Mardi 6 février 2024

- Présidence de M. Jérôme Durain, président -

La réunion est ouverte à 9 h 10.

Audition d'élus signataires de la tribune « Nous, élus des grandes villes et métropoles, appelons à un véritable plan national et européen contre le trafic de drogue » parue dans Le Monde le 20 septembre 2023

M. Jérôme Durain, président. - Nous sommes heureux d'accueillir en visioconférence Mme Nathalie Appéré, maire de Rennes, présidente de Rennes Métropole et secrétaire générale de l'association France urbaine, M. Hervé Niel, adjoint au maire de Metz chargé de la sécurité, et M. Éric Piolle, maire de Grenoble, deuxième vice-président de l'association France urbaine.

Nous vous sollicitons en tant que signataires de la tribune « Nous, élus des grandes villes et métropoles, appelons à un véritable plan national et européen contre le trafic de drogue », parue dans Le Monde le 20 septembre 2023. En effet, ce texte vient nourrir la réflexion de notre commission d'enquête sur l'impact du narcotrafic.

Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter successivement serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, Mme Nathalie Appéré, M. Hervé Niel et M. Éric Piolle prêtent serment.

Mme Nathalie Appéré, maire de Rennes, présidente de Rennes Métropole, secrétaire générale de l'association France urbaine. - Comme vous l'avez dit, l'association France urbaine a été à l'origine d'une tribune signée par une cinquantaine de maires et d'élus locaux de grandes villes. Ce texte, assez inédit compte tenu de la diversité des appartenances politiques de ceux qui l'ont signé, témoigne d'une inquiétude commune face à des constats partagés quant à l'évolution du narcotrafic.

Je commencerai par rappeler quels sont ces constats et Éric Piolle détaillera les pistes de réflexion issues des travaux de la commission « Sécurité et prévention » de France urbaine.

Nos constats ne devraient pas vous surprendre au regard des travaux que vous avez menés. Nous avons souhaité lancer l'alerte, en septembre dernier, sur le caractère extrêmement préoccupant de l'explosion du narcotrafic dans nos villes, car nous avons tous constaté que le phénomène s'était accéléré, en particulier après la crise du covid : le narcotrafic est de plus en plus important, de plus en plus visible, de plus en plus décomplexé dans ses méthodes et de plus en plus violent. Quels que soient la ville et le territoire concernés, il gangrène les quartiers et rend la vie insupportable à ceux qui habitent à proximité des points de deal. En conséquence, les habitants ont des exigences nouvelles en matière de qualité de vie et de sécurité et ils attendent que les institutions y répondent, y compris les maires que nous sommes.

Les chiffres sont éloquents, puisque l'on a constaté 315 faits d'homicide en zone police en 2023, soit une augmentation de 57 % par rapport à 2022. Ce sont non plus quelques points de deal identifiés, mais des quartiers entiers qui sont désormais sous emprise. Ce qui se manifeste dans l'espace public, à savoir une appropriation et une occupation abusive des lieux, accompagnées d'une mise sous pression des habitants, s'étend aussi aux espaces privés, en particulier les halls d'immeuble ou les parkings.

Quant à la manière dont le deal est exercé, nous avons tous noté dans nos villes une évolution du profil des trafiquants, de plus en plus jeunes. Il s'agit parfois même de mineurs. De plus, les filières organisées mobilisent très souvent des jeunes qui n'ont pas de lien particulier avec la ville ou avec le quartier où ils opèrent, de sorte que les forces de l'ordre ont du mal à les interpeller et qu'il est difficile de les intégrer au travail de prévention que nous menons pour éviter l'entrée des jeunes dans le trafic.

En matière de consommation, les maires membres de notre association, constatent une très grande diversité des produits. En plus du cannabis et de la cocaïne, on constate dans la quasi-totalité du territoire l'émergence de produits aux effets sanitaires beaucoup plus durs. Le crack et le fentanyl ne sont pas des fléaux uniquement parisiens, sans parler du protoxyde d'azote ou de l'héroïne, dont les effets ont des conséquences non seulement sur la santé publique, mais aussi sur la tranquillité publique, car les individus sous substances ont des comportements de plus en plus malades mais aussi incontrôlables et menaçants. Les difficultés relevant de la santé mentale et de l'addiction sont désormais visibles dans l'espace public, notamment dans les transports, où circulent parfois des individus hermétiques à toute approche rationnelle, qui ont perdu le sens commun des rapports sociaux. Par exemple, il est arrivé qu'une personne se présente nue dans une rame de métro, des seringues à la main : on peut imaginer l'effet produit sur les usagers des transports publics, notamment dans des villes qui n'avaient pas jusqu'alors été confrontées au narcotrafic.

