Mardi 2 avril 2024

- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de membres de l'équipe EPOPé (équipe de recherche en épidémiologie obstétricale, périnatale et pédiatrique) de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et de l'université Paris Cité

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous entendons aujourd'hui des représentants de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), membres de l'équipe de recherche en épidémiologie obstétricale périnatale et pédiatrique (EPOPé).

L'activité scientifique de cette équipe s'organise autour de six thématiques qui intéressent notre mission d'information : les soins prénatals et les accouchements dans la population à bas risque et en population générale ; la morbidité maternelle sévère, ses déterminants et sa prise en charge, ainsi que les événements de santé qui lui sont liés ; les naissances prématurées et les retards de croissance foetale ; les facteurs de risque, leur prise en charge clinique et les événements de santé des nouveau-nés présentant des anomalies congénitales ; les risques et la décision en pédiatrie ; enfin, les inégalités sociales en matière de santé maternelle, périnatale et pédiatrique.

Ces thématiques et les problématiques qu'elles soulèvent - l'évolution des facteurs de risques au sein de la population générale, la prise en charge des naissances prématurées, ou encore la gestion du risque en santé périnatale - ont été évoquées par l'ensemble des personnes auditionnées par notre mission d'information. Toutefois, ces éléments ont parfois été abordés au travers de prismes déformants pour plusieurs raisons : volonté d'une meilleure reconnaissance de certaines professions, crise de la pédiatrie, ou encore défense du choix de certains seuils pour le maintien des maternités, comme ce fut le cas la semaine dernière avec l'Académie de Médecine, sans oublier une dimension territoriale forte.

Nous souhaiterions donc vivement que vous nous présentiez une analyse de la situation de notre système de santé périnatale qui soit scientifique, objective et dépourvue de toute considération professionnelle ou politique.

Par ailleurs, nous nous interrogeons particulièrement, non pas tant sur l'absence de données dans notre système de santé que sur la difficulté rencontrée à les synthétiser et à les exploiter scientifiquement, due notamment à la fragmentation des bases de données. Santé publique France, la Haute Autorité de santé (HAS) et plusieurs sociétés savantes ont pointé cette difficulté majeure, qui empêche notamment de relier précisément un événement indésirable grave au parcours de soin de la mère. En clair, peut-on établir un lien entre taille ou type de la maternité et sécurité, en éliminant le biais statistique lié au fait que les maternités de type 3 ont vocation à accueillir les grossesses qui posent le plus de difficultés, alors que celles de type 1 n'accueillent normalement que des grossesses dites physiologiques ?

Faute de bases claires, il est très difficile de réfléchir sur la meilleure organisation des soins de périnatalité. L'Inserm étant en première ligne dans l'exploitation et l'analyse des données épidémiologiques, nous serons très attentifs aux explications que vous pourrez nous donner, ainsi qu'aux actions qui ont été ou qui pourraient être mises en oeuvre pour remédier à ce véritable problème.

M. Pierre-Yves Ancel, épidémiologiste, PU-PH à l'Université Paris Cité. - Je dirige l'équipe de recherche EPOPé. Notre présentation a été guidée par le questionnaire que nous a adressé Mme la rapporteure Véronique Guillotin.

En réponse à sa première question, relative aux échanges que nous aurions eus avec le Gouvernement sur les problèmes de mortalité néonatale, nous avons pris l'initiative de plusieurs rencontres avec des membres de cabinets ministériels et avec le directeur général de la santé ; l'épidémie de covid-19 a interrompu ces échanges, mais ils ont repris à partir de 2022. Nous avons aussi eu de nombreux contacts avec les parlementaires. Mentionnons aussi notre participation aux assises de la santé de l'enfant depuis décembre 2022. Enfin, nous sommes impliqués dans les travaux de la Cour des comptes sur l'évaluation des politiques de santé dans le domaine périnatal, qui doivent bientôt aboutir à un rapport.

J'en viens à la deuxième question de Mme Guillotin, qui nous invite à exposer les conclusions de nos travaux sur la santé périnatale et infantile, au vu de l'évolution récente, préoccupante, de la mortalité infantile en France : la tendance est en effet à l'augmentation dans les dix dernières années ; on aurait atteint en 2023 un seuil de 4 décès pour 1 000 naissances vivantes, soit le taux le plus élevé depuis vingt ans environ. Cette augmentation est largement liée à celle de la mortalité néonatale. Surtout, elle est spécifique à la France par rapport à d'autres pays européens, où la mortalité infantile est inférieure à la nôtre et continue de baisser : l'écart se creuse.

Quelles sont les raisons de ce phénomène ? La comparaison entre la France et les pays les plus performants d'Europe en la matière montre que notre taux de mortalité néonatale est très supérieur au leur tant pour les naissances très prématurées, à haut risque, que pour les naissances proches du terme, qui présentent un risque moindre.

Concernant la prématurité extrême, où les écarts sont les plus importants, la survie est bien moindre en France que dans nombre d'autres pays, notamment la Suède. Cela s'explique peut-être par une prise en charge de ces enfants moins active et systématique que dans ces pays. Craint-on de créer du surhandicap en privilégiant la survie ? Le problème est que le pronostic à long terme reste assez préoccupant en France : 28 % des prématurés extrêmes et 19 % des grands prématurés connaissent des troubles modérés à sévères du développement à l'âge de cinq ans, contre 5 % parmi les enfants nés à terme ; s'y ajoute que près de 50 % des enfants dans cette situation ne bénéficient pas d'une prise en charge spécialisée. Quelque 55 000 enfants naissent prématurément en France chaque année, soit 7 % des naissances, mais ils représentent 75 % de la mortalité néonatale et la moitié des handicaps d'origine périnatale. L'enjeu de recherche est donc majeur, pour améliorer tant les stratégies de prise en charge à la naissance que le devenir des enfants prématurés par la suite.

Mais une surmortalité s'observe aussi en France parmi les naissances à bas risque. Nous travaillons en la matière sur plusieurs hypothèses, nous ne disposons pas encore de tous les éléments nécessaires pour interpréter ces résultats.

Mais cette surmortalité est sans doute évitable, car elle semble découler de soins sous-optimaux et d'un défaut d'organisation des soins. La triple permanence des soins en obstétrique, pédiatrie et anesthésie est difficile à assurer dans les maternités. Le recours à l'intérim peut désorganiser les équipes et casser la continuité des soins. La recherche devra tester ces hypothèses.

Une autre hypothèse repose sur la constatation de la persistance, voire de l'augmentation, des inégalités sociales de santé. La mortalité néonatale est corrélée avec plusieurs indicateurs de désavantages sociaux et territoriaux.

Enfin, la mortalité infantile comprend aussi la mortalité post-néonatale, en particulier la mort inattendue du nourrisson. Des mesures de prévention relativement simples peuvent être prises pour la réduire.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Concernant la mort inattendue du nourrisson, la tendance est plutôt stable sur les dernières années, n'est-ce pas ?

M. Pierre-Yves Ancel. - Tout à fait.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je constate que le nombre de décès était toutefois plus élevé que la moyenne en 2022. Comment cela s'explique-t-il ?

M. Martin Chalumeau, pédiatre, PU-PH à l'université Paris Cité. - Cela est plutôt un effet des modalités de recueil et de déclaration de ces événements qu'une variation liée à un événement extérieur.

M. Pierre-Yves Ancel. - La troisième question de Mme la rapporteure portait sur les conclusions de nos travaux en matière de santé maternelle, notamment l'évolution des facteurs de risque et des modes d'accouchement, ainsi que leurs effets, sujets sur lesquels travaille plus particulièrement ma collègue Catherine Deneux.

Mme Catherine Deneux, épidémiologiste, directrice de recherche à l'Inserm. - Nous étudions les événements de mort maternelle, mais aussi de morbidité maternelle sévère de toutes causes, ainsi que d'hémorragie sévère du post-partum, complication qui dépend moins de facteurs de risque individuels, mais est davantage liée à l'organisation et à la qualité des soins.

Nos travaux ont confirmé l'impact de facteurs de risque individuels sur ces événements de mort et de morbidité maternelles : l'âge, l'obésité, la vulnérabilité sociale, notamment des femmes migrantes, le recours à la césarienne et les grossesses multiples. Les trois premiers de ces facteurs sont en augmentation ; une stabilité des taux d'événements peut donc exprimer de ce point de vue une bonne réponse du système de soins.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Les risques liés à la césarienne sont-ils plus élevés chez les femmes au-dessus de 35 ans ?

Mme Catherine Deneux. - Les données montrent que les risques de complication - saignements, infections, embolies pulmonaires - sont un peu plus élevés après une césarienne que pour un accouchement par voie basse, mais surtout augmentent à partir de 35 ans.

M. François Goffinet, gynécologue-obstétricien, épidémiologiste. - On ne recommande pas la césarienne au motif que la patiente a plus de 35 ans. Beaucoup en réclament, notamment aux âges les plus avancés, mais le risque est en fait plus élevé que dans un accouchement par les voies naturelles.

Mme Camille Le Ray, gynécologue-obstétricienne, épidémiologiste, PU-PH à l'Université Paris Cité. - Concernant les facteurs de risque, on observe que la proportion de femmes âgées de 35 ans et plus à l'accouchement a doublé entre 1995 et 2021, passant de 12,4 % à 24,6 % ; celle des femmes âgées de 40 ans et plus augmente aussi. Le taux de femmes souffrant d'obésité avant la grossesse a doublé entre 2003 et 2021, de 7,4 % à 14,4 %. L'incidence du tabagisme pendant la grossesse diminue, mais la proportion de femmes fumant au troisième trimestre de grossesse était encore de 12,2 % en 2021.

Les pratiques obstétricales évoluent assez peu, le taux de césarienne reste stable depuis 2003, autour de 20 %, celui d'accouchement instrumental également, autour de 12 %. Cependant, ces deux proportions restent assez élevées par rapport aux pays scandinaves.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Cela peut-il s'expliquer par des différences de morphologie ?

Mme Camille Le Ray. - Certes, celles-ci existent, mais c'est surtout une question de pratiques, notamment de gestion des grossesses à bas risque ; il y a aussi sans doute plus de femmes qui demandent une césarienne en France.

On relève certaines évolutions positives : moins d'épisiotomies, moins d'ocytocine, en accord avec les recommandations récentes de la Haute autorité de santé (HAS) et du collège des gynécologues-obstétriciens.

En 2021, pour la première fois en France, on a pu évaluer le taux de dépression post-natale. Ce taux, qui se fonde sur un questionnaire autoadministré, est assez élevé : deux mois après la naissance, 16,7 % des femmes en moyenne présentent des symptômes de dépression post-partum, avec des variations régionales.

Mme Florence Lassarade- La HAS nous disait qu'il était impossible d'avoir des chiffres en matière de dépression post-natale ; je me réjouis que vous nous en présentiez.

Concernant la mort inattendue du nourrisson, comment se fait-il que l'on continue de ne pas toujours coucher les enfants sur le dos ?

Selon vos données, les femmes migrantes représenteraient un quart de celles qui donnent naissance. Que cela signifie-t-il ?

Mme Catherine Deneux. - Il s'agit des femmes qui ne sont pas elles-mêmes nées en France.

Mme Florence Lassarade- L'obésité n'est-elle pas un facteur commun à la plupart des pays occidentaux ? La moindre adhésion de certaines femmes enceintes aux vaccins contre la covid a-t-elle aggravé les chiffres à un moment ? Enfin, concernant la faible incidence du tabagisme, je m'interroge sur la quantité de femmes fumant du cannabis, qui m'avait frappé lors de visites à l'hôpital.

M. Pierre-Yves Ancel. - Nous vous présentons des données, notamment sur la dépression ou sur la mort inattendue du nourrisson, issues de nos enquêtes nationales périnatales, réalisées tous les cinq ans environ ; ces informations ne sont pas disponibles actuellement dans d'autres systèmes d'information. Nous souhaitons une meilleure intégration de ces informations.

Mme Catherine Deneux. - L'élévation de la fréquence de l'obésité est observée dans tous les pays développés, mais la France en souffre moins que d'autres pays.

Mme Camille Le Ray. - La consommation de cannabis pendant la grossesse était de 2 % en 2016 et de 1 % en 2021 selon notre enquête nationale périnatale, mais les intervalles de confiance sont larges et, en 2021, le fait qu'il s'agisse de réponses à une enquêtrice a pu produire un biais de désirabilité. La baisse reste donc sujette à caution, mais la proportion reste faible, en tout cas à l'échelle nationale.

M. Martin Chalumeau, pédiatre, PU-PH à l'université Paris Cité. - Concernant la mort inattendue du nourrisson, la non-mise en oeuvre des bonnes pratiques de couchage sécurisé s'explique largement par le manque d'informations fournies en maternité ; la moitié des mères disent n'y avoir rien appris sur ce point. En outre, il n'y a pas eu de campagne nationale à ce sujet. Enfin, nombre de représentations dans les médias ou la publicité continuent de montrer des bébés endormis sur le ventre !

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Quid des départements et régions d'outre-mer (Drom) et de la Corse, qui apparaissent en gris sur la carte ? Ne disposez-vous d'aucune donnée pour ces territoires ?

Mme Camille Le Ray. - Pour ce qui est de la Corse, nous avons bel et bien des données, mais, s'agissant d'effectifs très faibles, nous ne sommes pas en mesure de vous communiquer une estimation fiable.

Pour ce qui est des Drom, ils font l'objet d'un rapport spécifique réalisé par Santé publique France, dit « extension Drom », qui complète l'enquête nationale périnatale.

Mme Catherine Deneux. - L'étude des taux de dépression post-partum témoigne d'une forte hétérogénéité entre Drom : il est élevé en Guadeloupe, beaucoup moins dans les autres.

Mme Marie Mercier. - Vous avez dit que 25 % des femmes accouchant en France étaient nées hors de France ; ce chiffre inclut-il Mayotte ?

Mme Catherine Deneux. - Mayotte fait partie de la France.

Mme Marie Mercier. - Mayotte gonfle donc, statistiquement parlant, les résultats.

Mme Catherine Deneux. - Certes, mais il n'y a que 9 000 naissances par an à Mayotte, sur 690 000 naissances enregistrées sur l'ensemble du territoire français : la part de Mayotte dans le total est donc tout à fait minoritaire.

Mme Annie Le Houerou. - Avez-vous corrélé vos résultats avec les taux de suicide enregistrés en population générale ? Les résultats que vous nous présentez semblent complètement inversés par rapport aux chiffres habituels. De manière générale, en effet, la Bretagne, le Grand Est et les Hauts-de-France sont très largement en tête pour ce qui est du taux de suicide, ce qui, à lire votre enquête, est loin d'être le cas pour ce qui concerne la prévalence des idées suicidaires à deux mois post-partum.

Mme Catherine Deneux. - Les taux de suicide sont en effet très élevés en population générale dans les régions que vous avez citées. Il faudrait comparer le taux de suicide deux mois après l'accouchement avec le taux de suicide enregistré chez les femmes en âge de procréer non enceintes ; or une telle étude, à ma connaissance, n'existe pas. Santé publique France veut s'y atteler, afin de savoir si le taux de suicide des femmes de cette classe d'âge est élevé dans les mêmes régions que celles où l'on observe une prévalence élevée de la dépression post-partum.

Nous ne disposons d'une mesure fiable du suicide maternel, grâce à l'enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles, que depuis six ans : les événements recensés ne sont pas assez nombreux pour obtenir des taux régionaux à mettre en regard de la carte relative à la prévalence des manifestations dépressives.

M. Pierre-Yves Ancel. - Il est heureux qu'ils ne le soient pas...

Nous en venons à la quatrième question de Mme la rapporteure, sur l'éclatement des bases de données, qui nuit à leur exploitation, aux comparaisons et à la recherche de corrélations. Mme Guillotin aimerait en connaître les raisons et savoir quelles actions sont ou pourraient être prises pour y remédier : serait-il notamment possible de croiser les bases de données tout en préservant l'anonymat exigé par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) ?

Mme Jennifer Zeitlin, épidémiologiste, directrice de recherche à l'Inserm. -Les données sur les naissances sont collectées par plusieurs institutions et ces diverses collectes ne donnent lieu à aucune coordination.

Les bases de données dont nous parlons n'ont pas été établies pour faire de la recherche sur la santé périnatale ; elles n'ont donc pas été conçues pour être reliées : d'où un système d'information français très fragmenté et sous-utilisé.

Les bulletins de naissance de l'Insee ne contiennent pas d'informations médicales. L'Insee collecte aussi, chaque semaine, les bulletins de décès ; comme les certificats établis par l'Inserm, ils servent à compter les décès et à en décrire les causes, mais ils contiennent peu d'informations contextuelles.

Nous disposons par ailleurs des données du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI) sur les naissances qui ont lieu à l'hôpital : étant entendu qu'en France la plupart des naissances sont hospitalières, elles couvrent la quasi-totalité de la population. Les naissances à domicile y font néanmoins défaut, ce qui est dommage.

Quant aux certificats de santé du huitième jour, ils ont été conçus à des fins de surveillance de la santé périnatale à l'échelle des départements et des services de protection maternelle et infantile (PMI). Ces données ne font l'objet d'aucune centralisation et leur qualité et leur exhaustivité apparaissent très variables.

Depuis la mise en place du système national des données de santé (SNDS), qui rassemble les données du PMSI et les certificats de causes de décès, les travaux s'appuyant sur ces informations se sont multipliés et l'on constate d'importantes améliorations : chaînage et identification des dyades mère-enfant, reconstitution des parcours de soins, etc. L'appariement des données du PMSI avec celles de l'Inserm permet de mieux connaître les contextes de décès ; le taux de chaînage est de 95 % pour les décès néonatals et de 90 % pour les décès infantiles, certaines données étant manquantes. Un travail est en cours à l'Inserm, mais aussi chez Santé publique France et à la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees), pour améliorer les algorithmes qui servent à coder les données au sein du SNDS.

Il existe néanmoins des limites à ces avancées : beaucoup de données qui sont nécessaires pour guider les politiques de prévention - je pense au tabagisme et à l'obésité - sont absentes du SNDS, où manquent également les données relatives aux naissances extrahospitalières.

J'en viens aux pistes d'amélioration.

Nous préconisons l'appariement de l'ensemble des sources d'information existantes, qui toutes contiennent des données utiles. Les données de l'Insee sur les naissances permettraient par exemple de disposer de chiffres sur les naissances qui ont lieu à domicile ; quant aux données du certificat de santé, elles contiennent des informations sur l'indice de masse corporelle (IMC), sur le tabagisme ou sur l'allaitement maternel, dont le recueil permettrait d'améliorer l'étude des événements indésirables rares affectant les mères et les nouveau-nés.

Nous souhaitons également oeuvrer à améliorer la façon dont sont renseignées les bases de données. Un tel travail passe par un dialogue avec les cliniciens qui remplissent les certificats et par une exploitation des données par la recherche - en Europe, les meilleurs registres des naissances sont ceux qui donnent lieu à une recherche de qualité.

Est-il possible de croiser les bases de données tout en préservant l'anonymat exigé par la Commission nationale informatique et libertés (Cnil) ? Cette question est incontournable, mais complexe. Cela dit, des systèmes d'information permettant la surveillance et la recherche en périnatalité existent dans beaucoup de pays qui ont le même niveau d'exigence que la France en matière de protection des données personnelles : l'expérience de nos voisins nous montre qu'une telle entreprise a de bonnes chances de succès.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Menant ce travail sur la périnatalité, nous tâchons de nous tenir sur nos deux jambes : il y va de l'amélioration de la santé de la femme et de l'enfant avant et après l'accouchement, mais aussi de l'organisation territoriale des soins. Or, depuis le début des auditions, nous constatons qu'il est impossible de croiser les jeux de données qui ont trait respectivement à l'une et à l'autre de ces deux dimensions. À cet égard, toutes les personnes auditionnées nous disent la même chose, et nous peinons à avancer...

Cet écueil est-il insurmontable ? Je ne le pense pas. Pensez-vous qu'il soit possible de le surmonter à court terme ? De quels moyens faudrait-il disposer ? Quels sont les pays qui font référence en ce domaine ?

Mme Jennifer Zeitlin. - Ma conviction est qu'il est tout à fait faisable d'apparier ces différentes données, et ce dans un délai raisonnable, car les informations dont nous parlons sont d'ores et déjà disponibles et utilisables. Un travail de plus longue durée est par ailleurs indispensable pour améliorer la qualité des données renseignées.

La Californie dispose d'un très bon système de collecte de données portant sur l'ensemble des naissances, enrichi de nombreuses interactions entre des cliniciens, des codeurs et des médecins exerçant dans des départements d'information médicale (DIM).

Nous pourrions nous inspirer également du Royaume-Uni, qui a mis en place un système très performant d'audit de l'ensemble des décès néonatals - certes, il ne s'agit pas à proprement parler d'un registre. Ce pays n'est pas nécessairement un exemple à suivre : comme ceux de la France et de nombreux grands pays, son système d'information est relativement fragmenté. Reste que l'outil en ligne MBRRACE-UK (Mothers and Babies : Reducing Risk through Audits and Confidential Enquiries across the United Kingdom) permet de restituer aux équipes, en temps réel ou presque, les informations collectées sur les événements indésirables et les déterminants et caractéristiques des décès.

M. Pierre-Yves Ancel. - L'enjeu le plus urgent est sans nul doute la création d'un véritable registre des naissances donnant accès à des informations détaillées sur la mère et sur l'enfant pendant la grossesse, l'accouchement et la période néonatale. Le problème auquel nous sommes confrontés, à l'heure actuelle, est que toutes les sources de données qui ont été évoquées sont pilotées par des institutions différentes. Il faut parvenir à les mettre d'accord pour que tout cela soit regroupé... C'est précisément à cette fin que nous avons besoin du soutien du politique : nous n'y arriverons pas tout seuls.

Si nous parvenons à regrouper ces données et à créer et piloter un véritable registre des naissances, nous pourrons l'améliorer en y greffant de la recherche. Ainsi nous inscrirons-nous dans un cercle vertueux : la qualité des informations collectées s'améliore grandement, on le sait, à mesure qu'elles sont exploitées par les chercheurs et qu'un dialogue s'établit à leur propos avec les cliniciens.

Il faut donc mettre toutes les tutelles d'accord, l'Inserm, Santé publique France, la Drees, la direction générale de la santé (DGS) et la direction générale de l'offre de soins (DGOS). Nous, membres de l'équipe de recherche EPOPé, sommes prêts à prendre toute notre part dans ce travail.

Mme Florence Lassarade. - J'ai cherché à établir le taux d'allaitement maternel et la durée moyenne d'allaitement dans la maternité de ma circonscription. Or le remplissage des certificats de santé du huitième jour se révèle très aléatoire ; certains médecins, du reste, les mettent directement à la poubelle. Autrement dit, c'est du temps perdu. Les certificats sont adressés au conseil départemental, mais ne sont absolument pas exploités : personne ne les lit. Cela vaut-il la peine d'obliger les gens à remplir des certificats que personne n'analyse ? Remplir des papiers pour remplir des papiers, voilà qui est inutile.

M. Pierre-Yves Ancel. - L'objectif est précisément que ces certificats servent à quelque chose ; le drame, c'est qu'ils ne servent pas, ou très inégalement selon les départements - il y en a où ces données sont exploitées.

Vous avez entièrement raison : il faut à l'évidence que ces bases de données soient reliées entre elles, mais aussi valorisées par des équipes de recherche, et il faut un retour vers les équipes cliniques qui les remplissent. À défaut, des moyens considérables sont dépensés en pure perte. Les informations en question sont pertinentes, à condition d'être liées à d'autres données et d'être exploitées et une base de données sera d'autant mieux remplie que son utilité aura été démontrée. C'est là tout le sens du « cercle vertueux » que j'évoquais il y a un instant. Et telle est notamment la condition d'une harmonisation à l'échelle nationale.

Il vaut vraiment la peine d'engager ce travail si l'on veut mettre en oeuvre un pilotage effectif des politiques publiques sur le fondement d'informations fiables.

