Chiens dangereux

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi renforçant les mesures de prévention et de protection des personnes contre les chiens dangereux.

Discussion générale

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. - Ce projet de loi s'inscrit dans une longue liste de textes qui ont progressivement permis de prendre la mesure du danger représenté par la détention de certains types de chiens. Ce phénomène s'est développé dans les années 1980 alors que le nombre de pitbulls augmentait dans les quartiers dits sensibles. Devant l'accroissement spectaculaire du nombre de ces animaux, le législateur a décidé, en 1996, de faire de ces chiens une arme par destination. Mais, cette clarification n'a pas empêché la situation de se dégrader. C'est pourquoi la loi du 6 janvier 1999 a encadré plus strictement encore la propriété et la garde des chiens dangereux de première et de deuxième catégories. Ce texte a entraîné une diminution importante du nombre des chiens de première catégorie et de la délinquance liée à l'utilisation de ces chiens comme armes par des bandes sur la voie publique.

La persistance de graves accidents a cependant imposé un nouveau renforcement de la législation. Ainsi, la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance a aggravé les sanctions encourues par les propriétaires de chiens.

Nous devons intervenir à nouveau après les accidents de ces derniers mois qui ont tué de jeunes enfants et blessé plusieurs personnes. Ce faisant, nous pensons d'abord aux victimes et à leurs familles. La possession d'un chien est un plaisir partagé par un foyer sur quatre dans notre pays, mais c'est aussi une responsabilité, car un animal est potentiellement dangereux. Il faut donc appeler à une grande vigilance, notamment lorsqu'un jeune enfant est à proximité, car il pourrait involontairement provoquer le chien. Parmi les accidents recensés, 80 % ont lieu dans la sphère privée, alors que les lois antérieures étaient conçues pour l'espace public.

L'axe majeur du projet de loi consiste donc à responsabiliser les détenteurs, en donnant la priorité à la prévention, sans exclure pour autant toute dimension répressive. En effet, le comportement du propriétaire ou du détenteur joue un rôle primordial : de nombreux chiens sont dangereux faute d'un comportement adéquat de leur maître.

M. Gérard César. - Ils ne maîtrisent pas l'animal.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre. - Pour cette raison, toute vente ou cession de chiens sera désormais subordonnée à la production d'un certificat vétérinaire comportant des recommandations relatives à sa garde dans les espaces public et privé, ainsi que des règles de sécurité à observer en fonction des caractéristiques de l'animal. S'ajoutera une formation préalable obligatoire pour l'acquisition de chiens d'attaque ou de défense, sanctionnée par la délivrance d'une « attestation d'aptitude », que certains appellent « permis ». Cette formation comportera des éléments de dressage, ainsi que la connaissance des règles de sécurité à respecter dans les diverses catégories d'espaces. Mais les chiens de première et deuxième catégorie ne seront pas les seuls concernés : la formation sera délivrée à tous les propriétaires de chiens ayant mordu.

Comme il importe aussi d'agir directement sur le comportement de l'animal, tous les chiens de première ou deuxième catégorie feront l'objet d'une évaluation comportementale périodique, réalisée par un vétérinaire et conditionnant la détention légale de la bête. Les préfets devront rappeler cette obligation aux propriétaires. En cas de danger grave et immédiat, le chien pourra être remis aux autorités administratives, voire euthanasié après l'avis d'un vétérinaire.

Enfin, quatre dispositions renforcent certaines sanctions en vigueur. Tout d'abord, l'acquisition et l'importation de chiens de première catégorie est prohibée depuis le 7 janvier 2000, mais il arrive que la détention à la suite d'un croisement intervienne sans que le maître connaisse la nature de l'animal ni le danger qu'il représente. Ensuite, les imprudences graves pouvant entraîner la mort, comme ce fut le cas le 23 octobre à Bobigny, feront l'objet d'une répression accrue. D'où l'amendement que je présente pour aggraver les peines en cas de blessure ou d'homicide involontaire à la suite d'une agression canine. Je souhaite également améliorer la remise du chien dangereux aux autorités administratives par le procureur à la suite d'une enquête : dès qu'un tel animal ne présentera plus d'utilité pour la manifestation de la vérité, il sera remis à l'autorité administrative en vue d'un placement ou d'une euthanasie. Et, les délits relatifs à la garde et aux mesures de sécurité seront jugés par un seul magistrat, à l'instar de nombreuses infractions pénales nécessitant un traitement rapide.

