lieu au sein du Conseil d'orientation des infrastructures (COI), y compris sur le nom à donner aux services de transport sur lesquels porte la loi. Outre la définition des Serm, le texte étend le périmètre de la SGP et vise à accélérer les projets. Le compromis que vous avez trouvé sur la définition des services de transport, messieurs les rapporteurs, prend en compte l'intermodalité tout en conservant la colonne vertébrale du mode ferroviaire. Il faut éviter de diluer la notion de Serm dans des projets qui n'ont ni l'ampleur ni la fréquence nécessaires - cette dernière ne devant pas dépasser une demi-heure sur la plupart des axes.

Je me félicite de l'apport du Sénat sur la place des collectivités territoriales dans la définition des projets. Le point de départ d'un projet est la volonté manifestée par les régions et les intercommunalités, même si l'État est pleinement dans son rôle lorsqu'il le met à l'agenda.

S'agissant de la SGP, le « détourage » des attributions des uns et des autres crée les bases d'une relation de confiance avec SNCF Réseau dans l'avancée des projets. Je me réjouis que l'on ait ménagé la possibilité de mobiliser la SGP pour la construction de gares, y compris souterraines. L'extension du périmètre de la société permet d'envisager une relation contractuelle avec SNCF Réseau pour mener à bien des projets exceptionnels, ce qui sera précieux pour les collectivités territoriales.

Concernant la déclaration d'utilité publique (DUP), vous avez fait le choix, messieurs les rapporteurs, de renvoyer la détermination des règles à des dispositions réglementaires. Il faudra veiller à ce que l'exécutif ne soumette pas les DUP en Conseil d'État à des conditions trop strictes, sous peine de ralentir les projets.

Enfin, la tenue de la conférence nationale de financement nous offre la certitude que le sujet sera mis à l'agenda peu après le vote de la loi. Je salue cette initiative sénatoriale très bienvenue.

M. Gérard Leseul, député. - Nos travaux ont permis d'apporter des améliorations substantielles aux Serm, lesquels sont attendus dans nos territoires. En commission, nous avons souhaité, collectivement, définir les Serm comme des projets structurants qui contribuent à irriguer l'ensemble de nos territoires - pas seulement les centres urbains et les communes limitrophes, mais aussi des territoires situés en zone périurbaine ou rurale. À plusieurs reprises, le Gouvernement et les rapporteurs ont évoqué une emprise des Serm dans un rayon de 80 kilomètres. C'est une ambition que nous soutenons, à condition que les territoires les plus éloignés bénéficient d'un service de transport de qualité : la fréquence doit être suffisante pour garantir une réelle alternative à la voiture individuelle. Cela suppose la mobilisation de moyens importants.

Nous sommes intimement convaincus que le ferroviaire permettra de désenclaver les territoires les plus éloignés. Le développement des Serm est l'occasion de maintenir ou de rouvrir des lignes, éventuellement d'en construire de nouvelles, et de créer des pôles d'intermodalité qui faciliteront les connexions entre les transports publics.

Les projets de Serm devraient inclure une trajectoire précise de réduction du trafic routier cohérente avec les objectifs de décarbonation à l'horizon 2030 à 2040. Nous soutenons la trajectoire budgétaire proposée, même si elle aurait pu être plus précise : espérons que la conférence nationale de financement permettra de l'affiner.

Enfin, il convient de maintenir une bonne articulation entre les Serm et les ZFE-m afin de développer le service offert aux habitants de nos circonscriptions.

Mme Mathilde Paris, députée. - Nous sommes très attachés à ce que les Serm soient réellement au service des territoires, notamment en zone rurale. On a parlé d'un périmètre de 80 kilomètres, mais celui-ci n'est pas inscrit dans le texte, ce qui fait naître une petite inquiétude. Il faut éviter de renforcer la métropolisation et privilégier une logique de mobilité au service du développement des territoires. Les Serm doivent non seulement faciliter l'accès des communes rurales aux métropoles, mais aussi favoriser le développement des communes intermédiaires.