Mme Jennifer Zeitlin. - Les certificats de santé du huitième jour font partie intégrante des données du SNDS. Le chantier de la dématérialisation de ces certificats a été lancé : sur le plan logistique, l'appariement est réalisable.

Mme Florence Lassarade. - Le registre des naissances est rempli à la naissance ; mais, une fois la mère et l'enfant sortis de la maternité, qui le renseigne ?

M. Pierre-Yves Ancel. - Nous voulons créer un registre des naissances à partir des informations qui sont déjà collectées. C'est en les liant entre elles et en les analysant de manière plus systématique que l'on montrera à quoi peuvent servir ces données à l'échelle de chaque territoire et de chaque maternité : ainsi seulement les équipes cliniques mesureront-elles toute l'aide qu'elles sont susceptibles d'en tirer au quotidien.

On pourrait imaginer que le fait pour un établissement de bien collecter les informations soit valorisé financièrement ; mais il faut surtout une valorisation de cette collecte du point de vue de la recherche.

En tout état de cause, l'idée est non pas de créer quoi que ce soit de nouveau, mais de s'appuyer sur l'existant, d'apparier les bases actuelles et d'en améliorer la qualité.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Est-ce faisable techniquement ?

M. Pierre-Yves Ancel. - Oui : on sait faire, et cela se fait dans de nombreux pays dont les exigences quant à la sécurité des données sont tout à fait comparables aux nôtres. L'enjeu est de mettre d'accord toutes les tutelles ; c'est pourquoi nous avons besoin d'un appui fort de la part du politique.

Mme Annick Billon. - Vous nous l'avez démontré, nous disposons de statistiques qui font état d'une surmortalité lorsque la triple permanence des soins n'est pas assurée et que le recours à l'intérim altère la continuité des soins. Vous nous avez par ailleurs montré une carte de la prévalence de la dépression et du suicide post-partum. Disposez-vous de statistiques géographiques analogues montrant que la triple permanence des soins est à géométrie variable sur le territoire national ? Le cas échéant, pourquoi n'en tire-t-on pas les conséquences ? Que faire pour enrayer cette augmentation de la mortalité ?

M. Pierre-Yves Ancel. - L'explication de l'augmentation du taux de mortalité périnatale des naissances à terme par des déficiences dans l'organisation et la qualité des soins, n'est qu'une hypothèse, encore non démontrée. Si l'on veut aller plus loin dans la compréhension de cette surmortalité et répondre précisément à votre question en étayant de telles hypothèses, il faut avant tout un système d'information de qualité, pérenne et sécurisé sur le long terme ; telle est l'urgence du moment.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - On ne parvient pas à établir cette corrélation : c'est tout le problème.

M. Pierre-Yves Ancel. - Corréler est très difficile, mais des travaux ont été faits sur le lien entre type d'établissement et surmortalité ou surmorbidité maternelle.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Alors, quels sont selon vous les leviers possibles pour réduire le taux de mortalité maternelle, qui ne diminue plus depuis plusieurs années ?

Mme Catherine Deneux. - Nous avons la chance de pouvoir nous appuyer, depuis 1996, sur les résultats de l'enquête confidentielle sur les morts maternelles en France. Le prochain rapport sur les causes de mortalité maternelle, pour les années 2016 à 2018, sort demain. Je me propose de vous transmettre une note sur les nouveaux enseignements que l'on peut en tirer.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Très bien.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - J'en viens à la question des éventuelles corrélations entre la survenue d'événements indésirables graves d'accès aux soins (EIGS) sur le plan de la morbidité maternelle et périnatale et le niveau de la maternité (type 1, 2 ou 3).

Mme Catherine Deneux. - Nous avons mené une analyse sur la mortalité maternelle à partir de données déjà anciennes, datant des années 2007-2009 ; les résultats de cette étude ont été souvent repris, mais parfois mal compris.

Nous nous sommes focalisés sur la mortalité par hémorragie : l'analyse porte sur le risque de mortalité maternelle péri-partum par hémorragie selon les caractéristiques de la maternité d'accouchement après prise en compte des caractéristiques individuelles. L'hémorragie est en effet un événement peu dépendant du niveau de risque initial propre à chaque femme ; la survenue de formes graves, voire létales, dépend donc essentiellement de la qualité de la prise en charge. Aussi nous servons-nous de cet événement comme d'un marqueur de la capacité d'une équipe de maternité, dans sa pluridisciplinarité, à répondre à l'urgence maternelle.

Qu'observons-nous ? Que, par exemple, le risque de mortalité maternelle par hémorragie est 2,4 fois plus élevé dans les maternités où un anesthésiste n'est pas présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre par rapport à celles où tel est le cas. Pour ce qui est de la présence d'un obstétricien vingt-quatre heures sur vingt-quatre, le facteur multiplicatif est de deux ; la corrélation n'est donc pas tout à fait significative. Le risque de mortalité est 2,4 fois plus élevé dans les maternités de type 1 que dans les maternités de type 2 ou 3 ; il est trois fois plus élevé dans les maternités privées à but lucratif que dans les maternités publiques.

Je répète que ces données, qui sont anciennes, portent sur des événements rares que sont les hémorragies mortelles du péri-partum. Elles sont de surcroît nationales et ne préjugent en rien d'une déclinaison régionale.

Nous avons appliqué ce type d'analyse à des données relatives à la morbidité maternelle sévère. Aucune donnée de routine n'étant disponible, nous avons monté, en 2013, une étude ad hoc, l'étude Épimoms (épidémiologie de la morbidité maternelle sévère), portant sur six régions françaises. Le risque de « near-miss » par hémorragie, événement très sévère, quoique non létal, se révèle 2,3 fois plus important dans les maternités qui ne disposent pas d'un anesthésiste présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Le lien avec la taille des maternités n'atteint pas la significativité statistique, mais le risque est bel et bien plutôt plus élevé dans les petites maternités. On retrouve en revanche une incontestable corrélation entre l'augmentation du risque de survenue d'un tel événement et le fait que la maternité d'accouchement soit une maternité de type 1 ou une maternité privée à but lucratif.

Nous nous sommes également intéressés, dans le cadre de la même étude, à la qualité des soins en cas d'hémorragie, le postulat étant qu'une prise en charge inadéquate de l'hémorragie débutante accroît le risque d'aggravation de l'état de la patiente. On observe notamment que, dans les maternités réalisant moins de 1 000 accouchements par an, le risque de prise en charge inadéquate de l'hémorragie du post-partum chez les femmes accouchant par voie basse est deux fois plus élevé que dans les maternités réalisant plus de 3 500 accouchements par an. On retrouve, dans le même sens, un « surrisque » de prise en charge inadéquate dans les maternités de type 1 et dans les maternités privées à but lucratif.

Je redis que ces données sont anciennes - elles datent de 2013. Les regroupements de maternités, notamment, ont été légion ces dix dernières années : je ne pense donc pas que l'on puisse utiliser ces données pour dire ce qu'il faudrait faire maintenant en définissant arbitrairement un nombre minimal d'accouchements par maternité.

En revanche, cette étude montre bien comment l'organisation des soins peut influer sur les risques de morbidité maternelle sévère et de survenue d'EIGS. Il apparaît donc nécessaire de renouveler au présent - et de décliner par région - ce genre d'analyses.

M. Pierre-Yves Ancel. - Il a fallu, pour obtenir pareils résultats, que nos équipes construisent des enquêtes ad hoc ; et la dernière de ces études a dix ans...

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Vous corrélez le « surrisque » de survenue d'un événement grave avec le fait qu'il n'y ait pas d'anesthésiste présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre dans l'équipe de la maternité d'accouchement ; en revanche, la corrélation du risque de surmorbidité avec les données qui ont trait à la classification des maternités n'apparaît pas significative : ai-je bien compris ?

Mme Catherine Deneux. - Les données relatives à l'absence d'un anesthésiste disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre ne disent rien de ce qui se passe au moment de l'événement indésirable : il ne s'agit que de l'organisation générale des soins. Nous n'avions pas les moyens d'aller au-delà dans l'analyse.

M. Pierre-Yves Ancel. - Pour ce qui est de l'enfant à haut risque, les choses sont assez étayées : plus la taille du service de néonatologie ou des unités de réanimation néonatale est importante, moins le risque de complication existe chez le nouveau-né - autrement dit, les « gros » centres, qui font beaucoup d'actes chirurgicaux, sont plus efficaces.

En revanche, pour ce qui est des populations à bas risque, l'on ne dispose que de très peu de données permettant de corréler surmorbidité, d'une part, et, d'autre part, type de maternité, organisation et qualité des soins : ce champ reste à défricher.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Le dépistage néonatal a désormais 50 ans ; il est inscrit dans le code de la santé publique et les dispositions qui s'y rapportent ont été récemment précisées à nouveaux frais à la faveur de l'examen de la dernière loi relative à la bioéthique. Il vise entre autres à détecter dès la naissance certaines maladies rares, mais graves. Des essais ont lieu, notamment dans la région Grand Est, en matière de dépistage de l'amyotrophie spinale ; on sait désormais que les effets d'un tel diagnostic néonatal sont considérables sur la santé de l'enfant et l'évolution de la maladie.

J'ai récemment déjeuné avec le professeur Agnès Linglart, qui a déploré une évolution assez lente de ce dépistage, qu'elle impute à une difficile évolution des critères depuis 50 ans. Si le « test buvard » reste essentiel, la piste du dépistage génétique est en effet riche de promesses. Avez-vous travaillé sur ce sujet ?

J'ai cru comprendre également que la notion de « bénéficiaire du dépistage » faisait débat. En France, le « bénéfice individuel pour l'enfant » est déterminant, mais il semblerait que tel ne soit pas le cas partout en Europe. Qu'en est-il ?

M. Martin Chalumeau. - Le dépistage peut être étendu désormais à trente-deux maladies, et les preuves abondent sur l'amélioration de l'état de santé des enfants à long terme. Toute la communauté pédiatrique pousse par conséquent pour l'extension de ces dépistages.

Mme Anne-Sophie Romagny. - Pourquoi les critères évoluent-ils si lentement ? Cela fait cinquante ans que l'on parle de ces dépistages néonatals... Comment pourrions-nous vous aider à faire en sorte que le dépistage néonatal soit plus pertinent et plus efficace encore qu'il ne l'est actuellement ? Plus la détection est précoce, on le sait bien, plus la santé de l'enfant est améliorée.

M. Martin Chalumeau. - C'est vrai aussi de maladies plus prévalentes que l'amyotrophie spinale, comme la drépanocytose.

Toute la communauté scientifique et tous les acteurs du plan national Maladies rares sont pour l'évolution que vous appelez de vos voeux ; la réponse se trouve plutôt du côté législatif que du côté scientifique.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Ce dossier est donc à creuser.

Je vous remercie chaleureusement, mesdames, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Nous comptons sur vos contributions écrites et sur les publications que vous pourrez nous transmettre.

La réunion est close à 15 heures.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

La réunion est ouverte à 18 h 30.

Audition des fédérations hospitalières

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous entendons, en cette fin d'après-midi, les représentants de trois fédérations hospitalières : la Fédération hospitalière de France (FHF), qui représente les hôpitaux publics, la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires (Fehap), pour les établissements privés à but non lucratif, et la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), pour le secteur privé commercial.

Au-delà des traditionnelles auditions menées au Sénat, prisme territorial oblige, nos travaux se déroulent également « hors les murs », et, après un premier déplacement à l'hôpital Robert-Debré de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP), ce jeudi, notre mission d'information effectuera un déplacement en Meurthe-et-Moselle, à Nancy et Lunéville.

Ces auditions et déplacements confirment une préoccupation générale à l'égard de la situation de la santé périnatale, au regard notamment des grands indicateurs de santé publique que sont la mortalité néonatale, infantile ou maternelle.

Parmi les éléments d'analyse régulièrement soulignés par les intervenants figurent les évolutions constatées depuis une quinzaine d'années concernant les facteurs de risque associés aux grossesses. Sont notamment évoqués l'âge de maternité plus tardif, l'augmentation de la précarité ou une plus forte prévalence de l'obésité. En outre, la santé mentale des mères est devenue une priorité, alors que le suicide est désormais la première ou la deuxième cause de décès des mères dans l'année qui suit l'accouchement.

Vous nous direz, mesdames, messieurs, dans quelle mesure ces éléments peuvent conduire les établissements à adapter les modalités de prise en charge ou d'accompagnement des parturientes et des mères et de leurs bébés. Sur ce point en particulier, la bonne coordination entre la ville et l'hôpital est déterminante.

Plus généralement, nous voulons aujourd'hui échanger avec vous sur la prise en charge des mères et de leurs bébés et l'offre de soins en établissement de santé. Dans cette réflexion, je sais que Véronique Guillotin, notre rapporteure, vous interrogera notamment sur le modèle de financement des activités d'obstétrique et de néonatologie, mais aussi sur les conditions d'encadrement ou « ratios » applicables à ces activités, fruits des décrets de 1998, dont on nous a d'ailleurs dit qu'ils étaient quelque peu obsolètes.

Surtout, dans le cadre de nos réflexions et des auditions que nous menons, le lien entre l'organisation des soins, en particulier le maillage territorial en maternités, et la qualité et la sécurité des soins est très régulièrement évoqué.

Sur ce vaste sujet, l'Académie nationale de médecine estimait, dans son rapport de 2023, que « la mise en oeuvre d'un plan de périnatalité ambitieux est une priorité et une urgence », et proposait différents axes de travail pour définir une nouvelle politique publique en la matière. Au coeur de cette politique, l'Académie proposait un schéma cible d'une rationalisation du nombre de structures, schéma qui suppose une profonde mutation de l'organisation entre les établissements de santé, comme entre la ville et l'hôpital. La semaine dernière, lors de son audition, le professeur Yves Ville parlait même de « pourrissement extrême » pour expliquer les difficultés structurelles de certains établissements, notamment parmi ceux qui réalisent le moins d'accouchements. Ces difficultés entraînent des fermetures de plus en plus longues, voire définitives, sans nécessairement correspondre à une décision des autorités sanitaires. Il serait donc intéressant que nous puissions entendre vos réactions à ce rapport et votre analyse des préconisations de l'Académie.

Surtout, que la question soit la transformation de l'offre de soins ou la capacité à la conserver telle qu'elle existe actuellement, les limites budgétaires comme la crise de la démographie médicale et paramédicale sont des contraintes fortes et incontournables. Vous nous direz ainsi quel schéma vous semble soutenable à court et à moyen termes pour garantir tant l'accessibilité que la sécurité des soins.

Vous l'avez compris, cette audition des fédérations permettra de nourrir la réflexion sur l'une des questions les plus cruciales, mais aussi les plus complexes que nous avons à traiter : peut-on encore garantir aux femmes d'accoucher en sécurité près de leur domicile, et partout sur le territoire national ?

Je vais vous laisser la parole sans attendre pour que vous puissiez présenter les principaux enjeux identifiés par vos fédérations. Dans un premier temps, je propose que les représentants de chaque organisme limitent leurs interventions à quelques minutes au total. Je passerai ensuite la parole à notre rapporteure pour une première série de questions.

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Kathia Barro, responsable adjoint pôle Offres de la Fédération hospitalière de France. - La FHF représente l'ensemble des hôpitaux et des établissements médico-sociaux publics.

Nous avons préparé un panorama chiffré pour vous montrer à quel point la filière périnatale est centrale pour l'offre de soins publics.

L'hôpital, aujourd'hui, c'est 329 maternités, l'intégralité des maternités de niveau 3, 72 % des maternités de niveau 2 et 96 maternités de niveau 1.

Aujourd'hui, grâce à tous les professionnels publics, le public assure quasiment 543 000 accouchements et près de 5 millions de consultations et entretiens prénataux pour les parturientes. Plus largement, il est le principal acteur de la prise en charge de la femme et de l'enfant et le seul à traiter les cas complexes, urgents et critiques, comme l'attestent les chiffres relatifs à la réanimation, les soins intensifs ou les urgences pédiatriques.

La périnatalité recouvre aujourd'hui l'ensemble des processus liés à la naissance, qui vont de la contraception jusqu'au vingt-huitième jour de vie du nouveau-né, au-delà du suivi de la grossesse et de l'accouchement. Elle prend en compte l'ensemble des parcours et des besoins de la femme et du nouveau-né - l'enjeu est de répondre à l'ensemble de ces besoins.

C'est aussi une multiplicité d'acteurs - médicaux, paramédicaux, sociaux - et de structures en jeu, d'où l'importance d'avoir à la fois une offre de soins graduée et des filières organisées. Ces deux piliers sont essentiels.

Aujourd'hui, le respect de la gradation sous-tend l'organisation des maternités en niveaux 1, 2 et 3, définis dans les décrets de périnatalité de 1998. Cette organisation est sous-tendue par une gradation cumulative : la maternité de niveau 2 ou 3 est d'abord une maternité de proximité de son territoire, qui, par ailleurs, assure les soins spécialisés ou l'« ultra-recours ».

La gradation est essentielle et fondée sur le risque encouru par le nouveau-né. Dans les faits, le niveau d'expertise dépend aussi du risque maternel associé, mais celui-ci n'est pas traité dans les décrets. Il faut renforcer la gradation en incluant la notion du risque maternel dans les décrets, qu'il faut réviser de manière plus large pour y intégrer un certain nombre de notions et de critères qualitatifs qui n'y figurent pas aujourd'hui.

Par ailleurs, la filière de soins doit être organisée - c'est le second pilier. Pour cela, le groupement hospitalier de territoire (GHT) joue un rôle fondamental, que ce soit dans la construction de la filière ou dans sa capacité à déployer des forces vives, notamment sur un territoire, grâce à une équipe qui va à la fois participer au suivi des grossesses, par exemple en réalisant des consultations avancées dans un établissement dédié, et rapprocher les femmes de maternités dotées de plateaux techniques de naissance pour leur accouchement.

En revanche, et c'est un point de vigilance, il ne faut pas non plus faire reporter toutes les obligations sur les établissements supports de GHT. Il faut faire preuve d'un certain réalisme et de rationalité. On ne peut leur demander d'assurer et l'activité de leur propre maternité, et la permanence de soins, et les transferts depuis les autres maternités, et le soutien en fonctionnement de petites maternités.

Pourquoi est-il important d'avoir une offre de soins graduée et organisée ? L'objectif est de répondre à l'ensemble des besoins de la femme et de l'enfant, au-delà de l'accouchement. Une femme a besoin d'un suivi de proximité tout au long de sa vie : à 15 ans, éducation à la santé et à la sexualité et contraception ; à 30 ans, suivi de la grossesse ; à 50 ans, prise en charge de la ménopause.

Cela inclut le suivi de la grossesse et les besoins des nouveau-nés, qui sont des besoins de proximité. On a besoin que les professionnels soient le plus proches possible de la femme, d'où l'intérêt des centres périnataux de proximité (CPP), solutions mobiles qui rapprochent les professionnels de santé de la femme.

En revanche, il convient de distinguer le moment de l'accouchement, qui aura lieu deux fois dans la vie d'une femme en moyenne. En l'occurrence, le besoin n'est pas la proximité : c'est la sécurité. Ce besoin va en s'accroissant avec les facteurs de risque que vous avez mentionnés. Pour ce moment particulier, la femme doit être prise en charge par une maternité viable, d'où la nécessité de développer des solutions qui vont rapprocher les femmes de telles maternités.

Et ce qui permet de faire le lien entre ce suivi en proximité et l'accouchement en sécurité, c'est justement cette équipe de territoire, qui va permettre de faire prévaloir cette notion de territoire dans l'organisation des soins.

Mme Margaux Creutz Leroy, médecin de santé publique, médecin coordinateur du Réseau périnatal lorrain, présidente de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FHF). - Je vais dire un mot des dispositifs spécifiques régionaux en périnatalité (DSRP), anciennement les réseaux de santé périnatale, qui ont changé de nom avec les décrets de 2020.

Il existe deux dispositifs régionaux en France, autour de l'oncologie et de la périnatalité. L'existence de réseaux en périnatalité est liée au nombre multiple de professionnels impliqués dans la prise en charge des femmes et de leurs nouveau-nés, ainsi qu'à la gradation de ces prises en charge.

Les DSRP ont pour mission, d'abord, de mener une expertise auprès des agences régionales de santé (ARS), mais aussi d'oeuvrer à la coordination des acteurs - hospitaliers, libéraux, centres de protection maternelle et infantile (PMI) - impliqués en périnatalité. Relèvent aussi de nos missions les réseaux de suivi des enfants vulnérables, qui sont essentiellement les enfants grands prématurés, mais aussi ceux qui sont atteints de certaines pathologies, comme l'encéphalopathie anoxo-ischémique.

Parmi nos missions figurent aussi l'amélioration et l'actualisation des connaissances et des pratiques professionnelles, la promotion de la lisibilité de l'offre et la coordination des différents dépistages, tels que celui de trisomie 21 ou encore de la surdité congénitale.

Une autre de nos missions est de mener une démarche qualité. Nous réalisons énormément d'évaluations de pratiques, de revues de mortalité et morbidité autour des événements indésirables graves pouvant survenir en périnatalité. Notre expertise, sur nos territoires, peut servir à améliorer la qualité parfois insuffisante des indicateurs de santé que nous suivons, essentiellement issus du programme de médicalisation des systèmes d'information (PMSI).

Nous travaillons également sur la gradation des prises en charge et l'organisation des transferts. C'est un aspect primordial de la périnatalité. En fonction des pathologies néonatales et obstétricales, la femme va parfois devoir être prise en charge par différents établissements et différents professionnels.

Notre objectif principal est donc l'amélioration continue de la santé de la femme et des nouveau-nés.

Nous défendons aujourd'hui la nécessité absolue de réorganiser l'offre de soins.

En effet, nous considérons qu'une suspension ou une fermeture de maternité non anticipée ou non choisie représente un vrai risque, autant pour les populations que pour les professionnels de santé. Or, sur ces quinze derniers mois, 32 maternités ont été suspendues ou fermées - certaines six fois, d'autres une fois, et les suspensions ont duré de 1 à 425 jours. Si la maternité est isolée géographiquement, cela crée un désert médical, et l'on perd parfois un centre de référence et d'expertise - les grosses maternités supports, de type 2 ou 3, peuvent, elles aussi, être en difficulté. De fait, beaucoup de maternités de type 2 ont suspendu leurs activités ces derniers temps.

Le second risque est le maintien d'une maternité insécure. Maintenir une maternité insécure, c'est majorer les inégalités territoriales de santé. Contrairement à ce que l'on entend dire souvent, ce n'est pas en fermant une maternité que l'on majore ces inégalités : c'est en maintenant ouverte une maternité insécure.

Nous croyons beaucoup à des diagnostics territoriaux partagés sur chaque bassin de naissance, avec une analyse des besoins réels en santé - taux de natalité, nombre de femmes en âge de procréer, etc. - et de la réalité de l'offre de soins sur le territoire - composition et âge moyen des équipes, recours aux intérimaires. Et nous croyons à la construction de projets de périnatalité territoriaux par l'ensemble des acteurs : professionnels de santé, privés, publics et libéraux ; ARS ; DSRP ; élus ; usagers... Notre objectif est vraiment de sécuriser l'offre pour les populations.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - À quelle fréquence revoyez-vous vos diagnostics territoriaux ?

Mme Margaux Creutz Leroy. - Nous revoyons tous les ans les indicateurs d'activité des maternités. Pour ce qui est des démarches qualité autour des événements indésirables et des pratiques, la révision se fait au fil de l'eau, en continu.

En ce qui concerne les données démographiques, nous suivons les productions de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) et d'autres observatoires, mais nos diagnostics sont remis à jour annuellement, voire au jour le jour pour ce qui concerne les suspensions d'activités. Nous tenons des tableaux de bord.

Prenons le cas d'une maternité dont l'équipe est instable, autrement dit dont le tableau de garde n'est pas complètement pourvu, qui recourt aux intérimaires, dont beaucoup d'activités ne reposent que sur un ou deux professionnels.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Idéalement, combien de personnes doit compter l'équipe de base ?

