Rétention de sûreté (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental.

Discussion générale

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - La commission mixte paritaire, réunie le 4 février, a très largement repris le texte adopté par le Sénat, sous réserve de quelques modifications.

Constatant que l'élargissement progressif du champ d'application de la rétention de sûreté à la suite des amendements adoptés à l'Assemblée nationale avait conduit à une formulation complexe, nous avions réécrit l'article premier de manière beaucoup plus concise. Dans la mesure où le code pénal prévoit déjà que l'âge de la victime est une circonstance aggravante, et ne distingue pas les victimes mineures de plus de 15 ans des victimes majeures, il avait été jugé suffisant de faire référence à la seule nature de l'infraction commise. La CMP a souhaité rétablir cette distinction et rendre applicable la rétention de sûreté sans qu'aucune circonstance aggravante n'accompagne l'un des crimes visés dans toutes les hypothèses où la victime est mineure, y compris entre 15 et 18 ans.

La CMP a précisé, sur proposition du rapporteur de l'Assemblée nationale, que la rétention de sûreté concernait les personnes présentant une particulière dangerosité caractérisée par une probabilité très élevée de récidive « parce qu'elles souffrent » d'un trouble grave de la personnalité. Je m'interroge sur l'utilité de cette modification, doutant -c'est un euphémisme- que la référence à cette souffrance permette de considérer la présente loi comme une loi pénale plus douce...

Toujours à l'article premier, la prise en charge « médicale, sociale, psychologique », plus concise, a été préférée à la prise en charge « médicale, éducative, sociale, psychologique et criminologique ».

Enfin, M. Fenech, rapporteur pour l'Assemblée nationale, a proposé de modifier l'article 723-38 du code de procédure pénale afin que le placement sous surveillance électronique mobile puisse être prolongé dans le cadre de la surveillance de sûreté, notion introduite par le Sénat.

À l'article 6, nous avions adopté, contre l'avis du Gouvernement, deux amendements revenant au droit en vigueur. Il nous semblait en effet paradoxal de limiter le recrutement de médecins coordinateurs aux seuls psychiatres dès lors qu'existe la garantie d'une formation appropriée. D'autre part, nous nous étions opposés à la suppression de la faculté de recourir à un psychologue à la place du médecin traitant, faculté proposée par la mission d'information de la commission des lois de l'Assemblée nationale et autorisée par la loi du 2 décembre 2005. Le décret d'application sur les conditions de diplôme n'ayant jamais été publié, la CMP propose de préciser que les psychologues concernés doivent remplir une condition d'exercice de leur activité depuis au moins cinq ans.

La CMP a disjoint de l'article 12 un paragraphe, introduit par le Sénat, prévoyant que la libération conditionnelle d'une personne condamnée à la perpétuité ne pourrait intervenir qu'après avis favorable de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, sans limitation de durée. Cette mesure est rendue immédiatement applicable, tout comme le dispositif de la surveillance de sûreté, y compris quand celle-ci succède à un suivi socio-judiciaire.

Les principaux apports du Sénat ont donc été intégralement respectés, qu'il s'agisse du caractère juridictionnel de l'instance dont relève la rétention de sûreté, de la définition de la surveillance de sûreté et, surtout, de la place éminente faite à l'évaluation. En imposant une évaluation pluridisciplinaire d'au moins six semaines des personnes condamnées dans l'année qui suit la condamnation définitive, en permettant au juge d'application des peines de définir un parcours d'exécution de la peine individualisé, en se préoccupant dès l'incarcération des soins, de la formation ou de la capacité à reprendre un emploi, nous favorisons la réinsertion et donc la lutte contre la récidive. De même, l'évaluation pluridisciplinaire en fin de peine permettra d'appréhender la dangerosité dans des conditions de fiabilité dignes de notre démocratie. Nous avons ouvert une piste qu'il faudra explorer plus avant lors du prochain examen du projet de loi pénitentiaire.

Enfin, si je n'ai pas abordé la question de la rétroactivité, c'est que, les deux assemblées ayant décidé l'application immédiate de la réforme, le problème ne se posait pas devant la CMP. Je ne vais pas rouvrir le débat de la distinction entre la peine et la mesure de sûreté, ni celui de la subtilité de la jurisprudence du Conseil constitutionnel, qui semble assimiler le suivi socio-judiciaire à la première et la surveillance judiciaire à la seconde. Reste qu'une clarification s'impose dans ce domaine.

