présidence de M. Christian Poncelet

SÉANCE

du mercredi 12 décembre 2007

41e séance de la session ordinaire 2007-2008

La séance est ouverte à 10 h 15.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Conseil européen du 14 décembre 2007 (Déclaration du Gouvernement)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, préalable au Conseil européen du 14 décembre 2007. Je remercie le Gouvernement d'avoir accepté notre proposition de tenir un débat avant chaque réunion du Conseil européen.

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État chargé des affaires européennes.  - Comme M. le président, je me félicite de l'occasion qui nous est donnée de débattre des affaires européennes avant chaque Conseil. Cette semaine est marquée par trois événements européens importants : la proclamation aujourd'hui à Strasbourg de la charte des droits fondamentaux, la signature, demain, du traité de Lisbonne et la réunion vendredi du Conseil européen.

Dès l'issue de notre débat, je me rends à Strasbourg, où sera proclamée la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Grâce au traité de Lisbonne, l'Union affirme haut et fort ses valeurs en leur donnant pleine force juridique. Elle disposera ainsi de la déclaration de droits la plus complète et la plus moderne au monde, qui garantira la dignité humaine, la protection des données personnelles, des droits en matière de bioéthique et de nombreux droits sociaux.

Le traité de Lisbonne adapte les institutions à une Union à vingt-sept. Il est ratifié par voie parlementaire, car il ne s'agit pas d'un traité constitutionnel mais d'un traité modificatif. Ainsi, le développement de l'Union ne sera plus uniquement centré sur l'achèvement du marché intérieur. Ce traité est un moyen, et non une fin en soi, pour traiter les défis de l'avenir : la gestion des migrations, la sécurité énergétique, le développement durable, la recherche, l'espace et les capacités européennes de défense. Il permettra de développer des coopérations renforcées dans les domaines de la défense et de la politique extérieure, notamment pour nos relations avec la Méditerranée. Cinquante ans après la signature du traité de Rome, une espérance nouvelle anime une Union où vivent 500 millions d'habitants. La France sera parmi les premiers États à ratifier ce traité, si vous le décidez. Le Conseil européen devrait donner mandat aux présidences slovène et française pour préparer son entrée en vigueur.

Ce Conseil remettra en perspective les avancées récentes obtenues sur les aspects économiques, sociaux et environnementaux. Il préparera le Conseil européen de mars prochain, centré sur les questions économiques et sociales liées à la stratégie de Lisbonne, dont la mise en place d'un small business act pour le développement des PME, la poursuite des travaux sur les services d'intérêt général et une politique d'inclusion active cohérente avec les propositions de Martin Hirsch. Un mandat sera donné à la Commission pour préparer un agenda social pour la présidence française, concernant la mobilité des travailleurs, la santé et la sécurité au travail, l'égalité des chances et la lutte contre les discriminations, et pour les solidarités concrètes.

Une déclaration, annexée aux conclusions, reflètera certaines de nos priorités, telle la maîtrise de la mondialisation grâce au multilatéralisme, les bénéfices réciproques attendus des relations économiques, la stabilité financière internationale, le combat contre le changement climatique et l'aide au développement, guidée par les objectifs du millénaire.

Dans les domaines de la sécurité et de la justice, il faut noter l'élargissement, le 21 décembre, de la zone Schengen à neuf nouveaux États membres. Elle comptera ainsi vingt-trois membres, avant l'inclusion, en 2008, de la Suisse et du Liechtenstein. Cette zone de liberté de circulation de 3,6 millions de kilomètres carrés est la plus vaste au monde, sécurisée par la coopération policière et le système d'information basé à Strasbourg. Les capacités européennes de protection civile seront renforcées et de nouveaux principes seront posés pour la gestion équilibrée des migrations, par des accords entre les États membres de destination et d'origine. Une conférence euro-africaine sur ce thème sera organisée sous la présidence française

Concernant les relations extérieures, je répondrai à vos questions sur ce sujet délicat. Les pays des Balkans bénéficient tous d'une perspective européenne et leur avenir est dans l'Union. Nous regrettons que les négociations n'aient pas permis d'aboutir à un accord entre Serbes et Albanais kosovars. Il faudra juger l'unité de l'Union sur sa capacité à consolider la stabilité régionale. Le Conseil européen devrait encourager la Serbie à se rapprocher de l'Union européenne en coopérant pleinement avec le tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie. Elle pourrait alors signer un accord de stabilisation et d'association avec l'Union, avant de se porter candidate à l'adhésion.

L'Europe est de nouveau en marche. Les présidences allemande et portugaise ont joué un rôle fondamental dans la sortie rapide du blocage institutionnel. L'implication du Président de la République française dans la coopération franco-allemande a été déterminante pour relancer l'Europe institutionnelle et débloquer plusieurs dossiers industriels et stratégiques tels qu'EADS et Galileo.

L'avenir de l'Europe sera en jeu lors de ce Conseil européen. Un groupe de réflexion restreint devrait être mis en place afin de définir le projet européen pour 2020-2030, approfondir les relations de l'Union avec ses citoyens, comme avec ses voisins et ses partenaires. La France se prépare à jouer un rôle moteur, durant sa présidence, pour nourrir cette dynamique. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean François-Poncet, en remplacement de M. Serge Vinçon, président de la commission des affaires étrangères.  - Le Conseil européen du 14 décembre s'ouvrira sous d'heureux auspices, puisque les progrès de l'Europe depuis un an auront permis que le traité réformateur ait été signé la veille à Lisbonne. La France pourra compter sur le bon vouloir de la Commission, à qui le Président de la République a tendu la main, au lieu de s'opposer à elle comme c'était notre regrettable habitude. La sympathie acquise par le chef de l'État auprès des nouvelles démocraties d'Europe de l'Est complétera nos relations avec l'Allemagne, qui demeurent l'axe central de la construction européenne. Enfin, Galileo -indispensable à la présence de l'Europe dans l'espace- semble tiré d'affaire, alors qu'EADS parait enfin sorti de la zone de turbulences et que l'espace Schengen s'élargit.

Ces progrès couvrent un vaste champ aux initiatives de la présidence française qui débutera en juillet prochain.

Mais certains sujets n'attendront pas jusque-là, notamment l'avenir du Kosovo. Aucun accord n'ayant été trouvé avec la Serbie et la Russie, le gouvernement kosovar a la ferme volonté de proclamer l'indépendance de la province, au plus tard début 2008, ce qui soulève une série de questions. La France a-t-elle l'intention de reconnaître le nouvel État ? Sur quelles bases juridiques l'indispensable présence de l'Otan sera-t-elle prolongée si le Conseil de sécurité est paralysé par un veto russe ? Les pays européens se diviseront-ils sur ce sujet ? On peut le penser. Les états dont l'unité est menacée par des mouvements irrédentistes -dont l'Espagne est un exemple, mais pas le seul- refuseront sans doute l'indépendance, par crainte d'un dangereux précédent. On peut estimer cette approche légitime, mais si l'Europe est incapable de rester unie sur un sujet qui la concerne directement, comment pourra-t-elle parler d'une seule voix dans d'autres circonstances ?

La France exercera la dernière présidence semestrielle de l'Union, ce qui lui confère une dimension stratégique avec des incidences sur le fonctionnement des nouvelles institutions, qui seront mises en place début 2009, caractérisées notamment par une présidence durable et la création d'un haut représentant aux affaires étrangères et à la défense. Les initiatives françaises orienteront la manière dont l'Union affrontera des sujets majeurs, auxquels l'opinion publique est sensible. Je pense notamment à l'immigration, aux perspectives budgétaires, à la politique agricole commune, aux relations avec l'Otan et à la lutte contre le réchauffement climatique.