Mme Margaux Creutz Leroy. - Idéalement, pour chaque permanence des soins, il faut de cinq à sept obstétriciens, pédiatres, anesthésistes pour que ce soit acceptable par les nouveaux professionnels en termes de nombre de gardes par semaine.

Mme Marilyn Theuws, sage-femme, vice-présidente de CME, vice-cheffe de pôle et responsable managérial du pôle femme-mère-enfant, responsable managérial du pôle santé publique et prévention au centre hospitalier de Moulins-Yzeure (FHF). - Et que ces gardes aient lieu sur place !

Mme Margaux Creutz Leroy. - Les familles qui ont accès à l'information sur l'instabilité de la maternité de leur territoire en ont peur et préfèrent se rendre dans la maternité du territoire voisin, située parfois jusqu'à une heure de route, mais dont l'équipe est stable, quand les familles qui n'ont pas accès à cette information persistent à se rendre dans la maternité de proximité, sans avoir forcément conscience du risque qui peut exister.

Il en résulte un cercle vicieux. La part de marché diminue - je pourrais vous citer foison de petites maternités où accouchent moins de 50 % des femmes enceintes de la zone de recrutement... La chute du nombre de naissances rend la maternité encore moins attractive pour les jeunes générations de médecins, sages-femmes et puéricultrices, ce qui augmente encore l'instabilité des équipes des maternités, mais aussi la fuite des professionnels libéraux du territoire. Ce cercle vicieux renforce l'instabilité et majore l'insécurité. Maintenir une maternité insécure n'est donc pas forcément rendre service aux populations.

Mme Kathia Barro. - En conclusion, ce n'est pas un seul critère qui fait une maternité viable. Plusieurs déterminants entrent en ligne de compte : la maternité doit s'inscrire dans son territoire, avoir une prise en charge organisée et graduée, répondre à la permanence des soins, avoir un plateau technique sécure.

C'est pourquoi nous considérons qu'il est essentiel, pour mieux répondre aux enjeux de qualité de l'offre sur le territoire, d'enrichir les décrets de périnatalité, qui sont désormais vieux de vingt-six ans - ce sont les plus anciens des décrets d'autorisation d'activités de soins qui existent et qui n'ont pas été revus. Les travaux de révision de ces décrets avaient été entamés puis mis sur pause avec la crise covid.

À nos yeux, la réponse doit aussi passer par la capacité à construire des projets périnataux de territoire réunissant tous les acteurs autour de la table - GHT, ARS, professionnels de ville, établissements privés... -, même si cela implique des décisions qui ne sont pas toujours simples à prendre, mais qui peuvent être portées de manière commune. La réponse n'est pas unique ; elle doit être adaptée au territoire. C'est en travaillant ensemble, au niveau de chaque bassin de naissances, que l'on peut aboutir à une réponse intelligente, intéressante, qui réponde aux besoins des femmes et des nouveau-nés en France.

Mme Frédérique Gama, présidente de la Fédération de l'hospitalisation privée Médecine-Chirurgie-Obstétrique (FHP-MCO). - Les autorisations de maternité des établissements privés sont limitées à la prise en charge durant les hospitalisations. Bien évidemment, nous avons des liens avec la médecine de ville, parce que nos praticiens sont tous des libéraux et que tout ce qui se fait en amont et en aval du séjour hospitalier, en particulier de l'accouchement, est pris en charge par les équipes dans le cadre de la médecine de ville.

C'est aussi un facteur limitatif pour nos soignants. Ainsi, nos sages-femmes ne peuvent faire reconnaître l'intégralité des missions qu'elles exercent au sein de nos structures, les actes devant, dans notre secteur d'activité, être réalisés exclusivement par les médecins.

Le constat que nous dressons de la situation actuelle de la périnatalité est un peu plus défaitiste que celui que nous venons d'entendre. Nous avons perdu beaucoup d'établissements privés. S'il était nécessaire d'instaurer une gradation il y a vingt ans, le nombre de nos maternités de niveau 1 a connu une diminution radicale. Ce sont elles qui ont subi le plus durement l'impact des décrets et du choc psychologique qu'ils ont produit chez certaines patientes.

Nous avions, en 2013, 97 établissements de niveau 1, et seulement 57 dix ans plus tard. Nous en avons donc perdu plus presque la moitié. Nous n'avions pas de maternité de niveau 3, les réanimations néonatales étant concentrées dans très peu de structures. En revanche, nos établissements de niveau 2 ont résisté dans le temps, puisque leur nombre est passé de 47 en 2013 à 52 en 2022.

La gradation des soins, aussi importante soit-elle, peut donc avoir des effets pervers, comme les fermetures d'établissements. Ce sont évidemment les établissements ayant le moins d'activité qui ont fermé, puisque nous sommes financés à l'activité - nous sommes rémunérés s'il y a un accouchement dans l'établissement, mais nous ne percevons rien s'il n'y en a pas.

Pour les structures de moyenne ou de faible activité, perdurer dans le temps sans moyens financiers est mission impossible. Cela met en péril toutes les autres activités de soins, raison pour laquelle, dans le secteur privé beaucoup plus que dans les autres, le nombre de maternités a diminué de façon extrêmement importante. Nous déplorons cette baisse au plus haut point.

D'ailleurs, dans le cadre de la mission sur la tarification à l'activité (T2A) qui a travaillé lieu l'année dernière, nous avions défendu la refonte du financement sur la base d'un parcours de soins en amont et en aval - nous rejoignons en cela ce que vient de dire la FHF. À cet égard, la notion de « 1 000 jours » est importante, dans la mesure où elle permet un financement de l'ensemble du parcours de soins.

Exerçons-nous une mission de service public ? Nous devons être présents. Il y a des jours avec de l'activité et des jours sans ; l'obstétrique ne se programme pas. À cet égard, un financement sous forme de dotation socle permettrait de pérenniser certaines situations, d'autant plus sensibles que nos médecins sont payés à l'acte.

Il faut savoir qu'un accoucheur en secteur 1 touche 313 euros par accouchement, malgré toutes les contraintes que cela suppose - astreintes, présence médicale jour et nuit... Il y a, dans le privé, beaucoup d'obstétriciens en secteur 1, qui ne peuvent demander de complément d'honoraires. Or ces derniers n'ont pas été revalorisés depuis 2005, soit depuis presque vingt ans.

Aujourd'hui, avec 313 euros, un accoucheur ne vit pas ; il paye uniquement son assurance en responsabilité civile.

Actuellement, quarante départements de France n'ont qu'une maternité. Nous défendons deux notions : la sécurité des femmes et la territorialité. Malheureusement, dans les départements plus ruraux, on assiste souvent à un enchaînement : comme il y a moins d'activité, il n'y a pas de rémunération, et la clinique défaille, perdant son activité d'obstétrique, ce qui peut entraîner la chute des autres activités de soins. Il est urgent de revoir l'ensemble du processus, y compris les financements, faute de quoi d'autres maternités fermeront. Quand les taux d'inflation sont à 5 %, que voulez-vous que nous fassions avec les 0,3 % d'augmentation tarifaire que nous a généreusement accordés le ministre ?

À cela s'ajoute la question, extrêmement importante, des ressources humaines. Certes, il y a plus de sages-femmes qu'auparavant, mais il y en a moins dans les maternités. Je pourrais également évoquer les obstétriciens, et les pédiatres ; il en manque partout. Comme l'ont souligné les représentants de la FHF, il faut des équipes stables. Nous sommes très inquiets s'agissant des ressources humaines. Par exemple, avec le passage à six ans de la formation des sages-femmes, aucune praticienne ne sortira de l'école cette année !

J'insiste sur la notion de dotation socle pour sauver les maternités. Nous avons besoin d'une refonte des décrets dans leur globalité. Les sages-femmes doivent pouvoir faire des actes dans le privé, comme à l'hôpital.

La question du suivi des naissances est évidemment très importante. L'acte de naissance est un acte à risque, d'autant que - cela a été souligné - les femmes font leur premier enfant beaucoup plus tard qu'autrefois. Et l'éloignement géographique lié aux fermetures de maternités n'aide pas à sécuriser les choses.

Le suivi des femmes après accouchement est aussi très important, mais pas suffisamment valorisé aujourd'hui. Il faut mettre en place des dispositifs - cela rentre dans le parcours de soins -, afin de suivre les enfants, mais également les femmes, pour éviter des séquelles psychologiques, qui sont de plus en plus fréquentes.

M. Arnaud Joan-Grange, directeur de l'offre de soins et des parcours de vie de la Fédération des établissements hospitaliers et d'aide à la personne privés solidaires (Fehap). - Nous représentons 6 % des maternités et 8 % des naissances en France, mais ces chiffres ont tendance à écraser la réalité de notre rôle territorial. Nous sommes opérateur de service public.

Nous souscrivons à ce qui vient d'être indiqué sur l'organisation territoriale, ainsi que sur l'insuffisante coordination de l'offre de soins. L'offre médico-sociale et sociale que nous représentons est insuffisamment valorisée et prise en compte dans le cadre des modèles de financement, s'agissant tant des montants mobilisés que de leurs modalités de distribution.

M. Régis Moreau, directeur général du groupe hospitalier Paris Saint-Joseph et président de la commission Fehap des directeurs généraux de médecine-chirurgie-obstétrique. - Le taux de sinistralité, c'est-à-dire le niveau de décès des enfants au bout de sept jours, est en progression ces dernières années, ce qui doit nous inquiéter. L'obésité maternelle a aussi augmenté, de même que la précarité sociale. Et, cela a été rappelé, les femmes ont leur premier enfant plus tard.

La situation diffère selon les territoires. Paris n'a rien à voir avec la province ; à Paris, il y a un vrai maillage. À Saint-Joseph, nous avons une maternité de niveau 2 ; nous échangeons très bien avec l'ensemble des maternités, quel que soit le statut.

Je ne suis pas tout à fait d'accord avec ce qui a été indiqué sur les GHT. Quand vous échangez avec une agence régionale de santé, l'autorisation, c'est la zone d'implantation ; le GHT, c'est plutôt l'organisation des établissements publics. L'analyse en termes de zone d'implantation dans des territoires de province me semble plus appropriée et facilitera beaucoup plus la coordination entre les différents acteurs.

La problématique des ressources humaines concerne l'organisation des effectifs et leur disponibilité. Nous sommes tous acteurs de santé, et nous puisons dans les mêmes ressources. Nous nous devons d'avoir les mêmes règles de gestion et les mêmes fonctionnements.

Il faut aussi s'interroger sur l'installation en ville ou à l'hôpital. Une maternité est ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept. Pour un professionnel, c'est parfois plus intéressant d'avoir un cabinet en ville. Les attentes de jeunes praticiens ne sont plus les mêmes qu'autrefois. Avons-nous encore assez de sages-femmes, de pédiatres et d'obstétriciens ? Si ce n'est pas le cas, réfléchissons au maillage territorial.

Nous avons une ressource collective de personnes formées ; il faut bien la répartir. Comme un poste à l'hôpital représente plus de contraintes pour la personne que l'on embauche - songeons aux urgences, à la maternité, etc. -, il faut que celle-ci y trouve un intérêt économique. Sinon, elle va finir par aller voir ailleurs.

Nous sommes confrontés aux mêmes problèmes en matière économique. Les maternités de notre fédération sont souvent déficitaires, mais le choix de gouvernance a été fait de les maintenir, malgré les déficits. Ce sont donc des activités économiquement plus viables qui financent les maternités. Est-ce normal ?

Aujourd'hui, on fait porter sur les maternités des choses qui ne relèvent pas de leurs compétences et qui pèsent économiquement, techniquement, socialement, mais aussi psychologiquement sur des médecins et des sages-femmes. C'est également l'une des explications de ces départs de professionnels qui, pourtant, aiment faire des accouchements. J'ai d'excellents obstétriciens qui ont abandonné l'obstétrique pour faire de la chirurgie.

Outre la question de la taille des maternités, il y a celle de la coordination des équipes. Deux équipes différentes au sein d'une même maternité, cela ne fait pas une équipe !

Le sous-financement sur les trois secteurs des maternités conduit parfois, par nécessité et non par envie, à devoir se réorganiser face à des risques qui sont devenus disproportionnés. L'hôpital n'est pas là pour traiter toute la problématique sociale.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Je vous remercie de vos présentations.

Vos interventions étaient très axées sur la territorialisation. Or le rapport de l'Académie de médecine est, lui, très « centralisateur » : en dessous de 1 000 accouchements, une maternité n'est plus viable, et il faut regrouper. C'est un diktat national chiffré. Depuis le début de la semaine, nos interlocuteurs nous parlent de la nécessité d'équipes stables ; ce ne sont pas les mêmes préoccupations qu'un quota de nombre annuel d'accouchements !

Le GHT ne pourrait-il pas être en gouvernance d'équipes obstétricales ?

Je viens de découvrir le concept de bassin de naissances. Il y a déjà des contrats locaux de santé, des GHT, etc. Quel est le territoire pertinent pour discuter d'une organisation périnatale en sécurité ?

Où placer le curseur entre la sécurité et la proximité ? Quel équilibre peut-on proposer aux femmes et aux familles ? Une naissance n'est pas un acte chirurgical comme un autre.

Que pensez-vous du dogme national des 1 000 accouchements par an ?

Mme Margaux Creutz Leroy. - J'ai effectivement évoqué les bassins de naissances. Il n'existe pas en périnatal de situation territoriale que nous pourrions modéliser partout. Dans les Vosges, territoire que je connais bien, certaines patientes qui nécessitent une prise en charge particulière sont orientées non pas vers le GHT départemental, mais vers des départements voisins. Le GHT a donc ses limites. C'est la raison pour laquelle nous travaillons sur la notion de bassin de naissances. Nous considérons un nombre de naissances sur un territoire donné, et nous voyons globalement comment se font les flux et où vont les femmes. C'est sur cette base que nous définissons le bassin de naissances, c'est-à-dire le flux des patientes, même si nous tenons compte des GHT, qui sont tout de même cartographiés, et des établissements privés.

Le moment technique de la naissance est celui où il y a le plus de risques et où nous avons le plus besoin de nombreux professionnels. Nous pensons que cet acte doit être sécurisé sur un nombre de plateaux techniques nécessairement limité compte tenu de la situation actuelle. Mais - vous avez évoqué à juste titre la nécessité de proximité pour les familles et de bienveillance auprès de la mère et de son nouveau-né -, il faut aussi adapter un suivi en proximité au moment du retour à la maison, d'autant que la majorité des séjours sont très courts.

Nous devons prévoir l'accompagnement à proximité. Je pense, par exemple, au coaching parental : des puéricultrices ou auxiliaires-puéricultrices hospitalières viennent à la maison les premières semaines de vie du nouveau-né pour accompagner la mère et l'enfant - aujourd'hui, lorsque des sages-femmes libérales viennent, c'est seulement dans un objectif médical. Je crois qu'il faut accompagner davantage en aval avec des solutions de proximité et de suivi à la maison.

M. Régis Moreau. - Le critère des 1 000 naissances présente-t-il un risque ? Cela dépend du territoire.

Il y a une dimension économique. Le nombre de pédiatres, d'obstétriciens et de sages-femmes nécessaires pour assurer une continuité a été calculé. Et, pour amortir les coûts que cela représente, il faut au moins 1 000 naissances. À défaut, la maternité devient déficitaire.

Si l'on veut maintenir des maternités à 500 accouchements sur certains territoires, cela nous renvoie à la discussion sur la dotation socle : il faut un financement minimum.

Toutefois, j'ai tendance à considérer que nous n'avons pas aujourd'hui les ressources humaines disponibles pour pouvoir envisager un tel maintien. À Marie-Lannelongue, où nous faisons de la chirurgie congénitale, nous prenons en charge certaines patientes ante-partum avec une malformation cardiaque. Comme nous ne sommes pas nombreux à faire ce genre d'activités, nous avons des patientes qui viennent de la France entière. Parfois, certaines viennent un mois avant et restent à l'hôtel. Est-il normal qu'une maman reste éloignée de son territoire quand elle a besoin d'une maternité de niveau 2 ? Pour autant, faut-il mettre des niveaux 2 partout ? La question est celle de la proportion et du besoin.

La zone d'implantation ne se limite effectivement pas au GHT. Peut-être faut-il faire des cercles concentriques.

Mais il faut avant tout travailler sur la démographie médicale si nous voulons maintenir des maternités à 500 naissances ; aujourd'hui, nous n'en avons pas les moyens.

Mme Frédérique Gama. - Si des maternités ferment aujourd'hui, ce n'est effectivement pas seulement lié à des difficultés financières. Preuve en est, des maternités qui font bien plus que 500 accouchements par an ferment également.

Le principal problème, ce sont les ressources humaines. Les jeunes mamans ne trouvent pas de pédiatre en ville. Les obstétriciens préfèrent faire de la chirurgie gynécologique, pour avoir de meilleures conditions de vie. Et avec plus de sages-femmes, le sujet de la périnatalité serait certainement moins aigu aujourd'hui.

Ce sont toutes ces difficultés sur les ressources humaines - manque d'effectifs et de personnels formés - qui conduisent à des fermetures quand le maintien de l'activité ferait prendre trop de risques. Pour un responsable d'établissement, c'est insupportable.

Mme Béatrice Noëllec, directrice des relations institutionnelles et de la veille sociétale de FHP. - Nous avons soutenu la démarche des 1 000 jours, qui nous a semblé très importante. C'était peut-être la première fois que la puissance publique s'emparait véritablement du sujet de la petite enfance, et de manière coordonnée et concertée. À nos yeux, c'est un enjeu de société majeur.

N'oublions pas tout ce qu'il y a autour de l'accouchement : l'ante-partum, le post-partum. Les maternités ont un rôle à jouer. Sans doute n'ont-elles pas toutes les latitudes possibles pour cela aujourd'hui. Il faut évidemment y renforcer la prévention. Le baby blues concerne 50 % à 80 % des femmes, et la dépression post-partum 20 % en moyenne. Les pères, que l'on oublie parfois, sont aussi concernés. Les enjeux de prévention sont majeurs : risques en cas de prématurité, soutien du couple dans l'exercice de sa parentalité, sensibilisation des jeunes parents aux perturbateurs environnementaux, entretien post-natal, etc.

Tout cela nécessite des moyens et de l'accompagnement. Si nous voulons une politique de prévention dans notre pays, il faut amplifier drastiquement le soutien aux acteurs.

M. Arnaud Joan-Grange. - De manière plus terre à terre, il faudrait aussi mieux articuler les données, notamment de l'État et de l'assurance maladie, afin de se rendre compte de la réalité en matière de santé publique entre la ville et l'hôpital, d'objectiver les meccanos administratifs et de pouvoir proposer des réponses adaptées.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je vous rassure, nous sommes très sensibilisés sur ce point. Nous savons qu'il va falloir y travailler et trouver des solutions.

Selon vous, le système qui a été mis en place dans les pays d'Europe du Nord, où les taux de mortinatalité sont bien inférieurs aux nôtres, est-il duplicable chez nous ?

Il nous a été indiqué que si le transport était assuré de manière sécurisée, on pouvait augmenter les temps de transport au moment de l'accouchement. Qu'en pensez-vous ?

Comment expliquez-vous que les jeunes parents semblent souvent si déboussolés aujourd'hui ? Ne leur donne-t-on pas trop de conseils ou des conseils contradictoires ?

M. Thierry Béchu, délégué général de la FHP-MCO. - Selon les bases de données que les établissements remplissent, le nombre d'accouchements hors établissement - il s'agit donc d'accouchements à domicile ou pendant le transport - est passé de 3 300 à 5 000 entre 2012 et 2022. Il y a donc urgence à agir.

Mme Margaux Creutz Leroy. - Faisons très attention avec de tels chiffres : le code de l'accouchement extrahospitalier (AEH) a beaucoup de limites. L'accouchement accompagné à domicile, qui est en très forte augmentation, est codé comme un AEH quand il nécessite une hospitalisation, alors que ce n'en est pas un.

Il faut mettre un terme au fantasme des accouchements extrahospitaliers. Selon les analyses qualitatives, dans la majorité des cas, les AEH ont lieu dans de grandes métropoles à proximité immédiate d'une maternité et concernent surtout des personnes en situation de grande précarité.

M. Thierry Béchu. - J'irai dans votre sens. Les premiers départements concernés sont Mayotte, puis les Antilles, la Guyane et La Réunion. En métropole, les taux baissent sensiblement.

Mme Kathia Barro. - L'accouchement est un événement inopiné. Le vrai enjeu en termes de qualité et de sécurité des soins, c'est la distance entre la structure où la femme accouche et le plateau technique, par exemple s'il y a besoin d'une transfusion à la suite d'une hémorragie post-partum.

Les pays d'Europe du Nord, qui ont d'excellents indicateurs, ont fait une concentration sur de très gros plateaux. En France, la situation est différente, mais nous pouvons nous inspirer de certains éléments de ces pays. D'un côté, il faut trouver un bon équilibre, un suivi en proximité de l'ensemble des besoins de la femme, notamment lors de son retour à domicile ; en l'occurrence, c'est aux professionnels de santé d'aller chez elle. De l'autre, l'accouchement étant un moment particulier, il faut qu'il puisse se faire dans certains plateaux sécurisés ; là, c'est à la femme de se déplacer. La notion de seuil est importante, mais ce n'est pas le seul élément essentiel.

Il y a une réflexion territoriale à mener, fondée sur un diagnostic de l'offre de soins et des structures à disposition (y compris CPP, camion mobile...), afin de créer un maillage répondant aux besoins des femmes.

M. Régis Moreau. - La question importante est celle de la fiabilité du transport, plus que de son délai. La démographie médicale ne nous permet pas vraiment de déplacer les ressources à droite à gauche.

Aujourd'hui, les conseils aux parents, c'est souvent internet. Autrefois, on faisait confiance aux médecins. Désormais, les parents vont sur internet, se posent beaucoup de questions, et écoutent parfois de mauvaises réponses... Nous devons faire avec.

La précarité a effectivement augmenté, de manière inversement proportionnelle à la démographie. La préparation à la naissance n'est, dès lors, pas la même ; il faut plus travailler en proximité. La sinistralité est liée à cette précarité. Nous n'avons pas, me semble-t-il, les mêmes problématiques que dans le nord de l'Europe.

Mme Béatrice Noëllec. - Vous avez soulevé une question de société extrêmement intéressante. À mon sens, il y a trois éléments à prendre en compte.

Premièrement, dans un pays en situation de crise et de perte de repères, les injonctions que reçoivent les parents sont extrêmement fortes. Nous le voyons bien s'agissant de l'école.

Deuxièmement, comme cela a été souligné, il y a une grande diversité des sources d'information, y compris des sources les plus anxiogènes ou les moins fiables.

Troisièmement, autrefois, on disait moins de choses. Le tabou de la fausse couche tend seulement à se lever un peu aujourd'hui ; des femmes témoignent de la douleur sur les réseaux sociaux, ce qui aurait été impensable voilà encore cinq ans. C'est heureux que les parents parlent plus aujourd'hui, à condition d'avoir des professionnels qui soient vraiment à l'écoute.

M. Régis Moreau. - J'irai dans le même sens. Aujourd'hui, dans les réunions de préparation, nous avons les couples ; autrefois, il y avait seulement les mères. Les parents sont demandeurs d'informations. Mais, comme cela a été souligné, ils sont noyés d'informations, ce qui devient anxiogène.

Mme Marilyn Theuws. - Beaucoup de professionnels gravitent autour de la grossesse. Il me paraît important d'avoir un professionnel référent qui rencontre le couple en amont de la conception, lors de la conception, tout au long de la grossesse et qui coordonne le suivi post-natal. Actuellement, les parents ont trop d'interlocuteurs différents.

