Gendarmerie nationale (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d'élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la gendarmerie nationale.

Discussion générale

M. Jean Faure, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - Déposé en premier lieu au Sénat il y a près d'un an, ce projet de loi historique -la dernière loi sur la gendarmerie remontant à 1798- organise le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur, voulu par le Président de la République.

Avant même le dépôt du texte, notre commission des affaires étrangères et de la défense a constitué un groupe de travail chargé de réfléchir à l'avenir de l'organisation et des missions de la gendarmerie. Après de nombreuses auditions et plusieurs déplacements, ce groupe, que je présidais, a émis dix-sept recommandations, adoptées à l'unanimité et reprises dans un rapport d'information publié en avril 2008.

Pour l'examen du projet de loi, je me suis largement fondé sur les recommandations de notre commission. J'ai entendu des représentants du ministère de l'intérieur, de la défense et de la justice, mais aussi d'anciens directeurs généraux de gendarmerie, des officiers, des préfets et des magistrats. M'inspirant du décret du 20 mai 1903, j'ai « cherché à bien définir la part d'action que chaque département ministériel peut exercer sur la gendarmerie afin de sauvegarder cette arme contre les exigences qui ne pouvaient trouver leur prétexte que dans l'élasticité ou l'obscurité de quelques articles ». La vingtaine d'amendements que nous avons présentés avec M. Courtois, rapporteur pour avis de la commission des lois, ont tous été adoptés par nos commissions respectives.

Après son passage au Sénat, le projet de loi était passé de dix à vingt-deux articles. Tout d'abord, nous avons modifié l'intitulé du projet de loi pour le rendre plus solennel. Ensuite, nous avons entièrement réécrit l'article définissant les missions de la gendarmerie nationale afin de mentionner expressément la mission de police judiciaire et affirmer son ancrage territorial ainsi que sa dimension internationale. Nous avons également introduit un nouvel article consacrant le principe du libre choix du service enquêteur par l'autorité judiciaire.

La question des relations avec les préfets suscitait de fortes inquiétudes au sein de la gendarmerie. Nous avons précisé que l'autorité des préfets ne s'exerce que sur les commandants de groupement de gendarmerie, afin de préserver le principe hiérarchique ; que cette autorité ne joue que pour la sécurité publique et non pour les missions judiciaires ; enfin, qu'elle s'exerce « dans le respect du statut militaire » de la gendarmerie.

Au total, nous sommes parvenus à un bon équilibre, qui a été préservé par nos collègues députés.

M. Jean-Jacques Hyest.  - Très bien.

M. Jean Faure, rapporteur.  - Le Sénat a accepté de supprimer la réquisition, incompatible avec le rattachement au ministère de l'intérieur, en maintenant toutefois une procédure d'autorisation pour le recours aux moyens militaires spécifiques, comme les véhicules blindés, et en encadrant l'usage des armes à feu afin de garantir la traçabilité des ordres.

Nous avons notamment reconnu le rôle essentiel joué par les réservistes de la gendarmerie nationale.

En définitive, au-delà des clivages politiques sur l'opportunité du rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur, le Sénat a tenu à garantir le maintien du dualisme des forces de sécurité publique et le caractère militaire de la gendarmerie. Je salue d'ailleurs l'attitude constructive de l'opposition, avec laquelle nous avons adopté plusieurs amendements.

Ce projet de loi a été transmis en janvier à l'Assemblée nationale, qui l'a adopté le 7 juillet dernier en y apportant des modifications essentiellement rédactionnelles.

L'Assemblée a modifié l'article premier, définissant les missions de la gendarmerie nationale, sur quatre points. A l'initiative de sa commission des lois, elle a supprimé la phrase selon laquelle « la police judiciaire constitue une mission essentielle » de la gendarmerie nationale, qui avait été ajoutée par le Sénat. Idem pour la disposition selon laquelle la gendarmerie est compétente pour assurer la sécurité publique et l'ordre public, « particulièrement dans les zones rurales et périurbaines, ainsi que sur les voies de communication ». En revanche, à l'initiative de sa commission de la défense, l'Assemblée a précisé que la gendarmerie contribue à la lutte contre le terrorisme. Enfin, à l'initiative du député Folliot, elle a ajouté que la gendarmerie « participe au contrôle et à la sécurité des armements nucléaires ».

Le compromis adopté par la commission mixte paritaire a été de reprendre l'ensemble des ajouts apportés par les deux assemblées.

Ainsi, le texte que nous avons élaboré mentionne la contribution de la gendarmerie à la lutte contre le terrorisme et son rôle en matière de contrôle et de sécurité des armements nucléaires.

En contrepartie, nous avons souhaité rétablir les deux dispositions du décret de 1903 reprises dans le texte du Sénat et supprimées par l'Assemblée nationale. D'une part, la vocation de la gendarmerie nationale à assurer la sécurité publique et l'ordre public « particulièrement dans les zones rurales et périurbaines, ainsi que sur les voies de communication », d'autre part, la réaffirmation du caractère essentiel de la mission de police judiciaire assurée par la gendarmerie. Le texte, équilibré, élaboré par la commission mixte paritaire donne pleinement satisfaction au Sénat sur ce point.

La deuxième divergence portait sur les conséquences de la suppression de la réquisition, prévue à l'article 2. Je rappelle que, selon la procédure de réquisition, le ministre de l'intérieur ou le préfet ne peuvent faire appel à la gendarmerie mobile pour les besoins du maintien de l'ordre que sur réquisition écrite, alors que pour les CRS, un ordre verbal est suffisant.

Tirant les conséquences du rattachement de la gendarmerie au ministre de l'intérieur, le projet de loi vise à supprimer la procédure de réquisition pour la gendarmerie. Compte tenu de l'importance de ces questions, qui touchent directement les libertés publiques et les droits des individus, le Sénat avait souhaité encadrer cette suppression en prévoyant une procédure d'autorisation pour l'usage des moyens militaires et l'usage des armes à feu au maintien de l'ordre, dont les conditions seraient fixées par décret en Conseil d'État. Mais l'Assemblée nationale, à l'initiative de sa commission des lois, était revenue sur ce dispositif, ne prévoyant qu'un décret simple pour les moyens militaires et en supprimant toute procédure particulière pour l'usage des armes à feu.

Nous nous réjouissons que le texte élaboré par la CMP s'inspire largement du dispositif adopté par le Sénat. Ainsi, le recours aux moyens militaires spécifiques dont dispose la gendarmerie, comme les véhicules blindés, sera soumis à une procédure d'autorisation dans des conditions définies par décret en Conseil d'État. En outre, les conditions d'usage des armes à feu, dans le cadre du maintien de l'ordre, tant par les gendarmes que les policiers, seront également précisées par décret en Conseil d'État. Nous tenions au décret en Conseil d'État, pour préserver l'avenir.

Au total, le texte élaboré par la commission mixte paritaire donne largement satisfaction aux préoccupations exprimées par le Sénat, tout en prenant en compte les améliorations apportées par l'Assemblée nationale. La gendarmerie nationale verra son statut de force armée et ses missions consacrés au niveau législatif. Le rattachement de la gendarmerie au ministre de l'intérieur permettra de renforcer la coordination des deux forces de sécurité en matière de lutte contre la criminalité et donc d'améliorer la sécurité des Français. Il permettra aussi de renforcer la mutualisation des moyens entre la police et la gendarmerie.

En outre, les militaires de la gendarmerie bénéficieront d'une grille indiciaire spécifique, ce qui permettra d'aller vers une parité globale de traitement et de carrière entre les gendarmes et les policiers, conformément à l'engagement du Président de la République.

Enfin, le caractère militaire de la gendarmerie sera préservé. L'existence de deux forces de sécurité, l'une à statut civil, la police nationale, l'autre à statut militaire, la gendarmerie nationale, constitue un atout majeur pour notre pays et la sécurité des Français. C'est cette exigence qui a guidé les travaux de la commission mixte paritaire et a conduit à l'élaboration de ses conclusions, que nous recommandons d'adopter aujourd'hui. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Alain Marleix, secrétaire d'État à l'intérieur et aux collectivités territoriales.  - Le texte qui vous est soumis aujourd'hui est d'importance : il constitue, ni plus ni moins, la première réforme d'ampleur de la gendarmerie nationale depuis quelque deux siècles, après celle de 1798, ainsi que l'a rappelé le rapporteur. A l'heure où se joue, dans votre hémicycle, l'histoire autant que l'avenir de l'une de nos plus vieilles institutions nationales, permettez-moi, tout d'abord, de réagir sur le présent.

Comme vous le savez, un attentat à la voiture piégée a visé, hier matin, la gendarmerie de Vescovato, en Haute-Corse. Devant vous, représentants de la Nation, je tiens à condamner avec fermeté cet acte terroriste irresponsable, qui aurait pu avoir des conséquences dramatiques. Si heureusement aucun blessé n'est à déplorer, je rappelle que l'explosion s'est produite à proximité d'une caserne dans laquelle vivent plusieurs familles de gendarmes et alors que des enfants se trouvaient à l'extérieur. Je saisis cette occasion pour rendre hommage aux militaires de la gendarmerie nationale et à l'ensemble des forces de sécurité intérieure de Corse. Je sais le contexte souvent difficile dans lequel ils exercent leurs missions. Je leur exprime mon soutien et ma confiance dans l'action qu'ils mènent au service de la paix publique et du respect du droit auxquels aspirent l'immense majorité des habitants de Corse, ainsi que ceux-ci le rappellent à chaque élection.

Le ministre de l'intérieur, qui vous prie d'excuser son absence due à son déplacement sur les lieux des tragiques incendies de Marseille, a demandé que tous les moyens soient mis en oeuvre pour identifier, interpeller et remettre à la justice ceux qui ont fait le choix de la violence. Le Gouvernement réaffirme, en outre, la détermination de l'État à faire respecter la paix et la sécurité publiques, en Corse, comme dans toutes les collectivités locales de notre territoire.

C'est pour répondre à ce même objectif de protection de nos concitoyens que Mme Alliot-Marie vous avait présenté ce texte, en octobre 2008. Je me réjouis de constater combien vous vous l'êtes approprié, combien vous l'avez commenté et enrichi, particulièrement vos deux rapporteurs. Nous arrivons au point d'orgue de la procédure : la commission mixte paritaire a adopté, la semaine dernière, un texte équilibré de 27 articles, contre 10 initialement, qui rencontre le plein accord du Gouvernement. Je remercie vos commissions de la défense et des lois.

Vos débats ont montré combien nous sommes unis par un même attachement à la gendarmerie nationale. Sur tous les bancs, la volonté de pérenniser une institution qui assure avec efficacité et proximité un service public de sécurité a fait l'unanimité.

Je tiens à le réaffirmer : aucune fusion n'est à l'ordre du jour. L'objectif de cette loi est le maintien de deux forces de sécurité intérieure à statuts différents, comme l'a précisé le Président de la République en novembre 2007 lorsqu'il a lancé ce travail d'intégration de la gendarmerie au ministère de l'intérieur. Je veillerai à ce que ce rapprochement soit mis en oeuvre dans le respect de l'identité militaire des gendarmes. Je serai également attentif à son efficacité : le rattachement organique de la gendarmerie au ministère de l'intérieur doit ouvrir de nouvelles perspectives d'amélioration du service public. Il doit favoriser les synergies, les complémentarités opérationnelles, les mutualisations, notamment dans la fonction soutien. C'est sa raison d'être.

Vous l'avez compris, la réforme qui vous est proposée aujourd'hui n'est pas une réforme de l'institution militaire. C'est une réforme pragmatique, qui doit renforcer la sécurité et conforter l'identité de la gendarmerie nationale.

Vous avez souhaité enrichir le texte du projet, tout en en respectant la cohérence. Je salue votre travail de grande qualité, qui conforte la gendarmerie dans ses missions particulières de défense et de police judiciaire. Le Gouvernement se félicite de l'accord équilibré auquel vous êtes parvenus sur l'article 3, dans une rédaction qui ménage tout à la fois le rôle de direction du préfet et le respect de la contrainte hiérarchique. De même, vous avez su concilier le droit des réservistes à l'exercice d'un mandat électif et la protection des citoyens en prévoyant que leur activité ne pourra s'exercer dans leur circonscription. Il n'y aura donc aucun mélange des genres.

Ont également été prévues des dispositions nouvelles pour le transfert, nécessaire, des personnels non titulaires, qui se fera dans le respect des droits des agents tels qu'ils sont inscrits dans le texte.

Il est enfin pertinent d'avoir repoussé à deux ans au lieu d'un, pour assurer le recul nécessaire, la remise d'un rapport du Gouvernement sur les premiers résultats de la réforme. Ce qui n'empêchera pas d'avoir un point chiffré au prochain rendez-vous budgétaire.

Je souhaite préciser le sens de deux dispositions importantes introduites par le Sénat. La suppression de la procédure de réquisition pour les missions du ministère de l'intérieur était la conséquence logique du rattachement organique de la gendarmerie au ministère : on n'a pas à requérir une force dont on dispose déjà. Mais cette évolution doit être respectueuse des libertés publiques. C'est pourquoi un décret en Conseil d'État fixera, votre rapporteur y a insisté, les conditions d'usage des armes à feu dans le cadre du maintien de l'ordre. Je rappelle que le cas est extrêmement rare et qu'il est important qu'il le reste. La procédure, lourde, de la réquisition écrite étant supprimée, elle est néanmoins remplacée par un dispositif technique d'enregistrement des ordres qui garantit la traçabilité de la décision.

A chaque ordre d'usage des armes à feu correspondra une chaîne de responsabilité clairement établie. Un dispositif similaire existera pour l'utilisation de moyens militaires spécifiques pour le maintien de l'ordre. L'utilisation de ce type de moyens, strictement encadrée, restera exceptionnelle.

Je souhaite vous rassurer au sujet de l'implantation territoriale...

Mme Nathalie Goulet.  - Ah !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Le maintien du maillage territorial est nécessaire pour assurer la sécurité partout et pour tous. Le texte élaboré par la CMP précise que « la gendarmerie nationale est destinée à assurer la sécurité publique et l'ordre public, particulièrement dans les zones rurales et périurbaines ». L'élu rural que je suis est très sensible à cette formulation.

La compétence territoriale de la police nationale demeure. Les redéploiements sont possibles entre celle-ci et la gendarmerie afin de trouver, au cas par cas, la répartition des forces la plus adaptée à la situation locale.

Ce texte est équilibré. Cette réforme de fond s'inscrit dans le long terme et nous permettra d'améliorer la sécurité de nos concitoyens. Il ne s'agit pas d'une révolution mais d'une évolution nécessaire pour adapter les moyens au besoin de l'époque sans mettre en cause les spécificités de la gendarmerie. Nous devons désormais concrétiser ce rapprochement sur le terrain. Brice Hortefeux et moi-même veillerons à ce que celui-ci se fasse dans un souci d'équité, de complémentarité et d'efficacité. (Applaudissements à droite et au centre)

M. le président.  - Le Sénat s'associe à l'hommage que vous avez rendu aux forces de la gendarmerie et à l'action des services de la sécurité civile et des sapeurs-pompiers dans la lutte contre les dramatiques incendies qui ravagent les portes de Marseille.

Mme Virginie Klès.  - Renforcement du Parlement. Textes importants, fondamentaux. Réflexion approfondie. Concertation sereine. Respect des institutions, des élus, des professionnels... Tout ce que vous auriez voulu avoir lors de sessions parlementaires, mais que vous n'osez même plus demander ou espérer... Depuis octobre 2008, j'assiste à un travail parlementaire échevelé, déstructuré, poursuivant des objectifs politiques confus, avec l'examen bâclé de textes appliqués avant même d'être débattus, quand ils ne sont pas condamnés par un ordre venu d'en haut à un vote conforme...

M. Jacques Mahéas.  - Bien vu !

M. Alain Marleix, secrétaire d'État.  - Quel sens de la nuance !

Mme Virginie Klès.  - Cette boulimie législative ne rime ni avec simplification, ni avec efficacité, et elle finira en symphonie pathétique sans chef d'orchestre. Je crains la cacophonie. Ainsi en est-il de cette loi, qui a échappé au vote conforme mais pas au rétrécissement des délais ni à la déclaration d'urgence et à un calendrier loufoque : déposé le 23 juillet 2008 pour une entrée en application le 1er janvier 2009, le texte a été examiné en décembre au Sénat, début juillet à l'Assemblée nationale, après réunion de la CMP, nous voici le 23 juillet... Joyeux anniversaire !

Sur le fond, quels sont les objectifs du Gouvernement et quels sont ceux que nous pourrions partager ? Les moyens affichés permettent-ils de les atteindre réellement ? Tout à sa volonté de concentrer les forces de sécurité sous une seule autorité, le Gouvernement n'a pas bien mesuré les conséquences de son texte, à moins qu'il ne mette sciemment en danger les fondements de notre République...

Selon Michèle Alliot-Marie, alors ministre de l'intérieur et qui a effectué un virage à 90 degrés en quittant le ministère de la défense, ce texte visait à renforcer le dispositif de sécurité intérieure tout en garantissant le maintien du statut militaire des gendarmes. J'aimerais être certaine que vous partagez ces intentions, monsieur le ministre, mais j'ai du mal à partager votre optimisme.

Oui, cent fois oui, il est nécessaire de moderniser nos institutions, l'organisation et le fonctionnement des forces de sécurité. Mais fallait-il tout bousculer et, malgré les affirmations gouvernementales, remettre en cause le statut militaire des gendarmes, la dualité des forces de police et de sécurité, la procédure de réquisition, le maillage territorial ? Fallait-il prendre le risque de voir la gendarmerie nationale devenir le supplétif de la police nationale avant de disparaître ?

Trop de personnes ont parlé ou écrit au sujet de la fusion de la gendarmerie et de la police : ministre de la défense, parlementaires de la majorité, syndicats de police, gendarmes... Le danger que nous dénonçons depuis des mois est réel et imminent. Le statut militaire est menacé, et cet avis semble partagé par les auteurs d'un rapport de l'inspection générale de l'administration. Ce document aurait-il été classifié « secret défense » ? Malgré ma demande formulée le 23 avril, je n'ai toujours pas pu en prendre connaissance.

La mécanique est en marche avec la suppression de la procédure de réquisition. Le renforcement du rôle du préfet place l'autorité militaire sous la tutelle de l'autorité administrative et rompt la chaîne hiérarchique propre à la gendarmerie, en contradiction avec la tradition républicaine. Le terme « modernisation » serait-il, pour le Gouvernement, synonyme de suppression ? S'agirait-il d'une nouvelle doctrine d'utilisation de cette force armée ? Quelle sera la traçabilité des ordres donnés ?

Environ 100 000 gendarmes et 140 000 policiers devront cohabiter sous le même toit et sous les mêmes autorités. Déjà une polémique est née et grandit au sein de forces qui doivent oeuvrer dans un cadre institutionnel serein. Entre devoir de réserve et droit syndical, déroulements de carrière et grilles indiciaires, logements de fonction, temps de travail et astreintes, répartition des territoires et des missions, les comparaisons soulèvent des interrogations fortes quant à des différences vécues comme des disparités. Les gendarmes sont des militaires dont la culture se caractérise par un lien fort et séculaire avec le monde rural permettant une utilisation souple, originale et économique des femmes et des hommes qui servent sous ce statut.

Le fonctionnement et les contraintes de la police lui sont spécifiques, et son action est tout aussi méritoire. La présence de ces deux forces, différentes et complémentaires, garantit le bon fonctionnement de la police au sens large. Je crains que ce ne soit plus pour très longtemps.

Quelle simplification apportera la gestion interministérielle des ressources humaines de la gendarmerie ? Les mesures disciplinaires continueront à relever du ministère de la défense, mais la gestion des carrières et des mises en disponibilités relèvera de celui de l'intérieur... Encore un mauvais coup bientôt porté, je le crains, au statut militaire des gendarmes, qui seront de plus en plus des « pas tout à fait militaires ». Le directeur général de la gendarmerie nationale est toujours un général issu du corps, la formation des officiers et sous-officiers est maintenue au sein de la défense, mais pour combien de temps encore ?

Les missions judiciaires représentent 40 à 50 % de l'activité des gendarmes et l'autorité judiciaire conserve la possibilité de choisir le service adéquat pour ces actes. Mais la disparition du statut militaire des gendarmes et la fusion avec la police annoncent aussi un seul corps de police judiciaire.

Les gendarmes sont des militaires avec des missions de sécurité intérieure, militaires et judiciaires. Ils dépendaient donc, logiquement, du ministère de la défense. Les préfets exerçaient l'autorité pour les missions banales et avaient recours à la réquisition en cas de nécessité. Une convention de mutualisation, signée le 28 juillet 2008 entre les deux ministères, avait pour objet d'assurer une meilleure synergie entre les services. Cela aurait été trop simple ! Sous couvert d'économies et de rationalisation, nous nous trouvons avec des gendarmes pas tout à fait militaires, placés sous autorité civile mais dépendant de la gestion disciplinaire de la défense... La répartition territoriale sera décidée par les préfets, ce qui laisse craindre que les zones gendarmerie ne soient définies uniquement par défaut. Quant aux missions judiciaires, elles sont sous autorité civile... Vous gommez ainsi des frontières légales, historiques, républicaines entre nos deux forces de sécurité. Vous ne vous préoccupez pas des difficultés que vous créez ni de la qualité future du service public. (M. Jacques Mahéas approuve)

Une véritable réforme aurait nécessité, en tout premier lieu, d'analyser les spécificités et les complémentarités de nos forces de sécurité. Mais le Gouvernement souhaitait sans doute constituer au plus vite une force de sécurité unique civile. Nous aurions pu débattre d'un tel objectif, mais ainsi affiché il aurait été plus difficile à défendre !

Monsieur le ministre, faut-il favoriser les synergies entre la police et la gendarmerie nationales, conforter l'existence de deux forces de sécurité, préserver le maillage territorial d'un service dont le Premier ministre lui-même affirme qu'il doit être un « service de proximité attentif aux sollicitations de nos concitoyens » ?

Mme Nathalie Goulet.  - Ah !

Mme Virginie Klès.  - Oui, oui et oui. Je le dis avec d'autant plus de conviction que, bien que la droite s'affirme seule légitime pour traiter des questions de sécurité, les résultats en la matière ne sont pas à la hauteur des effets d'annonce ponctués d'une inflation législative répressive. La gauche est attachée à la sécurité. Nous estimons que la sécurité des Français mérite plus et mieux que ce que vous lui offrez.

M. Jacky Le Menn.  - Bravo !

Mme Virginie Klès.  - Ce texte ne permettra en rien d'améliorer la sécurité, conduira à la disparition du statut militaire des gendarmes, à la fusion des forces de sécurité en un corps unique de statut civil, organisation de sinistre mémoire dans l'histoire française, et enfin à la désertification en la matière de nos zones rurales.

A cela s'ajoutera la désertification des zones rurales. Et je suis certaine que nombre de collègues de la majorité partagent cette analyse -qu'ils n'osent exprimer. Mon groupe est trop attaché aux valeurs républicaines pour accepter ce texte : nous voterons contre. (Applaudissements à gauche)

Mme Éliane Assassi.  - Je proteste contre cette détestable pratique gouvernementale qui consiste à faire débattre le Parlement de textes déjà entrés en vigueur : l'urgence, contestable, a été déclarée en août 2008, le Sénat a examiné le texte en décembre 2008, l'Assemblée nationale en juillet 2009 ! Mais la gendarmerie nationale est placée sous la pleine autorité du ministre de l'intérieur depuis le 1er janvier dernier.

Police et gendarmerie seront donc sous la même autorité ministérielle pour la quatrième fois de notre histoire : elles le furent sous le Premier et le Second Empire et le régime de Vichy. Pas d'amalgame déplacé ! Mais ce nouveau rattachement est révélateur d'un certain état d'esprit. C'est sans doute ce qui a motivé l'opposition de tous ceux qui voient dans ce texte un recul des libertés, imposé au nom de la politique sécuritaire, centralisatrice et autoritaire du Président de la République.

Nous nous sommes opposés au rattachement organique, opérationnel et budgétaire de la gendarmerie au ministère de l'intérieur car ils recèlent deux dangers pour notre démocratie. Le premier réside dans la concentration en une seule main de tous les pouvoirs et tous les moyens affectés à la sécurité intérieure -la loi de programmation militaire et le présent texte organisent la toute puissance du ministère de l'intérieur sur celui de la défense. L'autre danger est la mise en cause de cette spécificité républicaine et démocratique de notre pays, l'existence de deux forces de police différentes. Vous présentez ce projet de loi comme la suite logique d'une simple clarification et d'une adaptation du droit engagée depuis six ans. Mais s'il ne s'agissait que de moderniser, de mutualiser les moyens, d'améliorer la coopération, le rattachement au ministère de l'intérieur ne s'imposait pas !

Afin de respecter en apparence le dualisme républicain des forces, ce texte ne remet pas directement en cause le statut militaire de la gendarmerie mais il le vide subrepticement de sa raison d'être. Vous supprimez la procédure de réquisition pour l'engagement des unités dans des interventions de maintien de l'ordre. C'est dénier une spécificité des forces militaires, supprimer le signe de leur subordination et de leur obéissance aux autorités civiles. La réquisition est aussi une garantie écrite pour les commandants d'unités contre d'éventuels excès de pouvoir. Il y a donc là une grave atteinte aux principes républicains ; et les conclusions de la CMP sont encore en recul par rapport à la rédaction du Sénat, qui encadrait strictement l'utilisation de certains moyens militaires -je songe aux véhicules blindés, à la traçabilité des ordres pour l'emploi de la force. L'autorité des préfets sur les commandants d'unités remet en cause le principe d'obéissance hiérarchique inscrit dans le statut général des militaires. La perte de substance progressive du statut aura des conséquences funestes sur la sécurité en milieu rural, l'une des vocations de la gendarmerie. Nous ne disposerons plus d'une force toujours disponible au moindre coût ; les effectifs diminueront. Votre projet de loi crée plus de problèmes qu'il n'en résout. Nous refusons l'emploi de la force armée au quotidien, elle contrevient à l'équilibre républicain des pouvoirs et sert une politique du « tout sécuritaire ». Par conséquent, le groupe CRC-SPG maintiendra son vote contre. (Applaudissements à gauche)

M. François Fortassin.  - Notre tradition française de dualité entre le civil et le militaire est indissociable du régime républicain. Protéger les droits des citoyens exige un état d'esprit spécifique. Voyez l'action de la gendarmerie en 1968, alors que les forces civiles étaient défaillantes, bloquées, voire absentes. Nous craignons que le pivot de la stabilité républicaine soit légèrement altéré. Etre gendarme, ce n'est pas seulement une question de statut mais un état d'esprit. Il importe de le préserver, d'autant que les bases du recrutement ont beaucoup évolué. Nous craignons aussi que le lien historique avec la défense soit rompu. Le ministre aujourd'hui nous rassure, mais au fil du temps, n'ira-t-on pas vers une véritable fusion ? Cela m'inquiète pour l'aménagement du territoire : en milieu rural, le rôle de la gendarmerie dépasse la sécurité ; et le lien est étroit avec les élus, quelle que soit la sensibilité de ces derniers. Les gendarmes font partie du paysage et c'est tant mieux car leur mission est de se fondre le plus totalement possible dans la population. Hélas, les évolutions technologiques tendent à les éloigner de cet impératif. La force de renseignement que représentait la gendarmerie s'étiole...

Un travail conjoint entre les forces est nécessaire mais doit parfois être amélioré : au moment de la mort du préfet Érignac, par exemple, la coopération aurait gagné à être plus étroite. C'est une bonne chose que la gendarmerie participe à la lutte contre le terrorisme, mais dans les espaces ruraux, ce n'est pas la seule ni la principale forme de criminalité...

Le Gouvernement et nous avons essayé d'améliorer les choses mais il reste du pain sur la planche. Les élus n'ont pas compris en quoi le changement de statut et le rattachement au ministère de l'intérieur étaient si nécessaires. Et les réponses ne nous ont pas satisfaits. C'est la raison pour laquelle la grande majorité du groupe RDSE ne donnera pas son aval au texte, qui scelle non pas une union libre mais un mariage forcé. C'est bien le sentiment des gendarmes que je fréquente dans mon département ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Jacques Gautier.  - Ce texte a une dimension historique, puisque la dernière réorganisation de la gendarmerie date du 28 Germinal an VI, autrement dit, de 1798. Dans la logique des évolutions intervenues depuis 2002, le projet de loi place les gendarmes sous l'autorité du ministre de l'intérieur et tire les conséquences de ce rattachement.

Le modèle français de dualité des forces de sécurité intérieure n'est pas remis en cause. Le statut militaire de la gendarmerie est préservé et réaffirmé ; toutes les garanties de la pérennité de cette force sont réunies.

Je souhaite également insister sur les conditions et les conséquences du rattachement de la gendarmerie au ministère de l'intérieur. Comme nous le souhaitions, l'autorité du préfet ne remet pas en cause le principe hiérarchique. Le commandement des unités est exercé par les responsables de celles-ci, dans le respect de la chaîne hiérarchique. L'intervention du préfet ne remet donc pas en cause la cohérence du dispositif territorial. Le principe de la réquisition pour l'emploi de la gendarmerie au maintien de l'ordre est modernisé. La solution dégagée par la CMP nous convient parfaitement. Elle prévoit une procédure d'autorisation dans des conditions définies par décret en Conseil d'État pour le recours aux moyens militaires spécifiques et pour les conditions d'usage des armes à feu. Comme le rapporteur, nous souhaitions préserver la référence à un décret en Conseil d'État concernant un domaine qui touche directement aux libertés publiques, sachant qu'il faut maintenir une traçabilité des ordres.

Le projet de loi consacre et enrichit les missions de la gendarmerie, qui sont désormais énumérées dans un seul texte : exécution des lois ; missions judiciaires ; sécurité et ordre public ; renseignement des autorités publiques ; mission de défense ; lutte contre le terrorisme ; sécurité des armements nucléaires ; action internationale, notamment dans le cadre des opérations extérieures.

Grâce au travail de notre excellent rapporteur, deux de nos modifications resteront dans le texte final, concernant le rôle très important que la gendarmerie nationale joue dans le domaine de la police judiciaire et sa nécessaire présence territoriale. Nous tenons à bien préciser dans la loi que la gendarmerie est compétente pour assurer la sécurité publique et l'ordre public, « particulièrement dans les zones rurales et périurbaines, ainsi que sur les voies de communication ». Cet apport majeur du Sénat souligne l'importance de l'ancrage territorial de la gendarmerie nationale grâce au maillage assuré par ses brigades.

Je me réjouis également que la CMP soit arrivée à un accord sur le régime électoral des réservistes. C'est une manière d'encourager l'engagement à servir dans la réserve.

J'insiste enfin sur l'obligation faite au Gouvernement de remettre tous les deux ans au Parlement un rapport d'évaluation sur les conséquences concrètes du texte. L'État doit veiller à ce que gendarmes et policiers soient traités de manière équitable et globalement équilibrée. II faut éviter que ne se développent des surenchères dont les effets pervers sont déjà bien connus. L'existence de deux forces différentes -l'une civile, l'autre militaire- et le partage de leurs rôles sont non seulement une tradition de notre République, mais répondent également aux exigences de protection des libertés publiques.

Pour toutes ces raisons, le groupe UMP votera sans réserve les conclusions de la CMP. Ce vote est l'occasion de réaffirmer notre attachement à la gendarmerie nationale et notre reconnaissance à tous les gendarmes pour le travail accompli jour et nuit sur le terrain. Il est également l'occasion de réaffirmer notre volonté de garder à la gendarmerie nationale son statut militaire. La gendarmerie est une institution majeure à laquelle les Français sont très attachés. N'oublions pas la mission que les Français nous ont confiée : assurer la sécurité de tous et partout sur le territoire de la République. Avec ce texte pragmatique et nécessaire, nous allons améliorer l'efficacité de notre politique de sécurité et conforter l'identité de la gendarmerie nationale. (Applaudissements à droite)

La discussion générale est close.

Vote sur l'ensemble

M. le président.  - En vertu de l'article 42 alinéa 12 du Règlement, le Sénat étant appelé à se prononcer en second sur le texte élaboré par la commission mixte paritaire, il procède à un vote unique sur l'ensemble du texte en ne retenant que les amendements ayant reçu l'accord du Gouvernement.

Mme Nathalie Goulet.  - Je reconnais bien volontiers le travail important accompli par le Sénat et par son rapporteur, notre collègue Faure que je suis ravie de voir parmi nous. Mais j'ai voté contre ce texte en commission comme je l'avais fait en séance publique lors de la première lecture, et comme j'ai voté contre l'article 7 de la loi de programmation militaire. Il s'agit là d'une position personnelle qui n'engage pas mon groupe.

Mme Anne-Marie Payet.  - Je voterai ce texte mais je souhaite attirer une fois de plus l'attention du Gouvernement sur la difficile situation des gendarmes issus des départements d'outre-mer, qui ne sont pas affectés dans leur région d'origine. En réponse à une question orale que j'avais posée cet hiver, on m'a promis un décret ; il n'a toujours pas été publié. Quand le sera-t-il ? Les gendarmes réunionnais s'impatient et me l'écrivent tous les jours.

Les conclusions de la commission mixte paritaire sont adoptées.