Mercredi 27 mars 2024

- Présidence de M. Jean-François Longeot, président -

La réunion est ouverte à 9 h 35.

L'équité territoriale en matière d'accès aux soins - Audition de Mme Isabelle Dugelet, maire de La Gresle (Loire) et membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF), Mme Julie Pougheon, conseillère spéciale de la directrice générale de l'offre de soins (DGOS) et M. Maxime Lebigot, co-président de l'Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM)

M. Jean-François Longeot, président. - Mes chers collègues, nous sommes réunis pour aborder un sujet de préoccupation majeure des Français, que notre commission expertise régulièrement depuis sa création : l'équité territoriale en matière d'accès aux soins. Cette politique publique entretient en effet des liens étroits avec l'aménagement du territoire, ce qui explique qu'elle soit devenue l'un des fils conducteurs de notre programme de contrôle de l'action du Gouvernement.

Dans la continuité de nos précédents travaux, la commission a acté la création d'une mission d'information sur ce sujet et désigné Bruno Rojouan rapporteur le 4 mars dernier. Cette initiative est un droit de suite à son rapport d'information de mars 2022, qui avait dressé le constat d'un renforcement des inégalités territoriales en la matière. La commission entend donc poursuivre son travail et s'interroge tout particulièrement sur les diverses évolutions qui ont pu intervenir depuis deux ans.

La situation ne s'est malheureusement pas améliorée : la démographie médicale continue de stagner, alors que la transformation de la pyramide des âges - baisse de la natalité et vieillissement de la population - modifie et accentue continûment les besoins d'accompagnement médical. Un changement structurel prendra du temps et il nous faut donc agir dans l'intervalle pour éviter une aggravation de la situation.

À cette situation générale préoccupante s'ajoutent les inégalités d'accès aux soins. Une fracture sanitaire et médicale se superpose aux fractures territoriales. Les mêmes territoires où les services publics disparaissent comptent un nombre insuffisant de professionnels de santé : certains de nos concitoyens se sentent donc abandonnés au sein des territoires désignés par l'opinion publique sous le vocable éloquent de « désert médical ». Je m'interroge par conséquent sur les mesures ciblées qui pourraient être prises afin de remédier aux difficultés rencontrées par les habitants des zones sous-dotées.

Les dernières lois de financement de la sécurité sociale et les lois dites Rist et Valletoux des 19 mai et 27 décembre 2023 ont proposé diverses solutions pour tenter de répondre aux difficultés actuelles, dont le bilan reste cependant à établir. Les évolutions législatives intervenues ces deux dernières années sont-elles en mesure d'améliorer l'accès aux soins, de faire baisser la durée moyenne d'attente avant prise en charge médicale et de réduire la distance par rapport au médecin ? L'organisation territoriale actuelle de l'offre de soins, notamment les diverses formes de regroupement médical qui existent, permet-elle de mutualiser du temps administratif et de libérer du temps médical au bénéfice des patients ?

J'ai le sentiment que nous sommes restés au milieu du gué et que la puissance publique n'a pas épuisé les solutions pour répondre aux attentes des habitants. Quelles mesures prendre pour renforcer l'arsenal normatif afin de mieux distribuer l'offre de soins dans les territoires et de remédier à certains déséquilibres ?

Je suis heureux d'accueillir Mme Julie Pougheon, conseillère spéciale de la directrice générale de la direction générale de l'offre de soins (DGOS), Mme Isabelle Dugelet, maire de La Gresle et membre du conseil d'administration de l'Association des maires ruraux de France (AMRF) chargée de la thématique de la désertification médicale, et M. Maxime Lebigot, co-président de l'Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM).

M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Dix ans : c'est le temps qu'il faut pour former un médecin. En matière d'accès aux soins, comme beaucoup d'entre nous l'annoncent, le pire est donc à venir, car nous payons encore les conséquences des décisions à courte vue du passé. Je pense, bien entendu, au fameux numerus clausus. J'ajouterais même que ces errements sont loin d'être terminés : en 2022, le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche annonçait, dans ses prévisions, une stagnation du nombre de primobacheliers inscrits en première année dans une filière de santé d'ici à 2030. Les voies du Gouvernement sont parfois impénétrables. La situation est d'autant plus alarmante que les jeunes médecins ont une activité moins importante que celle des médecins qui partent à la retraite, car ils cherchent souvent un équilibre différent entre vie professionnelle et vie privée.

Ma première question s'adresse à Julie Pougheon : la DGOS est-elle impliquée, en partenariat avec le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche, dans la fixation du nombre d'étudiants dans les filières de santé ? Le tir a-t-il été corrigé depuis les prévisions de 2022 ? Dans le cas contraire, toutes les mesures que l'on pourrait prendre seront autant de pansements sur une jambe de bois !

Par-delà cette question essentielle de la pénurie généralisée de professionnels de santé, il nous faut apporter des réponses face à la dégradation prévisible de la situation dans les dix prochaines années. En effet, si nous continuons ainsi, une part toujours plus élevée de nos concitoyens sera privée de médecin traitant et se verra contrainte de renoncer aux soins et d'attendre des mois pour accéder à un spécialiste.

Pour cela, il me semble nécessaire que les différentes professions de santé puissent décharger les médecins d'une partie de leur charge de travail. Il faut donc leur donner des compétences élargies. Je pense en particulier aux sages-femmes, aux infirmiers - notamment aux infirmiers en pratique avancée (IPA) -, aux masseurs-kinésithérapeutes et aux pharmaciens.

De nombreuses dispositions allant dans ce sens ont été adoptées par le législateur, notamment dans les lois Rist et Valletoux. Une possibilité d'accès direct à certains IPA, orthophonistes et masseurs-kinésithérapeutes a également été ouverte. Le législateur avance sans doute à trop petits pas - sans parler du pouvoir réglementaire, qui tarde bien trop fréquemment à appliquer les textes votés par le Parlement - et il pourrait en résulter des incohérences dans les délimitations des compétences propres à chaque catégorie de professionnels de santé. Une clarification et une véritable remise à plat des compétences de chacun des professionnels de santé pourraient-elles être envisagées ? Quelles pourraient en être les grandes lignes ?

Pour faire gagner du temps aux médecins, il faut également les décharger des nombreuses tâches administratives, qui ne sont pas au centre de leurs compétences. Quel bilan tirer du plan de déploiement de 10 000 assistants médicaux d'ici à 2025 ? L'objectif sera-t-il tenu ? De nouvelles mesures pourraient-elles être envisagées ?

J'en viens maintenant à la question essentielle des disparités d'accès aux soins entre les territoires. On entend fréquemment que 87 % des Français vivent dans un désert médical, si bien que tout le monde serait mal loti... C'est une bonne excuse ! Cela justifierait de ne pas envisager de mesures de régulation de l'installation des médecins : on voudrait nous faire croire que, où qu'ils aillent, ils sont dans une zone insuffisamment dotée, à de rares exceptions près.

Je conteste cette acception de désert médical généralisé, véritable alibi de l'inaction, qui escamote les inégalités d'accès aux soins entre les territoires. En réalité, selon le lieu où l'on habite en France, on n'est pas soigné de la même façon.

Les diverses aides financières à l'installation versées depuis des années aux médecins ont d'ailleurs bien pour objectif de corriger ces distorsions. Leur pertinence me semble discutable, la littérature scientifique sur cette question tendant à montrer que leurs effets sont globalement décevants.

Quelles sont les zones les plus touchées aujourd'hui par la désertification médicale : les territoires ruraux, les petits pôles urbains, les banlieues les plus paupérisées de certaines grandes métropoles ? Quel bilan tirer des dispositifs incitatifs existants ? Quelles solutions spécifiques faut-il apporter face à cette situation ?

Une quatrième année de troisième cycle de médecine générale a été instituée par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2023. Les internes concernés sont-ils envoyés en priorité dans des zones sous-denses ? Quels effets de court et long terme attendre de cette mesure pour ces territoires ?

Il faut se détacher du corporatisme afin d'aborder la question des disparités territoriales dans l'accès aux soins sans aucun tabou. À cet égard, des mesures peut-être plus coercitives pourraient être envisagées en dernier recours. Une régulation globale de l'installation des professionnels de santé - qui existe déjà pour certaines professions - pourrait-elle être mise en oeuvre ?

Monsieur le président, vous avez soulevé ces interrogations par le passé, comme d'autres sénateurs avant moi. Chaque fois qu'un sénateur se déplace dans son territoire et rencontre un maire ou ses concitoyens, il est très rare que la question de l'accès aux soins ne soit pas abordée. C'est donc une priorité essentielle pour la Chambre des territoires.

Mme Julie Pougheon, conseillère spéciale à la direction générale de l'offre de soins du ministère de la santé. - Le sujet dont nous discutons est un sujet de préoccupation majeur pour les pouvoirs publics en général et la DGOS en particulier. La tension sur le système de soins résulte en partie d'un effet ciseaux entre les difficultés de l'offre de soins et la demande croissante de soins liée au vieillissement de la population, aux besoins afférents en matière de suivi et de prévention, aux pathologies émergentes et au contexte environnemental. Les ressources médicales se raréfient et l'attractivité des professions de santé est un enjeu fondamental, y compris pour le maintien en exercice des soignants. Les établissements de santé sont fragilisés.

Il n'y a pas de solution miracle immédiate pour répondre à cette situation. Celle-ci nous oblige à mobiliser tous les leviers possibles, de façon cohérente pour en multiplier les effets. Nous devons poser les jalons d'une amélioration qui ne sera pas immédiate. Traiter ces questions prend en effet du temps. Toutefois, il faut agir. C'est le sens des lois récentes et de l'action du Gouvernement.

Nous avons trois leviers d'action principaux, le premier étant le levier démographique. Le numerus clausus a été remplacé par des objectifs nationaux pluriannuels d'admission en études de santé, travaillés au plus près des territoires et qui tiennent compte à la fois des besoins en offre de soins et des capacités de formation des universités, l'enjeu étant de maintenir une formation exigeante et de qualité tout en couvrant les besoins à venir. Ces objectifs sont fixés pour cinq ans, puis rediscutés annuellement notamment avec les agences régionales de santé (ARS) et, en leur sein, les conférences régionales de santé et de l'autonomie (CRSA). Ce travail va produire ses effets, mais il est un peu tôt pour les mesurer. L'enjeu est de mieux appréhender les besoins de santé et d'anticiper au maximum leur évolution.