M. Patrice Joly. - Je vous remercie de vos éclairages.

Dans ma commune, la première maternité est à une heure et demie de route. Prenez-vous en compte dans vos réflexions le phénomène, peut-être simplement conjoncturel, d'inversion des territoires où les naissances augmentent ? Jusqu'à ces dernières années, les naissances augmentaient plutôt dans les zones urbaines denses et dans les métropoles. Mais, depuis 2020, on note une baisse des naissances dans certains départements dont le chef-lieu est une grande métropole ou dans des départements franciliens, et des augmentations, parfois supérieures à 1 %, dans certains départements plus ruraux, telle la Nièvre.

Combien de maternités faudrait-il fermer ? Vous en avez identifié trente-deux comme ayant de vraies difficultés à garantir un fonctionnement continu. Si elles devaient fermer, les risques pour la mère et l'enfant, liés par exemple au trajet, sont-ils évalués ?

Vous avez évoqué la possibilité pour les GHT d'organiser le territoire. Or certains GHT sont en grande difficulté également et peinent déjà à avoir suffisamment de moyens humains pour faire fonctionner l'établissement pilote.

J'ai toujours une petite crainte lorsque l'on raisonne en termes de « cercles concentriques ». C'est une approche un peu classique, avec un centre et une périphérie, et une logique de domination et de distance. Ne pourrait-on pas renforcer notre réflexion sur le fonctionnement en réseau ?

Mme Marilyn Theuws. - Fonctionner en réseau, c'est possible. Il existe des expérimentations aujourd'hui.

Si l'on ferme des maternités de moins de 1 000 naissances, par exemple en faisant des regroupements de manière à n'en avoir plus qu'une seule dans le département, il faut absolument mettre des moyens et des professionnels à disposition des patientes et des couples un peu éloignés des moyens pour assurer un bon suivi et une bonne coordination avant et après l'accouchement. Les camions doivent être équipés, avec du matériel et un professionnel de la périnatalité qui ne soit pas seulement un brancardier ou un chauffeur.

Dans certains départements, des maternités ont fermé plusieurs jours par manque de pédiatres, de sages-femmes ou d'obstétriciens. C'est notre réalité quotidienne.

Mme Margaux Creutz Leroy. - Il faut que nous arrêtions de subir les fermetures. L'important, c'est de mieux anticiper.

Si l'on souhaite maintenir une maternité sur un territoire au vu de l'isolement de la population, il faut réorganiser ce qu'il y a autour. Dans notre cas, les suspensions sont le plus souvent liées à un manque d'anesthésistes.

Et si l'on fait le choix, rarement de gaieté de coeur, de fermer une maternité, renforçons la maternité voisine pour qu'elle ne soit pas confrontée aux mêmes difficultés un an, deux ans ou trois ans après.

Sans anticipation, les déserts vont se créer tout seuls, et cela mettra vraiment en danger les mères et les enfants.

M. Régis Moreau. - Pour notre part, la problématique concerne plutôt les pédiatres et les sages-femmes. Dès lors qu'il y a des activités autres que la maternité au sein de l'établissement, ce ne sont pas forcément les anesthésistes qui font le plus défaut.

Vous avez évoqué les statistiques. Aujourd'hui, nous arrivons à très bien suivre les données.

Je connais la situation que vous évoquez, pour avoir géré plusieurs cliniques dans la Creuse. Je serais curieux de connaître le suivi de ville qui a été proposé aux patientes avant leur accouchement dans ces territoires.

Là où il n'y a pas de maternité, le suivi peut être satisfaisant si des visites intermédiaires sont organisées, comme cela peut exister dans d'autres activités - pour la chimiothérapie, par exemple. En intervenant bien en amont, on peut limiter les risques. Parviendra-t-on pour autant à maintenir des maternités de proximité ? Cela dépendra des territoires.

La téléconsultation peut être utile pour inciter les sages-femmes à s'installer seules en territoire isolé. La mise en place de la téléexpertise permet de les sécuriser : toutes les sages-femmes travaillant en territoire isolé doivent pouvoir être certaines d'avoir, « à leurs côtés », un pneumologue, un cardiologue, un obstétricien pour assurer le suivi des patientes. Elles doivent pouvoir, selon les cas, recourir aux transports médicalisés ou être hébergées quinze jours avant l'échéance à proximité du lieu le plus approprié. Je pense qu'il faut envisager un tel maillage.

Je crains que, techniquement, l'évolution démographique ne permette pas un maintien de certains établissements.

J'y insiste : combien de fois les patientes de ces territoires ont-elles vu une sage-femme dans les six mois précédant l'accouchement ? Combien y a-t-il eu de télémonitorings relus par un obstétricien à distance ? Il faut probablement, à certains endroits, mailler le territoire beaucoup plus pertinemment.

Mme Céline Brulin. - Vous avez très bien décrit les phénomènes de fragilisation à l'oeuvre. Disposez-vous de chiffres attestant que des maternités de niveau 1 connaissent aujourd'hui plus de sinistralité, d'accidents, de problèmes ?

On voit bien que, si le nombre d'accouchements réalisés était le bon critère, les choses auraient plutôt tendance à s'améliorer - comme il y a moins de maternités, celles qui existent encore en font davantage. Or ce n'est pas le cas : c'est même l'inverse !

Vous décrivez un énorme problème de ressources humaines ; il ne se résoudra pas du jour au lendemain. Nous devons réagir, en responsabilité. Cependant, la solution ne saurait passer par de grosses maternités ou des plateaux techniques. Vous dites que tout un pan de l'activité doit être assuré par la médecine de ville, mais on sait que, lorsqu'il n'y a plus d'établissements hospitaliers de proximité, il n'y a plus non plus de médecine de ville au niveau ! Dans certains pôles, des regroupements autour de maternités de type 2 ou 3 peuvent aussi conduire à accroître les déserts médicaux, alors que nous voulons exactement le contraire.

Mme Margaux Creutz Leroy. - L'un des rôles les plus importants des réseaux est l'analyse des événements indésirables. Pour ce qui concerne les plus graves d'entre eux, à savoir les décès des mères et ceux des bébés à terme, in utero ou après la naissance, les facteurs de risques qui ressortent sont, plus que le type de la maternité, la stabilité des équipes - donc le recours aux intérimaires - et le fait que la garde ait lieu sur place ou non. Je peux vous assurer que, si un bébé est coincé au niveau des épaules en pleine nuit et s'il n'y a pas d'obstétricien de garde, la perte de chance est importante pour cet enfant, qui risque d'avoir une encéphalopathie anoxo-ischémique, voire de décéder. En périnatalité, il peut y avoir des journées très calmes et d'autres très agitées. Or, quand on n'a qu'une équipe d'astreinte, il faut prioriser, et la priorité sera toujours accordée à la mère.

Nous essayons, dans les réseaux, de porter une attention toute particulière à la qualité, pour avoir des données fiables, que le PMSI ne nous fournit pas. Par exemple, un taux de césarienne bas n'est pas satisfaisant s'il s'accompagne de nombreuses encéphalopathies.

Une mission, financée par la direction générale de la santé (DGS), la direction de la recherche, des études, de l'évaluation et des statistiques (Drees) et la direction générale de l'offre de soins (DGOS), est en cours sur l'augmentation de la mortinatalité. D'après les premiers éléments, cette hausse serait plutôt liée à la permanence des soins, puisque 80 % des événements indésirables ont lieu la nuit et le week-end.

Mme Kathia Barro. - La garde sur place est liée à un seuil défini dans les décrets de 1998. Il faut rouvrir les travaux sur ces textes. Il convient notamment de s'interroger sur tous les critères qui rendent une maternité viable. Comme le seuil, la stabilité de l'équipe fait partie de ce faisceau d'éléments.

Il est aujourd'hui urgent de renforcer les décrets par des éléments qualitatifs, par les notions de gradation, de sécurité, de plateau, d'équipe de territoire, pour que ce soit véritablement des filières qui puissent souder la périnatalité.

Mme Frédérique Gama. - Je veux répondre sur les ressources humaines. La difficulté est sociétale : on n'a pas moins de médecins ni de sages-femmes - au contraire, on en a plus -, mais l'orientation vers des métiers de moindre pénibilité est en défaveur de l'hospitalier.

Même si l'on forme un peu plus de pédiatres, ceux-ci vont commencer par s'installer en ville - ce n'est pas, du reste, la spécialité la plus recherchée, parce que ce n'est pas la mieux revalorisée. Au reste, on assiste à une baisse moyenne du nombre d'heures consacrées à la médecine. On dit qu'il faut deux, voire trois pédiatres pour en remplacer un, mais on peut dire la même chose au sujet des obstétriciens ! Quand un obstétricien faisait 400 accouchements auparavant, il en fait 100 aujourd'hui.

Mme Céline Brulin. - Il faut donc raisonner en temps médical plutôt qu'en nombre de professionnels ?

Mme Frédérique Gama. - Exactement. Même les sages-femmes exercent aujourd'hui davantage en libéral que dans les structures hospitalières.

Il faut réfléchir à la liberté d'installation des étudiants fraîchement diplômés, dont la formation est financée par l'État.

Tant que les besoins en médecine de ville ne seront pas satisfaits à 100 % sur l'ensemble des territoires, l'hospitalier sera en difficulté, parce qu'il représente aujourd'hui la contrainte. J'ignore comment résoudre cette difficulté. On peut entendre qu'un obstétricien préfère faire de la chirurgie gynécologique ou qu'une sage-femme préfère choisisse de s'installer en ville, pour fixer leurs propres contraintes, plutôt que de travailler nuit et jour, y compris le 31 décembre. C'est un vrai problème de société, qui nous échoit.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Nous comprenons tous que les professionnels aient envie de se regrouper sur des plateaux, pour des questions de pénibilité, de nombre de gardes... Toutefois, les regroupements ne risquent-ils pas de peser sur cette population captive des maternités non sécures, qui est souvent la plus précaire, la moins mobile ?

Les représentants de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) que nous avons auditionnés nous ont présenté une étude montrant que, aussi bien pour la mortalité maternelle que pour le risque de prise en charge inadéquate d'une hémorragie grave du post-partum, deux facteurs ressortaient assez significativement : le défaut d'anesthésistes sur place et le fait d'accoucher dans un établissement privé à but lucratif. Comment pouvez-vous expliquer ces résultats ?

Mme Frédérique Gama. - Globalement, nous n'avons pas de problème de manque d'anesthésistes, parce que nous n'avons pas d'activité monodisciplinaire. On fait toujours, au minimum, de la chirurgie en même temps.

Le problème, chez nous, n'est pas le nombre d'anesthésistes. C'est plutôt un problème de nombre de pédiatres - c'est le problème numéro un -, d'obstétriciens et de sages-femmes.

Mme Margaux Creutz Leroy. - C'est justement en pensant aux familles les plus précaires que nous estimons qu'il faudrait, plutôt qu'« user » les professionnels à la permanence de soins dans les petites maternités, redynamiser le suivi des grossesses de proximité.

Des dispositifs existent déjà pour ce qui concerne l'accouchement. La possibilité d'un hébergement non médicalisé vient d'être mise en place, et l'éducation à la santé doit aider les femmes à prendre conscience du moment où elles doivent se rendre à la maternité - les distances dépassent rarement l'heure de route.

Il me paraît choquant de parier sur le fait que les femmes qui ont une maternité à côté de chez elles tomberont sur la bonne équipe de garde. Il serait plus sécuritaire de s'appuyer sur l'éducation à la santé, sur un suivi de grossesse en proximité - via la télémédecine notamment - et sur des équipes territoriales qui accepteront de suivre à distance des grossesses à haut risque et de réserver la gestion de l'accouchement à un plateau sécurisé.

C'est demain que les résultats de l'enquête confidentielle seront remis au ministère. Pour ma part, je pense que les risques hémorragiques sont aussi liés à l'accès aux produits sanguins labiles. Or certaines maternités isolées ou privées ou à but non lucratif ont parfois plus de difficultés à accéder aux réserves de sang que certains gros centres - cela dépend de l'endroit où l'Établissement français du sang (EFS) est situé.

Mme Frédérique Gama. - Nous avons tous, dans nos établissements, des réserves de sang ! Il faut nuancer ces propos.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Nous essayons de comprendre les chiffres dont nous disposons.

M. Régis Moreau. - Je n'ai pas d'informations à vous communiquer s'agissant des statistiques de décès.

Le maillage territorial est une nécessité. Il faut « aller vers », comme on l'a fait pour la vaccination contre le covid, via des cellules de l'ARS.

Les grossesses des femmes qui ont un emploi doivent être déclarées à l'employeur assez rapidement. Ces déclarations donnent des droits. Je pense que certains territoires qui n'ont pas de maternité doivent être davantage couverts pour permettre que les entretiens obligatoires aient lieu.

Comme les maternités ne sont pas toutes pleines aujourd'hui, des femmes qui ont la chance d'habiter près d'une maternité de niveau 2, voire 3, y sont suivies pour leur grossesse sans que cela soit nécessaire. Pour une maternité de niveau 2, une grossesse non pathologique de niveau 1 peut parfois soulager les équipes...

Il est vrai que l'égalité n'existe pas, mais on ne compensera pas une démographie territoriale par la seule volonté. Après leur internat, les étudiants tendent à se rapprocher de leur région natale. On ne peut forcer un pédiatre à travailler dans un endroit qu'il ne connaît pas.

Comment pallier cette difficulté ? Il faut s'engager dans le « aller vers » si l'on ne veut pas faire entrer les professionnels dans des parcours. C'est une maîtrise de risques. La maîtrise de risque, c'est la coordination de l'équipe. Quand l'équipe est dimensionnée pour 500 accouchements, il y a moins de back office. À Saint-Joseph, il y a 40 anesthésistes : si l'un ne va pas bien, on lui trouve un remplaçant ! Quand il n'y en a que trois, le risque est plus important. Le risque est donc lié à la taille de l'équipe, qui est elle-même liée au nombre d'accouchements. Ce n'est donc pas le nombre d'accouchements qui fait le danger : c'est la taille de l'équipe, mais les deux sont souvent liés.

Mme Béatrice Noëllec. - Cela est totalement transposable à l'ensemble des professionnels de santé. Les lieux de formation sont souvent très urbains, et l'on ne saurait blâmer les professionnels d'aller là où ils ont envie.

Il en va de même pour ce qui concerne la reproduction sociale, avec des médecins issus des CSP+. Comment fait-on pour recruter les professionnels de santé dans des viviers sociaux plus larges ?

M. Régis Moreau. - La situation des établissements habilités à faire de la chirurgie pédiatrique ne semble inquiéter personne. Avant, il y en avait partout. Pour assurer la sécurité, on a dû concentrer, et les distances sont devenues importantes.

À Marie-Lannelongue, les patients viennent de partout. À Metz, nous avons fermé cette spécialité, car on nous a dit qu'elle devait être transférée au public. J'avais prévenu que ce serait un fiasco. De fait, aujourd'hui, il n'y a plus du tout de chirurgie pédiatrique sur le territoire ! Le problème n'est pas le transfert au public en tant que tel : c'est lié au territoire. Il faut pourtant bien prendre en charge les enfants de deux ans qui ont des complications.

Mme Kathia Barro. - Je rappelle que les maternités de niveaux 2 et 3 sont d'abord des maternités de proximité sur leur territoire, que les femmes font des choix et que l'on ne connaît souvent la physiologie de l'accouchement qu'après celui-ci.

Pour ce qui concerne l'accès aux soins, des hôtels hospitaliers existent aujourd'hui au profit des femmes les plus précaires. Ils peuvent permettre de les rapprocher de maternités sécures.

Mme Annie Le Houerou. - Vous parlez tous d'une pénurie de ressources humaines, mais vous ne semblez pas vous alarmer du fait qu'il faut plus de pédiatres, de sages-femmes...

Mme Frédérique Gama. - Nous l'avons tous dit !

Mme Annie Le Houerou. - Je retiens que, à vos yeux, il faut surtout gérer la pénurie et se concentrer sur les grandes maternités.

Mme Frédérique Gama. - Nous déplorons qu'il n'y ait pas assez de professionnels formés.

M. Régis Moreau. - Or la formation prend dix ans...

Mme Émilienne Poumirol. - Certes, il n'y a pas assez de personnel formé, mais, surtout, il n'y a pas assez de temps médical !

La médecine générale est dans une situation dramatique, avec seulement 45 000 médecins sur 90 000 qui exercent actuellement. Où sont passés les 45 000 autres ? C'est de temps médical que l'on manque. Il faut partager les tâches.

S'il y a bien quelque chose auquel je crois, c'est au fait de travailler ensemble, de manière coordonnée, avec des équipes pluriprofessionnelles, sans que quiconque soit méprisé.

L'enjeu n'est pas simplement le nombre d'étudiants qui achèvent leurs études. Il s'agit surtout de redonner de l'attractivité aux métiers, pour que ceux qui s'en seraient détournés y reviennent.

Mme Frédérique Gama. - Je répète que nous sommes aujourd'hui face à un problème sociétal, avec des professionnels qui continuent à exercer leur métier, mais ne souhaitent plus le faire de la même façon, aspirant à des horaires réduits.

M. Patrice Joly. - Vous dites, madame Creutz Leroy, que les grossesses doivent être mieux suivies. Envisagez-vous une régulation de l'installation des professionnels de santé pour permettre que l'ensemble des territoires soient correctement pourvus ?

Mme Margaux Creutz Leroy. - J'envisage surtout qu'il y ait des équipes territoriales, c'est-à-dire qu'une seule et même équipe propose des consultations de proximité et un plateau technique adapté et sécurisé, équipe dont les membres se connaissent, ont l'habitude de travailler ensemble et font de beaux projets.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Il me reste, mesdames, messieurs, à vous remercier d'avoir débattu avec entrain et de nous avoir donné toutes ces explications.

La réunion est close à 20 heures.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.

Mercredi 3 avril 2024

- Présidence de Mme Annick Jacquemet, présidente -

La réunion est ouverte à 13 h 30.

Audition de représentantes du Collège des infirmièr(e)s puéricultrices(eurs)

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Mes chers collègues, nous poursuivons aujourd'hui les auditions des professionnels de santé, en entendant cet après-midi le Collège des infirmièr(e)s puéricultrices(eurs). Ce collège est composé de l'Association nationale des puéricultrices(eurs) diplômé(e)s d'État (ANDPE), du Collectif « Je suis infirmière puéricultrice » (CJSIP), du Comité d'entente des écoles préparant aux métiers de l'enfance, et de la Société de recherche des infirmières puéricultrices (SORIP) et du syndicat national des puéricultrices diplômées d'État (SNDPE).

Votre Collège est reconnu, depuis 2019, comme conseil national professionnel de la spécialité. Ses missions, fixées par voie réglementaire, portent notamment sur l'organisation de la formation professionnelle continue ou encore sur l'élaboration de recommandations professionnelles.

Dans le cadre de nos travaux, il nous a semblé indispensable d'entendre des représentants de l'ensemble des professions de santé intervenant dans notre système de soin périnatal. Les infirmiers puériculteurs et infirmières puéricultrices (IPDE) y occupent une place spécifique à double titre :

- Premièrement, ils interviennent pendant la grossesse, en accompagnant les familles dans le processus de parentalité, et après celle-ci en assurant un suivi des premiers jours des nouveau-nés et des jeunes parents ;

- Deuxièmement, la diversité des lieux et des modalités d'exercices du métier intéresse particulièrement la dimension territoriale de notre mission. Si près de la moitié des IPDE est employée par les services hospitaliers ou les maternités, ils travaillent également en PMI, crèches, haltes-garderies... ce qui signifie concrètement autant de métiers et de modalités d'exercices différents.

Lors de notre audition des membres de l'équipe de recherche EPOPé hier, plusieurs chiffres nous ont interpellés :

- La part des mères déclarant n'avoir pas reçu de recommandation sur le couchage de leur enfant avant leur sortie de l'hôpital approche les 50 %, même si ce taux baisse fortement par la suite ;

- Le taux de prévalence des symptômes de dépression post-partum à deux mois s'établit à 16,7 % en moyenne, avec toutefois de fortes disparités en fonction des territoires (près de 22 % en région Centre-Val de Loire par exemple), et ce alors que le suicide fait désormais partie des premières causes de mortalité maternelle. Là aussi ces chiffres interrogent sur la qualité du suivi anténatal et post natal des parents.

Par ailleurs, d'un point de vue général, nombre de nos interlocuteurs ont insisté sur la question de la gestion des ressources humaines chez les soignants. En clair, dans vos professions comme d'autres beaucoup d'autres qui intéressent notre mission d'information, comment gérer le temps médical disponible tout en assurant la sécurité des soins et l'équité d'accès sur l'ensemble du territoire ?

Je vais vous laisser la parole sans attendre pour que vous puissiez présenter les principaux enjeux identifiés par votre Collège.

Elisa Guises, Présidente de la SoRIP. - Je suis présidente de la Société de recherche des infirmières puéricultrices, qui est une jeune association puisqu'elle a été créée en même temps que le CNP des puéricultrices, en 2019. J'ai une expérience dans le domaine de la formation. J'ai aussi exercé dans d'autres pays du monde, notamment avec Médecins sans frontières, ce qui m'a permis de travailler en santé primaire.

Katia Saby, Présidente du CJSIP. - Je suis la présidente du collectif « Je suis infirmière puéricultrice », qui a été créé en 2020 et s'est constitué en association en 2021. Il a pour visée d'être un agitateur auprès des familles et du grand public pour faire connaître notre métier. De ce fait, nous nous sommes ralliés aux autres organisations pour faire une unité et pouvoir vous rencontrer aujourd'hui et apporter des éclaircissements sur notre travail.

Anne Metivet, Trésorière de l'ANPDE et déléguée régionale Ile-de-France du CEEPAME. - Je représente deux associations. L'ANPDE, l'Association nationale des puéricultrices diplômées et des étudiantes, existe depuis 1949, juste après la création du diplôme, et vise à promouvoir la profession et défendre ses intérêts. Je suis également représentante du Comité d'entente des écoles préparant aux métiers de l'enfance (CEEPAME), qui regroupe toutes les écoles de puéricultrices en France et outre-mer, et entre 60 et 70 % des écoles d'auxiliaires de puériculture.

Véronique Garlis Boulaire, Présidente du SNPDE. - Je suis infirmière puéricultrice, cadre de santé. Je suis aussi présidente du syndicat national des puéricultrices diplômées d'État.

Katia Saby.. - Elisa Guises et moi sommes également membres du conseil d'administration du Conseil national des puéricultrices.

Nous faisons de la promotion sur la santé de l'enfant et de la famille par l'intermédiaire de cartes mentales. Une infirmière puéricultrice exerce dans différents lieux, ce qui est à la fois une force et une faiblesse. Nous avons la force de pouvoir être partout où se trouvent des enfants âgés de 0 à 18 ans, mais il est parfois difficile de nous retrouver.

Anne Metivet. - Nous tenons à mettre en avant les éléments de contexte qui soulignent l'importance des puéricultrices dans le parcours de soins de l'enfant et de l'accompagnement de la famille. Ils sont issus de nombreux rapports publiés par des institutions telles que l'IGAS, le Haut Conseil de la Santé Publique, la Cour des comptes, Santé Publique France, ainsi que de rapports rédigés par Michèle Peyron ou Isabelle Santiago. Le point commun de ces rapports est qu'ils mettent en avant la nécessité de valoriser le métier de puéricultrice.

Nous sommes ici pour souligner l'importance de valoriser notre rôle dans la prise en soins des enfants, même si bien sûr nous travaillons en interprofessionnalité, ce qui fait notre force. Nous avons écouté l'ensemble des auditions des différents acteurs avant de nous présenter devant vous. Nous sommes toutes engagées dans l'accompagnement de la mère et de l'enfant pour répondre aux besoins de familles, qui ont été largement reléguées. Notre défi, c'est de répondre à la dégradation de l'offre de soins périnatale qui existe en France. Nous pensons que notre métier peut être une réponse à la fois pour les futures mères et pour les enfants.

L'ensemble des associations sous l'égide du CIP a écrit un manifeste pour la réforme de la spécialité de puéricultrices décrivant en détail nos constats, tous sourcés, et formulant des propositions.