Les textes en vigueur n'ont pas évité les drames de cet été. Souhaitons obtenir aujourd'hui une meilleure efficacité au service de nos concitoyens. Nous aurons alors fait ensemble oeuvre utile. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois. Je me contenterai de quelques observations.

Le problème des animaux dangereux n'est pas nouveau : sans revenir aux menaces que les loups pouvaient faire planer sur nos villages, j'observe que le maire dispose de prérogatives pour combattre « la divagation des animaux malfaisants ou féroces » selon les termes du code général des collectivités territoriales. Toutefois, l'apparition au début des années 90 d'une nouvelle forme de violence impliquant des molosses comme les pitbulls a induit une modification législative. Ainsi, la loi du 6 janvier 1999 a classé les chiens dangereux en deux catégories. Ceux de la première, dits « chiens d'attaque », sont obtenus par croisement de chiens de race ; l'exemple le plus connu est celui de pitbulls. La deuxième catégorie regroupe les « chiens de défense », c'est-à-dire certains chiens de race, en fonction d'un classement établi par le ministère de l'agriculture.

La nouvelle législation a permis de réduire le nombre de chiens dangereux, mais n'a pu faire disparaître ceux de première catégorie. Ainsi, le nombre de déclarations en mairie a régressé entre 2001 et 2005, passant de 3 237 à 967, cependant que le nombre d'accidents imputables à ses molosses diminuait de plus de 50 %. Toutefois, il existe encore en France des chiens de première catégorie, parfois nés après l'obligation de stérilisation. Des élevages clandestins sont régulièrement découverts. En outre, il arrive que des vétérinaires se trompent lorsqu'ils classent les chiots âgés de six semaines, car il est parfois difficile à cet âge de distinguer les chiens de première et deuxième catégorie.

De plus, des croisements de chiens de race peuvent engendrer des chiens de première catégorie -j'y reviendrai. En pratique, les catégories de la loi de 1999 sont trop limitées et les races visées définies de manière si précise que des molosses aussi agressifs que les chiens dangereux mais légèrement plus grands peuvent être détenus sans contrainte.

En fait, pour contourner les obligations pesant sur les détenteurs de chiens de première catégorie, de plus en plus d'acquéreurs achètent un chien de deuxième catégorie, tels les rottweilers qui sont responsables des derniers accidents.

Aujourd'hui, les Français sont davantage préoccupés par les accidents dus à des morsures graves dans la sphère familiale que par une utilisation délinquante des chiens. Ces accidents, fréquents avec une population de 8,8 millions de chiens en France, sont parfois provoqués par des chiens non classés, tels les dogues allemands cet été. Puisque « tout chien peut être dangereux en fonction de ses conditions d'éducation et de garde », comme le rappelait M. Lecerf, ce sont d'abord certains maîtres qui sont « irresponsables » pour reprendre les termes de M. Détraigne. Tel cet homme qui a déposé un recours contre l'euthanasie de la bête qui avait tué sa petite nièce en août dernier à Epernay et a organisé une manifestation dans les rues de la ville en menaçant le maire.

Je soutiens donc la démarche du Gouvernement qui met l'accent sur la formation des maîtres. Je remercie la commission des affaires économiques pour la collaboration fructueuse que nous avons menée sur ce texte. Les amendements que la commission défendra sont, pour la plupart, le fruit de notre travail commun.

A l'article premier, nous proposons de rappeler le pouvoir de substitution du préfet en cas d'absence de décision du maire. Il convient aussi de préciser que l'évaluation comportementale du chien est un préalable à l'organisation éventuelle d'une formation pour le maître et que ses résultats seront transmis au maire.

A l'article 2, la commission suggère d'axer la formation prévue pour les maîtres sur la prévention des accidents, mais préfèrera l'amendement n°16 de la commission des affaires économiques.

A l'article 4, aux termes duquel les morsures de chiens seront obligatoirement signalées en mairie, je tiens à attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de donner suite aux plaintes déposées au commissariat ou à la gendarmerie, ce qui n'est pas toujours le cas, selon les personnes auditionnées.

