Polynésie française (Deuxième lecture)

M. le président. - L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture des projet de loi organique et projet de loi tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française.

La Conférence des Présidents a décidé que ces deux projets de loi feraient l'objet d'une discussion générale commune.

Discussion générale commune

M. Christian Estrosi, secrétaire d'État chargé de l'outre-mer. - Les deux textes soumis à votre examen visent à doter la Polynésie française d'une organisation institutionnelle durable. Malgré quelques divergences sur la méthode suivie, les deux assemblées ont eu à coeur de conforter l'objectif gouvernemental de stabilité et de transparence.

Les dispositions adoptées par le Sénat ont été approuvées par l'Assemblée nationale. Citons, parmi les plus significatives, le relèvement des seuils prévus pour l'admission à la répartition des sièges et la présence des listes au second tour de l'élection de l'assemblée ; l'élection du président ; une répartition plus claire des compétences entre collectivités et le rappel de la prohibition de toute tutelle de la collectivité sur les communes ; une meilleure définition du domaine des lois du pays et du régime d'applicabilité des lois et décrets en Polynésie française ; et, enfin, l'extension des attributions de l'assemblée en matière de transparence financière.

L'Assemblée nationale a utilement complété ces initiatives en confiant au Conseil d'Etat le soin de constater l'empêchement définitif du président ; en exigeant qu'une motion de défiance constructive ou une motion de renvoi, pour être déposée, soit signée au moins par un quart des représentants à l'assemblée ; et en encadrant plus précisément le pouvoir exceptionnel de substitution du Haut commissaire de la République. Sur ce dernier point, il ne s'agit nullement de rétablir une quelconque tutelle, mais de rappeler les attributions dont jouit le représentant de l'Etat à l'égard de chaque collectivité conformément à la Constitution.

Le Gouvernement se rallie très volontiers à ces modifications.

La société polynésienne, attachée à l'autonomie, ne supportait plus l'instabilité et l'opacité. Le retour aux urnes était inéluctable afin que le peuple puisse élire, démocratiquement et dans la transparence, une majorité de Gouvernement (M. Bernard Frimat se gausse.). Qui pourrait critiquer que l'on rende enfin la parole aux Polynésiens ?

M. Bernard Frimat. - Sans blague !

M. Christian Estrosi, secrétaire d'État. - Pour que le renouvellement anticipé de l'assemblée soit l'occasion de dégager une majorité claire, nous devions compléter le statut de 2004 par des éléments de stabilité, de responsabilité et de transparence qui faisaient jusqu'alors défaut.

Il n'y a dans notre démarche aucune volonté d'ingérence dans le débat politique local, aucune volonté de toucher à la répartition des compétences entre l'Etat et la Polynésie, aucune volonté de revenir sur les acquis du statut d'autonomie de la Polynésie française.

M. Bernard Frimat. - Oh non !

M. Christian Estrosi, secrétaire d'État. - Notre seul souci a été de répondre aux attentes des Polynésiens.

M. Bernard Frimat. - Vous ne croyez pas à ce que vous dites ! (M. Jean-Pierre Bel le confirme)

M. Christian Estrosi, secrétaire d'État. - Il était de notre devoir, celui d'un Etat impartial (on se gausse à gauche), de prendre cette initiative.

Le statut d'autonomie de la Polynésie française sortira renforcé de vos débats. L'Etat travaillera ensuite avec les élus polynésiens dans un esprit de partenariat loyal (Même mouvement). Je suis heureux de vous annoncer que le Président de la République se rendra en Polynésie française durant la deuxième semaine d'avril 2008 pour finaliser la signature du contrat de projet -j'ai signé un premier protocole avec M. Oscar Temaru, président, il y a quelques jours. Ce contrat permettra, je l'espère, d'engager résolument la Polynésie française sur le chemin du développement, de la prospérité et de l'égalité des chances ! Le temps est venu d'écrire une nouvelle page de l'histoire de la Polynésie française, de la Polynésie dans la France !

C'est pourquoi, le Gouvernement vous demande d'adopter ces deux projets de loi dans la rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale. Nous laisserons ensuite la parole aux Polynésiens comme l'exige la démocratie. A eux de confier les rênes de leur gouvernement à ceux qu'ils en jugeront dignes ! (Applaudissements à droite. M. Fauchon applaudit aussi).

M. Christian Cointat, rapporteur de la commission des lois. - Les deux textes adoptés par l'Assemblée nationale ne modifient pas l'esprit de notre démarche et renforcent même le dispositif de contrôle que nous avons préconisé en plaçant au coeur de celui-ci l'Assemblée de Polynésie et sa commission de contrôle budgétaire et financier. Les députés ont en effet pris en compte la plupart de nos observations et les dispositions qu'ils ont adoptées sont marquées par une même recherche d'équilibre et une même volonté de répondre à l'attente des Polynésiens. Ces dispositions, cependant, présentent parfois quelques divergences -le plus souvent mineures- avec les formules que nous avions retenues.