Il faudra un tour de force pour mettre les Vingt-sept d'accord sur de réelles avancées alors que la durée efficace de la présidence n'excédera pas quatre mois en raison des vacances d'été. Les citoyens ne nous pardonneraient pas de nous contenter de projets timides, mais il nous faudra éviter que des initiatives audacieuses ne gênent les gouvernements britanniques et danois, engagés dans la ratification du traité de Lisbonne alors que leur propre opinion publique est rétive. Ainsi, les obstacles sont à la mesure des ambitions, qui sont grandes.

Par ailleurs, la présidence française n'aura pas le temps d'aborder certaines questions posées avec insistance lors du référendum sur le traité constitutionnel. Il est heureux que le Président de la République ait décidé d'en saisir un groupe de réflexion, dont le rapport permettra d'aborder dans deux ans un débat sur les frontières de l'Union, dont certains de nos partenaires ne veulent pas entendre parler.

La commission des affaires étrangères vous souhaite énergie et succès dans l'accomplissement de votre haute et difficile mission qui, si elle réussit, pèsera lourd dans l'histoire européenne. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques.  - Le Conseil européen du 14 décembre est important à plus d'un titre, mais je me félicite surtout que l'accord sur le traité de Lisbonne mette fin à une période d'incertitude gravement préjudiciable à la construction européenne.

L'engagement sans faille du Président de la République a permis d'obtenir un texte équilibré. Il importe que la France montre désormais l'exemple d'une ratification rapide. Le texte sera donc examiné en janvier, le Congrès se réunira le 4 février.

Parmi les sujets à l'ordre du jour du Conseil européen, je souhaite insister sur la stratégie du Lisbonne et sur le changement climatique.

Le Conseil européen doit lancer le prochain cycle de lignes directrices de la stratégie de Lisbonne pour la croissance et l'emploi, qui devront être approuvées au printemps 2008. Il me semble important d'insister sur l'actualité du processus car il recouvre tous les objectifs et moyens dont l'Europe s'est dotée pour devenir, à l'horizon 2010, « l'économie de la connaissance la plus compétitive du monde ».

Après un démarrage décevant, le recentrage opéré au printemps 2005 a relancé ce cadre de référence pertinent. En effet, pour relever le défi de la mondialisation, l'Europe doit mobiliser ses ressources en travail, investir en recherche et développement, développer l'éducation et la formation, enfin soutenir ses petites et moyennes entreprises. L'objectif d'atteindre un taux de croissance de 3 %, un taux d'emploi de 70 % et de consacrer 3 % du PIB aux dépenses de recherche-développement a été confirmé.

À juste titre, le président Barroso a réaffirmé la volonté de l'Union européenne de progresser dans sept domaines prioritaires. Je citerai l'adaptation du marché intérieur, la défense des intérêts de l'Europe dans le monde et la promotion de nos normes au niveau mondial. Dans ce contexte, je me félicite que le Gouvernement français inscrive notre programme de réformes dans le cadre de la stratégie de Lisbonne. Cette nouvelle convergence atteste le retour de la France en Europe.

Certes, la France a enregistré quelques retards autrefois, mais les orientations des derniers mois permettront de tourner la page grâce à l'assouplissement du marché du travail, à la réforme des universités, au crédit d'impôt recherche et à l'assainissement des finances publiques.

Il est très positif que le Parlement soit étroitement associé à la mise en oeuvre de la stratégie de Lisbonne au plan national. Monsieur le ministre, la commission vous a entendu à ce sujet le 22 novembre ; nous sommes destinataires du rapport annuel de suivi du programme national de réformes établi pour 2005-2008. À l'avenir, je souhaite que des rapports fructueux avec le Gouvernement accompagnent l'actualisation des lignes directrices de la stratégie pour 2008-2011.

La conférence annuelle de l'ONU sur le changement climatique se déroule à Bali. Elle donne l'occasion de faire le bilan du protocole de Kyoto signé il y a dix ans et de définir le cadre des négociations pour l'après 2012.

Selon les un, le bilan est insuffisant alors que l'objectif était limité. En effet, les pays signataires s'étaient engagés à réduire de 5,2 % les rejets de gaz carbonique d'ici à 2012 par rapport au niveau de 1990. Or, la baisse enregistrée par l'Union européenne est largement due aux difficultés économiques des anciens pays de l'Est. Surtout, les deux principaux émetteurs -les États-Unis et la Chine- n'ont souscrit aucun engagement. On peut également regretter que l'aviation internationale ne soit pas couverte par le protocole, alors que ses émissions ont crû de 80 % entre 1990 et 2005.

Pour ma part, je souligne que la dynamique vertueuse enclenchée par le protocole de Kyoto conduit à un consensus mondial, puisque le climat est désormais considéré comme un bien public global à gérer au niveau planétaire. Le rapport Stern, publié en octobre 2006, a souligné les effets désastreux de l'inaction sur l'activité économique et sociale.

Il fait valoir que les pays les plus pauvres risquent d'être les premiers et les plus durement touchés. Le laisser-faire pourrait coûter 5 % du PIB mondial, alors qu'agir pour réduire les gaz à effet de serre n'en coûterait pas plus de 1 %. L'option n'est pas d'éviter le changement climatique ou promouvoir la croissance et le développement ; il faut encourager les mutations de nos systèmes économiques, à travers la promotion de technologies sobres en carbone, afin de pérenniser la croissance tant des pays riches que des pays pauvres. Le dernier rapport du GIEC permet d'être optimiste.

L'Union européenne s'affiche en position de leader pour entraîner le reste du monde sur le chemin d'une croissance vertueuse et la France s'inscrit dans cette dynamique comme l'a affirmé le Président de la République lors du Grenelle de l'environnement. Pour la période qui suivra 2012, les Vingt-sept se sont fixé un objectif de réduction de 20 % de leurs émissions, objectif qu'ils proposent de porter à 30 % si un accord international est trouvé. Je mesure toute la difficulté qu'il y a à conduire une négociation globale, dès lors que vingt pays concentrent 80 % des émissions, dont les effets négatifs vont frapper principalement les pays pauvres. Il est donc impératif de progresser sur plusieurs thèmes et principalement la limitation des émissions de gaz à effet de serre, les transferts de technologies et l'aide aux pays pauvres pour s'adapter au changement climatique.

Plusieurs moyens peuvent être mis en oeuvre dans le cadre d'un accord international, de manière pragmatique. Je pense ainsi à la taxation aux frontières du contenu en C02 des importations provenant de pays hors protocole de Kyoto, ou à la mise en place d'un système international d'échange des droits d'émission de carbone. Il faut aussi lutter contre la déforestation, responsable de 20 % des émissions de carbone ; pourquoi pas à travers un mécanisme de compensation pour dédommager les pays qui préserveraient leurs forêts ? On pourrait aussi privilégier la conclusion d'accords sectoriels -sur le ciment, l'aluminium, l'acier- dans lesquels les pays émergents pourraient s'engager à limiter leurs émissions.

Les enjeux mondiaux de la lutte contre le changement climatique me conduisent à plaider une nouvelle fois pour le renforcement de la gouvernance mondiale en la matière. C'est pourquoi, la commission des affaires économiques soutient sans réserve la position de la France et de l'Union européenne sur la création de l'Organisation des Nations Unies pour l'environnement. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Hubert Haenel, président de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne.  - Les deux aspects les plus marquants de la réunion du Conseil européen seront, sans nul doute, la signature du traité de Lisbonne et la position prise sur le Kosovo. Il n'est d'ailleurs pas difficile d'établir un lien entre ces deux aspects.