On a évoqué la possibilité de réserver des parkings aux automobilistes pratiquant le covoiturage. Cela constituerait à nos yeux un danger pour les territoires ruraux, car des habitants contraints d'utiliser leur voiture mais ne pratiquant pas le covoiturage ne pourraient y accéder.

Plutôt que de parler de lutte contre l'autosolisme, il faudrait plutôt évoquer sa réduction, car on n'a parfois pas d'autre choix, dans les territoires ruraux, que de prendre sa voiture.

Nous sommes aussi attentifs à ce que les Serm n'excluent pas le fret. Le texte ne comporte pas assez de garanties concernant le déploiement du fret.

Vous avez étendu la distance entre deux métropoles pour pouvoir faire entrer Saint-Étienne dans le périmètre du Serm de la métropole lyonnaise. D'autres métropoles, situées au-delà de 100 kilomètres, ne seront pas concernées par ces dispositions : je pense à Tours et à Orléans, distantes de 120 kilomètres, mais aussi à Rennes et à Nantes. Il serait souhaitable d'élargir les périmètres pour favoriser une vision globale des réseaux et éviter les divergences entre deux métropoles, au sein d'une même région, sur le développement des Serm.

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion.

TITRE IER

Instauration et mise en oeuvre

Article 1er

Proposition commune de rédaction n° 101 des rapporteurs

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - Cette proposition de rédaction procède à plusieurs modifications de l'article 1er. Elle assure une conciliation entre la structuration des Serm autour d'une colonne vertébrale ferroviaire, tel que le prévoit le texte adopté à l'Assemblée nationale, et la nécessité de déployer systématiquement des cars express et des réseaux cyclables, conformément aux apports du Sénat. Ainsi, en complément du renforcement prioritaire de l'offre ferroviaire, les territoires bénéficieront du choc d'offre de service de transports publics, ce qui renforcera le caractère multimodal des Serm.

La suppression de la mention des espaces où peuvent être déployés les Serm vise à clarifier le texte et à ne pas exclure par principe certains territoires. Il appartiendra aux acteurs impliqués d'identifier, au cas par cas, les projets de Serm opportuns.

La question des zones à faible émission mobilité (ZFE-m), initialement introduite par le Sénat à l'article 2 bis AB, a été déplacée à l'article 1er, qui prévoit que les projets de Serm prennent en compte les enjeux liés au développement des ZFE-m. Il s'agit d'accélérer le déploiement des Serm dans ces zones, afin que les personnes qui ne pourront plus utiliser leur véhicule personnel puissent disposer d'une offre de transports publics performante et fiable.

La rédaction proposée vise aussi à renforcer la rapidité et la collégialité de la procédure de labellisation des Serm, suivant une volonté que Jean-Marc Zulesi et moi-même partageons. Dans une optique de simplification, le texte ne mentionne plus la participation des associations d'usagers à la concertation car ces dernières seront consultées par le biais des comités de partenaires, comme le prévoit l'article 3 bis. Les maires des communes concernées par un projet de Serm seront informés avant son déploiement. Pour gagner en souplesse, l'obligation d'étude des conditions de faisabilité et d'opportunité d'une élaboration conjointe d'un Serm pour des métropoles distantes de moins de 100 kilomètres devient une simple possibilité.

Madame Paris, nous sommes parvenus à la distance de 100 kilomètres à partir du cas de Lyon et de Saint-Étienne. Toutefois, la possibilité qui est offerte à ces métropoles concerne tous les territoires ayant une certaine proximité - ils travaillent d'ailleurs ensemble naturellement.

Par ailleurs, il est proposé de laisser la possibilité aux collectivités territoriales concernées de réaliser leur estimation des coûts d'un projet de Serm sous la forme d'un plan de financement.