Il faut agir aussi sur la répartition géographique des professionnels de santé sur le territoire. On parle beaucoup des déserts médicaux, mais cette notion recouvre des réalités bien différentes selon les territoires. La tension est maximale dans certaines régions. Nous devons trouver des leviers pour y attirer les professionnels. Toutes les études internationales montrent que le levier financier ne saurait être employé seul. Il faut aussi agir de concert avec les territoires, qui luttent pour attirer des professionnels. Les initiatives existantes doivent être mieux coordonnées entre les collectivités, l'assurance maladie et les ARS pour mettre en oeuvre des incitations à l'installation plus efficaces et mieux connues des étudiants. Nous devons y travailler ensemble, au plus près des territoires.

Le deuxième levier d'action, c'est le profil des étudiants en études de santé. Un biais de recrutement manifeste s'observe, notamment chez les médecins. Les étudiants en médecine sont majoritairement des enfants issus de familles de catégories socioprofessionnelles relativement aisées et plutôt des citadins de grande ville. Au moment de leur installation, ils se projettent donc plus difficilement dans des territoires qu'ils ne connaissent pas. Déplacer les formations au plus près des territoires et favoriser les stages dans les zones sous-denses contribuerait à créer des vocations pour des installations dans des territoires en difficulté.

La quatrième année de docteur junior de médecine générale a été créée. La première promotion d'internes concernés sortira en 2025. L'objectif est d'envoyer ces internes en stage prioritairement dans les zones sous-denses. Nous travaillons à un mécanisme d'incitation ad hoc.

Le troisième levier d'action est l'organisation des soins. L'aspiration des jeunes professionnels de santé en matière de conciliation entre vie professionnelle et vie familiale diffère de celle de leurs aînés. Ils souhaitent des conditions de travail plus facilement conciliables avec une vie de famille, et sont plus attirés par des structures d'exercice coordonné dans lesquelles ils pourront partager leur activité avec d'autres professionnels de santé. Ce mouvement est fortement soutenu par les pouvoirs publics depuis plusieurs années, comme en témoigne le développement des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et des centres de santé. Les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) visent aussi à sortir les professionnels de santé de leur isolement, en leur apportant des réponses pour leurs patients.

Il faut également continuer à renforcer le lien entre la médecine de ville, l'hôpital et les établissements médico-sociaux. L'absence de communication et les cloisonnements qui subsistent entre ces acteurs compliquent le parcours de soins des patients. Les CPTS, en structurant la médecine de ville, faciliteront le dialogue. En effet, les hôpitaux pourront passer par elles pour s'adresser aux professionnels de leurs territoires. Il s'agit toutefois d'un travail de longue haleine.

Il faut aussi continuer à consolider l'évolution des prises en charge. Les textes réglementaires à venir concrétiseront les dernières avancées législatives. Il faut libérer du temps médical et recentrer les médecins sur les actions médicales à forte valeur ajoutée, en mobilisant d'autres professionnels de santé ayant la compétence nécessaire pour les décharger ou pouvant l'acquérir. Les médecins doivent être aidés non seulement pour l'exécution de leurs tâches administratives, mais aussi pour leur activité quotidienne, notamment par des assistants médicaux. Plus de 6 000 assistants médicaux sont comptabilisés aujourd'hui. L'objectif de 10 000 assistants médicaux d'ici à 2025 est donc atteignable. Ces nouveaux métiers - assistants médicaux, IPA - interviennent en complémentarité de l'action du médecin pour faciliter les prises en charge et offrir des interlocuteurs de proximité aux patients, notamment aux patients souffrant d'une affection de longue durée (ALD), dont le nombre croît, pour un suivi régulier ne nécessitant pas systématiquement la mobilisation d'un médecin.

Les nouvelles technologies peuvent aussi apporter des réponses, en particulier le développement de la télémédecine et des téléconsultations, à condition que cela se fasse dans des conditions satisfaisantes. La télésurveillance et la téléexpertise sont également des réponses utiles, notamment dans les territoires ruraux, pour les médecins généralistes qui se retrouvent seuls avec une patientèle qu'ils peuvent difficilement orienter vers des spécialistes.

L'ensemble de ces leviers d'action doit être activé, l'enjeu étant de conserver une prise en charge de qualité pour tous les patients.

M. Jean-François Longeot, président. - J'avais formulé des préconisations du même ordre dans mon rapport d'information de janvier 2020 sur les déserts médicaux...

Mme Isabelle Dugelet, maire de La Gresle (Loire) et membre du conseil d'administration de l'AMRF. - L'Association des maires ruraux de France (AMRF) rassemble 12 000 communes de moins de 3 500 habitants. Les problèmes d'accès aux soins sont apparus dans le monde rural longtemps avant de gagner le reste du territoire. Nous trouvons le temps très long, car nous entendons toujours les mêmes annonces, alors que, sur le terrain, rien ne bouge.

L'AMRF a souhaité démontrer les conséquences de la désertification médicale sur les habitants. Pour ce faire, plusieurs études ont été menées entre 2020 et 2023 avec Emmanuel Vigneron, géographe, historien, spécialiste des questions de santé et membre du Haut Conseil de la santé publique (HCSP). Leurs résultats sont édifiants. Les écarts entre le secteur rural et le secteur urbain en matière d'espérance de vie sont de 2,2 années pour les hommes et 0,9 année pour les femmes. Plus de la moitié des médecins du monde rural ont plus de 55 ans et sont donc proches de la retraite. Plus de 10 millions de Français se trouvent dans un territoire où l'accès aux soins est inférieur à la moyenne nationale. Le taux d'intervention du service mobile d'urgence et de réanimation (Smur), qui intervient en l'absence de toute autre solution, est supérieur de 25 % en milieu rural. L'activité des pompiers a crû de 15 % entre 2015 et 2020. Leur principale activité est désormais le secours à la personne. Plus de 10 % de la population vit à plus de trente minutes d'un service d'urgences.

Nous avons mené une étude sur la répartition des médecins en France. Le monde rural représente 30 % de la population française, mais seulement 25 % des médecins généralistes. En ruralité, un médecin couvre 30 kilomètres carrés, contre seulement 5 kilomètres carrés en secteur urbain. Pas moins de deux bassins de vie ruraux sur trois manquent de médecins généralistes. La moyenne nationale en 2022 était de 0,83 médecin pour 1 000 habitants. Il manquerait plus de 6 000 médecins pour atteindre l'objectif, déjà peu ambitieux, d'un médecin pour 1 000 habitants.

Plusieurs cartes disponibles sur notre site internet montrent la répartition des médecins sur le territoire français. Les médecins généralistes comme spécialistes se concentrent sur les côtes françaises, dans les Alpes, en Alsace, en région parisienne et, globalement, dans les métropoles.

Le monde rural recense, à âge et sexe égaux, 14 200 décès supplémentaires par an par rapport à ce qui serait attendu si l'espérance de vie y était identique à celle des villes. L'espérance de vie s'est améliorée deux fois plus vite à la ville qu'à la campagne depuis 1990.

On découvre aussi une territorialité des inégalités. Des différences majeures s'observent à l'intérieur des départements, notamment entre centre et périphérie. Au centre se trouvent les villes, sièges de la concentration des services, notamment de santé. Plus l'on s'en éloigne, plus la situation est difficile. Des zones de surmortalité se retrouvent à la limite des départements, parfois à cheval sur deux ou trois départements. Ces secteurs sont complètement laissés pour compte.

En 2023, nous avons travaillé sur la consommation de soins hospitaliers. Les habitants du monde rural consomment 20 % de soins hospitaliers de moins que les habitants des milieux urbains denses, jusqu'à 30 % de séances de dialyse en centre et de chimiothérapie de moins et 12 % de courts séjours hospitaliers de moins. La distance joue un rôle majeur dans ce domaine, en lien avec la rareté des médecins traitants.

Notre dernière étude porte sur les 250 jeunes Français qui, n'ayant pas réussi les examens d'entrée en faculté de médecine en France, sont partis étudier la médecine en Roumanie. Ils paient cher leurs études et rencontrent des difficultés pour revenir en France. Il pourrait être judicieux de faciliter leur retour, en leur donnant accès plus facilement à un stage pour leur internat ou en modifiant les dates des concours.

Le secteur rural est en grande difficulté. Ma commune se trouve en zone d'intervention prioritaire (ZIP). La semaine dernière, un résident de l'établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) est décédé à 100 mètres de cette structure. En l'absence de médecin disponible pour constater le décès, le service d'aide médicale urgente (Samu) nous a dit qu'il fallait le ramener dans sa chambre et qu'un médecin de garde passerait le soir. C'est inacceptable ! Les gendarmes ayant refusé, ce brave homme est resté couché presque trois heures sur la route le temps qu'un médecin arrive et que les pompes funèbres l'emmènent. Voilà la réalité dans les territoires. La disposition de la loi Valletoux qui donne aux infirmières la possibilité d'établir un constat de décès n'est pas encore opérationnelle, car la formation des infirmières prend du temps. Il faudrait aller plus vite, car le temps est trop long.

Les textes se succèdent. Nous parlons toujours des mêmes sujets, sans que rien n'avance. J'ai en tête l'exemple d'un couple de personnes âgées de ma commune. Lui, souffrant de la maladie de Parkinson, a vu son médecin traitant partir en retraite sans qu'aucun remplaçant se présente. La neurologue de l'hôpital qui le suit, en congé maternité, n'est pas remplacée. Que peut-il faire, en pareil cas ? Et le maire que je suis n'a pas de solution à proposer.

L'AMRF s'est associée à 35 organisations du monde de la santé pour présenter des propositions consensuelles en vue des élections présidentielle et législatives. Celles-ci incluaient notamment l'organisation de stages pour les étudiants en santé hors des lieux de formation initiale, en particulier dans le monde rural, où les collectivités pourraient s'engager à aider pour l'hébergement et le transport. Ce serait l'occasion de leur faire découvrir nos territoires. Des équipes de soins coordonnées autour du patient (Escap) pourraient également être constituées, ainsi que des guichets uniques départementaux pour l'accompagnement à l'installation des professionnels de santé. Nous pourrions aussi aller jusqu'à une répartition territoriale des soignants. Enfin, de nouvelles manières de pratiquer pourraient être développées en favorisant l'exercice mixte ville-hôpital et le partage de compétences entre professionnels, afin d'assurer une prise en charge rapide et de proximité.