Lorsque la guerre a éclaté dans l'ex-Yougoslavie, il y a plus de quinze ans, mes électeurs alsaciens me disaient : « Que fait l'Europe ? Où est l'Europe ? » À l'époque, de fait, les Européens n'avaient ni une volonté commune, ni les moyens de décision et d'action qui auraient été nécessaires. Et c'est de l'extérieur de l'Europe qu'est venue la solution. Depuis lors, les choses ont changé, les États-Unis ont d'autres préoccupations. Certes, la crise irakienne a montré que, devant un choix décisif, l'Europe pouvait se diviser profondément. Et malheureusement, comme on le dit aussi en Alsace, « l'arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse ». Il n'en reste pas moins que la construction européenne, en matière d'action extérieure et de défense, a considérablement progressé depuis quinze ans.

Cette progression a été rythmée par les traités successifs de Maastricht, d'Amsterdam et de Nice, qui ont renforcé le rôle du Conseil européen, institué le Haut représentant, institutionnalisé le comité politique et de sécurité, transféré à l'Union les structures et moyens de l'UEO. Sur ces bases, la politique européenne de sécurité et de défense n'a cessé de se développer au cours des dernières années. Elle est aujourd'hui une réalité concrète puisque l'Union s'est montrée capable de conduire des opérations sur différents théâtres. Le traité de Lisbonne va considérablement renforcer les instruments d'action en matière de politique étrangère et de défense.

Si j'ai rappelé cette évolution, c'est parce que, face à la question du Kosovo, l'Union devra assumer de lourdes responsabilités. Malgré les progrès accomplis, serons-nous capables d'y faire face ? Nous devons bien en mesurer l'enjeu pour la construction européenne : cette question est de celles pour lesquelles nous avons voulu construire l'Europe. Si nous échouons, si nous nous enlisons, ce sera un échec pour l'idée européenne elle-même.

Il nous faut, tout d'abord, une réelle communauté de vues. Il semble que l'on progresse en ce sens mais cela pourra-t-il durer, en acceptant les conséquences du choix initial ? Nous voyons bien qu'on s'achemine à brève échéance vers une forme d'indépendance du Kosovo ; pendant une certaine période, ce ne sera sans doute pas une indépendance pleine et entière mais les frontières de la Serbie auront de facto été modifiées. Nous serons dans un cas de figure inédit. Certes, la carte de l'Europe n'est plus celle qui résultait de la seconde guerre mondiale. L'Allemagne a retrouvé son unité tandis que plusieurs ensembles fédéraux ont éclaté. Mais l'unité allemande s'est faite sans changement des frontières et, lorsque des fédérations ont éclaté, les frontières des entités fédérées ont toujours été respectées. Bien sûr, nous affirmons haut et fort que le cas du Kosovo ne pourra en aucun cas servir de précédent mais il nous faudra beaucoup de force de conviction pour le faire admettre. Le type d'indépendance dont va bénéficier le Kosovo ne nous facilitera pas la tâche. Il y a plus d'un territoire en Europe qui aspire, plus ou moins clairement, à une quasi-indépendance plus encore qu'à une indépendance pleine et entière. Prenons garde que de telles vocations ne viennent à se multiplier.

M. le président.  - Très bien !

M. Hubert Haenel, président de la Délégation.  - J'espère que nous saurons décourager cette tentation, car il serait paradoxal que la construction européenne, faite pour unifier, conduise à des séparations supplémentaires.

Le risque est d'autant plus grand que nos règles institutionnelles encouragent la balkanisation Nous avons reconnu la vocation à l'adhésion de tous les États issus de l'ex-Yougoslavie. Ils seront finalement sept et ces sept États auront au sein de l'Union un poids sans commune mesure avec celui qu'aurait eu une Yougoslavie unie. Celle-ci unie aurait eu trente-sept ou trente-huit sièges au Parlement européen ; les sept États successeurs en auront plus du double, soit davantage que la France ou le Royaume-Uni. Au Conseil, à la Commission, à la Cour de justice, ces États pèseront sept fois plus que n'aurait pesé une Yougoslavie unie. La division fait la force !

Il est vrai qu'il s'agit là de problèmes pour le long terme mais des difficultés redoutables risquent d'apparaître dès le court terme. Comment les Serbes du Kosovo réagiront-ils à une proclamation d'indépendance ? Serons-nous en mesure d'assurer leur sécurité, de les dissuader de choisir l'exode ? Que se passera-t-il dans la zone Nord, de peuplement serbe ? Quelles seront les répercussions sur les fragiles équilibres de la Bosnie-Herzégovine et de la Macédoine ? Au Kosovo, tout reste à faire. Ce n'est pas parce qu'un nouvel État apparaît qu'il est viable et l'on risque de rendre l'Europe responsable d'un échec.

Il faudra du temps pour que le nouveau traité entre dans la réalité. Après son entrée en vigueur, le 1er janvier 2009, il y aura nécessairement une période de rodage. Car le traité de Lisbonne, sur certains points, laisse à la pratique le soin de trancher. Comment vont se répartir des responsabilités entre le nouveau président stable du Conseil européen, le président de la Commission, et le haut représentant ? Comment fonctionnera le nouveau service européen d'action extérieure ? Ce n'est pas dans le traité qu'on peut trouver des réponses précises à ces questions. L'année prochaine, l'Union devra donc faire face au problème du Kosovo sans disposer de tous les instruments qu'elle a jugé nécessaire de faire figurer dans le nouveau traité. Seule une constante volonté commune pourra les remplacer.

Permettez quelques remarques sur le comité des sages, que l'on appelle désormais « groupe de réflexion à l'horizon 2020-2030 ». Tel qu'il est envisagé aujourd'hui, son mandat exclut les questions institutionnelles, et c'est très bien : le débat institutionnel a été tranché par le traité de Lisbonne, tâchons de faire vivre ce traité, avant de songer à revoir une fois de plus les règles de fonctionnement de l'Union. Son mandat exclut également qu'il s'occupe de la révision des politiques communes et du futur cadre financier de l'Union : là encore, c'est justifié, car il s'agit d'un autre exercice. En revanche, je suis déçu que l'on souhaite le cantonner dans une réflexion sur l'avenir du modèle européen dans des domaines comme l'économie, la protection sociale, le développement durable ou la sécurité intérieure. C'est assurément important mais il faudrait aller plus loin : c'est le sens même du projet européen qui fait problème depuis la fin de la guerre froide. C'est cette incertitude qui désoriente beaucoup de citoyens. Pourquoi sommes-nous ensemble ? Voilà la question.

Il y a quelques semaines, le ministre des affaires étrangères britannique, David Millibrand déclarait que l'Union n'était pas et ne serait jamais une superpuissance C'est bien là un aspect essentiel du débat : souhaitons-nous être un des pôles de puissance du monde globalisé, souhaitons-nous plutôt devenir une Suisse de 500 millions d'habitants, ou souhaitons-nous encore un autre modèle ? Lorsque, il y a quarante ans ou cinquante ans, on parlait des « États-Unis d'Europe », le propos était clair : construire une grande puissance à partir des puissances européennes amenuisées. Seul M. Verhofstadt ose encore employer ce terme. Faut-il en conclure que ce projet est abandonné ? On ne peut pas dire que cette question n'ait rien à voir avec celle des frontières de l'Europe ou, si l'on préfère, des limites de l'élargissement.

Si l'Union a vocation à réunir tous les États membres du Conseil de l'Europe, elle sera une organisation régionale plus qu'un pôle de puissance et alors, pourquoi se limiter à la rive nord de la Méditerranée. S'agit-il de construire une vaste zone de paix et de commerce ou d'incarner une identité et d'exercer une influence : sommes-nous une civilisation ?

J'espère que le Conseil européen ouvrira la réflexion car on n'arrivera à rien en évitant tout ce qui fait problème. Il faut être capable de parler de tout, déclarait le Président de la République. Alors, parlons-en et bon courage, monsieur le ministre. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jacques Blanc.  - Puisque nous entrons dans une période nouvelle, nous pouvons aborder la réalité des problèmes. On devait sortir de l'impasse et il faut rende hommage au Président de la République d'avoir osé dire qu'il fallait un traité simplifié pour redonner toutes ses chances à l'Europe. Nous pouvons aujourd'hui mesurer ce qui a été apporté par le sommet de juin et qui a été transformé par les Portugais. Le traité va être signé et, grâce à cet élément majeur, l'Europe ne sera plus bloquée et pourra poser les questions, même angoissantes.

Après le rapport tout à fait intéressant de M. Haenel, je veux souligner une évolution des objectifs de nature à répondre aux attentes des Français. Par-delà la gouvernance, je pense à l'économie sociale de marché, à la lutte contre l'exclusion, à la justice sociale, à la solidarité entre générations, à la protection des droits de l'enfant, et à cette cohésion territoriale dont je n'étais pas arrivé à traiter lors de la réunion que j'avais organisée à Amsterdam en ma qualité de président du comité des régions d'Europe : voilà qu'on l'affiche comme un objectif et qu'on affirme que les territoires constituent une chance pour l'Europe. Je voudrais encore citer la promotion du progrès scientifique et technique, déjà envisagée à Lisbonne, et le respect de la diversité linguistique et culturelle. Tous ces objectifs apportent des réponses que certains opposants à la Constitution n'avaient pas mesurées.

C'est un fait dont on ne peut que se réjouir, l'Europe se donne les moyens d'aborder les difficultés avec l'espérance de dégager des solutions. MM. François-Poncet et Haenel ont évoqué le Kosovo et les Balkans : une page se tourne aujourd'hui et nous pourrons en traiter avec plus de chance d'efficacité. L'Union contribuera mieux à la stabilité et à la paix : sans son intervention, personne ne pourrait écarter l'hypothèse de drames.

On ne parle pas beaucoup, on ne parle pas assez de la politique de voisinage. Pourtant, l'exigence d'aller vers les pays voisins implique l'existence de frontières. L'Europe s'était jusqu'ici interdit d'en tracer et le président Barroso expliquait que chaque génération définit les siennes. L'Europe se cherche. Le comité des sages, qui sera plutôt un comité restreint, sera chargé d'établir un projet global européen, de dégager un grand dessein ou, plutôt, de le reformater et de le rendre perceptible. Le débat portera-t-il sur ce que peut être la grande espérance européenne, cette réponse aux interrogations de ceux qui cherchent des repères, aspirent à une éthique, et s'interrogent sur les grands défis environnementaux et du développement durable ?

A mes yeux, le grand dessein d'union euro-méditerranéenne est complémentaire de l'objectif de Barcelone et va plus loin que la politique de voisinage. Le Conseil apportera-t-il une réponse à cette ambition très forte que le Président de la République a eu l'intelligence et le courage de porter ?

Nous vivons un moment formidable. Il y a eu des interrogations mais grâce à l'action du Président de la République et à la vôtre, l'Europe est sortie de l'impasse et peut porter nos espérances. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Robert Bret.  - A la veille de la signature du traité modifié, censé relancer la construction européenne, la stratégie retenue consiste à contourner les problèmes en prétendant les avoir résolus. Quels enseignements a-t-on tirés du refus de la Constitution européenne par les Français et les Néerlandais ? Les dirigeants européens ont décidé de le faire passer pour un incident de parcours et de reprendre les choses en main, loin du peuple. Cela s'est traduit dans la méthode. Tout a été très vite, ainsi que le déclarait le ministre lors de son audition : la conférence intergouvernementale a été la plus courte de l'histoire de la construction européenne, de juin 2007 à mi-septembre. La relance de l'Union a été décidée en contournant les peuples, sans informer ni consulter les citoyens ; la conférence intergouvernementale a simplement été chargée de retranscrire les principes arrêtés par les chefs d'Etat et de gouvernement à Bruxelles. Après l'échec de la Constitution, ils ont décidé d'arrêter l'expérience originale de la Convention, caractérisée par la mixité entre représentants des exécutifs et des parlements, pour retourner à des méthodes opaques, sans représentation démocratique. Sans surprise, les marchandages interétatiques à huis clos ont primé sur l'intérêt général. Les tractations pour un siège supplémentaire au Parlement, pour un poste d'avocat général à la Cour de justice des Communautés européennes, ou encore pour des dérogations ont occulté la définition de grandes ambitions européennes.

Par son contenu même, le traité ne répond pas aux attentes exprimées par le peuple quand il a dit « non », le printemps dernier ! Il n'y a qu'à en lire les articles, qui renvoient à d'autres articles d'autres traités : l'ensemble est si illisible qu'on chercherait en vain la simplification promise -le Président de la République, après s'être engagé pendant la campagne à prendre en compte l'avis des citoyens, ne s'y serait pas pris autrement pour empêcher, une fois élu, tout débat citoyen !

Le traité de Lisbonne reprend le traité constitutionnel : M. Giscard d'Estaing l'a reconnu. Le terme « Constitution » disparaît, de même que le drapeau, mais pas le déficit démocratique ni l'orientation libérale de la construction européenne !

La BCE demeure indépendante du pouvoir politique et cantonnée à des objectifs monétaristes, des institutions non élues, comme la Commission européenne ou la CJCE, continuent de concentrer le pouvoir européen. Les prérogatives confiées aux parlements nationaux sont de pure façade : nos résolutions ne sont pas contraignantes, pas plus que nous ne sommes les garants du principe de subsidiarité et notre pouvoir d'opposition à la révision simplifié doit composer avec un droit de veto du Sénat, puisque les deux chambres doivent être d'accord.

Le traité de Lisbonne ne change pas l'orientation libérale des politiques économiques et sociales de l'Union. Le principe de concurrence libre et non faussée ne figure certes plus parmi les objectifs, mais dans un protocole annexé : de la rupture, il n'y a que le simulacre. Du traité constitutionnel, on reprend le carcan du pacte de stabilité, qui enlève aux États toute marge de manoeuvre pour une politique d'investissements et de services publics. Les objectifs de la lutte contre le changement climatique, d'une politique de l'énergie responsable et du développement durable resteront parfaitement vains s'ils sont confiés à la seule régulation des entreprises privées ! Depuis des années, nous demandons qu'un bilan de l'ouverture des marchés soit réalisé !

La charte des droits fondamentaux disparaît dans le traité simplifié : on la mentionne seulement à l'article 6, une exception est faite pour la Pologne et le Royaume-Uni et on s'assure désormais que la charte n'étend pas les compétences de l'Union. Voilà ce qu'il advient des droits et des libertés avec ce traité : ils sont restreints, ou mis de côté !

La politique de sécurité et de défense commune est subordonnée à l'Otan, puisque l'article 42-2 précise qu'elle doit être compatible avec l'Alliance atlantique : nous contestons cette allégeance ! Je suis inquiet de ce qu'il adviendra de notre opération extérieure au Darfour, quand j'entends certains propos de nos partenaires allemands et britanniques ! Qui plus est, le traité de Lisbonne encourage la course aux armements : chaque État membre s'engage à améliorer son dispositif militaire et le risque de dérive militariste, qui avait alimenté le « non », demeure.

Le traité de Lisbonne serait une étape historique pour l'Europe ? Le Président de la République a décidé seul une ratification par le Parlement après que le peuple a dit non, c'est un déni de démocratie ! On ne résorbera pas le déficit démocratique en contournant le peuple, ni en créant un nouveau comité de sages ! A faire sans les citoyens, on fait contre eux : nous appelons tous les parlementaires respectueux des principes démocratiques à exiger un référendum pour ratifier le traité de Lisbonne !

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

M. Aymeri de Montesquiou.  - A chaque époque ses défis, qui exigent que nous en comprenions le sens et la portée historique. Face à la mondialisation des échanges et aux mutations profondes de notre environnement, la France a désormais l'Europe comme horizon. Dans ce contexte de crise, le déblocage institutionnel est un préalable indispensable : le pragmatisme institutionnel est la meilleure des solutions, dès lors que la réunion d'une nouvelle convention pour l'avenir de l'Europe n'est pas envisageable pour une ratification avant les échéances électorales de juin 2009 et que la négociation concerne 27 membres, dont plusieurs sont réticents à toute nouvelle norme européenne et au renforcement des politiques sociales de l'Union.

La « Constitution bis » était une chimère, des pays comme la Grande-Bretagne, la Tchéquie, le Danemark ou la Suède s'opposent à la constitutionnalisation. La ratification par le Congrès, annoncée avant, puis scellée par l'élection présidentielle, rappelle toute la légitimité de la représentation nationale.

Le traité de Lisbonne va dans le bon sens. L'amélioration de la codécision et du vote à la majorité qualifiée au sein du Conseil rendront possible le fonctionnement à vingt-sept. Les acquis sont préservés, de même que la nature contraignante de la Charte des droits fondamentaux, grâce au poste de Haut représentant pour la politique étrangère. Le maintien de deux traités ouvre des possibilités d'approfondissement des politiques européennes. La politique d'intégration ne signifie pas l'Europe à tout prix, en particulier celui d'une fracture citoyenne : le « non » a été une piqûre douloureuse, mais salutaire !

Le pragmatisme institutionnel ne fait pas une politique : le groupe RDSE souhaite un approfondissement du processus d'intégration. La présidence française en est l'occasion, en particulier pour la réforme de la PAC, l'énergie et le développement durable.

Deux impératifs : ne pas contraindre ni bloquer. Les citoyens ne souhaitent pas que la supranationalité s'accompagne d'une perte de souveraineté : il faut, en conséquence, agencer une intégration « multi niveaux », avec un protocole social additionnel auxquels les États adhèrent librement. La politique d'innovation montre le chemin, avec le groupe d'experts, présidé par notre collègue Laffitte, qui prépare un mémorandum pour la Commission sur la coopération des pôles de compétitivité et des « clusters » européens, pour une signature à Sophia Antipolis les 13 et 14 novembre 2008, par les vingt-sept États membres.

L'intégration, cependant, ne saurait se passer d'une légitimation populaire des politiques européennes. Les enquêtes démontrent que les citoyens européens demandent plus de politique et d'action civique.

Pour Jürgen Habermas, les manifestations européennes contre la guerre en Irak ont signifié la naissance d'une véritable opinion publique européenne. Cette identité européenne doit se traduire par le rapprochement entre citoyens et institutions.

La légitimation de l'Union passe par une réaffirmation des liens entre le national et le supranational. Le mécanisme d'alerte précoce des parlements nationaux ainsi que le renforcement de l'information en leur direction vont en ce sens, tout comme le présent débat. Il faudra sans doute aller plus loin, qu'il s'agisse de la prise en compte des collectivités locales par les fonds européens ou de la PAC.

Nous devons avant tout renforcer le lien direct avec les citoyens. Le groupe RDSE soutient la proposition d'un droit d'initiative citoyenne L'architecture institutionnelle ne pourra se passer d'une simplification : comment s'y retrouver entre Conseils des chefs d'État et de gouvernement et Conseils de gouvernement ? La représentation nationale doit participer à une meilleure communication, afin de souligner les apports de l'Union plutôt que ses contraintes.

Selon l'inventeur du concept, les organes ne suffisent pas à établir l'institution : aux côtés d'une « idée d'oeuvre à accomplir » doit se réaliser une « manifestation de communion » en faveur de l'institution. Les pères de l'Europe ont construit l'Europe pacifique comme une idée d'oeuvre. A nous désormais de ré-enchanter le politique en suscitant une manifestation de communion citoyenne pour l'Europe.

Portée à l'origine par un véritable élan populaire, l'Europe est depuis trop longtemps perçue comme le domaine réservé des technocrates. Nous devons absolument retrouver l'enthousiasme originel provoqué par ce projet de paix, la conviction que l'Union détient une part du futur du monde. Alors les peuples qui la constituent lui redonneront leur confiance. (Applaudissements à droite et au centre ; M. Josselin applaudit aussi)

M. Denis Badré.  - Les Parlements nationaux vont voir leur responsabilité européenne consacrée et amplifiée. Il serait préférable à l'avenir de débattre à l'avant-veille des Conseils européens, en temps utile, plutôt que la veille, mais nous savons que vous nous écoutez, monsieur le ministre. (Sourires)

Je préfère le nom de traité de Lisbonne à celui de traité réformateur, modificatif ou simplifié, ou encore de mini-traité, un peu désobligeant, et lui souhaite une destinée aussi féconde que celle du traité de Rome. Pour que l'Union à vingt-sept porte des fruits, il lui faut des institutions offrant une réelle capacité de décision. Si le Conseil se passe bien, ce sera le cas.

Le débat sur le Kosovo ne devrait pas venir le bouleverser, comme nous le redoutions. Nous souhaitons que le Conseil se détermine clairement sur la relève de la mission des Nations unies, une manière de reprendre la main dans une région qui a vocation à rejoindre un jour l'Union. Il faut afficher une unité sans faille au service de la paix dans les Balkans.

Le traité de Lisbonne devra être ratifié rapidement, par les vingt-sept. Puissent les récentes déclarations du Premier ministre danois, M. Rasmussen, qui souhaite voir son pays jouer désormais sans réserve le jeu européen, marquer la fin des dérogations et autres opting out... On ne construit pas l'Europe pour choisir son menu à la carte ! (M. Nogrix applaudit)

Ne montrons pas du doigt les pays où la ratification peut poser problème -je sais que vous leur tendez la main. La ratification doit unir et non diviser. Une pensée pour nos amis belges, dont nous souhaitons qu'ils surmontent leurs difficultés actuelles.

La France est de retour en Europe. Je salue l'engagement très actif du Président de la République : il fallait sortir de la crise. Je salue également l'admirable travail de la présidence allemande et de Mme Merkel, consacré par une présidence portugaise exemplaire. Si l'Europe peut s'arrêter du fait de tel ou tel de ses membres, elle ne peut avancer qu'à vingt-sept, chacun apportant sa part d'Europe dans une oeuvre commune.

Le candidat Sarkozy avait annoncé une ratification parlementaire du mini-traité : les Français ne sont pas pris en traître. Le nouveau texte -on peut le regretter- ne traite plus que des institutions : celle-ci se justifie donc parfaitement et ne constitue en rien une confiscation de la démocratie.

M. Denis Badré.  - Ne sommes-nous pas en démocratie parlementaire ? Le Parlement n'est-il pas ici dans son rôle ? Il faudra toutefois faire preuve de pédagogie pour que les Français n'aient pas le sentiment qu'on redoute leur réponse. Il nous faudra faire vivre le débat que les Français attendent. L'Europe sera vivante si elle est la leur !

Heureusement, peu lisent le Financial Times, dont l'édition de lundi donnait la parole, sur cinq colonnes à la une, à un conseiller proche du Président. Une aubaine : celui-ci remet en cause l'idée que des règles préétablies puissent sous-tendre l'action de l'Union, en souhaitant des « institutions plus pragmatiques, plus flexibles, réactives face à des circonstances changeantes et des revirements de l'opinion ». Tout l'opposé du traité de Lisbonne ! Peut-on imaginer une Europe sans règles et sans respect du droit ? (M. Bret s'exclame) Pire, ce conseiller introduit la confusion entre le traité, qui fixe un cadre, et les politiques développées en prônant une renationalisation des choix fondamentaux sur les politiques commerciale, monétaire ou de concurrence. Certains lecteurs britanniques s'empresseront d'ajouter la PAC à la liste ! Ces déclarations, à la veille du Conseil, ne vont-elles pas nourrir l'argumentation de ceux qui veulent détricoter l'Union et compliquer la tâche du gouvernement britannique sur la voie de la ratification ? Pouvez-vous nous confirmer, monsieur le ministre, que ces prises de position n'engagent que leur auteur ? Il va vous falloir recoller la vaisselle cassée outre-manche. Que ce soit l'occasion de réaffirmer que la France est bien de retour en Europe, sans arrière-pensées !

M. Hubert Haenel, président de la délégation.  - Elle l'est !

M. Denis Badré.  - Le futur traité ne parle plus des symboles. Ceux-ci n'en sont pas moins importants dans une Union dont les valeurs constituent l'identité. C'est vrai même à Mayotte, qui ne bénéficie pourtant pas des fonds structurels -j'avais parié avec Adrien Giraud que je parviendrai à évoquer ses préoccupations, c'est fait. (Sourires)

Le Président de la République a manifesté son attachement aux symboles en donnant un sens européen aux cérémonies du 14 juillet et du 11 novembre. Je vous remercie, monsieur le ministre, d'avoir fait pavoiser le Quai d'Orsay aux couleurs de l'Union : on ne pourra plus opposer intérêts nationaux et intérêts communs. Nous devrions nous associer à la démarche de ces États membres qui demandent une reconnaissance éclatante des ces symboles que sont le drapeau, l'hymne, la devise et la monnaie.

La proclamation de la Charte des droits fondamentaux aujourd'hui même à Strasbourg va dans le bon sens, tout comme la mise en place d'un comité des sages chargé de faire des propositions sur l'avenir de l'Europe. La société change -c'est sur internet que le « non » l'a emporté. Les citoyens veulent participer toujours davantage. Le comité pourrait s'interroger sur les raisons qui pousseraient aujourd'hui à la création d'une Union européenne... Il devra réfléchir aux moyens de restaurer le sens de l'intérêt commun, mis à mal par les égoïsmes nationaux, le « j'en veux pour mon argent ». Je souhaite que son mandat soit le plus ouvert et sa composition la plus libre possible : ne bridons pas la réflexion. Il devra souligner le chemin parcouru depuis la guerre, qui se poursuit avec le prochain élargissement à vingt-trois de Schengen. J'ai été heureux de constater avec vous, monsieur le ministre, le sérieux avec lequel les Slovaques se sont préparés à cette échéance, avec le soutien d'experts français.

L'Union ouvre un avenir à notre continent, à ses peuples, à nous et à nos enfants. Dans notre monde tourmenté, elle est un signe d'espérance pour des peuples privés des droits humains élémentaires. Monsieur le ministre, le groupe UC-UDF vous fait confiance pour aller de l'avant. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Philippe Darniche.  - Alors que le traité européen modificatif sera signé demain à Lisbonne et que le Conseil européen se tiendra vendredi, sous présidence portugaise, à Bruxelles, c'est avec la conviction d'un parlementaire foncièrement européen mais farouchement opposé à la cause fédéraliste et supranationale que je m'exprime.

J'aurais applaudi sans réserve au traité simplifié s'il avait marqué une rupture par rapport au traité constitutionnel que nos concitoyens ont rejeté par référendum, le 29 mai 2005. Il n'en est rien...

Je reconnais les avancées obtenues par le Président de la République : un traité réformateur plutôt que refondateur, qui donne un rôle plus important aux parlements nationaux, sans oublier la suppression de la référence à « la concurrence libre et non faussée » au titre des objectifs de l'Union ou le protocole sur les services d'intérêt général.

Mais les mécanismes supranationaux que nous avons rejetés demeurent... Pire, nous assistons à la naissance d'un État en devenir, doté de la personnalité juridique pour signer les traités, d'une présidence indépendante des États membres, et d'un service diplomatique supranational. Enfin, trop de compétences seront soumises à la règle de la majorité qualifiée, donc trop de pouvoirs accordés à la Commission de Bruxelles.

La logique fédérale poursuit son chemin, et par la voie parlementaire d'une ratification versaillaise. Cette nouvelle tentative de relance de la construction européenne s'effectue en l'absence de consentement populaire donc de véritable légitimité politique. Ce traité, simple succédané de celui que nous avons rejeté, est inacceptable, car c'est une Constitution bis. La chancelière allemande ne déclarait-elle pas le 29 juin dernier : « La substance de la Constitution est maintenue, c'est un fait. » ; M. Zapatero : « Nous n'avons pas abandonné un seul point essentiel de la Constitution » ou le Premier ministre irlandais : « 90 % de la Constitution sont toujours là... aucune modification spectaculaire n'a été apportée à l'accord de 2004 » !

Sous les oripeaux du traité simplifié, se cache bien la même Constitution, déjà sanctionnée sans appel par camouflet référendaire. Soucieux de préserver leur souveraineté nationale, nos concitoyens ne veulent plus que l'on décide à leur place, sous couvert d'un intérêt communautaire inexistant, au nom duquel on prétend leur faire renoncer à leurs intérêts nationaux.

Ils veulent pouvoir dire « non » par référendum à l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne ; ils veulent voir replacer une devise européenne qui les ruine au service de l'économique et du social ; ils veulent défendre l'avenir de notre pêche, de nos zones côtières, de notre biodiversité menacée par les OGM.

Comment, dès lors, ne s'inquièteraient-ils pas de voir que lorsque la Commission européenne renonce, comme elle vient de le faire, aux quotas textiles sur les importations chinoises, la France ne dit rien ? Comment ne s'inquièteraient-ils pas de constater que ce « maxitraité » simplifié de 256 pages ne dit pas un mot de l'indispensable rétablissement de la « préférence communautaire » ?

La France s'aligne peu à peu sur les États-Unis. Cet atlantisme proclamé lui fait perdre sa vocation historique de puissance d'équilibre face aux empires de la mondialisation.

En tant que législateur, je rappelle que seul le peuple français est habilité à se prononcer sur le nouveau traité. En tant que parlementaire, je n'a pas reçu du peuple mandat de ratifier par voie parlementaire le transfert de la souveraineté de la France, son déclassement en simple province de l'Europe. En soustrayant ce texte au verdict populaire, monsieur le ministre, vous kidnappez le débat !

L'Europe n'est-elle pas, comme le suggère son étymologie, cet être « au vaste regard » dont parle le poète ? Le regard des nations qui la composent au sein d'un espace aux frontières intangibles.

Face à un fédéralisme sclérosant et épuisant, une autre Europe reste possible, respectueuse des démocraties nationales et fondée sur des coopérations différenciées qui en feront la richesse. Si nous n'y prenons garde, monsieur le Ministre, l'heure viendra où nous devrons rendre des comptes...

M. Roland Ries.  - Cette semaine marque un moment capital pour la construction européenne. Aujourd'hui-même sera adoptée à Strasbourg la Charte des droits fondamentaux, texte fondateur le plus avancé et le plus précis en matière de droits de l'homme et de droits sociaux. Même si le Royaume-Uni et la Pologne s'en sont exemptés, il marque une avancée considérable des valeurs de référence qui doivent conditionner nos politiques communes. Nous regrettons d'autant que ce même jour, monsieur le ministre, la patrie des droits de l'homme accueille en grande pompe M. Khadafi, dont la politique demeure aux antipodes des valeurs portées par cette charte.

M. Josselin de Rohan.  - Il fallait le dire à M. Mitterrand !

M. Roland Ries.  - Demain, les chefs d'État et de gouvernement signeront le traité de Lisbonne. Nous nous félicitons de cette nouvelle avancée. Je n'entrerai pas dans une querelle de paternité. Que le Président Sarkozy y ait joué un rôle essentiel est évident ; que la chancelière Angela Merkel ait engagé, dès janvier 2007, au moment de la présidence allemande, des consultations préparatoires est une réalité historique ; que l'affaire soit finalisée sous la présidence du Portugais José Socratès est tout aussi incontestable. Il s'agit d'un succès collectif où chacun a eu sa part et qui va sortir l'Europe de l'impasse institutionnelle où elle s'enlisait depuis 2005. Comme l'a écrit dans ses Mémoires Jean Monnet au sujet du traité de Rome de 1957: « Je ne me suis pas demandé si le Traité pouvait être meilleur. II correspondait à tout le possible du moment et à la sagesse de l'époque ».

M. Hubert Haenel.  - Tout est dit !

M. Roland Ries.  - On ne saurait mieux dire en effet, et cette vérité reste d'actualité. J'enregistre donc avec satisfaction les avancées du traité simplifié en matière de fonctionnement des institutions européennes. Certes, il s'éloigne de l'ambition constitutionnelle qui était celle du Traité des Communautés européennes, pour renouer avec la « politique des petits pas ». Mais n'est-ce pas ce qui caractérise toute l'histoire de la construction européenne ? Nous ne faisons que revenir à un exercice classique de diplomatie intergouvernementale, et la formule toute de sagesse alsacienne que citait M. Haenel, « L'arbre qui tombe fait plus de bruit que la forêt qui pousse », trouve bien ici à s'appliquer : l'arbre du TCE est tombé, mais la forêt européenne pousse.

Le système qui entrera en vigueur en 2014 sortira la Commission des logiques nationales qui structurent sa composition. L'Union est enfin dotée d'une présidence stable : élu à la majorité qualifiée par le Conseil européen, le président pourra enfin donner une voix et un visage à l'Union européenne sur la scène internationale. Un Parlement européen renforcé, tant en matière législative et budgétaire que de contrôle politique, investira le Président de la Commission sur proposition du conseil européen « en tenant compte des élections du Parlement européen ». Les choix politiques des électeurs pèseront ainsi davantage.

La suppression de la référence à une « concurrence libre et non faussée » est une bonne chose. Il n'était pas utile de graver dans le marbre constitutionnel des orientations économiques qui, outre qu'elles sont loin de faire l'unanimité, n'ont pas leur place dans un traité portant pour l'essentiel sur le fonctionnement de nos institutions. Toujours au registre des vraies avancées, on peut se féliciter de la reprise du Protocole sur l'Eurogroupe ou de la quasi-généralisation de la procédure de la codécision. De même, une clause sociale horizontale et une base juridique sur les services publics sont enfin introduites : cette orientation permet de sauvegarder les services d'intérêt général en les faisant sortir de la sphère marchande.

Le Parti socialiste européen s'est prononcé en faveur du traité. Mais après sa ratification, il sera temps d'arrêter enfin de modifier sans cesse les règles du jeu institutionnel. (M. Haenel approuve) Songeons que nous en sommes au cinquième traité négocié et signé depuis la chute du mur de Berlin : Maastricht en 1992, Amsterdam en 1997, Nice en 2000, Rome en 2004 et maintenant Lisbonne.

Un traité tous les quatre ans ! Cela suffit ! Nous devons maintenant nous concentrer sur le fond des politiques communes, car beaucoup reste à faire pour construire une alternative à l'ultralibéralisme mondialisé.

Un mot des perspectives de ratification de ce nouveau traité. Seule l'Irlande, qui y est obligée, procédera à un référendum. La France, qui a le choix de l'adoption par voie référendaire ou parlementaire, a choisi une ratification par le Parlement. Je le regrette car la décision souveraine du peuple de refuser le traité constitutionnel en 2005 ne pouvait être modifiée que par le peuple, étant entendu qu'un second vote négatif du peuple français ne pourrait plus constituer un veto (M. Jean-Paul Emorine, président de la commission des affaires économiques, s'exclame) pour les autres peuples. Comme le disait le député européen Bernard Poignant, « l'histoire de l'Europe ne peut pas se jouer à la roulette française ». Qu'on regrette ou non cette décision, reconnaissons qu'elle avait été clairement annoncée par M. Sarkozy durant la campagne présidentielle. Pour ma part, bien qu'en désaccord avec le procédé d'adoption retenu, je voterai pour le traité...

M. Hubert Haenel, président de la délégation du Sénat pour l'Union européenne.  - Bravo !

M. Roland Ries. - ...afin de ne pas bloquer la construction de cette Europe démocratique, sociale et pacifique dont le rêve a commencé au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

J'ai pourtant bien conscience des insuffisances de ce nouveau traité. Il est maintenant urgent de donner un contenu politique à la construction européenne. Le Conseil européen de demain est important, car y seront traités des points cruciaux parmi lesquels les questions institutionnelles, la lutte contre le réchauffement climatique, l'avenir de la zone Schengen, de l'Union euro-méditerranéenne et des relations entre l'Union européenne et l'Afrique ou encore la lutte contre le terrorisme international, qui permettront de définir le modèle politique européen. Or il existe un danger que l'Europe se construise au détriment des droits, de la sécurité juridique et de l'égalité entre les citoyens européens. Opposer des citoyens de plein de droit à d'autres qui devraient se contenter de la portion congrue porterait atteinte à la citoyenneté européenne globale, laquelle est pour l'heure en devenir. En définitive, la question est de savoir si l'on veut une Europe à la carte, où l'approche intergouvernementale serait prédominante, ou une organisation politique européenne intégrée autour de politiques communes. Je défends la deuxième solution, étant entendu que les nécessaires harmonisations fiscales et sociales, qui devront se faire vers le haut, prendront du temps.

Ce traité constitue un pas dans la bonne direction. Mais les questions politiques principales n'ont pas été tranchées : quelle Europe construire ? Quels transferts de compétence accepter ? Quel socle commun économique et social et quelles frontières pour l'Union ? Elles devront être inscrites à l'ordre du jour durant la présidence française de l'Union. Nos concitoyens européens attendent des réponses. Au nom du groupe socialiste, je veux rappeler la nécessité impérieuse de construire une Europe des citoyens car, pour reprendre les termes de Jean Monnet, « rien n'est possible sans les hommes ». L'Europe se fera, si elle n'apparaît pas comme une superstructure technocratique, mais comme un « plus » pour les citoyens et les nations qui la constituent ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - Merci !

M. Hubert Haenel, président de la délégation.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Jouyet, secrétaire d'État.  - Je remercie tous les orateurs pour la richesse de ce débat auquel a été associée, pour la première fois, la commission des affaires économiques, ce dont je me réjouis.

Je répondrais tout d'abord aux interrogations sur le traité. Celui-ci, outre qu'il a l'avantage de ne pas contraindre et de ne rien bloquer pour reprendre les mots de M. de Montesquiou, constitue un véritable succès collectif, décrit par M. Ries, en ce qu'il permet des avancées, entre autres, en matière de rééquilibrage des politiques territoriales avec un rôle renforcé du comité des régions.

Monsieur Darniche, rassurez-vous, la future présidence du Conseil a pour seul but d'assurer la continuité du travail, elle ne sera en rien indépendante des Etats nationaux. De même, le service diplomatique commun n'est pas un instrument fédéral ou supranational ; il associera la Commission, le Conseil et des représentants diplomatiques nationaux détachés, ce qui respecte parfaitement la logique intergouvernementale de l'Union, sans compter que le Haut représentant est placé sous contrôle de du Conseil. Enfin, ce traité n'est en rien une Constitution européenne puisqu'il ne fait que modifier les traités antérieurs. Monsieur Bret, la conférence intergouvernementale a été rapide car les questions politiques ont été traitées par les chefs d'État et de gouvernement, qui sont seuls habilités à le faire. Et le Conseil européen, qui se prononcera demain sur le traité, est tout à fait démocratique.

Rappelons que la France n'a pas été seule à repousser le traité constitutionnel par voie référendaire en 2005, les Pays-Bas l'ont fait aussi. Leur Conseil d'État a reconnu la légitimité de procéder cette fois-ci par ratification parlementaire. En effet, ce traité ne fait que modifier les traités antérieurs -je le répète-, la charte des droits fondamentaux est déjà largement protégée par l'ordre juridique communautaire, le protocole sur les services publics laisse aux États un large pouvoir discrétionnaire en matière d'organisation et les dispositions sur la coopération policière et judiciaire respectent pleinement le principe de subsidiarité en donnant aux États qui le souhaitent la possibilité de rester à l'écart. Enfin, contrairement à ce qu'a soutenu M. Darniche, ce traité renforce le rôle des Parlements nationaux puisqu'ils pourront obtenir la modification ou le retrait de dispositions en passant par le filtre du Conseil européen et du Parlement européen à la majorité simple. Pour en revenir à la procédure de ratification retenue, elle est tout à fait conforme à l'ordre démocratique et à l'ordre européen. Dans ces cas, le référendum est davantage un instrument politique qui permet d'associer les citoyens à une décision.

J'en viens aux questions soulevées par MM. Haenel et François-Poncet sur la mise en oeuvre du traité. Durant la présidence française, nous devrons répondre clairement aux défis importants qui nous sont posés en matière de défense, d'énergie et de démographie dans des délais très limités. Par parenthèse, monsieur Bret, nous oeuvrerons au renforcement de la politique de défense.

Il est vrai aussi, messieurs Haenel et François-Poncet, que dans le même temps le traité devra être mis en place le plus rapidement possible pour respecter l'échéance du 1er janvier 2009. Nous devrons nous mettre en relation avec la présidence slovène pour l'application d'une trentaine de dispositions.

Nous devrons être clairs quant à l'articulation entre la présidence stable du Conseil européen et la présidence tournante, la première garantissant la continuité des travaux, la seconde en assurant la direction effective avec le président de la Commission, dont la légitimité sera renforcée avec son élection par le Parlement européen. Les procédures doivent être définies. La mise en place d'une politique commune de défense est elle aussi une gageure. Il ne faut pas que cette évolution compromette le processus de ratification en cours dans les pays membres. Le volontarisme nécessaire pour mettre en oeuvre le traité ne doit pas heurter les sensibilités de chacun. C'est là le premier devoir de notre présidence.

MM. Haenel, François-Poncet, Badré et Ries ont évoqué le groupe de réflexion. Il ne traitera pas des institutions car, comme l'a souligné Roland Ries, il faut cesser les modifications institutionnelles afin de stabiliser le dispositif pour s'intéresser plutôt à la définition de projets. Jean François-Poncet a posé la question de fond : pourquoi sommes-nous ensemble ? Donnons à l'Europe un large visage, conformément à l'étymologie rappelée par M. Darniche, afin qu'elle se positionne comme un acteur global. La question de l'identité se pose avec celle de l'unification du continent, et suppose de réfléchir à la meilleure configuration possible. MM. Badré et Ries ont rappelé la nécessité du rapprochement entre les citoyens dans le pôle de puissance ainsi créé. La définition de la citoyenneté européenne n'est pas le moindre défi à relever. M. Badré a évoqué le fait que le futur président -ou la future présidente- du groupe de réflexion qui sera désigné vendredi à Bruxelles proposera une liste de membres qui sera soumise ensuite au Conseil européen. C'est une bonne démarche.

M. Emorine a traité des questions économiques. Comme lui, j'estime que les lignes directrices fixées par la stratégie de Lisbonne pour 2008-2011 constituent un progrès. Il nous faudra tirer les conséquences de la conférence de Bali et créer des mécanismes d'ajustement aux frontières, d'échanges de quotas d'émissions dans différents secteurs, dont l'aéronautique, et de dédommagement pour les déforestations, en procédant par des accords sectoriels. Nous devons prévoir la création d'une organisation universelle, une « ONU de l'environnement ».

MM. François-Poncet, Haenel, Ries, Bret et d'autres sénateurs ont soulevé la délicate question du Kosovo. Il n'y aura pas de reconnaissance automatique simultanée en cas de déclaration d'indépendance, pour ménager les sensibilités des États membres. Nous sommes toutefois d'accord pour adopter une approche commune de la situation. Je tiens à rassurer M. Haenel : du temps s'est écoulé depuis 1991, et nous ne répéterons pas le processus de reconnaissances désordonnées. Une majorité d'États membres sera favorable à la reconnaissance de l'indépendance du Kosovo lorsque celle-ci sera déclarée. L'Europe doit être unie pour assurer la stabilité du pays, sécuriser les frontières, protéger les minorités et assurer la viabilité de l'État. Nous n'attendons pas de nouvelle résolution du conseil de sécurité des Nations Unies sur cette question, mais le secrétaire général de cette organisation devrait faire appel à l'Union européenne pour qu'elle assure sa mission de sécurité et de défense. Il nous faut appeler les parties à la retenue pour éviter les humiliations des uns ou des autres. Nous respecterons la doctrine des frontières internes de l'ex-Yougoslavie car nous ne voulons pas d'une partition du Kosovo, conformément aux travaux conduits par Robert Badinter. C'est un test pour la crédibilité de l'Union européenne, et tous les États membres sont mobilisés pour assumer notre responsabilité commune en matière de politique extérieure européenne. L'identité de l'Union face à un problème européen est en jeu, et l'application du traité de Lisbonne donnera de réelles perspectives européennes aux deux parties, en particulier à la Serbie une fois qu'elle aura assumé ses responsabilités, mais il faut toujours ménager les sensibilités des uns et des autres. (Applaudissements des bancs socialistes à la droite)

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement, qui sera imprimée et distribuée.

La séance est suspendue à midi vingt-cinq.

présidence de M. Adrien Gouteyron,vice-président

La séance reprend à 15 h 5.