En outre, le statut de Serm sera conféré par arrêté du ministre chargé des transports sur proposition des régions et des autorités compétentes pour l'organisation de la mobilité qui contribuent à son financement. Il paraît opportun d'inclure toutes les collectivités qui s'engageront financièrement en faveur du projet.

Afin de concilier fluidité de la procédure et coordination des acteurs compétents en matière de mobilité, cette proposition de rédaction prévoit que le contrat opérationnel de mobilité (COM) soit conclu dans un délai de six mois, plutôt que d'un an, après l'obtention du statut de Serm.

Enfin, plusieurs améliorations rédactionnelles sont proposées.

M. Simon Uzenat, sénateur. - Je regrette la suppression de l'alinéa 7, qui était issu des travaux de l'Assemblée nationale. Nous souhaitions renommer les Serm : « services express régionaux de mobilité ». Le fait de ne pas limiter ces derniers aux métropoles et de les ouvrir à des territoires d'au moins 100 000 habitants aurait permis de les inscrire dans une dynamique plus large. La rédaction retenue pourrait être source de confusion.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - Nous sommes ouverts à des modifications rédactionnelles sur des points très précis, mais on ne va pas revenir systématiquement sur des dispositions qu'on aurait aimé voir figurer dans le texte. Nous nous sommes efforcés d'aboutir au texte le plus consensuel possible.

M. Simon Uzenat, sénateur. - Je m'abstiendrai sur l'article 1er.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 1er est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er bis A

La proposition commune n° 102, rédactionnelle, est adoptée.

L'article 1er bis A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 1er bis

Proposition commune de rédaction n° 103 des rapporteurs

M. Jean-Marc Zulesi, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Cet article a trait à la convention de suivi de la maîtrise d'ouvrage avec les collectivités territoriales. Le Sénat a proposé de faire figurer dans la convention des objectifs liés à la sécurité de l'exploitation et à l'interopérabilité des équipements. Nous avons accepté cet ajout, qui va dans le bon sens, ainsi que la mention des objectifs d'amélioration du service. En revanche, nous avons supprimé la référence à l'exploitation des Serm afin de ne pas créer de confusion, en particulier sur le champ d'intervention de la SGP.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 1er bis est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 2

Proposition commune de rédaction n° 104 des rapporteurs

M. Jean-Marc Zulesi, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous proposons de clarifier le champ d'intervention de la SGP, en particulier concernant les gares connexes ou souterraines. La SGP sera compétente pour les lignes dites « oubliées », pendant cinq ans. De manière générale, la SGP pourra intervenir en présence d'infrastructures nouvelles, sur la base des demandes des collectivités territoriales, mais ne sera pas compétente si l'infrastructure est exploitée.

Nous vous proposons en outre plusieurs modifications rédactionnelles et de précision.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 2 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 2 bis AA

Proposition commune de rédaction n° 105 des rapporteurs

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - Il vous est proposé de maintenir l'article 2 bis AA, qui a été introduit par le Sénat. Cette disposition visait initialement à annexer le programme annuel des investissements de SNCF Réseau au contrat de performance conclu entre SNCF Réseau et l'État. La proposition de rédaction de compromis prévoit que soit annexé à ce contrat le programme triannuel, et non plus annuel, des investissements de SNCF Réseau, étant rappelé que le dernier contrat de performance a été conclu pour la période 2021-2030.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 2 bis AA est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 2 bis AB (supprimé)

Proposition commune n° 106 des rapporteurs

M. Jean-Marc Zulesi, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Nous avons ajouté, à l'article 1er, une disposition prévoyant que les projets de Serm prennent en compte les enjeux liés au développement des ZFE-m. En conséquence, nous vous proposons de supprimer l'article 2 bis AB. Il nous faut accompagner nos concitoyens, en particulier les plus modestes d'entre eux, en accélérant le déploiement des Serm dans les ZFE-m.

La proposition est adoptée.

En conséquence, l'article 2 bis AB est supprimé.