M. Jean-François Longeot, président. - Votre témoignage de terrain, madame le maire, illustre parfaitement la problématique qui nous réunit ce matin. Nos concitoyens se plaignent régulièrement de ces problèmes récurrents. Il est donc urgent d'agir !

M. Maxime Lebigot, co-président de l'Association de citoyens contre les déserts médicaux (ACCDM). Je tiens à vous remercier de votre invitation au nom de l'Association de citoyens contre les déserts médicaux, une association créée en 2016 en Mayenne par mon épouse et moi-même sur le fondement d'un simple constat : notre fils de cinq mois à l'époque n'avait pas de médecin traitant.

En 2016, en effet, après avoir contacté l'ensemble des médecins généralistes de l'agglomération lavalloise, on nous a demandé de joindre l'ARS des Pays de la Loire, désignée comme seule responsable de la démocratie sanitaire et de la démographie médicale du territoire. Celle-ci nous a répondu que nous n'avions qu'à nous rendre aux urgences pédiatriques pour assurer le suivi médical de notre fils, une réponse qui nous a paru totalement inacceptable.

La situation de la métropole lavalloise n'est pas isolée : notre association est désormais présente dans dix-neuf départements. Toutes nos antennes locales dressent le même constat : il existe une mauvaise répartition des médecins, généralistes et spécialistes, sur le territoire.

En 2023, selon les derniers chiffres, la France compte 230 000 médecins sur son territoire, tandis qu'un tiers des Français vit dans un désert médical. Dans votre rapport d'information, monsieur Rojouan, vous précisez que 9 millions de nos compatriotes, dont 720 000 personnes atteintes d'une ALD, n'ont pas de médecin traitant.

D'après les projections dont nous disposions en 2016, année au cours de laquelle j'ai fondé cette association, la courbe devait s'inverser à compter de 2025. Or on sait aujourd'hui que la situation continuera d'empirer pendant encore une bonne dizaine d'années. Il faut s'attendre à ce que de nombreux bassins de vie soient abandonnés dans les dix ans à venir : c'est une décennie noire, n'ayons pas peur des mots !

Comment l'expliquer ? Tout d'abord, la mise en place d'un numerus clausus en 1974 pour réduire la consommation de soins et, donc, les dépenses de santé s'est révélée tout simplement aberrante, dès lors que l'on savait très bien que la population française vieillissait.

Aujourd'hui, les visites à domicile se raréfient ; les distances parcourues par de nombreux Français pour se soigner s'allongent presque mécaniquement ; les délais d'attente s'accroissent également. Pour ne citer que ces deux exemples, pour les habitants de la Mayenne, il faut en moyenne près d'un an pour obtenir un rendez-vous chez un ophtalmologiste et près d'un an et demi pour un rendez-vous d'orthodontie - et encore, en dehors du département ! Cette situation est préjudiciable, puisqu'elle suscite des retards de prise en charge des soins. À cela s'ajoutent la mode du déconventionnement, le refus de prise en charge de nouveaux patients par de nombreux médecins, qui veulent prendre le temps nécessaire pour soigner ceux dont ils s'occupent déjà - et c'est tout à leur honneur ! -, et les dépassements d'honoraires pratiqués par de nombreux spécialistes.

En zone rurale, la population masculine a en moyenne deux années d'espérance de vie en moins que sur le reste du territoire ; cet écart s'élève à un peu moins d'un an pour les femmes.

Il ne faut pas oublier les médecins qui sont actuellement en activité : ceux-ci sont surchargés de travail et prennent des risques pour leur propre santé.

Je rappelle que le droit à la santé figure dans notre Constitution ; cette pénurie médicale correspond donc à une rupture du pacte républicain. Les chiffres parlent d'eux-mêmes : 139 médecins généralistes pour 100 000 habitants en moyenne dans les Hautes-Alpes ou 124 médecins pour 100 000 habitants dans les Alpes-Maritimes, quand on ne compte que 62 médecins pour 100 000 habitants dans la Sarthe et 65 médecins pour 100 000 habitants dans mon département, la Mayenne. L'inégalité d'accès aux soins concerne l'ensemble de notre territoire.

Je tiens aussi à souligner que nos services d'urgence sont surchargés. En outre, on nous demande de mettre en place des services d'accès aux soins (SAS), alors que seul un tiers des médecins accepte d'y participer.

Mon association en appelle au courage politique, le courage de réguler l'installation des médecins, ne serait-ce que temporairement, en les décourageant de s'implanter dans des zones suffisamment dotées. Nous devons mieux répartir nos médecins sur le territoire, comme c'est le cas d'autres professions. Si l'on prend l'exemple des pharmaciens, il faut admettre que ceux-ci sont bien mieux répartis sur le territoire national que les médecins, même s'ils souffrent aujourd'hui, comme nos concitoyens, de la disparition des cabinets médicaux.

Une politique garantissant aux Français un accès équitable aux soins et aux mesures de prévention commence par l'application d'un principe simple : un médecin pour chaque Français. Ayons le courage politique de faire passer certaines mesures, qui peuvent certes déplaire à 230 000 personnes, mais qui sont dans l'intérêt de 19 millions de Français.

M. Stéphane Demilly. - Nous traitons aujourd'hui d'un problème que chacun d'entre nous connaît par coeur tant il a été évoqué, un problème qui s'aggrave au fil des années et dont aucune politique publique n'est venue à bout : les déserts médicaux.

Ces déserts concernent une commune sur trois en France, soit 8 millions de personnes. Les écarts de densité entre départements varient d'un à trois pour les médecins généralistes et d'un à huit pour les spécialistes. Près de 227 000 médecins exercent aujourd'hui leur métier sur le territoire national, dont 45 % de médecins libéraux - la part des hospitaliers ne cesse cependant de progresser. Parmi ces praticiens libéraux, un tiers d'entre eux a plus de 60 ans. À population égale, il y a par exemple quatre fois plus de dentistes dans les Alpes-Maritimes que dans la Somme.

Je pourrais évoquer aussi les insupportables différences de densité médicale pour ce qui est des cardiologues, des dermatologues, des gynécologues ou encore des ophtalmologistes, pour lesquels il faut en moyenne 80 jours pour obtenir un rendez-vous - il faut même plusieurs mois dans mon département de la Somme.

Je l'ai dit, les politiques publiques de lutte contre les inégalités territoriales n'ont pour l'instant pas porté leurs fruits. Ce n'est pas faute d'avoir essayé et d'avoir testé différentes formes de « câlinothérapie » - je pense notamment à diverses incitations à l'installation des médecins. Mais, à l'évidence, dérouler tous ces tapis rouges n'a pas suffi et nous nous trouvons aujourd'hui au milieu du gué.

Les gouvernements successifs ont toujours évité de retenir les solutions les plus volontaristes. La fracture sanitaire s'accroît à toute vitesse, notamment dans nos territoires ruraux ; elle s'ajoute à la panoplie des difficultés de mobilité, d'accès au numérique et d'accès aux services publics. Ce sentiment d'abandon se traduit par des cris de colère électorale et parfois, pour ne pas dire souvent, par un renoncement aux soins. À cet égard, le témoignage de Mme le maire de La Gresle m'a beaucoup ému.

J'en viens à ma question : considérant que ce triste spectacle est essentiellement financé par de l'argent public, que ce soit par les impôts pour les études des futurs praticiens ou via les cotisations sociales pour le fonctionnement général du système de soins, ne pensez-vous pas qu'il est plus que temps d'avoir recours à des solutions coercitives, de lancer des états généraux et, au risque de jeter un pavé dans la mare, d'utiliser le levier du conventionnement des futurs praticiens, de sorte que le mot « égalité », inscrit sur le frontispice de chacune de nos mairies, s'applique de nouveau à l'accès aux soins ?

Mme Nicole Bonnefoy. - Je comprends parfaitement que ce misérabilisme ne plaise pas au nouveau ministre délégué chargé de la santé et de la prévention, mais force est de constater que la situation ne s'arrange pas, ce que chacun, ici, confirmera.

La Charente, mon département, n'est pas épargnée par le phénomène de désertification médicale. En effet, elle occupe toujours l'une des dix dernières places du classement des déserts médicaux en France. En début d'année, c'est la maternité du centre hospitalier d'Angoulême, la maternité de Girac, qui a frôlé la fermeture, faute de gynécologues obstétriciens.

Parallèlement à la raréfaction de cette catégorie de médecins, nous constatons l'envolée du prix des soins en 2024. Selon l'association UFC-Que Choisir, plus de 70 % des gynécologues médicaux réalisent des dépassements d'honoraires. Cette aridité financière s'ajoute au désert et constitue, en définitive, une double peine pour les femmes.

Selon la Fédération nationale des collèges de gynécologie médicale, 67 % des femmes vivent dans un désert médical. Or, vous le savez, le suivi réalisé par un gynécologue médical est irremplaçable pour le suivi global de la santé des femmes : dépistage cardiovasculaire, ostéoporose, prise en charge de l'infertilité, délivrance de moyens de contraception, suivi de la ménopause, etc. Ces actes essentiels ne sont plus assurés par manque de médecin ou de moyens financiers. Si le dépistage du cancer du col de l'utérus peut être assuré par des sages-femmes ou des médecins généralistes, ces derniers ne remplacent bien évidemment pas un gynécologue médical.

Madame Pougheon, en 2021, la délégation aux droits des femmes du Sénat a publié un rapport d'information remarquable, qui comporte des recommandations solides pour améliorer l'accès aux soins des femmes, telles que la médecine itinérante ou le plafonnement du nombre d'installations par département. Sur quelles solutions le ministère planche-t-il pour améliorer la santé des femmes dans les déserts médicaux ?

Par ailleurs, un récent rapport de l'Académie nationale de médecine plaide pour ce qu'elle nomme un réalisme fondé « non pas sur le maintien illusoire des petites structures, mais sur une réduction du nombre de maternités. » Ainsi, les maternités qui réalisent moins de 1 000 naissances devraient fermer au profit d'une réorganisation globale de l'offre de soins territoriale.