L'article 5 prévoit l'interdiction pure et simple des chiens de première catégorie nés après le 7 janvier 2000. Quoique nous souscrivions à sa philosophie, nous préconisons de le supprimer, ainsi que les articles 7 et 14 par coordination, car il semble inapplicable. En effet, aux dires des spécialistes, dont le secrétaire général du conseil supérieur de l'ordre des vétérinaires, les chiens de première catégorie sont souvent issus de chiens de la deuxième catégorie, mais également de croisement de chiens non classés, comme un labrador et un boxer. Le dispositif prévu frapperait donc indifféremment les véritables contrevenants et des personnes de bonne foi. L'amendement de Mme Debré permettrait d'éliminer plus efficacement les chiens dangereux.

Avec notre amendement portant article additionnel après l'article 5, les agents de surveillance et de gardiennage devront être titulaires de l'attestation d'aptitude. Il s'agit d'éviter que le drame de Bobigny ne se reproduise -un chien affamé et maltraité avait blessé mortellement un enfant en bas âge- en responsabilisant les employeurs : la formation serait à leurs frais et ils pourraient être poursuivis en cas de manquement. Cet amendement pourra être amélioré au cours de la navette.

A l'article 6, la commission propose que les modalités de délivrance du certificat vétérinaire lors de la cession d'un animal, qui ne relèvent pas de la loi, soient définies par décret.

Prévoir à l'article 12 que les dispensaires, qui prodiguent gratuitement des soins aux animaux des personnes nécessiteuses, puissent acquérir et délivrer seuls des médicaments semble de bon sens. Toutefois, la commission propose un amendement de suppression afin d'obtenir des éclaircissements du Gouvernement sur les pratiques de « dons tarifés », que ces établissements pratiquent, selon les personnes auditionnées.

A l'article 13, la commission propose d'allonger les délais prévus.

Reste l'amendement n°58 du Gouvernement dont la commission partage les objectifs. Il était urgent de sanctionner plus fermement l'homicide involontaire ou les blessures résultant de l'agression par un chien, conformément à la promesse du Président de la République. Depuis le début de l'été, au moins quatre personnes ont été victimes d'attaques mortelles. Afin de mieux insérer cette disposition dans le code pénal, la commission propose d'aligner les peines prévues sur celles visant les conducteurs de véhicules auteurs d'un homicide involontaire ou de blessures.

Madame la ministre, la commission partage votre volonté de mieux lutter contre les chiens dangereux. C'est pourquoi, sous réserve des amendements qu'elle vous soumet, elle invite le Sénat à adopter ce texte. (« Très bien ! » et applaudissements à droite)

M. Dominique Braye, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. - Avec la loi de 1999, nous avons jugulé le problème d'ordre public que constituait l'utilisation délinquante de chiens dangereux dans les années 1990, mais non l'augmentation des accidents par morsures dans la sphère privée. C'était, hélas ! prévisible. Rapporteur de ce texte, élaboré contre les avis de tous les spécialistes canins, j'avais signalé que nous prenions le problème par « le mauvais bout de la laisse » (Sourires) en négligeant deux faits essentiels. Premièrement, tous les chiens sont potentiellement dangereux ; le mauvais maître fait le mauvais chien, et non le contraire. Je regrette que la position du Sénat n'ait pas été suivie et que nous ayons perdu dix ans. Nous aurions pu mettre dès ce moment l'accent sur la prévention et, à l'instar de la Belgique et de la Suisse, mener une réflexion de fond sur le phénomène plutôt que de légiférer, une fois de plus, sous la pression médiatique.

Cependant, ce texte comporte des mesures incontestablement positives en matière de dépistage des chiens et de responsabilisation des maîtres. Celles-ci éviteront des accidents si elles sont effectivement mises en oeuvre -j'y insiste. La commission des affaires économiques, saisie pour avis, soutient donc ce projet de loi. A cette occasion, je me réjouis de l'excellent climat dans lequel nous avons travaillé avec la commission des lois et son rapporteur, M. Courtois.

Un nouveau projet de loi était indispensable, car tout ou presque reste à faire pour prévenir les accidents canins. La loi de 1999, loi de police utile, a rapidement mis fin au phénomène pitbull.