Article 2 bis A (supprimé)

Proposition commune n° 107 des rapporteurs

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons de maintenir la suppression de cet article.

La proposition est adoptée.

En conséquence, l'article 2 bis A est supprimé.

Article 2 bis (supprimé)

Proposition commune n° 108 des rapporteurs

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - De la même façon, nous proposons de maintenir la suppression de cet article.

M. Vincent Thiébaut, député. - On parle beaucoup aujourd'hui de planification et de financement, notamment pour investir dans les lignes du quotidien - et ce sont des investissements importants. Il me paraît légitime de s'interroger sur la pertinence de certains projets de ligne à grande vitesse (LGV) : il arrive aujourd'hui de réaliser des lignes où il est possible de rouler à 500 kilomètres à l'heure, mais où les trains rouleront à une vitesse comprise entre 250 et 300 kilomètres et s'arrêteront trois à quatre fois. Tous nos voisins européens ont construit des lignes où les trains peuvent rouler à 250 kilomètres à l'heure, qui coûtent moins cher à construire comme à entretenir - et, pour un train qui s'arrête plusieurs fois, on parle d'un décalage de dix à quinze minutes par rapport à une LGV. Cet article demandait une évaluation de l'intérêt de lignes de vitesse intermédiaire pour tout projet de ligne à grande vitesse : c'est une option qui permettrait de mieux financer les trains du quotidien.

M. Jacques Fernique, sénateur. - J'irai dans le même sens : choisir en toute connaissance de cause entre deux scénarios, l'un de grande vitesse et l'autre de vitesse intermédiaire, me paraît pertinent.

M. Jean-Marc Zulesi, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je salue l'engagement de M. Thiébaut sur ce sujet. En tant que député des Bouches-du-Rhône, familier du trajet Marseille-Paris en trois heures, il m'est difficile d'expliquer à ceux qui n'ont pas cette chance qu'ils ne profiteront jamais d'une ligne à grande vitesse : attention au message que nous envoyons à des territoires où sont absentes les infrastructures ferroviaires de grande qualité dont jouissent le Sud, la région parisienne ou le Grand Est.

C'est la raison pour laquelle j'ai accepté la proposition de suppression de cet article.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - J'entends l'intérêt de la vitesse intermédiaire. De telles études sont déjà conduites, et la SNCF privilégie cette solution pour le projet de ligne nouvelle entre Paris et la Normandie ou en Provence-Alpes-Côte d'Azur. À part quelques exceptions qui n'auraient pas dû exister, la politique actuelle va dans le sens que vous souhaitez. Un article de loi n'apparaît donc pas nécessaire.

En outre, le mécanisme de financement proposé par cet article me semble inopérant.

Je comprends que vous voulez faire passer un message. L'annexion du programme triannuel d'investissement de SNCF Réseau au contrat de performance devrait permettre de répondre à l'intention de l'article 2 bis, qui est de soutenir les investissements en faveur des Serm, mais également des petites lignes et des lignes intermédiaires.

M. Sébastien Rome, député- Je plaide aussi pour le maintien de cet article. Ce qui fait perdre du temps, c'est souvent la difficulté d'arriver jusqu'au TGV : il est essentiel de soutenir les lignes intermédiaires. Entre Montpellier et Béziers, construire une ligne où les trains rouleraient à 249 kilomètres à l'heure permettrait d'économiser 1 milliard d'euros, pour huit minutes de trajet supplémentaire ! On trouverait d'autres exemples du côté de Toulouse ou de Bordeaux. Ce n'est pas neutre pour les déplacements du quotidien.

M. Hervé Gillé, sénateur. - Nous aurions nous aussi souhaité le maintien de cet article. Qui trop embrasse mal étreint : lorsque l'on veut financer de nouvelles infrastructures, il faut établir des priorités. Il est légitime que tous les scénarios soient étudiés et estimés - et plus encore au vu de la situation budgétaire des collectivités territoriales.