Si ce dossier est sur la table du Gouvernement, il me semble indispensable de développer en amont, et avant la fermeture desdites petites structures, la mise en place de centres périnataux de proximité et d'hôtels hospitaliers proches des maternités pour les femmes en fin de grossesse.

Le nombre de naissances en dehors d'une ville disposant d'une maternité est en constante augmentation, ce qui traduit l'existence d'un risque accru pour la santé des femmes, qui ne parviennent pas toujours à se rendre à temps à la maternité. Certains habitants de mon département m'ont fait part de problèmes de ce genre, c'est-à-dire de femmes qui ont dû accoucher dans des ambulances ou au bord de la route.

Avez-vous connaissance de ce dernier rapport de l'Académie nationale de médecine ? Quelle politique périnatale entendez-vous mettre en oeuvre dans les territoires sous-dotés ? Un « plan rose » est-il à l'étude à l'échelle nationale ?

M. Pierre Barros. - On le sait, la situation est mauvaise. La situation de la médecine de ville, notamment, s'est fortement dégradée. Vous évoquiez tout à l'heure, madame Pougheon, l'hypothèse de faire venir ou de faire revenir des étudiants qui font leurs études à l'étranger. Je citerai à ce propos l'exemple du centre hospitalier de Gonesse dans le Val-d'Oise, département dont je suis sénateur, où 60 % des médecins sont des praticiens à diplôme hors Union européenne (Padhue). Beaucoup d'entre eux sont en situation irrégulière et font l'objet d'une obligation de quitter le territoire, ce qui provoque des situations ubuesques. Nous devons batailler avec les services de l'État pour conserver ces praticiens, qui sont pourtant essentiels, puisque ce sont eux qui font tourner les services.

J'en reviens à la question des parcours de soins : ces derniers débutent toujours par le prescripteur de base qu'est le médecin généraliste de ville. Aussi, quand il vient à manquer, c'est toute la chaîne de soins qui s'effondre.

Aujourd'hui, il existe plusieurs dispositifs permettant de répondre aux besoins et aux demandes des futurs médecins à la sortie de leurs études. On a oublié que les centres municipaux ou intercommunaux de santé, par exemple, peuvent faire partie de la solution. À l'issue d'une réflexion assez poussée sur le sujet, j'ai moi-même contribué à la mise en place d'un centre intercommunal de santé dans ma ville, pour remédier aux départs à la retraite successifs de tous les médecins qui exerçaient sur le territoire. Sans réaction de notre part, nous nous serions retrouvés avec un bassin de vie de près de 25 000 habitants n'ayant plus aucun médecin.

Nous avons pris cette initiative après que plusieurs élus locaux, dont je fais partie, ont été informés d'un certain nombre d'expériences, souvent malheureuses, qui ont consisté pour certaines communes à aller chercher des médecins dans les villes voisines, des démarches qui ont évidemment contribué à renforcer la concurrence entre les collectivités. Cette solution, évidemment inadmissible, s'est de surcroît révélée inefficace, parce qu'en définitive les médecins se déplacent avec leur patientèle.

Je pense aussi aux maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP). Ce type de structure s'inscrit dans une logique concurrentielle rude, qui s'apparente à une foire d'empoigne. Dès lors qu'ils sont désirés, certains médecins deviennent des « mercenaires », qui font monter les enchères avant de s'installer chez le plus offrant ou dans la commune dont les conditions d'accueil sont les plus favorables.

Les centres municipaux de santé sont très intéressants, parce qu'ils permettent à certains médecins, qui en expriment le besoin, d'acquérir le statut de salarié et de changer leur manière d'exercer leur métier. Ils bénéficient d'un accompagnement administratif complet ; ils font aussi partie d'une communauté de médecins qui travaille de manière collaborative, ainsi que d'une équipe pluridisciplinaire composée, entre autres, de médecins spécialistes et d'infirmiers.

Le seul problème est qu'il existe un reste à charge, qui décourage souvent les professionnels de santé. Nous souhaitons que l'État et les ARS accordent une subvention d'équilibre permettant aux collectivités de financer l'intégralité de ces centres de santé et les incitant à se lancer dans l'aventure. Cet axe de travail me semble crucial pour l'avenir.

Mme Julie Pougheon. - Chacun s'accorde sur le constat suivant : il existe aujourd'hui un problème d'attractivité des professions de santé en général et un problème d'attractivité plus spécifique à la médecine générale de ville.

Monsieur Demilly, la difficulté que posent les mesures de coercition, c'est que l'on risque de détourner d'éventuels candidats à l'installation en ville vers d'autres modes d'exercice, soit dans des établissements de santé, soit vers d'autres spécialités, en sachant que la médecine générale est l'une des moins prisées par les étudiants en médecine.

La coercition est un levier à manipuler avec précaution si l'on ne veut pas faire fuir de futurs candidats à l'exercice de la médecine. Le choix qui a été fait jusqu'à présent est de recourir à d'autres leviers pour tenter de ramener des professionnels de santé vers des territoires sur lesquels ils ne s'installent pas aujourd'hui.

J'entends et je mesure évidemment l'impatience des territoires confrontés à ces problèmes, territoires où les populations éprouvent les plus grandes difficultés pour accéder aux soins. Pour autant, je le redis, le pari qui a été fait à ce stade consiste à manipuler simultanément divers leviers d'action.

Vous l'avez dit, monsieur Barros, certains territoires en difficulté se livrent à une concurrence délétère : ils rivalisent d'inventivité pour tenter d'attirer des professionnels de santé. Il est essentiel que nous parvenions à coordonner cette action et à fixer, à l'échelle d'un territoire, des règles permettant d'attirer des professionnels, sans pour autant alimenter cette concurrence qui, en définitive, a des effets inverses de ceux qui sont escomptés.

Madame Bonnefoy, il existe, comme vous l'avez rappelé, une démographie médicale tendue, avec des spécialités qui souffrent de déficits importants. Vous avez cité la gynécologie médicale. Les gynécologues médicaux sont en effet de moins en moins nombreux. C'est une profession qui n'attire plus, notamment parce qu'il s'agit de l'une des spécialités médicales les moins rémunératrices. Ce problème est bien identifié et l'assurance maladie réfléchit, en lien avec les médecins, au meilleur moyen de la revaloriser, tout comme elle le fait pour la pédiatrie.

Vous l'avez souligné, une autre solution consisterait - nous y travaillons actuellement - à recourir à ce que vous avez appelé la médecine itinérante. Plusieurs dispositifs sont en cours d'expérimentation ou de déploiement.

Vous le savez aussi, Mme Agnès Firmin Le Bodo avait lancé un programme de déploiement de médicobus, qui ont vocation à se déplacer dans les zones rurales pour offrir aux habitants une médecine générale de proximité. Une trentaine de ces bus circule ou est en passe de circuler à travers le territoire. Nous évaluerons l'intérêt de cette mesure pour déterminer s'il convient de poursuivre dans cette voie ou, au contraire, si la réponse apportée est insuffisante.

Par ailleurs, nous travaillons sur la notion de consultation avancée, notamment dans le cadre de discussions conventionnelles avec les représentants des professions de santé : il s'agit de permettre à des médecins qui exercent sur un territoire donné d'aller exercer une journée par semaine dans un territoire sous-doté, afin de permettre à la population de ce territoire d'avoir accès à une spécialité qui n'existe plus chez elle. Un tel projet implique une mutualisation des locaux où des médecins spécialistes de territoires environnants viendraient délivrer, à tour de rôle, des consultations et effectuer des actes de second recours auprès de populations qui ne disposent plus de spécialistes de proximité.

On constate qu'un généraliste ne s'installe pas sur un territoire où il n'y a plus de spécialistes, parce qu'il sait par avance que ses patients rencontreront des difficultés d'accès aux soins. L'enjeu consiste donc tout autant à faire revenir des spécialistes qu'à attirer les médecins généralistes au plus près des territoires.

Tels sont les axes de travail que nous explorons actuellement.

S'agissant des maternités, madame Bonnefoy, il existe effectivement un problème propre aux petites maternités. Les difficultés ne datent d'ailleurs pas d'hier. À ce titre, nous avons déjà mis en place un dispositif « engagement maternité », dispositif d'hébergement temporaire qui permet à des femmes pour lesquelles la maternité de référence est située à plus de cinquante kilomètres de leur domicile d'être prises en charge dans un lieu se situant à proximité de ladite maternité, et ce à quelques jours du terme de leur grossesse.

Ce dispositif existe depuis au moins deux ou trois ans ; son succès dépendra notamment de la capacité des médecins de ville et des gynécologues de s'en emparer pour le proposer à leurs patientes. Certes, il ne remplacera pas la gynécologie de proximité, mais il s'agit tout de même d'une expérimentation intéressante.

Je conclurai en vous répondant, monsieur Barros, que les centres de santé, qu'ils soient municipaux ou intercommunaux, se développent grâce à un soutien résolu des pouvoirs publics. Ce modèle est attrayant pour certains professionnels, parce qu'il repose sur le salariat et le travail en équipe. Les médecins n'y sont pas isolés et bénéficient par ailleurs d'un soutien administratif important. Les centres de santé assurent aux patients un accès aux soins sans avance de frais, ce qui est primordial pour certaines populations de certains territoires.

Seul bémol, le modèle économique des centres de santé reste fragile : ces centres ont du mal à atteindre l'équilibre financier. Les dernières négociations conventionnelles avec l'assurance maladie ont certes permis d'augmenter de 25 % le financement forfaitaire des centres de santé, mais on voit bien que certains d'entre eux sont toujours en difficulté.

Le Gouvernement a récemment demandé à l'inspection générale des affaires sociales (Igas) de formuler des recommandations pour renforcer la viabilité du modèle économique de ces centres, un modèle de soins auquel nous croyons, tant pour les professionnels que pour les patients. Ce rapport devrait être remis prochainement.

J'ajoute que ce modèle est étudié dans le cadre des expérimentations dites « de l'article 51 », qui permettent de tester des dispositifs innovants, comme le sont les centres de santé sexuelle ou les centres de santé communautaire, lesquels apportent des réponses spécifiques à des populations hors normes du point de vue de l'accès aux soins.

M. Pierre Barros. - L'enjeu consiste à trouver la bonne formule pour encourager une démarche vertueuse qui profite à tous et ramène de nouveaux médecins dans des territoires sous-dotés. Les solutions passeront, de mon point de vue, par des efforts supplémentaires de la part de la puissance publique.

