La Poste (Conclusions de la CMP)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales.

Discussion générale

M. Pierre Hérisson, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - (M. Jacques Gautier applaudit) Après avoir été adopté par le Sénat à la suite d'un débat approfondi, le projet de loi sur La Poste a été modifié par l'Assemblée nationale la semaine dernière et une CMP s'est réunie hier. Je remercie MM. Emorine, Ollier et Proriol, respectivement président, vice-président et rapporteur pour l'Assemblée nationale de cette CMP : notre accord fut complet. Les conclusions d'une CMP reflètent naturellement l'avis des deux chambres, mais les points les plus importants du texte adopté par le Sénat ont été préservés.

Le capital de La Poste, j'y insiste, restera public puisque seuls l'État et des personnes morales de droit public pourront en détenir des parts, exception faite de l'actionnariat privé. Le caractère de service public national de La Poste est confirmé. L'article premier reste inchangé, mis à part le report au 1er mars du changement de statut.

En ce qui concerne les missions de service public de La Poste -l'Assemblée nationale a ajouté la mention de « missions d'intérêt général » en référence au droit communautaire- les députés ont précisé les contours de la mission d'accessibilité bancaire et supprimé l'alinéa, redondant par rapport à l'article premier, qui soumettait le groupe La Poste au droit commun des sociétés dans la mesure où celui-ci n'était pas contraire à la présente loi.

Le Sénat avait renforcé la mission d'aménagement du territoire en inscrivant dans la loi un nombre minimal de 17 000 points de contact sur l'ensemble du territoire. L'Assemblée nationale a précisé que les usagers n'auraient d'abord accès à internet que dans une centaine de bureaux de poste et que les horaires d'ouverture devraient s'adapter aux modes de vie des habitants : un bureau devra rester ouvert jusqu'à 21 heures dans les villes de plus de 50 000 habitants et les réductions d'horaires seront encadrées. Enfin le changement de statut de La Poste n'aura pas d'incidence sur ses partenariats locaux. Sur le reste de l'article 2 bis, la CMP n'a apporté que des modifications rédactionnelles.

Le Sénat a garanti le financement des missions de l'entreprise : l'allègement de fiscalité locale dont elle bénéficie sera revu annuellement sur la base d'une évaluation du coût du réseau faite par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). L'Assemblée nationale a prévu qu'un décret fixerait la méthode d'évaluation ; la CMP propose qu'il soit publié avant le 31 mars 2010 afin que l'Arcep ait le temps de procéder à cette évaluation en vue l'exercice suivant.

Les députés ont souhaité que le contrat d'entreprise donne lieu à un bilan provisoire et comprenne des objectifs de qualité ainsi que l'obligation de lutter contre le surendettement.

Je veux dissiper tout malentendu sur la nomination du président de La Poste. Les députés ont supprimé la phrase qui requérait l'avis des commissions permanentes compétentes : cette disposition relève du projet de loi organique adopté par le Sénat il y a deux jours. Quant à l'interdiction faite au président de détenir des responsabilités dans d'autres entreprises, elle l'empêchait de siéger au conseil d'administration des filiales de La Poste, ce qui n'était pas souhaitable.

L'Assemblée nationale a prévu que l'État pourrait s'opposer à la cession d'un bien par La Poste ou de l'une de ses filiales au cas où elle compromettrait la bonne exécution de leurs obligations.

En ce qui concerne le statut des fonctionnaires, j'ai bien entendu les préoccupations des fonctionnaires dits « reclassés » dont la carrière a trop longtemps été bloquée. Le Gouvernement a publié le 14 décembre un décret tirant les conséquences de l'arrêt du Conseil d'État de décembre 2008 : désormais les fonctionnaires reclassés bénéficieront de promotions. Les députés n'ont toutefois pas souhaité rendre possible une reconstitution de carrière en raison du caractère exceptionnel et du coût d'une telle procédure.

Quant au régime de retraite complémentaire des agents de droit privé, le mécanisme introduit par le Sénat a été légèrement modifié par l'Assemblée nationale qui a prévu que, faute d'un accord à la mi-2010 entre les organismes concernés, un décret garantirait la pérennité de ce régime.

Le report au 1er mars du changement de statut a obligé la CMP à modifier l'article 11 pour éviter un arrêté comptable en cours d'année.

Enfin l'Assemblée nationale a prévu une période transitoire avant que La Poste ne soit soumise au droit commun en ce qui concerne l'obligation d'emploi des travailleurs handicapés, mutilés de guerre et assimilés.

