Avenir du fret ferroviaire (Question orale avec débat)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat de M. Daniel Reiner à M. le ministre d'État, ministre de l'écologie, du développement et de l'aménagement durables sur l'avenir du fret ferroviaire.

M. Daniel Reiner, auteur de la question.  - La situation préoccupante du fret ferroviaire est une question récurrente. Je vous avais déjà interrogé sur le sujet en 2004, lors du lancement du plan stratégique qui devait redonner du tonus à ce secteur. Trois ans après, je m'interroge sur la volonté réelle de ce gouvernement de sortir le fret de l'impasse...

Les données du problème n'ont pas évolué depuis le rapport Haenel-Gerbaud, qui appelait à « engager la bataille du rail ». En 1974, la moitié des marchandises étaient transportées par train ; depuis, ce volume a connu une baisse continue pour atteindre 12 à 13 % aujourd'hui. Nous sommes passés de 55 milliards de tonnes-kilomètres en 2000 à 40 milliards en 2006 ! Le premier plan n'a malheureusement pas apporté les réponses attendues, que ce soit sur les volumes transportés ou sur le plan financier : le déficit de Fret SNCF atteint désormais 260 millions. Et ce n'est pas le budget de la mission « Transport » pour 2008, en stagnation, qui apportera un souffle nouveau.

L'opinion publique est pourtant très favorable au développement du fret ferroviaire et au report modal -le Grenelle de l'environnement a été un révélateur à cet égard. Outre cette préoccupation écologique, l'attente des entreprises, prêtes à faire confiance au fret, et l'exemple d'autres pays européens -la Suisse, mais aussi l'Angleterre et l'Allemagne, où la situation de la Deutsche Bahn est enviable- plaide en faveur du fret. Pourquoi ne réussirions-nous pas nous aussi ?

Le premier plan de redressement n'ayant pas fonctionné, on annonce une nouvelle organisation, qui m'inquiète fort : on s'en tient toujours à l'idée, pourtant dénoncée par le rapport Haenel-Gerbaud, que le transport ferroviaire n'est pertinent que sur 500 à 600 kilomètres, et ne peut donc fonctionner qu'avec des flux massifiés. Il s'agit donc de réorganiser le territoire autour de trois grandes gares de triage -dites hubs- en région parisienne, à Lyon et en Lorraine, et d'une quarantaine de gares fret, où l'on acheminerait des wagons isolés : c'est le « haut débit ferroviaire ». On veut imiter le modèle allemand, en oubliant que le territoire n'est pas le même et qu'en France, la massification ne se fait pas au départ des ports ! (M. Longuet approuve) Point n'est besoin de citer le rôle de Hambourg par exemple.

Cette stratégie de concentration des flux ne va faire qu'encourager la concurrence, qui a déjà pris des parts de marché, preuve que Fret SNCF n'offre pas la qualité escomptée par les chargeurs. Nous avons l'ambition de faire de la SNCF, entreprise performante dans d'autres domaines, un acteur majeur du transport européen, aux côtés de Deutsche Bahn. Or, loin de progresser, sa position sur le marché recule ! L'entreprise n'est pas seule responsable : elle doit composer avec l'entourage, avec la réglementation européenne, avec le réseau, les personnels, les moyens financiers à sa disposition. L'État a un rôle déterminant à jouer, en tant qu'actionnaire, régulateur et développeur.

Le Grenelle de l'environnement a fait des propositions mirobolantes, comme celle d'augmenter de 25 % la part du fret ferroviaire d'ici 2012 -alors que nous venons de perdre 25 % ces dernières années... De tels objectifs ne pourront être tenus avec les moyens que prévoit votre budget pour 2008. De même pour la libération des sillons, qui sont aujourd'hui saturés. L'état du réseau ne permet pas d'offrir des sillons de qualité, dédiés au fret. Quant aux autoroutes ferroviaires, elles restent une niche : la ligne expérimentale, qui relie Luxembourg à Perpignan, ne donne pas des résultats bien fameux, avec une dizaine de camions transportés par jour... Comme le soulignent les chargeurs, les camions sont faits pour rouler. Le transport combiné de caisses est bien plus intéressant.

Personne ne peut se satisfaire de la situation actuelle, au regard des attentes. Monsieur le ministre, vous avez déclaré dans Les Echos qu'il n'y avait pas de raison que le fret ne se redresse pas. L'État va-t-il assumer son rôle ?

Pour conclure, comme l'écrivaient MM. Haenel et Gerbaud dans leur rapport publié il y a quatre ans -déjà !-, le fret ferroviaire peut être relancé si -ce n'était qu'une des conditions- « l'État actionnaire, régulateur et développeur, remplit sa mission et si le Parlement l'y incite et y veille ». C'est ce que j'ai voulu faire en posant cette question aujourd'hui ! (Applaudissements à gauche)

M. Gérard Delfau.  - Alors que je m'inquiétais le 7 novembre dernier de la cessation du fret en wagon isolé dans trois gares en Languedoc-Roussillon, plus particulièrement celle de Béziers, et des importantes conséquences économiques locales qu'elle emporte, Mme Nathalie Kosciusko-Morizet m'avait assuré que la date de fin des négociations entre la SNCF et les entreprises, fixée au 30 novembre, serait prolongée pour trouver une solution acceptable aux deux parties. Or la SNCF maintient sa position de fermeture de la desserte ou conditionne la poursuite de son service à un tarif exorbitant. S'il est compréhensible que la SNCF veuille réduire le déficit de sa branche fret -le problème est réel-, on peut s'étonner qu'elle prenne seule cette décision touchant au service public d'autant que l'on s'est engagé lors du Grenelle de l'environnement à transférer une partie du fret de la route au rail. Donnons le temps à l'association Proffer LR de trouver une solution de remplacement équilibrée. C'est dans l'intérêt de la SNCF, de notre région -dont le tissu économique serait durement touché par une rupture de service- et de la politique contre le réchauffement climatique. Monsieur le ministre, pouvez-vous me rassurer sur ce point ? Au reste, pour appuyer l'argumentation de M. Reiner, la solution à ce problème local et ponctuel réside dans une politique ambitieuse de relance du fret ferroviaire assuré par la SNCF. Quelles mesures d'envergure le Gouvernement compte-t-il prendre en ce sens ? (Applaudissements à gauche ; M. François Fortassin applaudit également)

Mme Marie-France Beaufils.  - Ce nouveau plan de destruction du fret ferroviaire a été imposé sans la moindre concertation. Les entreprises de ma région ont été informées de la fermeture de la gare de triage de St-Pierre-des-Corps -quand elles l'ont été !- en plein été et les salariés de la SNCF ont été mis devant le fait accompli lors d'une réunion le 18 juin qui avait pour but d'obtenir l'accord de leurs syndicats. Monsieur le ministre, vous avez réussi à dresser contre vous une grande partie de l'opinion publique, en sus des élus, des salariés de la SNCF et des clients de l'entreprise publique en prenant de manière autoritaire une décision contraire à la logique de développement durable défendue par votre gouvernement lors du Grenelle de l'environnement.

La fermeture de deux cent soixante deux gares de triage est une mesure antiéconomique et anti-industrielle. Selon vous, cette décision est motivée par la faible activité de ces gares et, partant, d'un déficit trop important de la branche. Si tel est vraiment le cas, pourquoi le fret en wagon isolé deviendra-t-il miraculeusement florissant lorsqu'il sera assuré par des opérateurs de proximité ? En réalité, le volume de marchandises transitant par ces gares est non négligeable : un wagon représente deux camions et demi et, selon un récent rapport de la Commission qui déplore la très forte diminution du wagon isolé, ce secteur assure la moitié du volume transporté par le fer en Europe.

Au vrai, ce qui fragilise le secteur ferroviaire, c'est d'abord la baisse de qualité du service, conséquence du manque d'entretien du réseau. Il n'est pas rare que des trains roulent à 20 km/h !

M. Daniel Reiner, auteur de la question.  - Voire 17 km/h !

Mme Marie-France Beaufils.  - Alors que l'école polytechnique de Lausanne préconise de consacrer 500 millions supplémentaires pour garantir la qualité du réseau, le budget total consacré à l'entretien des voies enregistre une coupe claire de 115 millions par rapport à l'an dernier.

Ce qui pénalise le fret ferroviaire, ce sont les plans de réduction des volumes transportés, dont le dernier fixait pour objectif 40,9 milliards de tonnes par kilomètre transportées, contre 55 milliards en 2002. Il faudrait, au contraire, comme le préconisent les syndicats, fixer un objectif de 50 milliards et lancer une politique commerciale dynamique. C'est d'ailleurs la proposition que j'ai défendue auprès de la SNCF. Cette politique ambitieuse, qui devra s'accompagner d'un plan de modernisation, est soutenue par de nombreuses entreprises de ma région.

A considérer les choix de fermeture des gares, l'Ouest et le Sud-Ouest ont été nettement délaissés par rapport à l'Est et ses gros chargeurs de la sidérurgie et de la chimie. La gare de triage de Saint-Pierre-des-Corps pourrait être ce quatrième hub du grand ouest, ce point fort qui manque aujourd'hui pour mener une véritable politique d'aménagement du territoire et dont la création a été recommandée par une récente étude de l'office régional de transport de Poitou-Charentes. Monsieur le ministre, vous m'aviez, au demeurant, annoncé la construction d'une autoroute ferroviaire Est-Ouest passant par St-Pierre-des-corps. J'attends une confirmation.

Au-delà des aspects techniques, se pose la question du service public de transport ferroviaire. Pour le protéger, il faut mettre en place un pôle financier public, et non privilégier les partenariats public-privé dont de nombreux élus ont compris les dangers. Seul l'État peut être garant de l'intérêt général. Pour que le fret ferroviaire ne soit plus désavantagé comme il l'est aujourd'hui, il suffirait de prendre en compte les coûts externes, qui représentent en Europe 650 milliards dont 83,7 % pour la route et seulement 1,9 % pour le transport ferroviaire.

Le remplacement de la SNCF par un opérateur de proximité est une aberration économique. Cet opérateur, en lien avec l'association Proffer, a, en réalité, pour but de se substituer à la SNCF...

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - C'est exact !

Mme Marie-France Beaufils.  - Il est situé sur les mêmes segments que l'entreprise publique.

Il utilise des agents de conduite et de manoeuvre de la SNCF détachés à cet effet. Cette méthode ouvre la voie à plus de privatisation et au démantèlement de ce secteur d'activité à la SNCF.

La fermeture de 262 gares au wagon isolé va à l'encontre du développement durable : les gaz à effet de serre sont produits à près de 94 % par le transport terrestre, le transport ferroviaire n'en émettant que 0,35 %. En 1960, la SNCF assurait 57 % du transport de marchandises, contre 10 à 15 % aujourd'hui. Au sein de l'Union européenne, le fret ferroviaire devrait augmenter de 50 à 80 % entre 2000 et 2020. Outre son bilan environnemental positif, ce moyen de transport est plus sûr que la route.

Monsieur le secrétaire d'État, comment allez-vous mettre vos actes en conformité avec vos déclarations ? Qu'allez-vous répondre aux associations qui, lors du Grenelle, ont souhaité la suspension de ces fermeture pour que l'entreprise s'engage dans une organisation de proximité adaptée pour le fret ferroviaire -position qu'elles ont rappelée dans un communiqué daté du 11 décembre ? (Applaudissements à gauche)

M. Francis Grignon.  - Je me réjouis de l'organisation de ce débat sur l'avenir du fret ferroviaire, et je remercie Daniel Reiner, avec qui j'ai le plaisir de travailler au sein de la commission des affaires économiques, d'en avoir eu l'initiative. Un consensus s'est dégagé dans notre assemblée en faveur du fret ferroviaire, même si nos analyses divergent. (M. Daniel Raoul s'en désole) Ainsi, Daniel Reiner attend du Gouvernement une amélioration de cette activité à la SNCF, alors que j'estime que le salut viendra de l'entreprise.

Les pertes récurrentes de la SNCF dans cette activité sont la conséquence d'un déficit de compétitivité de l'ordre de 25 %. De ce fait, le trafic qui lui est confié se limite aux secteurs « captifs », qui ne peuvent utiliser que ce mode de transport. Le développement d'une alternative concurrentielle constitue un défi considérable pour l'entreprise. Les nouveaux opérateurs ont conquis 3 à 4 % du marché en 2007, et la SNCF estime que l'appareil productif de ses concurrents représentera dans un an 10 % de ses propres capacités.

Il y a un véritable risque de disparition du fret à la SNCF si la situation ne s'améliore pas rapidement, c'est-à-dire d'ici au plus dix-huit mois. C'est la première réponse à apporter à notre collègue Daniel Reiner. Le fret ferroviaire a un bel avenir, mais il doit être moderne et compétitif pour en cueillir les fruits. J'ai bien perçu, derrière l'interrogation de notre collègue sur le fret ferroviaire en général, une question relative au fret SNCF en particulier. Certains éléments sont encourageants. Tout d'abord, le contexte général est très porteur, tant au niveau national qu'européen. Ensuite, la réorganisation de l'activité fret de la SNCF va dans le bon sens. Elle se fonde sur le concept de haut débit ferroviaire et implique de supprimer des points de collecte de wagons isolés. Naturellement, les élus locaux redoutent la disparition de la desserte dans leur ville, mais seule la réaffectation de moyens permettra d'augmenter la part du ferroviaire dans le transport de marchandises.

Des résultats de l'activité fret de la SNCF meilleurs que prévus ont ainsi été obtenus au premier semestre, mais ils seront gravement affectés par les grèves d'octobre et novembre. Au lieu d'augmenter sensiblement, ils se stabiliseront à peine cette année. En outre, l'image que les entreprises clientes ont de l'opérateur a été dégradée, et elles hésiteront à choisir ce mode de transport pour leurs échanges de marchandises.

La compétitivité, et donc l'avenir du fret ferroviaire, dépendra non seulement de la mobilisation de matériels modernes et de personnels réactifs, mais aussi d'une infrastructure de qualité, ce qui implique des voies ferrées en bon état. La situation du réseau est connue, nous l'avons évoquée la semaine dernière lors de l'examen des crédits. Les améliorations sont nécessaires, même lorsqu'elles ne sont pas visibles par le grand public, telle la modernisation des systèmes d'aiguillages ou de réalisation des contournements ferroviaires des grandes agglomérations, dont Nîmes-Montpellier, Paris et Lyon.

La collectivité nationale doit tirer toutes les conséquences de sa volonté de développer le fret ferroviaire. Dans certains cas, il faudra choisir entre le fret et d'autres investissements, comme le développement des lignes à grande vitesse. En outre, le fret est en concurrence avec le transport de voyageurs pour les sillons. Ainsi, la réalisation de la ligne à grande vitesse Rhin-Rhône va libérer des sillons sur la voie conventionnelle, que l'on pourrait réserver au fret. Exemple plus décisif encore : certains élus locaux ont la tentation de récupérer des sillons de la voie dédiée au fret sur la rive droite du Rhône pour les trains de voyageurs. Une telle évolution serait très malvenue. Je comprends les efforts des élus locaux pour améliorer le transport de leurs administrés, mais l'intérêt national commande de développer le fret ferroviaire.

L'avenir du fret ferroviaire ne dépend pas essentiellement des sommes que l'État est prêt à y injecter, mais d'une véritable conversion des esprits. Si les collectivités locales ne sont pas prêtes à prendre en compte les exigences globales en matière de fret ferroviaire, et si les personnels de l'opérateur historique ne sont pas convaincus de la nécessité de gagner en compétitivité, aucune intervention de l'État ne suffira à sauver le fret ferroviaire. Je souhaiterais connaître l'opinion de M. le ministre sur cette appréciation. (Applaudissements à droite)

M. Hubert Haenel.  - Monsieur Reiner, je vous remercie d'avoir inscrit cette question à l'ordre du jour. Le 26 janvier 2005, vous aviez déjà été à l'origine d'un débat sur ce sujet, dans lequel mon collègue François Gerbaud était intervenu dans le prolongement du rapport intitulé « La nouvelle bataille du rail » que nous vous avions remis deux ans auparavant, monsieur le ministre. Lors d'un débat antérieur, le 29 mars 2001, sur le fret ferroviaire et la politique des transports, j'étais intervenu en tant que président de la délégation européenne pour constater que l'état des lieux paraissait décourageant.

Depuis, des évolutions ont amélioré le transport des voyageurs -notamment par les TER-, la qualité du service public et l'ouverture des marchés. Pourtant, l'avenir du fret ferroviaire, et plus particulièrement à la SNCF, demeure hypothétique et le constat que nous faisions en 2003 est toujours d'actualité. Les causes en sont connues : réduction d'activité de l'industrie lourde, « volatilité » des marchandises transportées, lots de marchandises fractionnés, monde logistique complexe, segmentation entre les autoroutes ferroviaires, transport combiné, etc.

Nombreux sont ceux qui plaident, depuis longtemps, pour une stratégie de rupture. Nous formulions, dans notre rapport de 2003, plusieurs propositions qui ne se sont pas concrétisées. Toutefois, de lourds moyens financiers, humains et techniques ont été sollicités pour inverser cette tendance : le plan SNCF « fret 2006 » qui, en novembre 2003, fixait comme objectif un équilibre pour le fret -on est loin du compte !- et l'aide exceptionnelle négociée par le Gouvernement français à Bruxelles, en 2004, d'un montant global de 1,5 milliard d'euros. Gilles de Robien, alors ministre des transports, déclarait dans Les Echos en mars 2005 : « Le plan d'aide au fret SNCF est celui de la dernière chance ». Ces mesures n'ont pas enrayé une chute qui semble inexorable. Entre 2000 et 2006, la part modale du fret ferroviaire est passée de 17,4 à 11,5 %, soit de 55 à 41 milliards de tonnes-kilomètres. Ce rappel historique nous oblige aujourd'hui à nous demander dans quelles conditions il est raisonnable d'envisager une reconquête par la SNCF de son activité fret.

Le fret ferroviaire a connu des évolutions qui démontrent qu'il a un réel avenir, sous certaines conditions. Avenir écologique, tout d'abord, qui ne lui a jamais été contesté mais que le Gouvernement a placé au premier plan. Il faut dire que le bilan carbone du fret ferroviaire est extrêmement positif avec une consommation par tonne-km transportée de 6 grammes pour un train entier et de 10 grammes pour un train assemblant des wagons isolés alors qu'il est de 133 grammes pour les poids lourds et de1 200 grammes pour un avion-cargo. Les premières propositions du Grenelle de l'environnement sont claires : la libération de sillons au profit du fret, la mise en place d'une autorité de régulation, la promotion du transport combiné et la création d'autoroutes ferroviaires sur le modèle de la liaison Perpignan-Bettembourg. Dans cette perspective, le Président de la République a fixé un ambitieux objectif de croissance de 25 % de la part de marché des modes non routiers de transport de marchandises d'ici 2012 et il a proposé la construction de 2 000 kilomètres de nouvelles lignes TGV, les voies ferroviaires ainsi dégagées étant affectées au fret. Ainsi, lorsque sera réalisée la liaison Rhin-Rhône, les voies le long du Doubs pourront compter beaucoup plus de trains de fret.

Le fret ferroviaire a également un avenir économique, d'autant que la prochaine taxe sur les poids lourds devrait conforter sa compétitivité. Il a également un avenir européen avec le plan d'action pour augmenter l'interopérabilité des modes de transport et simplifier la vie administrative des entreprises de logistique présenté, en octobre, par le commissaire européen aux transports, Jacques Barrot.

Enfin, le fret a un avenir du fait même de l'ouverture à la concurrence du marché de transport de marchandises depuis le 1er avril 2006 ainsi que cela a été dit.

En conséquence, nous apportons notre soutien à la volonté du Gouvernement de dynamiser à court terme le transport ferroviaire de fret. Cette réforme devrait permettre d'en améliorer l'efficacité, de favoriser l'ouverture à la concurrence et de garantir le bon fonctionnement du système ferroviaire. Nous serons attentifs aux précisions que vous nous apporterez, notamment en ce qui concerne le financement, l'organisation ferroviaire et les infrastructures. Un programme précis des investissements nécessaires serait judicieux tant au niveau national qu'européen. En 2003, avec mon collègue François Gerbaud, nous suggérions le lancement d'un grand emprunt garanti par l'Union européenne. On ne nous a jamais répondu pour nous dire si c'était une bonne ou une mauvaise idée. C'est dommage.

Dans ce nouveau contexte général, quelle peut être la solution ? Ne nous cachons pas la vérité. L'activité Fret ferroviaire de la SNCF connaît une situation très critique et enregistre des déficits depuis une décennie, malgré la multiplication des plans et des aides exceptionnelles. Ainsi, en 2006, Fret SNCF a perdu 260 millions. Néanmoins, les premiers mois de l'année 2007 ont connu un net frémissement et, à la fin mai, l'augmentation du trafic était de 4 % et de plus de 15 % pour le transport combiné. Malheureusement, les grèves de novembre ont eu raison de cette amélioration : elles devraient avoir coûté près de 90 millions à Fret SNCF et elles ont compromis ce redressement. Le chiffre d'affaires de l'année devrait donc être en légère baisse. La direction de la SNCF veut sauver ce qu'il est encore possible de l'être afin de faire de Fret SNCF un acteur européen à part entière. La SNCF doit rester une des premières entreprises ferroviaire de l'Europe et elle a vocation à dépasser les frontières de l'hexagone.

M. Daniel Reiner.  - C'est vrai !

M. Hubert Haenel.  - Le Livre blanc en cours de discussion en est la parfaite illustration et les déclarations de Mme Idrac attestent de sa détermination : « Le redressement de Fret SNCF passe par un redéploiement de ses moyens sur les grands flux français et européens de marchandises et par une amélioration des délais, de la fréquence et de la fiabilité des dessertes ». L'effort à consentir est cependant très lourd et il a des implications profondes au niveau du modèle industriel choisi, de l'organisation et du management : il s'agit d'une véritable restructuration. Or, il y a urgence extrême car, depuis l'ouverture à la concurrence, le marché du fret ferroviaire en Europe se recompose très vite et les nouveaux entrants pourraient détenir près de 15 % du marché fin 2008. L'année qui vient est donc, à plus d'un titre, importante pour la SNCF avec la réforme des régimes spéciaux de retraite, les implications du Grenelle de l'environnement, la mise en place du service minimum, le nouveau projet stratégique de développement pour 2008-2013. C'est dans ce contexte qu'il faut situer toute initiative de sauvetage du fret qui suppose des décisions radicales ainsi qu'une mobilisation totale de l'entreprise et de ses salariés.

En 2005, je soulignais, dans un communiqué avec François Gerbaud, « l'urgence de la mise en place d'une véritable politique, à court et moyen terme, de la reconquête du fret ferroviaire ». Ces propos me semblent malheureusement toujours d'actualité mais, désormais, le doute me gagne : n'est-il pas trop tard ? Le fret ferroviaire a de l'avenir, mais Fret SNCF a du plomb dans l'aile. Certes, le pire n'est jamais sûr, mais cette entreprise n'a pas encore gagné la nouvelle bataille du rail. (Applaudissements à droite)

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État chargé des transports.  - A mon tour, je remercie M. le sénateur Reiner d'avoir posé cette question, et je tiens à saluer les orateurs qui se sont succédé.

Le fret ferroviaire est un sujet difficile mais crucial pour notre politique de transports d'autant plus après le Grenelle de l'environnement. Nous souhaitons naturellement insuffler une nouvelle dynamique au fret ferroviaire. Ce mode de transport constitue, en effet, un atout important pour l'attractivité et la compétitivité de nos territoires, mais pour l'environnement.

A l'issue du Grenelle de l'environnement, le Président de la République a fixé un objectif ambitieux : augmenter d'un quart, d'ici à 2012, la part de marché du fret non routier, ce qui implique de développer les voies d'eau et ferrées. Il faudra donc augmenter le fret ferroviaire de 15 milliards de tonnes au kilomètre, pour reconquérir le trafic perdu depuis 2000.

Pour s'engager dans cette nouvelle dynamique, notre fret ferroviaire doit réunir trois conditions : une offre de services performants tournée vers le client, l'amélioration de sa productivité, des infrastructures adaptées.

A l'échelle de l'Europe, le fret ferroviaire français possède un potentiel aujourd'hui sous-exploité, comme le montrent les résultats de nos voisins néerlandais, suisses ou allemands, où le trafic a crû plus vite que le trafic routier ces cinq dernières années. Même la Grande-Bretagne, dont on se moquait, a fait mieux que nous. M. Haenel a cité « la bataille du rail », célèbre film de René Clément et palme d'or du premier festival de Cannes de l'après-guerre. Si nous faisons mal l'histoire, ce pourraient être les chemins de fer allemands qui, dans quelques années, domineront l'Europe. Le défi est donc d'importance.

L'avenir du fret ferroviaire en France ne sera assuré que si ses clients peuvent compter sur des services fiables et compétitifs, répondant à leurs attentes. Or, la SNCF, opérateur historique le plus important, peine à restructurer son activité fret. La dernière grande année du fret ferroviaire fut 1974, lorsqu'il assurait la majorité du trafic. Ensuite, toute une série de rapports et de plans se succédèrent pour redresser l'activité. La mise en oeuvre du « Plan Fret 2004-2006 », que nous avons eu du mal à faire avaliser par la Commission européenne, devait restaurer l'équilibre de l'activité Ce plan a été financé pour moitié par l'État et pour moitié par la SNCF : il a permis de renouveler le parc de locomotives et de supprimer certaines pertes. Mais les résultats espérés n'ont pas été atteints : après deux années de redressement, Fret SNCF a de nouveau décroché en 2006 avec 260 millions de déficit. La nouvelle direction de Fret SNCF a élaboré, au cours du premier semestre 2007, un « programme d'actions » ambitieux : restaurer la qualité de service, industrialiser l'outil de production, en concentrant les efforts sur la productivité, en simplifiant les structures et en affectant au fret tous les personnels concourant à l'activité dès la fin de cette année. Ce plan permettait également de définir un schéma de production adapté à la cartographie des flux, de réaliser l'intégration industrielle de l'activité fret en mettant en place un management identifié fret et une logique de branche, d'augmenter la productivité d'ici 2010 en redéployant les effectifs, en redéfinissant l'organisation du travail et en développant des partenariats avec les clients français et européens.

Les résultats ne se sont pas fait attendre : dès le premier semestre, le trafic était en hausse. Les évènements sociaux récents ont marqué un arrêt brutal et malheureux. Nous verrons l'étendue des dégâts dans quelques semaines. Certes, la SNCF a rapidement remis en route les trains de fret « calés », pour reprendre une expression cheminote. Mais les clients se sont tournés vers d'autres opérateurs privés, ou vers les transporteurs routiers.

Mme Beaufils et M. Delfau ont fait part de leur inquiétude à l'égard des conséquences économiques et sociales que ce programme pourrait avoir sur le territoire, notamment avec la fermeture de deux cent soixante deux gares à la desserte de wagons isolés. Mais je rappelle qu'il ne s'agit que de fermer ces gares au traitement des wagons isolés qui ne représentent que 20 % des activités, les 80 % restants étant maintenus. Il nous faut tirer les conséquences de la très forte diminution du trafic de wagons isolés dans ces gares. D'ailleurs, parmi ces deux cent soixante deux points de desserte, un tiers n'ont traité aucun wagon en 2006 et la moitié en ont traité entre zéro et un par mois.

En 2006, la branche fret de la SNCF a perdu 260 millions, soit 700 000 euros par jour. Entre 2004 et 2006, l'exploitation du fret ferroviaire a affiché un déficit cumulé de plus de 850 millions. Dans le même temps, le volume de fret transporté n'a cessé de se dégrader, pour descendre à 40 milliards de tonnes-km là où la Deutsche Bahn a dépassé les 100 milliards de tonnes-km !

Il est vrai que le tissu industriel allemand est différent du nôtre, mais le fret se développe aussi dans des pays où il est similaire. Le trafic « wagons isolés » représente 2,5 % du total, mais 80 % des pertes d'exploitation ; on peut comprendre la position de la SNCF... Le ferroviaire, on le sait, est efficace avec des flux massifiés ; pourquoi faire tirer un wagon sur quelques kilomètres quand on peut en faire tirer cinquante sur une plus grande distance ? Il est vrai que tout cela pose des problèmes d'aménagement du territoire ; je l'ai dit à la direction de la SNCF, la concertation avec les élus n'a pas été ce qu'elle aurait dû être.

Le trafic fret a été ouvert à la concurrence le 31 mars 2006. Les nouveaux entrants ont gagné trois points de part de marché depuis, et les conséquences de la grève récente seront à leur avantage. Je pense, comme la direction de la SNCF, que la concurrence est stimulante, pourvu que notre marché soit fluide, que les opérateurs ne rencontrent pas de difficultés techniques ou règlementaires. La création, par le gouvernement précédent, de l'Établissement public de sécurité ferroviaire est, à ce titre, une étape importante ; le processus de reconnaissance mutuelle engagé avec nos partenaires européens va progresser.

Dans les années 1980, on disait les entreprises ferroviaires américaines mortes ; elles sont aujourd'hui parmi les plus performantes. Un réseau à l'échelle du continent se met en place, qui suscite l'admiration. La concurrence a joué son rôle.

Nous avons cependant besoin de régulation. Le Gouvernement vous soumettra prochainement la création d'une autorité indépendante qui en aura la charge, aux pouvoirs renforcés d'investigation et de sanction, qui pourra émettre des avis, par exemple sur les péages de RFF. Je souhaite aussi que les conditions de travail à la SNCF et chez les autres opérateurs soient harmonisées ; les partenaires sociaux conduisent actuellement une négociation en ce sens.

Enfin, aujourd'hui, seuls les entreprises ferroviaires et les gestionnaires d'infrastructure ont le droit de présenter des demandes de sillons. Nous allons étendre ce droit à d'autres acteurs, notamment les opérateurs de transport combiné, les ports gestionnaires des voies ferrées portuaires, les opérateurs ferroviaires de proximité et les collectivités locales.

Après une période difficile, le transport combiné connaît une croissance à deux chiffres et représente le quart du trafic ferroviaire de fret ; son développement doit être encouragé. Il est vrai, monsieur Reiner, que nos ports n'ont pas l'activité ferroviaire de Rotterdam ou de Hambourg -50 % du trafic de ce dernier en part par cette voie. Avec la réforme portuaire et le développement de nos infrastructures, nous pouvons espérer gagner des parts de marché. Je rappelle en outre qu'il existe un plan de soutien au transport combiné, « l'aide à la pince » qu'a évoquée M. Haenel.

Je ne partage pas le pessimisme de M. Reiner sur les autoroutes ferroviaires.

M. Daniel Reiner.  - C'est une niche !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - Je ne désespère pas d'en faire un chenil ! (Sourires) Je n'y croyais pas trop au départ, connaissant le penchant français pour des technologies qui ne marchent pas toujours... Je me souviens de cette définition de l'aérotrain donnée par un humoriste : un merveilleux outil qui peut joindre à 450 km/h un champ de blé à un champ de maïs au nord d'Orléans... (Sourires) Mais il est vrai que le succès est là. L'autoroute ferroviaire alpine achemine en moyenne 1 500 camions chaque mois ; nous entendons, avec nos amis italiens, en soutenir le développement. Il faut encore réaliser des travaux de mise au gabarit supérieur.

En 2007, une nouvelle autoroute ferroviaire est entrée en service entre Perpignan et Bettembourg, au Luxembourg. Elle permettra, à terme, d'acheminer 30 000 camions chaque année. Elle a connu quelques problèmes, on avait oublié en particulier qu'il y avait parfois du mistral. (Sourires) Il reste encore à unifier le gabarit des remorques, mais le développement est encourageant, les transporteurs routiers commencent à jouer le jeu.

L'État souhaite le développement de services d'autoroute ferroviaire sur l'axe Atlantique, qui desserviront Tours et Saint-Pierre-des-Corps. La mise au gabarit de la voie au sud de Poitiers reste à réaliser, un itinéraire parallèle sera utilisé en attendant. L'axe Nantes-Lyon pourrait aussi être utilisé. Les régions Aquitaine, Poitou-Charentes, Centre et lle-de-France sont intéressées. Nous aurons ainsi, à terme, deux corridors différents vers l'Espagne.

Il importe aussi de recourir à des trains plus longs, jusqu'à mille mètres sur certaines lignes.

M. Haenel, dans le rapport qu'il a rédigé avec M. Gerbaud, est un peu le père spirituel des opérateurs ferroviaires de proximité. L'acheminement des trafics diffus et le regroupement des wagons isolés sont assurés de manière plus efficace par des opérateurs de petite taille, on le voit avec les short lines aux États-Unis, ou en Allemagne, où les chambres de commerce, les ports et les collectivités jouent ce rôle. La région Centre s'est déjà impliquée, d'autres projets sont à l'étude en Languedoc-Roussillon, dans le Morvan ou en Auvergne. Je préfère dans tous les cas que des camions soient retirés de la route, même si ce n'est pas la SNCF qui les transporte. Si l'on veut que celle-ci gagne le pari de la massification et de la longue distance, il faut aussi des petits opérateurs ; c'est comme cela que la Deutsche Bahn a relevé la tête.

Très peu de trains de fret circulent actuellement sur les lignes à grande vitesse, à l'inverse de ce qui se passe en Allemagne. Nous avons des projets avec la Poste, qui revient au ferroviaire ; avec des opérateurs comme Fedex ou UPS : le fret qui arrive à Roissy dans leurs avions pourrait fort bien en repartir dans des TGV spécialisés plutôt que par les airs. Il y a aurait ainsi moins de vols de nuit, et moins de nuisances pour les riverains. (M. Delfau se réjouit de cette perspective)

Des infrastructures nouvelles ont été annoncées après le Grenelle de l'environnement, non seulement pour les TGV « voyageurs », mais aussi des voies mixtes, le contournement de Nîmes et de Montpellier, les lignes à grande vitesse du corridor Atlantique, ou encore le Lyon-Turin, dont je viens de signer le décret d'utilité publique.

Ce projet a pour objectifs de développer le fret ferroviaire, d'améliorer la sécurité dans les tunnels et de préserver l'environnement.

Mais il y a aussi le réseau existant, dont les besoins de modernisation ont été exposés en 2005 dans son rapport par M. Rivier, qui nous a -hélas !- quittés. Les sommes consacrées à son entretien et à sa régénération ont été améliorées dans le budget pour 2008.

M. Daniel Reiner.  - Pas du tout !

M. Dominique Bussereau, secrétaire d'État.  - Je remercie les régions qui participent à cet effort, comme celle de Midi-Pyrénées. À Strasbourg, j'ai dit aux présidents de conseils régionaux réunis en congrès que leur intervention a un effet de levier considérable.

Monsieur Haenel, l'Alsace est en tête pour les TER. À certaines heures, l'optimum collectif peut conduire à transporter des passagers par autocar afin de libérer des sillons pour le fret. Or, les régions ont tendance à saturer les sillons par des TER, à certaines heures.

Enfin, un Grenelle de l'environnement sans fret ferroviaire, sans nouvelle infrastructure et sans taxe sur les poids lourds ne serait pas conforme à ce que nous avons présenté à nos concitoyens.

Nous avons besoin qu'un fret ferroviaire de qualité regagne des parts de marché, comme le transport fluvial l'a fait. Avec la SNCF, nous avons la chance d'avoir une entreprise de très grande qualité. J'espère que des opérateurs de proximité pourront conduire demain des wagons là où les grands opérateurs ne peuvent agir sans perdre d'argent. Le Gouvernement sera au travail pour étendre la place du fret ferroviaire.

Je remercie M. Reiner pour sa question, ainsi que tous les intervenants. Nous ne sommes pas tous d'accord sur tout, mais nous voulons tous que le fret ferroviaire reprenne la place qu'il a perdue. (Applaudissements à droite et au centre)