D'abord, les députés ont réduit le nombre minimal de signatures, pour le dépôt d'une motion de défiance, de un tiers à un quart des membres composant l'Assemblée. Le projet initial du Gouvernement fixait ce nombre à un cinquième. Or, j'avais compris, lors de mes consultations sur place, qu'un trop faible nombre de signatures favorisait l'instabilité des institutions. II fallait donc augmenter ce nombre mais dans une proportion raisonnable. Si votre commission des lois avait proposé un tiers des élus, c'était uniquement pour rester en cohérence avec le dispositif adopté pour Saint-Martin et Saint-Barthélemy. L'Assemblée nationale estimant que les spécificités de la Polynésie justifiaient un statut spécial a préféré retenir un chiffre à mi-chemin entre un cinquième et un tiers. C'est une autre conception mais tout aussi légitime et nous pouvons donc nous y rallier.

Autre modification, porter à trois heures, au lieu d'une, le délai pour le dépôt des candidatures entre les résultats du premier tour et le deuxième tour pour l'élection du président de la Polynésie. Si ce délai supplémentaire favorise l'émergence d'un candidat consensuel, on ne peut que s'en réjouir et nous n'y voyons aucune objection.

Les députés proposent aussi de réduire à huit jours -comme à l'heure actuelle- au lieu de dix comme envisagé par le Gouvernement, le délai de publication du procès-verbal de l'Assemblée de Polynésie. Dans son avis, celle-ci avait demandé d'augmenter ce délai jusqu'à douze jours mais cela risquait de gêner l'exercice des droits de recours. Cette divergence avec le Sénat est loin d'être fondamentale.

De même, l'Assemblée nationale a réécrit l'article relatif aux pouvoirs spéciaux du Haut Commissaire en cas de crise grave, afin de les encadrer davantage. Elle a en particulier ajouté un critère d'urgence. Cette rédaction ne diffère pas de celle du Sénat sur le fond et son adoption ne soulève pas de difficultés. Cependant, le texte du Sénat, reprenait les dispositions adoptées pour Saint-Martin, Saint-Barthélemy et Saint-Pierre-et-Miquelon...

S'ajoutent à cela de nombreuses modifications purement rédactionnelles qui ne sont pas de nature à faire débat... Un seul changement est vraiment d'importance car il remet en cause la solution que nous avions retenue pour résoudre une difficulté à la fois linguistique et juridique. Bien que l'usage des langues tahitiennes et polynésiennes ne soit pas autorisé à l'Assemblée de Polynésie par le statut d'autonomie de 2004, tel n'est pas le cas en pratique. On m'a même rapporté le cas où des ministres polynésiens ne s'étaient exprimés que dans une langue polynésienne. C'est d'ailleurs pour le traduire en français qu'un délai supplémentaire est demandé pour la publication du procès-verbal des travaux de l'Assemblée. Cette pratique, persistante bien que non conforme à la loi, crée une insécurité juridique et plusieurs textes -dont des lois du pays- ont été jugés illégaux par le Conseil d'État, les débats ne s'étant pas entièrement déroulés en langue française et un orateur ayant refusé de s'exprimer en français à la demande de représentants ne comprenant pas le tahitien. C'est pourquoi il nous avait semblé opportun -compte tenu de l'article 57 du statut de la Polynésie qui reconnaît les langues polynésiennes- d'en autoriser l'usage mais à la condition expresse, en contrepartie, que cette utilisation fasse l'objet « d'une interprétation simultanée » en français, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. L'Assemblée nationale ne nous a pas suivis dans cette d'ouverture dont, pourtant, la finalité était d'appliquer dans les faits -et non pas d'une manière théorique- l'obligation de recourir systématiquement à la langue française d'une manière directe ou indirecte. Visiblement la question n'est pas encore mûre. Elle pourra être reprise à d'autres occasions. Aussi, la suppression de notre amendement, si douloureuse soit-elle doit être considérée comme un appel à réfléchir davantage à une solution puisque le problème demeure non résolu.