La période prénatale est cruciale pour le sujet qui nous intéresse. Seulement 62 % des femmes bénéficient actuellement de l'entretien prénatal précoce, malgré son caractère obligatoire. En tant que puéricultrices, nous avons les compétences pour mener à bien cet entretien, notamment en appuyant sur la prévention. En effet, il est important de parler de prévention de l'enfant à naître et de la femme, en complémentarité avec les sages-femmes. Nous avons aussi les compétences pour identifier les situations de vulnérabilité, qu'elles soient sociales, psychiques ou physiques, et bien sûr orienter et travailler en collaboration avec d'autres professionnels.

En post-partum immédiat, nous voulons revenir sur le PRADO maternité (parcours d'accompagnement au retour à domicile), qui est assuré aujourd'hui par les sages-femmes. Nous avons remarqué qu'il y avait un retard dans l'accès à la PMI, peut-être par manque de connaissance sur le dispositif de PMI, ou en tout cas d'information sur la possibilité de ces femmes d'être suivies en PMI, où, je le rappelle, la puéricultrice a toute sa place dans l'accompagnement en post-partum immédiat pour ancrer l'enfant et sa famille dans un parcours de soins coordonnés.

Concernant la maternité, il est nécessaire de repositionner les puéricultrices pour assurer les missions de prévention sur le sommeil, l'alimentation, les accidents domestiques, la mort inopinée du nourrisson, etc. Elles ont des missions complémentaires de la sage-femme, de l'infirmière et de l'auxiliaire de puériculture.

Si le sujet de l'allaitement maternel est aussi abordé en prénatal par la puéricultrice, puis en postnatal direct par la maternité, on peut espérer un taux d'adhésion plus élevé. En France, nous sommes très loin des recommandations de l'OMS.

Les puéricultrices possèdent déjà des compétences autour de la périnatalité, puisqu'elles sont formées à l'accompagnement des parents et enfants, quelles que soient leurs vulnérabilités, mais il est important d'envisager une évolution de notre formation.

Aujourd'hui, nous sommes plus de 23 000 puéricultrices déjà formées, dont 4 500 en PMI. Nous proposons de vous appuyer sur nos forces vives pour assurer la qualité des soins autour de ce sujet de la prévention.

Katia Saby. - Le maillage postnatal est à renforcer. Le nombre de pédiatres décroît en France. En 2022, ils étaient 8 682. Il y a en moyenne 12 pédiatres pour 100 000 enfants de moins de 15 ans en France. Nous nous interrogeons sur le suivi de la santé et de l'enfant et sur la façon dont nous pourrions y contribuer.

D'après le rapport de Michèle Peyron, seul 13 % des familles sont suivies par la PMI. La PMI est vraiment un axe important de l'accompagnement des enfants de 0 à 6 ans. Dans certains départements, le seul lien entre la maternité, le PRADO exercé par une sage-femme et ensuite l'accès à des informations auprès d'une puéricultrice est la PMI.

Le recours aux soins d'urgence pour les enfants de moins de deux ans est important : 6 % des passages aux urgences concernent 2 % de la population. Les parents viennent souvent consulter pour des problèmes de pleurs ou digestifs... ce sont plus des consultations à hauteur de la puéricultrice que des consultations d'urgence vitale, comme se doit de proposer l'institution hospitalière. Il a été expérimenté, notamment à Toulouse et à Lyon, des consultations de puéricultrices menées de manière autonome, ce qui a limité le recours aux urgences et surtout la réhospitalisation.

Des propositions de loi ont été faites pour que les infirmières puéricultrices puissent prescrire des dispositifs d'aide à l'allaitement, mais cela n'a pas abouti. Nous ne pouvons donc toujours pas prescrire de dispositif d'aide à l'allaitement alors que nous rencontrons des mamans qui en ont besoin dans nos consultations. Les sages-femmes, au contraire, font des consultations sur l'allaitement qui sont financées par l'assurance maladie sur la cotation mère-enfant.

Véronique Garlis Boulaire. - Le décret de 1998 relatif aux conditions techniques de fonctionnement auxquelles doivent satisfaire les établissements de santé pour être autorisés à pratiquer les activités d'obstétrique, de néonatalogie et de réanimation néonatale a mis en place des ratios du nombre de soignants auprès des enfants dans les services de périnatalité. Il prévoit la présence continue d'au moins un infirmier diplômé d'État, spécialisé en puériculture ou expérimenté en néonatologie pour deux nouveau-nés hospitalisés en réanimation néonatale un pour trois en soins intensifs de néonatalogie et un pour six en néonatologie. Le souhait à l'époque, je pense, était de pouvoir garder dans les services de soins les infirmières expérimentées en néonatologie, puisqu'elles dépendaient du référentiel de 1992 - le référentiel infirmier, dans lequel il y avait un module de pédiatrie - et étaient donc formées à s'occuper de l'enfant. Le décret parle bien « d'infirmière en puériculture ou infirmière expérimentée en néonatologie ». Cependant, au cours des années, on a pu donner une autre définition du terme « expérimentée ».

Depuis le nouveau référentiel infirmier de 2009, la pédiatrie n'est plus enseignée auprès des infirmières. À la sortie du DE, elles peuvent très bien être embauchées dans des services de réanimation néonatale, soins intensifs, néonatalogie sans avoir aucune connaissance. Or la compétence correspond à la connaissance évaluée en situation : n'ayant pas de connaissances, elles n'ont pas de compétence. Elles seront formées par mimétisme et ne prodigueront pas du soin personnalisé.

Cette médecine a énormément évolué depuis 1998. L'accompagnement des parents est de plus en plus présent. On a ouvert les services aux parents 24 heures sur 24 et on s'est rendu compte que pour ces enfants, il fallait que les parents soient présents au maximum auprès d'eux. On a aussi développé les soins de développement, ce qui permet d'améliorer l'avenir de ces enfants nés trop tôt. Il faut être forcément extrêmement formé pour pouvoir s'occuper des enfants prématurés. Or, il y a de plus en plus de naissances prématurées en raison de l'augmentation de l'obésité maternelle, des grossesses tardives et de la PMA.

Les puéricultrices sont dépendantes de la politique de recrutement des hôpitaux. Si l'hôpital a décidé de mener une politique de recrutement d'infirmières, il n'y aura pas de puéricultrices dans ses services. C'est peut-être une question d'économie, puisqu'une infirmière coûte légèrement moins cher qu'une puéricultrice. Après le covid, la prime de soins critique a été mise en place au bénéfice des infirmières et non des puéricultrices, avec des arguments quelquefois un peu légers, sans prendre en compte les compétences supplémentaires des puéricultrices.

Les puéricultrices ont pourtant toute leur place dans les services de soins de néonatologie, de réanimation néonatale et de soins intensifs néonataux. Elles ont aussi leur place dans le transport des prématurés. 

Elles peuvent préparer l'accompagnement parental dès la maternité. La puéricultrice va expliquer aux parents qu'ils sont des partenaires de soins. Il faut mobiliser deux soignants ou les parents pour pouvoir faire les soins afin de limiter le stress provoqué auprès de ces bébés. Ce sont des enjeux pour son avenir et son développement psychomoteur.

L'allaitement maternel, par exemple, c'est souvent la seule chose qu'une mère peut mettre en place pour son bébé prématuré.

Lorsqu'une puéricultrice s'occupe d'un enfant prématuré, elle accompagne aussi les parents dans des situations où, hélas, la mort est aussi prégnante. Il faut pouvoir les accompagner dans l'attachement, voire les amener à se détacher. Il faut des compétences particulières pour cela.

Il est important de reconnaître la pénibilité du travail en réanimation néonatale, la souffrance, la tension liée à l'urgence et le risque de décès qui est prégnant. La réanimation est un des services où il y a le plus de décès. Ce sont des soins extrêmement techniques sur des tout-petits.

Le décret de 1998 a donné le choix aux établissements de remplacer les auxiliaires de puériculture par des puéricultrices ou des infirmières. Quand on fait les soins à quatre mains, c'est soit avec les parents, soit avec une collègue. Cela veut dire qu'il y a un autre enfant qui est un peu plus seul pendant ce moment-là. Remettre les auxiliaires de puériculture serait là aussi une grande avancée.

Le décret de 1998 laisse le choix aux institutions. Positionner la puéricultrice comme obligatoire dans les services de réanimation néonatale, soins intensifs et néonatalogie, ce serait déjà aussi une grande avancée et mettrait en avant ces compétences.

Il faudrait augmenter le temps consacré à l'analyse de pratiques professionnelles, car il est très important de pouvoir réfléchir à ses pratiques de soins pour améliorer l'accueil des parents et de leurs enfants. Il faut aussi augmenter le temps de formation continue. Les hôpitaux sont contraints par la gestion RH, nous avons donc beaucoup de mal à dégager du temps pour que les professionnels se forment.

Nous préconisons aussi de valoriser le temps consacré à la formation des pairs et des étudiants. Actuellement, beaucoup de puéricultrices sont formées par des infirmières. Il avait été question de valoriser ce temps de tutorat lors du décret de 2009, mais cela n'a jamais été fait.

Enfin, il faut valoriser les compétences de la puéricultrice en la positionnant comme la référente du parcours du nouveau-né, de la réanimation néonatale à la sortie au domicile. Il serait utopiste de prétendre mettre une puéricultrice pour chaque enfant parce qu'il faudrait en former énormément et, pour l'instant, on n'arriverait pas aux quotas. En revanche, rendre obligatoire la présence d'une puéricultrice dans ce genre de service et reconnaître et mettre en valeur ses compétences sur la prévention et sur l'accompagnement permettrait d'améliorer la prise en soin de l'enfant et de ses parents. Cela sécuriserait aussi le transport néonatal, notamment parce que la puéricultrice possède des compétences techniques très importantes.

Isabelle Claudet, pédiatre à Toulouse, a réalisé en 2011 une étude comparant, sur une simulation de réanimation pédiatrique, les compétences des infirmières à celles des puéricultrices. Les puéricultrices ont été plus compétentes sur une prise en charge d'urgence. Elle a pu mettre en place, ensuite, des ateliers où les puéricultrices formaient les infirmières. C'est tout à fait ce qu'on peut demander dans les services de soins : qu'elles soient reconnues comme celles qui savent et qui forment les autres aux soins à l'enfant prématuré.

Il faut que tout cela soit institué le plus précocement possible, et que les parents soient considérés dès le début comme des partenaires de soin.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Les infirmières puéricultrices ont des compétences importantes, mais qui accompli les missions actuellement les missions que vous mentionnez, puisque vous nous expliquez qu'il y a beaucoup d'infirmières et que les puéricultrices ne sont pas assez présentes ? Avez-vous des formations dans tous les domaines que vous avez évoqués ? Quelles sont vos spécificités par rapport justement aux autres professionnels de santé que nous avons rencontrés et estimez-vous êtres les seules à pouvoir réaliser certains actes ?

Elisa Guises. - Il existe bien sûr des actes que tout le monde peut réaliser, parce qu'il suffit de les faire et de les répéter, mais seule la compétence permet qu'ils soient parfaitement en adéquation avec les besoins du moment.

Plus il y a d'infirmières non spécialisées dans un service, plus les médecins doivent s'investir pour les encadrer et assurer la sécurité. Lorsqu'il y a des puéricultrices, ils peuvent davantage s'appuyer sur les connaissances et les compétences ce celles-ci pour déléguer une partie de leur travail et ils se sentent plus sécures dans l'encadrement de l'enfant. Le nombre de puéricultrices joue donc aussi sur la charge de travail des médecins.

Katia Saby. - Je suis une puéricultrice de terrain. J'ai travaillé dix ans en réanimation néonatale et pédiatrique. J'ai également exercé en tant que directrice d'établissement semi-hospitalier d'accueil de jeunes enfants pour ensuite me diriger vers une autre pratique aujourd'hui. La différence avec mes collègues infirmières, c'est que si nous avons le même métier socle, c'est-à-dire l'acte de soin, la relation d'aide, le bien-être du patient, ma plus-value réside dans la formation de puéricultrice que j'ai effectuée au cours de mon travail. J'ai travaillé trois ans en réanimation néonatale, mais je me rendais bien compte qu'il y avait des choses qui me manquaient et que ma pratique pouvait être défaillante. Je suis venue mettre des lunettes dans ma pratique professionnelle et je me suis rendu compte à quel point j'avais parfois été maltraitante, malgré moi, auprès de ces enfants qui étaient si fragiles.

La théorie de l'attachement de John Bowlby, par exemple, est un des socles premiers de notre formation de puéricultrice. L'attachement est très important dans la tranche du 0-3 ans. Ce sont les fondations de l'être et de la relation sociale à l'âge adulte. Nous sommes formées à détecter les troubles, à accompagner les difficultés d'attachement, autant du côté parental que du côté du bébé nouveau-né. Malgré notre année de formation, il nous faut encore mûrir cette expertise de l'attachement. On parle de banding, de caregiving, de caregiver,.. c'est vraiment du vocabulaire très spécifique et un regard extrêmement spécifique. Il est difficile de faire reconnaître notre expertise de l'enfant, parce que notre travail ne se voit pas, mais une infirmière n'est pas capable de déceler des troubles dans la capacité d'attachement, du parent si elle n'a pas eu de formation initiale à l'attachement.

En outre, il faut avoir recours à des modèles particuliers pour comprendre les bébés. Les soins de développement, notamment, parlent de la théorie synactive : on va regarder le bébé en profondeur et parler de son aspect végétatif, de son moteur, de son sommeil, de son alimentation, de sa capacité d'interaction. Nous sommes formées à faire du repérage sur le développement de l'enfant dès le stade du nouveau-né prématuré : nous pouvons voir qu'un enfant se laisse mourir ou qu'il est en cours de dépression. Cela nous permet de tisser le lien d'attachement avec le parent et de lui dire : « vous êtes ce corrégulateur qui va aider l'enfant à traverser cette période difficile ». Nous pouvons faire ce travail de finesse d'attachement qui peut ensuite diminuer les violences infantiles, qui peut diminuer également les handicaps, qui peut même diminuer le suicide maternel puisqu'on est là pour rendre la mère compétente. Nous nous étions proposées pour contribuer à l'entretien postnatal précoce parce que nous avons les compétences pour repérer la dépression de l'adulte puisque notre formation socle est l'adulte, mais aussi la dépression de l'enfant. L'infirmière n'a pas cette expertise.

Véronique Garlis Boulaire. - Vous demandez qui fait ce travail : ce sont les infirmières qui le font, mais nous devons aujourd'hui nous interroger, puisque cela ne va pas. Elles sont dans le mimétisme.

J'ai moi aussi commencé comme infirmière et effectué ma formation de puéricultrice par la suite et je me suis dit « Pourquoi je travaillais comme cela avant ? » La puéricultrice prend en charge globalement l'enfant et établit des liens, ce que les infirmières ne peuvent pas faire puisqu'elles n'ont pas les connaissances. Un enfant peut changer de services au cours d'une même une journée en périnatalité ; des puéricultrices l'accompagnent.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Il y a aussi des médecins.

Véronique Garlis Boulaire. - Bien sûr. On travaille à l'hôpital, donc on travaille en équipe, tous ensemble.

Anne Metivet. - Notre propos n'est pas de dire que les autres font mal. Nous nous battons pour nous rendre visibles. La population générale ignore ce qu'est une infirmière puéricultrice. Très peu savent que nous sommes d'abord infirmières ou sages-femmes. Sur le terrain, en revanche, notre expertise est connue, car les parents et professionnels savent très bien faire la différence. Nous avons un vrai besoin de visibilité, de reconnaissance de tout cet appui scientifique et théorique sur lequel nous travaillons pendant une année de formation.

Le travail est fait, oui, mais il peut être encore mieux fait si on met les bonnes personnes au bon endroit, avec les bonnes compétences, justement pour faire monter tout le monde en compétences.

Katia Saby. - Nous sommes centrées sur l'enfant. Les parents sont à la recherche d'une information juste. Nous repérons dans tous nos lieux d'exercice qu'ils sont confrontés à des discours sur la parentalité, du coaching parental, du matériel inadapté promu par des publicités, et s'y engouffrent. Cela nous effraye. C'est une vraie difficulté pour nous et un vrai danger pour l'enfant.

Elisa Guises. - Il serait utile de réactiver une commission de surveillance de ces publicités, car on trouve des choses absolument inadmissibles, que l'on peut en plus se procurer facilement sur Internet. Il y a l'idée que plus on a d'objets de puériculture autour de son enfant, mieux c'est.

Katia Saby. - Nous ne pouvons rien faire contre le commerce, mais nous pouvons sensibiliser les parents dans l'espace périnatal, en lien avec les autres professionnels.

Elisa Guises. - En outre, l'objet de puériculture remplace parfois le parent : pour eux, cela assure une sécurité qu'eux-mêmes n'ont donc pas à assurer.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Merci pour vos interventions. Je laisse la parole à notre rapporteure Véronique Guillotin.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Concernant la formation, pouvez-vous préciser qui peut y accéder, quelles sont les statistiques ? Est-ce qu'il manque des écoles de formation sur le territoire ? Est-ce que c'est homogène ou hétérogène sur l'ensemble du pays et les Outre-mer ?

Pouvez-vous exercer en libéral ?

Pourquoi 13 % des familles seulement sont-elles suivies en PMI ? Est-ce que les autres préfèrent être directement suivies chez le pédiatre, par exemple, ou chez le médecin généraliste, et qu'est-ce qui est possible pour remédier à cela ? Cela veut dire qu'il y a peut-être des familles qui ne sont peut-être pas suivies du tout, ou alors ce sont les familles les plus paupérisées qui viennent en PMI.

Anne Metivet. - Une puéricultrice peut être soit infirmière, donc trois ans d'études avec un diplôme d'État, soit sage-femme. Le référentiel de formation date de 1983. Il s'agit de la dernière spécialité à ne pas avoir été réformée. La formation dure douze mois, la moitié de stages, la moitié de cours théoriques, avec des programmes extrêmement lourds. Concernant le nombre d'écoles, deux ont été ouvertes cette année, à Brest et à Poitiers, mais nous nous heurtons à une importante problématique d'attractivité. La difficulté à recruter soit de jeunes infirmières, soit des infirmières en formation s'explique en partie par un manque de financement des établissements. En outre, de plus en plus de CAE (contrat d'allocations et d'études) sont proposés aux étudiants en soins infirmiers dès la deuxième année, qui les engagent pour au moins 18 mois après le diplôme. Même s'ils ont ce projet de faire la spécialité en puréiculture, on connaît les difficultés financières des étudiants : ils s'engagent dans un CAE et une fois qu'ils sont en poste, ils ne viennent plus en formation. On constate aussi une chute du nombre d'infirmiers diplômés. Forcément, s'il y a moins d'infirmiers, il y a moins de spécialités.

L'une des pistes d'amélioration serait de réformer le diplôme sur un niveau master, avec de la pratique avancée et une vraie entrée dans l'université. Nous sommes la seule spécialisation à ne pas être en lien avec l'université. Toutes les associations qui sont présentes ici ont travaillé à la réingénierie du diplôme et tout est prêt pour les discussions. Le manque d'attractivité est dû aussi à ce niveau qui n'est ni une licence, ni un master, ni un M1.

Véronique Garlis Boulaire. - L'école de Brest, qui vient d'ouvrir, a pu présenter 60 personnes au concours cette année. Il faut savoir aussi que l'école de puéricultrices n'est pas prise en charge par les hôpitaux ; il n'y a pas de promotion professionnelle ou très peu, en fonction de la politique de l'hôpital. La scolarité coûte entre 8 500 et 12 000 euros l'année.

Par ailleurs, les jeunes étudiantes tombent de haut puisque, comme notre référentiel a 40 ans, on a encore des tests psychotechniques et un entretien. Les puéricultrices en formation sont des jeunes femmes très motivées, car il faut étudier 18 ans de vie en 12 mois.

Elisa Guises. - Notre diplôme d'État a été créé sous le nom « Puéricultrices ». Toutefois, devant la difficulté de compréhension de ce nom par les familles en particulier, qui confondaient souvent auxiliaire de puériculture et puéricultrices, nous disons maintenant « infirmière-puéricultrice » pour bien valoriser le fait que nous sommes une spécialité qui complète une formation d'infirmière.

Katia Saby. - Il y aurait environ 1 200 infirmières puéricultrices installées en libéral en France, sous un statut conventionné ou le plus souvent non conventionné, puisque les compétences de puéricultrices ne font l'objet d'aucun parcours de soins ni d'aucune nomenclature. Et de ce fait, les infirmières puéricultrices en libéral exercent leur coeur de métier en non conventionné. Beaucoup de puéricultrices font du soin technique infirmier classique auprès des enfants, mais sont aussi obligées d'avoir une patientèle adulte pour assurer leurs finances.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Il n'existe pas de codification des actes de puériculture ?

Katia Saby. - Non.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Qui vous adresse les patients en libéral ? Est-ce une démarche individuelle, volontaire, ou est-ce que vous faites partie d'un parcours de soins ? Est-ce des patients vous sont adressés par l'hôpital, la maternité, des médecins, ou des pédiatres ?

Katia Saby. - Nous ne faisons pas partie d'un parcours de soins normé. Pour ma part, je suis installée en libéral depuis deux ans et demi ; j'ai la chance d'avoir tissé un réseau dans la pédiatrie et le réseau périnatal du département où je travaille. Les patients me sont adressés par des médecins généralistes, des pédiatres, des sages-femmes, mais aussi des kinésithérapeutes, des ostéopathes, le bouche à oreille ou Internet.

La consultation n'étant pas remboursée, j'effectue beaucoup de consultations bénévoles car il n'est pas toujours acceptable, pour moi, de refaire payer 50 euros pour une consultation de suivi.

Elisa Guises. - La PMI est un outil merveilleux, créé en 1945, que beaucoup de pays nous envient. Malgré tout, elle ne rencontre pas le succès qu'elle mérite. Il reste l'image selon laquelle la PMI est destinée aux familles en difficulté, ou l'idée que les professionnels au sein des PMI sont surchargés de travail. Il est également possible qu'il n'y ait pas suffisamment de publicité en maternité. Les puéricultrices de PMI pourraient venir en maternité présenter ce qu'elles font, ce qu'elles sont, comment elles travaillent et ce qu'elles peuvent accompagner. Il faut que toutes les familles qui ont seulement besoin de parler de leur enfant puissent avoir accès à la PMI.

Il y a peut-être également un effet secondaire du PRADO, parce que les sages-femmes vont très précocement au domicile, ce qui entraîne un retard dans le lien avec la PMI. Peut-être que les familles ont l'impression que la PMI est moins utile.

M. Laurent Somon. - Je suis très surpris de ce taux de 13 % de recours à la PMI. Existe-t-il des explications territoriales ? Dans le Nord, par exemple, il y a beaucoup de bus et une très bonne relation, a priori, avec les hôpitaux.

Elisa Guises. - Il y a certainement une hétérogénéité. Il existe aussi un phénomène qui s'est produit depuis quelques années : le manque de médecins en PMI et le relais qui se fait petit à petit par les puéricultrices. En effet, on s'est rendu compte que le médecin assurait beaucoup de consultations de suivi du développement de l'enfant, pas obligatoirement centrées sur de la pathologie, et que les puéricultrices pouvaient assez facilement prendre le relais. C'est ce qui se fait d'ailleurs dans beaucoup de départements.

Les PMI ont baissé un petit peu leurs prétentions dans beaucoup d'endroits parce qu'elles ne prennent quasiment plus en charge les enfants au-delà de deux ans. Elles se centrent essentiellement sur les plus petits, ce qui est une excellente chose compte tenu des besoins primordiaux, mais ce qui affaiblit la prise en charge plus tard.

Les puéricultrices peuvent prendre le relais, mais le problème est que les consultations de médecins à la PMI sont remboursées par l'Assurance maladie, ce qui n'est pas le cas de celles des puéricultrices puisque nous n'avons pas de nomenclature. Là, il y a une amélioration possible.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Elles ne sont pas remboursées comme infirmières, puisque vous êtes infirmière puéricultrice ?

