Lundi 25 mars 2024

- Présidence de M. Jérôme Durain, président -

La réunion est ouverte à 14 h 30.

Audition conjointe de M. Jean-François Dutheil, directeur général par intérim des douanes et des droits indirects, et M. Florian Colas, directeur de la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières(ne sera pas publié)

Cette audition s'est déroulée à huis clos. Le compte rendu ne sera pas publié.

La réunion est close à 16 h 00.

Mardi 26 mars 2024

- Présidence de M. Jérôme Durain, président -

La réunion est ouverte à 9 h 20.

Audition de M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique

M. Jérôme Durain, président. - Monsieur le ministre, merci de votre présence devant notre commission d'enquête. Avant d'entamer nos échanges, je dois vous soumettre à la rituelle prestation de serment. Je rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous inviter à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. Bruno Le Maire prête serment.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - On estime aujourd'hui entre 3 et 6 milliards d'euros le chiffre d'affaires en France du narcotrafic. Il est le fait de narcotrafiquants qui organisent une véritable entreprise s'appuyant sur des consommateurs. Pour l'essentiel, il s'agit d'argent liquide et de petites coupures. Monsieur le ministre, pouvez-vous confirmer l'évaluation de ce chiffre d'affaires ? Et pourquoi n'arrive-t-on pas à mieux identifier, suivre et capter ces flux de petites monnaies qui circulent rapidement et constituent des avoirs considérables entre les mains des têtes de réseaux ?

M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique. - Je confirme ce chiffre de 3,5 milliards d'euros, même s'il me paraît largement sous-estimé. Mais avant de répondre précisément à vos questions, je souhaite inscrire mon propos d'introduction dans une réflexion plus large sur le narcotrafic en France.

La drogue est une gangrène pour la France et les Français, et cette gangrène, dont nous n'avons pas encore pris toute la mesure, gagne du terrain. La tolérance zéro, aussi bien à l'égard des trafiquants que des consommateurs, est, à mes yeux, le seul remède. Le Président de la République et le ministre de l'intérieur en ont fait une priorité nationale, et ma détermination en tant que ministre de l'économie et des finances est, sur ce sujet, totale.

Quel est l'état des lieux ? Nous devons être lucides sur la présence massive de multiples drogues partout sur le territoire ; tous les territoires sont aujourd'hui concernés, les grandes villes comme les territoires ruraux, les grandes métropoles comme les petites communes. Ce narcotrafic représente 200 000 personnes en activité et un chiffre d'affaires, encore une fois probablement sous-estimé, d'au moins 3,5 milliards d'euros.

Le cannabis reste - de très loin - la drogue la plus consommée, avec 1,3 million d'usagers réguliers et 5 millions de Français qui en consomment au moins une fois chaque année. Ces chiffres placent notre pays à la triste première place des pays européens en termes de consommation de cannabis. Ce dernier provient à 70 % du Maghreb ; il arrive chez nous après avoir traversé la mer Méditerranée, l'Espagne et les Pyrénées. À tous ceux qui veulent relativiser la gravité du cannabis, je rappelle que celui-ci s'avère de plus en plus fort, que son taux de tétrahydrocannabinol (THC) a été multiplié par sept en vingt ans, qu'il est responsable d'effets psychotropes, d'addictions et de risques de schizophrénie chez les jeunes.

Vient ensuite la cocaïne, dont la consommation a été multipliée par quatre en Europe en vingt ans ; nous pouvons parler, à ce sujet, de tsunami blanc, et celui-ci n'épargne pas la France. En effet, 2 millions de nos compatriotes ont déjà fait usage de cocaïne. Nous devons cette explosion au double effet d'une augmentation de la production et d'une saturation du marché nord-américain, foyer historique de consommation de cocaïne. Pour trouver de nouveaux débouchés, les trafiquants ont décidé de cibler le continent européen et notamment la France. Cette cocaïne provient à 90 % de Colombie et du Pérou, et traverse l'Atlantique par bateau ou avion. Produite à environ 1 000 euros le kilogramme, elle est revendue au détail à au moins 32 000 euros le kilogramme, ce qui en fait l'un des commerces les plus rentables de la planète.

Enfin, une troisième forme de drogue nous inquiète ; ce sont les drogues de synthèse - méthamphétamine, ecstasy, GHB - et les opioïdes - morphine, fentanyl ou tramadol. Ces drogues font déjà des ravages aux États-Unis où, au cours de la seule année 2023, 120 000 personnes sont mortes d'une overdose. Soyons lucides, ces drogues arrivent aussi en Europe et en France avec des agents chimiques, comme des solvants ou des acides, qui peuvent être utilisés légalement dans l'industrie chimique et sont importés de Chine et de Hong Kong. Ces agents chimiques sont ensuite détournés, transformés sous forme de drogues particulièrement addictives, et vendues quelques euros sur le marché français.

En résumé, nous sommes confrontés à des produits de plus en plus nocifs, de plus en plus accessibles et qui enrichissent de plus en plus les narcotrafiquants. Cette présence est renforcée par deux évolutions dont nous devons avoir conscience.

Premièrement, une grande nouveauté est que les trafiquants de drogue ont désormais des moyens comparables à ceux des États. Ils disposent d'un arsenal technologique : des sous-marins grâce auxquels ils peuvent transporter la drogue sans être repérés, des balises, des caméras positionnées dans les containers de stupéfiants pour mieux les tracer. Ils ont accès à des téléphones cryptés qui leur permettent de communiquer sans aucune crainte d'être écoutés. Ils utilisent des méthodes de corruption des agents portuaires, de menaces contre le personnel politique, comme nous l'avons vu récemment aux Pays-Bas. Nous n'avons plus affaire à des réseaux artisanaux ; j'ai vu, en sept ans, l'artisanat se transformer en professionnalisme, en grand banditisme, avec un système mafieux ultra-professionnel qui, je le répète, gangrène le territoire français. Ces groupes mafieux ne craignent pas les États ; ils les concurrencent et sont prêts à les terroriser par tous les moyens.

La deuxième évolution majeure concerne l'endogénéisation de la production de drogue. Celle-ci n'est plus simplement importée, sa production progresse sur les sols européen et français. On assiste, comme le savez, à une régionalisation des chaînes de valeur ; je crains que cette régionalisation ne concerne également la production de drogue. Nous regardons attentivement deux pays : les Pays-Bas et l'Espagne.

Les Pays-Bas sont en train de devenir pour la production de drogues de synthèse l'équivalent de la Colombie pour la production de cocaïne. Les composants chimiques débarqués dans les ports d'Amsterdam et de Rotterdam sont à double usage. Acheminés dans des laboratoires à proximité, ils sont transformés en drogue et diffusés par les axes routiers sur le reste du continent. La drogue n'est plus uniquement importée mais désormais produite sur le sol européen. Si les mesures nécessaires ne sont pas prises, nous risquons de voir apparaître de nouveaux Medellín au coeur du continent européen.

L'Espagne, de son côté, produit de plus en plus de cannabis, mais aussi des drogues de synthèse sous l'impulsion de chimistes mexicains arrivés récemment et repérés dans les territoires espagnols. Si l'on ne constate pas, à ce jour, de production à un niveau industriel en France, nous restons très vigilants. Nous commençons notamment à voir s'implanter des trafiquants étrangers, venus de cartels sud-américains, sur le sol national. Nous devons agir vite, car bientôt il sera trop tard.

Ce narcotrafic représente un danger majeur pour notre sécurité nationale ; je le considère avec la même gravité que le danger terroriste. En 2023, on a recensé 315 homicides ou tentatives d'homicide, dont 47 à Marseille, liés au narcotrafic ; cela appelle une réponse intraitable, dont les dernières opérations lancées par le ministre de l'intérieur et le ministre de la justice sont le reflet.

De quels moyens dispose le ministre de l'économie et des finances pour faire face à ces trafics ? Et quels sont les moyens supplémentaires, qui me paraissent indispensables à déployer face à la montée en puissance de la menace ?

Nous contrôlons d'abord les frontières ; je veux rendre hommage au travail exceptionnel accompli par les services des douanes, leurs agents de renseignement et la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED). Ils ont procédé, l'année dernière, à 16 000 saisies, représentant un total de 92 tonnes de drogue, pour une valeur marchande de près de 1 milliard d'euros ; cela représente 70 % du total des saisies de stupéfiants dans notre pays.

Ma deuxième responsabilité porte sur la lutte contre le blanchiment d'argent, qui consiste à réinjecter l'argent illégal de la drogue dans le circuit légal courant. Concrètement, l'argent est collecté par les trafiquants sous forme de petites espèces, de cryptoactifs, de cartes prépayées, de virements dans des comptes éphémères proposés par des néo-banques. Cet argent est ensuite intégré à la comptabilité d'un bar à chicha ou d'un garage automobile dont le chiffre d'affaires va augmenter artificiellement ; il peut aussi être dépensé, on le voit de plus en plus, dans l'achat d'un bien immobilier de luxe ou dans des jeux d'argent. Concrètement, un trafiquant préfère aujourd'hui perdre une partie de ses gains illégaux en les jouant, dans la mesure où il peut récupérer légalement une somme même inférieure ; c'est le prix à payer du blanchiment. Traquer ce blanchiment d'argent est le rôle des 220 agents de Tracfin.