Dans cette attente, je vous demande d'adopter ce projet de loi dans le texte qui vous est proposé par la CMP. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Rachida Dati, garde des sceaux, ministre de la justice.  - Je salue le travail accompli par la commission mixte paritaire. Je remercie le président Hyest, qui a cerné tous les enjeux de ce texte, et je salue le travail accompli par votre rapporteur, M. Lecerf. Le texte qui vous est proposé aujourd'hui est équilibré et consensuel. Les dispositions relatives à la nouvelle procédure de déclaration d'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental n'ont pas fait l'objet de modifications substantielles. De même, la commission mixte paritaire a repris pour l'essentiel le texte que vous aviez adopté sur le volet sanitaire.

L'essentiel de nos débats a porté sur la rétention de sûreté, qui existe depuis de longues années dans d'autres démocraties, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Belgique ou le Canada. Je crois que le texte issu de la CMP répond aux préoccupations qui ont été exprimées.

L'Assemblée nationale a précisé que sont visées les personnes qui présentent une grande dangerosité parce qu'elles souffrent d'un trouble grave de la personnalité. Les faits pour lesquels elles ont été condamnées démontrent leur dangerosité et la nécessité de suivre des soins. La CMP a également intégré les garanties apportées par le Sénat pour que ce dispositif reste un dispositif d'exception. Vous avez souhaité que les soins soient assurés dès le début de la détention : le texte de la CMP reprend le principe d'un examen systématique dans le centre national d'observation pour définir un parcours adapté.

Vous avez souhaité que l'examen de dangerosité à la fin de la peine soit renforcé : un examen de six semaines sera réalisé au centre national d'observation pour déterminer si la dangerosité a persisté. Sur tous les bancs, vous entendez que la rétention de sûreté ne soit pas un simple enfermement, une relégation sociale. La rédaction du projet traduit cette exigence, suivi médical et psychologique adapté, formation et éducation... Le rôle des centres médico-socio-judiciaires de sûreté est de donner le plus de chances possibles aux personnes détenues de remédier à leurs troubles pour réduire leur dangerosité. L'offre de soins est large : prise en charge médico-sociale renforcée, traitement antihormonal avec le consentement de l'intéressé, psychothérapie individuelle ou de groupe, structuration sociale par le travail et la formation et accompagnement socio-éducatif.

M. Portelli demandait la création d'un véritable centre Pinel en France, comme celui du Canada. Le centre médico-socio-judiciaire qui sera installé dans l'hôpital de Fresnes est destiné à mieux traiter les criminels dangereux qui souffrent de troubles graves de la personnalité. Les garanties prévues par le Sénat pour l'application de la rétention de sûreté aux tueurs et aux violeurs en série qui sortiront de prison dans les années à venir ont été reprises. Soyons clairs : les Français ne pourraient comprendre que l'on attende quinze ans avant d'appliquer ce dispositif à des psychopathes qui refusent de se soigner ! Nous l'avons dit, la rétention de sûreté est une mesure de sûreté, non une peine. Elle est donc immédiatement applicable. La Cour constitutionnelle allemande en a expressément jugé ainsi dans une décision du 5 février 2004. Vous avez posé deux conditions : la rétention de sûreté n'est envisagée que si une assignation à domicile sous surveillance électronique mobile ne suffit pas ; les personnes actuellement incarcérées qui pourraient être concernées devront, lors de l'entrée en vigueur de la loi, être averties par la chambre de l'instruction. Elles pourront ainsi s'engager dans une démarche de soins.

Nous sommes parvenus à un texte qui respecte nos principes constitutionnels fondamentaux et les exigences de la Convention européenne des droits de l'homme. Le Gouvernement veillera à la stricte application de toutes les garanties que le Sénat a introduites. Ce texte vise à protéger nos concitoyens de criminels particulièrement dangereux. Il est attendu. Je vous demande de l'adopter dans l'intérêt des Français. (Applaudissements à droite)

M. Hugues Portelli.  - La commission mixte paritaire a fait du bon travail. Nous pouvons être fiers de la contribution du Sénat : la quasi-totalité de nos modifications ont été retenues. Ce consensus montre également que la majorité est soudée derrière le Gouvernement pour soutenir ce texte équilibré, utile et conforme au droit, pénal ou constitutionnel. Je remercie la ministre pour le dialogue qu'elle a su instaurer et pour son ouverture d'esprit.