M. Jean-François Longeot, président. - Je comprends les difficultés qu'il peut y avoir à prendre des mesures coercitives, mais le rapport d'information de Bruno Rojouan montre bien qu'il pourrait être intéressant d'opérer une sélection des futurs médecins appelés à exercer dans des territoires sous-dotés, en amont de la fin de leurs études. La mise en oeuvre d'une telle mesure, loin d'être simple à mettre en place, me semble néanmoins intéressante.

M. Bruno Rojouan, rapporteur. - Je plaide pour la mise en place de quotas - j'ose le terme. On pratique bien la discrimination positive dans certaines grandes écoles : pourquoi ne pas assumer cette politique volontariste dans le domaine de la médecine ?

Les statistiques montrent que les médecins qui s'installent dans les territoires ruraux sont, en règle générale, issus eux-mêmes de territoires ruraux. Il faudrait que, dans le cadre de la présélection que nous envisageons de mettre en place lors des études de médecine, on identifie un certain nombre de jeunes étudiants susceptibles de s'installer dans ce que l'on appelle les déserts médicaux. Les quotas me semblent, de ce point de vue, être l'une des solutions à la crise actuelle.

J'ouvre une parenthèse, mes chers collègues : je m'interroge sur l'intérêt de continuer à utiliser l'expression de « désert médical ». Cette expression est en effet régulièrement détournée de son sens premier au point que, quand on discute avec de jeunes médecins ou des étudiants en médecine, ils n'en retiennent que la notion de « désert ». Pour eux, il n'y a rien dans ces territoires, ce qui ne les incite pas à s'y installer. Nous devrions commencer par changer de vocabulaire.

Une deuxième solution consisterait à délocaliser les formations dans les territoires sous-dotés, ce qui impliquerait de modifier le cycle universitaire. La coercition ne doit pas être considérée de manière étroite : elle consiste avant tout à avoir le courage de prendre des décisions en amont.

Autre principe évident à respecter : compte tenu de la très longue durée du cycle de formation, il ne faut pas changer les règles en cours de route. Peut-être faudrait-il prévoir dès le début des études de médecine deux voies distinctes : une voie pour des étudiants qui, à l'issue de leurs études, conserveraient une liberté totale d'installation, comme c'est le cas aujourd'hui, et une seconde voie, qui présenterait l'intérêt d'offrir un certain nombre d'avantages à ceux qui la choisiraient, et qui reposerait sur une obligation d'installation, pendant un certain nombre d'années, dans un certain nombre de territoires sous tension.

Le champ d'études est vaste : c'est tout l'enjeu du travail que nous mènerons collectivement sous la houlette du président Jean-François Longeot.

M. Fabien Genet. - How dare we ? Comment ose-t-on encore parler d'équité territoriale en matière d'accès aux soins ? En effet, nous sommes désormais dans une situation de totale iniquité ; nous sommes même entrés dans la phase ultérieure, celle de l'impossible accès aux soins. De ce point de vue, je souscris pleinement au tableau extrêmement sombre, et malheureusement très réaliste, que les différents intervenants viennent de dresser.

La situation actuelle est indigne de notre pays, de ses valeurs, de ses principes, de son rang et de sa puissance économique, parce qu'il y va de notre bien le plus précieux, la santé, parce que la situation se dégrade depuis au moins quinze ans et que ce sont les plus fragiles, les plus vulnérables de nos concitoyens qui, peu à peu, ne réussissent plus à se faire soigner.

Dans cet hémicycle, dans cette commission plus particulièrement, nous avons la volonté de trouver les solutions les plus efficaces possible et d'améliorer les dispositifs existants. Madame Pougheon, je me dois cependant de relayer la colère, la rage et le désespoir que ressentent les habitants d'un certain nombre de territoires. N'y voyez rien de personnel, mais nous en avons assez d'entendre des discours cliniques concluant à l'absence de solution magique et à la nécessité d'être patient... J'ai moi-même été maire avant d'être sénateur : cela fait quinze ans que j'entends ce type de discours ! Ma commune de Digoin, en Saône-et-Loire, a perdu la moitié de ses médecins en 2015. À l'époque, c'était déjà le discours que l'État tenait. Ce n'est plus possible !

Beaucoup de nos concitoyens ne parviennent plus à trouver de médecin, non seulement à côté de chez eux, mais parfois à trente ou à cinquante kilomètres de leur domicile : ils expriment leur rage, leur désespoir directement auprès des derniers médecins présents sur le territoire, auprès des secrétaires médicales, qui sont en première ligne et qui n'en peuvent plus.

Il est temps d'en finir avec les discours policés et de faire entendre cette colère. Manifestement, le Gouvernement n'a pas pris la mesure de ce qui se passe sur le terrain, alors même que les choses empirent au fil du temps - on le sait très bien. M. Lebigot a du reste parlé à juste titre de décennie noire.

Il n'est plus possible de faire comme si tout cela n'existait pas, parce que les gens finiront par se révolter. Ils commencent d'ailleurs déjà à le faire : j'en veux pour preuve la maison de santé pluriprofessionnelle située près chez moi, dont on a dû protéger les locaux avec divers dispositifs de protection, des barrières en plexiglas, etc.

Les collectivités locales en sont maintenant réduites à faire de la surenchère pour attirer les médecins : on multiplie les bourses, on déroule le tapis rouge. C'est du grand n'importe quoi !

Permettez-moi d'évoquer la cartographie des aides, matérialisée par les fameuses zones d'intervention prioritaire (ZIP) et zones d'action complémentaire (ZAC) : celles-ci sont fixées chaque année par un arrêté du directeur général de l'ARS. Malheureusement, on s'aperçoit à l'usage que, pour pouvoir classer un territoire en ZIP, il faut en déclasser un autre... Le Gouvernement est-il prêt à faire sauter ce verrou ?

Madame Pougheon, vous avez parlé du numerus clausus, en rappelant qu'il fallait bien sûr prendre en considération les besoins, mais également les capacités de formation. Au regard de l'enjeu que cela représente, pouvez-vous fournir des chiffres précis sur l'augmentation du nombre de médecins formés ? En quoi les capacités de formation brident-elles aujourd'hui l'augmentation du nombre de médecins formés ? Le ministère envisage-t-il d'augmenter ces capacités de formation ?

Mon département a eu les plus grandes difficultés pour accueillir les médecins étrangers qui ont souhaité s'y installer : il faut parfois plus d'un an pour que les commissions d'autorisation d'exercice rendent leurs décisions. Je sais que ces commissions sont débordées, mais je me demandais si le stock des dossiers en instance s'amenuisait réellement. Que fait le ministère pour améliorer les choses ?

Enfin, je ne comprends pas que vous parliez, madame Pougheon, de coercition. Le ferait-on au sujet d'un professeur que l'on affecte dans un collège ou dans un lycée, ou d'un pilote de chasse qui pose son avion sur une base aérienne ? N'oublions pas que notre système de santé est très largement administré et financé par les deniers publics : ne pourrait-on pas simplement parler d'affectation des moyens en fonction des besoins ?

M. Simon Uzenat. - Nous sommes nombreux à partager les propos de notre collègue Fabien Genet. Je crois pouvoir dire, sans exagérer, que l'heure est grave. Et cela fait maintenant plusieurs années que ce constat est dressé et vécu sur le terrain. Au-delà même de cette audition, il conviendra certainement d'aller plus loin et plus vite sur ce sujet.

Je souhaiterais revenir sur différents points.

S'agissant du destin des territoires ruraux, il a été question de la diminution de l'espérance de vie de leurs habitants, mais il importe aussi de déplorer les pertes de chance, notamment celles que subissent les patients qui n'ont pas d'accès aux urgences ou qui font appel à des Smur qui se situent à plus d'une heure de route de chez eux. Ces personnes ont moins de chances que les autres d'être pris en charge à temps.

On a également parlé de démographie médicale. Permettez-moi d'évoquer la situation du pays Centre-Ouest-Bretagne, qui regroupe des communes de trois départements, le Finistère, les Côtes-d'Armor et le Morbihan : ce pays, qui se situe en ZIP dispose de 2,5 dentistes pour 10 000 habitants, contre 5,5 dentistes pour 10 000 habitants en moyenne en région Bretagne et à l'échelle nationale.

Toutes les réponses que vous avez apportées ce matin, madame Pougheon, sont difficilement audibles et acceptables. Vous avez mentionné l'exercice coordonné des soins : les collectivités se retrouvent en première ligne face à la mise en place de ces structures, alors que cela ne relève pas - il faut le rappeler - de leurs compétences. Les communes mettent de l'argent sur la table - notre collègue Pierre Barros a parlé des centres de santé -, alors que tout relève bel et bien de la responsabilité de l'État. Les citoyens, quand les choses ne tournent pas rond, s'adressent aux élus locaux, mais c'est la responsabilité de l'État qui est en jeu ! Tout le discours consistant à prôner l'exercice coordonné des soins revient en réalité à transférer la responsabilité financière du dispositif aux collectivités locales.

Autre solution évoquée, les territoires de vie-santé. Là encore, il s'agit d'une disposition très technocratique, qui ne tient pas compte de la réalité, notamment du vieillissement d'une population qui n'est plus en mesure de se déplacer et au domicile de laquelle les médecins refusent désormais de se rendre, parce qu'ils n'en ont plus le temps. Le raisonnement tenu par le Gouvernement n'a aucun sens, ni pour les habitants ni pour les élus locaux. Sans compter qu'il y a un problème de remontée des données concernant la démographie des professionnels de santé présents sur les territoires : l'ARS ne dispose pas de chiffres exacts, alors que leurs statistiques servent de référence pour le zonage dont parlait à l'instant Fabien Genet.

Je tiens à aborder la question du recours par certaines communes à des chasseurs de têtes pour attirer des professionnels de santé : je parle de 10 000 à 15 000 euros pris sur le budget des communes pour tirer leur épingle du jeu et faire face à la concurrence effrénée entre collectivités. En définitive, c'est l'État qui pousse les collectivités locales à se livrer à une telle concurrence ; elles n'ont pas d'autre choix ! Et ce seront, en dernier lieu, les collectivités rurales les plus modestes qui seront pénalisées, faute de moyens suffisants.

