Consultation des électeurs de Mayotte (Déclaration du Gouvernement)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle une déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat, en application de l'article 72-4 de la Constitution, sur la consultation des électeurs de Mayotte sur le changement de statut de cette collectivité.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.  - Depuis que Mayotte est devenue en 1976 une collectivité à statut particulier, les réformes qui se sont succédé n'ont pas su répondre à la volonté de l'île de se rapprocher de la métropole. Aussi, lors de la campagne pour l'élection présidentielle, le Président de la République s'était-il engagé à consulter les Mahorais pour trancher définitivement la question institutionnelle.

Le conseil général de Mayotte s'est prononcé à l'unanimité en faveur de la départementalisation le 18 avril 2008. Après l'établissement d'une feuille de route, le « pacte pour la départementalisation », présentée par le Président de la République le 16 décembre dernier, puis améliorée grâce aux échanges avec les élus, la procédure de changement de statut a été lancée le 14 janvier 2009. Aux termes du décret du 20 janvier, sera donc organisé un référendum le 29 mars prochain qui permettra aux Mahorais de se prononcer démocratiquement sur leur avenir en répondant par oui ou par non à la question suivante : « Approuvez-vous la transformation de Mayotte en une collectivité unique appelée département, régie par l'article 73 de la Constitution, exerçant les compétences dévolues aux départements et aux régions d'outre-mer ? » Par souci de transparence et d'information, le « pacte pour la départementalisation » a été adressé à tous les foyers mahorais, accompagné d'un résumé traduit dans les deux langues les plus communément parlées à Mayotte, outre le français. Si les Mahorais acceptent l'évolution institutionnelle proposée, un projet de loi organique sera présenté au Parlement dès cet été, bientôt complété par un projet de loi ordinaire.

Ce scrutin engage l'avenir de Mayotte. Si les Mahorais approuvent le principe de la départementalisation, seront mises en place des institutions conformes à la volonté des Mahorais et aux aspirations des élus. Le département de Mayotte sera créé en 2011. Cette collectivité à statut particulier, régie par l'article 73 de la Constitution, exercera les compétences d'une région et d'un département. Concernant le mode de scrutin et le nombre de conseillers élus, j'ai engagé une discussion avec les élus. Une nouvelle répartition des compétences entre la collectivité unique et les communes, qui mettra fin à la tutelle du Conseil général, sera mise en oeuvre et les maires bénéficieront de nouveaux moyens avec la mise en place de la taxe foncière. La fiscalité de Mayotte sera progressivement alignée sur le droit commun, tout en ménageant des adaptations pour la fiscalité professionnelle et la fiscalité des particuliers afin de préserver la stabilité des ressources de la collectivité. Il conviendra également de poursuivre le travail de valorisation du plan cadastral -beaucoup reste à faire ! L'évolution institutionnelle entraînera également une modification du statut de Mayotte au regard de l'Union européenne.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Exact !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Actuellement classée « pays et territoire d'outre-mer », l'île veut obtenir le statut de « région périphérique ». Le Gouvernement la soutiendra, en rappelant toutefois que cette évolution est conditionnée par la validation des acquis communautaires et que l'accès aux fonds structurels européens ne sera possible qu'en 2013.

L'évolution institutionnelle va conforter Mayotte dans la République. Pour garantir les droits des Mahorais, il est primordial d'améliorer le fonctionnement de la Commission de révision de l'état civil, pour aboutir rapidement à un état civil stable, j'y travaille avec la garde des sceaux. Conforter Mayotte dans la République, c'est aussi réaffirmer les valeurs et principes qui fondent notre pacte républicain. L'égalité entre les hommes et les femmes devra être pleinement respectée. Dans la pratique, les femmes ont toujours joué un rôle important à Mayotte. (M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission, acquiesce) Certaines ont même su imposer leur vision des choses...

Mme Michèle André, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.  - Vive la chatouille et le gang des chatouilleuses ! (Sourires)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Dans ce cas, le respect des principes républicains profitera davantage aux hommes ! (Rires) Seront appliquées à Mayotte les règles relatives au mariage qui ont cours sur tout le territoire français : interdiction de la polygamie, relèvement de l'âge légal minimum des femmes de 15 à 18 ans, suppression de la référence au tuteur matrimonial pour garantir le libre consentement des époux et, enfin, enregistrement du mariage civil avant le mariage religieux. La justice cadiale sera supprimée. Les cadis pourront continuer à exercer une mission d'expertise et de médiation auprès des magistrats de droit commun. Enfin, le Gouvernement mobilisera les secteurs publics de l'éducation nationale, de l'audiovisuel et de la culture, pour faire progresser la maîtrise du français, la langue de la République, en s'appuyant sur le monde associatif. Bref, la départementalisation de Mayotte entraînera de profonds changements institutionnels.

Si elle est souhaitée par les Mahorais, elle devra s'accompagner d'un nouvel élan pour le développement ; ce qui implique des instruments adaptés. Un fonds de développement économique, social et culturel, appuyé sur l'actuel fonds mahorais pour le développement et doté de moyens supplémentaires, contribuera à la réalisation des équipements nécessaires. Les acteurs socio-économiques seront mieux associés à sa gouvernance.

Le développement économique n'est cependant pas une fin en soi ; sa finalité doit être avant tout l'épanouissement des individus. L'homme doit être au coeur de toute politique. Il n'est cependant ni possible ni souhaitable que les prestations sociales soient versées immédiatement à Mayotte au taux où elles le sont en métropole ou dans les départements d'outre-mer. Une telle bascule, surtout dans l'environnement géographique que l'on connaît, risque de déstabiliser l'économie de l'île et de créer un appel d'air pour l'immigration irrégulière, qui est un des grands problèmes de Mayotte. Il faut prendre le temps nécessaire.

La nouvelle politique de solidarité permettra de financer des structures d'accueil pour les enfants, les personnes handicapées et les personnes âgées. Le Gouvernement est prêt à revaloriser dès 2010 les allocations familiales, l'allocation spéciale pour les personnes âgées et l'allocation pour adulte handicapé ; dans ces domaines, le contrôle peut s'exercer : le risque de déstabilisation est nul. L'effort sera poursuivi en 2011. J'ai lancé une mission d'expertise sur ces questions. En outre, une mission interministérielle d'audit sur le logement social sera menée dans les prochains mois, à la suite de laquelle peut être envisagée pour 2010 ou 2011 la création d'une allocation de logement social. Le RSA et les autres allocations de solidarité seront mis en place en 2012 à un niveau correspondant au quart du niveau national ; on peut estimer qu'ils rejoindront celui-ci sur vingt à vingt-cinq ans.

Préserver l'équilibre social impose d'agir sur l'immigration irrégulière. S'il faut toujours prendre en compte le facteur humain, s'il faut avoir à l'esprit que les populations qui essayent à tout prix de venir à Mayotte sont issues de pays, comme les Comores, où elles ne trouvent pas les conditions économiques, sociales ou politiques propices à leur épanouissement, il faut aussi, au regard des besoins de l'île, savoir être ferme. Les règles spécifiques régissant actuellement le séjour et l'éloignement des étrangers resteront en vigueur.

Nous avons fait le choix de la responsabilité en confiant l'avenir de Mayotte à la décision des Mahorais ; le choix de l'efficacité en inscrivant l'évolution institutionnelle dans un calendrier resserré mais aussi en progressant par étapes ; le choix enfin des valeurs, en réaffirmant celles qui font l'unité de notre République et la pérennité de notre démocratie. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Mayotte est française depuis 1841. C'est une ordonnance royale du 9 décembre 1846 qui y a aboli l'esclavage, après tant de razzias. L'appartenance à la France est ainsi devenue aux yeux des Mahorais synonyme de liberté.

Le 18 avril 2008, le conseil général de Mayotte unanime a demandé que l'île accède au régime de l'article 73 de la Constitution. Conformément à ses engagements, le Président de la République a lancé le processus d'évolution statutaire. Le 29 mars prochain, les électeurs de Mayotte devront dire s'ils font le même choix que leurs élus. Ils auront reçu d'ici là, la transparence l'exigeant, le pacte de la départementalisation.

Le Sénat et plus particulièrement sa commission des lois ont accompagné chaque étape de l'histoire de Mayotte. Une mission d'information, la troisième en huit ans, s'est rendue sur place du 1er au 6 septembre 2008 ; Mme André, MM. Cointat, Détraigne et moi-même y avons rencontré les acteurs socio-économiques et associatifs. Nous avons pu mesurer les progrès indéniables en matière d'équipement, mais aussi les retards dont le rattrapage suppose les efforts redoublés des Mahorais, de leurs élus et de l'État. Après des auditions réalisées ensuite à Paris, nous avons proposé à la commission des lois d'approuver la démarche engagée par le Président de la République et le Gouvernement pour permettre à Mayotte de devenir le 101e département français.