Depuis 2017, nous avons augmenté les moyens humains ; les effectifs de surveillance des douanes ont été augmentés de 287 équivalents temps plein (ETP) et ceux de Tracfin ont quasiment doublé. Concernant les moyens matériels, nous avons modernisé les équipements et les moyens de détection des douanes avec le « plan stups » de 2019 et le plan sur la sûreté des ports de 2023. Les douanes vont désormais mobiliser 120 lecteurs automatiques de plaques d'immatriculation (Lapi) afin de traquer les trafiquants sur les routes, et des camionnettes scanners seront prochainement positionnées dans les terminaux sensibles pour détecter les cargaisons. Enfin, un algorithme de détection des stupéfiants envoyés par colis postaux est en cours d'expérimentation.

Concernant les moyens juridiques, l'arsenal des douanes a été renforcé par la loi de juillet 2023, qui comprend l'assouplissement des procédures de saisie des agents chimiques nécessaires aux drogues de synthèse. Dès que nous avons un doute sur le caractère illégal de l'utilisation du solvant, nous le saisissons, ce que nous ne pouvions pas faire auparavant ; cela permet de prévenir l'éventuelle mise en place de laboratoires de fabrication sur le sol français. Nous avons également élargi le recours aux techniques spéciales d'enquête, comme la captation d'image ou la sonorisation, et nous pratiquons la retenue temporaire de sommes d'argent liquide à l'intérieur du territoire, en cas d'indice de lien avec une activité criminelle. Au total, 664 tonnes de drogue ont été saisies depuis 2017, pour une valeur marchande de plus de 5 milliards d'euros.

En conclusion, je souhaite insister sur la nécessité de disposer de moyens renforcés, notamment au niveau juridique, pour faire face à une menace qui a explosé en intensité et en gravité. Nous voulons permettre à nos services douaniers d'accéder à un maximum de données et de les croiser. Nos douaniers et nos forces de sécurité ont besoin de recueillir plus d'informations de la part des grandes compagnies de transport maritime et de logistique, afin de pouvoir rapidement déceler les conteneurs suspects ; je réunirai prochainement les représentants de ces grandes compagnies pour avancer avec eux sur le sujet.

Nous devons renforcer la coopération internationale. Tel est l'objet notamment de l'alliance des ports européens, promue par la Commission européenne et dont nous soutenons l'idée ; nous devons avoir la même intensité à Rotterdam, Anvers, Gênes ou au Havre.

Nous avons également besoin de renforcer nos moyens technologiques. Face à la diffusion des techniques de chiffrement des téléphones, notre avantage en matière d'écoute et d'interception téléphoniques est désormais insuffisant. Nous devons réinvestir, de manière à réaliser un saut technologique nous permettant de repérer les conversations cryptées des trafiquants, ce dont nous ne sommes pas capables actuellement. Les États-Unis peuvent pénétrer les applications les plus sécurisées ; il est temps que la France puisse le faire également.

Enfin, au niveau administratif, nous devons simplifier, accélérer et renforcer les procédures afin de taper plus efficacement les trafiquants au niveau du portefeuille. Nous devons ajouter une lame préventive, celle de la procédure administrative. Dès que nous disposons d'indices graves, notre proposition, avec le Président de la République et le ministre de l'intérieur, est de passer à l'action pour geler immédiatement les avoirs des têtes de réseaux et de leurs lieutenants. Il ne sera plus nécessaire d'engager une procédure judiciaire ; des indices graves et concordants seront suffisants pour appliquer un gel des avoirs à tous les narcotrafiquants, aux gestionnaires financiers, aux gérants d'actifs, aux banques, aux assurances, aux notaires et aux agents immobiliers qui disposent des biens des narcotrafiquants. Ce gel des avoirs administratif, qui n'existe pas pour l'instant, est un point absolument capital.

J'insiste sur notre mobilisation totale avec le Président de la République sur ce sujet. Et je voudrais enfin profiter de cette audition pour que chacun prenne conscience de la gravité de la menace que fait peser le trafic de stupéfiants sur la stabilité de la société française.

M. Jérôme Durain, président. - Monsieur le ministre, vous êtes l'un des piliers d'une équipe gouvernementale qui est aux affaires depuis sept ans. Ma première question concerne la méthode. On a le sentiment que la gravité de la situation que vous décrivez aujourd'hui avec des mots forts, presque alarmistes, donne lieu à des propositions un peu tardives et parfois imprécises. J'en veux pour preuve le « plan stups » rénové dont la présentation, pourtant annoncée, n'est toujours pas programmée. Nous nous en sommes procuré un exemplaire qui est assez famélique. Avez-vous été associé à la préparation de ce plan ?

Un certain nombre de mesures annoncées ces derniers jours ne figurent pas explicitement dans ce plan. Vous avez annoncé, dès le 8 décembre 2023, le gel administratif des avoirs ; on a également parlé de tests salivaires, de cours spéciales ; or, le document qui sera proposé à la représentation nationale ne mentionne rien de cela.

Sur le point précis du gel des avoirs, dont nous pouvons partager l'idée qu'il s'agit d'un élément essentiel, comment cela va-t-il se mettre en place ? Pouvez-vous préciser l'articulation de cette mesure avec les autres dispositifs, ainsi que sa conformité avec le droit européen ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je profite de cette audition pour insister sur le caractère systémique de la menace ; elle est aussi grave pour la société française que la menace terroriste. De la même façon que nous devons avoir conscience que l'islam radical livre une guerre aux pays européens en général et à la France en particulier, nous devons avoir conscience que les narcotrafiquants ont décidé de faire l'Europe, et en particulier de la France, l'une de leurs bases avancées. Le marché nord-américain est saturé, les narcotrafiquants ont besoin d'un autre marché : c'est la France et l'Europe. La France se trouve prise en étau entre, d'une part, le développement du marché de la cocaïne qui était auparavant principalement nord-américain et, d'autre part, le maintien d'un réseau de cannabis venu du Maroc et d'autres pays d'Afrique du Nord.

Pour ces raisons, il est urgent de changer notre posture. Ce changement est aussi lié à de récentes évolutions systémiques du commerce mondial. Après le covid-19, nous avons assisté à un repositionnement global des chaînes de valeur ; et le marché de la drogue est également concerné par cette évolution.

Nous avons, avec le ministre de l'intérieur, apporté une série de réponses. J'ai évoqué l'augmentation des moyens de la douane et de Tracfin ; nous avons doublé les moyens de ce dernier. Le ministère de l'économie et des finances pilote trois des cinquante-cinq mesures du plan annoncé par le ministre de l'intérieur, concernant notamment le domaine routier, le ciblage et la détection des conteneurs maritimes, ainsi que la lutte contre le trafic de stupéfiants via le fret express et postal.

Nous avons besoin de la coopération des opérateurs maritimes afin de repérer, par exemple, si un nouvel agent circule dans le port ou si une nouvelle cargaison se retrouve sur un porte-container. Tous ces éléments supposent de disposer des données pertinentes à exploiter et, pour cela, la coopération des opérateurs maritimes ; je dois voir prochainement le groupe CMA CGM pour échanger avec eux sur le sujet. Seul le scannage des données permet de savoir si un produit apparaît suspect dans un container.

Le gel des avoirs des narcotrafiquants est un dispositif essentiel, qui s'inspire du dispositif existant en matière de terrorisme ; c'est aussi pour cela que je ne cesse de faire la comparaison entre terrorisme et narcotrafic. La menace est, à mes yeux, de la même intensité.

Il existe un gel des avoirs dans la lutte contre le terrorisme. Nous proposons que le gel des avoirs dans la lutte contre les narcotrafiquants soit adopté dès cette année par le Parlement. Concernant la doctrine d'emploi, il importe déjà qu'un certain nombre de cibles soient identifiées. Nous proposons que ces cibles soient proposées conjointement par mes services, avec la DNRED, et ceux du ministère de l'intérieur, avec l'Office antistupéfiants (Ofast). La coordination en termes de renseignement entre ces deux services devrait permettre d'identifier ces cibles. Pour éviter toute confrontation avec des procédures en cours, l'autorité judiciaire serait évidemment associée à cette désignation afin que les mesures administratives d'entrave financière interviennent en complémentarité avec l'action judiciaire et ne perturbent pas les enquêtes en cours.

Une fois la désignation effectuée par les services du ministère de l'intérieur et ceux du ministère des finances, en coopération avec l'autorité judiciaire, l'ensemble des assujettis à la réglementation anti-blanchiment devront geler les avoirs des personnes concernées dont on aura fourni le nom. Cela concerne les banques, les agences, les assurances, les notaires, les avocats, les agents immobiliers ; la loi leur permettra de geler les avoirs des personnes désignées administrativement. Si le narcotrafiquant se trouve à Medellín ou ailleurs en Europe, et s'il ne peut pas être poursuivi pour toutes sortes de raisons juridiques, nous pouvons quand même geler ses avoirs. Le fait d'accepter une restriction de liberté publique, par la voie administrative, afin d'assurer la protection de nos compatriotes est une véritable révolution. Par rapport à l'action judiciaire et policière, avec des saisies et des confiscations pénales qui n'étaient prises qu'en fonction de la connaissance du patrimoine, cela permet de gagner du temps, en plus du caractère automatique. Désormais, peu importe le patrimoine, tous les actifs seront gelés.

Ce dispositif est tout à fait conforme au droit européen. Il va dans le sens de l'initiative de la Commission européenne, qui a proposé de renforcer les procédures de saisie et de confiscations judiciaires. Le sujet mérite d'être porté au niveau européen. Nous souhaitons que le choix français fasse jurisprudence et soit étendu, ensuite, à tout le territoire européen.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Lors de nos travaux, nous avons été frappés par la capacité des réseaux de narcotrafiquants à être conseillés lors d'une procédure. Ils s'entourent des meilleurs conseillers fiscaux, avocats et autres juristes. Votre dispositif sera, à n'en pas douter, exposé à des contestations permanentes de la part de conseils de plus en plus chevronnés.

Mon interrogation porte sur les liens entre le narcotrafic et l'économie légale. Ces petites coupures intègrent l'économie légale dans des secteurs parfaitement identifiés : le bâtiment, la restauration, les services de sécurité privés, ainsi qu'une foule de petits commerces dans le domaine de la téléphonie, de l'onglerie ou des barbiers avec des chiffres d'affaires complètement fictifs. Quels dispositifs pouvons-nous mettre en place pour mieux les surveiller ? Comment se fait-il que l'on ne puisse pas repérer plus facilement ces flux d'argent liquide ? Est-ce lié à un manque de moyens, de dispositifs de surveillance ou de coordination entre les différents services ?

Si l'on s'attaque à ces flux, cela risque de fragiliser l'économie réelle, quand bien même ils sont illégaux. Avez-vous identifié les conséquences d'un renforcement des confiscations dans les secteurs concernés, notamment le bâtiment ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Les petits ruisseaux qui deviennent les grandes rivières du trafic sont les plus difficiles à traquer. Il existe d'anciennes méthodes, comme les commerces d'onglerie, les barbiers ou les bars à chicha qui présentent des chiffres d'affaires en décalage avec l'activité de leur commerce. D'autres méthodes ont émergé plus récemment. Je pense au « schtroumpfage », qui consiste à déposer de petites sommes en espèces, pour ne pas attirer l'attention, sur des comptes bancaires détenus par des personnes différentes. Les complices, titulaires de ces dizaines voire centaines de comptes, sont appelés les « schtroumpfs », et touchent une commission sur l'argent déposé.

Je pense également à la méthode du fractionnement pour contourner les obligations déclaratives prévues par la réglementation de contrôle de l'argent liquide, qui consiste à fragmenter une somme d'argent en une multitude de petites sommes remises à plusieurs passeurs. Je pense, enfin, à l'utilisation des banques en ligne et des cryptomonnaies.

Pour lutter contre ces phénomènes, nous avons renforcé les moyens humains. Tracfin comptait 125 agents en 2017, contre 220 en 2023. Nous avons également créé une nouvelle sous-direction dédiée aux sanctions et à la lutte contre la criminalité financière à la direction générale du Trésor. Enfin, les effectifs de la branche surveillance des douanes sont passés de 8 196 à 8 483 ETP.

Les derniers développements européens nous permettent de lutter plus efficacement contre l'utilisation des espèces. Nous nous sommes beaucoup battus pour fixer le seuil européen maximal de paiement en espèces à 10 000 euros ; c'est la première fois qu'une telle mesure est prise en Europe, sachant la forte réticence des pays utilisant davantage les espèces comme l'Allemagne.

Nous avons également introduit au niveau européen une obligation de vérification et d'identification du client pour les transactions supérieures à 3 000 euros. Le cadre européen de la lutte contre le blanchiment est renforcé par cette nouvelle directive adoptée en janvier dernier. Nous avons créé l'AMLA - Anti-Money Laundering Authority -, l'autorité de lutte contre le blanchiment, dont les activités débuteront mi-2025. En outre, nous avons soumis les prestataires de services de cryptoactifs aux règles anti-blanchiment et aux obligations de transparence. Enfin, nous avons renforcé le registre des bénéficiaires effectifs, et nous avons mis en place une supervision européenne des opérateurs les plus risqués.

Un des enjeux majeurs concerne la capacité de nos services de renseignement à appréhender les télécommunications cryptées des narcotrafiquants ; actuellement, ils n'ont pas les moyens technologiques pour les casser.

M. Jérôme Durain, président. - Ma question portait sur le « plan stups » à venir, et non sur celui de 2019 sur lequel portait votre réponse. Pouvez-vous préciser les modalités de mise en oeuvre de cette mesure de gel des avoirs ? Au niveau judiciaire, les choses sont déjà compliquées, et l'on se demande quelles seront les marges de manoeuvre au niveau administratif.

Je voudrais vous interroger sur les moyens car il y a un sujet capacitaire. Vous êtes le ministre des comptes publics dans une période où nous serons amenés, collectivement, à réaliser des économies. Beaucoup de personnes auditionnées ont exprimé la nécessité de moyens supplémentaires. Ne serait-il pas judicieux d'investir dans le champ de la justice et de la police pour capter ne serait-ce qu'une partie des 3,5 milliards d'euros liés au narcotrafic ? Ce serait, à n'en pas douter, un service rendu à nos concitoyens et aux comptes de la Nation.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Monsieur le président, je partage votre évaluation. Concernant le gel des avoirs, il s'agit de s'inspirer de ce que nous avons mis en place pour la lutte contre le terrorisme, avec une coopération entre les services, un ciblage des individus et, ensuite, un gel imposé à l'ensemble des entités gérant les biens. Cela fonctionne très bien pour le terrorisme, et le niveau de menace appelle la même détermination et la même nécessité de s'affranchir d'un certain nombre de règles que nous avons respectées jusqu'à présent mais avec lesquelles jouent les narcotrafiquants ; telle est ma position de ministre de l'économie et des finances. Je connais les réticences de certains quant aux libertés publiques, et je peux les entendre ; mais, à mes yeux, il convient d'appliquer au narcotrafic la même jurisprudence qu'au terrorisme.

Nous aurons effectivement besoin de moyens supplémentaires, notamment pour ce qui concerne la détection et la capacité à appréhender les communications cryptées, soit des moyens technologiques et matériels. Bientôt, nous disposerons des nouveaux Lapi. Les scanners plus puissants sont chers, mais sont efficaces ; les aéroports en Guadeloupe et en Martinique, notamment, ont besoin de scanners afin de repérer les passeurs transportant des boules de cannabis dans leur corps.

Je suis favorable à un investissement permettant de lutter contre le narcotrafic. Mon avis est conforme à la position que je défends depuis plusieurs semaines : notre État-providence doit céder la place à un État-protecteur. Nous devons être capables de renoncer à certaines politiques publiques, ou de les faire évoluer, car elles ne donnent pas les résultats escomptés. Ainsi, nous disposerons des moyens nécessaires pour protéger nos compatriotes face à des menaces grandissantes et qui peuvent déstructurer la société française ; le trafic de stupéfiants, aujourd'hui, fait partie de ces menaces.

Mme Marie-Arlette Carlotti. - Monsieur le ministre, vous avez parlé de l'argent des narcotrafiquants et de sa facilité de circulation. Ces derniers achètent notamment du patrimoine immobilier et des produits de luxe. Comment vos services travaillent-ils sur ces signes extérieurs de richesse et quels moyens ont-ils pour constater cela ?

Mon autre interrogation porte sur les banques qui doivent vous opposer le secret bancaire la plupart du temps. Comment travaillez-vous avec elles ?

M. Laurent Burgoa. - Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger sur les groupes interministériels de recherche (GIR), auxquels est associée la direction générale des finances publiques (DGFiP). Existe-t-il une circulaire sensibilisant vos directions départementales sur le sujet des GIR ?

Par ailleurs, étant sénateur du Gard, une personne de vos services peut-elle prendre contact avec le GIR de Nîmes ? Le directeur attend cela avec impatience.

M. Olivier Cadic. - La lutte contre le blanchiment est un enjeu international. Le blanchiment ne concerne pas seulement le trafic de drogue, mais également le terrorisme, le trafic d'êtres humains, la cybercriminalité, l'évasion fiscale, le contournement des sanctions internationales. Nous faisons face à un blanchiment à grande échelle, avec des systèmes de compensation, des systèmes occultes basés sur la confiance ou encore la cryptomonnaie. Lors des auditions, on a souvent mentionné le travail effectué à Dubaï, avec notamment la nomination d'un magistrat de liaison.

À Hong Kong en revanche, les autorités locales n'apportent, semble-t-il, pas de réponses aux demandes de traque des trafiquants ; les États-Unis sont dans la même situation que nous. Hong Kong, porte d'entrée financière vers la Chine, est devenue une sorte de trou noir du blanchiment. Comment tracez-vous la qualité des fonds qui reviennent de Chine pour être ensuite investis en France ? Avez-vous mis en place des mesures de lutte anti-blanchiment liées à cette origine de fonds ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - À ma demande et à celle de Gérald Darmanin lorsqu'il était ministre des comptes publics, nous avons mobilisé les services fiscaux pour détecter de manière efficace tous les signes extérieurs de richesse. On a beaucoup glosé sur les piscines, mais il existe d'autres moyens, concentrés dans l'unité de renseignement fiscal que nous avons créée à la DGFiP, pour repérer ces signes extérieurs de richesse qui peuvent aller de la montre à 200 000 euros jusqu'au patrimoine immobilier et aux voitures. Nous avons donc un service spécifiquement dédié au traçage de ces mouvements légaux de fonds.

Madame la sénatrice, le secret bancaire n'intervient pas sur ce sujet. Les banques ont des obligations légales, notamment celle d'adresser des déclarations de soupçon pour tous les flux illicites liés au blanchiment du trafic de stupéfiants ; les banques représentent à peu près 90 % des déclarations spontanées. Enfin, elles sont obligées de répondre aux demandes de communication de Tracfin ; si nous avons un doute sur tel individu, Tracfin demande à la banque les renseignements pertinents. Je précise que nous n'avons aucune difficulté à traiter avec le secteur bancaire, dont je salue la coopération en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants.