Elisa Guises. - Quelquefois, elles déclarent un AMI. Dans certains départements, c'est considéré comme un acte infirmier. Il pourrait y avoir une nomenclature spécifique.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Quel serait votre positionnement idéal par rapport aux autres professions, que ce soit les médecins, les pédiatres, les sages-femmes, les infirmières et les puéricultrices ?

Anne Metivet. - Ce sont nos deux premières propositions. Réformer notre formation pour répondre aux besoins des enfants et des parents et placer la puéricultrice au coeur de ce parcours de santé de l'enfant. Nous avons aussi abordé la coordination du parcours. Si la puéricultrice était vraiment positionnée en tant que coordinatrice du parcours de soins de l'enfant, étant donné qu'elle peut être présente en anténatal, à la maternité et à tous les âges de la vie, cela permettrait d'avoir un parcours coordonné et d'éviter les échappatoires qu'on peut rencontrer aujourd'hui.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Nous avons aussi entendu cela chez les sages-femmes. Comment imbriquer tout cela ?

Katia Saby. - Nous avons l'habitude de travailler avec les sages-femmes. La sage-femme a une formation sur l'enfant jusqu'à 28 jours, puis la puéricultrice peut prendre le relais. Nous nous verrions vraiment comme un maillon, c'est-à-dire que la sage-femme serait référente de la femme, l'infirmière puéricultrice référente du parcours de soins de l'enfant et de la famille, et le médecin généraliste le référent de la famille. C'est une collaboration pluriprofessionnelle. Cela ne va pas se faire tout de suite. On a bien conscience qu'étant seulement 23 000, au vu du nombre de naissances par an, on n'y arrivera pas.

Anne Metivet. - La présidente du CNP a bien dit que l'expertise de la sage-femme, c'était la grossesse et tout le post-partum immédiat. Notre expertise porte sur la santé de l'enfant. L'entrée à l'université de notre parcours de formation serait une reconnaissance de cette expertise.

Mme Céline Brulin. - Certains pays ont-ils déjà ce type de parcours coordonné ?

Elisa Guises. - La puéricultrice telle que nous la connaissons n'existe qu'en France. L'Europe aurait intérêt à travailler sur ce sujet. Ce travail avait été démarré par une ancienne directrice d'école qui représentait les puéricultrices à Bruxelles, mais il n'a jamais abouti à la création d'un métier unique cohérent en Europe.

Cependant, on retrouve des éléments de ce que nous sommes dans différents pays. Par exemple, en Irlande ou même en Écosse, il existe une infirmière de la santé de la mère et de l'enfant, qui est un petit peu ce qu'est la puéricultrice de PMI. Le Luxembourg est en train de créer une formation de puéricultrice.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Qu'en est-il des outre-mer ?

Anne Metivet. - Les puéricultrices viennent souvent se former en métropole, puis retournent dans les DROM où elles forment leurs collègues infirmières. Il existe quand même quelques écoles à la Réunion, à Mayotte et en Guyane.

Faire reconnaître ce diplôme au niveau européen offrirait aussi aux puéricultrices une mobilité internationale. En Europe, ces diplômes ont toujours un niveau Master.

Elisa Guises. - En outre-mer, les puéricultrices ont plus de responsabilités qu'en métropole, par manque de médecins. Par exemple, en PMI, elles assurent souvent des consultations depuis longtemps.

Mme Annick Jacquemet, présidente de la mission d'information. - Je vous remercie. Nous allons très rapidement vous faire parvenir un questionnaire auquel vous voudrez bien nous donner une réponse détaillée.

La réunion est close à 14 h 45.

La réunion est ouverte à 16 h 30.

Audition d'associations - Mme Charlotte Bouvard, directrice fondatrice, et M. Vincent Desdoit, responsable de la formation et des relations avec les soignants, de SOS préma, Mmes Anne Evrard, co-présidente du Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE), Marie-Pierre Gariel, trésorière de France assos santé

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mes chers collègues, dans le cadre des travaux de notre mission d'information sur la santé périnatale et son organisation territoriale, nous entendons cet après-midi trois associations agréées pour représenter les patients et les usagers du système de santé : le Ciane (Collectif interassociatif autour de la naissance), France assos santé, collectif d'une centaine d'associations, représenté ici par une administratrice de l'Unaf (Union nationale des associations familiales) et Sos Préma, association d'aide aux familles confrontées à la prématurité ou à l'hospitalisation de leur nouveau-né.

Après avoir entendu de nombreux professionnels de santé au cours des deux dernières semaines, ainsi que des chercheurs en épidémiologie hier, il nous a semblé essentiel de recueillir les réflexions et préoccupations des premières personnes concernées : les jeunes mères et les familles des nouveau-nés.

Nos premières auditions mettent en lumière une préoccupation générale sur la situation de la santé périnatale, au regard des indicateurs de mortalité néonatale, infantile ou maternelle, mais aussi de différents facteurs de risques, liés à un âge maternel plus tardif, à une augmentation de la précarité, à une plus forte prévalence de l'obésité et à une santé mentale dégradée. Vous nous direz quel regard vous portez sur la prise en compte de ces facteurs de risques dans notre système de santé actuel.

Nous voulons surtout échanger avec vous sur la prise en charge des mères et de leurs bébés et sur l'organisation des soins qui leur sont proposés, d'un point de vue tant médical que territorial.

Si les mères semblent globalement satisfaites de la prise en charge de leur grossesse - qui fait désormais l'objet d'un accompagnement très complet - mais aussi de leur accouchement, cette appréciation pourrait évoluer dans le cadre des réflexions en cours sur le maillage territorial des maternités et sur l'équilibre entre proximité d'une part et qualité et sécurité des soins, d'autre part. En effet, dans un contexte de pénurie de professionnels de santé et de difficultés structurelles d'un certain nombre de maternités, contraintes à des fermetures temporaires plus ou moins longues, l'académie de médecine a recommandé l'année dernière une rationalisation du nombre de structures. Il nous sera donc intéressant d'entendre vos réactions à ce rapport et votre analyse des préconisations de l'académie.

Par ailleurs, il nous semble que des leviers existent pour améliorer le suivi post-natal des mères et de leurs bébés, notamment s'agissant des plus vulnérables. Vous nous direz quel regard vous portez sur ce suivi, sur la façon dont les usagers perçoivent l'articulation entre hôpital, médecine de ville et protection maternelle infantile (PMI), et vos recommandations en la matière.

Je vais vous laisser la parole sans attendre pour que vous puissiez présenter les principaux enjeux identifiés par vos associations. Dans un premier temps, vous voudrez bien limiter votre intervention à quelques minutes pour chacun de vos trois organismes. Je passerai ensuite la parole à Véronique Guillotin, notre rapporteure, pour une première série de questions.

Je précise que notre réunion est diffusée en direct sur le site internet du Sénat et sera ensuite consultable en vidéo à la demande.

Mme Charlotte Bouvard, directrice fondatrice de SOS préma. - Je vous remercie de votre invitation car il est important d'entendre les usagers du système de santé. Je vous présente également mes excuses car comme je vous l'avais indiqué, il me faut partir dans 30 minutes car j'ai une obligation familiale à laquelle je ne peux pas échapper. J'ai fondé l'association SOS préma il y aura 20 ans en octobre prochain, après une expérience personnelle de la prématurité. Je suis venue avec Vincent Desdois, également « père » fondateur de SOS préma : il est responsable de la formation et des relations avec les hôpitaux et connaît bien l'organisation des soins. Nous sommes venus à deux mais, en réalité, à bien plus puisque, derrière la porte, vous avez 55 000 nouveau-nés prématurés, qui naissent chaque année avant huit mois de grossesse, 100 000 pères et mères concernés par des grossesses multiples ainsi que 400 000 grands-parents. De plus, comme on ne sait qu'à sept ans s'il y a des répercussions de cette prématurité sur l'enfant, il faut multiplier par sept ces chiffres et ce sont donc 3,5 millions de personnes qui sont devant le Palais du Luxembourg et attendent de nous tous que nous retroussions nos manches pour attaquer ce problème bien réel. J'ajoute à cette énumération tous les professionnels de la périnatalité avec lesquels nous avons fait alliance depuis de nombreuses années pour nous efforcer de parler d'une seule voix car nous avons tous le même objectif, à savoir l'enfant qui est l'adulte de demain. Aujourd'hui, je vous parle de l'enfant prématuré qui est le plus petit et le plus vulnérable. Pour illustrer la vulnérabilité de cet enfant, je vous montre la minuscule couche d'un nouveau-né prématuré en réanimation, d'environ cinq mois, comme ceux qui sont accueillis dans la maternité de l'hôpital Robert-Debré que vous avez visitée. La vulnérabilité est également celle de la famille de ces enfants, puisque la prématurité agit comme un accident et un traumatisme dans la vie de l'entourage et des parents, en produisant un effet domino. Il y a d'abord l'accident et l'accouchement prématuré, où on donne la vie en présence de la mort à ses côtés, et après il peut y avoir la précarité sous forme de divorces ou de dépressions. On a parlé de 19 % de dépressions au cours de vos auditions et la proportion dépasse 40 % pour les mamans de SOS préma ; nous n'avons pas de chiffres concernant les pères, mais je pense que les proportions sont assez voisines. S'ajoutent aux divorces et aux dépressions les séquelles médicales qui sont autant de problèmes humains et sociaux rendant cette population particulièrement vulnérable et dont il faut prendre soin : ce n'est pas de l'assistanat mais de l'assistance à famille en danger. L'équation est simple car on sait ce qu'il faut faire : vous avez entendu les solutions proposées par les professionnels et, tous ensemble, nous les appuyons. La tâche est cependant complexe parce qu'elle concerne le système dans son ensemble et il faut également beaucoup de courage politique pour s'y attaquer car elle implique la réorganisation des accouchements avec la fermeture des petites maternités - j'y reviendrai. Relever le défi implique aussi l'implémentation des soins de développement - qui sont les meilleurs -, une réorganisation et l'uniformisation d'un bon suivi.

Tout d'abord, je sais que tout le monde n'est pas d'accord sur ce point mais en tout cas SOS préma souhaite la fermeture des petites structures qui mettent en danger la vie des femmes et des enfants.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Pouvez-vous préciser ce que vous entendez par petites structures ?

Mme Charlotte Bouvard. - Je commencerai par inclure dans cette catégorie les 50 petites structures qui sont hors la loi car elles sont dépourvues de pédiatres : cela a déjà été mentionné dans vos auditions et ce n'est pas acceptable pour les usagers. Ceux qui le savent, comme le disait je crois le professeur Rozé, n'y enverront jamais leurs amis ou leurs enfants, mais ceux qui ignorent l'absence de pédiatre de garde iront dans ces maternités et seront ainsi envoyés dans un lieu « insécure ». Nous souhaitons donc une réorganisation des maternités avec des grandes structures rassemblant plusieurs projets de soins - puisque chaque famille doit avoir son projet d'accouchement ou de naissance - attenant à des plateaux techniques : cette contiguïté est fondamentale pour la sécurité. Je suis très en colère contre les politiques locaux qui vont faire passer leur intérêt électoral avant la sécurité de leurs concitoyens.

(Murmures de désapprobation de M. Patrice Joly)

Si on informe les mères et les jeunes parents des risques encourus en cas d'accouchement dans des maternités sans pédiatre, je pense que ces personnes n'iront pas manifester et je souhaite donc vraiment que cette population soit renseignée.

Deuxièmement, il faut implémenter les meilleurs soins : on les connaît puisqu'il suffit d'oberver, dans les pays du Nord, la pratique des soins de développement. Il s'agit de soins individualisés, basés sur l'observation de l'enfant et centrés sur l'enfant ainsi que sa famille, avec une obligation de présence des parents 24 heures sur 24. On a déjà perdu 14 ans pour les systématiser puisque, dès 2010, une étude scientifique a démontré que ces soins de développement donnés par les parents - allaitement, peau à peau, etc. - réduisent le temps d'hospitalisation de 5,3 jours, améliorent le développement de l'enfant à tous les niveaux et le lien parent-enfant. Qu'est-ce qu'on attend pour rendre ces soins de développement obligatoires ?

En troisième lieu, il faut organiser et uniformiser un suivi de qualité. On peut par exemple s'inspirer des parcours de soins précoces et coordonnées du nouveau-né vulnérable (Cocon) de prise en charge des enfants vulnérables : lancés dans le sud de la France, ces parcours sont en train de se généraliser.

En conclusion, nous sommes depuis presque 20 ans sur le terrain. Nous avons 85 antennes en France et nous sommes nombreux ; on vous offre notre expertise, mais il faut du courage politique dans ce domaine et on compte vraiment sur vous.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Connaissez-vous le nombre de prématurés qui naissent en maternité de type 1 et disposez-vous de statistiques par rapport aux maternités de type 2 et 3 ? Dans le cas contraire, pourrez-vous nous aider à nous les procurer ?

Mme Charlotte Bouvard. - Parfois, les accouchements ne se passent malheureusement pas au bon endroit ; en tout cas, sur les 55 000 naissances prématurées, 85 % ont lieu entre sept et huit mois et 15 % en dessous de sept mois ; ces dernières peuvent nécessiter une réanimation et tout dépend, entre autres, de la maturité pulmonaire. Je ne dispose pas de chiffres détaillés permettant de vous donner les chiffres précis sur les naissances « au mauvais endroit » mais je pense que la Société Française de Néonatologie (SFN) pourrait vous répondre sur ce point.

M. Vincent Desdoit, responsable de la formation et des relations avec les soignants de SOS préma. - En complément, j'indique que les chiffres que vous recherchez sont très difficiles à obtenir car il s'agit d'incidents dont on ne se vante pas. On utilise aujourd'hui le terme de naissances dite « outborn » quand elles ont lieu dans une maternité de type non adapté ; ce n'est pas le genre de données qu'on cherche à mettre en avant et des rapports ne mentionnent même pas le nombre détaillé d'enfants qui ne naissent pas au bon endroit, entre les niveaux 2A, 2B et 3. Je pense qu'il a beaucoup trop et beaucoup plus de mauvaises orientations qu'on ne le croit habituellement.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - C'est un problème récurrent : on dispose de données fragmentées mais pas de données consolidées. J'ose espérer qu'il y a une transparence dans les déclarations mais les événements ne sont pas reliés au type de maternité. Il faut donc avancer sur le sujet mais, pour le moment, le mode de recueil de données et de consolidation de ces dernières nous empêche d'avoir des informations significatives.

Mme Charlotte Bouvard. - Exactement, on a un problème de recueil de données car la France est, je crois, à peu près le seul pays n'ayant pas de registre adapté.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Vous nous direz si, par l'intermédiaire de votre association, vous pouvez vous procurer des informations plus précises à ce sujet.

Mme Anne Evrard, co-présidente du Collectif interassociatif autour de la naissance (CIANE). - Merci de me recevoir. Je représente ici le Collectif interassociatif autour de la naissance qui rassemble une vingtaine d'associations intervenant dans le champ qui va du désir d'enfant jusqu'au premier mois avec l'enfant. Nos membres sont à la fois des associations généralistes et des associations ciblées sur certains types de situations, comme des femmes ayant vécu ou allant vivre une césarienne et femmes souffrant de pathologies particulières. L'Alliance Francophone pour l'Accouchement Respecté (AFAR), qui est également membre de la CIANE, s'occupe plutôt des liens avec les autres associations francophones.

J'axerai mon propos sur deux points. Je vous ai d'abord transmis le rapport élaboré à partir d'une enquête que nous avons menée en 2021 - et publiée en 2022 - qui, en collaboration avec Santé Publique France, a tenté de savoir si le système de soins actuel en périnatalité était plutôt pourvoyeur de sécurité ou d'insécurité, au niveau du vécu, pour les femmes et les bébés. Il en ressort que, sauf sur quelques points spécifiques, les femmes interrogées dans l'enquête nationale périnatale se déclarent globalement satisfaites de leur suivi. Cependant, le suivi de grossesse et l'organisation des soins ont été globalement perçus comme un facteur d'insécurité maternelle. C'est un point paradoxal car il ne s'agit pas nécessairement d'un facteur d'insécurité médicale - bien que cet aspect puisse aussi être présent, j'y reviendrai - mais d'un réel facteur de stress et d'insécurité personnelle ou émotionnelle dès le début de la grossesse, avec la recherche du professionnel qui devra suivre la grossesse et une organisation morcelée renvoyant les femmes à des interlocuteurs multiples, pas toujours choisis, et ce jusqu'à leur retour à la maison. On constatait alors que l'état émotionnel des femmes au moment de l'accouchement et du retour à la maison était extrêmement préoccupant ; leur sécurité, tant physique que psychique, était souvent insatisfaisante, selon les déclarations de ces femmes.

Mme Annick Jacquemet, présidente- Parlez-vous d'une émotion naturelle ou d'un état de stress relié à la difficulté de trouver des professionnels de santé ?

Mme Anne Evrard. - En l'occurrence, il s'agit bien d'émotions imputables au parcours, à la fois dans la recherche des professionnels et du lieu de naissance. Je souligne que les femmes, en milieu rural, sont confrontées à l'éloignement des maternités mais il ne faut pas oublier les zones urbaines ou périurbaines où les maternités ne sont pas forcément facile d'accès, avec des difficultés de transport pour des populations n'ayant pas de moyens personnels de mobilité. On a donc tendance à penser que les territoires qui posent le plus de problèmes aux parents sont situés en zone rurale mais on constate que ce n'est pas seulement le cas puisque les zones urbaines et le phénomène des banlieues peuvent générer de réelles insécurités en raison du manque de transports en commun. Cette insécurité anxiogène a été constatée au stade du suivi de la grossesse ainsi que par une prise en compte insatisfaisante des besoins globaux de la mère au moment de l'accouchement et dans les suites de couches : près d'un tiers des multipares et près de la moitié des primipares ont indiqué qu'on n'avait pas porté assez attention à leur forme physique et psychique au moment de leur séjour en maternité.

Je sors à l'instant de la journée de rendu du rapport sur la mortalité maternelle et je pense qu'on ne peut pas aborder la question périnatale en séparant, d'un côté, l'organisation des soins, du réseau ou du maillage territorial et, de l'autre, les pratiques. Sans nécessairement différencier le type de maternité, ce rapport s'est interrogé sur la mortalité infantile dans les années 2016-2018 en confirmant les données du rapport précédent, à savoir que la principale causes de mortalité maternelle est d'abord le suicide dont le niveau s'est maintenu ; à ce sujet, les rapporteurs ont fait remarquer que les prochaines données prendront en compte la période Covid et post-Covid pendant laquelle la santé mentale ne s'est pas améliorée, ce qui fait craindre une dégradation des chiffres de suicide dans les publications ultérieures. S'agissant des autres causes, comme les maladies cardiovasculaires, et même si l'hémorragie a largement régressé, la question des prises en charge reste au coeur des causes de mortalité. En matière d'hémorragie, 95 % des décès étaient évitables et 94 % étaient en lien avec l'organisation des soins. La logique est la même pour les suicides, avec 79 % des suicides évitables et 70 % liés à l'organisation des soins.

Les enjeux en périnatalité ont sans doute beaucoup évolué et on ne peut plus réduire celle-ci au suivi de la grossesse et à l'état de la mère et de l'enfant au sortir de la maternité. Les avancées dans le champ du neurodéveloppement dictent une approche beaucoup plus globale car on connaît maintenant les effets sur l'enfant de la mauvaise santé des parents. De plus, des études commencent à être publiées sur l'état de santé maternel et paternel, avec au moins 10 % des pères impactés par la dépression post-partum. Malgré cette prise de conscience, l'approche demeure a priori très peu coordonnée ; la politique périnatale n'est pas très claire, avec des régions qui fonctionnent de façon très différenciée selon les l'ARS (agences régionales de santé). En observant le fonctionnement et le mode de financement de ces dernières, j'ai l'habitude de dire qu'on a l'impression d'être dans un pays fédéral, ce qui est assez perturbant puisque nous sommes dans un État unitaire. On s'aperçoit aussi que certaines avancées qui allaient vers une meilleure prise en compte des besoins de la mère, de l'enfant et du père sont mises de côté. Malgré la politique des « 1000 premiers jours », on n'a pas non plus une feuille de route très claire pour les années à venir sur la prise en compte globale des besoins des parents et de l'enfant. Charlotte Bouvard a mentionné le cas des maternités qui manquent de pédiatre et j'ajoute que le système fonctionne encore sur la base de décrets de périnatalité anciens ; le travail d'actualisation amorcé avant la pandémie n'a pas abouti et il ne semble pas être remis sur le tapis. La situation actuelle soulève ainsi beaucoup d'interrogations sur la lisibilité des événements à venir pour garantir une politique cohérente.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - On nous a déjà beaucoup parlé de ces décrets.

Mme Marie-Pierre Gariel, trésorière de France assos santé. - Merci pour votre invitation. Je suis trésorière de France assos santé, collectif chargé de défendre les intérêts et de représenter les usagers du service du système de santé. Parmi les associations membres, l'Union Nationale des Associations Familiales (UNAF) représente des usagers qui ne sont pas nécessairement malades et la diversité des associations que nous représentons permet de porter un regard plus global sur la santé et donc sur la périnatalité.

Je partage de nombreux propos qui ont été tenus par l'oratrice précédente.

Autant de parents, autant d'histoires, autant de situations différentes : telle est l'histoire humaine de la naissance. Une femme isolée pendant sa grossesse, son accouchement et par la suite, est d'une vulnérabilité absolument terrible. À l'inverse, une femme valorisée et soutenue par son mari ou son conjoint fera de ce moment, même s'il y a des difficultés, quelque chose de très beau. La vulnérabilité actuelle autour de la naissance se rattache donc souvent à l'instabilité conjugale et aux ruptures familiales. De nombreuses femmes se retrouvent seules à l'annonce de la grossesse et subissent, au milieu de quelque chose qui devrait être beau, une triple peine puisque dans bien des cas, les femmes ont pu penser à l'avortement mais n'y ont pas eu recours, elles gardent le bébé et se retrouvent seules.

Pendant la grossesse, la femme a besoin de soins parce qu'on est dans le domaine médical, mais pas seulement. En effet, la grossesse semble actuellement très surinvestie, l'arrivée d'un enfant devenant, pour certains, « la cerise sur le gâteau d'une vie réussie » avec énormément d'attentes et de besoins. En même temps, les situations sont extrêmement variées. Certaines femmes vivent très bien ce moment : de façon générale, le parcours de soins pour les femmes enceintes est très bien organisé en France et tout le monde dit qu'on s'y retrouve. Cependant, certaines femmes sont plus attachées à avoir une relation personnelle avec un acteur de la santé et regrettent effectivement la multiplicité de ceux-ci à travers les soins et les visites obligatoires. Certaines, qui ont besoin d'un rapport privilégié pour pouvoir se préparer à l'accouchement, auront la chance de pouvoir choisir une sage-femme qui leur sera dédiée et les mamans ou futures mamans parlent d'ailleurs entre elles de « ma » sage-femme quand elles sont enceintes. Les mères ont également besoin d'être rassurées et accompagnées pour l'accouchement ; je fais cependant observer qu'on ne parle pas assez de préparation pour les soins du bébé alors que les sorties de maternité sont extrêmement précoces. Ainsi, le temps qui autrefois était consacré à acculturer la maman et l'aider à prendre ce rôle de mère est révolu. Les familles étant très dispersées, les jeunes mères - au moins celles dont c'est le premier accouchement - se posent beaucoup de questions. Pendant la grossesse, j'appelle donc à être attentifs au besoin de calmer l'angoisse des mamans, sachant que le parcours de soins ou d'examens peut lui-même être anxiogène pour certaines d'entre elles ; je pense notamment au dépistage de la trisomie 21 qui comporte un écart temporel important entre la prise de sang et le résultat, ce qui est une source d'angoisse pour les mamans en tout début de grossesse. Le climat très anxiogène de cette période pour certaines femmes amène à suggérer de reconsidérer la grossesse comme un phénomène naturel, malgré le besoin de soins, en particulier pour les grossesses qui se passent mal et peuvent se traduire par une prématurité. De plus, la grossesse est un moment propice à faire de la prévention globale en insistant sur la lutte contre l'alcoolisation foetale et sur les bienfaits d'une bonne hygiène alimentaire de la maman. Nous plaidons beaucoup pour qu'une relation privilégiée de la mère avec une sage-femme permette de vivre cette période de façon positive.