A l'article 14, contrairement à l'Assemblée nationale la CMP a décidé qu'un rapport devrait être remis tous les trois ans au Parlement sur les conditions d'exécution par La Poste de sa mission de service postal universel, car le contrat de présence postale territoriale a également une durée de trois ans. Au même article, les députés ont reformulé les obligations comptables de La Poste.

A l'article 16, ils ont modifié le critère d'exemption de la contribution au fonds de compensation du service universel. Le Sénat avait retenu un seuil de chiffre d'affaires, l'Assemblée nationale préféré un seuil exprimé en nombre d'envois de correspondance. Le Sénat avait décidé que le fonds compenserait les coûts résultant de l'ensemble des prestations du service universel et non des seuls envois de correspondance ; l'Assemblée nationale et la CMP ont complété ce dispositif en prévoyant que les contributions dues par les opérateurs autorisés seront assises sur l'ensemble des prestations du service universel.

L'Assemblée nationale a également prévu une information de l'Arcep par les opérateurs de toute modification susceptible d'affecter la pérennité de son exploitation.

Enfin, les députés ont précisé que les avis de l'Arcep sur les tarifs du service universel seront publics. Elle a également enlevé tout pouvoir à l'Arcep pour modifier ou suspendre un projet de tarif lorsque les principes tarifaires liés au service universel ne seront manifestement pas respectés. Enfin, la surveillance de l'Arcep sera limitée à la seule comptabilité de La Poste relative au service universel.

Le texte issu de la CMP résulte d'une véritable coopération entre les deux assemblées, je me réjouis de cette entente. Nous avons apporté notre expertise d'élus au contact des réalités locales, que le président Larcher a rappelée dans son allocution de fin d'année.

Je vous propose en conséquence d'adopter les conclusions de la CMP ! (Applaudissements à droite)

M. Christian Estrosi, ministre chargé de l'industrie.  - Je tiens à remercier Mme le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, pour sa présence dans ce débat : vous avez pris toute votre part, ma chère collègue, pour que ce texte voie le jour et donne ainsi sa chance à La Poste ! Je remercie également le président de la commission et son rapporteur, pour leur formidable travail : ce texte suscitait des incompréhensions et des doutes, votre tâche était plus difficile car le Sénat en était saisi en premier et je vous remercie chaleureusement d'avoir su le défendre jusqu'au bout, d'avoir su préserver son équilibre.

L'Arcep accèdera aux informations relatives au coût de l'aménagement du territoire. La Poste n'aura pas à renouveler un arrêté comptable en cours d'année. Enfin, la CMP a pris diverses mesures de coordination.

Ce texte est proche de celui que vous aviez adopté début novembre, après huit jours et presque huit nuits de débat.

Première garantie : le capital de La Poste sera public à 100 %. Il n'y aura pas un euro de capital privé à La Poste, exception faite du droit des salariés à en détenir une partie. L'amendement de M. Hérisson était venu consacrer l'intention du Gouvernement de cette propriété exclusivement publique du capital, l'Assemblée nationale a seulement modifié la date du changement de statut et la CMP a évité à La Poste de devoir faire un nouvel arrêté comptable en cours d'année.

Deuxième garantie : La Poste sera « imprivatisable » -je revendique ce néologisme- puisque, grâce à l'amendement Retailleau, elle est qualifiée de « service public à caractère national », donc « imprivatisable » si l'on se réfère au Préambule de la Constitution de 1946. Certes, une nouvelle loi peut défaire ce que la loi a fait...

M. Martial Bourquin.  - Merci de le reconnaître !

M. Christian Estrosi, ministre.  - La Poste est même encore plus « imprivatisable » qu'avant puisque pour la privatiser, il faudrait revenir sur les quatre missions de service public qui sont inscrites dans la loi, pour la première fois ! Je ne veux faire aucun procès d'intention mais je suis convaincu qu'une nouvelle majorité -ce que je ne crois pas pour demain- ne reviendrait pas sur ces avancées. Du reste, si l'opposition a cru bon de faire le parallèle avec la situation à GDF ou à France Telecom, c'était bien sûr en taisant cette avancée d'aujourd'hui, d'une Poste « imprivatisable » !

Troisième garantie, les 17 000 points de contact au minimum : les députés vous ont suivis, ils ont même précisé que le changement de statut n'aura pas d'impact sur les partenariats conclus par La Poste avec les mairies et les commerçants.