La coopération entre les GIR et la DGFiP fonctionne bien. Chaque année, nous traitons 2 000 demandes de renseignements. Je prends note pour le GIR de Nîmes ; nous allons rapidement le contacter.

La coopération internationale est l'un d'un des enjeux des prochaines années. Il faut davantage de transparence entre les États. Il y a un certain nombre d'États avec lesquels les relations sont plus compliquées ; je confirme vos propos au sujet de Hong Kong. La coopération internationale, en règle générale, fonctionne de manière efficace ; nous avons notamment signé un accord de coopération avec les émiratis pour identifier les avoirs criminels.

M. Khalifé Khalifé. - Monsieur le ministre, avez-vous évalué le coût sanitaire et le coût social des méfaits des drogues ? Je souhaite également revenir sur l'ubérisation des ventes via des banques sur les plateformes. Les banques sont-elles proactives et s'intéressent à ces ventes sur les plateformes ? Enfin, vous avez mis en parallèle le narcotrafic et le terrorisme en matière de menace, mais vous n'avez pas - peut-être volontairement - établi de lien entre les deux. Quelle est votre position sur ce point ?

Mme Karine Daniel. - Monsieur le ministre, je souhaite évoquer la question du blanchiment qui passe par les jeux d'argent. Il me semble gênant voire provocant qu'un établissement avec le mot « française » dans son nom apparaisse au grand jour comme un vecteur de blanchiment. Dispose-t-on de moyens concrets pour fixer des règles limitant ce système de blanchiment ?

Mon autre interrogation porte sur les coopérations européennes. Au-delà des ports, celles-ci se renforcent-elles avec les équivalents de Tracfin ? Dans votre introduction, vous avez indiqué qu'une partie du trafic convoyait par la route, en proximité immédiate avec nos partenaires européens. Quelles sont les avancées en la matière ? Il me semble important pour les États européens de montrer leur unité en matière de lutte contre le narcotrafic.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je ne dispose pas d'évaluation précise du coût sanitaire et social du trafic de stupéfiants, il faudra solliciter la ministre de la santé à ce sujet.

Je tiens à vous faire part de ma conviction personnelle, à la fois comme citoyen et comme ministre de l'économie et des finances : si « Le cannabis, c'est cool » et « La cocaïne c'est chic » sont des représentations sociales communément admises, ces deux drogues sont des poisons destructeurs qui participent à la fragilisation de l'ensemble de la société française, au-delà des quartiers difficiles. À côté des centres-villes et des grandes agglomérations, les communes rurales sont elles aussi affectées : en l'espace d'une quinzaine d'années, j'ai pu constater, dans ma circonscription de l'Eure, comment des communes rurales ont été gangrenées par le trafic de drogue, le lieu de rencontres qu'était le bar-tabac devenant progressivement un lieu de trafic en raison de la proximité avec les réseaux de Mantes-la-Jolie.

Cette commission doit être l'occasion, pour nous tous, d'ouvrir les yeux et de dénoncer ce discours de complaisance à l'égard de la consommation de stupéfiants. Je partage totalement la ligne du ministre de l'intérieur sur ce sujet : la cocaïne n'a rien de « chic » et le cannabis n'est aucunement « cool », ces substances entraînant au contraire des problèmes de santé mentale et de santé tout court dans notre pays. Ne pas parvenir à relier ces derniers, qui constituent un véritable enjeu de santé publique, à l'explosion de la consommation de stupéfiants paraît très étonnant et, sans vouloir aller sur des domaines qui ne relèvent pas de ma compétence, je ne peux que constater les grandes difficultés auxquelles sont confrontées les associations qui accompagnent les personnes en situation de dépendance.

Une fois encore, nous devons ouvrir les yeux, dénoncer cette consommation prétendument sympathique - alors qu'elle est en réalité délétère - et, dans le même temps, frapper les trafiquants au portefeuille. Cette tâche s'impose d'autant plus à nous que les phénomènes du narcotrafic et du terrorisme, comparables de par leur intensité et de par la menace qu'ils font peser sur la France, sont liés. Je confirme ainsi que nous disposons d'éléments attestant l'existence de liens financiers entre le terrorisme et le narcotrafic : un phénomène d'hybridation des menaces est à l'oeuvre, rendant plus malaisée leur détection comme la mise en place d'une réponse appropriée. Le nombre d'exemples concrets, avérés et documentés est limité, ce qui ne nous permet pas de définir une doctrine de riposte globale à ces deux phénomènes.

Concernant les jeux d'argent, Tracfin a été mobilisé afin de sensibiliser les acteurs du secteur par le biais d'ateliers dédiés. À la suite de cette mobilisation, le nombre de déclarations de soupçon a augmenté de 24 % en 2023, soit une forte progression.

La coopération européenne au travers de Tracfin fonctionne, quant à elle, de manière satisfaisante. Par ailleurs, la Commission européenne a proposé une alliance des ports que nous soutenons pleinement, celle-ci devant se traduire par trois actions très concrètes : la mobilisation commune des douanes de tous les États pour faire face au trafic de stupéfiants et échanger les données ; le renforcement des opérations des administrations répressives sur les conteneurs et les scellés ; enfin, la mise en place de partenariats publics-privés contre le trafic de stupéfiants et les infiltrations criminelles dans les ports. Cette dernière action est particulièrement importante à mes yeux, car nous ne parviendrons pas à mener une lutte efficace sans une coopération avec les acteurs du transport maritime. Cette alliance sera effective au 1er janvier 2025.

M. Jérôme Durain, président. - Si vos propos ne nous ont pas jusqu'à présent appris grand-chose de plus que ce que nous savions déjà, vous êtes en revanche le premier à établir un lien entre terrorisme et narcotrafic, à la différence des personnes auditionnées précédemment, y compris les membres des autorités les mieux informées. Il conviendra de transmettre à notre commission les éléments dont vous disposez sur ce sujet crucial.

M. Guy Benarroche. - Le narcotrafic est en quelque sorte le nec plus ultra d'une économie commerciale mondialisée, dans laquelle l'offre crée la demande. Pourriez-vous détailler les moyens consacrés au démantèlement des centres de production installés en Europe ?

Par ailleurs, le rapporteur vous a interrogé sur l'évaluation du lien entre le blanchiment d'argent et l'économie locale. Combien d'emplois sont-ils concernés ? Quels sont les montants en jeu ? Procéder à cette évaluation semble malaisé pour vos services, puisque vous n'avez pas répondu sur ce point. En tout état de cause, près de 200 000 personnes vivraient actuellement du narcotrafic : quel pourrait être l'impact de la lutte que mènent les pouvoirs publics sur cette population, dont une partie est attirée par le gain et l'autre, confrontée à des conditions de vie précaires, cherche simplement à vivre décemment ?

Concernant votre propos relatif à un discours de complaisance à l'égard de la consommation de stupéfiants, je ne suis pas persuadé qu'il existe réellement. Pour autant, il existe bien un hiatus entre la façon dont la société appréhende la consommation de drogue et le fait que celle-ci est forcément liée au trafic. Il me semble, néanmoins, que les pouvoirs publics n'ont organisé, depuis sept ans, aucune campagne visant à faire du trafic de drogue une grande cause nationale.

Quelles mesures financières envisagez-vous afin de soutenir la prévention, les associations qui tentent d'accompagner les consommateurs vers une sortie des addictions, ainsi que les familles des victimes, qu'il s'agisse des consommateurs ou des dealers victimes d'homicides ?

Mme Valérie Boyer. - Pourriez-vous nous apporter des détails sur les mesures concrètes et les conséquences économiques attendues du plan de lutte contre la drogue ? De la même manière, le lien financier que vous avez évoqué entre narcotrafic et terrorisme appelle davantage de précisions, à un moment où la menace terroriste s'accroît en France.

Sur le plan « Marseille en grand » en particulier, quelles sont les mesures économiques mises en place ?

S'agissant enfin des mesures concrètes pour agir sur les liens entre la drogue et l'économie locale, quel soutien comptez-vous apporter aux mairies confrontées à l'ouverture de commerces dont personne n'ignore la finalité ? Quelles actions de prévention économique comptez-vous mettre en place ?

Mme Catherine Conconne. - Monsieur le ministre, j'attire votre attention sur la situation de la Martinique, de la Guadeloupe et de la Guyane, territoires qui sont devenus de véritables plaques tournantes du trafic par la position qu'ils occupent sur la route entre l'Amérique latine, productrice de stupéfiants, et l'Europe. Un certain nombre d'éléments nous ont été apportés hier par les services des douanes, et les chiffres sont aussi élevés qu'alarmants. Nous avons pourtant tendance à oublier ces données qui pourraient conduire Marseille, qui focalise toute l'attention, à ne plus occuper la plus haute marche du « podium » du trafic de stupéfiants.

Je souhaite insister sur la notion d'éducation, partageant votre intransigeance face à la candeur des propos qui présentent le fait de fumer un joint comme anecdotique, car permettant simplement de se détendre pendant le week-end, sans autres conséquences. Je serai de tous les combats pour faire barrage aux tentatives de minorer les effets sur les cerveaux des adolescents de drogues présentées à tort comme douces.

Je souhaiterais, monsieur le ministre, que vous puissiez agir auprès de la ministre de l'éducation nationale Nicole Belloubet, afin de déployer un plan massif d'information en direction des collégiens et des lycéens. Certes, quelques actions sont entreprises, au gré de la volonté des enseignants et des équipes dirigeantes, mais un plan d'information d'ampleur porté par des professionnels - pourquoi pas par des retraités - me semble s'imposer afin de dire aux élèves tout le mal que l'on pense de la consommation de drogue.

Nous entendons en effet trop souvent, dans la bouche d'élèves, des propos qui n'ont jamais pu être rectifiés par l'éducation nationale. Je crois à l'école, qui peut pallier la défaillance de certaines familles, et je tiens à ce que l'État, parallèlement à ses actions répressives, apporte sa pierre à l'édifice et contribue aux mesures éducatives permettant de prémunir les écoliers, les collégiens et les lycéens de cette espèce de candeur entourant la consommation de drogue.

M. Bruno Le Maire, ministre. - Je confirme le risque d'hybridation entre terrorisme et narcotrafic, surveillé de très près par les services de Bercy, en particulier par la DNRED. Les cas concrets restent pour l'instant limités, mais il y en a. L'augmentation du risque terroriste et la réalité du trafic de stupéfiants nous conduisent à accentuer notre vigilance à l'égard de ce risque d'hybridation, qui pourrait concerner - et j'emploie le conditionnel tout en maintenant le propos - les filières d'approvisionnement en armes. Je reste prudent sur ce sujet, mais, dès lors que nous avons des indications de cette hybridation, il me semble nécessaire et légitime de renforcer notre surveillance.

Le démantèlement des centres de production installés en Europe passe, quant à lui, d'abord par un repérage en amont des agents chimiques. Les douanes peuvent désormais saisir tout agent - solvant ou autre - dont on estime qu'il pourrait servir au trafic de stupéfiants.

Je ne dispose pas de chiffrage plus précis sur l'économie de la drogue, mais je pense que vous êtes parfaitement avertis de la rémunération que peut toucher un guetteur et de la comparaison qu'il aura vite effectuée avec les revenus qu'il pourrait tirer d'une activité légale.

Madame Boyer, je suis évidemment favorable à l'association des mairies à la lutte contre le développement du trafic de stupéfiants et nous pouvons travailler ensemble là-dessus.

S'agissant des outre-mer, ces territoires sont en effet très fortement exposés au trafic de stupéfiants, comme j'ai pu le constater à l'occasion d'un déplacement à la Martinique et à la Guadeloupe, lors de discussions avec les douaniers. Ainsi, 15 % des saisies de cocaïne réalisées en France concernent l'aéroport de la Guyane et le phénomène des « mules », ce qui justifie l'achat de scanners évitant à nos douaniers d'avoir à transporter ces individus à l'hôpital.

Les Antilles et les Caraïbes sont une zone de stockage et de rebond : 43 % des saisies de cocaïne proviennent des Antilles, qui font l'objet d'une surveillance toute particulière des services, avec un ciblage des ports et un renforcement des contrôles douaniers sur les filières de porteurs de cocaïne à Orly, à Roissy et dans les aéroports de départ. S'y ajoute la prise en compte de la spécificité des outre-mer en matière de lutte anti-blanchiment, avec le contrôle effectif du respect des seuils de paiement en espèces - une priorité absolue -, la formation des enquêteurs et des sessions de sensibilisation des acteurs locaux.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Les États-Unis ont mis en place la Drug Enforcement Administration (DEA), qui supervise l'ensemble des dispositifs de lutte contre le narcotrafic. Que pensez-vous de la mise en place en France d'un système de même nature ? Une autorité supérieure, calquée sur le parquet national financier (PNF), pourrait superviser l'ensemble du dispositif et permettre de se concentrer sur les affaires les plus importantes.

Par ailleurs, la corruption gagne peu à peu des services importants de l'État, dont les douanes, la police judiciaire ou encore certains services administratifs des collectivités territoriales. N'y a-t-il pas là le signe d'un affaiblissement et d'une fragilité de la puissance publique face à des trafiquants qui disposent d'une puissance financière telle qu'elle peut corrompre des services essentiels à la protection de la France contre le narcotrafic ? Quels dispositifs déployez-vous pour contrer ce phénomène ?

M. Bruno Le Maire, ministre. - Nous avons pris un certain nombre de mesures afin de lutter contre la corruption, notamment en matière de sécurisation des plateformes logistiques. Un plan d'équipement des ports prévoit ainsi le déploiement, à compter de 2024, de scanners mobiles. En lien avec le garde des sceaux, j'ai par ailleurs demandé à la directrice de l'Agence française anticorruption (AFA), le 14 février dernier, de lancer un contrôle sur l'ensemble des grands ports maritimes afin de lutter contre ce risque de corruption. Je rappelle qu'il s'agit d'une demande inédite : pour la première fois, l'AFA est chargée de dresser un état des lieux précis des processus de prévention et de détection des risques de corruption dans les ports. Je partage évidemment votre inquiétude, cet état des lieux devant nous permettre d'identifier d'éventuelles mesures complémentaires à adopter.

Concernant le modèle de la DEA, la France est dotée d'un système différent, l'Ofast jouant le rôle de chef de file. La coopération entre l'Ofast et la DNRED est très bonne, garantissant ainsi le contrôle des frontières. Je me garderais bien d'avoir une réponse définitive, mais j'estime que le système actuel donne satisfaction et que le renforcement de ses moyens - humains comme technologiques - doit se poursuivre.

Je note que la DEA, qui contrôle pourtant les flux, n'a pas réussi à contrer le développement massif du Fentanyl et l'utilisation de psychotropes qui ont gangrené la société américaine.

Afin de clore mon intervention devant votre commission, que je juge particulièrement utile et nécessaire, j'insiste sur la nécessité de nous détacher des schémas du passé et de ne pas considérer uniquement le risque d'importation de cannabis et de cocaïne. La menace réside en effet dans le développement du trafic par le biais de laboratoires installés sur le territoire français et utilisant des agents chimiques. Afin d'y faire face, la prise de conscience et les moyens de lutte comme de prévention doivent être considérablement renforcés.

M. Jérôme Durain, président. - Merci, monsieur le ministre. Nous pensons effectivement que la lutte contre le narcotrafic peut être financée par les trafiquants eux-mêmes, il s'agit en tout cas d'un objectif que nous pouvons nous fixer collectivement. Je compte sur vos services pour nous transmettre tous les éléments utiles à nos travaux, notamment ceux concernant le gel administratif des avoirs.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 10 h 25.

Mercredi 27 mars 2024

- Présidence de M. Jérôme Durain, président -

La réunion est ouverte à 14 h 05.

Audition de M. François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation

M. Jérôme Durain, président. - Monsieur le procureur, je vous remercie de votre présence devant notre commission d'enquête. Nous vous avons invité en raison de vos connaissances en matière de narcotrafic et, plus généralement, en matière d'organisation judiciaire et de procédure pénale.

Je vous rappelle qu'un faux témoignage devant notre commission d'enquête serait passible des peines prévues aux articles 434-13, 434-14 et 434-15 du code pénal.

Je vous invite à prêter serment de dire toute la vérité, rien que la vérité, en levant la main droite et en disant : « Je le jure. »

Conformément à la procédure applicable aux commissions d'enquête, M. François Molins prête serment.

M. François Molins, ancien procureur général près la Cour de cassation. - Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, sans vouloir relativiser les propos que je m'apprête à tenir, je les entourerai d'une certaine modestie. J'ai en effet quitté le terrain il y a cinq ans lorsque j'ai été nommé procureur général près la Cour de cassation en novembre 2018, après avoir eu la chance d'exercer des fonctions éminemment sensibles telles que procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bobigny et procureur de la République près le tribunal de Paris, qui comprend la juridiction interrégionale spécialisée (Jirs) la plus importante. J'ai ensuite été amené, début 2019, à la suite d'une lettre de mission de Nicole Belloubet, alors garde des Sceaux, à animer un groupe de travail dédié au traitement de la criminalité organisée et financière en France. Les travaux de ce dernier ont débouché sur un certain nombre de recommandations.

Mes propos et constats n'auront donc nécessairement pas la précision de ceux tenus par mes collègues de Marseille ou d'ailleurs, engagés au quotidien dans la lutte contre le narcotrafic. Je tiens d'ailleurs à leur exprimer ici toute mon admiration, car ces magistrats vous ont dit toute la vérité à propos du combat qu'ils mènent chaque jour.

J'ajoute qu'ils me paraissent parfaitement irréprochables, ce qui m'amène à éprouver une incompréhension majeure face au comportement du garde des Sceaux lors de son déplacement à Marseille. Les remontrances qu'il leur a adressées me semblent être en effet aux antipodes de l'office d'un garde des Sceaux, censé soutenir la justice et défendre son indépendance. Leur reprocher d'avoir dit la vérité devant la représentation nationale n'est pas convenable : je rappelle que les magistrats n'ont pas vocation à soutenir ou à justifier les discours politiques, qu'il s'agisse de ceux de la majorité ou de l'opposition.

Pour en revenir au sujet qui nous réunit, les phénomènes que j'avais déjà pu observer à Bobigny et Paris se sont considérablement aggravés, ce qui doit objectivement nous inciter à nous interroger sur l'efficacité et l'efficience des politiques publiques conduites en la matière. En dépit de lourds investissements, financiers comme humains, celles-ci ne parviennent pas à endiguer un trafic de stupéfiants désormais présent sur tout le territoire.

Lorsque je présidais la formation du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) compétente à l'égard des magistrats du parquet, j'avais pu être surpris d'entendre à plusieurs reprises des procureurs proposés pour exercer des fonctions dans des zones rurales et des petits tribunaux tels qu'Aurillac ou Brive expliquer que le trafic de stupéfiants était l'un des principaux problèmes auxquels ils allaient être confrontés. C'est quelque chose que nous n'aurions pas pu concevoir il y a quelques années. De la même manière, et cela démontre la métastase du phénomène, les règlements de compte violents ne sont plus circonscrits aux grandes agglomérations telles que Marseille, Lyon, Grenoble ou Paris, et se sont étendus à des villes moyennes telles que Nîmes, Valence ou Dijon.

D'autres tendances se sont accentuées, à commencer par l'internationalisation du trafic de stupéfiants : nous sommes de plus en plus confrontés à des réseaux complexes dont les têtes agissent depuis l'étranger et parviennent à donner leurs instructions à distance grâce aux moyens de communication cryptés, en choisissant de préférence de s'abriter dans des pays non coopératifs en matière pénale, ce qui permet de mieux garantir leur impunité.

Le deuxième phénomène est celui de la complexification : plus une organisation grossit, plus elle est axée sur la recherche du profit et plus elle se professionnalise. Nous avions ainsi relevé une tendance à la professionnalisation du marketing et des livraisons, qui ont pris la forme d'une sorte d'ubérisation. En tant que procureur de Paris, j'ai pu assister à l'apparition de « centrales d'achat » permettant de commander des stupéfiants aussi simplement qu'une pizza et de se faire livrer à domicile. Signe de la rentabilité de ce trafic, nous avons même été confrontés à des cas de cessions de clientèle, comme s'il était question d'un fonds de commerce classique ou de la clientèle d'un avocat ou d'un notaire. Le trafiquant qui souhaitait se retirer des affaires cédait son « fichier clientèle ».

Sur le plan de la stratégie et des moyens, l'efficacité doit se dégager de la complémentarité. Il y a bien sûr ce qu'on pourrait qualifier d'effet « toilettage » d'opérations de sécurité publique, mais cela doit toujours aller de pair avec des opérations de police judiciaire. Or, la logique des enquêtes judiciaires est parfois peu compatible avec la politique du chiffre et la pression exercée sur les services de premier niveau. Longues et complexes, lesdites enquêtes judiciaires nécessitent d'aller au fond et visent normalement à démanteler les réseaux, à interpeller les personnes et à identifier les commanditaires, alors que nous nous situons trop, à l'heure actuelle, dans une logique de répression des premiers niveaux de revente et de saisie de produits.

Autre écueil, la coopération pénale internationale, dont la qualité dépend de la bonne volonté des pays considérés : nous savons, malheureusement, que certains ne sont pas à la hauteur et servent de refuge aux malfaiteurs.

Dernier phénomène sur lequel je voudrai insister, et qui s'est encore développé ces dernières années, celui du blanchiment. Les échanges que j'avais pu avoir avec des agents de Tracfin en 2022 et en 2023 avaient attiré mon attention sur l'importance de la lutte anti-blanchiment au regard de la professionnalisation de la logistique financière du trafic de stupéfiants. Nous avions en effet assisté à l'émergence de nouveaux acteurs, les « lessiveuses », c'est-à-dire des structures réparties entre trois groupes de criminalité organisée qui se faisaient concurrence et qui agissaient de concert - c'était le cas en région parisienne, j'ignore s'il en va de même dans la région marseillaise. À l'époque, il s'agissait des Asiatiques, des Franco-Israéliens, malfaiteurs spécialisés dans l'escroquerie se réfugiant en Israël grâce à leur double nationalité, et enfin des Libanais.

La présence de ces trois communautés était récurrente dans les activités de logistique financière permettant de blanchir l'argent du trafic de stupéfiants, avec une utilisation d'instruments financiers toujours plus sophistiqués, dont des sociétés-écrans éphémères ou des sociétés dormantes pouvant être réactivées le moment venu, en fonction des besoins. S'y ajoute un phénomène de bancarisation se traduisant par l'ouverture de comptes à l'étranger, de préférence dans des pays lointains et non coopératifs.

Tous ces éléments m'amènent à dire que, si l'on souhaite véritablement mener une action de fond, il est essentiel de décloisonner l'activité de lutte contre le trafic de stupéfiants et la lutte anti-blanchiment. À mes yeux, trop peu de dossiers portent sur le blanchiment, tandis que les investigations manquent d'une logique patrimoniale suffisamment poussée. Diverses raisons peuvent l'expliquer, mais je ne peux m'empêcher de mettre cette insuffisance en parallèle avec la crise de la spécialisation en matière financière à l'oeuvre dans les services de police judiciaire.

Afin de faire converger les enquêtes relatives à la criminalité organisée et celles qui visent la logistique financière, nous pourrions essayer de mieux travailler avec Tracfin et - pour reprendre l'expression d'un collègue - croiser la logique des flux financiers avec celle des objectifs. Telle est la démarche que semble avoir entreprise le parquet de Marseille en croisant les informations avec Tracfin et en demandant des criblages sur tout individu faisant l'objet d'investigations, afin de permettre au service de renseignement financier de lancer des recherches dans la bonne direction et de ramener des informations à l'autorité judiciaire.

En conclusion, j'évoquerai deux des propositions contenues dans le rapport de 2019 consacré au traitement de la criminalité organisée et de la grande délinquance économique et financière, celles-ci n'ayant pas été, sauf erreur de ma part, suivies d'effet.

La première portait sur la création d'une cour d'assises spéciale, compétente pour juger non pas les crimes en relation avec le trafic de stupéfiants - formule juridiquement impropre -, mais plutôt les meurtres et assassinats commis en bande organisée. Une telle juridiction serait en effet mieux adaptée à des dossiers reposant plus souvent sur des preuves numériques que sur des témoignages, avec des stratégies accusatoires et probatoires spécifiques et différentes de celles soumises habituellement aux jurés populaires. De surcroît, certaines affaires ont illustré les pressions et menaces qui peuvent être exercées sur les jurés populaires : on peut légitimement se demander s'il est raisonnable de faire peser sur leurs épaules la responsabilité de juger de tels dossiers.

La deuxième proposition renvoyait davantage au partage du renseignement, puisque nous avions suggéré de conférer l'habilitation « confidentiel défense » à tous les magistrats du ministère public travaillant dans les Jirs. Ces magistrats auraient pu, d'une part, accéder à l'ensemble des notes de renseignement régulièrement émises par la direction nationale du renseignement et des enquêtes douanières (DNRED) et, d'autre part, avoir la capacité de discuter avec les membres de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) lorsque des problématiques de délimitation entre le judiciaire et le renseignement émergent.

J'y ajoute une troisième proposition, formulée par l'ancien président de la Commission nationale de protection et de réinsertion (CNPR). S'il appartient aux responsables politiques de tirer le bilan du dispositif instauré pour les « repentis », j'ai pour ma part le sentiment que nous avons raté la cible dans la mesure où son champ d'application est par trop limité. Il conviendrait non seulement d'élargir ce champ aux infractions contre les personnes, en intégrant les assassinats, les meurtres et les trafics d'armes, mais surtout de revoir la conception du dispositif.

Je renvoie, sur ce point, au rapport remis par le précédent président de cette commission, qui soulignait un emploi trop marginal du dispositif ainsi qu'une diminution du nombre d'ouvertures annuelles de programmes de protection. À un moment où le crime organisé et spécifiquement le narcotrafic ont pris l'envergure que nous connaissons, il me semble que nous devrions mener une véritable réflexion sur ce sujet, en faisant preuve d'une plus grande ambition et en adoptant une autre philosophie d'approche pour effectivement avancer dans les investigations en favorisant le recours à ces collaborateurs de justice

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Dans le cadre des enquêtes, les nouvelles technologies sont de plus en plus utilisées. Elles sont, en constante évolution et font l'objet de recherches et d'échanges internationaux. Lorsque les techniques utilisées pour percer ces technologies à jour apparaissent dans un dossier pénal, elles sont révélées à l'accusé ou au prévenu ainsi qu'à ses conseils, en raison du principe du contradictoire. Ces informations sont évidemment utilisées pour comprendre le système utilisé et pour pouvoir ensuite le déstructurer.

Que pensez-vous de l'opportunité de créer en droit français une sorte de « dossier-coffre », c'est-à-dire un dossier protégé qui ne serait pas accessible aux prévenus et à leurs conseils en raison de ces particularités techniques ? Si vous jugez une telle mesure opportune, comment nous assurer que ce dispositif soit placé sous le contrôle de magistrats, afin d'éviter un certain nombre de dérives ?

M. François Molins. - La question est lourde de conséquences, car une telle mesure heurte de plein fouet les principes conventionnels du procès équitable et du respect du contradictoire. Il me semble que l'attestation de sincérité permet déjà aux agents publics concernés de ne pas dévoiler les moyens de l'État employés pour casser les codes et les cryptages. La chambre criminelle de la Cour de Cassation a eu l'occasion de se prononcer sur ces attestations, qui permettent de garantir que les moyens employés par l'État l'ont été de manière conforme et correcte.

Aller plus avant serait sans doute malaisé, car la dissimulation de données objectives et nécessaires à l'exercice des droits de défense serait problématique, quels que soient les enjeux et la gravité des faits reprochés aux individus. Je crois que l'Espagne a prévu cette possibilité en matière terroriste, les juges d'instruction ayant la possibilité d'instaurer le secret autour du dossier dans le cadre de certaines investigations, mais de manière limitée dans le temps.

La proposition me gêne du point de vue du caractère équitable du procès, au cours duquel il faudra bien dévoiler les arguments et les données objectives mobilisés. Quoi que l'on en pense, il n'est pas envisageable d'empêcher les avocats de faire leur travail.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Le « dossier-coffre » existe en Belgique et a fait l'objet de recours devant la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), qui a considéré qu'il n'était pas contraire au droit à un procès équitable, permettant à ce pays de le maintenir.

Concernant l'organisation du parquet pour poursuivre les infractions les plus graves, ne pensez-vous pas que la création d'un parquet national antistupéfiants doté d'un procureur général spécifique serait pertinente ?

M. François Molins. - Je ne le crois pas, dans la mesure où il est question d'un problème national, déjà traité au moins en partie par la création de la juridiction nationale chargée de la lutte contre la criminalité organisée (Junalco). Il faudrait peut-être aller plus loin et se pencher sur des partages de compétences, ce qui renvoie à des enjeux de pouvoir - je le dis sans langue de bois - entre l'administration centrale et le ministère public, en faisant de la Junalco un chef de file pour la criminalité organisée, au même titre que le parquet national financier (PNF) pour certaines infractions financières. Une telle évolution se justifierait d'autant plus que le trafic de stupéfiants est souvent mené par des réseaux « multicartes », qui commettent d'autres infractions, telles que des meurtres et des assassinats, et qui peuvent se livrer à des pratiques d'extorsion.

Si nous souhaitons véritablement nous orienter vers cette idée d'un parquet national, nous devrons à nouveau soulever la question d'un outil que nous réclamons en vain depuis la création des Jirs par la loi Perben II du 9 mars 2004, à savoir un fichier automatisé permettant de partager les données entre ces juridictions. Cet instrument serait pourtant essentiel afin de mettre en commun les renseignements présents dans les procédures.

Le groupe de travail que j'avais animé avait envisagé plusieurs solutions à ce sujet, dont l'offre d'Eurojust consistant à nous prêter, à titre gratuit, son Case Management System. Nous avions souligné l'urgence de procéder à une véritable évaluation de ces dispositifs, afin de choisir le plus utile pour les parquets, mais nous n'avons jamais obtenu de réponse. Nous ne pourrons pas améliorer la coordination sans un tel outil.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Ce partage d'informations est d'autant plus nécessaire que le trafic de stupéfiants affecte désormais l'ensemble du territoire.

M. Jérôme Durain, président. - Tous les éléments recueillis jusqu'à présent quant à l'état de la menace représentée par le narcotrafic nous donnent le sentiment d'être à la veille d'un basculement et d'un changement d'échelle. Sans parler de la France comme d'un narco-État, une série d'indicateurs montrent une dégradation, qu'il s'agisse du volume de stupéfiants ou de la corruption de basse intensité. Quel diagnostic faites-vous sur ce point ?

Cette interrogation recoupe celle du chef de filât : les différents services - l'Office antistupéfiants (Ofast), la DNRED, la direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) - n'agissent-ils pas un peu en ordre dispersé ?

M. François Molins. - Je partage votre avis : nous sommes confrontés à un phénomène que nous ne parvenons pas à endiguer et qui grossit, malgré les différents plans nationaux de lutte contre le trafic de stupéfiants et les investissements considérables que nous avons consentis en termes d'énergie policière, judiciaire et financière. À terme, il n'est pas exclu que le narcotrafic, doté de moyens toujours plus importants, déstabilise la puissance publique.

Sans nier l'utilité des opérations « place nette », qu'elles soient ou non « XXL », j'estime qu'elles ne suffisent pas. Selon moi, la qualité doit résulter de la complémentarité et de l'emploi dual des investigations de premier niveau et des investigations de fond, ce qui recoupe les enjeux liés à la transformation de la police judiciaire. Cela renvoie aussi au fait, une fois encore, que nous ne viendrons pas à bout de ce trafic sans nous attaquer à sa dimension patrimoniale et financière.

Pour ce qui concerne l'organisation des services, disposer d'un chef de file spécifique qui s'assurerait de la fluidité de l'échange de renseignements entre les différents services de renseignement et les parquets constituerait probablement un atout. Nous gagnerions également à nous pencher sur ces problématiques du renseignement : si Tracfin effectue de nombreux signalements, à tel point que son directeur avait pu douter de la capacité de la justice à tous les traiter, nous pourrions envisager un chef de filât qui s'attacherait à coordonner et à mettre en ordre la judiciarisation du renseignement en matière de trafic de stupéfiants.

Dans ce domaine, les renseignements devraient en effet circuler rapidement et être transmis à l'autorité judiciaire dès lors qu'ils sont vérifiés et qu'ils rendent crédible la commission d'une infraction pénale. Je ne suis pas persuadé que ce soit toujours le cas.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Les trafiquants sont des chefs d'entreprise qui font évoluer leur organisation vers une forme de taylorisme, avec un partage des tâches poussé. Il est ainsi parfois difficile de relier au reste de l'organisation un individu impliqué dans le trafic et appréhendé à ce titre.

Lutter contre le trafic de stupéfiants, c'est aussi s'attaquer à la consommation : que préconisez-vous pour réduire celle-ci ? Quels dispositifs pourrions-nous déployer, au-delà du système de l'amende forfaitaire délictuelle, pour tarir le chiffre d'affaires des trafiquants ?

Ledit chiffre d'affaires est d'ailleurs constitué d'espèces et de petites coupures. Comment expliquez-vous que les parquets ne parviennent pas à mieux repérer ces flux, qui finissent par former des rivières, puis des fleuves et qui sont ensuite blanchis ?

M. François Molins. - S'agissant des consommateurs, j'ai le sentiment que les actions de prévention et de sensibilisation sont moins importantes que dans les années 1980 et 1990, alors qu'il existe un réel besoin en termes de santé publique compte tenu par exemple du développement de la production de cocaïne et de l'aspect festif qu'a acquis sa consommation. Parallèlement, les taux de tétrahydrocannabinol (THC) du cannabis sont bien plus élevés dans les produits vendus aujourd'hui qu'il y a vingt ou trente ans.

Mieux éduquer et mieux sensibiliser l'ensemble de nos concitoyens quant aux dangers de ces produits serait à l'évidence un levier utile, notamment en présentant aux jeunes les risques d'apparition de troubles psychiatriques liés à la consommation de cannabis.

Pour ce qui est des flux, nous disposons souvent d'indicateurs permettant d'identifier l'émergence d'une économie souterraine dans une zone donnée, au sein de laquelle les flux financiers ne peuvent être liés qu'au trafic de stupéfiants ou au crime organisé. La difficulté réside, comme vous l'avez souligné, dans la modestie de ces flux. J'ai en souvenir un instrument qui a eu son heure de gloire, à savoir les groupes interministériels de recherche (GIR), qui présentaient l'avantage d'associer la police judiciaire, l'Urssaf et le fisc, modèle qui mériterait probablement d'être davantage utilisé sur le terrain aujourd'hui.

Certes, il existe un service d'enquêtes judiciaires des finances (SEJF), mais ce dernier a plutôt vocation à traiter le haut du spectre : au quotidien, mieux vaudrait s'appuyer de nouveau sur ce type d'équipes mixtes, appuyées sur la logistique et les compétences des agents de l'Urssaf et des impôts. Dans certains départements, la fin du trafic de stupéfiants entraînerait à coup sûr une chute importante du PIB local.

M. Jérôme Durain, président. - L'une des recommandations du rapport que vous évoquiez portait sur la possibilité de centraliser auprès du parquet de Paris le traitement de tous les aspects juridiques liés aux infiltrations, afin d'en simplifier l'usage. Pourriez-vous développer ce point ?

M. François Molins. - Le rapport doit être resitué dans son contexte, les parquets avaient alors été confrontés à une série de dossiers dans lesquels la gestion des informateurs par la police avait donné lieu à un non-respect des règles de la procédure pénale. Nous avions alors remarqué que les services étaient tellement investis dans leurs dossiers qu'ils en venaient parfois à choisir le parquet auquel ils s'adressaient, afin de bénéficier d'un regard plus favorable sur les pratiques employées.

Les infiltrations soulevant des problèmes de coopération avec l'étranger, nous avions donc estimé qu'il convenait de faire du parquet de Paris le point d'entrée unique pour statuer sur ces demandes, afin d'avoir une connaissance de l'ampleur des dispositifs et de s'assurer de la cohérence des stratégies utilisées.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Le territoire que je représente, la Guyane, est situé sur un continent où le narcoterrorisme a causé des souffrances terribles, notamment au Pérou et en Colombie. Le narcoterrorisme a contribué à la fragilisation de l'État de droit en Amérique latine, qui peine toujours à contrecarrer un phénomène qui s'approche peu à peu de la Guyane, où il se mêle à la problématique déjà existante de l'orpaillage clandestin.

Je souhaite donc une mobilisation de la Nation entière afin de ne pas laisser la Guyane glisser vers cet enfer. Votre audition me fournit l'occasion de solliciter votre avis sur la situation de ce territoire, localisé dans cette vaste région où drogue et terrorisme sont souvent mêlés. Le Président de la République vient d'effectuer un déplacement sur place, la mise en place du contrôle à 100 % au départ de l'aéroport de Cayenne devrait s'étendre à la Martinique, par laquelle transitent aussi les mules, les trafiquants s'adaptant habilement aux contrôles.

M. François Molins. - Un contrôle exhaustif doit se conjuguer à une procédure qui l'est tout autant : le contrôle à 100 % ne suffit pas, il faut après un 100 % de prise en charge en procédure. À l'époque où j'exerçais mes fonctions, j'avais eu à affronter le phénomène des mules arrivant massivement dans les aéroports de Paris avant de prendre des trains et d'effectuer leur livraison dans toutes les zones de province. Nous ne parvenions déjà pas à traiter l'ensemble de ces flux, la stratégie des réseaux consistant simplement à saturer la capacité des services de police et de douane, en laissant trois ou quatre personnes se faire arrêter. Cette problématique renvoie à la cohérence de l'action de l'État : la stratégie du « 100 % » doit s'appliquer à tous les niveaux, sans quoi nous ne réussirons pas à endiguer les phénomènes.

Je vous rejoins sur le drame qu'affronte l'Amérique latine, continent où douze procureurs ont été assassinés en 2022 - hors Mexique - en lien avec le crime organisé.

M. Étienne Blanc, rapporteur. - Vous avez soulevé le problème de la fluidité des échanges entre le pôle du renseignement et le pôle judiciaire. Quels sont selon vous les principaux points de blocage, et comment pourrions-nous les lever ?

M. François Molins. - Le renseignement échappe par définition aux magistrats puisqu'il arrive soit à la DGSI, soit dans les services de renseignement territoriaux, soit directement dans les services de police. N'ayant pas pu observer l'expérience des cellules de renseignement opérationnel sur les stupéfiants (Cross), je resterai prudent sur le sujet, mais, de manière générale, le magistrat ne prend connaissance du renseignement que le jour où le policier a décidé de venir lui en parler, afin de déterminer comment il pourrait être traité sur le plan judiciaire. Le magistrat est donc tributaire de la bonne volonté du service.

Si j'en crois mon expérience, cette prise de connaissance du magistrat est sans doute trop tardive alors que la phase de renseignement ne devrait pas être très longue en matière de trafic de stupéfiants, puisque le renseignement dans ce domaine n'a a priori pas d'autre finalité que l'enquête judiciaire. La collaboration autour de ces éléments mériterait donc sans doute d'être développée.

Le magistrat qui présidait la CNPR soulignait qu'il s'agissait peut-être d'un problème culturel propre à notre pays et que certains services avaient certainement trop tendance à garder par-devers eux les renseignements et les personnes qui les avaient divulgués, et à ne pas vouloir les partager avec qui que ce soit, et notamment avec les magistrats. C'est à cette évolution culturelle qu'il faudrait probablement réfléchir.

J'ignore en revanche si les Cross ont permis d'avancer sur ces sujets.

M. Michel Bonnus. - Je vous remercie pour la limpidité de votre propos.

Ma première question concerne la prévention : que pourrait-on faire aujourd'hui pour éviter que de très jeunes individus s'impliquent dans le trafic de drogue ? Les personnes qui souffrent d'addictions bénéficient-elles d'une prise en charge satisfaisante dans notre pays ?

Ma seconde question a trait au contrôle : beaucoup de Français consomment et achètent des produits illicites aujourd'hui. Ne pourrait-on pas étendre les contrôles, à des fins de prévention toujours, aux visites médicales obligatoires de la médecine du travail ?

M. Khalifé Khalifé. - Monsieur le procureur général, je vous remercie d'avoir apporté toutes ces précisions.

Le trafic de drogue est un phénomène international de plus en plus sophistiqué et de mieux en mieux organisé : il s'appuie sur des trafiquants ayant de multiples facettes, défendus par des avocats très compétents.

Vous avez parlé des limites des juridictions nationales. De quelle manière collaborez-vous avec les instances internationales pour lutter contre les trafiquants de drogue ?

Mme Karine Daniel. - Votre audition confirme que les motivations financières et le blanchiment font probablement partie des motivations principales des trafiquants de drogue.

La collaboration avec les instances européennes peut-elle encore progresser ? Il me semble que seules les sanctions financières et patrimoniales, plus encore que les mesures de privation de liberté, sont en mesure de prouver leur efficacité aujourd'hui.

M. François Molins. - Je vais vous répondre dans la mesure de mes possibilités. Je le répète, j'ai quitté le terrain il y a cinq ans.

Je le redis, monsieur le sénateur Bonnus, je ne retrouve pas la qualité de la prévention des risques que j'ai connue il y a trente ans. Les données collectées à l'occasion des visites de la médecine de prévention relèvent selon moi du secret médical ; cela étant, elles pourraient, à l'évidence, permettre à l'acteur médical qui constate une addiction d'engager un travail de sensibilisation sur les méfaits de tel ou tel produit. Une telle mesure ne mange pas de pain et pourrait être mise en oeuvre facilement.

Les services de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) gagneraient, comme ils l'ont fait par le passé, à adopter de nouveau une approche fondée sur la sensibilisation aux dangers de l'usage de stupéfiants, avec une campagne destinée à tous les mineurs sur lesquels ils exercent une responsabilité au pénal. Je pense aux publics pris en charge par la PJJ, notamment en détention et dans les centres dont elle a la responsabilité.

Je vous rejoins sur le constat que vous avez dressé : de plus en plus de jeunes consomment de la drogue et s'adonnent au trafic. Certains jeunes revendeurs touchent près de 80 euros par jour...

M. Michel Bonnus. - Dans le Var, c'est plutôt 200 euros par jour !

M. François Molins. - Je cite l'exemple de petits revendeurs exerçant leurs méfaits dans un département francilien. Avec 80 euros par jour, cela représente tout de même 2 400 euros par mois pour un gamin de quinze ou seize ans !

Au moment où j'ai quitté mes fonctions, monsieur le sénateur Khalifé, la coopération judiciaire internationale était de bonne qualité, notamment avec l'Espagne, par le territoire de laquelle passe la route du cannabis en provenance du Maroc, et avec d'autres pays européens. L'Agence de l'Union européenne pour la coopération judiciaire en matière pénale (Eurojust) constitue de ce point de vue un outil extrêmement intéressant, qui a acquis une véritable légitimité pour coordonner toutes les enquêtes multilatérales en la matière.

Sur le plan européen, notre regard devrait certainement davantage se tourner vers ce qui se passe aujourd'hui en Belgique et aux Pays-Bas. C'est l'exemple de ce qui risque de nous arriver si le trafic de drogue continue à se développer dans notre pays : on y assiste à des dérives mafieuses, et certains représentants de l'État sont désormais la cible d'organisations criminelles. Je pense aux menaces d'enlèvement contre le ministre de la justice belge il y a quelques mois ; je pense aussi aux enquêtes que l'on envisageait de faire sur certains magistrats belges avant de les autoriser à travailler contre le crime organisé.

Mme Karine Daniel. - Pourriez-vous nous en dire davantage sur les enjeux propres au blanchiment et aux flux financiers, sachant que l'on a l'impression que l'on s'intéresse davantage aux flux de marchandises qu'aux flux financiers, ce qui me conduit à penser que nous avons encore des marges de progression dans ce domaine ?

M. François Molins. - J'ai la conviction que nous n'arriverons jamais à endiguer le problème du narcotrafic si nous nous cantonnons à une logique de saisie des produits. En règle générale, pour en avoir discuté avec des douaniers et des policiers, on considère que l'on ne saisit qu'environ 10 % du volume total des produits illicites. Ce n'est pas en saisissant une telle quantité de substances que nous parviendrons à freiner le trafic. Il y a des logiques financières qui sont à l'oeuvre et axées vers la recherche du profit, et qu'il faut entraver.

À côté du travail de grande qualité réalisé par l'Ofast et certains services de pointe dans ce domaine, je suis persuadé qu'il faut systématiser la dimension patrimoniale des enquêtes. Chaque fois qu'un dossier est ouvert en matière de narcotrafic et qu'il y a des cibles bien identifiées, on pourrait solliciter Tracfin pour effectuer un criblage de ces personnes et lui demander une analyse de leur environnement économique et financier. Tracfin en aura-t-il les moyens ? En tout cas, une évolution de cette nature ferait véritablement progresser les choses. Je le répète, nous ne parviendrons pas à régler le problème du narcotrafic si nous ne nous attaquons pas à sa dimension patrimoniale et à la saisie des avoirs.

Mme Catherine Conconne. - Monsieur le procureur général, pourriez-vous garantir aux personnes qui dénoncent et qui font des signalements une protection contre toutes les représailles possibles ?

M. François Molins. - Il est primordial d'être capable de gérer et de protéger celles et ceux qui, à un moment donné, nous livrent des renseignements. C'est le souci permanent de tous les policiers et de tous les magistrats. Avant de judiciariser une affaire, il faut déterminer si le renseignement est exploitable et si la procédure ne conduit pas à placer une cible dans le dos de celui qui a fourni ce renseignement. L'un des objectifs des services d'enquête est de protéger leur source, ce qui leur interdit normalement de judiciariser tout élément qui la mettrait en danger. Je ne peux pas garantir que cette protection est assurée à 100 % mais, dans ce genre d'investigations, il faut toujours être en mesure de garantir la sécurité de celui qui a fourni les renseignements qui permettront de faire évoluer l'affaire favorablement.

M. Jérôme Durain, président. - À l'issue de cette audition, monsieur le procureur général, je tiens à vous remercier de votre disponibilité et de l'ensemble des éléments que vous nous avez communiqués, lesquels sont autant de réflexions qui alimenteront notre rapport.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est close à 15 h 00.