Ce projet de loi est nécessaire car il vise à protéger d'éventuelles victimes contre des personnes que la justice a reconnues inamendables. (Exclamations à gauche) Sénateurs et députés se sont accordés sur une application immédiate de la rétention, même pour les personnes déjà condamnées. La jurisprudence récente du Conseil constitutionnel reconnaît la constitutionnalité de la rétroactivité des mesures de sûreté dès lors qu'elles présentent -et nous y avons veillé ici- un caractère préventif.

La CMP a également approuvé la définition que nous voulions plus précise des centres socio-médico-judiciaires ; ils auront pour mission d'assurer un suivi médical, éducatif et psychologique adapté. Ce qui inclut des groupes de paroles et des thérapies comportementales et cognitives.

La procédure respecte strictement le principe du contradictoire et les droits de la défense. La rétention de sûreté s'appliquera « à titre exceptionnel » après décision de la chambre d'instruction, qui devra constater « une probabilité très élevée » de récidive et « des troubles graves de la personnalité ». Les criminels visés sont ceux reconnus coupables d'infractions particulièrement graves commises sur tous mineurs, sans distinction d'âge, ainsi que les auteurs de crimes commis sur des victimes majeures avec des circonstances aggravantes.

S'agissant de la nouvelle procédure liée à l'irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, la CMP n'a pas apporté de modifications substantielles. Ce deuxième axe du projet de loi apporte une réponse humaine à des familles endeuillées, privées de la reconnaissance de leur statut de victimes. Il aide aussi le coupable à prendre conscience, quand son état mental le lui permet, de la gravité de ses actes afin qu'il puisse éventuellement engager une démarche thérapeutique.

Le texte élaboré par la CMP respecte le travail des sénateurs et c'est sans réserve que le groupe UMP le votera. (Applaudissements sur les bancs du groupe UMP)

M. Robert Badinter.  - Je veux tout d'abord saluer les efforts constructifs de M. le rapporteur pour tenter d'apporter quelque tempérament à un projet de loi désastreux, qui engage la justice dans une mauvaise voie et n'apporte pas de bonnes réponses au problème des criminels qui souffrent de graves troubles de la personnalité de nature à provoquer une récidive. Mme la ministre affirme que « le projet de loi comble une faille dans notre législation » : il ouvre bien plutôt une brèche dans notre justice pénale et cette brèche ira s'élargissant, dans la législation de fait divers qui prévaut aujourd'hui.

Notre justice a toujours sanctionné la commission d'infractions criminelles -parfois excessivement. (Sourires entendus) Je pense non seulement à la peine de mort, qui a heureusement disparu dans la majorité des États, mais à la relégation des condamnés -en Guyane jusqu'en 1939 puis en maison centrale jusqu'à la suppression de la mesure en 1970. Son succédané, la tutelle pénale, a été à son tour supprimée en 1981 par Alain Peyrefitte.

Sous réserve de la décision du Conseil constitutionnel, que je ne veux pas pour ma part anticiper ni prédire, vous allez introduire dans notre droit pénal la rétention de sûreté, cet enfermement pour un an reconductible indéfiniment, qui peut donc être perpétuel, dans des établissements fermés, gardés par du personnel de l'administration pénitentiaire -à laquelle je rends hommage. Bref, quelle que soit la finalité proclamée, la rétention de sûreté est bien la continuation de l'emprisonnement dans un autre lieu.

Il ne s'agit pas de malades mentaux souffrant de troubles psychiatriques les rendant dangereux, mais de condamnés, qui n'ont pas été déclarés irresponsables par la justice mais dont les expertises décèlent la dangerosité criminologique.

On demandera donc aux magistrats de maintenir en détention des condamnés non plus pour les infractions qu'ils ont commises mais pour des crimes virtuels qu'ils seraient susceptibles de commettre.

À la justice pénale fondée sur la preuve de la culpabilité établie dans le respect des règles de droit et de la présomption d'innocence succède une justice de dangerosité fondée sur des prémonitions et pouvant prononcer, par décisions successives, une détention à durée illimitée malgré l'absence de toute infraction. À une justice de liberté fondée sur la culpabilité prouvée succède une justice -car la décision sera bien juridictionnelle- de sûreté basée sur la dangerosité estimée de l'auteur potentiel d'un crime virtuel. C'est une véritable révolution dans notre justice pénale !

J'affirme que cette brèche dans les principes ne peut que s'élargir sous la force de l'émotion suscitée par les crimes les plus graves.

Vous avez présenté ce texte après l'affaire Évrard, pourtant unique en trente ans. J'aurais préféré une commission d'enquête... Mais le projet d'origine tendait à mettre hors de la cité exclusivement les pédophiles prédateurs qui s'en prennent aux enfants de moins de 15 ans. Or, puisque la dangerosité ne dépend pas des victimes, au demeurant toutes dignes d'intérêt et de compassion, votre texte s'est élargi au cours de son trajet législatif. Ainsi, par la force des choses, l'Assemblée nationale l'a étendu aux auteurs de tous les crimes les plus graves commis contre des personnes physiques.

Je dis que l'extension de cette justice nouvelle fondée sur la dangerosité est inéluctable dès lors que la dangerosité s'apprécie au regard de la personnalité de l'auteur et que l'opinion publique est mobilisée par le second acte. À chaque fois qu'un crime soulève l'émotion du public, le pire est d'entretenir l'opinion dans l'illusion de l'impunité zéro. Il y aura toujours des crimes atroces car ils sont dans la nature de l'espèce humaine. À chaque fois, vous étendrez le champ de la détention de sûreté pour prévenir la commission d'un second crime par l'auteur du premier.

Prenons un exemple simple, celui d'une personne condamnée à cinq ans et commettant un crime atroce à sa sortie de prison. L'opinion publique demandera pourquoi on n'a pas procédé à la rétention de sûreté. On lui répondra qu'elle n'était pas applicable dans le cas d'espèce. Résultat : des amendements élargiront la mesure aux personnes condamnées à cinq ans de réclusion. Et l'on observera une extension analogue lorsque l'opinion publique sera émue parce qu'un multirécidiviste coupable de simples violences à personnes commettra un crime bien plus grave après sa libération.

Ainsi, de fait divers en fait divers, d'émotion en émotion, d'amendement en amendement, nous aurons créé une nouvelle justice qui aura changé de fondement. Après des siècles, nous voyons aujourd'hui l'avènement d'une justice préventive. Derrière toutes les précautions, au-delà de toute discussion juridique, c'est le triomphe d'une école de pensée conduisant à l'élimination sociale des individus estimés dangereux, tout le contraire d'une société de liberté puisque responsabilité et liberté ne peuvent être dissociées dans le domaine pénal.

Il faut penser aussi à la condition de ceux qui sont retenus, ou plutôt détenus, bien que ce thème ne paraisse pas beaucoup intéresser. Vous savez comme moi que les crimes sexuels sont ceux dont le taux de récidive est le plus bas : 1,3 % contre 1,6 % à 1,9 % pour les homicides. Vous voulez prévenir la réitération des actes criminels. Mais au nom de quoi maintenir en détention ceux qui n'auraient pas réitéré ? Au nom d'un diagnostic ? Que reste-t-il alors de la présomption d'innocence ?

Nous avons soutenu quelques pas en avant proposés par le rapporteur mais à la vérité, tout le système doit être repensé. Notre code pénal, à la rédaction duquel M. Hyest a largement contribué, n'est pas satisfaisant. (M. le président de la commission des lois acquiesce) Nous pouvons beaucoup apprendre des exemples hollandais et belge, à condition de ne pas cumuler la sanction et le traitement trop tardif de la dangerosité.

Pour ces crimes, une mise en observation dans des centres multidisciplinaires doit avoir lieu dès le stade de l'instruction, qui est longue. En Hollande, il y a cinquante spécialistes pour observer trente sujets pendant huit semaines. Si des troubles graves sont mis en évidence, il y a deux voies. Lorsqu'ils sont susceptibles de mettre en danger autrui ou la personne elle-même, le traitement s'impose dans un lieu fermé mais dans les conditions que nous avons observées en Belgique : sous la direction exclusive de médecins hospitaliers spécialisés et de leurs assistants multidisciplinaires. Bien sûr, on ne peut en connaître par avance la durée puisque nous sommes dans la prise en charge thérapeutique, non dans la décision judiciaire avec toutes ses exigences que l'on ne peut abolir ! L'autre voie est constituée par une détention accompagnée d'un traitement.

Madame le garde des sceaux, vous êtes depuis peu place Vendôme, je ne vous reproche donc pas le drame de notre situation pénitentiaire, mais la priorité absolue est constituée par la loi pénitentiaire. Il fallait commencer par là ! Il ne fallait pas mettre la charrue avant les boeufs. Dans notre conception de l'enfermement, il ne doit pas rester le temps mort qu'il est trop souvent. Vous avez visité des centres de détention et des centrales, vous savez que nous ne disposons pas des moyens en personnel -ô combien dévoué- pour prendre en charge des malades mentaux qui se comptent par milliers. Vous savez que nous ne pouvons pas conduire de traitement sélectif dès le départ.

Le seul aspect positif de ce triste débat est l'idée inscrite dans un amendement qu'il faut établir un projet individuel dès le début de la peine. Si on ne le fait pas, il sera impossible, une quinzaine d'années plus tard, d'améliorer un homme comme Evrard. Après un diagnostic à la hollandaise, il faut opter soit pour un traitement psychologique et social, voire psychiatrique, soit pour une voie judiciaire qui ne soit pas du temps perdu. Si une surveillance reste nécessaire à l'issue de la détention, à quoi bon toutes les lois que nous votons pour combattre la récidive ? À quoi bon l'injonction de soins ? À quoi bon le fichier ? À quoi bon même la surveillance de sûreté si toutes ces procédures ne bénéficient pas des moyens nécessaires ?

Nous ne manquons pas de textes mais de moyens, d'où ces cache-misères législatifs !

Si j'excepte l'usine à gaz née du talent créatif de M. Portelli, le plus saisissant de tout le débat a été le moment où le président About nous a rappelé en termes sensibles mais précis la situation de détresse de l'institution pénitentiaire, son manque terrible de psychiatres, l'insuffisance à tous les niveaux de personnel compétent, et l'inapplication du suivi socio-judiciaire voté en 1998... faute de médecins coordonateurs.

Pour répondre à la vive émotion publique née d'une affaire odieuse, vous avez bâti dans la hâte un texte que nous n'avons pas eu le temps d'examiner. Vous ne mesurez pas les conséquences profondes et dangereuses de cette révolution : je plains les magistrats qui auront à la mettre en oeuvre et ceux qui en seront l'objet.

C'est dans la voie ouverte par le rapporteur qu'il fallait aller en veillant à ce que dans une justice de liberté, l'acte précis violant la loi ou le contrôle judiciaire fasse l'objet des sanctions prévues. Vous avez préféré la voie de la rétention de sûreté, je le regrette, nous n'avons pas fini d'en payer les conséquences. (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Je salue la présence dans l'hémicycle de M. Pillet, qui succède à M. Vinçon, et souhaite la bienvenue à notre nouveau collègue. (Applaudissements)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le président Badinter a tout dit mais j'irai, avec moins de talent, dans le même sens car nous ne pouvons que dire ce que nous pensons. Hélas !, on n'en a pas fini avec les débats sur notre système pénal. Le rapporteur a consenti beaucoup d'efforts, il a beaucoup écouté et entendu mais la majorité de la majorité sénatoriale est restée sur une autre planète et le texte, que la commission mixte paritaire a entériné, reste ce qu'il était : pour la première fois, le Parlement s'apprête à voter une loi prévoyant qu'un condamné pourra, à l'issue de sa condamnation, être de nouveau placé en rétention pour une durée indéfiniment renouvelable.

Cette loi, comme les précédentes, est intervenue à la suite d'un fait divers. Veut-on ainsi exorciser les démons de notre société ? De fait divers en fait divers, cette logique est sans fin et il y aura toujours des personnes plus zélées ! Le champ du projet a déjà été considérablement élargi mais demain, mettra-t-on en rétention de sûreté des personnes condamnées pour terrorisme ou criminalité en bande organisée et abaissera-t-on le seuil de la peine ? La société craindra toujours une récidive et si cette crainte n'est pas supportable, il faudra reléguer de plus en plus de gens.

Notre échelle des peines est la plus sévère d'Europe et nous avons les outils pour lutter contre la récidive. Les lois s'empilent pourtant, sans que le Gouvernement s'embarrasse d'en dresser le bilan. On manque de moyens pour appliquer le suivi socio-judiciaire, on recourt peu à l'aménagement des peines qui a pourtant prouvé son efficacité.

La rétention de sûreté, cette relégation pour dangerosité est, ainsi que l'a déclaré à titre personnel le président du comité consultatif national d'éthique un substitut à la peine de mort que vous ne pouvez rétablir. Ce texte véritablement inquiétant rompt le lien entre le fait punissable et la sanction. La justice ne sera plus confiée à ces tribunaux mais à des experts, des psychiatres qui devront dire si une personne commettra à nouveau un crime : on confond diagnostic et pronostic alors que les troubles de la personnalité sont si difficiles à définir et qu'il n'y a pas de définition communément admise de la dangerosité. Aucun expert ne prendra donc la responsabilité d'exclure une récidive.

Le projet témoigne d'un cruel manque de moyens. Attendre vingt ans pour traiter un détenu revient à avouer que la prison est inadaptée, ce qui nous renvoie à la loi pénitentiaire et à la nécessaire réflexion sur la finalité de l'emprisonnement. Si les centres de rétention de sûreté ont les mérites que vante M. Portelli, pourquoi ne pas y placer les intéressés dès leur condamnation et pour la durée de leur peine ? Si, leur temps accompli, ils sont encore incapables de contrôler leurs pulsions, il faudra prononcer un placement d'office en psychiatrie. On ne me répond pas là-dessus alors que le placement d'office reste une mesure exceptionnelle, ce que ne sera pas le placement en centre de rétention parce qu'on a trop élargi le champ du texte.

Dans ce contexte, l'évaluation dans les six mois de la condamnation, pour positive qu'elle soit, est incohérente avec la philosophie du texte.

Pourquoi les pays qui ont mis en place une rétention de sûreté parviennent-ils à des résultats positifs ? Parce que celle-ci intervient le plus souvent en substitution de la peine, qui est parfois, comme en Belgique, assortie d'un sursis. Parce que les évaluations interviennent très tôt, pendant l'instruction puis après la condamnation, afin que le parcours d'exécution de la peine soit le plus individualisé possible. Enfin, parce que des moyens considérables sont dégagés pour la prise en charge des personnes dangereuses. L'observation d'une personne dans le centre Pieter Baan, aux Pays-Bas, coûte 1 000 euros pas jour. Ces pays ont mis en oeuvre des mesures psychiatriques, psychologiques, sociales et éducatives et ont donné aux professionnels le temps de travailler dans la sérénité.

Ce n'est pas du tout l'optique de ce texte : votre réflexion se situe à court terme, vous avez choisi la facilité et l'affichage. Or, sur le long terme, les conditions de détention se dégradent et des troubles psychiques apparaissent chez certains détenus. Cette logique est totalement contreproductive. Il en va de même pour les personnes déclarées « irresponsables au moment des faits », dont le nombre a considérablement diminué. De ce fait, environ 30 % des détenus souffriraient de troubles mentaux. Ce n'est pas tant l'application de l'article L. 122-1 du code pénal qui est en cause, mais la médiatisation des faits divers impliquant des personnes irresponsables pénalement. Le Gouvernement instrumentalise la souffrance des victimes afin de revenir sur le principe de la responsabilité pénale. Comment une personne souffrant de troubles mentaux pourra-t-elle respecter les obligations ordonnées par le juge ? A défaut, comment lui appliquer des sanctions pénales alors qu'elle a été déclarée irresponsable pénalement ? Cela, vous ne voulez pas l'entendre.

Le Gouvernement et la majorité souhaitent imposer la rétroactivité de l'article premier. Vous ne pourrez nous convaincre, ni convaincre le Conseil Constitutionnel qui ne s'honorerait pas en acceptant que le principe de non-rétroactivité soit bafoué sous le motif fallacieux que la rétention de sûreté n'est pas une peine. Si tel était le cas, notre démocratie s'effacerait devant le fait du prince.

Nous voterons donc contre ce texte, qui nous est, en outre, comme les précédents, infligé dans l'urgence. (Applaudissements à gauche)

M. Pierre Fauchon.  - Nous sommes de ceux qui admettent qu'il existe des « individus dangereux » au sens de ce projet de loi...

M. Pierre Fauchon.  - Ils doivent être mis « hors d'état de nuire », aux autres mais aussi à eux-mêmes, ce que nous avons un peu trop oublié. Ils ne peuvent donc être mis en liberté à l'issue de leur longue peine et nous devons leur organiser une « rétention ». Celle-ci est une mesure de sureté, non une peine, et leurs conditions de vie quotidienne doivent le confirmer. Je n'aime pas dramatiser, mais il y va de l'honneur du Gouvernement. Nous serions bien embarrassés si nous nous rendions compte dans quelques années que leur vie quotidienne est celle de détenus.

Je me tourne vers mes amis du côté gauche de l'hémicycle. Il faut une sérieuse dose d'aveuglement, d'angélisme et de passion d'avocat pour estimer que l'homme dangereux n'est qu'un mythe, que seul existe l'homme des Lumières, qui peut commettre des fautes mais s'amendera après avoir exécuté sa punition, le « bon sauvage » de Jean-Jacques. Comme s'il n'y avait pas aussi quelques irresponsables, que je ne condamne pas moralement car ils sont les premières victimes de leur propre mal. Il est plus prudent de ne pas trop mêler la morale au droit, et de se fonder sur des considérations objectives de sécurité plutôt que sur des concepts de culpabilité. Ces derniers relèvent d'un autre ordre, que les institutions humaines sont malhabiles à apprécier. La justice n'est pas de ce monde... Je suis surtout de ceux qui croient que la paix et la sécurité sont les premières raisons d'être de la société. Nous ne devons pas pour autant oublier que la criminalité fait des victimes, dont la souffrance vaut celle des coupables. Certains articles publiés sous des signatures qui font autorité ne leur accordent aucune attention, ce qui montre le caractère unilatéral de ces plaidoyers qui contiennent par ailleurs bien des observations justifiées.

Nous voterons donc ce texte, auquel des drames récents ont conféré les caractères d'actualité et de nécessité. Je refuse de les qualifier de faits divers. Je regrette une nouvelle fois que ce texte soit encombré par l'alinéa 2 de l'article premier, dont découle l'article 12. Dans cet alinéa, après avoir clairement posé le principe de la rétention de sureté, on croit devoir ajouter que celle-ci ne peut être prononcée qui si la cour d'assises a prévu dans sa décision de condamnation que la personne pourra faire l'objet d'un réexamen de sa situation en vue d'une rétention de sûreté. On a remplacé « pourrait » par « pourra ». Qu'est-ce que cela change ? On n'est pas plus avancé...

Cette exigence encourage certains à considérer que ce texte peut être critiqué pour rétroactivité. Cette critique me paraît infondée : la cause de la décision de rétention réside dans la dangerosité de ces personnes, constatée hic et nunc par une commission pluridisciplinaire. Elle résulte donc d'un état, non d'un acte, existant au moment de l'examen. La condamnation et la prévision initiales constituent la condition préalable et non la cause de la mise en rétention. Celle-ci, décidée par la commission, est postérieure au vote de la loi.

Les choses iraient encore mieux si l'on supprimait l'alinéa 2, ainsi que l'article 12 qui s'efforce de surmonter la difficulté au prix d'une rédaction où le byzantinisme l'emporte sur la clarté et la sobriété latines auxquelles j'ai la faiblesse de rester attaché. On a justifié cet alinéa par les dispositions de l'article 5 de la Convention européenne des droits de l'homme, selon lequel : « nul ne peut être privé de sa liberté sauf dans les cas » énumérés par le texte, en premier lieu du fait de la condamnation par un tribunal compétent. Or la rédaction de l'alinéa 2 en fait une disposition dépourvue de portée puisque le fait de prévoir qu'un événement « pourra » se produire est inopérant et relève de l'ornementation. Je suis amateur du baroque dans les beaux-arts mais préfère l'éviter dans la législation. Dès lors, une telle disposition ne saurait jouer pour apprécier la rétroactivité -qu'on agite comme un épouvantail.

En outre, une lecture plus attentive du texte de la convention permet de relever que la condamnation prévue pourrait être la décision de la « juridiction » chargée de prononcer la mise en rétention. Cette décision n'est pas une condamnation au sens pénal le plus courant, mais les dictionnaires, y compris ceux spécialisés dans le droit, montrent que le terme peut avoir une signification plus générale et englober toute décision comportant une obligation.

Enfin, l'une des justifications de la privation de liberté prévue par la convention sans aucun préalable de condamnation est le cas de l'aliénation. Ce terme ne recouvre pas un état très précisément et scientifiquement défini -il l'a été au XIXe siècle, mais la psychiatrie a fait des progrès depuis- et la cour de Strasbourg a déjà relevé que son sens ne cessait d'évoluer. Dans l'hypothèse de l'aliénation, la convention n'exige pas une condamnation préalable.

Cela me renforce dans la conviction que l'alinéa 2 de l'article premier comme l'ensemble de l'article 12 sont une surcharge fâcheuse dans ce texte. La poursuite du débat aurait pu nous permettre d'en faire l'économie, évitant ainsi de prêter le flanc à la critique de rétroactivité. J'espère me tromper, mais je n'en suis pas sûr. Dépourvu de signification, cet alinéa 2 ne peut servir de support à aucune critique grave.

Ces réserves ne m'empêcheront donc pas, comme la plupart de mes amis, de voter un texte que je crois justifié par des réalités qui sont tout autre chose que des faits divers. (Applaudissements à droite et au centre)

La discussion générale est close.

Intervention sur l'ensemble

M. Louis Mermaz.  - Au moment de voter les conclusions de la commission mixte paritaire, je veux m'élever contre la façon de pratiquer depuis le sommet de l'État jusqu'au Gouvernement : vous nous demandez de voter des lois dans la précipitation en prenant prétexte de l'émotion légitime de l'opinion publique lorsqu'un un drame survient. En profitant de la douleur des victimes, douleur que nous partageons tous ici, ce projet de loi, loin de leur rendre justice et de leur apporter réparation, va ajouter la confusion à la confusion en détournant paradoxalement l'attention de la nécessaire punition du criminel et en tentant de cacher l'insuffisance des moyens pour assurer l'exécution de la peine au délinquant, un traitement médical et psychiatrique approprié et pour lui permettre ensuite de se réinsérer, une fois la peine accomplie, tout en faisant l'objet d'un suivi médical et social.

Comment expliquer que l'immense majorité des acteurs du monde judiciaire soit violemment hostile à ce projet de loi, y compris ceux qui se sont montrés les plus sévères dans la répression des crimes sexuels ?

Malgré les circonlocutions d'usage et les apports de la commission mixte paritaire, apports dus au Sénat, ce texte instaure la peine après la peine. Il ouvre, comme l'a démontré Robert Badinter, une brèche dangereuse dans notre droit pénal : la rétention de sûreté sanctionne des faits qui n'ont pas été commis, au nom d'une « dangerosité », évaluée en fait par des experts.

Comme si ce manquement grave aux droits de l'Homme ne suffisait pas, ce projet de loi instaure une peine rétroactive. Les subterfuges utilisés pour permettre au Conseil constitutionnel de ne pas censurer la loi ne changent rien à une mesure qui tourne le dos à toute la tradition juridique de notre pays.

Ce projet de loi, né de l'émotion de l'opinion, renvoie à la décision d'experts eux-mêmes soumis aux mêmes émotions, aux mêmes peurs, alors que le diagnostic et le traitement des criminels exigent maîtrise, discernement et sévérité, en se donnant les moyens de prévenir la récidive.

Nos voterons donc contre ce texte néfaste. Il y a quelques années, la commission d'enquête sénatoriale sur les prisons avait intitulé son rapport « Une honte pour la République ». Depuis, la situation s'est lourdement aggravée, avec l'empilement de lois de plus en plus répressives, sans que l'on s'attaque aux véritables causes de la délinquance. Mieux aurait valu éviter, avec ce texte, une nouvelle honte à la République, dans une période où le pouvoir se comporte avec de plus en plus d'incohérence et de fébrilité et où ses insuffisances commencent à se révéler aux yeux des Français. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Les conclusions de la commission mixte paritaire sont adoptées.

Mme Rachida Dati, garde des sceaux.  - En adoptant ce projet de loi, vous nous avez donné les moyens de mieux protéger nos concitoyens, en nous permettant de mieux prendre en charge les criminels dangereux condamnés à de longues peines : il s'agit d'une avancée inestimable.

Au cours de la navette, ce texte a été enrichi et c'est tout à l'honneur du Parlement. En cet instant, je pense aux familles de toutes les victimes, à la famille du jeune Enis, aux parents d'Anne-Lorraine... Cette loi n'apaisera ni leurs souffrances, ni le temps perdu. Il serait également illusoire de penser qu'elle empêchera de nouveaux crimes mais nous aurons tout fait pour éviter que de futurs drames se produisent : c'est une question d'honneur et de responsabilité. Je suis fière d'avoir porté ce texte devant vous : merci pour votre vote. (Applaudissements à droite et au centre)