Sur le lien entre médecine de ville et hôpital, nous sommes là encore d'accord sur le principe, sauf que les hôpitaux situés en zone rurale sont tous en très grande difficulté. J'ai à l'esprit les exemples du centre hospitalier intercommunal Redon-Carentoir ou du centre hospitalier du Centre-Bretagne. La fermeture de lits et le fameux virage ambulatoire, cela ne fonctionne pas ! Les services d'urgence doivent devenir des services d'hospitalisation, alors qu'ils sont régulés ou fermés dans les faits. Ces mesures ne sont pas acceptables pour des habitants qui, depuis des années, subissent ces contraintes.

Parlons des maternités : dans nos départements, quand il n'y a pas de pédiatres, ce qui est souvent le cas, la maternité ne peut pas fonctionner. Les directeurs des centres hospitaliers nous expliquent aussi qu'ils passent leur temps à combler les trous dans le gruyère. La situation est absolument catastrophique.

Un mot également de la psychiatrie : c'est une bombe à retardement, qui a déjà assez largement explosé dans la foulée de la crise sanitaire... Mon département dispose de plusieurs établissements publics de santé mentale. L'état de ces établissements et la prise en charge très problématique des patients ont des conséquences en chaîne sur les autres services de santé et sur la société en général.

Certains ont parlé de formations délocalisées : oui, il faut aller plus loin en la matière. Dans le Morbihan, certaines initiatives semblent plutôt bien fonctionner. Je pense aux premières années d'études de médecine délocalisées à Lorient, à Vannes et à Pontivy, en lien avec l'université de Rennes. Il serait nécessaire de rehausser le nombre d'étudiants concernés, car cela pourrait les inciter à s'installer plus tard dans des territoires sous-dotés.

Certains de mes collègues ont souligné l'importance de réguler l'offre de soins : il faut l'assumer. Certes, les médecins généralistes ne sont pas des fonctionnaires, mais l'ensemble de leur parcours est financé grâce à de l'argent public, de la formation initiale jusqu'à l'exercice concret de leur métier. La puissance publique doit tenir un discours clair, d'autant que les conditions de travail ne sont certes pas faciles, mais qu'il ne s'agit pas de la profession qui gagne le moins d'argent en France... Chacun doit prendre ses responsabilités.

Lors de l'examen du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous avons été nombreux à plaider pour que l'on consacre des recettes supplémentaires à cette thématique de l'accès aux soins : toutes les solutions que nous préconisons les uns et les autres impliquent en effet que l'on y mette les moyens. Le Gouvernement se doit de l'entendre, même si les dernières annonces de l'exécutif ne vont pas dans ce sens.

Notre système de santé doit porter la marque d'une volonté politique affirmée, celle de garantir un accès aux soins équitable à tous les habitants de nos territoires, ce qui suppose d'y mettre les moyens financiers et humains et d'arrêter les tergiversations.

M. Pierre Jean Rochette. - En tant que sénateur de la Loire, je me réjouis que nous accueillions ce matin Mme le maire de La Gresle.

Mon premier constat est que l'on ne peut pas décorréler tout le travail fait autour de la valorisation du mandat de maire et de celui d'élu local de la résolution de ce problème d'accès aux soins dans les territoires : placer les maires ruraux face à des situations insolubles ne contribue pas à rendre le mandat d'élu local plus attrayant.

En zone rurale, il existe de mon point de vue trois niveaux de service minimum : le premier, c'est le médecin généraliste ; le deuxième, c'est le service d'urgence ; le troisième, c'est le secteur médico-social, les Ehpad et les soins de suite et de réadaptation (SSR). Sans ces services, il est impossible de retenir une population sur son territoire. Les sages-femmes, dans une certaine mesure, contribuent également à ce que les jeunes restent en milieu rural.

Madame Pougheon, disposez-vous de premiers éléments permettant d'évaluer l'exercice des infirmières en pratique avancée dans les territoires, aussi bien en établissement qu'en libéral ? Cette mesure a-t-elle permis de régler certains problèmes sur le terrain et, plus particulièrement, en zone rurale ?

Vous avez déclaré que les pouvoirs publics ne privilégiaient pas la coercition pour inciter les médecins à s'installer dans les zones tendues. C'est un choix que je respecte, mais je souhaiterais tout de même rappeler que nous avons voté ici même pour la mise en place de passerelles permettant à certains professionnels de santé de reprendre leurs études de médecine en troisième année. Il a aussi été question de médecins partant se former à l'étranger : ne pourrait-on pas favoriser la reprise des études de médecine et le retour des Français partis se former à l'étranger en contrepartie d'une incitation - je ne parle pas de coercition - à s'installer en zone rurale ?

M. Hervé Reynaud. - Bien que le sujet des déserts médicaux soit bien connu, on voit bien qu'il reste d'actualité. Nous sommes là pour relayer les inquiétudes, la colère, le désespoir exprimés par un certain nombre d'élus. Ces derniers multiplient les efforts pour créer et aménager un cadre de vie agréable dans les territoires dont ils sont responsables ; ne pas disposer de ressources médicales suffisantes constitue donc un problème majeur.

Mes chers collègues, vous avez pu apprécier le franc-parler d'Isabelle Dugelet, que je connais bien pour l'avoir côtoyée au sein de l'AMRF et de l'Association des maires de la Loire. Elle a raison : il faut être concret. On ne peut plus laisser les élus seuls face aux difficultés qu'elle décrit : ils font certes preuve d'ingéniosité, mais ils n'ont parfois aussi d'autre choix que de favoriser des comportements inacceptables, comme celui de médecins mercenaires qui changent de lieu d'exercice en fonction de leur intérêt et des aides qu'on leur délivre. Cette concurrence entre les territoires est très malsaine.

Le terme de désert médical n'est sans doute pas le plus adapté, et ne renvoie pas qu'à la ruralité où l'on peut très bien vivre. Les difficultés d'accès aux soins existent aussi en ville dans des quartiers abandonnés où la population n'a pas de médecin traitant.

Je crois beaucoup aux mesures consistant à imaginer une voie d'accès pour l'exercice de la profession médicale à des étudiants qui souhaiteraient s'installer en région. On peut comprendre en effet qu'au terme de dix ans d'études, alors que l'on a déjà fait une partie de sa vie de famille, il soit difficile de déménager dans une autre région.

Autre remarque, 10 % à 15 % des médecins n'exerceraient pas réellement : se pose donc la question du transfert des compétences vers d'autres professionnels de santé, comme les infirmiers ou les pharmaciens, des professionnels qui sont encore en nombre suffisant sur l'ensemble du territoire, bien que deux pharmacies ferment par semaine.

M. Jean Bacci. - Bruno Rojouan a parlé de l'augmentation du numerus clausus. J'observe que, localement, les facultés de médecine manquent déjà de places pour accueillir leurs étudiants.

Il existe également un certain nombre de difficultés au niveau de l'internat, au premier rang desquelles le manque ou le très faible nombre de maîtres de stage en milieu rural : cela risque de freiner les jeunes qui souhaitent exercer dans un territoire sous-doté.

Dans les territoires ruraux, les médecins en activité vieillissent, partent à la retraite, parfois à un âge avancé, car ils ne parviennent pas à trouver de remplaçant. Les élus essaient la plupart du temps d'anticiper ces départs en incitant par exemple à la création de maisons de santé pluriprofessionnelles.

Les MSP représentent une charge financière non négligeable pour les collectivités, qui ne se révélera productive que si elles parviennent à trouver des médecins prêts à exercer dans ces locaux, ce qui n'est pas toujours facile.

Les médecins potentiellement intéressés y voient d'abord un intérêt fiscal : ils privilégient une implantation en zone de revitalisation rurale (ZRR), car ils souhaitent bénéficier du dégrèvement de certaines taxes. Ils conditionnent souvent leur venue - surtout les plus jeunes d'entre eux - à la présence d'autres médecins à leurs côtés et ils ne souhaitent pas toujours travailler tous les jours de la semaine. En d'autres termes, et c'est nouveau, les médecins privilégient leur qualité de vie - c'est un choix auquel personne ne peut s'opposer.

Il est en revanche possible de prendre des mesures plus incitatives. On pourrait par exemple proposer à un jeune médecin qui remplace un confrère partant à la retraite de bénéficier d'une exonération d'impôts au-dessus d'un certain seuil de chiffre d'affaires afin de l'inciter à travailler davantage. Cela inciterait les jeunes praticiens à s'installer dans nos territoires et serait finalement positif tant pour la société que pour l'État - sans cela, ces praticiens ne travailleraient de toute façon pas plus.

Mme Marie-Laure Phinera-Horth. - Vous avez beaucoup parlé de l'Hexagone, mais la situation est encore pire outre-mer ! En Guyane, plusieurs communes sont particulièrement enclavées : parfois, il n'y a même pas de route ; il faut utiliser la voie aérienne ou le bateau - ce n'est même pas toujours possible sur toute la longueur des cours d'eau. Il faut tenir compte de ces spécificités.

En tout cas, les Guyanais sont très en colère ; ils ont l'impression que la France hexagonale ne fait rien pour eux. Ainsi, la collecte de sang a été arrêtée en 2005 en Guyane en raison de la circulation de la maladie de Chagas et rien n'évolue depuis lors, alors que les techniques permettent maintenant de mieux dépister cette maladie - j'ai d'ailleurs bientôt un rendez-vous au ministère de la santé à ce sujet. De fait, il y a une perte de chances pour les malades à cause d'un manque de plaquettes, puisque celles-ci doivent être « importées » d'autres régions. Cette situation est-elle normale en France au XXIe siècle ?

M. Cédric Chevalier. - Il faudrait vraiment attribuer le prix Nobel à ceux qui, un jour, ont eu l'idée que moins de médecins signifierait moins de dépenses de santé - je leur tire mon chapeau ! Plus sérieusement, nous devrions vraiment appliquer le principe de responsabilité.

Certes, les modes de vie et les souhaits des professionnels de santé ont changé, ce qu'on peut comprendre, mais nous devons anticiper sur les évolutions à venir. Le ministère de la santé prend-il bien en compte ces évolutions futures ?

Par ailleurs, nous devons agir avec transversalité et cohérence. Avec le changement de critères des ZRR, des communes sont sorties du dispositif, ce qui les pénalise aussi pour l'accueil de nouveaux médecins - c'est un peu une double peine. Je crois vraiment que nous devons faire confiance aux élus pour l'aménagement du territoire.