On retrouve ensuite tout le spectre des possibilités au moment de l'accouchement avec, par exemple, l'angoisse de la durée de transport nécessaire pour aller à la maternité et l'éventuelle location d'une chambre d'hôtel à proximité pour être sûre d'arriver à l'heure. À l'inverse, d'autres mamans vont revendiquer l'accouchement à domicile parce qu'elles estiment que celui-ci est généralement trop médicalisé. Là encore, il faut faire preuve de souplesse et surtout garantir une visibilité du parcours de soins avec une articulation entre l'ensemble des acteurs que les mamans peuvent rencontrer et qui leur permettent de faire un choix éclairé sur le mode d'accouchement qu'elles vont finalement choisir, entre la clinique privée, l'accouchement à domicile ou le rapprochement des parents de la mère.

En sortie de maternité, j'insisterai sur la situation des femmes vulnérables qui dorment dans la rue avec leur bébé de cinq jours et pour lesquelles il faut trouver une solution d'hébergement ; les hôpitaux ont beau essayer de les garder quelques jours de plus, on leur dit que le coût de l'hospitalisation est trop élevé. Je mentionne également le très beau dispositif programme d'accompagnement de retour à domicile maternité (Prado) qui prévoit le passage d'une sage-femme à domicile, permettant ainsi aux mamans de poser les questions qu'elles n'avaient pas eu le temps de poser à la maternité. Certes il n'a pas de solution idéale car certaines mamans ne voulaient pas ouvrir la porte à ces sage-femmes de peur d'être vues en pleurs et sans maquillage : elles avaient besoin d'aide mais refusaient de montrer leur situation de détresse. On en revient à la problématique de l'isolement qui crée la vulnérabilité et appelle des réponses « d'aller vers ». Une bonne solution réside également dans la bonne information et dans l'attribution de plus de moyens aux PMI. Plusieurs rapports ont été consacrés à ces dernières et, en particulier un rapport de la Commission des affaires sociales du Conseil économique, social et environnemental dans lequel je siège, a montré que les PMI sont trop mal connues et trop dépourvues de moyens. Or ce sont, au moins dans les villes, des lieux de proximité facilement accessibles dans lesquelles les femmes pouvaient facilement se rendre.

Après quelques semaines, se pose la question du temps passé avec l'enfant et de la nécessité de repartir travailler très vite - dès deux mois et demi après l'accouchement - pour certaines mamans qui souhaiteraient pouvoir rester plus longtemps avec leur enfant. On aborde ici le sujet - qui n'est pas purement périnatal mais important pour le vécu de la mère et de l'enfant - du congé de naissance, avec un congé parental qui devrait être mieux rémunéré. C'est une demande que beaucoup de femmes n'osent pas formuler en raison de l'idée reçue selon laquelle la « superwoman » doit repartir en courant à son travail dès que son enfant atteint l'âge de trois mois : c'est très vrai pour certaines femmes et beaucoup moins pour d'autres.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Merci pour votre présence et pour nous avoir fait partager vos expériences de vie ainsi que la parole des membres de vos associations. Vous faites bien apparaître la distinction, par exemple, entre la vision d'une grossesse qui s'est interrompue prématurément et celle d'environnements familiaux plus soudés où les choses se passent mieux.

Je rappelle le but de notre mission d'information qui est de rechercher des facteurs de rééquilibrage global. On peut d'abord se demander si aujourd'hui, en France, les résultats globaux sont satisfaisants pour la sécurité de la maman et de l'enfant : un article récent paru dans « Le Monde » sur la mortalité infantile indique, sans être catastrophiste, que notre pays pourrait mieux faire dans ce domaine. Les facteurs à prendre en compte sont individuels - vous les avez un peu évoqués -, territoriaux et relèvent également de l'organisation de soins. Tel est notre sujet principal. Vous avez été très clairs sur certains points et je souhaite que vous puissiez nous donner plus de précisions sur l'équilibre entre proximité et sécurité qui vous semble le mieux adapté. Vous avez largement évoqué les critères de confort et de proximité de la famille mais je n'ai pas beaucoup entendu le mot de sécurité. À partir des témoignages des familles que vous accueillez dans vos associations, estimez-vous que ce critère de sécurité, est mis sur le même plan que celui du confort au moment de la déclaration d'une grossesse ?

Ensuite, pensez-vous nécessaire de renforcer l'information dans ce domaine ? En effet, on a entendu de la part de tous les professionnels qu'il subsiste effectivement des maternités sans pédiatres et que le fait de ne pas avoir un anesthésiste de garde 24 heures sur 24 sur place augmente de manière significative le risque de décès maternel et infantile, alors que tout le monde n'est pas informé de cette situation. Quel est votre regard à ce sujet ? Cette situation peut-elle et doit-elle doit évoluer ? Les facteurs de distance et de confort doivent-il être relativisés par rapport à l'exigence de sécurité ?

Mme Marie-Pierre Gariel. - Je rejoins vos préoccupations. Tout d'abord, certaines associations spécialisées dans le handicap soulignent que certaines femmes enceintes atteintes, par exemple, d'une déficience mentale légère ont besoin d'un accueil particulier, ce qui nécessite de trouver le bon lieu.

S'agissant de la sécurité stricto sensu, beaucoup de femmes choisissent bien entendu d'aller accoucher à certains endroits et pas à d'autres. Sur un territoire donné, les établissements hospitaliers et les maternités ont une réputation qu'il est parfois très difficile de modifier. Beaucoup de femmes se disent « moi je n'irai pas accoucher là parce qu'il n'y a pas de pédiatre ».

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - La dimension réputationnelle est un sujet très intéressant mais la réputation n'est pas systématiquement facteur de sécurité. Avez-vous constitué des recueils ou un recensement des indications des familles qui vous disent, par exemple, qu'elles évitent certaines structures parce que les équipes de pédiatres sont insuffisantes ou parce qu'il n'y a pas d'anesthésistes ? Leur choix est-il, en revanche, guidé par un sentiment ou une réputation globale de la structure de santé ?

Mme Marie-Pierre Gariel. - J'ai envie de dire que les deux cas coexistent. Bien entendu, l'absence de pédiatre ou d'infrastructure de nature à les rassurer en cas de problèmes d'accouchement va inciter les femmes à choisir une autre structure, sauf pour celles qui sont tellement « zen » qu'elles vont préférer accoucher à domicile. Celles qui recherchent la sécurité de l'accouchement vont poser des questions à ce sujet pendant la grossesse et ces interrogations doivent être traitées par les personnels qui prennent en charge ces femmes, que ce soit en milieu hospitalier ou libéral. Pour répondre précisément à votre question, certaines femmes expriment clairement que leur choix est guidé par des motifs de sécurité.

M. Vincent Desdoit. - Il faut aussi réfléchir à l'information qui est délivrée à ces mères. Bien entendu, si à maternité équivalente, à service rendu équivalent en confort ou autres facteurs, une mère a le choix d'aller accoucher dans une maternité qui propose un anesthésiste de garde 24 heures sur 24 et un pédiatre plutôt qu'une structure ne disposant pas de ces deux dernières garanties de sécurité, le choix est fait d'avance puisque c'est alors une question de bon sens. Dans certains cas, la dimension héréditaire et familiale peut jouer, par exemple, pour une femme qui va se demander si elle ne devrait pas accoucher au même endroit que sa grand-mère ou sa mère. Cependant, à partir du moment où la notion de sécurité entre dans la balance, ce dernier critère devient prépondérant. La question fondamentale est celle de l'accès à cette information relative aux paramètres de sécurité, tout comme j'espère qu'on connaitra un jour combien il y a d' « outborn » dans les maternités de niveau. Je ne suis pas non plus certain qu'on tienne un registre en temps réel de la présence ou pas d'anesthésiste ou de pédiatre dans les maternités : la seule façon, aujourd'hui, de le faire savoir au grand public, c'est de fermer telle ou telle maternité par manque de pédiatre. C'est, contraint et forcé, ce qui est arrivé dans certaines maternités à la suite de départs dont la presse s'est faite l'écho. De tels phénomènes sont peut-être moins visibles dans les grandes villes et je remercie Anne Evrard d'avoir souligné ce point car on se concentre souvent sur le sujet qui m'est cher des déserts médicaux en oubliant parfois la difficulté d'accès aux soins dans les grandes villes.

Mme Anne Evrard. - On assiste à une évolution des positions des parents et une des conclusions de notre enquête a été de demander que les maternités diffusent beaucoup plus clairement leurs indicateurs de pratique. Au-delà de la présence des soignants, qui n'est pas toujours retracée clairement sur les sites des maternités - certaines maternités n'ayant d'ailleurs qu'un site internet très sommaire -, les indicateurs de pratique dont nous demandons la diffusion portent sur les taux de césarienne, les taux d'extraction instrumentale et de déclenchement. Il est en pratique possible de répondre à notre demande puisque, par exemple, l'île de France dispose d'une carte interactive des maternités qui trace des éléments précis et exhaustifs qui vont même jusqu'au nombre de recours à l'épisiotomie. Je souligne que les parents demandent aujourd'hui de pouvoir disposer de ces indicateurs. Quand cette carte interactive est sortie, les sociétés savantes n'étaient pas enthousiastes parce qu'elles ont estimé que cela allait susciter une sorte de « benchmarking » entre les maternités. Disons cependant les choses telles qu'elles sont : pourquoi devrait-on aller dans un endroit où, toutes choses égales par ailleurs, le recours au déclenchement est deux ou trois fois supérieur à la maternité d'à côté ? En revanche, dans certains territoires, quelques soient les indicateurs et la nature des professionnels en poste, il n'y a pas le choix : vous avez une clinique privée qui peut être, pour certaines personnes, trop onéreuse et une maternité publique, les deux n'étant d'ailleurs pas forcément toujours bien garnies. En particulier, l'idée que l'obstétricien est systématiquement présent dans une maternité privée n'est pas toujours exacte. Par conséquent, il faut se livrer à des analyses spécifiques pour chaque territoire et éviter les solutions simplistes qui donnent le sentiment qu'on va régler tous les problèmes alors qu'une telle méthode en crée souvent davantage.

Mme Marie-Pierre Gariel. - S'agissant de la sécurité des parcours de soins, dans le volet grossesse de l'enquête de l'UNAF concernant le ressenti des parents sur la santé de leur enfant, plusieurs mamans ont signalé qu'en cas de grossesse gémellaire, elles avaient des difficultés à être suivies du début à la fin. Les sage-femmes refusent la prise en charge de ces grossesses à risque et il n'y a pas assez de gynécologues. Si elles sont éloignées d'un hôpital public, elles rencontrent une vraie difficulté à accéder au suivi de leur grossesse alors que celle-ci est plus compliquée qu'une grossesse ordinaire.

M. Vincent Desdoit. - Aujourd'hui, notre système de santé ne fonctionne pas beaucoup avec des labels ou d'autres formes de signalétiques. On a même rejeté autrefois une telle éventualité pour ne pas ressembler au système de santé américain. Je pense cependant qu'il y a un juste milieu à trouver : certains labels existants sont un gage de qualité des soins même s'ils ne sont pas garants de l'offre de soins qui reste aujourd'hui problématique. Comme l'a indiqué Anne Evrard, le rôle des indicateurs au niveau territorial est essentiel. Je suis totalement d'accord avec l'impression de fédéralisme qui se dégage du système et sur la nécessité de simplifier le fonctionnement des ARS avec lequel, parfois, à 10 km près, on n'a pas les mêmes chances en France. Par exemple, quand on perd un enfant dans notre pays, il peut arriver qu'à 10 km près, on puisse enterrer son enfant décemment ou pas : c'est insupportable.

De façon générale, au-delà de nos constats, je pense que notre démarche doit aussi être proactive ; il faudrait normer et cadrer un peu plus l'offre de soins pour qu'on puisse naitre d'un territoire à l'autre avec une égalité des chances. Le rôle des réseaux de périnatalité - qui restent souvent le parent pauvre de ce système - est essentiel car ils produisent des indicateurs et des projets pour garantir cette offre de soins. Ainsi le projet « Opti'soins » de suivi de grossesse ambulant mis en place en Auvergne par le docteur Anne Legrand pour couvrir les zones grises situées à plus de 30 minutes d'un centre de naissance. Il s'agit d'un camion permettant de pratiquer l'obstétrique et qui, s'il bénéficie du soutien qu'il mérite, a également vocation à assurer le suivi des enfants. Sur ces territoires, statistiquement, moins de personnes sont perdues de vue que lorsque le suivi de grossesse est assuré en ville. Il y a une vraie demande de soins de la part des populations vulnérables et je pense qu'on peut aussi adapter ce modèle dans les banlieues : les bus médicaux ou les autres initiatives similaires sont aujourd'hui très en vogue et répondent à une vraie problématique.

Il faudrait également pouvoir décrire un parcours de soins global - à l'instar de ce que propose la démarche des « 1000 premiers jours » -, en y coordonnant les divers acteurs de santé. J'ai entendu les sociétés savantes que vous avez auditionnées parler chacune de leur métier, ce qui est légitime, sans qu'il y ait suffisamment de « liant » entre chaque composante.

Par ailleurs, je me demande si vous avez réussi à vous procurer un schéma clair et compréhensible de l'organisation du suivi d'un enfant vulnérable en France. Il existe bien une doctrine élaborée au niveau national, reprise localement par région à une échelle variable et peu claire. En pratique, quand on déménage pour des raisons professionnelles, on peut perdre tout son dossier de suivi ou arriver dans un nouveau territoire qui n'utilise pas le même logiciel informatique, ce qui coupe l'accès à tous les antécédents médicaux. C'est très compliqué pour ces parents et j'insiste bien sur ce pluriel car le principe fondamental qui s'applique dès la naissance est celui du « zéro séparation ». Il est démontré que ce principe d'unité familiale fonctionne efficacement, aussi bien dans l'intérêt de la santé mentale des familles que dans la construction de l'attachement et la santé physiologique de l'enfant. Dès lors qu'on ne sépare pas ces familles et qu'elles font bloc, les résultats sont objectivement meilleurs. Bien entendu, cela exige que plusieurs conditions soient réunies : il faut une architecture adaptée, pouvoir garder une famille à l'hôpital et assurer une formation adéquate des soignants.

Au cours de vos précédentes auditions la question de l'attractivité des professions de santé a été évoquée ; s'agissant en particulier des gynécologues, on a constaté que la technicité des soins et l'avant-gardisme des solutions proposées aux familles étaient des facteurs d'attractivité. Aujourd'hui, on ne peut plus affirmer que les médecins vont aller sur la côte Atlantique pour pratiquer le surf et avoir une belle maison. Ils préfèrent parfois exercer dans des territoires reculés parce que les soins qu'ils prodiguent les intéressent, sont productifs et ont un impact positif en santé publique. La formation initiale des médecins généralistes en santé de l'enfant a également été abordée dans vos travaux et - tout en soulignant qu'il serait dommage de se passer de pédiatres -, je pense qu'il faut aussi développer la formation des puéricultrices dont le rôle est très impactant. La valeur ajoutée par la formation doit également être prise en compte pour les autres métiers de santé comme les infirmières, dont le cursus doit faire plus de place à la pédiatrie. À l'heure actuelle, si certaines d'entre elles arrivent en néonatologie et qu'il faut passer un KTVO (cathéter veineux ombilical) sur un bébé de 500 grammes, leurs premiers essais seront alors effectués sur un enfant vivant. La formation initiale des puéricultrices, des infirmières, des auxiliaires de puériculture et de toutes les autres catégories de soignants, y compris les pédiatres, doit également prendre en compte une approche globale systémique et centrée sur l'enfant ainsi que sa famille. S'agissant des « outborn », la plupart du temps, les grossesses se passent bien, même si on nait dans une maternité de niveau 1. Comme en témoignent les familles, on ne se soucie pas des problèmes de sécurité tant que tout se déroule comme prévu mais les accidents de la vie et les traumatismes mentionnés par Charlotte Bouvard vous arrivent de plein fouet et de manière imprévue, sans que des signes annonciateurs aient tout naturellement permis de prendre des mesures préventives.

J'ajoute que le suivi peut se révéler catastrophique si on n'est pas pris en charge dès le début et il faut savoir, s'agissant des enfants vulnérables, que compte tenu des critères d'inclusion dans les réseaux de suivi, l'accès à ces derniers se joue parfois à 10 grammes près ou à une journée près. Cette difficulté rejoint celle de l'offre de soins parce qu'il faut pouvoir accueillir tous ces enfants dans ces parcours mais il faudrait également former plus de monde à un parcours de suivi uniforme sur tout le territoire avec des portes de sortie quand tout va bien mais aussi des portes d'entrée. On a créé les PCO (Plateformes d'orientation et de coordination) en rajoutant cette strate au réseau de périnatalité pour rattraper les orientations tardives mais il faut aussi être conscient que les parents sont, la plupart du temps, complètement perdus dans les arcanes de ce système ; ils ne peuvent alors s'en remettre qu'au hasard des consultations de tel ou tel acteur informé des possibilités de bifurcation. Pour surmonter cette difficulté, il faudrait disposer d'une cartographie très claire permettant d'identifier tous les points d'entrée différents. Quelque soit le référent de soins qu'aillent alors consulter, les parents, en cas de doute, - ce mot est essentiel et j'insiste sur la nécessité de valoriser la compétence parentale dans l'identification des problèmes - ce référent pourrait immédiatement, par exemple si on soupçonne un TND (trouble du neurodéveloppement), utiliser la PCO pour trouver la bonne orientation et la bonne personne à consulter. On pourrait également parler pendant des heures de prévention pour les grossesses et de la marche à suivre en cas de difficulté ou de doute. Au final, je pense qu'il faudrait s'atteler à dessiner une trame complète de l'ensemble de ces parcours de soins.

M. Patrice Joly. - Au moment où Mme Charlotte Bouvard a dû nous quitter en raison d'une obligation de calendrier, j'ai pu lui indiquer, lors d'une conversation personnelle, que j'avais trouvé certains de ses propos scandaleux et inacceptables au regard de l'attitude des élus et que j'aurais apprécié des excuses de sa part. Elle m'a dit que son père Loïc Bouvard avait été parlementaire pendant plusieurs législatures mais, de mon point de vue, nous n'avions ni les mêmes méthodes, ni les mêmes objectifs.

Par ailleurs, je vous remercie pour les points de vue que vous avez exprimés et les informations qui nourrissent notre réflexion sur un sujet très délicat et qui, s'agissant des territoires ruraux, est prioritaire. Au surplus, je fais observer que nous vivons une nouvelle période de croissance des naissances dans les territoires ruraux et, à l'inverse, une décroissance dans les territoires urbains concentrés. Tous les départements qui ont des métropoles connaissent une baisse de la natalité tandis qu'un certain nombre de départements - principalement ruraux - enregistrent une augmentation du nombre des naissances. Encore faut-il préciser que les volumes ne sont pas les mêmes : cela ne règle pas tous les problèmes et, en tout cas, je mesure bien la difficulté de l'exercice qui est devant nous.

Madame la Présidente, la prochaine fois qu'on entend une intervention de cette nature je souhaite que vous puissiez couper court à de tels propos qui ne sont pas acceptables. Tous les élus ne sont pas les mêmes et, en tout cas, nous cherchons le meilleur pour nos territoires.

Mme Anne Evrard. - Le fait que les élus souhaitent le meilleur pour leur territoire pourrait favoriser une réflexion ciblée par territoire sur la question des fermetures ou des maintiens de maternité, dans une approche globale qui puisse intégrer, avec un processus commun d'une région à l'autre - sans se limiter aux différences entre ARS - l'ensemble des acteurs dans une vraie démarche collaborative. On entend souvent des décideurs s'étonner des protestations de la population en indiquant que cette dernière avait pourtant été informée,  mais l'information ne remplace pas la démarche collaborative. Celle-ci doit associer les acteurs à la réflexion au niveau du territoire, avec une vision plus globale, pour comprendre ce qui se passe et veiller à ce que tous les enjeux et tous les types de populations soient pris en compte. À l'inverse, on a parfois l'impression que tous les gens appartenant à un territoire donné sont considérées comme identiques.

Vous nous avez également demandé quel regard nous portons sur le rapport de l'Académie de médecine. Ce document assez bref contient beaucoup de bonnes choses mais il a peut-être tendance à ne pas assez nuancer son propos selon les zones géographiques.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je passe la parole à Jocelyne Guidez qui a beaucoup travaillé sur les troubles du neurodéveloppement (TND) et, en particulier, sur le trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH).

Mme Jocelyne Guidez. - Sur mon territoire, on nous a supprimé une maternité et, en tant qu'élus, nous le vivons comme un arrachement car nous nous battons pour nos administrés et la maternité représente beaucoup de choses. De plus, la fermeture de beaucoup de maternités n'a malheureusement pas empêché la mortalité infantile d'augmenter. Je me pose donc beaucoup de questions sur l'utilité de ces fermetures. Certes, je comprends bien que l'absence de pédiatre peut être un facteur de dangerosité mais tel n'était pas le cas pour une petite maternité de notre département : vous constatez donc qu'on ferme aussi les maternités où exercent des pédiatres. Je trouve cela dommage car on cherche tout naturellement la proximité : il est plus facile d'en bénéficier dans les grandes villes alors que dans une ville moyenne avec de nombreux petits villages autour, la maternité devient très importante.

Par ailleurs, avec mes collègues Laurent Burgoa et Corinne Féret, nous nous sommes aperçus, en élaborant notre rapport sur la prise en charge des troubles du neurodéveloppement, qu'un tiers des enfants nés prématurément et la moitié des nouveau-nés grands prématurés présenteront une difficulté de neurodéveloppement. Or, le nombre de naissances prématurées augmente depuis plusieurs années mais, tous les nouveau-nés vulnérables ne font pourtant pas l'objet d'un suivi spécifique. Mettez-vous des actions en place pour améliorer le suivi dans ce domaine et à tout le moins pour avertir les parents de cette difficulté ?

M. Vincent Desdoit. - La problématique de la fermeture des petites maternités est bien réelle car on connait l'attachement local à ces structures. Je suis d'ailleurs le premier à éprouver ce sentiment puisque la maternité où je suis né a été remplacée par un parking. Il faut cependant réfléchir aussi en termes de sécurité et débattre calmement de ces sujets quand des élus luttent pour le maintien de certaines maternités. La présence d'un pédiatre dans le cas que vous citez renvoie encore à une autre problématique qui est celle de la rentabilité : votre maternité a peut-être été fermée en raison d'un nombre de naissances jugé insuffisant par telle ou telle administration mais on connait aussi de nombreux cas où les élus combattent pour garder des maternités ouvertes là où celles-ci soulèvent, le cas échéant, des problèmes de sécurité.

S'agissant des enfants prématurés, je rejoins vos propos tout en apportant une nuance car il est, en pratique, difficile de distinguer entre petite et grande prématurité. Un calcul rapide permet de constater que 85 % des enfants nés entre le septième et le huitième mois de grossesse, - qu'on appelle des « Late Preterm » - ne sont pas inclus dans les réseaux de suivi qui, à 90 %, appliquent des critères d'admissibilité sélectionnant des cohortes d'enfant pesant moins d'1,5 kg à la naissance ou âgés de moins de 32 semaines. Or 32 semaines plus un jour correspond à un âge de 7 mois et empêche ainsi le suivi de 85 % des enfants prématurés. Certes, le risque de TND pour ces enfants nés après 32 semaines est plus faible, mais la cohorte est tellement plus importante qu'il y a aujourd'hui plus d'enfants atteints de TND nés Late Preterm et détectés tardivement que d'enfants qui bénéficient de soins critiques. Ces derniers peuvent paradoxalement apparaitre comme les plus « chanceux » car plus de monde va s'occuper d'eux pendant l'hospitalisation et ils bénéficient ensuite d'un suivi très attentif ; de plus, leur mère et leur famille vont être mieux accompagnées et formée aux enjeux postérieurs. En revanche, l'état d'un enfant qui naît à 34 semaines et pèse 1,8 kg ou 2 kg a tendance à être considéré comme a priori satisfaisant. C'est un schéma qu'on retrouve très souvent et les enfants qui sont dans cette situation sont malheureusement un peu les oubliés du système car on connaît aujourd'hui l'intérêt des interventions précoces sur la détection des TND, des TSA (Troubles du spectre de l'autisme) et plus généralement des troubles du neurodéveloppement.