Nous ne souhaitons pas en faire un sujet de blocage, mais je tenais à exprimer ce regret. Nous nous abstiendrons.

Mme Christine Arrighi, députée. - Moderniser le réseau ferré, trop longtemps abandonné par les gouvernements successifs, impliquera des investissements gigantesques. Or il n'y a pas d'argent magique : il est nécessaire d'établir des priorités. Rappelons que, selon les régions, huit ou neuf passagers sur dix utilisent les trains du quotidien, un ou deux les lignes à grande vitesse. Les trains de proximité sont essentiels pour éviter 50 000 à 80 000 morts par an. Mais si nous ne proposons pas de solution alternative à ceux à qui nous demandons de ne pas utiliser leur voiture, nous aurons de nouveaux mouvements sociaux et des soulèvements face à l'inaction du politique pour répondre aux questions de pollution et de mobilité.

Le Conseil d'orientation des infrastructures (COI) l'a indiqué, nous devons revoir les projets existants, qui remontent souvent à vingt ou trente ans. Cet article oblige à s'interroger à nouveau.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - Pour avoir participé aux travaux du COI, il ne me semble pas qu'il ait expliqué que la grande vitesse était l'avenir du pays. C'est un débat que nous avons eu, et l'une des différences que j'ai avec le président Valence : je suis très favorable aux transports du quotidien et à l'amélioration du réseau ; mais la grande vitesse ne doit pas devenir un tabou.

Nous disposons d'une bible : le rapport du COI. Les deux premiers scénarios ne proposent pas de nouvelle ligne à grande vitesse. Cette feuille de route est claire et va dans votre sens.

Je comprends le message que vous voulez faire passer, mais je le redis, cet article n'a pas sa place ici.

M. David Valence, député. - Le message central du COI, c'est celui de la sobriété : le rapport ne préconise pas, en effet, la réalisation de nombreuses lignes à grande vitesse ou de lignes supplémentaires. Je nourris les mêmes doutes que Vincent Thiébaut sur certains projets qui ont pu être réactivés ou accélérés.

Le législateur doit se demander si la loi qu'il vote va changer le réel. Ce ne sera pas le cas de cet article 2 bis. La réalisation d'études complémentaires peut être imposée aux gestionnaires d'infrastructures, à ceux qui réalisent les travaux, par l'État - et peut-être sous l'impulsion du législateur, mais sans doute pas sous cette forme. Ce n'est pas l'objet de ce texte : cet article est en réalité un cavalier législatif.

Le message est très important, mais votons la loi pour faire des choses.

La proposition est adoptée.

En conséquence, l'article 2 bis est supprimé.

Article 3

Proposition commune de rédaction n° 109 des rapporteurs

M. Jean-Marc Zulesi, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Notre proposition conserve les apports du Sénat et clarifie la rédaction.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 3 quater

Proposition commune de rédaction n° 110 des rapporteurs

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - Cet article est consacré à la conférence nationale de financement, qui semble faire consensus parmi nous. Elle doit se réunir avant le 30 juin 2024 pour débattre des solutions de financement pérenne des dépenses d'investissement et de fonctionnement des Serm, en associant l'ensemble des acteurs concernés.

La proposition de rédaction précise que cette conférence examine notamment les évolutions des ressources fiscales et financières des collectivités territoriales pour assurer le fonctionnement de l'exploitation des Serm. Cette disposition, introduite par le Sénat, figurait à l'article 5 quinquies A sous la forme d'une demande de rapport, que nous vous proposerons de supprimer.

Nous vous proposons également de supprimer la disposition, figurant à l'alinéa 2, qui prévoit que cette conférence formule des propositions visant à rendre compatible le contrat de performance entre SNCF Réseau et l'État avec, d'une part, le maintien en bon état du réseau ferroviaire national et sa modernisation et, d'autre part, les investissements de SNCF Réseau relatifs aux projets de Serm. Le champ de l'alinéa 2 excède celui de la présente proposition de loi, qui concerne les Serm et qui ne doit être confondu ni avec le nécessaire investissement sur le réseau ferroviaire, ni avec la révision dudit contrat de performance. En outre, l'article 2 bis AA vise à annexer au contrat de performance le programme d'investissement triennal de SNCF Réseau.