Quatrième garantie : le financement pérenne de la mission d'aménagement du territoire, sur la base d'une évaluation préalable du coût de la mission. Le mode de financement en sera sécurisé vis-à-vis de Bruxelles. Le coût de la mission sera évalué, puis La Poste verra sa fiscalité ajustée en conséquence. Vos collègues députés n'ont apporté que de légères modifications : l'Arcep évaluera le coût « net » ; la méthode d'évaluation sera fixée par un décret en Conseil d'État. La CMP a précisé que ce décret devra être pris d'ici au 31 mars 2010, afin que l'Arcep connaisse la méthode à employer. La CMP a aussi ajouté que l'Arcep pourra demander toute information nécessaire à La Poste afin d'évaluer correctement le coût de la mission d'aménagement du territoire.

Cinquième garantie : les salariés actuels de La Poste pourront continuer à rester affiliés à leur régime de retraite complémentaire actuel de l'Ircantec comme je m'y étais engagé dès mes premières rencontres avec les organisations syndicales en juillet. Les députés ont prévu une date butoir, dans l'hypothèse où les deux caisses de retraite ne se mettraient pas d'accord sur le montant de la soulte financière à régler. Ce serait alors le Gouvernement, par décret en Conseil d'État, qui en déterminerait le montant.

Sixième garantie : les fonctionnaires de La Poste bénéficieront d'un nouveau droit, celui d'une complémentaire santé payée par leur employeur.

Le dispositif de reconstitution de carrière des fonctionnaires reclassés est supprimé, pour la bonne raison que le Gouvernement a pris un décret, en date du 15 décembre 2009, destiné à relancer la promotion interne des fonctionnaires reclassés et qui applique pleinement l'arrêt du Conseil d'État du 11 décembre 2008.

Septième garantie : le service rendu aux usagers est amélioré, en particulier avec l'expérimentation, dans les communes de plus de 50 000 habitants, de l'ouverture d'un bureau de poste un jour par semaine jusqu'à 21 heures et avec accès à internet dans certains bureaux de poste ;

Le capital de La Poste restera intégralement public, ses missions de service public sont préservées, de même que les droits et statuts de ses agents. Cependant, les 2,7 milliards ne sont pas un chèque en blanc : La Poste devra améliorer le service rendu.

Toutes les conditions sont réunies pour donner toute sa chance à La Poste, qui a un bel avenir devant elle : nous lui donnons les moyens de rester un grand opérateur postal de référence en Europe ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Michel Teston.  - Avant de parler du contenu de ce texte, comment ne pas s'indigner des conditions mêmes de son examen. Le chef de l'État a imposé le recours à la procédure accélérée, réduisant à une semaine continue un débat, qui en méritait deux au moins.

Et la CMP a eu lieu dans l'heure suivant le vote du texte à l'Assemblée Nationale !

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Quelle efficacité !

M. Michel Teston.  - Cerise sur le gâteau : le Sénat est appelé à se prononcer sur les conclusions de la CMP le 23 décembre. Voilà comment le Parlement est traité.

Le premier titre de ce texte transforme La Poste, actuellement Epic, en une société anonyme dont le « capital est détenu par l'État, actionnaire majoritaire, et par d'autres personnes morales de droit public, à l'exception de la part du capital pouvant être détenue au titre de l'actionnariat des personnels ». Le second transpose la directive supprimant le secteur réservé au 1er janvier 2011. Cette ouverture totale à la concurrence s'accompagne d'un élargissement des pouvoirs de l'Arcep en matière de régulation.

Ce texte pose un certain nombre de questions. Tout d'abord, est-il nécessaire de changer le statut de La Poste ? Depuis 1990, c'est un exploitant autonome de droit public assimilé par la jurisprudence à Epic. Ce projet de loi prévoit de la transformer en une société anonyme le 1er mars 2010, conformément à la modification apportée par les députés. Aucune législation-cadre européenne n'impose ce changement de statut, qui relève d'une décision du gouvernement français.

L'État peut-il financer La Poste autrement que par un changement de statut ? Oui. Le financement public ne dépend pas du statut de l'entreprise mais des missions de service public qu'elle exerce. Si des incertitudes existent quant à la possibilité d'aider La Poste pour l'accessibilité bancaire et la distribution du courrier, l'Union européenne laisse une large latitude aux États membres pour la présence postale et le transport et la distribution de la presse. La compensation de 242 millions d'euros, quoique insuffisante, existe. La troisième directive postale n'interdit pas à l'État d'inscrire des crédits à cet effet dans la loi de finances, ce que confirme l'arrêt Altmark de la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) du 24 juillet 2003.

Existe-t-il un risque de privatisation ? La forte mobilisation des citoyens, des organisations syndicales et des élus de gauche a obligé le Gouvernement et le rapporteur du Sénat à revoir la formulation de l'article premier. Le Gouvernement assure que le capital de la société anonyme sera détenu par l'État, la CDC et l'actionnariat salarié. M. Estrosi a même voulu faire croire à l'opinion publique que La Poste serait imprivatisable. Je lui ai rappelé à cette occasion que ce qu'une loi fait, une autre peut le défaire.

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - On vous fait confiance !

M. Michel Teston.  - Henri Guaino et des constitutionnalistes l'ont bien noté. Un projet de loi pourrait faire baisser la part du capital public à moins de 50 % sans enfreindre le Préambule de la Constitution de 1946, au prétexte de renforcer à nouveau les fonds propres de La Poste. Les résultats de l'entreprise risquent d'être laminés par l'ouverture totale à la concurrence. Si l'État et la Caisse des dépôts ne veulent pas la financer, on nous expliquera qu'une ouverture limitée du capital est nécessaire. Cela s'est passé ainsi pour France Télécom et GDF. L'Epic n'était pas privatisable, la société anonyme le devient.

Quelle incidence le changement de statut aura-t-il pour les personnels ? L'emploi de contractuels sera désormais la règle et 160 000 agents sur 287 000 basculeront du régime de retraite complémentaire de l'Ircantec à celui de l'Agirc-Arrco. Même si celle-ci apporte une soulte de plusieurs milliards d'euros à l'Ircantec, l'équilibre financier de cet organisme est menacé. En outre, faute de convention collective des activités postales, les opérateurs concurrents risquent de pratiquer une politique de dumping social dangereuse pour leurs salariés comme pour ceux de La Poste. Les députés ont supprimé l'obligation de reconstitution de la carrière des fonctionnaires ayant opté pour le maintien de leur grade de reclassement, et en CMP la majorité n'a pas voulu rétablir les dispositions améliorant leur situation. Monsieur le ministre, nous voulons avoir la garantie que cette reconstitution de carrières aura bien lieu.

Le changement de statut aura-t-il des conséquences sur la présence postale ? Le texte garantit la présence d'au moins 17 000 points de contact. Cette précision, ajoutée par les sénateurs, est utile mais ne garantit pas le maintien des 10 650 bureaux de plein exercice, des 4 600 agences postales communales et des 1 750 relais chez les commerçants. Le mouvement de transformation des bureaux en agences et points relais risque donc de s'accélérer.

Qu'en sera-t-il du cadre contractuel avec les communes ? Pour répondre à nos inquiétudes, le rapporteur de l'Assemblée nationale a fait adopter un amendement précisant que ce changement n'a aucune incidence sur les partenariats en cours et à venir.

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - C'est un Auvergnat !

M. Michel Teston.  - Les conventions passées semblent garanties, mais il n'en est pas de même des partenariats à venir. Si ces derniers sont soumis à l'obligation d'appel d'offres, les communes ne seront peut-être pas systématiquement retenues. M. Hortefeux a précisé par écrit à Jean-Paul Bailly que les conventions devront prévoir le remboursement des rémunérations versées par la collectivité aux agents mis à disposition.

Comment seront financés la présence postale et le transport de la presse ? La convention Etat-Poste-Presse, qui fait l'objet d'un moratoire, prévoit une diminution progressive de l'aide de l'État jusqu'à 2015. La présence postale est partiellement financée par un abattement sur les bases d'imposition de La Poste supporté par les collectivités locales, abattement porté à 95 % sans prévoir de compensation. L'État laisse donc à La Poste et aux collectivités locales le soin de financer la présence postale.

La suppression du secteur réservé ne va-t-elle pas fragiliser le service public postal ? La suppression du monopole résiduel pour les plis de moins de 50 grammes oblige à trouver un autre mode de financement du service universel postal. Il est prévu d'activer le fonds de compensation institué par la loi de régulation des activités postales de 2005, mais rien ne prouve que ce sera suffisant. L'expérience du fonds de compensation pour la téléphonie fixe n'incline pas forcément à l'optimisme car France Télécom assume la plus grande partie du financement, les autres opérateurs contestant fréquemment le montant de leur quote-part.

Les pouvoirs de l'Arcep sont élargis au détriment du politique. Le Gouvernement ne nous a donné aucun argument solide pour justifier l'abandon du statut d'Epic, qui n'a pas gêné le développement de La Poste et est compatible avec l'ouverture totale à la concurrence. Avec cette réforme dogmatique, le Gouvernement veut faire sauter le verrou que constitue le statut actuel pour pouvoir ouvrir ultérieurement le capital. Il prépare la privatisation de La Poste sans assurer un financement pérenne du service public postal, d'où son refus du référendum justifié par l'absence d'une loi organique relative à l'article 11 révisé de la Constitution.