Concernant la place des maires dans la lutte contre le narcotrafic, de manière générale, nous sommes animateurs et fédérateurs de différentes politiques publiques qui contribuent de manière indirecte à la lutte contre le narcotrafic, qu'il s'agisse des mesures de tranquillité publique, de prévention de la délinquance, de santé publique, de lutte contre les conduites addictives, de médiation, d'éducation ou encore d'aménagement du territoire et de rénovation urbaine. Nous travaillons de plus en plus sur la prévention situationnelle, c'est-à-dire sur la manière dont l'environnement urbain peut favoriser le trafic ou au contraire permettre de lutter contre. Nous intégrons cette dimension dans nos politiques publiques, sur le hard et sur le soft, qu'il s'agisse de l'aménagement de la ville ou de sa gestion quotidienne.

Il nous revient aussi d'animer les stratégies en matière de prévention de la délinquance et en matière de sécurité et nous veillons à faire travailler ensemble les acteurs dans nos territoires. Certes, certains témoignages pourraient contredire mes propos mais, d'une manière générale, au sein de France urbaine, il nous semble que les partenariats locaux fonctionnent bien. Les liens avec la police nationale et avec les autorités judiciaires, en particulier les procureurs, sont fluides. Nous avons des conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD) qui se déclinent en de multiples lieux et instances de partenariat, y compris dans les quartiers, dans le cadre des groupes de partenariat opérationnels (GPO) et des cellules de veille. L'efficacité du partenariat local et l'envie de travailler ensemble sur ces questions sont quasi systématiquement saluées par nos collègues maires, ce qui n'empêche pas d'émettre certaines réserves, notamment sur les moyens que la police nationale consacre à ces questions ou quant à la perspective des jeux Olympiques qui suscite certaines inquiétudes quant à la disponibilité des forces de l'ordre pendant les mois à venir.

Certains questionnements portent également sur les moyens de la police judiciaire, qu'il s'agisse des moyens d'enquête ou de la durée des procédures. Les procureurs sont très impliqués, mais cela n'empêche pas que les habitants nous demandent des comptes sur la manière dont la justice avance, ce qui est légitime au vu de ce qu'ils vivent.

En outre, si le partenariat local fonctionne bien, on constate en revanche l'inexistence totale d'un lien particulier ou d'un lieu de travail commun qui permettrait aux maires de travailler directement avec le ministère de l'intérieur. Bien évidemment, tel ou tel maire peut obtenir un rendez-vous ou travailler sur un sujet particulier avec le ministère de l'intérieur, mais, de manière plus institutionnelle, France urbaine n'a pas réussi à mettre en place un partenariat de travail satisfaisant avec ce ministère, alors qu'elle l'a fait avec de nombreux autres. Nous ne comptons plus les courriers et les propositions de travail restés sans réponse et il semble que nous manquions d'un lieu où les maires seraient reconnus comme des interlocuteurs dans la mise en oeuvre d'une politique de sécurité publique et de lutte contre le narcotrafic, alors même que notre rôle et notre espace d'action sont clairement définis et que nous sommes en première ligne.

En ce qui concerne les polices municipales, nous sommes très attachés à ce que chaque maire ait la liberté de la doctrine d'emploi de la sienne, dans le respect des textes et de la loi. Certaines polices municipales sont armées, d'autres ne le sont pas. Les prérogatives et les missions peuvent varier, mais il est évident que la lutte directe contre le trafic de stupéfiants dans le cadre de procédures judiciaires impliquant une investigation ne peut en aucune manière relever de la police municipale. Dans le cadre de sa mission de tranquillité publique, celle-ci peut apporter son concours à la mise en oeuvre d'une réappropriation de l'espace public et elle peut intervenir, le cas échéant, dans la pénalisation des consommateurs, en fonction des doctrines locales. Même si nous voulons prendre toute notre part dans la lutte contre le narcotrafic, nous restons convaincus que cette part restera résiduelle par rapport à celle d'organisations d'envergure nationale ou européenne.

Vos travaux portent également sur les phénomènes de corruption de basse intensité. On ne nous fait plus remonter ce type d'incidents, ce qui ne veut pas dire pour autant qu'ils n'existent pas.

À l'inverse, des inquiétudes s'expriment sur la question du narco-terrorisme. En effet, certains de nos collègues se demandent jusqu'où peut aller la violence décomplexée : à partir du moment où la vie humaine n'a plus de valeur aux yeux des trafiquants, on peut envisager que des phénomènes de cette nature se développent - sous la forme, par exemple, d'opérations punitives collectives.

La délinquance financière et le narco-banditisme sont un autre sujet d'inquiétude, en particulier pour ce qui est des réseaux de blanchiment et de dissimulation. En effet, les commerces de façade se multiplient, même si cela ne concerne pas tous les territoires que nous représentons.

Enfin, sur la généralisation du narcotrafic, nous avons pu constater que certaines villes étaient déjà confrontées depuis longtemps à l'existence d'un milieu et de trafics, alors que d'autres ne l'étaient presque pas ou pas du tout. Désormais que, par un phénomène d'accélération et de convergence, aucun territoire n'est plus à l'abri, y compris les villes qui étaient jusqu'alors peu concernées, car éloignées géographiquement des points d'entrée du marché. Ces villes constituent en réalité des territoires où il est plus facile pour le trafic de s'implanter parce qu'il y a moins de concurrence et moins de réseaux institués. Par conséquent, le narcotrafic explose dans ces villes qui étaient encore à l'abri il y a trois à cinq ans.