Cette nouvelle rédaction nous semble à la fois cohérente et à même de satisfaire les demandes présentées.

Mme Christine Arrighi, députée. - Je me félicite de la création de cette conférence de financement. C'est essentiel pour les collectivités qui vont s'engager dans l'élaboration de Serm.

Toutes les collectivités n'en sont pas au même point : il sera sans doute nécessaire de renouveler l'exercice dans quelques années.

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - C'est bien noté.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 3 quater est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

TITRE II

Simplification et accélération

Article 5 ter AA

La proposition commune n° 201, rédactionnelle, est adoptée.

L'article 5 ter AA est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 5 ter AB

La proposition commune n° 202, rédactionnelle, est adoptée.

L'article 5 ter AB est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 5 ter A

Proposition commune de rédaction n° 203 des rapporteurs

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - Cette proposition de rédaction maintient le principe d'une déclaration d'utilité publique (DUP) des travaux prévus dans le cadre des Serm par décret en Conseil d'État, conformément aux travaux du Sénat.

Il ressort des échanges que nous avons eus tant avec le rapporteur de l'Assemblée nationale qu'avec les services de l'État, notamment la direction générale des infrastructures, des transports et des mobilités (DGITM), qu'il est préférable d'éviter que des infrastructures d'ampleur modeste soient concernées par cette disposition : cela pourrait se révéler contre-productif et en freiner le déploiement. Une DUP par décret en Conseil d'État est certes source de sécurité juridique, mais les délais sont plus longs que pour une DUP par arrêté préfectoral. Par ailleurs, le Conseil d'État pourrait ne pas disposer des moyens humains suffisants pour traiter un grand nombre de DUP.

C'est pourquoi il est prévu de limiter le recours à la DUP par décret en Conseil d'État aux créations d'infrastructures les plus importantes. Il reviendra au pouvoir réglementaire de définir les conditions, notamment liées à la nature des travaux et à leur montant, que devront satisfaire ces infrastructures.

La proposition de rédaction est adoptée.

L'article 5 ter A est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

TITRE III

Dispositions diverses

La proposition de rédaction commune des rapporteurs n° 300 reprenant l'intitulé du Sénat est adoptée et l'intitulé du titre III est ainsi rédigé.

Article 5 ter

La proposition commune n° 301, rédactionnelle, est adoptée.

L'article 5 ter est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission mixte paritaire.

Article 5 quinquies A (supprimé)

Proposition commune n° 302 des rapporteurs

M. Jean-Marc Zulesi, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Le sujet du rapport demandé à cet article sera abordé par la conférence nationale de financement. Nous proposons donc de supprimer cet article.

La proposition est adoptée.

En conséquence, l'article 5 quinquies A est supprimé.

Article 5 sexies (supprimé)

Proposition commune n° 303 des rapporteurs

M. Philippe Tabarot, rapporteur pour le Sénat. - Nous proposons de maintenir la suppression de cette énième demande de rapport.

La proposition est adoptée.

En conséquence l'article 5 sexies est supprimé.

La commission mixte paritaire adopte, ainsi rédigées, l'ensemble des dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux services express régionaux métropolitains.

Mme Aude Luquet, députée, présidente. - Merci à tous de cet excellent travail.

M. Jean-Marc Zulesi, rapporteur pour l'Assemblée nationale. - Je me réjouis également de la qualité de notre coopération ; ce n'est pas la première fois et je salue le chemin parcouru.

En conséquence, la commission mixte paritaire vous demande d'adopter la proposition de loi dans le texte figurant dans le document annexé au présent rapport.