Depuis plus de 160 ans, les Mahorais font preuve d'un attachement indéfectible à la France. Depuis 1958, la départementalisation est revendiquée comme le moyen d'ancrer Mayotte plus solidement encore dans la République ; c'est la garantie pour la population de vivre dans un État de droit et une société démocratique. Ces dernières années, Mayotte n'était pas prête du fait de son attachement à son mode de vie traditionnel. Elle n'aurait pu devenir un département sans subir une profonde crise sociale et identitaire due à l'application brutale du droit commun. Aujourd'hui, la population est plus mobile, beaucoup de Mahorais ont fait des études et se sont rendus en métropole ou à La Réunion. Les efforts accomplis depuis 30 ans ont changé la donne, le statut sur mesure de 2001 actualisé en 2007 a fait progresser l'île sur la voie du droit commun.

L'accès au statut de département et région d'outre-mer achèvera le processus d'alignement tout en préservant, conformément à la Constitution, la possibilité d'adaptations justifiées par des caractéristiques et contraintes particulières.

Si Mayotte est aujourd'hui une collectivité d'outre-mer, elle le doit à ses très fortes particularités. Deux statuts civils y coexistent, le statut de droit commun et le statut personnel, ou statut civil de droit local, dont relèvent les Mahorais musulmans qui n'y ont pas renoncé. A cette dualité de statut correspondent une dualité des règles en matière d'état des personnes et des biens ainsi qu'une justice particulière aux citoyens de statut personnel, rendue par les cadis.

Statut personnel, justice cadiale et état civil sont les trois questions majeures. Depuis 2001, le statut personnel s'est rapproché du droit commun en matière de polygamie, de divorce ou de droit des successions. Il doit maintenant être rendu pleinement compatible avec les droits fondamentaux de notre République, afin que les personnes qui en relèvent aient les mêmes droits que celles ayant le statut civil de droit commun. Cette réforme est indispensable pour assurer l'égalité entre les hommes et les femmes ; toute nouvelle union polygame doit ainsi être proscrite.

Un mot de la justice cadiale. Le cadi fonde ses décisions à la fois sur la doctrine musulmane et sur des règles coutumières. Les membres de la mission d'information ont rencontré le grand cadi, les cadis, et les magistrats du tribunal supérieur d'appel. La justice cadiale est marquée par la quasi-inexistence de règles procédurales, une méconnaissance des principes du contradictoire et de la représentation par avocat. C'est une justice pour tout dire aléatoire et sans garantie ; elle est critiquée par les Mahorais eux-mêmes. Pour la commission des lois, la départementalisation devra s'accompagner de la suppression des fonctions juridictionnelles des cadis.

La départementalisation et l'organisation de la consultation du 29 mars posent en outre la question de l'état civil des Mahorais. Vu de métropole, où l'état civil remonte au XVIe siècle, il est difficile de mesurer le changement que représente pour les Français de Mayotte la fixation de leur état civil, avec nom et prénoms. Les travaux de la Commission de révision de l'état civil (Crec) ont progressé trop lentement ; plus de 14 000 dossiers sont en instance.

Il en a traité moins de 800 l'an passé !

Sans un acte de naissance reconstitué, les Mahorais peuvent se trouver comme des étrangers en France. En dehors de Mayotte, ils ne peuvent plus satisfaire aux exigences de certains services d'état civil. Cette situation est contraire au principe d'égalité et l'action de l'État doit faire preuve en ce domaine de plus de cohérence : on ne peut demander aux Mahorais d'appliquer le droit commun sans être en mesure de fixer leur état civil. L'établissement de listes électorales fiables est également en jeu. Pour accélérer le traitement des dossiers par la Crec, la commission des lois a recommandé la nomination d'au moins un vice-président afin de doubler le nombre d'audiences, et la création d'une équipe administrative de cinq à six fonctionnaires chargés de coordonner les travaux des rapporteurs et de superviser la préparation des décisions.

La population de Mayotte doit être pleinement informée des implications et des conséquences de la départementalisation car celle-ci leur demandera d'importants efforts. L'avenir de l'archipel repose sur un équilibre fragile que le changement de statut ne doit pas compromettre mais renforcer. Le premier défi à relever est celui de l'immigration irrégulière : la pression migratoire en provenance des îles de l'archipel, et en particulier d'Anjouan, située à 70 kilomètres, est très forte. En dépit des moyens déployés pour lutter contre l'immigration illégale, environ 35 % de la population totale de Mayotte, soit près de 60 000 personnes, serait en situation irrégulière.

La délégation de la commission des lois a visité le centre de rétention administrative, créé en 2003 et qui a fait l'objet récemment de travaux d'amélioration. La construction d'un nouveau centre demeure une priorité et est prévue, d'ailleurs, par le ministère de l'intérieur. Le maintien des règles spécifiques en matière d'entrée et de séjour des étrangers est indispensable. En outre, cette immigration ne pourra être maîtrisée sans une coopération massive entre la France et l'Union des Comores.

Mayotte est confrontée à des difficultés que peu d'autres collectivités françaises connaissent. Elle doit faire face à l'explosion démographique, former ses enfants, leur assurer un avenir professionnel et assimiler les principes républicains. La population y a été multipliée par huit en 50 ans, pour atteindre aujourd'hui près de 190 000 habitants. Entre 1997 et 2007, la population scolaire a augmenté de 62 % ; 40 écoles, 7 collèges et 4 lycées ont été construits. Les enfants apprennent souvent deux ou trois langues : le shimaorais ou le shibushi, le français et l'arabe. Cet effort de scolarisation est indispensable au développement équilibré de l'archipel, et nous avons pu observer la motivation des personnels de l'éducation nationale.

L'explosion démographique et l'immigration irrégulière font que les efforts pour développer Mayotte s'apparentent à ceux que Sisyphe devait sans cesse recommencer. L'accès au statut de département et région d'outre-mer apporte une promesse de développement avec, à terme, un changement de statut au sein de l'Union européenne : Mayotte devenue une région ultrapériphérique accéderait aux financements européens. Si l'évolution du statut en droit interne est sans conséquence sur la situation de l'île au regard de l'Union européenne, le traité de Lisbonne permettrait de l'intégrer à la liste des régions ultrapériphériques par une décision du Conseil de l'Union. Vous nous avez indiqué, madame la ministre, que cette évolution indispensable pour rattraper les retards ne pourrait intervenir avant 2013.

Enfin, s'agissant de la nouvelle organisation statutaire de Mayotte, la commission des lois approuve le maintien d'une seule assemblée exerçant les compétences du département et de la région. L'évaluation de la valeur locative des parcelles fait défaut pour la création d'une fiscalité locale, bien que le plan cadastral soit achevé. La collectivité tire une part importante de ses ressources des droits de douane, mais ceux-ci ne pourront subsister que de façon transitoire si Mayotte accède au statut de région ultrapériphérique. L'évolution statutaire impliquera donc de défaire le système fiscal actuel pour en construire un nouveau.

Pour ce qui est de l'application à Mayotte des prestations sociales, si l'assimilation des principes républicains suppose un effort d'acculturation, il ne faut pas provoquer de bouleversements par une élévation artificielle des niveaux de vie ou une déstructuration sociale. Le « pacte pour la départementalisation » prévoit une démarche progressive, comme le recommande par ailleurs la commission. N'oublions pas que la mise en oeuvre de l'égalité de prestations dans les départements d'outre-mer a demandé du temps.

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Soixante ans !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Il faut préserver les équilibres sociaux et économiques. Certaines erreurs ont été faites par le passé -vous le savez, monsieur Virapoullé.

La consultation du 29 mars doit amener chaque électeur de Mayotte à réfléchir sur l'avenir de son île. Il faut faire de la départementalisation une chance et s'engager dans la confiance : confiance des Mahorais dans l'État, et de la France dans la capacité de la population à assumer cette évolution. (Applaudissements à droite, au centre et sur les bancs socialistes)

M. Yves Détraigne, co-rapporteur de la mission d'information sur Mayotte.  - En participant à une consultation que ses élus demandaient depuis plusieurs décennies, la population de Mayotte s'apprête à vivre un moment historique. Elle pourra alors faire sans ambiguïté le choix de la départementalisation.

Certains aspects ont particulièrement retenu l'attention des membres de la mission d'information de la commission des lois. La départementalisation aura dans ces domaines un impact direct, dont la population doit être informée pour que la consultation se déroule sans doute ni faux-semblants sur les changements à venir. Cette démarche de sincérité en conditionne le succès : le Gouvernement en est pleinement conscient et la feuille de route présentée en décembre répond à ce souci.

La loi du 11 juillet 2001 a doté l'île du statut de collectivité départementale, répondant aux aspirations d'alignement sur le régime des départements tout en admettant l'impossibilité d'une départementalisation à court terme. Au même moment débutaient les travaux de la Commission de révision de l'état civil (Crec), visant à fixer les nom et prénoms des personnes de statut civil de droit local nées avant le 8 mars 2000 et à établir les actes d'état civil. Alors qu'elle aurait dû achever son travail en 2006, son mandat a été prorogé jusqu'au 5 avril 2011. Elle a délivré environ 65 000 documents, dont près de 40 000 actes de naissance. Elle est depuis plusieurs mois sans président alors que 14 000 dossiers étaient en instance fin 2007. Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, où en est la nomination de son président et de son secrétaire général ?

La visite des services de l'état civil a permis à la mission d'information de mesurer l'ampleur de la tâche. Le très mauvais état des anciens registres fait que l'état civil des personnes ayant le statut de droit commun n'est parfois pas davantage fixé que celui de celles soumises au statut personnel. Face aux exigences des administrations et à l'extrême lenteur des travaux de la Crec, les Mahorais se sentent parfois étrangers chez eux. En l'absence d'acte de naissance, ils ne peuvent obtenir ni certificat de nationalité française, ni carte nationale d'identité, ni passeport, et se retrouvent dans l'impossibilité de voyager, d'effectuer des déplacements professionnels ou d'étudier à l'étranger. Il leur est également difficile de faire valoir leurs droits à la retraite.

Le délai de réponse de la Crec oscille entre deux ans et demi et six ans et demi... L'action de l'État dans ce domaine n'est pas crédible et une réforme s'impose. La nomination d'au moins un vice-président permettrait de doubler le nombre d'audiences et la création d'une équipe administrative accélérerait le traitement des dossiers. Ces mesures sont indispensables pour réduire les délais d'instruction.

La mission d'information s'est également intéressée à l'organisation de la justice à Mayotte.

La justice doit être la même pour tous. Or, il existe à Mayotte une double justice. Les litiges nés de l'application du statut personnel sont de la compétence de juridictions spécifiques : le cadi, le grand cadi et la chambre d'annulation musulmane. L'application de certains principes du droit coutumier -répudiation, polygamie, double part successorale pour les hommes- est aujourd'hui rejetée par une partie de la population et le fonctionnement même de la justice cadiale est critiqué.

Les cadis ne disposent souvent d'aucune documentation et leur connaissance aléatoire du droit musulman entraîne des divergences de jurisprudence d'autant plus dommageables que le taux d'appel demeure très faible. De plus, l'exécution des décisions est souvent hypothétique. En outre, la justice cadiale est d'autant plus complexe qu'elle juge également des litiges qui relèvent du droit commun, qu'il s'agisse de ressortissants comoriens en situation irrégulière ou de citoyens persuadés à tort de relever du statut civil de droit local.

Aussi la commission des lois estime que la départementalisation doit entraîner l'extinction de la justice cadiale. Il appartiendra au conseil général, dont relèvent les cadis, d'envisager les dispositifs permettant de les employer à d'autres fonctions ou de maintenir leur rôle de médiation.

Les dix-sept communes mahoraises présentent une situation financière dégradée, car leurs ressources sont insuffisantes. Leurs capacités budgétaires sont faibles, leurs recettes par habitant sont trois fois moindre qu'en métropole et leurs ressources sont constituées exclusivement de dotations. Elles rencontrent donc des problèmes récurrents de trésorerie, rendant difficile le paiement des salaires les derniers mois de l'année, la programmation des investissements ou même le fonctionnement d'un centre communal d'action sociale. De nombreuses communes ne sont pas capables d'assurer la scolarisation des enfants de 3 ans, qui sera pourtant obligatoire à Mayotte à compter de la rentrée 2010. Mais la forte croissance démographique ne permettra pas d'atteindre cet objectif qui supposerait la construction massive de nouvelles classes.

Autre difficulté : le numérotage des rues n'est pas encore achevé et la dotation que l'État accorde aux communes à cette fin semble insuffisante. La départementalisation, qui permettra de créer une fiscalité directe locale, dotera les communes de finances saines.

La mission d'information a été alertée sur la question de l'intégration des agents publics de Mayotte dans la fonction publique, qui se pose depuis 1976. La loi statutaire de 2001 prévoit, au plus tard le 31 décembre 2010, le droit à l'intégration des agents publics de la collectivité départementale, des communes et des établissements publics administratifs de Mayotte dans l'une des trois fonctions publiques ou dans des corps transitoires. Mais ces corps passerelle ne sont pas encore constitués et leur régime indemnitaire n'est pas fixé, ce qui bloque l'intégration de plusieurs centaines de fonctionnaires. Sur les 6 800 agents intégrables, seuls 1 600, des instituteurs pour la plupart, ont en effet rejoint une des trois fonctions publiques. En l'absence de dispositions réglementaires relatives à la transition entre les régimes de retraites, certains agents qui remplissent les conditions requises pour faire valoir leurs droits ne peuvent le faire. L'État doit prendre les mesures nécessaires.

Enfin, nous devons mettre en oeuvre une coopération d'ampleur avec les Comores, afin de préserver l'équilibre régional et la stabilité de Mayotte.

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Très bien !

M. Yves Détraigne, co-rapporteur.  - D'un niveau de vie beaucoup plus élevé que celui des Comores -le rapport est de un à dix en termes de PIB- Mayotte subit une très importante immigration clandestine pour des raisons économiques, sanitaires et familiales. Alors que l'île connaît une forte croissance démographique, la maîtrise de l'immigration constitue donc un enjeu majeur pour le développement économique ainsi que pour la préservation de l'ordre public et des équilibres sociaux. Même si le contrôle de l'immigration a été renforcé depuis quelques années, la maîtrise de l'immigration ne sera possible que si la population de l'Union des Comores, et en particulier d'Anjouan, dispose de services comparables à ceux qu'elle vient trouver à Mayotte dans le domaine sanitaire. La France conduit déjà des actions de développement aux Comores, mais la départementalisation de Mayotte devra s'accompagner d'un accroissement de cet effort pour garantir la stabilité de la région. L'État devra également poursuivre ses efforts d'investissement en matière de constructions scolaires, d'infrastructures et de lutte contre l'immigration irrégulière. La départementalisation impliquera donc un effort financier exceptionnel sur plusieurs années.

Si, le 29 mars, la population de Mayotte se prononce pour la départementalisation, elle choisira la modernité mais aussi la responsabilité. L'État devra en tirer les conséquences et s'engager dans les voies que j'ai évoquées. L'évolution statutaire devra être progressive, pour être assimilée sans heurts par la société et par l'économie mahoraises. On ne pourra plus prétendre alors que Mayotte n'est pas prête pour la départementalisation, mais que la départementalisation est l'avenir de Mayotte. (Applaudissements au centre, à droite et sur les bancs socialistes)

M. Adrien Giraud.  - La vieille revendication de Mayotte d'obtenir un statut définitif au sein de la République Française est en voie d'aboutir. La consultation des Mahorais le 29 mars apporte toutes les garanties d'une procédure démocratique, c'est-à-dire d'une réponse claire à la question claire que nous posons depuis plus d'un demi-siècle. La consultation populaire demeure l'expression la plus légitime du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Les Mahorais n'ont cessé, à juste titre, de l'invoquer. Je me félicite de cette étape décisive dans l'évolution institutionnelle de notre collectivité départementale.

Tous les membres du groupe centriste du Sénat ont accepté de cosigner ma proposition de loi du 23 octobre 2007 qui visait justement « à réintroduire la procédure de consultation populaire dans le dispositif destiné à l'accession de Mayotte au statut de département et région d'outre-mer ». Mais ce n'était qu'un point de départ. L'essentiel réside, en effet, dans la décision du Président de la République, qui est allé dans le sens souhaité depuis longtemps par la population mahoraise. C'est dans son discours du 27 novembre 2008 aux élus d'outre-mer que le Président de la République a déclaré, à notre grande satisfaction, que l'État respecterait ses engagements. Ce jour-là, nous avons compris que nous sortions enfin de cette trop longue période de lois non appliquées et de promesses non tenues.

La confirmation de cette rupture avec le passé nous est venue lors de l'entretien accordé, le 16 décembre 2008, par le Président de la République à une délégation de représentants de Mayotte.

Le rappel de notre « longue marche » est indispensable à la bonne compréhension de nos aspirations. Mayotte est devenue volontairement française en 1841, avant Nice et la Savoie, pour échapper aux exactions d'un environnement oppressif. Si nous avions connu la même évolution que ces deux départements, Mayotte n'en serait pas là où elle en est ! Notre demande d'accession au statut de département français d'outre-mer remonte à 1958, l'année même de la naissance de la Ve République. Elle n'a pas varié à ce jour : c'est notre conception du fameux « sens de l'Histoire ». L'évolution institutionnelle de Mayotte repose depuis longtemps sur la consultation populaire. En 1976, Mayotte a exprimé à la fois sa volonté de demeurer française et son choix du statut de DOM. Plus récemment, la consultation du 2 juillet 2000 a permis à Mayotte d'obtenir le statut de collectivité départementale, sorte de transition vers la départementalisation de droit commun.

Dans sa lettre aux Mahorais, datée du 14 mars 2007, le candidat Nicolas Sarkozy a promis de consulter les Mahorais sur la départementalisation « si le conseil général de Mayotte le demande ». La résolution de ce dernier, adoptée à l'unanimité le 18 avril 2008, a été transmise au Gouvernement et nous remercions le Président de la République d'avoir respecté sa parole.

Tel est le cheminement qui a conduit les Mahoraises et les Mahorais, en dépit de toutes les pressions, à adhérer sans cesse aux principes et aux valeurs de la République française. Ceux qui ont fait un autre choix en subissent encore les conséquences : multiplication des coups d'État, faible niveau de vie des populations, afflux massif de migrants vers nos rivages.

C'est pourquoi je n'ai cessé de plaider pour que le Gouvernement renforce sa politique de coopération et d'aide au développement en faveur des pays de l'Océan Indien. Mais notre revendication départementaliste n'est pas due à nos préoccupations diplomatiques. Elle se fonde de plus en plus sur l'aspiration des Mahorais, et surtout des jeunes, au progrès économique et social. Pour la première fois dans notre histoire, les principales étapes de la marche vers la départementalisation ont été déterminées avec le Gouvernement et elles figureront dans une loi organique. La création du 101e département français suivra l'installation du conseil général, nouvellement élu, en avril 2011. Ce délai devra être mis à profit pour améliorer l'état civil mahorais grâce à la modernisation des services municipaux et à la formation des agents.

L'organisation du département de Mayotte devra conjuguer efficacité et simplicité. L'île sera dotée d'une assemblée unique exerçant conjointement les compétences du département et de la région. Nous éviterons ainsi les complications d'un bicamérisme insulaire sur un territoire de 375 kilomètres carrés. Ces compétences élargies permettront d'encourager le développement économique et social et la création d'un Fonds de développement économique et social serait souhaitable. Il sera essentiel d'accorder au nouveau département les moyens de son développement ou plutôt de son rattrapage.

Sans revenir à la planification des années 1986-1987, il serait bon d'établir une programmation des investissements publics et de prévoir les financements adéquats pour les infrastructures et les équipements car nous avons grand besoin d'une remise à niveau économique, sociale, éducative. Dans ces investissements publics, Mayotte prendra toute sa part aux côtés de l'État, mais aussi de l'Europe car il n'y a pas plus ultrapériphérique que Mayotte -nous demandons au Gouvernement de nous assurer l'accès aux fonds structurels pour soutenir nos progrès.

Je voudrais faire ici ressortir la signification profonde du combat plus que séculaire de Mayotte : c'est un combat pour la liberté. Une telle perspective ne peut que renforcer l'engagement des Mahorais en faveur de la départementalisation. C'est également tout le sens de leur adhésion aux principes et valeurs de la République, aux droits comme aux devoirs de notre citoyenneté française. (Applaudissements)

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Soibahadine Ibrahim Ramadani.  - Le 29 mars 2009, Mayotte vivra un moment historique au sein de la République française. Après 50 ans de combat politique difficile, le Président de la République, M. Nicolas Sarkozy, a décidé, par un décret du 20 janvier 2009 pris en application de l'article 72-4 de la Constitution, de consulter la population de Mayotte sur les évolutions institutionnelles de l'île.

La question retenue par le Conseil d'État et adoptée par le conseil des ministres est claire : oui ou non, approuvez-vous la transformation du statut actuel de collectivité territoriale régie par l'article 74 de la Constitution en DOM régi par l'article 73 et doté d'une assemblée unique exerçant les compétences des départements et des régions ?

La déclaration du Gouvernement nous offre l'occasion d'éclairer l'opinion nationale sur les motivations et le parcours singulier de Mayotte. En 1958, à la veille du référendum constitutionnel instaurant la Ve République, le général de Gaulle a promis aux peuples coloniaux qu'ils seraient libres de choisir entre l'indépendance, le statut de territoire d'outre-mer et celui de département d'outre-mer. Les Mahorais, une première fois, ont choisi le département. Au mois de mai 1958, les notables de Mayotte ont donc donné mandat à leurs quatre conseillers à l'Assemblée territoriale des Comores, Abdourraquib ben Ousseni, Marcel Henry, Mari Sabili et Souffou Sabili, pour demander la départementalisation de Mayotte. La motion a été rejetée par l'Assemblée territoriale des Comores par 25 voix contre 4, au motif que « les Mahorais ont leurs moeurs et coutumes particulières » et qu'ils « auront de la peine à s'intégrer au statut français ».

Un mois plus tôt, les notables de Mayotte, réunis en congrès à Tsoundzou sous la houlette de Georges Nahouda, avaient pourtant réaffirmé leur choix du statut départemental, volonté exprimée une nouvelle fois 18 ans plus tard, en avril 1976, lorsque les Mahorais ont rejeté le statut de TOM et déposé dans l'urne plus de 13 000 bulletins « sauvages » réclamant la départementalisation.

Que recherchaient les Mahorais en 1958, alors qu'il n'existait ni minima sociaux, ni fonds structurels européens ? Essentiellement, rester Français pour être libres, vivre en paix et en sécurité, avec la garantie d'un ancrage profond dans la République. N'oublions pas que les premières indépendances africaines se sont soldées par des dictatures, des guerres civiles et des coups d'État à répétition : les Mahorais n'y ont pas vu un modèle ! Les Comores indépendantes depuis 1975 ont connu 30 coups d'État, la terreur semée par les mercenaires de Bob Denard, la crise séparatiste d'Anjouan, la corruption, la mal gouvernance, le déficit démocratique, entraînant la fuite des cerveaux vers la France métropolitaine et La Réunion, ainsi qu'une émigration illégale massive vers Mayotte. Les Mahorais n'ont vu là aucune raison de regretter leur choix !

Mayotte est française depuis 1841 et elle l'est devenue non par conquête mais par cession de son souverain, bien avant Nice et la Savoie, 45 ans avant les trois autres îles de l'Archipel des Comores et 55 ans avant Madagascar. Au cours de ces 168 ans, l'île n'a connu que des statuts provisoires. Certes, la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, en inscrivant nominativement Mayotte dans la Constitution, a ancré l'île au sein de la République. L'article 53 est clair : « Nulle cession, nul échange, nulle adjonction de territoire n'est valable sans le consentement des populations intéressées ».

Cependant, l'accord du 27 janvier 2000 sur l'avenir de Mayotte, approuvé par 73 % des Mahorais, vise l'identité législative. L'objectif a été réalisé en grande partie par la loi du 21 février 2007 mais celle-ci exclut les Mahorais de l'égalité de droits et de devoirs dans des matières essentielles, droit fiscal et douanier, droit de l'urbanisme, droit social, droit du travail, droit des étrangers, finances communales. Il est temps de mettre en harmonie statut constitutionnel et statut institutionnel.

La consultation prochaine marque aussi une avancée diplomatique encore fragile qu'il conviendra de consolider dans le cadre des discussions du groupe de travail entre la France et l'Union des Comores. C'est que Mayotte, seul territoire de la République dans ce cas, fait l'objet d'une revendication de la part d'un pays étranger. Elle figure en même temps à l'article 72-3 de la Constitution de la République française et à l'article I de la Constitution de l'Union des Comores. Au nom du principe de droit international d'intangibilité des frontières issues de la colonisation, la France est accusée d'occupation de force à Mayotte, ce qui lui vaut des condamnations récurrentes par la Ligue arabe, l'Union africaine ou l'Assemblée générale des Nations Unies, et ce, depuis l'indépendance des Comores. Or Mayotte a choisi librement la France par le traité de cession du 25 avril 1841, ratifié par le roi Louis-Philippe ; et elle a confirmé ce choix en décembre 1974, lors de la consultation des populations des Comores, comme en février 1976. Le Conseil constitutionnel a validé ces résultats. Depuis une dizaine d'années, la France ne fait plus l'objet de condamnations systématiques. La départementalisation de Mayotte est une question de souveraineté et les agitations actuelles de la diplomatie comorienne relayées par l'Union africaine sont sans incidence sur la tenue de la consultation -elle relève bien du droit interne français. En revanche, les élus de Mayotte sont disposés à entamer un dialogue constructif avec l'Union des Comores, dès lors que celle-ci aura reconnu l'appartenance de Mayotte à la France, afin de bâtir ensemble une coopération durable et mutuellement avantageuse et de favoriser l'adhésion de Mayotte à la Commission de l'Océan indien comme à tous les autres organismes régionaux.

Cette consultation résulte surtout de la volonté politique d'un homme, M. Nicolas Sarkozy. M. Jacques Chirac avait apporté sa pierre à l'édifice, lorsqu'il s'était dit partisan d'avancer d'un an ou deux le rendez-vous de 2010 prévu dans l'accord du 27 janvier 2000 sur l'avenir de Mayotte. Le député Mansour Kamardine avait donc déposé un amendement en ce sens. L'ancien Président de la République était également favorable à un plan de rattrapage des minima légaux entre 2007 et 2010 ; hélas, faute de décret d'application et de financements, le plan n'a pas été exécuté.

Incontestablement, c'est à M. Sarkozy que revient le rôle décisif : il a fait aboutir ce dossier en peu de temps. D'abord, il a tenu sa promesse en décidant d'organiser la consultation du 29 mars prochain. Ensuite, il envisage de se rendre à Mayotte en 2009 pour partager ce moment historique avec les Mahorais.

Enfin il porte moralement le « pacte pour la départementalisation » de Mayotte qui vise l'égalité sociale avec la métropole et les autres départements d'outre-mer en une génération.

En 2011, les modalités de transfert des compétences régionales et des ressources seront définies ; un plan de revalorisation des minima sociaux sera mis en place ; les discussions se poursuivront en vue de faire de Mayotte une région ultrapériphérique de l'Union européenne avant 2013. Les autres minima sociaux, dont le RSA, seront étendus à partir de 2012 à hauteur de 25 % de leur montant ; la fiscalité locale et douanière entrera en vigueur au 1er janvier 2014 ; le Smig évoluera en fonction de la croissance. L'État poursuivra ses efforts en matière d'intégration républicaine : état civil fiable, justice unique, égalité homme-femme, maîtrise du français, contrôle de l'immigration irrégulière. Le contrat de projet 2008-2014 et certaines dispositions du plan de relance seront mis en oeuvre. Un fonds de développement économique, social et culturel sera mobilisé pour les opérations nouvelles. Tous les deux ans, l'impact des dépenses publiques sera évalué.

La départementalisation de Mayotte est une grande ambition partagée, qui marque non pas la fin d'une époque mais le début de son avenir dans la République. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Michèle André, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes.  - J'ai souhaité, au nom de la Délégation, faire entendre la voix des femmes de Mayotte. Lors de notre déplacement de septembre, sous la houlette de M. Hyest, j'ai pu constater les progrès réalisés en matière de développement et de gestion depuis mon précédent voyage, en 1990. J'ai également mesuré tout ce qu'il reste à faire pour l'égalité de droits des Mahoraises. La départementalisation n'a de sens que si elle garantit les droits et libertés.

La société mahoraise traditionnelle s'organise autour des principes de matrilinéarité et de matrilocalité, mais de nombreux aspects du statut civil de droit local placent les femmes dans une situation d'infériorité : polygamie, inégalité successorale, capacité testimoniale. Les Mahoraises assument de lourdes responsabilités familiales souvent très jeunes, interrompant de facto leur scolarisation. N'ayant connu qu'une vie vouée à obéir, elles peinent à s'assurer un avenir professionnel.

Les femmes ont cependant joué un rôle majeur pour le maintien de Mayotte dans la République, symbolisé par le combat des Chatouilleuses, qui telles, Zaïna M'Dére et Zaïna Meresse, se sont engagées dans les années 1960 contre les autorités de la Grande Comore, en recourant à un mode d'intervention original, les chatouilles n'étant pas un délit... Cette mobilisation courageuse a été déterminante. Je remercie M. Giraud d'avoir permis une rencontre avec ces femmes admirables, auxquelles je rends hommage et qui ont été éloignées dans les années 70 de la scène politique -cela est si fréquent... Parmi les nouveaux maires élus en 2008, deux femmes, Mme Ramlati, maire de Pamandzi et Mme Ibrahima, maire de Chirongui, nous ont dit combien elles étaient démunies.

Qu'en est-il aujourd'hui de l'égalité entre les hommes et les femmes à Mayotte ? Les Mahorais ayant conservé leur statut personnel sont soumis à des règles particulières -polygamie, possibilité de répudiation de la femme, inégalité en matière successorale- et bénéficient d'une exception de juridiction. Tant qu'ils n'y ont pas renoncé, les Mahorais musulmans sont automatiquement soumis au statut personnel dérogatoire, droit coutumier qui se réfère au Livre des croyants zélés, recueil d'aphorismes et de préceptes fondés sur la charia et qui emprunte aux coutumes africaines et malgaches. Ce statut ne peut être transmis que par deux parents ayant eux-mêmes conservé le statut personnel. L'acquisition ou la réintégration dans la nationalité française emporte l'accession au statut de droit commun, qui se transmet automatiquement aux enfants mineurs d'un couple mixte. Résultat, beaucoup ignorent le statut dont ils relèvent !

La loi du 11 juillet 2001 avait précisé les règles de conciliation du statut civil de droit local avec celui de droit commun. La loi de programme pour l'outre-mer de 2003 a mis fin à certains aspects incompatibles avec les principes républicains ; la loi du 26 mai 2004 relative au divorce y a apporté des compléments. Il s'agit d'avancées partielles, qui font mesurer le chemin restant à parcourir...

Le statut personnel est protégé par l'article 75 de la Constitution, mais certains éléments sont contraires aux principes républicains et à la Convention européenne des droits de l'homme. En 2003, le Conseil constitutionnel a estimé que le législateur pouvait en faire évoluer les règles, mais ne pouvait contraindre les citoyens à renoncer à leur statut personnel, ni l'abolir.

L'accès au statut de département doit permettre à Mayotte d'entrer pleinement dans la modernité. Les Mahorais ne devront pas abandonner leur identité mais se conformer aux principes fondamentaux de notre République, tels que l'égalité et la laïcité. C'est d'ailleurs une aspiration de la population, notamment des jeunes. Pour les affaires compliquées, telles que les questions de pension alimentaire, les Mahorais préfèrent d'ailleurs la justice de droit commun, parce qu'ils savent que leurs droits y seront mieux défendus.

Les fonctions juridictionnelles et notariales des cadis doivent être supprimées. L'âge légal du mariage des femmes ayant le statut personnel doit être porté à 18 ans : il n'est plus acceptable qu'une fille soit mariée à 15 ans par le cadi ! Les nouvelles unions polygames doivent être interdites dès l'accession au statut départemental et la polygamie pénalisée, conformément au régime de droit commun.

Une autre question essentielle pour l'avenir de Mayotte est celle de sa jeunesse : 71 % de la population a moins de 30 ans, 80 000 personnes sur 180 000 sont scolarisées. On est loin des élus du Massif Central qui luttent pour conserver leur école ! Je salue au passage le travail remarquable des autorités, du rectorat et des personnels de l'éducation nationale à Mayotte.

Le service d'aide sociale à l'enfance dispose de moyens financiers et humains très insuffisants. La protection des enfants en danger est pourtant une compétence majeure du département.

La direction de la protection de l'enfance s'est émue, dans son rapport de novembre 2008, du défaut de la prise en charge.

Les phénomènes de déscolarisation s'amplifient, de même que les addictions à l'alcool et au cannabis ou la prostitution des jeunes filles en errance. Les enfants d'origine étrangère représentent une écrasante proportion de ces mineurs en rupture avec la société. Ils ont droit, comme les autres, à toute notre attention. Comme le dit Mme Cris Kordjee, représentante de l'Association pour la condition féminine, rappelant un proverbe mahorais, « les enfants sont les enfants du juge ».

Pour éviter l'explosion, le conseil général doit créer une structure d'hébergement adaptée aux besoins pour le placement en urgence de mineurs en grande difficulté, une alternative à l'incarcération pour les jeunes commettant des actes de délinquance et renforcer les moyens financiers et humains du service d'aide sociale à l'enfance.

Tout porte à croire que les Mahorais feront le choix de la départementalisation. Ils feront alors le choix de la responsabilité et de l'égalité de droits entre les femmes et les hommes. Ils devront accepter que le statut personnel soit rendu entièrement compatible avec les principes de notre République.

L'enjeu de la consultation du 29 mars sera de faire comprendre à la population mahoraise les profondes modifications que le changement de statut imprimera à la société. Afin que nul ne soit déçu, ni l'État, ni les élus, ni la population, il faut bien le mesurer. J'espère que les femmes mahoraises y trouveront l'expression positive de leur bonheur et je suis fière d'avoir pu évoquer les figures de quelques-unes de ces grandes dames. (Applaudissements à droite et au centre.)

Mme Éliane Assassi.  - Je vais faire entendre, ce soir, une voix dissonnante. Tout le poids de l'Histoire pèse sur la relation entre la France et Mayotte. Vingt-cinq ans après l'accession de la République des Comores à l'indépendance, le statut de Mayotte reste un sujet de débat. Celui que nous tenons ce soir précède l'organisation d'un référendum sur la départementalisation de Mayotte. Actuellement collectivité départementale depuis la loi du 11 juillet 2001, Mayotte pourrait ainsi devenir le cinquième département d'outre-mer et le 101e département français. En présentant cette consultation référendaire comme la suite logique de l'évolution du statut de l'île depuis 1976, le Gouvernement occulte totalement l'Histoire. Le rapport d'information évoque une situation, à Mayotte, « potentiellement explosive », et une coopération rendue difficile avec l'Union des Comores qui « n'a jamais accepté que Mayotte devienne française ». Et pour cause ! Mayotte n'est restée française que parce que la France l'a décidé unilatéralement.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Ah non !

Mme Éliane Assassi.  - En effet, la loi du 23 novembre 1974 a organisé une consultation d'autodétermination « des populations des Comores » et non de la population des Comores, afin de permettre le décompte des suffrages île par île. Or, si les trois îles d'Anjouan, de la Grande Comore et de Mohéli se sont prononcées à une très large majorité en faveur de l'indépendance, Mayotte s'est prononcée à 63,82 % en faveur du maintien dans la République française.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Eh oui !

Mme Éliane Assassi.  - C'est sur ce fondement que la France a décidé de conserver Mayotte et de mettre fin à l'unité de l'archipel des Comores. L'Assemblée nationale française, durant toute la période coloniale, avait pourtant toujours traité les Comores comme une seule et unique entité. La loi du 25 juillet 1912 portant rattachement des îles de Mayotte, Anjouan, Mohéli et Grande Comore à Madagascar, et les lois du 9 mai 1946 et du 22 décembre 1961 relatives à l'organisation des pouvoirs publics aux Comores en témoignent. Pourquoi remettre en cause, quinze ans plus tard, cette unité sinon en raison de l'intérêt stratégique que représente Mayotte pour la France ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Mais non !

Mme Éliane Assassi.  - Elle donne le contrôle du canal du Mozambique, par où transitent les deux tiers des exportations pétrolières en provenance du Moyen-Orient et la possibilité d'y maintenir des bases militaires.

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Et c'est tant mieux !

Mme Éliane Assassi.  - Personne n'ignore qu'afin d'éviter que la population mahoraise n'opte pour l'indépendance, la consultation de 1974 a été précédée d'intimidations et de violences.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Comment peut-on dire tant de contre-vérités ?

Mme Éliane Assassi.  - La résolution 1514 de l'assemblée générale de l'ONU en date du 14 décembre 1960 affirmait que « tous les peuples ont un droit inaliénable à la pleine liberté, à l'exercice de leur souveraineté et à l'intégrité de leur territoire national » et déclarait que « toute tentative visant à détruire partiellement ou totalement l'unité nationale et l'intégrité territoriale d'un pays est incompatible avec les buts et les principes de la Charte des Nations Unies ». Mais le gouvernement français faisait fi de cette résolution -comme de celles qui allaient suivre. Alors que les Comores accèdent à l'indépendance le 6 juillet 1975 suite à une déclaration unilatérale du gouvernement des Comores, la France ne reconnaît l'indépendance que des seules îles de la Grande Comore, d'Anjouan et de Mohéli. Elle organise deux consultations de la seule population de Mayotte sur son maintien dans la République. En février 1976, si 99,4 % des suffrages exprimés se prononcent pour ce maintien, en avril 1976 ce sont 97,47 % des suffrages qui se prononcent contre le statut de territoire d'outre-mer. Ces deux consultations ont été condamnées par l'assemblée générale des Nations Unies dans sa résolution 31/4 du 18 octobre 1976, selon laquelle « les référendums imposés aux habitants de l'île comorienne de Mayotte constituent une violation de la souveraineté de l'État comorien et de son intégrité territoriale » ; elle considère l'un et l'autre référendum comme « nuls et non avenus », rejette toute forme de consultation ultérieure et « condamne énergiquement la présence de la France à Mayotte ». Au total, plus de vingt résolutions condamneront la France pour sa politique à Mayotte et l'occupation illégale de son territoire. L'appartenance de Mayotte à la souveraineté française n'est reconnue ni par les Nations Unies ni par l'Union africaine.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Elle l'est par les Mahorais.

Mme Éliane Assassi.  - Vous ne pourrez éternellement réécrire l'Histoire pour des raisons géostratégiques aux relents colonialistes.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - C'est vous qui la réécrivez !

Mme Éliane Assassi.  - Votre rapport d'information, monsieur Hyest, ne fait aucune mention des condamnations de l'ONU, pas plus d'ailleurs que le compte rendu du conseil des ministres du 14 janvier 2009 sur l'organisation du référendum. Ce référendum est une violation flagrante du droit international. La départementalisation entérine le morcellement de l'archipel des Comores, au détriment de la population comorienne et de la stabilité institutionnelle et politique de l'archipel. Les Mahorais sont demeurés profondément comoriens par la culture, la langue et la religion. Ce sont les mêmes familles qui peuplent les quatre îles de l'archipel. Pourtant, les Comoriens sont considérés comme des clandestins lorsqu'ils se rendent à Mayotte. Le « visa Balladur » a crispé les relations entre les îles de l'archipel, en créant une frontière artificielle qui sépare Mayotte de ses soeurs. Des milliers de Comoriens tentent d'accéder à Mayotte.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Comment cela se fait-il, d'après vous ?

Mme Éliane Assassi.  - Chaque année, plus de 1 000 Comoriens perdent la vie dans le naufrage de leurs embarcations de fortune. La France engage sa responsabilité dans ces drames, tout autant que dans la gestion désastreuse de l'immigration à Mayotte. Les chiffres sont éloquents : 13 990 étrangers en situation irrégulière ont été reconduits à la frontière en 2007, dont 13 829 sont comoriens. Autrement dit, ces femmes et ces hommes, comoriens, qui tentent de se rendre sur un territoire qui doit être considéré comme comorien au regard du droit international, sont considérés comme des clandestins chez eux ! Ils se retrouvent pourtant parqués dans un centre de rétention administrative que la Commission nationale de déontologie de la sécurité a jugé en 2003 « indigne de la République ». Ils sont aujourd'hui 200 pour 60 places, entassés sur quelques matelas qui jonchent un sol où les restes des repas côtoient les poubelles, tandis que rien n'est prévu pour les enfants. Un véritable inventaire de la honte. Le pire est que le rapport d'information souligne qu'« une forte proportion des personnes reconduites aux Comores reviennent à Mayotte à court ou moyen terme » : comment voulez-vous qu'il en soit autrement puisque les Comoriens ont des liens indéfectibles avec Mayotte ! La départementalisation, qui va accroître les écarts entre les populations des trois îles des Comores et Mayotte, ne règlera en rien le problème. L'avenir qui se profile n'est en rien porteur d'espoir pour la population mahoraise. Il lui faudra accomplir, nous dit le rapport, « un effort d'acculturation » : le but est donc bien de couper tout lien culturel avec les îles soeurs d'Anjouan, de Grande Comore et de Mohéli, contrairement aux résolutions de l'ONU. C'est de surcroît une départementalisation au rabais que vous prévoyez. La mise en oeuvre du RMI et du Smic ne se fera que progressivement et sur une base inférieure à celle applicable en métropole. Et cela sous prétexte, je cite le rapport d'information, que la départementalisation ne doit pas « ajouter des bouleversements et des frustrations provoquées par une élévation artificielle des niveaux de vie ».

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Votre discours est incohérent : puisque pour vous ils sont comoriens, on ne devrait rien leur donner...

Mme Éliane Assassi.  - C'est le retour du vieux réflexe colonialiste de l'envahisseur blanc qui sait ce qui est bon pour les populations indigènes. Nous ne pouvons, nous ne voulons soutenir cette politique et souscrire à une départementalisation contraire au droit international. (Mme la ministre, M. le président de la commission et M. le co-rapporteur échangent des commentaires sarcastiques)

La France doit assumer son passé colonial, au lieu de l'occulter. Elle s'honorerait en contribuant avec l'Union européenne à développer les quatre îles des Comores pour construire les conditions sociales et politiques de leur unité.

Je viens d'exprimer l'opinion des sénateurs communistes républicains et citoyens, mais pas celle des sénateurs du parti de gauche, bien qu'ils soient membres du même groupe.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Surtout, ce discours démontre votre bonne connaissance de Mayotte. Comme toujours, vous refaites l'Histoire !

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Nous nous attendions à un discours dissonant, mais ce fut un discours d'outre-tombe : je croyais entendre Georges Marchais parler des quatre départements d'outre-mer il y a 30 ans.

Sénateurs de la République française, nous ne sommes pas là pour instruire un procès contre la France !

Mme Éliane Assassi.  - Je le fais lorsqu'il le faut !

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Prenez l'avion et venez sur place ! La France peut être fière d'avoir sorti les quatre départements d'outre-mer de la misère et de l'exploitation. Aujourd'hui, malgré les manifestations et les problèmes à résoudre, malgré les difficultés dues à l'isolement et à l'éloignement, nous sommes fiers de ce que la France a fait pour la santé, l'éducation, l'équipement, le logement et le développement. Entourés d'un océan de misère, nous, nous avançons vers le progrès, la liberté et la dignité. Il est normal que nos collègues mahorais aspirent à ces rayons de prospérité.

En disant « oui » à Mayotte, la France ne démantèle pas la République des Comores : elle respecte le droit des peuples à s'émanciper comme ils l'entendent. Nous l'avons fait aux côtés de l'illustre Michel Debré et de bien d'autres au cours des années 1960. Je suis heureux que tous les Présidents de la République aient conforté la départementalisation outre-mer.

Quand le général de Gaulle a entrepris de libérer les colonies, deux voies s'offraient à nous : l'autonomie débouchant sur l'indépendance ou l'intégration progressive à la mère patrie. Nous avons choisi la deuxième voie. Connaissez-vous aujourd'hui beaucoup de Français d'outre-mer qui souhaitent l'indépendance ? Beaucoup de Réunionnais partis à Madagascar ? Beaucoup de Mahorais vivant dans les Comores ? Beaucoup d'Antillais partis pour Saint-Domingue ? Non, car il fait bon vivre en France !

Mme Éliane Assassi.  - Parlez-en aux Guadeloupéens !

M. Jean-Paul Virapoullé.  - J'en parlerai et peut-être même des Réunionnais. Vous, parlez des choses que vous savez !

La départementalisation n'est pas un miracle : c'est un très long chemin. Je suis fier d'y avoir participé depuis bientôt 40 ans. Je suis fier d'avoir combattu l'indépendance des quatre départements d'outre-mer, d'avoir conduit des jeunes à devenir médecins, commerçants ou ouvriers percevant un revenu digne, alors que leurs parents allaient sans chaussures percevoir des salaires de misère dans les champs de canne à sucre !

Il est normal qu'un nouveau combat soit mené aujourd'hui pour l'égalité économique du pouvoir d'achat. Pour l'égalité sociale, nous étions des milliers dans la rue. Contre le statut d'autonomie, nous étions des milliers dans la rue en 1980 et 1981. Contre l'aberrante bi-départementalisation à La Réunion, nous étions des milliers dans la rue !

Les taxes coloniales que perçoivent les compagnies pétrolières et les marges coloniales perçues par les oligopoles de la grande distribution n'ont plus de justification.

Mme Nathalie Goulet.  - Très bien !

M. Jean-Paul Virapoullé.  - Il faut décoloniser économiquement les départements d'outre-mer. C'est le sens des manifestations qui ont lieu en Guadeloupe, en Martinique et en Guyane, c'est le sens de ce qui se prépare à La Réunion.

Le Conseil de la concurrence estime que le prix des produits pétroliers à La Réunion est fixé à partir d'un index « Caltex-Bahrein » qui n'existe pas, car tout résulte d'une simple addition d'abus de position dominante. La France a fait condamner les pétroliers à une amende de 41 millions d'euros. Il y a donc matière à protester et à défiler. Il faut saisir la justice. Le Gouvernement a eu raison de diligenter une mission d'inspection sur les prix des produits pétroliers. Le moment venu, nous devrons en tirer les conclusions.

La mondialisation rendant les transports maritimes de moins en moins chers, les prix élevés des rayons de supermarché résultent d'ententes illicites. La population revendique dans la rue l'égalité du pouvoir d'achat, non un changement de statut. Les Guadeloupéens et les Martiniquais manifestent pour exprimer une juste revendication de pouvoir d'achat dans le cadre départemental, non en raison d'un mal-vivre lié à l'exploitation par la France.

Mais parlons de Mayotte.

Je dis à nos compatriotes, nos voisins, nos frères de Mayotte que leur marche vers la départementalisation est d'abord due aux Mahorais. Ils ne sont pas supérieurs aux Comoriens, qui ont choisi l'indépendance, mais ils ne leur sont pas non plus inférieurs. Mme Goulet sait de quoi je parle : son mari a travaillé avec mon frère et avec le Président Poher pour contribuer à réaliser cette oeuvre aux côtés notamment de Yanoussa Bamana, Marcel Henry et Henry Jean-Baptiste, combattants mahorais de la liberté et de l'égalité.

La départementalisation n'est pas un miracle. Michel Debré m'avait dit qu'il ne fallait pas la confondre avec l'assimilation, laquelle conduit à l'éclatement de l'identité culturelle, donc à la révolte. Au contraire, la départementalisation respecte l'identité culturelle. Elle est adaptée et progressive : sur le plan économique, elle n'est toujours pas achevée.

Il faut prendre des précautions. Le plus difficile est de concilier le rythme de l'égalité économique avec le progrès social. Ce sera particulièrement difficile à Mayotte, dont le territoire exigu est surpeuplé. Le développement permet l'égalité sociale. En essayant d'inverser cet ordre, on asphyxie l'économie et on provoque la révolte d'une jeunesse sans emploi. Les Mahorais doivent prendre en main le développement de leur île, comme nous l'avons plutôt réussi à La Réunion. Nous sommes disposés à contribuer par la formation au développement de vos filières économiques. Ne mettez pas la charrue avant les boeufs en voulant l'égalité sociale avant le développement économique !

Il faudrait également analyser les erreurs commises dans les quatre départements d'outre-mer. En ne les reproduisant pas, la France gagnera du temps, de l'argent et elle progressera en efficacité. Il faudrait institutionnaliser un conseil de coordination pour Mayotte, afin d'harmoniser l'action des ministères, qui n'avancent pas spontanément au même rythme.

Il y a beaucoup à faire. Mayotte possède un des plus beaux lagons du monde pour y élever des poissons. Le tourisme sera limité par la superficie, mais il y a du potentiel, surtout avec les touristes qui viennent en voilier.

Vous consommez 8 000 tonnes de volailles, mais n'en produisez que 60 tonnes, soit 1,3 %... Vous pouvez en élever davantage, c'est facile !

Vous consommez 4 000 tonnes de boeuf, vous en produisez 225 ; vous consommez 15 millions de litres de lait, vous en produisez environ 3,5 ; vous importez pratiquement tous vos légumes ; en revanche, vous produisez 98 % des oeufs que vous consommez...

Bref, il faut créer des filières comme nous l'avons fait à La Réunion en instituant des taxes sur l'importation pour encourager la production locale, ce qui fait que nous sommes presque autonomes. Dans le cadre du conseil de coordination, l'on pourrait d'ailleurs créer un groupe Mayotte-Réunion et établir des relations fructueuses de partenariat entre les deux îles.

La réussite de l'intégration de Mayotte est le gage de la présence de la France dans l'Océan Indien. Que Mayotte soit une position géostratégique, que La Réunion soit un territoire stratégique en termes de biodiversité, d'espace maritime et d'énergies renouvelables, tant mieux ! Nous avons tout intérêt à comprendre que l'outre-mer est un atout pour la France, comme la France est une chance pour l'outre-mer ! Je me réjouis que les Mahorais aillent bientôt aux urnes, nous tirerons les conséquences de leur vote. Seulement 3 % des Français s'opposent à l'évolution institutionnelle de Mayotte, la France est donc prête à élargir la famille française à Mayotte ! Vive le 101e département français ! (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Après ces interventions intéressantes, positives et riches de suggestions pour donner toutes ses chances à Mayotte, je me contenterai de répondre aux questions soulevées.

S'agissant de l'organisation de la consultation référendaire, je souhaite, comme MM. Hyest, Détraigne et Mme André, que les Mahorais aient totalement conscience des changements qu'entraînera la départementalisation dans leur vie. Aussi les documents ont-ils été envoyés dans chacun des foyers et ce, dans les trois langues utilisées à Mayotte. J'ai également demandé au préfet d'organiser des réunions publiques, qui sont très suivies d'ailleurs, pour présenter les enjeux de la départementalisation de manière impartiale, j'y insiste.

La départementalisation entraînera, tous les orateurs l'ont souligné, des changements majeurs à Mayotte, dont le préalable est la mise en place d'un état civil complet et fiable. Pour combler les retards de la commission de révision de l'état civil, soulignés par MM. Hyest, Détraigne et les deux sénateurs de l'île, il est procédé à une réorganisation : un nouveau président sera nommé dans deux mois, un secrétaire général est en cours de nomination et une opération interservices est lancée de façon que chaque Mahorais puisse saisir la commission en 2009. De plus, fin 2008, j'ai donné instruction au préfet de ne pas exiger systématiquement le document délivré par la Crec lors du renouvellement des titres.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - En effet, c'est inutile puisque le titre a déjà été présenté !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Concernant la justice cadiale, je pense, comme MM. Hyest et Détraigne, qu'elle doit être supprimée ; toutes les affaires, y compris celles relevant du droit local, seront jugées par le magistrat de droit commun. Les cadis seront appelés, je l'ai rappelé dans mon intervention, à remplir d'autres fonctions.

La réforme du statut personnel est indispensable pour parachever l'égalité juridique entre les hommes et les femmes. Madame André, je vous remercie d'avoir cité les noms de ces femmes que j'ai rencontrées au cours de mes séjours à Mayotte ces trente dernières années. Ces femmes ont fait l'histoire de l'île : elles ont défendu non seulement le rattachement de Mayotte à la France mais aussi la fierté de leur capitale, et certains des plus fameux épisodes des chatouilles ont eu lieu lors du transfert de la capitale de Dzaoudzi à Moroni...

Je ne reviens pas sur la polygamie pour m'attarder davantage sur le sort des enfants mineurs. J'ai toujours été frappé par la place accordée aux enfants à Mayotte et l'attachement qu'on leur témoigne. Hélas !, la situation a quelque peu changé et les services publics ainsi que les associations en lien étroit avec la justice doivent intervenir auprès des enfants délaissés, voire abandonnés parce qu'ils sont arrivés étrangers sur l'île.

Sur la question de la fonction publique, évoquée par M. Détraigne, la loi a posé un droit à l'intégration jusqu'au 31 décembre 2010 et le principe d'un corps passerelle, créé à titre transitoire, pour les fonctionnaires qui n'ont pas le niveau requis. Pour l'heure, le système n'a pas été une réussite. Le Gouvernement a donc proposé, en décembre 2008, des mesures pour le rendre plus attractif, le préfet mène actuellement des négociations, nous devons aller plus loin.

J'en viens au grand enjeu de cette départementalisation que M. Virapoullé, avec talent et passion comme toujours, ainsi que M. Giraud et M. Ibrahim Ramadani ont abordé : le développement économique. Nous avons effectivement tout intérêt à tirer les conséquences des erreurs passées.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Vive les études d'impact ! (Sourires)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Reste qu'en matière de coordination, des progrès sensibles ont déjà été accomplis grâce au rôle accru que la révision générale des politiques publiques a conféré au préfet. Monsieur Giraud, le contrat de projet 2008-2014 comportera des projets d'infrastructures pour le développement du tourisme ou, plus simplement, des échanges. Je pense notamment à la construction d'une piste longue pour l'aéroport de Dzaoudzi Pamandzi et d'un nouveau quai au port de Longoni.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Ce sont des équipements indispensables !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Le Fonds de développement économique permettra de financer d'autres chantiers et je note que le plan de relance contient des projets dans le domaine scolaire à Mayotte.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Exact !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Enfin, viennent les relations avec les Comores. La départementalisation ne se fait pas contre les Comores. Madame Assassi, le droit à l'auto-détermination est une liberté fondamentale, celle des peuples à disposer eux-mêmes de leur destin. Votre discours, fort proche de celui lu par votre collègue à l'Assemblée nationale, était inspiré par une même nostalgie stalinienne pour la manière dont l'Union soviétique a imposé son unité aux différents peuples !

Mme Éliane Assassi.  - Il y a une opposition à la départementalisation, il n'y pas d'homogénéité !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Au nom de la liberté, le choix des Mahorais doit être entendu ! (Applaudissements à droite et au centre) Vous avez asséné des contre-vérités. Pour avoir occupé des fonctions dans le cabinet du ministre de l'outre-mer en 1974, j'ai participé aux négociations sur l'indépendance des Comores, mais aussi à la rédaction de la Constitution de la République islamique des Comores. Je sais les conditions dans lesquelles on a donné aux Mahorais la possibilité de choisir leur devenir : il n'y pas eu de violences.

Mme Éliane Assassi.  - Faux !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Je n'admettrai jamais que l'on répète ainsi des contre-vérités (applaudissements à droite et au centre) afin de les faire passer pour la réalité !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Très bien !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre.  - Heureusement que le ridicule ne tue pas ! (Mme Éliane Assassi proteste)

Parallèlement à la départementalisation, il convient de développer la coopération avec les Comores. Le Président de la République et le Président de l'Union des Comores ont d'ailleurs institué un groupe de travail au plus haut niveau pour mieux contrôler les flux migratoires et lancer des projets communs tels que la construction d'un hôpital à Anjouan. Nous renforcerons cette coopération à condition que ce pays renoue avec la stabilité politique et la démocratie.

Il ne faut pas cependant s'arrêter aux Comores. Comme l'a dit M. Virapoullé, cette coopération doit s'étendre à l'Océan indien. Les intérêts, les besoins sont communs. La départementalisation est l'occasion de faire évoluer les pays de la zone et d'y conforter l'image de la France. Comme par le passé, notre pays demeurera ainsi fidèle à ses engagements, à ses principes et à ses valeurs. (Applaudissements au centre et à droite)

Acte est donné de la déclaration du Gouvernement qui sera imprimée et distribuée.

M. le président.  - J'ai été particulièrement heureux de présider cette séance et j'ai beaucoup apprécié l'ensemble des interventions.

Prochaine séance, mardi 17 février 2009 à 10 heures.

La séance est levée à minuit et quart.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mardi 17 février 2009

Séance publique

A 10 HEURES

1. Questions orales.

A 16 HEURES ET LE SOIR

2. Projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n°183, 2008-2009).

Rapport de M. Jean-Jacques Hyest, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale (n°196, 2008-2009).

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DÉPÔTS

La Présidence a reçu de :

- M. Hugues Portelli une proposition de résolution, présentée au nom de la commission des affaires européennes en application de l'article 73 bis du Règlement, sur la proposition de directive facilitant l'application transfrontière de la législation dans le domaine de la sécurité routière (n°E-3823) ;

- MM. Yvon Collin, Michel Charasse, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Nicolas Alfonsi, Jean-Michel Baylet, Jean-Pierre Chevènement, François Fortassin, Daniel Marsin, Jacques Mézard, Jean Milhau, Aymeri de Montesquiou, Jean-Pierre Plancade, Robert Tropeano et Raymond Vall une proposition de loi visant à exclure du dispositif de service d'accueil les communes de moins de 2 000 habitants.