M. Éric Piolle, maire de Grenoble, deuxième vice-président de l'association France urbaine. - Tout d'abord, il serait pertinent d'avoir une évaluation approfondie des dernières actions régaliennes qui ont été entreprises sur le narcotrafic : cela permettrait d'établir des critères à l'aune desquels évaluer notre action en matière de sécurité, de santé publique, d'occupation des forces de police ou de la justice, et ainsi de construire un plan national de lutte contre le trafic de drogue qui inclurait une réflexion extraterritoriale indispensable compte tenu de l'ampleur du phénomène.

Ensuite, il faudrait que les pouvoirs publics portent une attention particulière à la situation des outre-mer, notamment la Guadeloupe, la Martinique et la Guyane qui servent de plateformes relais entre la production de drogue et son acheminement vers l'Europe. Cela donne lieu à une hausse des violences extrêmement forte dans ces territoires, où l'on constate un usage fréquent des armes à feu ainsi que la hausse des pratiques addictives, en particulier dans les centres-villes. La coordination entre l'agence régionale de santé (ARS), l'Office antistupéfiants (Ofast), les préfectures, les associations, le parquet, les collectivités territoriales, les intercommunalités et l'école est essentielle. Il faut développer une approche systémique en plus de ce que peuvent faire la police nationale et la gendarmerie.

Pour prolonger ma réflexion sur l'évaluation, même si nous sommes bien conscients que certaines problématiques sont spécifiques à la France, nous gagnerions à réaliser un travail de comparaison avec les stratégies développées dans des pays comme le Portugal, qui a été pionnier en matière de dépénalisation de la consommation et de la détention de drogue, ou bien les États-Unis où une crise des opioïdes terrible et sans précédent touche un grand nombre de villes. À voir les effets délétères du fentanyl aux États-Unis, nous ne pouvons que craindre l'importation en France de ce type de drogue extrêmement addictive.

Ce travail de comparaison pourrait être croisé avec une réflexion citoyenne, dans le cadre d'une convention citoyenne similaire à celle qui a porté sur le climat ou bien à celle sur la fin de vie.

Pour l'instant, nous agissons au quotidien, en tant que maires, dans le cadre du droit local. Or il nous paraît important de simplifier le cadre juridique dans lequel interviennent les policiers municipaux, qui risquent d'être de plus en plus happés par les nombreux faits liés au trafic de drogue. Ils sont souvent les premiers intervenants sur le lieu du trafic, car la police nationale et la gendarmerie ne peuvent pas tout gérer. Cela fragilise l'action publique sur la petite délinquance du quotidien, qui reste le souci premier de l'ensemble des habitants : en effet, ceux qui habitent près des points de deal vivent des situations extrêmes ; le reste de la population, qui en entend seulement parler à la télévision ou dans les journaux, sans voir la réalité de près, reste préoccupé par la délinquance du quotidien.

Il faudrait donc envisager l'expérimentation d'un dispositif dans lequel les policiers municipaux pourraient procéder à une verbalisation immédiate des délits du quotidien, exercer des contrôles éthylométriques ou bien assurer l'inspection visuelle de certains bagages. Ces mesures de simplification permettraient d'acter la répartition du travail que nous observons aujourd'hui, dans un contexte où le manque de moyens dans la police nationale aboutit à un glissement des responsabilités vers la police municipale.

Dans un autre champ, notre réflexion porte aussi sur la pénétration du trafic dans les commerces, sur la lutte contre les commerces de façade. Cela fait partie de notre quotidien de nous interroger pour savoir si tel commerce est clean ou pas ou de nous demander qui est le propriétaire de tel autre café, quelles sont ses relations, etc. Par conséquent, nous souhaiterions que les maires disposent d'un plus grand nombre d'outils pour lutter contre les commerces de façade. La commission « Sécurité et prévention » de France urbaine a ouvert plusieurs pistes de réflexion qui portent notamment sur le contrôle du travail dissimulé, sur la révision des plans locaux d'urbanisme, sur la formation des commerçants à la culture de la légalité ou bien sur la capacité de préempter des baux commerciaux dans des périmètres de sauvegarde, en prévoyant l'application de certaines clauses permettant à la police de réaliser des contrôles dans le cadre de l'autorisation d'ouverture d'un commerce. Sans avoir de solutions toutes faites, l'enjeu nous semble important, car il faut éviter toute capillarité avec les commerces qui ont pignon sur rue.

Nous souhaitons un accompagnement plus fort de l'État dans le cadre des expérimentations que nous pouvons mener. Par exemple, à Grenoble, en collaboration avec la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), nous avons produit des vidéos destinées à montrer aux consommateurs l'envers du décor et ce à quoi ils participent. Or, pour aboutir à une réelle stratégie interministérielle de mobilisation contre les conduites addictives, il faudrait intensifier très fortement ce travail : nous évoquons beaucoup dans la sphère publique le trafic, ses nuisances ou bien la lutte contre les gangs, mais nous parlons très peu des stratégies de prévention et de lutte contre les conduites addictives. Cela ouvre un large champ d'expérimentation, pour lequel nous souhaiterions être davantage accompagnés.