Le texte des députés apporte également des compléments utiles. Par exemple, il introduit, par analogie avec Saint-Martin et Saint-Barthélemy, un dispositif en cas d'élections partielles. De même il ajoute la prise en compte de la position de la minorité dans les avis donnés par l'Assemblée de Polynésie. Les députés ont également validé la création, au sein de l'Assemblée de la Polynésie française, d'une commission de contrôle budgétaire et financier, et la possibilité, pour cette assemblée, de saisir la Chambre territoriale des comptes sur les projets à caractère financier. Ce rééquilibrage des pouvoirs permettra une gestion transparente et responsable des fonds publics car la lumière est la meilleure des protections.

Bien entendu, les deux rapporteurs se sont longuement concertés et je me félicite de la qualité des échanges que j'ai pu avoir avec notre excellent collègue et ami Jérôme Bignon. Sur la divergence relative à l'usage des langues polynésiennes, les deux rapporteurs s'en étaient finalement remis à la décision du Gouvernement, lequel a accepté la suppression de notre amendement, la question méritant d'être encore creusée. Sur le projet de loi ordinaire aucune divergence ne peut être notée ni sur le fond, ni sur la forme, les amendements de l'Assemblée nationale améliorant le texte.

Les rares points de divergence sont soit suffisamment mineurs pour ne pas justifier la poursuite du débat soit pas encore mûrs pour trouver dès à présent une légitime solution. Aussi, quelle que puisse être ma sympathie pour certains des amendements présentés, et à mon grand regret vis-à-vis de leurs auteurs pour lesquels j'ai encore plus de sympathie, je serai conduit à leur donner un avis défavorable. Votre commission des lois vous propose donc de voter conformes les deux textes adoptés par l'Assemblée nationale. (Applaudissements à droite).

M. Bernard Frimat. - Le débat à grande vitesse continue. Je suis heureux de vous revoir, monsieur le ministre ou, plus exactement, de vous revoir si vite. Vous aviez demandé l'urgence, mais comme l'urgence ne va pas assez vite, vous demandez le vote conforme. A peine le texte est-il voté dans la nuit de jeudi à vendredi dernier à l'Assemblée nationale que nous le retrouvons aujourd'hui au Sénat pour une deuxième lecture ! A défaut d'une commission mixte paritaire que nous attendions dans la logique des choses après la déclaration d'urgence par le Gouvernement, nous nous réunissons donc ce matin pour une seconde lecture, menant à un vote conforme annoncé dès le 23 novembre dernier dans une dépêche AFP : « On a appris vendredi, au Secrétariat d'État chargé de l'outre-mer, que le Sénat adopterait conformes jeudi, en deuxième lecture, les textes votés par l'Assemblée nationale ». Il nous faut bien respecter les dépêches AFP, d'autant que cela a le mérite de limiter, pour notre plus grande tranquillité d'esprit, le suspens insupportable qui règne d'ordinaire jusqu'à l'issue de nos débats...

Reste que cette façon d'aborder la Polynésie n'est pas inédite, je dirais même que c'est une bien mauvaise habitude. Souvenons-nous, le statut actuellement en vigueur a été débattu au Sénat dans la précipitation précédant la suspension des fêtes de fin d'année, après déclaration d'urgence, le 18 décembre 2003, puis le 14 janvier 2004 à l'Assemblée, et la lecture des conclusions de la CMP le 29 janvier dans les deux assemblées.

En ce début d'année 2007, le texte statutaire sur l'outre-mer a été promulgué en février, après déclaration d'urgence et débat au Sénat en octobre 2006, sans que la Haute assemblée ait pu être saisie de l'amendement intéressant la Polynésie et la prime majoritaire pour le parti arrivé en tête dans chacune des six circonscriptions, qui a donc été adopté par la seule majorité de l'Assemblée en janvier.

En 2007, toujours, mais en novembre, nous avons cette fois-ci l'occasion d'examiner l'ensemble des dispositions mais toujours en urgence et -c'est sans doute encore une coïncidence- beau au milieu de l'examen du projet de loi de finances.

Un passage en force, même sympathique, reste un coup de force. Le renforcement des pouvoirs du Parlement étant, dit-on, un thème élyséen, tous les espoirs sont permis -il y a un immense champ de progression en matière de procédure démocratique ! Je souhaite que pour le futur texte sur les communes de Polynésie, le Gouvernement pousse l'extravagance jusqu'à prévoir une navette classique, en nous laissant le temps de prendre connaissance des travaux du rapporteur...

Le projet de loi organique aurait mérité une commission mixte paritaire : il n'y a eu qu'une mini CMP, limitée aux seuls rapporteurs, avant le débat en séance publique. Étudiant, j'avais appris que la CMP intervenait plus tard, mais sans doute mes enseignants étaient-ils défaillants.