Mme Marta de Cidrac. - Au-delà de tout ce qui a été dit et que je partage, je m'interroge sur la suradministration dans les hôpitaux publics, où 20 % du personnel soignant est détaché à plein temps sur des tâches administratives. Aujourd'hui, nos concitoyens sont davantage considérés comme des clients que comme des patients, ce qui pose un grave problème de considération vis-à-vis d'eux. Je suis issue d'un territoire qui n'est pas rural, mais qui est pourtant en désert médical. Comment redéployer le personnel soignant qui aujourd'hui consacre son temps à des tâches administratives ?

Mme Julie Pougheon. - Je veux d'abord dire que le ministère de la santé ne vit pas dans une bulle : nous sommes tous confrontés, y compris à titre personnel, aux problèmes qui ont été soulevés et la colère nous remonte au quotidien, si bien que nous comprenons cette frustration et cette angoisse - elle me semble légitime. Nous ne sommes pas sourds et tout ce que vous dites ne nous est pas inconnu !

Ce que j'ai voulu vous indiquer, c'est que les solutions produiront des effets à moyen et long termes : nous ne pouvons pas « créer » des médecins du jour au lendemain. Ce n'est pas de l'attentisme de notre part, mais je le redis, les solutions prennent nécessairement du temps à se traduire sur le terrain. Il est vrai que ces difficultés ne sont pas nouvelles, mais qu'elles s'accentuent avec le temps.

Le zonage sert à cartographier les aides à l'installation, il est fondé sur un indicateur établi par la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) du ministère pour mesurer l'accès aux soins. Les ARS disposent d'une petite marge de manoeuvre sur les zones sous-denses - nous n'utilisons pas le terme de désert médical... Mais attention, si tous les territoires sont considérés comme sous-denses, nous aurons du saupoudrage et nous diluerons l'effet des aides.

Je n'ai pas les chiffres des capacités de formation sous les yeux, mais je vous les fournirai. Nous regardons les choses au niveau local, en prenant en compte les besoins des populations et les capacités de formation, que ce soit en locaux ou en formateurs. Nous fixons des objectifs sur cinq ans, mais nous les révisons éventuellement tous les ans.

Naturellement, nous faisons des projections en anticipant les évolutions et nous réévaluons les choses périodiquement, parce que les pathologies comme les technologies changent. Mais nous ne pouvons pas tout anticiper et aucune anticipation n'est parfaite : ainsi, la crise du covid a créé une dette de santé publique que nous ne pouvions pas anticiper. Autre exemple, une fois que nous avons fixé le nombre d'internes par spécialité médicale et que les médecins sont formés, il est difficile de faire évoluer les choses. Pour autant, nous devons trouver de la souplesse.

Le sujet des médecins étrangers est évidemment sensible. Une phase de régularisation est en cours. Nous offrons des postes à la sortie de la phase de titularisation, ce qui permet de pourvoir des postes dans des établissements moins attractifs. Les ARS font remonter les informations à ce sujet.

Je veux aussi insister sur l'importance du continuum entre la ville, l'hôpital et le secteur médico-social. La situation des hôpitaux est certes difficile, mais je veux quand même rappeler que les soins qu'ils délivrent sont de très bonne qualité.

Ils subissent des problèmes de recrutement, qui sont plus aigus dans certaines professions ou spécialités, par exemple les pédiatres ou les urgentistes. Nous avons pris des mesures, notamment en termes de rémunération et de refonte des métiers. Nous devons redonner de la valeur et du sens à ces métiers pour donner envie aux jeunes de s'y investir.

Nous devons aussi avancer sur les transferts de compétences entre professionnels de santé - je pense en particulier aux pharmaciens, qui sont des professionnels de proximité chez qui l'on peut se rendre sans rendez-vous, et aux infirmiers, l'une des dernières professions qui se déplacent encore à domicile. Pour cela, nous devons notamment avancer sur la question des protocoles.

Pour les IPA, je n'ai pas les chiffres avec moi. Elles montent en charge de manière satisfaisante à l'hôpital, ce qui permet de dégager du temps médical aux médecins. En ville, il faut penser à la nécessité du couplage avec des médecins ; par définition, les IPA ne peuvent pas travailler de manière isolée.

Nous analyserons bien sûr les pistes que vous avez évoquées pour augmenter à plus court terme le nombre de médecins sur le territoire, en particulier en ce qui concerne les médecins formés à l'étranger, mais cela ne doit pas se faire au détriment de la qualité.

Il est vrai que les ARS ne sont pas toujours informées des projets de départ à la retraite des médecins. La récente loi visant à améliorer l'accès aux soins par l'engagement territorial des professionnels, dite loi Valletoux, oblige les médecins, les chirurgiens-dentistes et les sages-femmes exerçant à titre libéral et conventionnés à prévenir, au plus tard six mois avant la date prévue, leur ordre et les ARS de leur intention de cesser définitivement leur activité.

M. Fabien Genet. - Pourrez-vous aussi nous communiquer le nombre des étudiants actuellement en formation et l'évolution dans le temps de ce nombre ?

Mme Isabelle Dugelet. - Je vous ai écoutée avec beaucoup d'attention, madame Pougheon, et nous attendons le déploiement de toutes ces mesures avec une grande impatience. Aujourd'hui, la population renonce souvent aux soins et de nombreuses personnes sont découragées.

Je veux aussi saluer l'initiative intéressante prise par plusieurs médecins d'un cabinet de ma communauté de communes : ils ont ouvert un centre d'accès aux soins pour accueillir des gens sans médecin traitant qu'ils avaient vus pendant leurs gardes et qui avaient en fait des pathologies lourdes. Ils ont reçu des fonds de l'ARS pour monter ce projet, mais je signale que le conseil de l'ordre y était opposé !

Comme le disait M. Lebigot, à peu près un tiers des médecins participe aux gardes et ce sont souvent les mêmes sur lesquels repose le fonctionnement des services d'accès aux soins dans les hôpitaux. Un petit nombre fait le travail au nom de tous ! Nous devons saluer ces professionnels engagés, médecins comme infirmiers. Leurs charges sont de plus en plus lourdes au fur et à mesure que les problèmes augmentent. Il en est de même pour les professionnels en Ehpad, où - c'est un problème supplémentaire - les pathologies psychiatriques ne peuvent pas être prises en charge.

Notre système est en grande souffrance, pour ne pas dire qu'il est à l'agonie. Nous devons trouver rapidement des solutions ! Je sais qu'il faudrait faire preuve d'optimisme, mais cela fait quatre ans que je suis engagée à l'AMRF sur ces questions et je deviens défaitiste, parce que malheureusement les choses n'avancent pas.

M. Maxime Lebigot. - La décentralisation de la formation des médecins dans les territoires est un point très important et nous devons la favoriser. Quand les jeunes issus de nos territoires partent en CHU, donc dans une métropole, il est difficile de les faire revenir. Pourtant, les territoires ruraux accueillent ces étudiants à bras ouverts, souvent avec des aides sans contrepartie. Je dois d'ailleurs dire que la concurrence entre les territoires est de ce point de vue délétère.

L'an dernier, les syndicats de dentistes ont signé une nouvelle convention avec l'assurance maladie pour 2023-2028 qui contient l'idée d'un conventionnement sélectif et d'une régulation de l'installation en contrepartie de l'augmentation de leurs honoraires. J'ai bon espoir que les médecins se rendent compte que de tels dispositifs peuvent également être intéressants pour eux.

Nous devons prendre conscience de l'urgence sanitaire - par exemple, 9 millions de Français n'ont pas de médecin traitant - et avoir le courage politique de réagir.

M. Jean-François Longeot, président. - Je vous remercie pour ces échanges. Il est clair que la situation est préoccupante, mais, quand on reçoit les représentants des professionnels de santé, on voit bien que la solution n'est pas évidente - ils mettent par exemple en avant la longueur de leurs études.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible sur le site internet du Sénat.

Travaux de la délégation aux collectivités territoriales sur la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales -- Communication de M. Rémy Pointereau

M. Jean-François Longeot, président. -- Je vais donner la parole à Rémy Pointereau pour évoquer les travaux de la délégation aux collectivités territoriales sur la simplification des normes. Un sujet dont nous parlons souvent : il est en effet compliqué de simplifier et simple de complexifier...

M. Rémy Pointereau. -- Je tiens à remercier le président de la commission, Jean-François Longeot, de me donner l'opportunité de vous présenter un sujet d'actualité particulièrement transversal  qui nous tient à coeur : la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.

Il y a dix ans, la délégation aux collectivités territoriales s'est vu confier par le Bureau du Sénat cette mission. Nous avons déjà beaucoup travaillé et nous avons récemment décidé d'intervenir devant chaque commission permanente pour les sensibiliser et faire, en quelque sorte, de la prévention. En effet, nous ne devons pas oublier la part de responsabilité du législateur dans la profusion des normes. J'ajoute que la France a une position particulière de ce point de vue : nous adoptons nettement plus de lois que les autres pays. Des sites internet comme nossenateurs.fr sur lesquels les parlementaires sont notamment notés en fonction du nombre d'amendements qu'ils déposent, n'encouragent pas à limiter le nombre d'amendements...

Cette mission consiste à oeuvrer pour rendre les normes toujours plus intelligibles, pertinentes et efficaces. Elle s'exerce en lien étroit avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN), dont je suis membre depuis février, avec Françoise Gatel, présidente de la délégation.

Nous devons évidemment nous attacher au stock de normes, qui est très important : plus de 400000 normes, 44 millions de mots, 11500 lois, 320000 articles, 130000 décrets... Je suis d'ailleurs venu avec le code de l'environnement pour illustrer concrètement son « gonflement » au fil des ans : il comptait environ 110000 mots en 2003 ; près de 1,1 million en 2023, ce qui représente une multiplication par dix en vingt ans !

Dans tous les sondages et consultations que nous organisons, la simplification des normes apparaît nettement en tête des priorités des élus. C'est pourquoi nous avons pris, avec Françoise Gatel et dans la continuité de nos travaux précédents, des initiatives fortes en 2023 : dans notre rapport sur l'addiction aux normes, publié en janvier 2023, nous avons privilégié des solutions structurelles portant sur la fabrique même de la norme ; puis, nous avons organisé, le 16 mars 2023, les États généraux de la simplification, clôturés par la signature historique, par le Sénat et le Gouvernement, d'engagements communs pour la simplification des normes applicables aux collectivités territoriales.