En contrôlant sur la voie publique les détenteurs de chiens qui pouvaient être de première ou deuxième catégorie, on a constaté un large éventail d'infractions cumulables et découragé un grand nombre des propriétaires de ces chiens. Comme beaucoup d'élus, j'ai constaté sur le terrain la quasi-disparition de ces formes de délinquance et du sentiment d'insécurité qu'elle provoquait, ce qui est un résultat inappréciable.

Mais si elle a été une loi de police efficace, la loi de 1999 n'a rien apporté à la prévention des morsures canines. C'est là que nous retrouvons l'erreur originelle de sa conception, fondée sur la définition de deux catégories de chiens présumés plus dangereux que d'autres, définition artificielle et scientifiquement infondée. Les imperfections techniques du texte, qui s'est révélé à peu près inapplicable, n'ont rien arrangé.

On espérait responsabiliser les propriétaires et contrôler, grâce à la déclaration, tous ces chiens présumés dangereux. Comme souvent, on n'a responsabilisé que les gens déjà responsables alors que la majorité de ces chiens n'appartiennent pas à des citoyens modèles. C'est ainsi qu'on ne dénombrait au 1er octobre 2006 que dix-sept mille déclarations pour la première catégorie et cent dix sept mille pour la deuxième, chiffres sans commune mesure avec la réalité. Autant dire que la très grande majorité des propriétaires de chiens de première et deuxième catégories ont tranquillement bravé la loi.

La loi de 1999 a-t-elle réduit le nombre des chiens dangereux ? Tout prouve le contraire : la fourchette haute des évaluations avancées lors de l'examen de la loi de 1999 était de 400 000 chiens dangereux. Il y en aurait aujourd'hui 680 000, dont 270 000 de première catégorie. Certains trouvent rassurant ou valorisant de posséder un chien que je qualifierai de « méchant par détermination de la loi » : la classification, loin d'être dissuasive, a été attractive, elle a fait office de label de qualité, ainsi qu'en témoigne la mode de chiens de deuxième catégorie comme les rottweilers.

Ceux qui ont voulu échapper légalement aux contraintes liées aux chiens classés ont constitué une clientèle pour des chiens largement aussi dangereux mais non classés en France, comme le dogue argentin, le cane corso, les mastiffs. Cela démontre une fois de plus l'inanité des catégories créées par la loi de 1999 !

Si l'on n'a guère responsabilisé les propriétaires de chiens définis comme dangereux, on a en revanche déresponsabilisé tous ceux que l'on a confortés dans l'idée évidemment absurde qu'un berger allemand, un dogue ou un doberman ne sont pas dangereux, puisque la loi ne les définit pas comme tels !

Vous l'aurez compris, je reste persuadé, comme tous les spécialistes canins, que la catégorisation a été une ineptie. Pour autant, je suis bien conscient qu'il est impossible d'y renoncer car un tel revirement serait incompris et pourrait être interprété comme le signal d'un retour possible à des pratiques inacceptables. Ce qui est impératif, c'est de prendre enfin le problème par le bon bout de la laisse, en se fondant sur des évidences hélas ! trop méconnues.

Plutôt que de tout bâtir sur l'idée fausse qu'est la catégorisation, il faut apprendre à chacun que tout chien peut être dangereux, qu'un chien paisible peut devenir agressif et que cette agressivité dépend presque toujours de multiples facteurs, qu'il faut savoir la prévenir et éviter les accidents dramatiques que nous avons connus. Ce projet de loi a l'immense mérite d'aller en ce sens, en mettant l'accent sur l'évaluation comportementale des chiens et sur la responsabilisation et la formation de leurs détenteurs.

L'évaluation comportementale doit, j'y insiste, porter à la fois sur l'animal et sur ses relations avec son maître. Elle deviendrait obligatoire pour tous les chiens de première et deuxième catégories et pour les chiens mordeurs. Pour lui donner l'efficacité indispensable à ce dispositif, nous vous proposerons d'une part de l'étendre à tous les chiens que leur poids rend plus dangereux que d'autres, d'autre part, de transmettre les résultats à l'autorité de police compétente pour prendre les mesures qui s'imposeraient. Dès lors qu'il est reconnu par tous les spécialistes canins que la dangerosité d'un chien réside d'abord dans sa force et donc dans son poids, il est impératif de soumettre à l'évaluation comportementale tous les chiens que leur poids désigne comme susceptibles d'infliger de lourdes, voire de fatales blessures. Cette proposition est d'autant plus pertinente que cette évaluation serait, dans la quasi-totalité des cas, une procédure légère et peu coûteuse.

N'oublions pas que, sur les trente-quatre accidents mortels recensés depuis 1989, dix-sept ont été provoqués par des bergers allemands ou belges, contre neuf par des chiens classés, et presque tous en deuxième catégorie. Selon nos voisins suisses, très en pointe en matière de prévention des agressions canines, les chiens classés dangereux ne sont responsables que de 12 % des accidents. Et, bien évidemment, les accidents les plus graves ne sont pas le fait de chihuahuas ou de yorkshires, mais de bergers allemands, bergers belges, labradors, golden-retrievers, bouviers suisses, disposant tous de cet évident potentiel de dangerosité que constitue la force liée au poids.

Le seuil de poids pourrait être fixé par arrêté, ce qui permettrait d'appliquer progressivement cette mesure, en commençant, par exemple, par tous les chiens de plus de 40 kg. Laissons aux éminents spécialistes canins le soin de définir ces seuils de poids.

En ce qui concerne la formation des détenteurs de chiens, le projet de loi prévoit un dispositif à trois étages : tous les détenteurs de chiens de première et deuxième catégories devront subir une formation et être titulaires d'une attestation de capacité ; ensuite, tous les détenteurs de chiens mordeurs devront suivre la formation ; enfin, le maire pourra imposer cette formation au cas par cas. À notre sens, pour les chiens mordeurs, c'est à partir du résultat de l'évaluation que l'on peut décider si une formation sera ou non nécessaire. En revanche, il faut pouvoir imposer l'obtention de l'attestation à tout propriétaire de chien si l'évaluation révèle que l'animal présente un réel danger. Comme l'a dit le rapporteur de la commission des lois, nous vous proposerons un amendement imposant à tous les agents de surveillance ou de gardiennage utilisant des chiens, classés ou non, d'être titulaires de l'attestation de capacité à la charge de leur employeur

Nous espérons, madame le ministre, que vous pourrez nous apporter quelques informations, notamment sur le contenu de la formation, sa durée, son coût, ainsi que sur les conditions d'obtention de l'attestation. Il nous paraît important que cette formation intègre une information, même sommaire, sur le comportement canin, dont l'ignorance est à l'origine d'un grand nombre d'accidents.

J'en viens maintenant à une disposition qui n'emporte pas plus l'adhésion de la commission des affaires économiques que celle de la commission des lois : celle qui interdit la détention de chiens de la première catégorie nés après le 7 janvier 2000, date à compter de laquelle leur stérilisation était obligatoire. En 1999, le législateur avait pensé pouvoir assurer l'extinction de ces animaux en se fondant à la fois sur l'interdiction des entrées et sur l'impossibilité de reproduction de la population présente sur le territoire. C'était méconnaître que la production des chiens de première catégorie résulte le plus souvent de la reproduction de chiens de deuxième catégorie ou de chiens n'appartenant à aucune catégorie. Ainsi, le produit non confirmé de deux staffordshire terriers sera un chien de première catégorie, comme pourra l'être celui de la rencontre, un beau soir de printemps... dans un champ de coquelicots..., de deux chiens non classés. (Sourires)

Même si tous les chiens de première catégorie avaient été stérilisés avant le 7 janvier 2000, ce qui est loin d'être le cas, il était impossible d'en empêcher la production, sauf à vouloir éradiquer un grand nombre de races dont certaines nous sont sympathiques en raison de leur gentillesse et de leur utilité, comme le beagle.

Qui plus est, on ne peut déterminer avec certitude la catégorie d'un chien, avant qu'il ait atteint l'âge adulte. Qui irait annoncer à une famille qu'un chien présent à la maison depuis six ou huit mois doit être euthanasié parce qu'il apparaîtrait relever de la première catégorie ? C'est pourquoi la proposition de Mme Debré et de M. Milon va dans le bon sens.

C'est à l'unanimité que la commission a adopté les amendements que je vous présenterai en son nom et qu'elle a émis, sous cette réserve, un avis favorable à l'adoption de ce texte ! (Applaudissements à droite)

M. Yves Détraigne. - Le décès tragique d'une fillette le 27 août dernier à Épernay, a montré combien il nous fallait des solutions concrètes face au problème des chiens dangereux : c'est le sens de la proposition de loi que nous avions déposée, avec Mme Férat, et de ce projet de loi. Entre juin 2006 et avril 2007, le quotidien régional de la Marne et de l'Aisne a recensé 9 accidents graves causés par des chiens dangereux. Le jour même où des propriétaires de chiens manifestaient à Épernay contre la décision d'euthanasier le chien responsable de la mort de la fillette, une adolescente de 14 ans se faisait attaquer par deux molosses à une vingtaine de kilomètres de là...

La médiatisation a le mérite de donner de l'écho à ce texte. La question des chiens dangereux n'est pas récente, l'arsenal législatif dont nous disposons est lacunaire sur ce point essentiel : la prévention des accidents, par la responsabilisation des propriétaires de chiens.

Nous avons entendu des propos ahurissants lors de la manifestation d'Épernay, par exemple : « Les chiens sont des êtres humains comme les autres » ou bien : « Entre mes enfants et ma chienne, je ne fais pas de différence ».

Le manque de connaissance de la dangerosité d'un animal est souvent à l'origine des accidents. Qui n'a pas vu, dans sa commune, des adolescents accompagnés de molosses qu'on ne confierait pas à des adultes même ? La loi de 1999 devait recenser ces animaux, mais elle est restée muette sur la responsabilité des maîtres, leur formation est devenue impérative, d'autant que la majeure partie des accidents survient dans le cercle familial : seul un propriétaire au fait des risques encourus, doit pouvoir introduire un animal dangereux dans la famille.

Nous ne sommes pas de ceux qui pensent qu'il n'existe pas de chiens dangereux mais qu'il existe uniquement des maîtres dangereux. Si la loi de 1999 a jugé utile de définir les chiens dangereux de manière très précise, c'est bien que ces races ont un degré de dangerosité supérieur aux autres, ne serait-ce qu'en raison de leur force musculaire. Mais nous sommes les premiers à reconnaître que c'est l'usage qui est fait de son chien qui peut le rendre plus dangereux encore : la manière de se comporter avec son animal de compagnie et de le dresser, donc la formation des propriétaires, sont déterminantes.

Les professionnels -centres d'éducation canine, clubs canins- parviennent parfaitement à canaliser l'agressivité des chiens : nous devons nous les associer pour définir une politique de formation efficace. Sans aller jusqu'au « microprocesseur de reconnaissance » espagnol, l'exemple de certains Länder allemands, avec un permis de détention accordé à condition d'une maîtrise de l'animal, a retenu toute notre attention. La délivrance d'un « permis de détention » paraît la solution la plus efficace pour responsabiliser les propriétaires de chiens de catégorie 1 et 2.

Ce texte va dans ce sens, nous souhaitons y ajouter cette condition : que les propriétaires de chiens dangereux fassent passer à leur animal le certificat de sociabilité et d'aptitude à l'utilisation. Ce test doit vérifier l'équilibre caractériel du chien, sa sociabilité et l'aptitude du maître à exercer un contrôle de son animal. Il existe déjà et il est réservé à certains types de chiens pouvant être agressifs mais n'appartenant pas aux catégories 1 et 2.

Nous approuvons bien sûr les dispositions relatives au certificat d'aptitude, les pouvoirs de sanction supplémentaires confiés au maire et la simplification de la décision d'euthanasie quand le chien est à l'origine d'un accident mortel.

L'endiguement du « phénomène pitbull » est un travail de longue haleine, qui nécessitera l'association de tous les acteurs de terrain. Le risque zéro n'existe pas, mais le risque d'accident peut être réduit par une politique de formation adaptée et si la menace de sanction réduit la négligence des propriétaires.

La France s'apprête à devenir le pays européen le plus en pointe sur la question épineuse des chiens dangereux. Certes, plusieurs points restent en suspens, comme l'interdiction totale de la détention de chiens de catégorie 1, ou le problème des croisements de chiens. Mais nous aurons fait un grand pas dans la bonne direction ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Roger Madec. - Avec 8 millions de chiens, la France est le premier pays canin d'Europe. Si la plupart d'entre eux sont bien insérés dans leur environnement familial, l'actualité récente nous a -hélas !- rappelé qu'un chien est un animal dangereux s'il n'est pas correctement sociabilisé et s'il est maltraité.

Après plusieurs accidents dramatiques, le Gouvernement, sous la pression émotionnelle, propose un nouveau texte, huit mois à peine après avoir renforcé l'arsenal juridique. Il faut relativiser les faits, même s'ils sont dramatiques. En 2004 il y a eu 2 morts suite à des morsures, mais 25 par accident de chasse, 26 par accident de montagne, une centaine par noyade en mer et une cinquantaine en piscine. En 2005, il y a eu une mort par morsure, en 2006 on en dénombré trois.

Si la loi de 1999 a partiellement enrayé la délinquance utilisant des chiens, elle n'a pas fait disparaître les chiens réputés dangereux. Cependant, ce sont surtout des chiens non classés comme dangereux qui sont à l'origine des drames récents qui ont surtout eu lieu dans la sphère privée. De même, sur les 10 000 morsures survenant chaque année, l'écrasante majorité est le fait de chiens d'autres races que celles visées par la loi.

Un chien a l'âge mental d'un enfant de trois ans et il obéit à un code, à un rituel bien particulier. Pour vivre en harmonie avec la cellule familiale dont il devient un membre, un chien a besoin d'être bien compris du point de vue de ses besoins biologiques et psychologiques et surtout éduqué dans l'affection certes mais dans un lien d'autorité et de dominance.

Pour asseoir sa dominance, le chien adresse une série de signaux à destination de son compétiteur, un autre chien, un enfant, voire un adulte. Elle s'achève, en cas d'insoumission du compétiteur, par une morsure -brève. Parfois, il peut y avoir danger, lié à un défaut de socialisation de l'animal.

Les récents accidents ont démontré le caractère déterminant de l'éducation sur l'agressivité de l'animal, mais aussi la difficulté de propriétaires à maîtriser leurs chiens, et parfois le manque de bon sens de ceux-ci.

Le bambin qui a récemment été mordu à mort avait tiré sur la gamelle : il était inconséquent de le laisser faire.

On comprend bien la nécessité d'une formation voire d'un réapprentissage du civisme. Cependant, tous les chiens de première catégorie ne sont pas dangereux et certains chiens non classés peuvent l'être. L'agressivité dépend non des gênes mais des conditions d'élevage et de socialisation du chiot. La responsabilité de l'éleveur et celle du propriétaire sont totales. Il faut donc s'interroger sur leur capacité à détenir des chiens.

Nos amendements renforcent la prévention. Afin d'identifier ce qui peut être à l'origine de l'agressivité canine, un organisme de veille permanente recueillera les informations avant de devenir une source d'information. Il faut en outre sécuriser et clôturer les propriétés où circulent des chiens d'un certains poids. On en doit pas, en revanche, pénaliser les éleveurs passionnés en multipliant les tracasseries. A trop vouloir bien faire, on les découragerait alors qu'ils n'élèvent souvent qu'une portée, d'ailleurs déclarée au livre des origines françaises : ils seraient la cible privilégiée des inspecteurs de la MSA peu soucieux d'aller battre la campagne à la recherche des sordides élevages clandestins.

Porter de huit à dix semaines l'âge minimum de cession des chiots évitera des séparations précoces avec leur mère. De même, des contrôles aux frontières orientales empêcheraient des importations de chiens à l'origine non contrôlée.

Les élevages sont le berceau du comportement des chiens, c'est sur eux qu'il faut d'abord faire porter les contrôles. La dégradation du rapport homme- chien tient surtout à la méconnaissance de ce comportement. Mais ce texte, élaboré dans la précipitation, ouvre la porte à tous les arbitraires. Vous n'avez pas associé ni même consulté la Société centrale canine, qui regroupe le monde cynophile, malgré ses 1 400 éducateurs canins et 2 400 contrôleurs d'élevage.

D'éminents spécialistes, tel le professeur Courreau l'affirment, « aucun chien n'est génétiquement prédestiné à être plus agressif qu'un autre ». Il ne sert à rien, assure Thierry Bedossa, vétérinaire comportementaliste, de stigmatiser certaines races par un texte aux dispositions « criminelles, racistes et choquantes » -je lui laisse la responsabilité de ses propos. Pour Geneviève Gaillard, le texte n'est pas bon et la présidente de la SPA « rentre en résistance » contre un texte inadapté et inabouti en refusant d'être complice d'une euthanasie.