Mme Jocelyne Guidez. - Le TDAH constitue un cas particulier où règne encore une certaine méconnaissance.

M. Vincent Desdoit. - Je rejoins vos propos et le TDAH est un sujet qui m'est très cher. Quelle que soit la problématique, le suivi adapté à chacun est la meilleure façon de favoriser la détection la plus précoce possible. En « rebobinant le film », on peut rappeler que si les parents sont impliqués dès le départ - contrairement aux pratiques un peu paternalistes héritées des années 1980 dans lesquelles les services hospitaliers se chargent des soins en éloignant les parents - on peut valoriser les compétences des parents, prodiguer des « soins à quatre mains », en conjuguant les efforts des soignants ainsi que de la famille, et éveiller les parents à l'observation de leur enfant dès la maternité ou en néonatologie, les concepts dont je vous parle, comme le « peau à peau » étant bien souvent communs à ces deux séquences. Grâce à cette sensibilisation, les parents concernés vont pouvoir être garants de la continuité des soins et jouer le rôle de détection précoce à l'égard des enfants qui ne sont pas inclus dans les réseaux de suivi. Les parents ne peuvent pas à eux seuls pallier le manque de médecins mais, pour qu'ils puissent exercer leur capacité de détection, il ne faut pas les séparer de leurs enfants. Il y a donc ici des actions pertinentes à conduire pour améliorer les résultats à long terme.

Mme Anne Evrard. - Sur ce point précis, il ne faut pas oublier que la dépression des mères est un facteur important de troubles du neurodéveloppement de l'enfant à court et à long terme. Tel est le cas pour 16 % des femmes chez qui on a dépisté une dépression post-partum dans la dernière enquête périnatale et on sait très bien que les chiffres issus du dépistage sont très en dessous de la réalité. Il faut donc veiller à la santé mentale de l'ensemble des femmes qui accouchent et rendre le dépistage systématique en faisant le lien avec la médecine psychiatrique et en adoptant une vision globale qui fait aujourd'hui défaut. Or quelles que soient les conditions de naissance au départ, les enfants ne peuvent pas se développer dans de bonnes conditions face à une mère dépressive ou en stress post-traumatique ou un père subissant les mêmes troubles. Les coûts pour la société de cette situation vont être largement majorés dans les 10, 15 ou 20 ans à venir par rapport aux coûts de dépistage et d'accompagnement précoce.

Mme Marie-Pierre Gariel. - Cela rejoint la notion de la mise en confiance des parents dès l'annonce de la grossesse. Que celle-ci se passe bien ou plus difficilement, il est important d'aménager dans le parcours de soin une porte d'entrée unique permettant à chacun de trouver le bon interlocuteur. Je pense ici, sur les territoires, non seulement aux maternités qui peuvent fermer mais aussi à l'utilité des centres ou de maisons de santé pluridisciplinaires qui s'installent à présent dans les zones rurales à la demande des élus et dans lesquels on trouve un médecin généraliste, une infirmière, une kinésithérapeute et une sage-femme libérale qui connaît les mamans de la commune, peut les mettre en confiance et détecter les signaux faibles d'une santé mentale vacillante ou le besoin d'une aide particulière en cas de handicap, de déficience légère, de vulnérabilité sociale ou d'isolement survenu récemment. Tous ces signaux faibles vont alors pouvoir être pris en compte au-delà du soin lui-même, ce qui s'intègre dans un périmètre de sécurisation sanitaire qui va au-delà de la nécessité de trouver un endroit pour accoucher.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Je reviens très brièvement sur l'altercation que je n'ai pas vue venir ni se dérouler dans le couloir lorsque Mme Charlotte Bouvard a dû nous quitter. On vient cependant de m'en informer et je ne peux pas cautionner l'attitude d'un de nos collègues. On peut bien entendu avoir des différends mais il faut alors les exprimer calmement. Pour ma part, je n'ai pas aussi mal pris que notre collègue les paroles de Mme Bouvard car elles vont dans le même sens que certains propos tenus au cours des précédentes auditions mais il est vrai que nos collègues ne peuvent pas se rendre disponibles pour assister à chacune d'entre elles.

Depuis deux ou trois semaines, on a beaucoup parlé, au cours de nos auditions, des fermetures de maternité de type 1 ou des petites maternités où les accouchements sont peu nombreux. À chaque fois que ce thème a été abordé, on nous a bien expliqué - sans porter aucun jugement de valeur - que ces fermetures intervenaient quand les équipes n'étaient pas suffisamment dimensionnées pour assurer la nouvelle façon de travailler du corps médical ; on nous a précisé que des équipes de 7 soignants relevant de plusieurs spécialités étaient nécessaires pour assurer des permanences de soins jour et nuit, y compris le week-end. Étant moi-même vétérinaire, je connais bien ce type de contrainte. Comme l'a bien expliqué notre collègue Jocelyne Guidez, en tant qu'élus, nous n'aimons pas assister aux fermetures de maternités mais, pour autant, nous n'allons pas nous opposer systématiquement à des évolutions qui paraissent inéluctables. Je ferme ainsi cette parenthèse : ce qu'on vient de me rapporter ne me plait pas, je ne peux pas le cautionner et nous en informerons Mme Charlotte Bouvard.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - En réalité, au Sénat, nous sommes habitués à avoir des auditions où s'expriment des points de vue différents, avec des positions bien campées de part et d'autre, mais la première exigence est de respecter à la fois la parole et le ressenti de chacun, parce qu'en arrière-plan il y a des histoires, on l'a bien perçu, à la fois personnelles et douloureuses.

Mme Marie-Pierre Richer. - Je souhaite avant tout vous remercier pour vos interventions. Vous avez parlé des PMI et je pense qu'il y a là aussi une faille très importante car autant les femmes, dans leur globalité, sont quand même relativement bien suivies avant et pendant l'accouchement, autant, une fois qu'elles ont accouché, c'est le désert. On parle beaucoup du suivi par les sage-femmes mais encore faut-il qu'il y en ait suffisamment, ce qui n'est pas le cas pour répondre aux attentes de beaucoup de femmes sortant de maternité. On dit aussi que les sage-femmes se déplacent à domicile, ce qui n'est souvent pas exact non plus. En outre, de nombreuses femmes ignorent le rôle des PMI et s'imaginent que ces structures s'adressent à des personnes en difficulté sociale sans avoir conscience que les PMI sont ouvertes à tout le monde et qu'elles disposent de personnel pour les accompagner.

Je trouve donc qu'il y a un vide à combler après la naissance et le manque de pédiatres fait partie de cette problématique : les pédiatres sont de moins en moins nombreux et, par exemple en Île-de-France, beaucoup ne sont plus conventionnés. Ajouté au manque de connaissance des PMI auquel il faudrait remédier, ce phénomène accroit le gouffre auquel est confrontée la parentalité.

Je rebondis enfin sur le thème de l'offre de soins, à savoir tous les professionnels qui entourent la famille. Certes, les indicateurs ont pour moi une très grande importance et, en particulier, quand on constate des variations de 4 % à 40 % pour le recours à la césarienne, il y a de quoi s'interroger : à qui bénéficie le supposé confort de la césarienne ? En outre, l'offre de soins ne suffit pas : en effet, si cette dernière atteint quantitativement un niveau convenable mais que l'organisation reste défaillante, quid de la sécurité ?

Mme Anne Evrard. - Je pense que la question de la connaissance des PMI par les parents est un point important mais que la problématique des moyens est cruciale. Je vous cite un exemple particulier mais révélateur : j'ai été appelée sur notre ligne d'écoute par une femme enceinte qui subissait des violences conjugales graves et avait besoin d'être rapidement mise en sécurité. Elle ne vivait pas dans un territoire isolé mais à Cannes, et je viens moi-même de cette région très urbaine. Pour lui venir en aide, j'ai essayé pendant deux matinées de joindre la PMI ; une personne m'a finalement répondu qu'elle était en pleine réunion et que faute de moyens disponibles il fallait s'adresser à la PMI de Mandelieu, laquelle couvre effectivement Cannes et Cagnes-sur-Mer. Nous avons finalement pu obtenir auprès de cette PMI une aide de la part d'une personne qui m'a indiqué qu'elle n'arrivait à remplir sa mission qu'au prix d'efforts la conduisant à rentrer tous les soirs chez elle avec une immense frustration, ce qui est compréhensible... La connaissance de ces structures est donc nécessaire mais loin d'être suffisante et il faut s'intéresser aux moyens dévolus aux PMI dans un système où ces structures sont déléguées à chaque organisation locale et donc à chaque tendance locale. Les prestations des PMI dépendent ainsi des préoccupations des élus locaux alors que notre pays devrait offrir la même qualité de soins partout et permettre de s'adresser à des services qui se ressemblent, au moins dans les moyens qui leur sont accordés.

Mme Marie-Pierre Richer. - Je sais très bien que beaucoup de PMI manquent de moyens, mais là où les PMI disposent de structures adéquates d'accueil et d'accompagnement, il est tout de même dommage qu'on puisse, faute d'information, passer à côté de cette possibilité de recours quand il n'y a pas d'offre médicale suffisante par ailleurs.

Mme Anne Evrard. - Vincent Desdoit a parlé des réseaux de santé périnatale : ce sont effectivement des parents un peu pauvres du système mais ces réseaux fonctionnent avec une vraie collaboration et une connaissance mutuelle entre les différents professionnels du secteur qui, de ce fait, peuvent en toute confiance mieux orienter leurs patientes et les familles. Quand les gens ne se connaissent pas, ils n'orientent pas bien.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Mme Gariel, vous avez parlé de grossesse « surinvestie » : ce phénomène est-il, à votre avis, général ou à l'inverse cantonné à quelques cas particuliers et de quand date cette évolution ? Vous avez ensuite indiqué qu'il fallait reconsidérer les grossesses comme étant finalement des événements « normaux et des états physiologiques survenant à un moment donné. En effet, vous avez l'impression, sur la base des retours de terrain que vous percevez, que la grossesse en viendrait parfois à être considérée comme une sorte de maladie. Vous avez également mentionné les sorties de maternité précoces, avec des femmes qui quittent la maternité au bout de quelques heures, voire d'un ou deux jours. Pensez-vous qu'il faudrait instituer un accompagnement spécifique, par exemple d'une semaine, pour ces femmes qui rentrent très tôt chez elles après l'accouchement ? Enfin, on a très peu évoqué les puéricultrices, que nous avons rencontrées au cours d'une audition précédente : quel est votre regard sur leur positionnement, j'allais dire sur l'« échiquier » des parcours de soins ? Je précise que mes questions s'adressent à l'ensemble des intervenants.

Mme Marie-Pierre Gariel. - Tout d'abord, mes propos se basent principalement sur les remontées d'expériences transmises par nos associations. Elles déplorent toutes le manque de chiffres et d'études, à part celle de l'UNAF dont je précise qu'elle se limite à une dimension qualitative puisqu'elle porte sur le ressenti des parents sur la santé de leur enfant.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - C'est une des premières choses qu'on a apprises.

Mme Marie-Pierre Gariel. - Certaines infirmières puéricultrices nous ont indiqué qu'elles regrettaient ne pas pouvoir exercer en secteur libéral, ce qui leur permettrait d'être un maillon de proximité dans les maisons de santé et cela constituerait un atout précieux pour les mamans qui rentrent très tôt chez elles après leur grossesse. En effet, surtout quand elles ont leur premier enfant, les femmes - ainsi que leur conjoint - ont besoin d'être rassurées et de s'entendre dire qu'elles sont en capacité de surmonter leurs difficultés. L'élément clef est de permettre aux mères d'anticiper ce qui peut arriver : par exemple, elles peuvent avoir l'impression que leur bébé va pleurer tout le temps et il faut les aider à distinguer plusieurs types de pleurs qui n'ont pas la même signification. Tous ces petits détails se transmettaient souvent, il y a longtemps, de mères à filles et par la suite - dans ma génération- au moment où on séjournait pendant une semaine à la clinique. Au bout d'un certain temps on s'ennuyait un peu mais on sortait rassurée sur notre capacité à tenir notre rôle de mère. Il y a peut-être là une nouvelle coordination à trouver. Certes, cela coûte cher de garder les femmes en hospitalisation et, au niveau strictement médical, un séjour d'une semaine n'est évidemment pas justifié quand l'accouchement se passe bien.

Cependant, beaucoup de femmes, et surtout celles qui sont isolées - je viens moi-même d'un milieu militaire dans lequel les conjoints sont très souvent absents, or les bébés n'attendent pas le retour du père pour naître - doivent se débrouiller comme elles peuvent.Ce sont ces mamans qui ont peut-être besoin d'aller frapper à la porte de la maison de santé pour demander le passage de la sage-femme. Comme je l'ai indiqué « autant de paroles, autant d'histoires » et, pour ma part, j'ai accouché sous couvre-feu en Nouvelle-Calédonie. La notion essentielle est celle d'accompagnement, en particulier pour les jours où tout ne se passe pas bien, pour prendre soin de la santé mentale de la maman, de la famille et du père. Aménager une porte d'entrée unique, comme la PMI ou autre, devrait permettre de donner aux parents les coordonnées de la sage-femme, de la PMI, ou d'un médecin de leur secteur d'habitation. Je souligne que les personnes qui n'ont plus de médecin traitant ont particulièrement besoin d'accompagnement. À l'inverse, dans les endroits où il n'y a plus de pédiatres à proximité, les parents peuvent au moins s'adresser au médecin traitant qu'ils ont désigné. Je ne parle pas seulement ici de soins stricto sensu mais de parcours destinés à rassurer les parents et à limiter les traumatismes ultérieurs en les informant, par exemple, qu'il est normal de se sentir parfois dépassé au point de pleurer.

Mme Anne Evrard. - S'agissant de la période post-natale, dans notre enquête, les femmes ont placé la présence du conjoint en tête des facteurs permettant de les rassurer, à condition bien entendu que la relation ne soit pas toxique. Le congé parental du père est donc crucial. Le second facteur prédominant cité par les mères est le passage de la sage-femme, à deux conditions. D'une part, le nombre de visites doit être ajusté aux besoins de la femme, ce qui n'est trop souvent pas le cas. D'autre part, les sujets abordés doivent coïncider avec les préoccupations des mères. Or, actuellement, les sage-femmes libérales indiquent clairement qu'elles sont obligées de trier dans leur patientèle, d'abord parce que leur rémunération, à partir d'un certain nombre de visites, n'est pas suffisante pour couvrir tous les frais de déplacement, et ensuite parce que les besoins sont tellement importants que les sage-femmes finissent par donner la priorité aux patientes dont la situation parait la plus difficile.

Il faut veiller à ajuster l'offre aux besoins de chacune : certaines femmes peuvent se contenter d'une seule visite, d'autres en ont besoin de dix, et cette problématique concerne, selon les sage-femmes, non seulement les territoires isolés mais aussi les territoires urbains.

Mme Véronique Guillotin, rapporteure. - Il faut également penser aux femmes qui ne demandent pas de consultation alors qu'elles en auraient besoin. Sans aller jusqu'à imposer la visite obligatoire d'une sage-femme, il faudrait inciter les mères à la solliciter pour les aider à faire face aux difficultés qu'elles peuvent rencontrer en revenant chez elles après l'accouchement, avec parfois un sentiment d'isolement. Je rappelle que seules 13 % des familles ont recours à une PMI et, à mon avis, un travail de sensibilisation doit être fait dans les maternités.

Mme Anne Evrard. - Toutes les recommandations montrent l'intérêt d'un suivi postnatal systématique, sans attendre la demande de la femme.

M. Vincent Desdoit. - Les entretiens pré et post-natal qui se déroulent avec les sage-femmes sont des outils qui apportent une réponse au moins partielle à l'exigence que vous mentionnez et on pourrait les développer dans les PMI. Les personnes qui travaillent dans ces structures peuvent prendre contact avec les mères et leur demander si elles ont bénéficié d'un entretien postnatal. J'attire néanmoins l'attention sur le fait que, de l'aveu même des sage-femmes, les entretiens pré ou postnatal sont conduits avec une pertinence variable : certains sont effectués sur la base de bons critères et s'efforcent de rechercher les points sensibles en approfondissant les investigations en cas de doute ; en revanche, d'autres entretiens donnent lieu à l'envoi préalable d'un document numérisé et je ne suis pas sûr que leur déroulement fasse beaucoup de place à des considérations de santé mentale. La confiance n'exclut pas le contrôle et je pense qu'il faut vérifier le contenu de ces entretiens pour garantir la qualité de soins.

Il me parait important de recueillir le point de vue des acteurs majeurs que sont la DGOS (Direction générale de l'offre de soins) et la HAS (Haute Autorité de santé) sur ces sujets, dans une perspective de globalisation de l'offre de soins. Le défi que doit relever votre mission d'information est, en effet, de réussir à individualiser les soins - il n'y a pas deux naissances identiques - dans un système qui doit être global. Pour y parvenir, il est nécessaire de travailler tous ensemble et, pour cette raison, nous sommes heureux d'avoir pu aujourd'hui défendre le point de vue des usagers en préconisant une approche systémique, sans se limiter à résoudre quelques problématiques particulières.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - L'approche doit être systémique mais individualisée. Notre mission d'information porte sur « l'avenir de la santé périnatale et organisation territoriale » ; avez-vous des retours d'expérience sur la situation dans les départements et régions d'outre-mer (DROM) ? Vos analyses sont-elles comparables à celles que vous pouvez faire dans l'Hexagone ou les remontées de terrain sont-elles différentes ?

Mme Anne Evrard. - Votre question me permettra également de répondre à celle que vous avez précédemment posée sur la grossesse considérée comme un processus naturel. L'offre de soins dans les outre-mer est moins diversifiée que dans l'Hexagone, alors même que la diversification de l'offre de soins est insuffisante en métropole. Je mentionne ici la problématique des maisons de naissance et la déshérence dans laquelle nous sommes sur ce dossier : celui-ci devrait être en phase de développement mais il est bloqué et la HAS a fermé le groupe de travail appelé à fournir les indicateurs permettant à la fois l'inclusion et les transferts des femmes ainsi que des bébés. Par ailleurs, on a le sentiment que dans les territoires ultramarins, et tout particulièrement dans l'hôpital public, les équipes sont très mobilisées et doivent faire face à des défis de société et de populations compliqués, étant entendu que les situations sont variables. On a tendance à catégoriser les femmes qui vivent en territoire ultramarin comme si elles étaient toutes dans la même situation. Sur cette base, il devient compliqué d'aménager des parcours de soins différenciés alors que l'offre la plus fiable - qui est celle du secteur public - reçoit une population extrêmement différenciée sans que soit organisée une gradation des niveaux de soins. En mettant à part le cas très spécifique de Mayotte, j'observe que quelques maisons de naissance et filières physiologiques tentent avec difficulté de se maintenir dans certains territoires ultramarins mais, ailleurs, ces filières ne bénéficient pas d'encouragements suffisamment clairs. De ce fait, les quelques établissements existants doivent faire le grand écart entre les femmes qui peuvent relever d'un accouchement physiologique et celles qui croisent des difficultés sanitaires, psychosociales et d'équilibre mental. Il y a là un reflet de l'abandon que l'on peut parfois constater dans l'hexagone avec des difficultés encore plus aigües dans les outre-mer.

Mme Jocelyne Guidez. - Je fais observer que les conditions de vie sont différentes sur ces territoires. Dans l'Hexagone nous débattons de la proximité des petites maternités mais, dans les outre-mer, il n'y a parfois qu'un seul hôpital au milieu d'une île et le parcours pour y accéder est extrêmement compliqué : on roule plutôt à 50 qu'à 100 km/h et il faut emprunter des routes non seulement sinueuses mais aussi dangereuses. Vous avez également souligné le taux élevé de précarité, en particulier parmi les jeunes, qui subissent le chômage pour environ 45 % d'entre eux. Beaucoup de drogues et d'alcool circulent parmi eux ce qui constitue un facteur important de prématurité des bébés. Ces mamans en grande difficulté et en grande précarité ont bien entendu besoin d'un suivi ; encore faut-il qu'elles acceptent d'entrer dans un parcours de soin, ce qui là aussi, n'est pas simple.

Mme Anne Evrard. - L'existence, sur certains territoires ultramarins, d'un seul établissement ne facilite pas le suivi de femmes qui sont réticentes et craintives vis-à-vis du système, par peur d'être stigmatisées. Un suivi de proximité avec une différenciation des parcours serait indispensable pour ces populations.

Mme Marie-Pierre Gariel. - Il faut organiser ce suivi dans les dispensaires - souvent assez vétustes - qui existent encore à certains endroits, comme dans les îles Loyauté. Sans qu'il ait pu me communiquer leurs chiffres détaillés, le Planning Familial constate une augmentation globale de la mortalité infantile dans les outre-mer. Tout dépend cependant des modes de vie et on sait par exemple que certaines populations qu'on peut qualifier d'autochtones, vivent très différemment : les femmes ne sont pas isolées car elles vivent en communauté et c'est tout le village qui s'occupe de l'enfant. Beaucoup de femmes kanaks qui habitent dans la brousse vont au dispensaire ; toutefois, certaines accouchent chez elles et ne disposent effectivement d'aucun suivi, mais, à la limite, elles ne réclament rien. Il est donc, en pratique, très compliqué de prévoir un parcours capable de répondre à des attentes très diversifiées : une famille métropolitaine va demander à accoucher dans les mêmes conditions de sécurité et de présence que dans l'Hexagone tandis que d'autres femmes habitant en brousse ou à Ouvéa n'expriment pas d'exigences particulières.

M. Vincent Desdoit. - Les questions de précarité et de vulnérabilité sociale sont centrales sur ces territoires. On en revient ainsi à l'impact des politiques sociales sur la politique de périnatalité. Statistiquement, la prématurité représente, en moyenne, 7,8 % des naissances en France tandis que cette proportion atteint 11 à 12 % dans les DROM, ce qui s'explique par les raisons qui viennent d'être évoquées. L'offre de soins sur ces territoires se concentre souvent dans des grands centres hospitaliers qui ont été construits, pour la plupart, assez récemment. Je mets ici à part celui de la Guadeloupe qui a subi un incendie, obligeant ainsi à transférer les enfants en Martinique, ce qui amène à rappeler que les enfants vulnérables qui naissent à Mayotte sont également transférés à La Réunion, la plupart du temps sans leurs parents. L'architecture des installations, comme celle de la Réunion, est assez réussie et des moyens financiers ont été alloués pendant plusieurs années dans les DROM pour que ces bâtiments soient beaux. Cependant, il faut que l'offre de soins soit également satisfaisante du point de vue humain et, à cet égard, des mesures financières ont été mises en place pendant un moment pour attirer des soignants dans les DROM : cela ne résout pas toutes les difficultés mais il est certain que ces équipes font face à des problématiques d'offre de soins et de manque d'attractivité pour ces métiers, avec une pénurie de soignants.

Mme Annick Jacquemet, présidente. - Il me reste à vous remercier très sincèrement d'être venus partager avec nous vos observations. Nous vous avons envoyé un questionnaire écrit : nous attendons vos réponses que vous pourrez compléter avec d'autres idées qui pourraient vous venir à l'esprit.

La réunion est close à 18°h°30.

Cette audition a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat.