SÉANCE

du mercredi 22 juillet 2009

9e séance de la session extraordinaire 2008-2009

présidence de M. Jean-Claude Gaudin,vice-président

Secrétaires : M. Jean-Noël Guérini, M. Bernard Saugey.

La séance est ouverte à 9 h 50.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Repos dominical (Procédure accélérée - Suite)

Discussion des articles (Suite)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la suite de la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, réaffirmant le principe du repos dominical et visant à adapter les dérogations à ce principe dans les communes et zones touristiques et thermales ainsi que dans certaines grandes agglomérations pour les salariés volontaires.

Dans la discussion des articles, nous abordons l'article 2.

Article 2 (Texte non modifié par la commission)

I. - L'article L. 3132-3 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 3132-3. - Dans l'intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche. »

I bis. - Après l'article L. 3132-3 du même code, il est inséré un article L. 3132-3-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 3132-3-1. - Le refus d'un demandeur d'emploi d'accepter une offre d'emploi impliquant de travailler le dimanche ne constitue pas un motif de radiation de la liste des demandeurs d'emploi. »

I ter. - Au dernier alinéa de l'article L. 3132-23 du même code, les mots : « peuvent être toutes retirées lorsque » sont remplacés par les mots : « sont toutes retirées lorsque, dans la localité, ».

I quater. - Dans les branches couvrant des commerces ou services de détail et dans les commerces ou services de détail, où des dérogations administratives au repos dominical sont applicables, les organisations professionnelles ou l'employeur, d'une part, et les organisations syndicales représentatives, d'autre part, engagent des négociations en vue de la signature d'un accord relatif aux contreparties accordées aux salariés privés de repos dominical lorsque la branche ou l'entreprise n'est pas déjà couverte par un accord.

II. - L'article L. 3132-25 du code du travail est remplacé par sept articles L. 3132-25, L. 3132-25-1, L. 3132-25-2, L. 3132-25-3, L. 3132-25-4, L. 3132-25-5 et L. 3132-25-6 ainsi rédigés :

« Art. L. 3132-25. - Sans préjudice des dispositions de l'article L. 3132-20, les établissements de vente au détail situés dans les communes d'intérêt touristique ou thermales et dans les zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente peuvent, de droit, donner le repos hebdomadaire par roulement pour tout ou partie du personnel.

« La liste des communes d'intérêt touristique ou thermales intéressées et le périmètre des zones touristiques d'affluence exceptionnelle ou d'animation culturelle permanente sont établis par le préfet sur proposition de l'autorité administrative visée à l'article L. 3132-26, après avis du comité départemental du tourisme, des syndicats d'employeurs et de salariés intéressés, ainsi que des communautés de communes, des communautés d'agglomération et des communautés urbaines, lorsqu'elles existent.

« Un décret en Conseil d'État détermine les modalités d'application du présent article.

« Art. L. 3132-25-1. - Sans préjudice des dispositions de l'article L. 3132-20, dans les unités urbaines de plus de 1 000 000 d'habitants, le repos hebdomadaire peut être donné, après autorisation administrative, par roulement, pour tout ou partie du personnel, dans les établissements de vente au détail qui mettent à disposition des biens et des services dans un périmètre d'usage de consommation exceptionnel caractérisé par des habitudes de consommation dominicale, l'importance de la clientèle concernée et l'éloignement de celle-ci de ce périmètre.

« Art. L. 3132-25-2. - La liste et le périmètre des unités urbaines mentionnées à l'article L. 3132-25-1 sont établis par le préfet de région sur la base des résultats du recensement de la population.

« Sur demande du conseil municipal, au vu de circonstances particulières locales et :

« - d'usages de consommation dominicale au sens de l'article L. 3132-25-1

« - ou de la proximité immédiate d'une zone frontalière où il existe un usage de consommation dominicale, compte tenu de la concurrence produite par cet usage,

« le préfet délimite le périmètre d'usage de consommation exceptionnel au sein des unités urbaines, après consultation de l'organe délibérant de la communauté de communes, de la communauté d'agglomération ou de la communauté urbaine, lorsqu'elles existent, sur le territoire desquelles est situé ce périmètre.

« Le préfet statue après avoir recueilli l'avis du conseil municipal de la ou des communes n'ayant pas formulé la demande visée au présent article et n'appartenant pas à une communauté de communes, une communauté d'agglomération ou une communauté urbaine dont la consultation est prévue à l'alinéa précédent, lorsque le périmètre sollicité appartient en tout ou partie à un ensemble commercial, au sens de l'article L. 752-3 du code de commerce, situé sur leur territoire.

« Art. L. 3132-25-3. - Les autorisations prévues aux articles L. 3132-20 et L. 3132-25-1 sont accordées au vu d'un accord collectif ou, à défaut, d'une décision unilatérale de l'employeur prise après référendum.

« L'accord collectif fixe les contreparties accordées aux salariés privés du repos dominical ainsi que les engagements pris en termes d'emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées.

« En l'absence d'accord collectif applicable, les autorisations sont accordées au vu d'une décision unilatérale de l'employeur, prise après avis du comité d'entreprise ou des délégués du personnel, lorsqu'ils existent, approuvée par référendum organisé auprès des personnels concernés par cette dérogation au repos dominical. La décision de l'employeur approuvée par référendum fixe les contreparties accordées aux salariés privés du repos dominical ainsi que les engagements pris en termes d'emploi ou en faveur de certains publics en difficulté ou de personnes handicapées. Dans ce cas, chaque salarié privé du repos du dimanche bénéficie d'un repos compensateur et perçoit pour ce jour de travail une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente.

« Lorsqu'un accord collectif est régulièrement négocié postérieurement à la décision unilatérale prise sur le fondement de l'alinéa précédent, cet accord s'applique dès sa signature en lieu et place des contreparties prévues par cette décision.

« Art. L. 3132-25-4. - Les autorisations prévues aux articles L. 3132-20 et L. 3132-25-1 sont accordées pour une durée limitée, après avis du conseil municipal, de la chambre de commerce et d'industrie, de la chambre des métiers et des syndicats d'employeurs et de salariés intéressés de la commune.

« Seuls les salariés volontaires ayant donné leur accord par écrit à leur employeur peuvent travailler le dimanche sur le fondement d'une telle autorisation. Une entreprise bénéficiaire d'une telle autorisation ne peut prendre en considération le refus d'une personne de travailler le dimanche pour refuser de l'embaucher. Le salarié d'une entreprise bénéficiaire d'une telle autorisation qui refuse de travailler le dimanche ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire dans le cadre de l'exécution de son contrat de travail. Le refus de travailler le dimanche pour un salarié d'une entreprise bénéficiaire d'une telle autorisation ne constitue pas une faute ou un motif de licenciement.

« L'accord collectif prévu au premier alinéa de l'article L. 3132-25-3 fixe les conditions dans lesquelles l'employeur prend en compte l'évolution de la situation personnelle des salariés privés de repos dominical.

« A défaut d'accord collectif applicable, l'employeur demande chaque année à tout salarié qui travaille le dimanche s'il souhaite bénéficier d'une priorité pour occuper ou reprendre un emploi ressortissant à sa catégorie professionnelle ou un emploi équivalent ne comportant pas de travail le dimanche dans le même établissement ou, à défaut, dans la même entreprise. L'employeur l'informe également, à cette occasion, de sa faculté de ne plus travailler le dimanche s'il ne le souhaite plus. En pareil cas, le refus du salarié prend effet trois mois après sa notification écrite à l'employeur.

« En outre, le salarié qui travaille le dimanche peut à tout moment demander à bénéficier de la priorité définie à l'alinéa précédent.

« En l'absence d'accord collectif, le salarié privé de repos dominical conserve la faculté de refuser de travailler trois dimanches de son choix par année civile. Il doit en informer préalablement son employeur en respectant un délai d'un mois.

« Art. L. 3132-25-5. - Les articles L. 3132-25 et L. 3132-25-1 ne sont pas applicables aux commerces de détail alimentaire qui bénéficient des dispositions de l'article L. 3132-13.

« Art. L. 3132-25-6. - Les autorisations prévues à l'article L. 3132-25-1 sont accordées pour cinq ans. Elles sont accordées soit à titre individuel, soit à titre collectif, dans des conditions prévues par décret en Conseil d'État, pour des commerces ou services exerçant la même activité. »

III. - Au premier alinéa de l'article L. 3132-13 du même code, le mot : « midi » est remplacé par les mots : « treize heures ».

IV. - L'article L. 3132-21 du même code est abrogé.

M. Roger Madec.  - Cette proposition de loi est le quatrième texte déréglementant le code du travail. On notera l'acharnement du Gouvernement à légiférer sur cette question. Le choix du passage en session extraordinaire fin juillet n'est pas anecdotique, non plus que celui de la procédure accélérée ou la consigne du vote conforme. Le Président de la République qui veut la rupture propose en réalité un retour en arrière... Nous défendons un projet sociétal plus juste et moins inégalitaire. Cette nouvelle loi va en sens inverse.

La loi de 1906 a établi une journée de repos hebdomadaire pour tous les salariés dans le but de protéger leur santé, ce que nous retrouvons en substance à l'article premier. Mais derrière cette façade se cache un texte qui est une véritable chimère pour le salarié. Avec les nombreuses dérogations prévues, nous allons vers l'injustice et les inégalités. Vous nous proposez une France à plusieurs niveaux, une France où l'on travaille le dimanche et une France où l'on consomme le dimanche. Une France où les liens familiaux sont cassés par la loi du marché. Nous ne voulons pas d'une société où l'on peut consommer 365 jours sur 365.

Qui sera concerné ? Les bas salaires, les temps partiels, les horaires contraints, généralement imposés aux femmes, bref tous les emplois atypiques. On se lamente sur la flambée de violence qui frappe les cités où les jeunes sont livrés à eux-mêmes. Croyez-vous qu'ils seront mieux encadrés quand leurs mamans travailleront le dimanche ?

« Travailler plus pour gagner plus », pour le pouvoir d'achat ? Alors acceptez les amendements qui obligent l'employeur à doubler le salaire horaire du dimanche ! L'opinion publique et parfois les salariés eux mêmes croient que le travail dominical donne droit à une majoration salariale et à un repos compensateur. C'est vrai mais seulement dans le cas des cinq dérogations du maire et lorsqu'un accord collectif le prévoit. Je vous le rappelle pour mémoire : la majoration salariale et le repos compensateur ne sont pas de droit !

Dans son discours de Rethel en octobre 2008, le Président de la République disait aux maires que les familles ont le droit de faire leurs courses les jours où elles ne travaillent pas. Je le dis aux maires présents : pensez aux enfants des familles monoparentales qui ont le droit de faire autre chose que d'attendre le retour du travail de leur père ou de leur mère le dimanche.

Léon Salto, rapporteur de l'avis du Conseil économique et social « Consommation, commerce et mutations de la société » indiquait en 2007 que le dimanche doit rester un point fixe structurant, permettant de se retrouver et de consolider une cellule familiale de plus en plus éclatée. C'est aussi un temps privilégié pour les activités culturelles, sportives, ludiques, touristiques, associatives, pour la rencontre avec les amis, la disponibilité sociale au service d'autrui. Le repos dominical, c'est donc le support de la cohésion de la société.

Votre texte préconiserait le volontariat ? Mais il n'y a pas de volontariat dans le code du travail ! Du fait du lien de subordination entre l'employeur et l'employé, de la précarité de l'emploi et de la faiblesse des salaires, très peu de salariés pourront refuser de travailler le dimanche. En réalité, 71 % des salariés du privé pensent qu'ils n'auront pas cette possibilité. Alors, dans les zones concernées par les dérogations administratives, l'accord entre l'employeur et les délégués du personnel sera dans un seul sens. C'est de cette France que nous ne voulons pas, cette France partagée entre ceux qui gagneront plus et ceux qui travailleront plus.

Entre les zones touristiques, les zones à visée touristique et les périmètres d'usage de consommation exceptionnelle, les dérogations finiront par recouvrir la totalité du territoire et seront de facto applicables à l'ensemble des salariés.

Vous parlez de 500 communes ; pour nous, elles sont 6 000 car la loi est floue. Vous affirmez que guère plus de 200 000 salariés seront concernés -sur 24,7 millions d'actifs : faut-il faire une loi pour si peu ? M. Renaud Dutreil, alors ministre du commerce et de l'artisanat, avait estimé à 200 000 les destructions d'emplois dans le petit commerce si le travail dominical était généralisé. Les commerces de proximité, éléments structurants des villes comme des zones rurales, disparaissent. Voyez les magasins d'ameublement suédois : qui peut s'aligner ? Cette proposition de loi est une aubaine pour les grands groupes. Et il est illusoire de penser que la consommation augmentera car le pouvoir d'achat n'est pas extensible.

Monsieur le ministre, vous êtes enseignant de formation et savez que la meilleure des pédagogies est la répétition. Je voudrais vous convaincre...

M. Roland Courteau.  - Ce sera dur !

M. Roger Madec.  - Si vous n'acceptez pas un grand nombre de nos amendements, nous ne pourrons voter ce texte. Mais j'ose espérer, si votre bonne foi n'est pas en doute, que vous accepterez l'amendement de M. Caffet pour revenir sur le statut dérogatoire que vous vouliez donner à la capitale. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - M. Mallié et Mme Debré ont le souci de protéger les travailleurs mais l'article L. 31-32-3 du code du travail n'a rien de rassurant. Je m'interroge sur le champ des dérogations. Comment admettre que Paris ne soit pas placé sous le régime de droit commun, que le préfet décide à la place du maire...

M. Jean-Pierre Caffet.  - Très bien !

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - ...alors que l'on nous a demandé, dans la loi sur l'hôpital, de faire rentrer l'AP-HP dans le droit commun ? (M. Jean Desessard applaudit) Le texte crée des inégalités territoriales, il déséquilibre l'ancrage territorial de certaines entreprises, il accentuera ici la désertification, là le caractère dortoir d'une cité, supprimant cette place de rencontre, cette agora qui, pour Rousseau, dans son Discours sur l'origine des langues...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien ! Vive Jean-Jacques Rousseau !

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - ...fut la fontaine qui rassembla les communautés et sortit les hommes de leur isolement. D'autres l'appellent la paroisse. Dans les villes, l'éclatement du lien familial et social sera encore plus certain, car l'on n'aura pas créé une cité de l'hospitalité. Je m'interroge aussi sur les modes de garde des enfants ; les collectivités locales seront sollicitées, comme les assistantes maternelles. Dispose-t-on d'éléments chiffrés, d'une étude d'impact ? Et si rien n'est prévu pour l'accueil des petits, pourra-t-on déplorer qu'ils soient livrés à eux-mêmes des journées entières pendant que leurs parents travaillent ? Faisons-nous acte de civilisation à leur égard ? Ces risques, c'est le rôle du politique de les soulever, de les nommer ; et cela n'a rien à voir avec une peur panique du changement. Vous faites des dérogations le principe : le travail dominical n'a plus à se justifier, c'est le repos dominical qui doit prouver sa justification.

Mme Raymonde Le Texier.  - Très bien !

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - Le dimanche, c'est le jour du rendez-vous avec l'Autre, pour les Chrétiens -le Christ appelle à un rendez-vous qui est le sommet de leur semaine. Et pour tous, c'est le jour du rendez-vous avec l'autre, les autres, les siens. Au XIXe siècle, ce n'est pas seulement le chrétien Ozanam qui défendit le repos dominical mais le socialiste athée Proudhon. Le dimanche, le temps n'est plus celui de l'horizontalité mais de la profondeur.

M. About note que la proposition n'est « ni panacée, ni poison » ; mais la modification porte sur le symbolique. Je le dis au président de mon groupe, je suis perplexe (marques de satisfaction à gauche) car je n'aime pas déroger à la discipline de groupe : je ne l'ai fait que sur la fin de vie et sur la transposition d'une directive médicament qui faisait de l'embryon un médicament. Merci tout de même à M. Mallié, il m'a fait redécouvrir le sens du dimanche. (Exclamations à gauche) C'est la vocation originelle du dimanche que de mettre l'homme en relation avec autrui. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP et UC ; applaudissements à gauche)

Mme Annie David.  - Dans les zones et communes touristiques et thermales, le travail obligatoire le dimanche n'aura pas de contrepartie : ni majoration salariale ni repos compensateur. Ce seront des zones de « de non-droit » pour les salariés. Au prétexte de satisfaire les aspirations commerciales de quelques fortunés, il faudrait sacrifier la vie familiale et la santé des autres.

Les maux spécifiques aux emplois de commerce, troubles musculo-squelettiques en particulier, sont douloureux mais aussi onéreux : les TMS ont engendré en 2007 la perte de 7,4 millions de journées de travail et 736 millions d'euros de frais couverts par les cotisations patronales. Hélas, vous avez évité une étude d'impact en passant par une proposition plutôt qu'un projet. La mention, dans cet article 2, que : « Dans l'intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche » prend un goût amer car les intérêts économiques et le marché priment. Pour Mme Debré, le repos dominical est un « principe ancien » ; pour Mme Procaccia, il est « ringard », voire « archaïque ». Nous le croyons d'une grande modernité face à un principe encore plus ancien, la domination de l'économie sur l'humain. Ce qui est daté, c'est le retour à la loi de 1802, donnant aux employeurs le choix du jour de repos.

Votre refus de compensation dans les zones touristiques et thermales est une preuve de votre volonté de banaliser le travail dominical. Vous voudriez faire de cette journée de travail exceptionnel une journée comme une autre, dans les zones touristiques pour commencer, partout ensuite. Les salariés qui, par leur travail, contribuent à l'accumulation de la richesse doivent en bénéficier. Vous renvoyez aux conventions collectives. Vous rêvez, au nom d'une plus grande liberté pour les salariés, de supprimer le code du travail et l'ensemble des protections collectives, au profit d'une négociation de gré à gré, votre fameux « gagnant-gagnant ». Vous méconnaissez le lien de subordination des salariés à leurs employeurs. Ces derniers seront les vainqueurs et vous le savez bien.

Les conséquences judiciaires de ce texte seront de deux ordres. La définition des zones touristiques que vous avez retenue ne figure pas seulement dans le code du travail mais aussi dans le code du tourisme, ce sera une source d'ambiguïté et de contentieux. Nous présenterons un amendement pour clarifier les choses. La distorsion des droits des salariés suscitera également un contentieux : comment accepter que dans une enseigne nationale, les contreparties diffèrent selon le site. Il y aura bien discrimination. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Pasquet.  - Cet article, qui organise la généralisation du travail le dimanche, constituait à l'origine l'article unique de la proposition de loi. Sous couvert de faire cesser une situation complexe reposant sur 180 dérogations, on revient sur une règle instaurée en 1906 pour protéger les salariés. En fait de simplification, on va multiplier les contentieux. On voulait régulariser la situation des centres commerciaux de certaines villes régulièrement condamnés par les tribunaux administratifs. En ce sens, cette proposition de loi d'amnistie donne une prime à ces délinquants-là tandis que votre gouvernement ne cesse de durcir les peines de prison.

Vous créez les Puce, dans lesquels le travail le dimanche sera généralisé et légalisé, ce qui permet aux centres commerciaux du Val-d'Oise et de Plan de Campagne de réintégrer la légalité. Cette réintégration justifie selon vous une loi d'exception.

Vous osez dire que « les Français doivent travailler plus ». Ils ne demandent que cela, ceux que frappent chômage et temps partiel imposé ! C'est souvent le cas des hommes et des femmes, majoritairement des femmes, qui travaillent le dimanche précisément parce que leurs revenus ne leur suffisent pas à vivre dignement. Vous invoquez cette précarité pour justifier votre texte, comme si les salariés devaient accepter toutes les déréglementations, la perte de tous leurs repères, l'anéantissement de tous leurs droits pour pouvoir gagner quelques euros de plus !

Et encore, tous n'auront pas droit, dans les Puce, à une majoration de salaire. Seuls les salariés embauchés après l'adoption de cette proposition de loi auront droit au repos compensateur et percevront pour ce jour de travail une rémunération au moins égale au double de la rémunération normalement due pour une durée équivalente. A moins qu'un accord collectif ne prévoie des contreparties inférieures à celles prévues légalement ! Cette inversion de la hiérarchie des normes dessert les salariés.

Quant à ceux qui seront contraints de travailler le dimanche dans les zones et villes touristiques, ils n'auront droit à aucune contrepartie au motif qu'ils n'auraient pas été volontaires pour travailler le dimanche. C'est précisément parce que ce travail est une contrainte supplémentaire qu'il faut prévoir une réelle compensation.

Une seule certitude donc : si les actionnaires profiteront pleinement de cette législation, les salariés, eux, seront, une fois encore, les victimes d'une société vouée au tout commerce. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG)

Mme Bariza Khiari.  - Ce texte porte mal son nom : c'est un curieux procédé que d'affirmer un principe -celui du repos dominical- au seuil d'un texte destiné tout entier à le nier !

On nous dit que l'ouverture dominicale des commerces correspond à une adaptation nécessaire et minime vis-à-vis des comportements nouveaux de la société française ; on nous assure que le travail dominical est nécessaire pour l'emploi et contre la crise ; on nous répond qu'il se fera dans le respect des droits des salariés et leur permettra de gagner davantage. Selon le vocable en vigueur, il s'agirait d'un « dispositif gagnant-gagnant ».

Nous sommes en réalité face à un choix de société : on veut promouvoir une société axée sur la consommation, selon un XIe commandement, madame Hermange, qui dirait : « Tu consommeras jour et nuit, 365 jours par an ». A l'heure où la société de consommation est mise à mal, où les citoyens sont de plus en plus inquiets de l'avenir de la planète, on veut poursuivre dans une voie qui a montré ses limites : encourager la consommation quitte à fragiliser le lien social, quitte à faire perdre son sens à la notion même de semaine avec un même jour de repos pour tout le monde. Voilà ce que cette loi nous propose : une société de l'uniformité, du consommer toujours plus, de la fragmentation sociale. Et l'on ose parler de progrès ! Le progrès, ce serait un meilleur respect de notre planète que la consommation à outrance fragilise davantage, un plus grand respect de l'individu, une promotion de la culture et du partage.

Après le discours en trompe l'oeil du Président de la République à Versailles, après les promesses du Grenelle, voici une loi destinée à prolonger ce modèle qu'il nous faudrait remettre en cause. Assiste-t-on à la énième volte-face de la majorité ou bien doit-on considérer que le discours de Versailles, les promesses du Grenelle n'étaient que du vent ?

Il faudrait travailler mieux pour vivre mieux, on en reste à un travailler plus pour consommer plus. Cela ne correspond nullement à l'évolution du mode de vie des Français : je crains que la majorité n'ait fantasmé la France plus qu'elle ne l'a observée. Mensonges, contre-vérités, affabulations, voilà cet article 2 qui, proposé pour de mauvais motifs, prévoit des mesures inacceptables. (Applaudissements à gauche)

M. Roland Courteau.  - Non, cet article 2 n'est pas anodin ! Il ouvre une grande brèche dans le modèle social français. La banalisation du travail dominical nous conduira sur la voie tortueuse de sa généralisation. Ce sera un recul social de plus d'un siècle.

Ce texte est très dur. Il n'y aura pas de contrepartie obligatoire, sans que le volontariat soit mentionné. Vous donnez droit aux commerces de telles et telles villes de faire travailler leurs salariés le dimanche sans aucune garantie obligatoire.

Une grande majorité des Français ne veulent pas voir les activités marchandes remplir la totalité de leur vie. Ils pensent qu'on peut, au moins une fois par semaine, suspendre le culte de la marchandise au profit de la vie affective, culturelle, spirituelle. Ils ne veulent pas voir la loi du PIB l'emporter sur les traditions familiales.

Le marché a demandé la précarisation ; il en est à demander le dimanche ; demain, que demandera-t-il ? Travailler plus, travailler plus longtemps dans la vie, travailler le dimanche -bientôt, sans doute, travailler aussi pendant les arrêts maladie ! Quel modèle social laisserons-nous à nos enfants ?

L'argument de l'emploi ? Le Credoc a bien montré que l'ouverture dominicale des grandes surfaces fera disparaître des emplois dans le commerce de proximité. Et, dans la mesure où des emplois seront créés dans ces centres commerciaux, ce sera par un effet de déplacement d'emplois stables vers des emplois précaires. On a vu en Grande-Bretagne les conséquences de l'ouverture quotidienne des grandes surfaces : le nombre de marchands de chaussures y est passé de 11 000 à 350.

Les travailleurs n'auront pas plus de pouvoir d'achat : quand la bourse est vide le samedi soir, elle n'est pas plus pleine le dimanche.

Le volontariat ? La discrimination se fera à l'embauche ! « Vous ne voulez pas travailler le dimanche ? Je ne vous embauche pas » Ce sont les employeurs qui fixeront les temps de vie. Voici venu le temps du volontariat contraint, du volontariat obligatoire !

Le Président de la République veut refonder le capitalisme, il évoque une politique de civilisation, il défend avec lyrisme, comme à Versailles, le modèle social français, convoque le rêve du CNR lorsque, dit-il, des hommes et des femmes venus d'horizons si différents ont su s'unir autour d'un programme collectif. Une fois de plus, les actes ne suivent pas les discours. Retirez cet article 2, monsieur le ministre, pendant qu'il en est encore temps ! (Applaudissements à gauche)

Mme Patricia Schillinger.  - Cet article 2, au demeurant peu clair, généralise l'ouverture des commerces le dimanche sur une grande partie du territoire ; près de 6 000 communes sont concernées et non 500 comme on veut nous le faire croire, sans aucune contrepartie pour les salariés. Seuls les nouveaux embauchés dans les Puce verront leur salaire doublé et auront droit à un repos compensateur. En réalité, vous continuez à démanteler le droit du travail, vous divisez les Français, vous divisez les salariés. Nos compatriotes ne sont pas dupes : selon un sondage Ipsos, 84 % d'entre eux souhaitent que le dimanche reste le jour de repos commun, 65 % refusent l'argument selon lequel il serait plus facile de faire ses courses ce jour-là. Selon le Credoc, 80 % des Français estiment qu'il n'en résultera pas d'augmentation de leur budget consommation. En un mot : ils sont attachés au repos hebdomadaire.

Alors pourquoi ce texte, et pourquoi maintenant ? Il ne répond à aucune demande, les associations de commerçants le refusent. Il est une menace pour la sphère familiale, amicale, culturelle, spirituelle, associative, autant qu'une erreur économique. Il va fragiliser le petit commerce de proximité. Les Français ne veulent pas du modèle de société qu'il dessine, mais le Gouvernement ne veut pas les entendre. Le secteur de l'ameublement bénéficie déjà de dérogations ; depuis le 1er janvier 2008, l'ouverture le dimanche n'a entraîné aucune augmentation de la consommation, et Conforama vient de licencier 600 personnes après une chute record de son chiffre d'affaires de 50 millions d'euros.

Les familles devront chercher des moyens supplémentaires pour faire garder leurs enfants ; faudra-t-il ouvrir les crèches et les garderies sept jours sur sept ? Les transports en commun seront-ils adaptés ? Les salariés précaires et à temps partiel, en particulier les femmes, devront sacrifier davantage encore de leur liberté au nom du volontariat, un volontariat qui deviendra vite une obligation. Le dimanche sera bientôt un jour comme les autres. Nous ne voulons pas de cette société-là. L'idéal mercantile et individualiste de certains produit, d'ailleurs sans aucun bénéfice économique, un modèle social que nous refusons.

Pourtant, droite et majorité s'obstinent. Pour elles comme pour le Président de la République, le travail est devenu une obsession. Travailler plus, travailler plus longtemps, travailler le dimanche : jamais on n'était tombé si bas ! C'est une honte. Nous refusons cet article 2. Je suis quant à moi heureuse que le droit local d'Alsace-Moselle nous protège encore. On ne peut défendre ce droit et voter pour le texte ! (Applaudissements à gauche)

Mme Annie Jarraud-Vergnolle.  - Je ne me fais aucune illusion, l'article 2 ne sera pas supprimé : j'ai entendu M. About apporter le soutien mollement conditionnel de son groupe au Gouvernement. Ce texte en forme de canular prétend réaffirmer le principe du repos dominical mais ses défenseurs ne parlent que d'activité économique, de travail, de salariés, de branches, de créations d'emplois. Un nouveau gag, sans doute, pour faire rire les Français au coeur de l'été : on leur suggère de travailler plus le dimanche pour avoir davantage de liberté le week-end... Il est navrant de constater qu'une fois encore, un texte dangereux nous arrive en fin de session extraordinaire, de plus sous la forme d'une proposition de loi -ce qui permet d'éviter consultation des partenaires sociaux et étude d'impact.

La crise économique actuelle entraîne une baisse généralisée de l'activité en semaine, contre laquelle le Gouvernement n'agit guère, comme le montrent cruellement les chiffres du chômage. Il nous est bien difficile de croire à un texte, orchestré par un ministre tout neuf, qui réaffirme le principe du repos dominical.

Élue en charge du développement économique et du tourisme dans ma ville, je connais bien la question des zones touristiques : pas plus que la baisse de TVA à 5,5 % ne crée d'emplois dans la restauration ni n'aboutit à une réelle baisse des tarifs à la carte, pas plus que le bouclier fiscal n'attire les capitaux vers la France, le travail dominical ne crée de liberté. M. Méhaignerie, président de la commission culturelle de l'Assemblée nationale, a lui-même estimé que « faire croire que tous les salariés qui travailleront le dimanche seront payés double est une grosse bourde ! ». L'étude commandée par M. Dutreil, alors ministre du commerce, évaluait à 200 000 le nombre d'emplois détruits par le travail du dimanche.

Nous sommes certainement nombreux à penser que ce texte contribuera au délitement du lien social et familial, notamment pour les femmes salariées. Et ne nous faisons pas d'illusions : il n'y aura pas création de richesses mais transfert des dépenses hebdomadaires vers le dimanche ; les Français n'auront pas plus d'argent à dépenser ce jour-là que les autres jours. Le repos dominical, un totem de gauche ? Le travail le dimanche, une innovation de droite ? En zone touristique ou non, le repos dominical est favorable à la consommation de loisirs et de divertissements...

Les jeunes se rejoignent pour pratiquer un sport, les familles se retrouvent pour partager des moments de convivialité et de tendresse, vont au théâtre, au cinéma, au musée, des rencontres culturelles s'organisent, les Français sont plus libres de se retrouver et de se divertir : voilà une société plus attrayante que celle où tout le monde déambule anonymement dans les allées d'un grand magasin.

Des habitants de mon département m'ont fait part de leurs inquiétudes. Ils disent : « la loi de 1906 a réussi à établir un équilibre juste entre les nécessités légitimes d'ouverture le dimanche et l'organisation de la société. C'est cet équilibre que nous voulons maintenir, celui de la France qui travaille et qui gagne, mais aussi de la France des bénévoles, des balades en forêt, des parties de rugby entre copains, des chorales et des rires en famille, des couleurs et des senteurs de la marche », bref ce que tout un chacun appelle la vraie vie. Ou encore : « face aux tenants d'un monde transformé en une immense galerie marchande aseptisée, où la culture est en tête de gondole, la nourriture en fast food, la pensée « code barrée », la salariée aux horaires décalés, la caissière sous payée, la famille explosée ». (Exclamations à droite : applaudissements à gauche) Dans ces témoignages, c'est une certaine idée de la France au travail qui s'entend.

Nous avons donc toutes les raisons de rejeter un article qui désorganise les équilibres de vie. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nous avons là véritablement une question de civilisation. Quelle société voulons-nous ? La réponse à cette question peut rassembler au-delà des clivages politiques.

M. Roland Courteau.  - Devrait rassembler !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est évident que ce texte est contraire au principe d'égalité. Il crée une demi-douzaine de statuts différents.

M. Xavier Darcos, ministre du travail, des relations sociales, de la famille, de la solidarité et de la ville.  - C'est déjà le cas !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Je vous ai entendu, monsieur le ministre, déclarer sur une radio il y a quelques jours que la gauche avait un problème avec le travail.

Lisez nos débats, et ceux de l'Assemblée nationale : vous verrez qui défend depuis des décennies les salariés et les travailleurs de notre pays !

Monsieur le ministre, où est votre cohérence intellectuelle ? Ministre de l'éducation nationale, vous avez défendu la réduction du temps scolaire. Il y avait quantité de solutions pour que les enfants travaillent autant. Pour ceux qui viennent de familles défavorisées, c'est l'école, et elle seule, qui permet la promotion sociale. Hier, vous disiez que les enfants ne devaient pas travailler le samedi, aujourd'hui, que les adultes doivent travailler le dimanche : où est la cohérence ? Que pensez-vous réellement ? En quoi un tel projet de société est-il digne d'être défendu ?

Les civilisations humanistes ont toujours eu le respect des rythmes, rythmes de la société, de la vie familiale et individuelle. Le travail dominical, c'est une conception de la société, de la vie, du travail. Au fond, votre objectif est de tout dérégler pour que l'on puisse travailler tout le temps, sans aucune règle. C'est le modèle de la folie financière ! Il serait plus sage d'en revenir à des principes clairs, à la loi de 1906, à une certaine conception du vivre ensemble. (Applaudissements à gauche)

M. Yves Daudigny.  - Tout a été dit, mais il faut encore vous rappeler à la raison, vous ramener à la sagesse. Toutes les études illustrent les conséquences négatives de l'extension de l'ouverture dominicale sur l'emploi et les conditions de travail, sur notre économie, notre environnement, nos structures sociales, nos modes de vie.

M. Roland Courteau.  - Pourtant, ils restent sourds !

M. Yves Daudigny.  - Décider sciemment d'ignorer ces données objectives, quelle preuve de dogmatisme ! La commission a refusé la moindre modification, même rédactionnelle. Il est vrai que d'ici la rentrée, notre rapporteur aurait peut-être reçu des lettres de salariés... En aurait-elle changé d'avis ? Certains de nos collègues ont l'honnêteté de tenir compte de la réalité. N'oublions pas une règle fondamentale, qui mériterait d'être relue avant chaque vote : « tu patere legem quam ipse fecisti », tu te soumettras à la règle que tu as créée !

Ce texte n'est pas un projet parlementaire, c'est une promesse de campagne du Président de la République, dont nous ne sommes pas comptables. Quel mépris du Parlement, soumis à l'injonction du vote conforme ! Quel mépris des salariés ! Vous ne démontreriez votre bonne foi qu'en garantissant une juste compensation à tous les salariés appelés à travailler le dimanche. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Caffet.  - Sur le cas de Paris, je partage tout à fait la position de Mme Hermange.

Le ministre, qui n'a pas pleinement convaincu la majorité de l'Assemblée nationale, nous assure que la portée du texte est limitée, qu'il s'agisse des zones concernées ou du nombre de salariés touchés. Nous ne sommes pas rassurés. Pourquoi fallait-il modifier la législation existante ? Pourquoi ce texte, maintenant, en urgence ?

Sept millions de salariés français travaillent déjà le dimanche. Les dérogations accordées au fil du temps se justifiaient par l'intérêt général : il est normal que les hôpitaux fonctionnent le dimanche, que la sécurité des Français soit assurée, et il n'est pas extravagant que les commerces puissent ouvrir dans certaines zones touristiques. Ce texte ne fait pas qu'ouvrir une brèche, il fait sauter une digue, et cela sans la moindre étude d'impact préalable ! Nous sommes inquiets. La banalisation et la généralisation du travail dominical renforceront les inégalités territoriales, pénalisera les commerces de proximité, contraindra les collectivités locales à assurer les services publics le dimanche.

Ce texte ne peut donc avoir qu'une justification cachée : votre dogmatisme idéologique, (sourires à droite) qui a « illuminé » le début du quinquennat. Souvenez-vous, c'était l'époque du rapport Attali, qui voulait tout déréguler, y compris les taxis ! Le Président de la République voulait en appliquer toutes les mesures ; votre prédécesseur, Xavier Bertrand déclarait aux Échos qu'un jour de travail en plus, c'était un jour de croissance en plus -comme si l'argent dépensé le dimanche allait miraculeusement réapparaître dans les poches le lundi !

M. Nicolas About.  - Le lundi, les touristes sont repartis.

M. Jean-Pierre Caffet.  - Ce n'est que la crise qui vous conduit à édulcorer le texte. Cette proposition de loi est soit un texte de circonstance visant à légaliser des pratiques illégales, soit un texte de complaisance coupable envers le Président de la République. En tout état de cause, il ne sert pas l'intérêt général. (Applaudissements à gauche)

M. François Patriat.  - L'affluence dans l'hémicycle un 22 juillet montre que le sujet est d'importance.

Je veux revenir sur la confiscation de l'histoire, dénoncée par Mme Le Texier et M. Courteau. J'ai eu la chance de côtoyer Pierre Meunier, bras droit de Jean Moulin et secrétaire général du Conseil national de la Résistance. Député, élu local, ayant perdu sa famille à Buchenwald, il était farouchement attaché aux valeurs du CNR : humanisme, générosité, équité et progrès social.

Le dernier message qu'il m'a fait passer, en 1996 allait à dire : « Tant que tu feras de la politique, essaye de veiller aux acquis du CNR. »

M. Roland Courteau.  - Bien dit !

M. François Patriat.  - Votre cynisme ? Il est dans le choix de la date. Vous faites voter un 22 juillet, en pleine période estivale, autant dire en catimini, un texte qui aura un impact considérable sur notre société. Il est aussi dans le choix des mots. Un progrès, dites-vous ? Mais confondre le progrès social avec des considérations financières et commerciales, c'est leurrer les citoyens.

Le travail du dimanche doit être volontaire, il doit être rémunéré. J'ai eu la chance, dans ma vie professionnelle, d'occuper des fonctions qui me conduisaient à travailler le dimanche ou les jours fériés. Si j'y consentais, c'est parce que j'avais le sentiment de le faire au bénéfice du service public. Le commerce relève-t-il du service public ?

Votre cynisme tient aussi à la façon dont vous avez imposé votre notion de zone touristique, sans concertation, ni avec les Français, ni, et encore moins, avec les organisations professionnelles. La CGPME, qui représente les artisans et les petits commerçants l'a dit : dans les communes rurales, vous condamnez les petits commerces de proximité, en engageant leur clientèle à aller se fournir dans les grandes surfaces.

Votre texte est inique, il est cynique. Des députés de la majorité ont eu, à l'Assemblée nationale, le courage de le dire. Même la fermeture à 13 heures au lieu de midi aura des conséquences. (Exclamations à droite) Une mère de famille qui travaille comme caissière ne pourra donc plus faire déjeuner ses enfants ? Mais qu'importe, pour vous, puisque le commerce y gagne.

M. Alain Gournac.  - Cinéma !

M. Éric Doligé.  - Démagogie !

M. François Patriat.  - Un peu d'humanisme ! Un peu de réalisme ! (Exclamations à droite ; applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Nicolas About.  - Permettez-moi de répondre à la mise en cause de Mme Jarraud-Vergnolle, dont on connaît le talent. Elle a qualifié mon soutien de mou et de conditionnel. (On fait mine de s'en offusquer à droite) Elle me connaît bien, pourtant, et sait que je ne suis pas de ceux qui font les choses à moitié. (Murmures admiratifs sur de nombreux bancs) « Tout ce qui est excessif est insignifiant ». On a parcouru presque toute l'histoire de France sur un texte qui ne fait que remettre un peu d'ordre. (Exclamations à gauche) Loin de correspondre à ce que certains collègues députés ou sénateurs laissent croire, il n'est nullement le moyen de « régulariser des délinquants » mais seulement l'occasion de prendre en compte les évolutions de notre société. Les parlementaires restent trop souvent à la traîne des évolutions de la société. Si les plaintes devant les juridictions n'ont pas mis fin à certaines situations, c'est que manifestement la société a bougé. Notre devoir, dès lors que ce mouvement est respectueux de l'homme et des valeurs fondamentales... (protestations à gauche) est de l'accompagner.

C'est pourquoi je soutiens avec force et conviction le texte qui nous est proposé, qui ne bouleverse en rien la situation actuelle, (exclamations à gauche ; marques d'approbation à droite) alors qu'il ne modifie en rien le principe d'une rémunération différente le dimanche, (nouvelles exclamations à gauche) alors qu'il ne fait que corriger les difficultés de sites comme ceux de Plan de campagne et Eragny en régularisant la situation. (Exclamations à gauche : applaudissements à droite)

M. Roland Courteau.  - On ne vous le fait pas dire...

Mme Annie David.  - Vous prétendiez le contraire il n'y a pas deux minutes !

M. Nicolas About.  - Je m'étonne de ces réactions de la gauche qui fut, en d'autres temps, à la pointe du combat pour régulariser des situations qui tombaient sous le coup de la justice. Je pense à l'avortement. (Vives exclamations à gauche)

M. Jean-Pierre Sueur.  - La manoeuvre est grossière...

M. Nicolas About.  - Ceci pour dire, simplement, que les parlementaires remplissent leur mission quand ils font en sorte que soient régularisées des situations qui demandent à être régularisées. (Protestations à gauche)

Mme Raymonde Le Texier.  - Où est la commune mesure ? Votre amalgame est honteux !

M. Nicolas About.  - Et que Mme Jarraud-Vergnolle se rassure : il y aura toujours les promenades entre copains et les petits verres au comptoir, toujours le bon parfum des forêts. (Applaudissements sur plusieurs bancs UMP)

M. le président.  - M. Le Menn a demandé la parole sur l'article. (Protestations et marques d'impatience à droite)

M. Éric Doligé.  - Si on continue à ce rythme, on est là jusqu'à dimanche...

M. Jacky Le Menn.  - La comparaison que vous avez osée, monsieur About, n'est pas seulement osée : elle est regrettable.

On profite de ce texte, qui visait à rendre légal le comportement illégal des responsables de Plan de campagne, pour nous faire adopter, contre l'avis et la conscience de nombreux parlementaires de la majorité, des dispositions qui auront un impact majeur sur la société.

Les soixante députés de la majorité présidentielle qui ont publié une tribune dans Le Figaro du 21 novembre 2008 l'ont compris, qui écrivent : « chacun sent très bien que l'ouverture des commerces le dimanche est un pied dans la porte en vue d'une ouverture générale de l'activité professionnelle. Qu'en sera-t-il alors de toutes les activités dominicales, non seulement des cultes, mais aussi sportives, associatives, familiales ? N'est-il pas préférable de limiter la consommation pour préserver ces moments de fraternité qui donnent à la vie son sens ? » Et plus loin : « L'homme contemporain est-il uniquement un individu consommateur ou est-il encore l'animal social que définissait Aristote ? Si l'homme se construit par les relations qu'il tisse avec ses semblables, posons-nous la question de maintenir un jour de la semaine en vue de faciliter cette construction. »

On pourrait aussi rappeler les tribunes de Mgr Barbarin ou de Mgr Vingt-Trois -qui n'ont pas été requis, eux, de changer d'avis- dans Les Échos. Le 6 novembre 2008, Mgr Vingt-Trois s'y exprimait en ces termes : « Ce serait une mesure supplémentaire dans la déstructuration de notre vie collective, qui ne toucherait pas seulement les Chrétiens. Le dimanche est aussi le jour d'une vie familiale plus intense et plus riche. Comment peut-on souhaiter que le tissu familial soit plus riche et plus structurant pour la vie sociale si chacun des membres de la famille est retenu ailleurs par son travail ? Est-il normal que pour gagner honnêtement sa vie, on soit invité à renoncer à la qualité de la vie ? » Et cette phrase, enfin, qui interroge puissamment les fondements de la « philosophie » du président Sarkozy : Gagner plus doit-il devenir le principal objectif de l'existence ? »

Pas un mot de tout cela avec lequel nous soyons en désaccord, ce qui montre bien que le débat transcende, monsieur About, les clivages. Si l'attention du public s'est focalisée sur ce débat, ce n'est pas par hasard. Chacun, à sa place, mesure bien les conséquences que cette loi aura sur lui et sur ses proches.

Ce n'est pas une réforme, c'est une mutation qui avance masquée. Et je reviens à cette phrase à l'ironie toute épiscopale de Mgr Vingt-Trois : non, gagner plus ne doit pas devenir le principal objectif de l'existence. Mais c'est aujourd'hui, hélas, la principale nécessité pour trop de gens qui subissent le temps partiel éclaté, les contrats précaires, le chômage. Ils sont les premiers visés. Peut-être parviendront-ils à gagner un tout petit peu plus en sacrifiant leur dimanche, mais ils sacrifieront avec lui leur vie privée, familiale, sociale.

Ce qui est moralement impardonnable, c'est de prendre appui sur leur pauvreté pour déstructurer, au profit des plus aisés, la vie familiale et sociale : la leur d'abord, et bientôt celle de tous. Il eût été plus opportun et plus urgent de commencer par mettre de l'ordre dans les 180 dérogations existantes et d'imposer la loi à ceux qui la bafouent. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. le président.  - Amendement n°5, présenté par M. Lardeux.

Supprimer cet article.

M. André Lardeux.  - Je souhaite que ce débat reste serein. Nos divergences sont légitimes. Il est normal que chacun puisse exprimer son point de vue. Mettons en pratique ce que Mme Hermange appelait l'attention à l'autre. Notre débat y gagnera en clarté et en rapidité. (M. Alain Gournac apprécie)

Cet article 2, dont je demande, en cohérence avec ce que j'ai dit lors de la discussion générale, la suppression, comporte des dispositions dont l'adoption entraînerait un changement de fonctionnement de la société. Elles déstabiliseraient un peu plus la vie de famille, alors que beaucoup d'études montrent que trop d'enfants ne passent pas assez de temps avec leurs parents.

C'est mettre en place une véritable usine à gaz que de créer, à côté des travailleurs indépendants, au moins huit catégories de travailleurs du dimanche : les salariés de l'alimentaire, qui travaillent déjà le dimanche matin ; ceux des 180 professions soumises au régime normal du droit du travail parce qu'elles s'exercent forcément le dimanche ; ceux qui subissent éventuellement les « cinq dimanches du maire » ; ceux des communes et zones touristiques où le travail dominical s'exerce de plein droit ; ceux des communes touristiques soumises au régime des cinq dimanches, et auxquels s'appliquerait de plein droit le régime de base ; ceux des Puce, volontaires et payés double salaire avec repos compensateur ; ceux du régime historique d'Alsace-Lorraine ; ceux, enfin, de l'agglomération lyonnaise -peut-être pour rappeler son passé d'ancienne capitale des Gaules ?

Voilà de quoi multiplier les difficultés juridico-sociales, tant au regard du principe d'égalité, si tout doit changer selon que l'on travaille de l'un ou l'autre côté de la rue, que sur le plan juridique.

Et je refuse que la seule lumière qu'émet notre société s'apparente à l'enseigne lumineuse d'une galerie marchande ! Le risque est grand que le message de notre société se résume à une injonction à consommer ; injonction, a dit un philosophe, porteuse de notre propre vide. Nous serons alors prisonniers d'une rationalité à courte vue, qui valorise l'immédiateté, et dissout les structures de médiation, telle la famille. Les corps intermédiaires, déjà, sont gagnés par ce mouvement qui atteindra, j'en prends le pari, l'État lui-même. Notre société a besoin d'un supplément d'âme, et non de régulation marchande et d'argent. Avec le triomphe de l'individualisme absolutisé, nous deviendrons des sans domicile fixe au plan moral. Notre société, je le crois, a tout simplement besoin d'un peu d'humanité. Parce que cet article ne va pas dans ce sens, j'en demande la suppression. (Vifs applaudissements sur la plupart des bancs RDSE et sur les bancs socialistes)

M. le président.  - Amendement identique n°79, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

Mme Odette Terrade.  - Par cet amendement, nous refusons la généralisation du travail dominical. Le repos du dimanche, contrairement à ce qui est écrit dans cet article 2, ne va pas dans le seul intérêt des salariés. Le droit au repos le dimanche n'est pas donné dans le seul intérêt des salariés. Cet équilibre, que nous avons progressivement atteint, donne à chacun du temps pour soi et pour les autres. Mais, monsieur le ministre, de tout cela, vous n'avez cure. L'idée est de poursuivre la dérégulation du code du travail et, au-delà, de la société et de résoudre des situations illégales à la satisfaction de quelques grands patrons. La création des Puce, beaucoup de sénateurs l'ont démontré à la tribune, vise à amnistier quelques enseignes commerciales, notamment Plan de Campagne, ou encore les communes des zones touristiques. J'en veux pour preuve la boutique située sur les Champs Élysées, spécialisée dans la maroquinerie de luxe, condamnée en mars dernier pour ouverture illégale le dimanche. Louis Vuitton, vous l'aurez reconnu, avait obtenu du préfet de Paris, à qui vous entendez donner tous les pouvoirs,...

M. Nicolas About.  -  C'est déjà le cas !

Mme Odette Terrade.  - ...une dérogation permanente d'ouvrir le dimanche en 2005, sur le fondement des dérogations au titre de la vente de biens et services destinés aux activités de détente ou de loisirs d'ordre sportif, récréatif ou culturel aux termes de l'actuel article 3132-25 du code du travail.

M. Éric Doligé.  - Et alors ?

Mme Odette Terrade.  - Les colifichets Vuitton, des produits culturels ? Quelle imagination !

M. Nicolas About.  - C'est de la création !

Mme Odette Terrade.  - Avec ce texte, tous les magasins situés dans les zones touristiques pourront ouvrir demain. Voilà une nouvelle situation illégale de résolue ! En outre, je suis surprise devant les récentes déclarations du Président de la République à l'occasion du séjour parisien de Mme Obama. « Est-il est normal que le dimanche, quand Mme Obama veut, avec ses filles, visiter les magasins parisiens, je doive passer un coup de téléphone pour les faire ouvrir ? » Eh bien, il effectivement anormal que le premier représentant de la République demande à des opérateurs privés de violer la législation ! Au reste, Mme Obama a également visité ce même jour les expositions Kandinsky et Alexander Calder au centre Georges Pompidou. Voilà à quoi doit servir le dimanche : l'enrichissement culturel ! Il est, d'ailleurs, paradoxal d'instaurer la gratuité des musées le dimanche pour les moins de 26 ans et de généraliser le travail dominical pour, dites-vous, que ces mêmes étudiants financent leurs études ! Mais lorsqu'il s'agit d'attaquer les acquis sociaux, vous n'êtes pas à une contradiction près. Aussi invitons-nous le Sénat à voter la suppression de l'article 2, vote dont l'importance justifie un scrutin public ! (Applaudissements à gauche)

M. le président.  - Amendement identique n°135 rectifié, présenté par MM. Fortassin, Mézard, Collin, Alfonsi, Baylet et Chevènement, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Milhau, Tropeano, Vall et Vendasi.

M. Jacques Mézard.  - La forme est rarement sans incidence sur le fond... Cet article, monsieur le ministre, n'est ni de clarification ni de simplification ; il est inéquitable ! S'il est normal et sain que la loi accompagne les évolutions sociales, il l'est beaucoup moins de créer un régime à huit vitesses, soit une véritable usine à gaz. La commission, dont j'ai lu les travaux avec intérêt, propose de voter conforme, considérant que le texte de l'Assemblée nationale est parfait. Notre groupe n'a pas l'habitude de multiplier motions et amendements. Nous maintiendrons avec d'autant plus de conviction cet amendement n°135 que le vote conforme nous est imposé. Cet article 2, je le rappelle, aggrave les inégalités entre les territoires et les salariés. Aux dires du ministre, le texte, modifiant peu la situation actuelle et ne concernant que 200 000 salariés, ne serait pas une affaire d'État. Si tel est le cas, pourquoi cet acharnement à obtenir le vote conforme ? (« Très bien ! » sur les bancs socialistes) De deux choses l'une, soit le texte est important, soit il est secondaire. En réalité, il ouvre une brèche...

M. Roland Courteau.  - Plus qu'une brèche !

M. Jacques Mézard.  - ...dans un système, certes, imparfait qui justifiait des modifications. Néanmoins, les dispositions relatives aux Puce et aux zones touristiques créent une différenciation de traitement entre les territoires qui emportera des conséquences négatives, ne serait-ce que sur les territoires voisins.

M. Jean Desessard.  - Très bien !

M. Jacques Mézard.  - Le texte n'est pas équilibré. Pour s'en convaincre, il suffit de se reporter au compte rendu de l'audition des syndicats à la page 19 du rapport : « Lors de leur audition par votre commission, les syndicats de salariés ont souligné que la proposition de loi ne garantit, pour les salariés travaillant le dimanche dans les communes et les zones touristiques, ni repos compensateur, ni majoration salariale, ni droit au volontariat. Ils estiment que cette situation crée une inégalité avec les salariés des Puce, qui bénéficieront de ces garanties. » Au contraire, l'Union professionnelle artisanale a fait savoir par lettre que « la nouvelle version est équilibrée d'autant que les principales observations formulées ont été prises en compte ». Bref, nous comprenons sans difficulté à qui profite cette proposition de loi... D'où cet amendement de suppression. (Applaudissements à gauche)

Mme Isabelle Debré, rapporteur de la commission des affaires sociales.  - La commission ne peut qu'être défavorable à la suppression de cet article 2, le coeur du texte. Durant la discussion générale, j'ai expliqué que l'ouverture dominicale est un facteur de croissance, notamment dans les zones touristiques, et convient à certains salariés à certaines étapes de leur vie. Le texte n'a pas pour but de généraliser le travail dominical auquel nous sommes tous attachés, y compris l'UPA dans la lettre évoquée par M. Mézard. Ensuite, selon vous, le vote conforme m'est imposé...

Mme Raymonde Le Texier.  - Eh oui !

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Je suis au regret de vous dire que non ! (Exclamations sarcastiques à gauche) Je n'avais aucun amendement de fond à ajouter car, depuis deux ans, je travaille régulièrement avec M. Mallié sur ce sujet...

M. Nicolas About.  - C'est du travail en amont !

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - De la coproduction législative, en quelque sorte...

M. Nicolas About.  - Cela rappelle M. Copé... (Sourires)

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Pourquoi ne pas travailler ainsi plus souvent en organisant, comme je l'avais fait en tant que rapporteur sur un autre texte, des pré-CMP ? Pour revenir au vote conforme, je ne suis pas assez politiquement correcte pour qu'on me l'impose ! (Applaudissements à droite ; marques d'ironie à gauche)

M. Xavier Darcos, ministre.  - Le Gouvernement peut difficilement accepter de supprimer la loi... (Sourires) Je persiste à penser que les observations des orateurs ne sont pas à proportion. L'opinion publique nous regarde et voit comment la philosophie, l'environnement, la civilisation, l'économie sont convoquées ! (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Parler de civilisation, nous le revendiquons !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Tout cela pour une loi s'adressant à quelques centaines de milliers de salariés, qui s'ajouteront aux huit millions actuels, et régularise des situations peu claires en protégeant mieux les travailleurs ! (On le conteste vivement à gauche)

Monsieur Sueur, puisque vous cherchez à me mettre en difficulté personnellement, (M. Jean-Pierre Sueur s'en défend) il n'y aucune contradiction à défendre le principe du week-end familial et l'idée d'acheter des livres et des disques dans un commerce le dimanche avec ses enfants.

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est contradictoire ! Les parents travailleront !

M. Xavier Darcos, ministre.  - C'est une manière de concevoir la famille ! Moi, monsieur, j'ai aussi fait quelques études et je vais le dimanche chez Virgin avec mon fils sans être, pour autant, l'ennemi de la culture ! (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Dans ce cas, pourquoi les parents doivent-ils travailler le dimanche !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Moi, je fais mes achats le dimanche parce je travaille la semaine !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Je souhaite rebondir sur ce qu'a dit Mme Terrade. (Exclamations courroucées à droite) Pour justifier cette proposition de loi, vous avez évoqué, monsieur le ministre, la situation des étudiants...

M. Xavier Darcos, ministre.  - Je n'en ai jamais parlé !

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - ...contraints de travailler le dimanche pour financer leurs études. Drôle de démonstration que de prendre en exemple une situation inacceptable ! Si les étudiants travaillent le dimanche, mais aussi les soirs et durant les cours, c'est pour pallier l'inexistence des bourses universitaires. (On le conteste sur les mêmes bancs)

En juillet 2008, l'Insee rappelait que 19,2 % des étudiants inscrits dans l'enseignement supérieur entre 2004 et 2006 cumulaient emplois et études et que plus de 30 % d'entre eux avaient des emplois réguliers sans lien avec leurs études. Il s'agit de petits boulots alimentaires, qui riment souvent avec précarité. La part de ces étudiants qui travaillent est d'autant plus importante qu'ils ont quitté le domicile familial et que leurs parents sont des ouvriers.

L'Observatoire de la vie étudiante précisait en 2004 « qu'une activité régulière coupée des études, pratiquée de façon régulière et exercée au moins à mi-temps accroît fortement les risques d'échec ». Voilà donc la société que vous entendez construire, une société qui repose sur les facultés financières des étudiants et de leurs parents ! Loin d'essayer de remédier à cette situation, monsieur le ministre, vous vous en servez pour justifier ce texte.

Pour renforcer l'égalité des droits des étudiants, il convient donc de créer une allocation d'autonomie jeunesse, ouverte à tous les jeunes de 18 à 25 ans, pour leur permettre de financer leur autonomie et leurs études. (Murmures réprobateurs et prolongés à droite)

Les organisations syndicales sont unanimes : le développement dans les grandes surfaces des systèmes d'auto-caisses permet de supprimer des emplois de caisses qui sont généralement occupés par des étudiants. Cette proposition de loi qui se sert d'eux comme d'un alibi ne résoudra pas leurs difficultés, elle va même les accroître. (Applaudissements sur divers bancs à gauche)

M. Jean Desessard.  - Très bien !

M. Jean-Pierre Michel.  - On ne peut être que d'accord avec ce que vous venez de dire, monsieur le ministre. Bien sûr, nos débats ne sont pas en proportion : à vous entendre, ce texte ne concerne que 100 000 salariés. Vous qui avez fait quelques études, (exclamations à droite) allez jusqu'au bout de votre raisonnement ! Nous débattons aujourd'hui d'une loi d'amnistie déguisée. Point final. Tout le reste, c'est de la littérature. (Applaudissements sur divers bancs à gauche) Depuis la rupture voulue par Nicolas Sarkozy, il n'y a plus d'amnisties présidentielles. L'ancien magistrat que je suis ne le regrette pas. (Nouvelles exclamations à droite) Mais alors, ne revenez pas sur ces principes et ne nous présentez pas sans cesse des lois d'amnistie sur les problèmes actuels. C'est le cas dans la circonscription de l'auteur de cette proposition de loi.

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - C'est la même chose dans mon département !

M. Jean-Pierre Michel.  - Les coups de fils multiples que vous avez donnés à M. Mallié, madame Debré, ne sont donc pas à porter à votre crédit. Quand M. About, que nous avons connu meilleur que ce matin, nous dit hier que l'inspection du travail ira débusquer toutes les infractions dans toutes les grandes surfaces, nous savons bien que c'est faux ! Pourquoi ? Parce que l'inspection du travail a été mise à bas, par l'absence de crédits, budget après budget. Tous les syndicats en conviennent. Dans quelques années, je suis prêt à parier que vous nous présenterez une autre loi sur le même thème pour ouvrir encore un peu plus la brèche et pour amnistier encore une fois les infractions qui auront eu lieu entre le vote de cette loi, si elle est votée, et les infractions qui auront été commises. (Marques d'indignation à droite) Malgré tous les débats de société qui encombrent l'examen de ce texte, je considère que ce débat est trivial. Il ne s'agit que d'une amnistie pour les grandes surfaces qui ne respectent pas le droit du travail.

M. Xavier Darcos, ministre.  - Je veux répondre à l'ancien magistrat que vous êtes, monsieur le sénateur. J'ai dit hier que ce texte ne vaut nullement interruption des procédures pénales et des divers contentieux en cours. C'est une contrevérité que de prétendre que la loi va contraindre des juges à relaxer les prévenus actuels.

Je tiens également à vous rappeler qu'un plan de modernisation de l'inspection du travail est en cours et il marque un effort sans précédent depuis les trois dernières décennies. L'année prochaine, il y aura 700 inspecteurs du travail de plus, ce qui portera leur nombre à 2 000.

M. Alain Gournac.  - Très bien !

M. Xavier Darcos, ministre.  - Vous ne pouvez donc prétendre que le Gouvernement a renoncé à ses missions en matière d'inspection du travail. Je rends d'ailleurs hommage à ces inspecteurs, car leur travail n'est pas facile. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous nous avez parlé, monsieur le ministre, de la vie d'un ministre qui se rend le dimanche dans un magasin Virgin avec ses enfants. (Marques d'agacement à droite) Comme me le suggérait Mme Le Texier, je suppose que l'épouse de ce ministre tient la caisse chez Leroy Merlin ce même dimanche... (Sourires)

Tandis que M. le ministre de la culture nous vante ce grand événement culturel qu'est le Tour de France, M. le ministre de l'éducation nationale d'hier nous présente sa vision des choses. Je tiens à vous renvoyer à ce que vous-même disiez devant l'Assemblée nationale et le Sénat pour défendre la suppression de l'école le samedi matin. Diverses expressions émaillaient vos propos, monsieur le ministre : « La vie familiale »...

M. Xavier Darcos, ministre.  - Cela en fait partie !

M. Jean-Pierre Sueur.  - « Le respect des nouveaux rythmes de la famille », « cette manière d'être ensemble pendant tout le samedi et tout le dimanche », « le problème des familles monoparentales ». (Exclamations à droite) Bref, vous disiez qu'il fallait tenir compte du nouveau contexte familial et que les enfants devaient passer moins d'heures à l'école.

M. Nicolas About.  - Nous sommes dans la même logique.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Comment peut-on soutenir à la fois qu'il faut que les enfants ne travaillent pas le samedi et que les parents travaillent davantage le dimanche ? (On s'indigne à droite)

M. Nicolas About.  - Ce n'est pas ce que nous disons !

M. Alain Gournac.  - Ça n'a rien à voir !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ah bon ? Comment défendre ce texte au nom d'une certaine idée de la vie familiale et de l'humanisme ? Vous soutenez que ce n'est pas une question de société. Eh bien, si ! Car cela revient à s'interroger sur l'idée que l'on se fait de l'éducation et du vivre ensemble. Ce débat est essentiel. Le vote qui va avoir lieu dans un instant sera tout à fait décisif. Nous y attachons donc, comme beaucoup de Français, la plus haute importance. (Applaudissements à gauche)

A la demande des groupes socialiste et CRC-SPG, les amendements identiques nos5, 79 et 135 rectifié sont mis aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 334
Majorité absolue des suffrages exprimés 168
Pour l'adoption 157
Contre 177

Le Sénat n'a pas adopté.

(Applaudissements à droite)

M. Alain Gournac.  - Bravo !

M. le président.  - Amendement n°10, présenté par Mme Le Texier et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.

Au début du texte proposé par le I de cet article pour l'article L. 3132-3 du code du travail, supprimer les mots :

Dans l'intérêt des salariés

Mme Raymonde Le Texier.  - Quelle raison à cet ajout à l'article L. 3132-3 du code du travail, article clair qui se suffit à lui-même ? C'est une précision plus qu'inutile ; elle est légèrement perverse. Pourquoi dire que « le repos hebdomadaire est donné le dimanche dans l'intérêt des salariés » au moment même où vous généralisez son contraire, où vous banalisez non pas le repos mais le travail dominical ? Serait-ce justement pour tenter, maladroitement, de masquer la triste réalité de votre projet ?

Le repos hebdomadaire n'est pas seulement « dans l'intérêt des salariés » mais bien dans l'intérêt de leur santé, et donc dans l'intérêt de l'entreprise, dans l'intérêt des employeurs parce qu'avec une bonne santé, les salariés sont plus efficaces.

Mais votre formulation est également perverse parce qu'elle nie d'autres intérêts plus importants encore que ceux du salarié ou de l'entreprise. Le repos dominical est évidemment, d'abord et avant tout, dans l'intérêt des individus, des couples, des familles, de la société entière. Nous sommes nombreux, ici, sur tous les bancs, à nous plaindre du délitement de notre société mais ce sera pire si le repos dominical disparaît ! Certains ne cessent de stigmatiser la démission des parents, ils se plaignent qu'il n'y ait plus d'échange entre parents et enfants, plus de moments disponibles pour se parler, jouer, transmettre les leçons de la vie. Ne voyez-vous pas que c'est dans l'intérêt de tous de préserver le dimanche comme jour de repos commun ?

Si pendant des décennies, nos prédécesseurs n'ont pas jugé cette précision nécessaire, c'est bien parce qu'il ne s'agit pas de l'intérêt des salariés mais de l'intérêt de tous et que toute précision serait automatiquement exclusive. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. le président.  - Amendement identique n°80, présenté par Mme David et les membres du groupe CRC-SPG.

Mme Isabelle Pasquet.  - La nouvelle rédaction proposée transforme une règle impérative en règle individualisée puisque le repos dominical ne serait accordé que dans l'intérêt du salarié. Certes, c'est heureux ! Il faut dire que la suppression de cet article L. 3132-3 aurait été un peu difficile à justifier. Il vous fallait alors trouver un stratagème pour affaiblir le principe général, tout en donnant l'impression de vous préoccuper des salariés.

Sur quels critères le juge éventuellement saisi mesurera-t-il l'intérêt du salarié ? S'agira-t-il d'intérêts économiques, familiaux, de santé ? Personne ne sait. Cette formule laisse imaginer la préparation d'une autre étape de contentieux, celle où les tribunaux auront à constater une généralisation du travail dominical dans tous les secteurs de l'économie, au prétexte que les salariés, sous la pression permanente d'un odieux chantage à l'emploi, auront signé à leur employeur une décharge selon laquelle leur renoncement au repos dominical ne nuirait pas à leurs intérêts. Si ce n'est pas l'objectif, pourquoi alors modifier la législation ?

L'existence d'un jour de repos commun, s'il est bénéfique au salarié, est également nécessaire à une société harmonieuse. Nous nous opposons à une rédaction obscure et source de conflits. (Applaudissements sur les bancs CRC-SPG)

Mme Isabelle Debré, rapporteur.  - Cette précision, apportée par les députés sur proposition de MM. Méhaignerie et Poisson, s'inspire de la jurisprudence de la Cour de cassation. Elle vise à insister sur la protection des salariés et à marquer l'attention que nous portons à leur vie personnelle. Avis défavorable.

M. Xavier Darcos, ministre.  - Avec cet ajout, les députés ont conforté l'intérêt des salariés. Avis défavorable.

M. Jean-Pierre Michel.  - Bien entendu, je voterai cet amendement.

Mais je veux remercier M. Darcos pour la réponse qu'il m'a faite tout à l'heure. Il a dit qu'il n'y aurait pas de circulaire de Mme la garde des sceaux demandant au parquet de classer sans suite les procédures engagées ou, éventuellement, de requérir à l'audience des relaxes, en vertu de la loi qui viendrait d'être votée...

L'amendement n°10, identique au n°80, n'est pas adopté.

La séance est suspendue à 11 h 55.

présidence de M. Bernard Frimat,vice-président

La séance reprend à 14 h 30.