Enfin, il faudrait favoriser le rapprochement des procureurs de la République et des élus locaux, en prévoyant un service territorial pérenne consacré au démantèlement des réseaux. Cela existe déjà dans certains endroits, dont Grenoble, mais il conviendrait de généraliser et de pérenniser cette cellule. On pourrait également lancer une réflexion sur la récidive, car pour l'instant notre système carcéral produit - ou du moins n'empêche pas - la récidive, de sorte que nous nous retrouvons dans une situation paradoxale : alors que nous menons l'une des politiques les plus répressives d'Europe en matière de lutte contre les stupéfiants, la situation ne s'améliore pas et a même tendance à se dégrader. Le sujet est d'autant plus préoccupant que, comme l'a rappelé Nathalie Appéré, de nouvelles pratiques se développent. On constate ainsi le déport des lieux de trafic dans des villes moyennes ou dans des villages, où les trafiquants se sentent plus protégés, ou bien encore la professionnalisation des services aux consommateurs de drogue en matière de marketing, de livraison ou de rotation des salariés. Alors que, il y a une dizaine d'années, les dealers faisaient tourner les choufs, c'est-à-dire les jeunes chargés de surveiller les points de deal, d'un quartier à l'autre pour les couper de leurs liens aux adultes ; désormais, on voit même des hommes de main qui viennent d'ailleurs, de sorte que l'on peut presque parler d'un marché de l'emploi qui se structure avec des stratégies de recrutement et des stratégies de déplacement du travail.

M. Hervé Niel, adjoint au maire de Metz chargé de la sécurité. - Le maire de Metz ne peut que souscrire aux propos qui viennent d'être tenus. La ville de Metz est au coeur d'un trafic puisqu'elle est frontalière de la Belgique et donc proche de la Hollande, pays à partir duquel oeuvrent des réseaux très structurés. En plus de la Belgique, elle offre aussi une porte d'entrée par l'Allemagne et constitue réciproquement une voie de sortie pour le trafic qui remonte de l'Espagne.

Nous avons, nous aussi, constaté une évolution très claire du deal. Alors qu'il relevait initialement d'une organisation locale, le trafic s'ouvre désormais à l'échelle du département et touche la périphérie de la ville. À Metz, ville qui sert de porte d'entrée, comme je viens de le dire, le trafic a toujours été lié à un réseau international.

Ceux qui sont impliqués dans les trafics sont de plus en plus jeunes et, très souvent, ils n'ont pas de liens avec le territoire, de sorte que l'on peut dire qu'il existe un marché de l'emploi, peut-être pas à l'échelle nationale, mais au moins régionale ou locale.

Le constat le plus dramatique est sans doute celui de la montée de la violence, car les trafiquants n'ont plus de limites. La ville de Metz compte 120 000 habitants, que l'on aurait pu croire relativement épargnés. Or nous avons connu des règlements de compte avec l'utilisation d'armes lourdes. Ce type de situation nécessite l'intervention de la police nationale, car la police municipale n'a aucun pouvoir en la matière. On observe également, de plus en plus, un recours à la population dont les appartements servent de « nourrices » ou de caches, de refuge, ce qui nous amène à travailler avec les organisations sociales et avec les logeurs.

Désormais, les trafiquants procèdent aussi par livraison à domicile : le client passe commande au point de deal, puis vient chercher la marchandise ou bien se la fait livrer. La police municipale joue sur ce sujet un rôle important en surveillant la circulation aux abords des points de deal, notamment celle des scooters qui partent livrer la marchandise dans l'ensemble du territoire.

En matière de consommation, les produits se sont diversifiés : à Metz, tous les produits sont proposés. On voit désormais arriver des drogues extrêmement dures dans des territoires où elles n'existaient pas jusqu'alors, ce qui entraîne des problèmes d'addiction et de santé mentale, et les maires doivent procéder de plus en plus souvent à des hospitalisations d'office qui concernent des individus sous substances, difficiles à gérer et errant sur la voie publique.

Les maires jouent un rôle primordial dans la politique de prévention, dont nous restons persuadés qu'elle constitue la meilleure voie pour trouver des solutions. Les sanctions et la répression sont nécessaires, mais il est indispensable de mener un travail social auprès d'individus qui sont, bien souvent, à la fois trafiquants et consommateurs, à la fois coupables et victimes.