Même si vous soulevez un problème grave, on ne peut légiférer dans la précipitation et sous le coup de l'émotion : nous nous abstiendrons. (Applaudissements à gauche)

M. Christian Demuynck. - Il fallait réagir face aux accidents dramatiques, vous avez su le faire rapidement et on ne peut que s'en réjouir. Nos concitoyens s'inquiétaient, notamment en Seine-Saint-Denis, département où le petit Aaron a été tué dans des circonstances horribles. La loi de 1999 entendait régler complètement le phénomène pitbull. Nous avions pris le parti de cibler les espèces de chiens dangereux afin de dissuader une frange de la population qui se portait acquéreur de molosses pour couvrir leurs trafics, et afin d'éradiquer les chiens les plus agressifs. Cependant, le résultat n'est pas à la hauteur des attentes et les trafics de chiens de première catégorie subsistent.

Un rapport de décembre 2006 chiffre à respectivement 260 000 et 410 000 le nombre des chiens de première et de deuxième catégories. L'extinction des espèces est restée un voeu pieux et certaines sont devenues de véritables labels. M. Braye a en outre rappelé que le classement des espèces leur ajoutait un attrait supplémentaire pour des personnes aux comportements asociaux. Enfin, la réglementation a été détournée au profit d'espèces non classées qui prolifèrent.

Une suppression du classement n'est pas envisageable, qui déresponsabiliserait les propriétaires. Il faut donc traiter l'ensemble de la question des chiens mordeurs : ils ne provoquent que 7 % des morsures mais 67 % d'entre elles sont le fait de chiens de plus de dix kilos.

Je salue le dépistage de la dangerosité des chiens. Il faudrait étendre ce dispositif à tous les animaux qui présentent des antécédents, même bénins, car il faut agir au premier signe.

Le texte ne tient pas suffisamment compte des modalités de garde et de vie des animaux que l'urbanisation confine souvent dans des espaces réduits et clos : 40 % des morsures touchent des enfants de 1 à 14 ans, dans le cadre privé. Le propriétaire ne peut être tenu pour le seul responsable et il faut apprécier les caractéristiques de la famille. Le vétérinaire doit disposer de ces informations lorsqu'il procède à son étude comportementale et en faire parvenir les conclusions au maire -je rejoins ici M. Braye car il appartient au maire de prendre les mesures qui s'imposent. Le propriétaire est aujourd'hui tenu de le prévenir en cas de morsure mais ne sera-t-il pas tenté de la dissimuler ?

La formation des propriétaires de chiens mordeurs est positive dans son principe mais risque de s'additionner à l'évaluation comportementale. Mieux vaut renforcer le contrôle du vétérinaire et restreindre la formation aux cas les plus compliqués. En effet, les professionnels vont être saturés dans les premières années d'application du dispositif. Est-il besoin d'en rajouter ?

En outre, les conditions d'acheminement et de vente sont à l'origine de l'agressivité de certains animaux ; le non respect de la période de sevrage des chiots et les conditions de leur transport vers les animaleries sont des facteurs aggravants. Les importations, notamment en provenance des pays de l'Est, doivent être moralisées, qui sont trop souvent l'occasion de maltraitances. Quant à la commercialisation des animaux, elle doit être mieux encadrée ; la législation actuelle permet à n'importe qui de vendre n'importe quoi. Les personnels des animaleries sont mal formés à l'éducation des chiots. Le droit de vendre ou de faire adopter des chiens devrait être réservé aux éleveurs et associations de protection des animaux, conditionné à un agrément du ministère de l'agriculture, celui-ci recensant la date du sevrage, les vaccinations, les conditions d'acheminement et de commercialisation du chiot. Cette traçabilité garantirait à l'acheteur et aux services vétérinaires un suivi précis du parcours du chien.

Je voterai ce texte, dont je ne doute pas qu'il permettra de limiter le nombre d'agressions. Mais la moralisation et la professionnalisation du commerce des chiens est à mes yeux un préalable. Je félicite les deux rapporteurs pour leur excellent travail. (Applaudissements au centre et à droite)

La séance est suspendue à 19h 30.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance reprend à 21 h 45.