L'un des engagements pris par le Sénat dans cette charte était de sensibiliser les législateurs que nous sommes aux conséquences de l'inflation normative sur le pouvoir d'agir des collectivités. Nous avons ainsi organisé une manifestation de sensibilisation le 1er février 2024 ouverte à tous les sénateurs.

Je souhaiterais vous présenter brièvement les principaux enseignements de cette réunion.

Tout d'abord, je voudrais rappeler les résultats inquiétants de la consultation que nous avons lancée auprès des élus locaux en 2023 : 80 % des répondants estiment que la complexité des normes s'est aggravée depuis 2020 ; 82 % déplorent les conséquences négatives de la complexité des normes sur leurs projets locaux. En effet, non seulement l'inflation normative augmente les coûts, mais elle conduit aussi à l'abandon, au report ou à la modification des projets locaux. Cela a donc un impact sur notre croissance économique.

Le poids des normes a également un impact en termes de ressources humaines : certaines collectivités doivent recruter des juristes pour faire face à la complexité de la réglementation, ce qui entraîne un coût pour la collectivité ; l'emballement normatif conduit aussi à une perte d'attractivité de la fonction publique territoriale, comme l'illustre l'exemple des secrétaires de mairie.

La réunion du 1er février 2024 nous a permis de prendre conscience de « l'obésité » des codes applicables aux collectivités territoriales. J'ai évoqué tout à l'heure le code de l'environnement.

M. Jean-François Longeot, président. -- Les codes grossissent, mais les problèmes ne sont pourtant pas pour autant pas résolus !

M. Rémy Pointereau. -- Les chiffres donnent le vertige : avec le dépôt des articles additionnels, les lois comptent, après leur passage dans les deux chambres, des centaines d'articles... Or, nul n'est censé ignorer la loi !

Le Conseil d'État, dont les représentants étaient également présents le 1er février 2024, a illustré la complexité des normes et des compétences à travers un objet de la vie quotidienne : un abribus. Cet exemple, qui prêterait à rire s'il n'était pas réel, est tiré du dernier rapport du Conseil d'État sur le dernier kilomètre.

De son côté, Gilles Carrez, président du CNEN, a rappelé le coût considérable des normes réglementaires pour les collectivités territoriales : 2,5 milliards d'euros en 2022. Nous aurons bientôt les chiffres pour 2023.

Enfin le président Larcher, et je l'en remercie, a conclu cette matinée du 1er février 2024 avec la force de conviction qu'on lui connaît. Il a notamment rappelé combien la complexité normative pouvait constituer une entrave au pouvoir d'agir des élus locaux.

Mes chers collègues, je suis convaincu que seules une forte volonté politique commune et une autodiscipline permettront un profond changement de culture et de pratiques. C'est pourquoi je vous donne rendez-vous le jeudi 4 avril 2024 pour le premier anniversaire de la charte, en présence du président du Sénat et de nombreux acteurs de la norme : le Premier ministre, la ministre déléguée chargée des collectivités locales et de la ruralité, Dominique Faure, la secrétaire générale du Gouvernement, le vice-président du Conseil d'État et le président du CNEN.

M. Jean-François Longeot, président. -- Je vous remercie, mon cher collègue, pour la limpidité de vos explications. On voit bien que les choses évoluent, mais pas toujours dans le bon sens...

Il serait certainement utile que nous conduisions la réflexion que vous appelez de vos voeux sur nos propres travaux. Prenons la loi « Climat et résilience » d'août 2021 : ce texte, initialement composé d'une quarantaine d'articles, a été promulgué après que nos deux assemblées lui ont adjoint près de 400 articles supplémentaires. Or nous ne sommes pas capables de mettre en place aujourd'hui les principaux dispositifs que nous avons votés, en particulier les zones à faibles émissions (ZFE) et le dispositif zéro artificialisation nette (ZAN). Il nous faudra donc légiférer autrement à l'avenir.

M. Cédric Chevalier. -- Je remercie Rémy Pointereau pour cet excellent travail.

Notre collègue appelle les parlementaires à faire preuve de davantage d'autodiscipline ; je lui ferai simplement remarquer qu'il existe d'autres producteurs de normes, comme les différents services du pouvoir exécutif et ses agences.

Nous devrions aussi nous résoudre à ne pas tout prévoir : ce biais qui caractérise bon nombre de parlementaires est en partie responsable de la surabondance des normes que nous déplorons.

Il conviendrait enfin de procéder à un toilettage en bonne et due forme des textes et des codes. Prenons-nous véritablement le temps de faire le bilan de chaque norme que nous produisons ? Il serait certainement salutaire de mettre en place un moratoire sur notre compétence de législateur. Nous prendrions alors le temps de réfléchir à ce que nous avons déjà produit collectivement dans les deux ou trois années écoulées avant de légiférer à nouveau.

M. Rémy Pointereau. -- Vous avez raison, nous ne sommes pas les seuls à produire des normes - et à devoir nous autodiscipliner. Tous les échelons de collectivités locales le font aussi -- on le voit bien dans les commissions départementales de la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).

Il est vrai aussi que nous devrions certainement mieux suivre les décrets d'application. Le ZAN en est une illustration : nous n'avons pas retrouvé le texte que nous avions voté dans les mesures réglementaires d'application -- on a un peu l'impression que notre texte a été revisité !

Le principe de précaution, depuis sa constitutionnalisation en 2005, a probablement été l'un des principaux facteurs de l'essor des normes dans notre pays. L'inflation normative tient aussi à l'un des travers dont souffre tout parlementaire, celui de vouloir tout prévoir et d'être le plus précis possible, ce qui se révèle parfois contre-productif. Enfin, les propositions de loi, dans la mesure où elles ne s'accompagnent pas d'une étude d'impact, contribuent aussi à ce mouvement. Un droit plus souple serait certainement préférable.

Le Sénat pourrait devenir le chef de file de la simplification des normes. Je suggère que notre institution crée une commission dotée de cette seule et unique compétence. Elle serait chargée de simplifier les textes actuels, de les toiletter et d'abroger les textes inutiles. Je propose également la mise en place de clauses « guillotine » : un texte serait mis en oeuvre pour une durée déterminée à l'issue de laquelle il ne serait plus en vigueur sauf si, à l'issue d'une évaluation, il était explicitement prorogé.

Il serait par ailleurs intéressant que chaque commission permanente mette en place un système de veille, d'alerte permettant d'identifier les amendements dits « de complexité ». Nous, parlementaires, devrions être évalués et notés, comme le font certains sites, non pas en fonction du nombre brut d'amendements que nous avons déposés, mais en fonction du nombre d'amendements de simplification dont nous sommes les auteurs ou les coauteurs. Cette idée me semble intéressante. Le droit d'amendement est un droit certes intangible, mais trop, c'est trop !

Je suis également favorable à une plus grande proportionnalité des lois : l'application des mesures doit être adaptée à la réalité du terrain, notamment à la taille des collectivités. Nous devrions exercer un contrôle plus strict des décrets d'application élaborés par les hauts fonctionnaires des ministères, lesquels ne respectent pas toujours la volonté du législateur. Nous l'avons vu, je le répète, avec le ZAN : nous n'avons pas retrouvé dans le décret le dispositif que nous avions voté, ce qui nous a contraints à réécrire la loi.

En un mot, je plaide pour toutes les solutions contribuant à réduire le nombre de normes, un travail qui est d'autant plus complexe à engager que les moyens du CNEN sont limités.

M. Cédric Chevalier. -- Est-ce que les rapporteurs des projets ou propositions de loi sont associés à la rédaction des décrets d'application ? Même si notre système constitutionnel est basé sur la séparation des pouvoirs, ce serait quelque chose d'intéressant, parce que les rapporteurs connaissent l'esprit dans lequel la loi a été adoptée. Nous gagnerions en qualité et en capacité d'adaptation.

M. Rémy Pointereau. -- C'est un point que nous avons inscrit dans la charte signée avec le Gouvernement. Il faut que le CNEN ait également un rôle à jouer -- c'est l'une de ses missions. Mais pour cela, il faut avoir les moyens humains -- j'en ai parlé --, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

Mme Marta de Cidrac. -- Nous devons aussi penser en termes de stabilisation de la norme : elle évolue souvent trop vite. Par exemple, la loi relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire dite « Agec » de février 2020 a mis en place des dispositifs « stop à la publicité », alors que la loi « Climat et résilience » est revenue sur cette position un peu plus d'un an après. C'est l'objet d'incompréhensions. La stabilité de la norme est également un sujet important.

M. Rémy Pointereau. -- Cela vient aussi du fait que le Parlement vote plusieurs textes sur le même sujet à quelques années d'intervalle, voire en quelques mois ! Cela ne se passe pas ainsi dans les autres pays : il existe parfois une obligation de ne voter qu'un texte au maximum par an et par sujet. Nous, nous empilons les textes ! Cela explique aussi le fait que la norme bouge.

Mme Marta de Cidrac. -- Comment faire pour contrecarrer ce phénomène, alors qu'il faut laisser le temps aux mesures de se déployer ?

M. Rémy Pointereau. -- La clause « guillotine » répond en partie à cette préoccupation, car elle oblige à évaluer. Si le nombre de textes était limité, on avancerait certainement dans le bon sens. Cela nous ramène également à la question de la « notation » des parlementaires...

M. Jean-François Longeot, président. -- Je vous remercie pour ce temps d'échange.

Je crois que nous devons aussi changer les choses de deux points de vue : améliorer la qualité des études d'impact et favoriser les expérimentations, par exemple pour mieux cibler les dispositifs sur certains territoires et les adapter si besoin. Souvent, nous nous préoccupons de sujets qui vont bien -- je pense notamment à la question de la consigne sur les bouteilles plastiques -- et nous oublions ceux qui vont moins bien.

En tout cas, il est important que les parlementaires prennent conscience de leur rôle dans la simplification des normes. On ne peut plus continuer comme cela ; aujourd'hui, les élus locaux sont souvent perdus devant l'accumulation de normes.

La réunion est close à 12 h 05.