Le rôle du conseil local et du conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD-CISPD) est primordial, puisque ces instances permettent la concertation des partenaires locaux, indépendamment des réunions régulières et classiques entre la police, la justice et les municipalités. Les préfectures participent à leur mesure, mais il faut surtout que la police municipale puisse jouer son rôle, comme l'a évoqué M. Piolle. En confortant certains pouvoirs des policiers municipaux, on pourrait améliorer le contrôle du trafic de stupéfiants : parmi ces pouvoirs, il y a le dépistage, la possibilité de procéder à des tests d'éthylomètre lors des contrôles routiers, la verbalisation immédiate ou le recours à l'amende forfaitaire. En l'état, la police municipale n'a pas le droit de recourir à l'amende forfaitaire, et ce serait un grand bond en avant qu'elle puisse le faire ; on pourrait ainsi décharger les commissariats car, pour l'instant, même dans le cadre d'une interpellation pour une petite quantité de produit stupéfiant, le contrevenant doit être présenté à l'officier de police judiciaire. On gagnerait également en efficacité si l'on ouvrait aux policiers municipaux la possibilité de procéder aux contrôles d'identité.

Nous faisons le même constat que nos collègues sur les commerces de façade, par exemple ces épiceries qui sont ouvertes toutes les nuits et toute la nuit, et dont l'activité sert vraisemblablement au blanchiment d'argent.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - La police municipale se caractérise par sa proximité avec la population. Elle connaît les rues, les quartiers et souvent les familles. Elle voit les difficultés des uns et des autres. Elle peut être utile pour le repérage de la consommation. Or l'on sait que la consommation, c'est la base du trafic : s'il n'y a pas de consommateur, il n'y a pas de trafic.

Comment accroître le rôle de la police municipale dans le repérage de la consommation afin de mieux asseoir la politique de lutte contre le trafic ?

De même, le trafic de drogue nécessite le blanchiment d'argent. Lutter contre le blanchiment, c'est lutter contre le produit du trafic et c'est là que réside l'essentiel de l'efficacité de l'action publique. Que peut faire la police municipale en la matière ? Que peuvent faire les communes pour lutter contre le blanchiment, pour être capables de mieux alerter les services, de favoriser les saisies et, le cas échéant, les confiscations ?

M. Jérôme Durain, président. - Lors des auditions, on nous a décrit l'émergence d'un phénomène lié au risque corruptif et à la corruption de « basse intensité ». Vous appelez de vos voeux une plus grande latitude laissée aux polices municipales dans leur travail sur le trafic, mené en lien avec la police nationale. Ne craignez-vous pas que les maires se retrouvent à devoir gérer ce risque corruptif qui semble être une menace émergente dans le pays ?

Mme Nathalie Appéré. - Pour ce qui est du repérage des trafics, nos polices municipales jouent en réalité déjà le rôle de police de renseignement. Si nous sommes attachés aux cellules de veille et aux groupes de partenariat opérationnels car ils permettent de partager des informations sur des situations territoriales et sur des situations individuelles, nous sommes convaincus que les polices municipales, parce qu'elles sont territorialisées et que leurs missions les conduisent à développer une certaine proximité avec les commerçants, les acteurs associatifs et les habitants du quartier, sont une source de renseignement précieuse pour la police nationale et pour les autorités judiciaires. Elles peuvent tenir ce rôle, me semble-t-il, sans qu'il y ait besoin d'une évolution législative ou réglementaire, puisqu'elles le font déjà. Rien ne les empêche d'exercer cette mission et les canaux existent déjà pour qu'elles fassent remonter l'ensemble des informations.

La lutte contre le blanchiment est une mission sans doute plus complexe. En effet, les pouvoirs de police du maire portent d'abord et avant tout sur les conditions d'hygiène, de sécurité et d'accessibilité d'un commerce. Le maire n'a donc pas le pouvoir d'enquêter sur la comptabilité d'un établissement ou de vérifier des avoirs ou des situations fiscales. D'ailleurs, je ne crois pas qu'il soit souhaitable que nous ayons un tel pouvoir, car nos policiers municipaux ne sont pas formés pour cela et nous serions sans doute bien incapables d'en assumer les suites opérationnelles.

Quant au volet sanitaire, dans le cas par exemple d'un commerce d'alimentation, nous sommes également assez dépourvus de moyens pour intervenir. Comme le disait Éric Piolle, nous pouvons mener des actions de prévention, en élargissant par exemple les capacités de droit de préemption et nous pouvons aussi mieux utiliser nos pouvoirs réglementaires et nos pouvoirs de police ; mais, dans certains domaines, nous serons démunis.

Le risque de corruption est un sujet sur lequel nous restons vigilants. Partout, dans le débat public, les maires sont en première ligne pour dénoncer le deal et les dealers. Il est certain qu'ils s'exposent en faisant cela. Nous sommes habitués à une forme de conflictualisation des rapports sociaux, moins à une prise de risque direct, et pourtant aucun d'entre nous n'hésite à aller dans les quartiers pour dire notre détermination à combattre les trafics, et cela malgré des menaces.

M. Éric Piolle. - Le repérage peut porter sur les lieux de consommation ou sur les lieux de deal. Pour les lieux de deal, nous disposons d'une cartographie connue par notre police municipale, par nos agents en général ou bien par nous-mêmes, car nous sillonnons en permanence la ville. En pratique, nous avons donc une cartographie des points de deal qui s'actualise presque en direct et nous faisons remonter les informations de manière très fluide.