M. le rapporteur nous dit que la faiblesse des modifications de l'Assemblée nationale emporte un vote conforme. Ne serait-ce plutôt l'urgence de promulguer le texte avant la date limite du dépôt de candidatures pour les prochaines élections ? Sur le projet de loi organique, l'Assemblée nationale n'a adopté conformes que sept articles sur trente-sept, ce qui laisse une large marge de discussion. Les modifications apportées par l'Assemblée sont d'importance diverse, je vous l'accorde : simple réécriture, rééquilibrage, assouplissement ou au contraire encadrement renforcé.

Mais le texte comporte également quelques nouveautés. M. Lagarde -dont on ne sait s'il est député du Nouveau Centre ou du Fetia Api (Sourires) - a ainsi proposé que les groupes minoritaires à l'Assemblée de Polynésie puissent remettre un avis minoritaire sur un projet de texte. Très bien. Mais pourquoi ne tenez-vous pas aussi compte de l'avis de la majorité, qui ne veut pas de votre texte, (M. le président de la commission des lois le conteste), plutôt que de sponsoriser la minorité représentée par la conjonction de MM Tong-Sang et Schyle ?

Qui pourrait se plaindre de la démocratisation de l'audiovisuel ? TéléFlosse ne sera plus qu'un souvenir. C'est une évolution audacieuse, qui serait bienvenue également en métropole.

Le texte de l'Assemblée exprime également quelques points de désaccord avec le Sénat : le choix de la langue pour les débats -on ne tient pas compte de la réalité- ou le rôle de la commission de contrôle budgétaire, que l'on encadre pour mieux l'écarter, auraient mérité une discussion plus approfondie.

Qu'importe ces points de détails, il faut aller vite : la campagne de vos amis est prête. Notre groupe avait salué en première lecture les dispositions renforçant la transparence financière. Nous nous réjouissons que la majorité nous rejoigne sur des éléments que nous lui réclamions hier. Vous avez entrepris un processus de « déflossification » que je salue. Je regrette que vous ayez accepté que l'opacité s'installe. Il faut préciser que le rapport de la chambre régionale des comptes concerne la période antérieure aux élections de 2004 : la gestion des gouvernements qui se sont succédé n'est pas visée. C'est une question de rigueur intellectuelle. Ces affaires auront d'ailleurs une incidence sur les personnels des divers cabinets, majestueux par le nombre.

Vous nous proposez un nouveau mode de scrutin, dont vous savez qu'il n'apportera pas de stabilité aux institutions -mais ce n'est pas votre but. Vous croyez si peu à ce nouveau mécano que vous envisagez d'emblée des garde-fous à ce merveilleux système.

M. Christian Estrosi, secrétaire d'État.  - Pour assurer la transparence.

M. Bernard Frimat. - Grâce à une dissolution qui ne dit pas son nom, et que vous refusez d'assumer politiquement, vous espérez une nouvelle Assemblée plus conforme à vos voeux, avec un nouveau président -il y a peu de suspense sur le nom de votre poulain. Les lois de pure convenance ne sont pas rares lorsqu'il s'agit de la Polynésie - j'espère que celle-ci sera la dernière. (Mme Borvo Cohen-Seat en doute).

Sans surprise, parce que nous n'acceptons pas le vote conforme qui nous est imposé, le groupe socialiste votera contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes).

M. Robert del Picchia. - Ces deux textes approfondissent l'autonomie de la Polynésie française et améliorent le fonctionnement de ses institutions. Il y a urgence à améliorer le statut de 2004 car la Polynésie française souffre d'une instabilité institutionnelle et politique préjudiciable à son développement économique et social.

Il s'agit tout d'abord de garantir la stabilité des institutions politiques en évitant les censures à répétition et en contraignant ceux qui veulent s'unir non pour renverser mais pour construire. Le scrutin à deux tours pour l'élection des représentants à l'Assemblée de la Polynésie française permettra une représentation juste de tous les territoires et favorisera l'émergence d'une majorité stable.

Ces textes renforcent également la transparence, avec une meilleure publicité des travaux de l'Assemblée, le renforcement de la pratique des questions au Gouvernement, l'institution d'un débat d'orientation budgétaire et de règles d'incompatibilité de droit commun. Les modalités d'exercice des contrôles juridictionnels, financiers et budgétaires relèveront du droit commun des collectivités territoriales.

Ces mesures illustrent l'attachement du Gouvernement à la stabilité politique de la Polynésie. Je salue également le travail de notre commission des lois, qui a enrichi le texte, notamment en ce qui concerne les élections à l'assemblée territoriale. Le groupe UMP votera ces deux projets de loi avec la conviction qu'ils renforcent l'autonomie statutaire de la Polynésie en lui donnant les moyens de fonctionner efficacement et durablement. (Applaudissements à droite)

La discussion générale commune est close.