Pour les lieux de consommation, il faut distinguer entre la consommation qui se fait dans la rue et celle qui a lieu dans l'espace privé. Le repérage est évidemment compliqué, puisque l'on estime qu'un Français sur trois consomme du cannabis. Il convient donc de décider qui l'on souhaite cibler en matière de consommation. Si l'enjeu est d'exemplarité, on ciblera les élus ou certaines professions libérales, par exemple. Toute la question est de définir l'objet de la politique publique mise en oeuvre.

Nous parlons trop souvent de répression, mais rarement de santé publique. Pourtant, c'est bien là ce qui nous inquiète, en tant qu'élus, quand nous passons le matin devant des collèges et des lycées et que nous voyons des jeunes fumer. La situation en matière de santé publique nous inquiète également quand nous voyons des notables de la ville fréquenter des lieux de deal.

S'agissant du repérage destiné à lutter contre le blanchiment, nous disposons souvent d'indices grâce à des indiscrétions ou à des rumeurs au sujet des repreneurs de tel ou tel commerce. Nous faisons remonter ces informations, mais la démonstration du blanchiment nécessite un travail d'enquête approfondi et je ne pense pas que nous devions nous engager plus avant en la matière.

Les propositions de France urbaine ont davantage trait à la mise à disposition de moyens afin de réaliser des contrôles qui peuvent porter sur d'autres sujets, mais qui permettent parfois de gêner un commerce plus efficacement. Des contrôles sanitaires ou portant sur d'autres aspects réglementaires peuvent ainsi viser les commerçants au sujet desquels existent des doutes et dont la situation nécessiterait une longue enquête. Nous avons ainsi procédé à la fermeture administrative d'un bar dont la connexion wifi ne respectait pas la réglementation relative à la protection des données : le patron de l'établissement était un délinquant notoire, mais aucun fait n'avait été établi à ce titre.

Concernant les missions actuellement confiées à la police municipale, il me semble extrêmement important qu'elle ne se désengage pas plus avant de son rôle de gardien de la paix, de régulation de l'espace public et de lutte contre la petite délinquance - le risque étant de mobiliser l'ensemble des moyens pour la lutte contre le trafic de drogue en délaissant les autres missions. Je rebondis d'ailleurs sur votre remarque selon laquelle les policiers municipaux ont une connaissance fine de la ville, de ses rues et de ses acteurs : c'était également le cas de la police nationale par le passé. Le passage à une police d'intervention a limité sa connaissance du terrain à certains aspects, le maillage fin étant assuré par la police municipale.

Enfin, le récent mouvement de grève des policiers municipaux est lié au transfert accru de missions qui relevaient jusqu'à présent de la police nationale. D'où leur légitime revendication de disposer des mêmes avantages que ceux octroyés aux policiers nationaux, qui ont été importants ces dernières années. Ces disparités font d'ailleurs peser un risque sur le recrutement, les candidats à la police municipale ne postulant pas pour les mêmes raisons que ceux désireux de rejoindre la police nationale. Comme l'avait montré un rapport de la Cour des comptes en 2020, la fusion croissante des missions débouchera sur la formation d'un corps qui revendiquera les mêmes moyens que ceux de la police nationale, alors que les collectivités locales n'ont pas du tout les capacités d'offrir les mêmes niveaux de salaire et de rémunération. Une concurrence est d'ailleurs déjà à l'oeuvre entre les communes, qui augmentent le régime indemnitaire en espérant attirer les policiers de la ville voisine.

M. Hervé Niel. - Je rebondis sur l'une des remarques de M. Piolle en soulignant qu'il ne faut pas confondre la complémentarité entre les forces de l'ordre nationales - police et gendarmerie - et les polices municipales avec l'absorption d'un échelon par l'autre. Nous constatons en effet un glissement croissant des missions relevant de la police nationale vers la police municipale, pour une raison très simple qui tient au manque d'effectifs et de moyens qui affecte la première.

Au contact de la population, les polices municipales adoptent une approche de proximité qui a été progressivement perdue par la police nationale. En ce qui concerne le trafic de stupéfiants, il faut éviter, de la même manière, un transfert de compétences qui serait la pire des solutions : les polices municipales ne peuvent pas lutter contre le trafic, même si elles peuvent participer à la lutte contre le trafic de drogue par leur connaissance fine des villes et de leurs habitants. Au-delà du repérage des points de consommation et de deal, la lutte contre le trafic passe également par l'action des services sociaux et par les mairies de quartier, points d'entrée de nombreux renseignements et qui permettent un contact très proche avec la population.

La proximité et la connaissance du terrain me semblent donc être les rôles essentiels de la police municipale, capable de suivre l'évolution des points de deal quasiment heure après heure. L'enjeu consiste ensuite à transmettre rapidement et efficacement ces informations aux services concernés.

Une logique similaire s'applique au blanchiment : nous avons en effet vent des commerces « suspects » et une coopération étroite avec la police nationale doit être de mise, à laquelle ces informations échappent souvent en raison des nombreuses missions qui lui sont confiées. S'il convient d'éviter de lui attribuer des tâches qui ne relèvent pas de son ressort, la police municipale doit, quant à elle, être dotée des moyens lui permettant de remplir ses missions de proximité et de contact qui sont, par la force des choses, des missions de renseignement.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - En dehors de cette tribune commune, des démarches ont-elles été engagées afin de regrouper l'ensemble des communes - petites ou grandes - touchées par le narcotrafic, en vue notamment d'échanger avec les villes guyanaises d'où provient une partie de la drogue consommée dans vos villes ?

Par ailleurs, monsieur le maire, la ville de Grenoble met en place de nombreuses actions visant à lutter contre le trafic de drogue, mais qu'attendez-vous de l'État en dehors de l'augmentation des effectifs de police ?

M. Éric Piolle. - Nous n'échangeons pas spécifiquement avec les villes de Guyane, France urbaine intégrant les villes de plus de 100 000 habitants et les intercommunalités de plus de 250 000 habitants, soit une centaine d'adhérents. La réflexion transpartisane y prévaut, avec un large consensus sur nos vécus et nos propositions.

Nous attendons de l'État des critères d'évaluation de la stratégie de lutte contre le narcotrafic, en y intégrant l'explosion de la consommation qui nous inquiète fortement pour la santé publique : celle de cannabis demeure extrêmement élevée, tandis que celle de cocaïne tend à se banaliser. Nous redoutons en outre l'arrivée du crack et du fentanyl, voire d'autres substances. Nous attendons donc une stratégie intégrant l'ensemble de ces aspects, en clarifiant la répartition des moyens entre cette lutte contre la drogue et ceux dédiés aux autres phénomènes de violences, qui semblent parfois insuffisants.

Le ministère de l'intérieur gagnerait à faire preuve de davantage de transparence sur la répartition des effectifs, l'absence d'informations précises faisant naître le sentiment d'une concurrence des uns avec les autres : dès que nous obtenons un poste de policier supplémentaire, nous nous demandons si ce n'est pas au détriment d'un collègue, ce qui est plutôt désagréable.

Enfin, la balkanisation du trafic, qui s'accompagne de la montée en puissance d'une violence gratuite et soudaine, nous inquiète. Le phénomène s'est traduit par la recrudescence d'homicides survenue l'an dernier, ces vagues de violences marquant d'ailleurs parfois des temps morts que l'on peine à expliquer. Ainsi, aucun homicide lié au trafic de drogue n'a eu lieu à Grenoble entre 2016 et 2020, sans que l'on sache si le trafic était alors bien tenu par un patron-dealer ou si cette situation résultait uniquement d'aléas. La crainte d'une balle perdue est répandue chez les acteurs publics, car des armes sont désormais dégainées en pleine journée dans des endroits très fréquentés.

Nous avons le sentiment désagréable, ministre de l'intérieur après ministre de l'intérieur et depuis une vingtaine d'années, que les politiques menées relèvent de l'affichage et de l'effet d'annonce, alors que la situation se dégrade sur le terrain en termes tant de santé publique que d'affermissement de l'emprise du trafic, avec ses répercussions sur les habitants concernés. C'est pourquoi nous avons mis en exergue des éléments objectifs de comparaison avec d'autres pays, dans lesquels d'autres stratégies ont pu être mises en place.

Mme Karine Daniel. - Concernant la complémentarité entre police nationale et police municipale, j'imagine qu'il n'existe pas de consensus dans les territoires quant à la répartition des missions entre les deux corps. N'oublions pas que donner davantage de missions aux policiers municipaux peut entraîner un désengagement ou du moins un ajustement des déploiements de la police nationale.

Par ailleurs, la coopération des villes et des territoires avec le ministère de l'intérieur me semble d'autant plus nécessaire que la mobilité géographique des trafiquants et des flux s'est accrue, comme l'illustre la diversité des modes d'entrée des stupéfiants dans les ports, qui modifient la géographie des trafics et donc leur impact sur les villes.

Mme Nathalie Appéré. - Les membres de l'association s'accordent sur le fait que la police municipale reste placée sous l'autorité du maire et que chaque équipe municipale soit libre de décider - dans le cadre du droit - des missions qu'elle lui affecte. Ce consensus nous a permis de formuler des propositions transpartisanes, un débat existant effectivement parmi les élus.

Certains considèrent que le régalien ne se partage pas et qu'il est par principe dangereux d'aller trop loin ou encore plus loin dans la substitution de la police municipale à la police nationale ; d'autres estiment que, compte tenu de la pénurie d'effectifs - un motif d'inquiétude croissant à l'approche des jeux Olympiques -, il est concevable que la police municipale devienne plus fortement un auxiliaire de la police nationale, dans le cadre de conventions.

Selon nous, l'important est de laisser le choix aux équipes municipales et d'éviter que l'État impose une série de missions aux polices municipales, les électeurs se prononçant ensuite pour juger du bien-fondé des décisions locales.

Nous appelons par ailleurs de nos voeux - et nous l'avons formalisé sous plusieurs formes - une coopération renforcée avec le ministère de l'intérieur afin de trouver des solutions dans un cadre global, comme l'a exprimé Éric Piolle. J'insiste sur le fait que nous sommes en bout de chaîne, isolés dans les réponses que nous tâchons d'apporter à la population. S'il est normal que les interpellations quotidiennes des habitants nous soient directement adressées, nous sommes partout confrontés à des phénomènes de plus en plus durs qui ne pourront pas être réglés ni en faisant des moulinets avec les bras ni en quintuplant les effectifs de la police municipale. Nous avons besoin de davantage de coopération, y compris à l'échelle européenne, en gelant les avoirs financiers, en procédant à des contrôles aux frontières et en remontant les filières.

J'ajoute que notre approche globale doit dépasser le seul rôle de la police municipale, une partie de nos propositions ne la concernant pas. Par exemple, et même si cela peut paraître iconoclaste, des actions « coup de poing » des services de propreté peuvent accompagner utilement les opérations de police en procédant, par exemple, à la saisie des canapés : installés en pleine rue, ceux-ci sont en effet le symbole, pour les habitants, de ce qu'il y a de plus insupportable dans cette occupation de l'espace public par le point de deal. La mobilisation de ces services concourt ainsi à la stratégie d'ensemble, en nuisant concrètement au trafic.

Enfin, la politique de santé publique ne doit pas être négligée : j'en profite pour souligner que les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (Caarud), qui accomplissent un travail important, manquent de moyens alors même que les situations de toxicomanie et les pratiques à risques sont de plus en plus nombreuses.

M. Guy Benarroche. - Certaines expérimentations menées dans vos villes, dans le domaine de la prévention par exemple, pourraient-elles être élargies ? Faut-il selon vous créer un cadre d'accompagnement de ces expérimentations ?

M. Éric Piolle. - Nous n'en sommes pas là ; il est plutôt question de projets embryonnaires que d'expérimentations susceptibles d'être généralisées. Par exemple, nous avons travaillé pendant deux ans avec des groupes d'habitants à la production de vidéos financées par la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), afin de montrer l'envers du décor et la vie des habitants à proximité d'un point de deal. Il s'agissait de cibler les consommateurs et de mettre en lumière le décalage entre une consommation de stupéfiants que tout le monde semble trouver normale et la réalité vécue au pied des points de deal, avec des habitants en proie à des difficultés pour rentrer chez eux ou contraints de devenir des « nourrices ». Nous voulions montrer cette réalité afin d'enlever de la légèreté à une consommation de drogue largement vue comme récréative.

Nous menons également des actions de sensibilisation au niveau des collèges, en lien avec la police municipale, à un moment où le risque d'emprunter la voie de l'argent facile, encouragé par l'aspiration à la reconnaissance sociale et par le désir d'appartenir à un groupe, est fort. Ce travail est conduit avec des moyens très réduits, les sources de financement de l'éducation populaire s'étant taries. En bref, nous voulons cibler ceux qui vivent bien en tant que consommateurs alors même qu'ils le font sur les habitants d'un quartier voisin.

Davantage qu'un cadre d'accompagnement, nous avons besoin de financements et d'une stratégie globale qui considère les consommateurs de drogues non pas uniquement comme des usagers récréatifs ou des délinquants, mais également comme des malades, et qui englobe aussi le travail visant à éviter la récidive après le passage en prison.

M. Michel Bonnus. - L'existence d'un système associatif dense limite-t-elle l'ampleur des trafics ? Par ailleurs, le cas du Portugal, qui a réussi à obtenir des résultats très significatifs en termes de diminution de la consommation et du trafic, pourrait nous inspirer.

Mme Nathalie Appéré. - Parmi les points qui font consensus entre élus, nous constatons que la France s'est dotée de la législation la plus répressive en Europe, mais que la consommation de stupéfiants y est la plus élevée du continent. C'est pourquoi nous observons avec beaucoup d'intérêt le système portugais, même si l'association ne prend pas position sur les questions de dépénalisation ou de légalisation. Nous appelons plutôt à la poursuite du débat, par le biais d'une convention citoyenne le cas échéant.

Quant à la corrélation entre éducation populaire, force des liens sociaux et ampleur du trafic de drogue, je ne pense pas que nous disposions d'éléments scientifiques, mais j'estime qu'il faut mener ces politiques en tout état de cause, d'autant plus lorsque les habitants sont exposés à des points de deal. Face aux phénomènes d'ampleur auxquels nous sommes confrontés, une forme de découragement pourrait prendre le dessus et conduire à abandonner certaines politiques d'éducation et de prévention, voire certaines politiques de police qui ont parfois pour seul effet de déplacer le point de deal. Pour autant, les actions menées pour décourager l'entrée dans le trafic, notamment le travail avec les parents, sur l'occupation positive de l'espace public et l'amélioration du cadre de vie, ne sont aucunement invalidées par ce déplacement du point de deal.

Le niveau de développement de l'organisation criminelle liée au trafic de stupéfiants est tel que nous avons besoin de moyens excédant le champ de la prévention, de la santé et de l'éducation.

M. Jérôme Durain, président. - Je vous remercie d'avoir consacré du temps à cette commission d'enquête.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 25.