Face à cette réforme qui pose plus de questions qu'elle n'apporte de solutions, notre groupe, comme l'ensemble de la gauche, propose de maintenir le statut actuel, accompagné d'une bonne identification des besoins des usagers et des territoires, avec un financement suffisant et pérenne et une régulation efficace.

Cette solution alternative n'est pas seulement celle de la gauche parlementaire mais aussi celle des 2,2 millions de citoyens qui se sont exprimés contre la privatisation et dont tous les élus de gauche ont été les interprètes lors des débats. Notre objectif est de moderniser le service public postal en l'organisant de manière conforme aux besoins de nos concitoyens : c'est la définition du verbe « moderniser » donnée dans le Petit Robert.

Nous prenons également en compte non seulement la tradition de service public ancrée dans la culture française, mais aussi la profonde crise actuelle qui devrait conduire le Gouvernement à mettre en veilleuse son idéologie libérale. En nous prononçant contre ce texte, nous sommes fidèles à nos valeurs et nous défendons le plus ancien et le plus emblématique des services publics, lesquels constituent le patrimoine de tous, et particulièrement de ceux qui n'en ont pas. (Vifs applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard.  - Bravo !

M. François Fortassin.  - Alors que la crise financière imposait la solidarité de la puissance publique, le Président de la République a réussi le tour de force d'introduire successivement, dans un ordre du jour surchargé, la réforme de La Poste, celle de la taxe professionnelle et les prémices larvées de la réforme des collectivités territoriales. Ces trois réformes menacent la démocratie locale, affaiblissent le rôle des services publics et nous promettent une rentrée parlementaire orageuse.

L'acheminement du courrier est le service public par excellence, le plus ancien de tous, depuis la création des premiers relais poste en 1477 sous Louis XI, jusqu'à devenir aujourd'hui emblématique de notre République. La Poste est une administration ancrée dans le coeur des Français, une grande maison autrefois vecteur d'ascension sociale. Bien plus qu'une entreprise, La Poste est, au même titre que l'école, la mairie, et l'église, un des piliers de la vie communale, voire de notre inconscient collectif.

Ce long débat a démontré l'attachement du Sénat à La Poste, dernier service public de proximité. Avec le texte qui ressort de nos débats, La Poste ne deviendra pas dès le 1er janvier 2010 une société anonyme.

M. Jean Desessard.  - On s'est battus, on a passé un week-end pour ça !

M. François Fortassin.  - Mais c'est reculer pour mieux sauter, et ce malgré tous nos efforts : la société anonyme fleurira en mars 2010 ! Le RDSE a toujours adopté dans ce débat une logique constructive déposant des amendements en séance comme en commission, même si la majorité de mon groupe défendait que ce choix relevait du peuple.

M. Josselin de Rohan.  - Il était truqué votre référendum !

M. François Fortassin.  - Le référendum prévu par la réforme constitutionnelle devait être appliqué, mais le manque de confiance de la majorité dans la qualité de sa réforme a empêché nos citoyens de se prononcer.

La Poste sera une société anonyme composée uniquement d'actionnaires de droit public. Le RDSE a souhaité confirmer son caractère de service public national, conformément au Préambule de la Constitution ; même si nous en sommes conscients, cet ajout ne résistera pas à l'épreuve du temps. La mission de présence postale territoriale est en partie préservée, l'allègement de la fiscalité locale étant maintenue et adaptée à la réforme en cours. Le rôle du Parlement, ici, a été essentiel. Le maillage territorial paraissait être préservé par la version sortie de nos débats. Vous avez souhaité figer les 17 000 points de contacts dans le texte mais ceux-ci n'offraient pas les services offerts par des bureaux de plein exercice. Nos collègues de l'Assemblée ont alors précisé les modalités et horaires d'ouverture de ces points de contact. C'est bien, même si cela relève du contrat pluriannuel, et si l'activité ralentit, les points de contact connaîtront des difficultés. Le texte contribue encore aux déséquilibres des territoires. Le maintien des services publics est une fois de plus conditionné à leur transfert au bloc communal, ce bloc communal que vous souhaitez réformer, et que vous sollicitez chaque jour un peu plus.

Avec les collègues de mon groupe, nous avons souhaité que le personnel de La Poste soit une priorité dans cette mutation. Ces salariés seront-ils aptes à faire face à un système intégralement concurrentiel ? Tout a été renvoyé à des dispositions réglementaires. Nous seront vigilants... Les agents et les fonctionnaires évoluant au sein d'une même administration d'État depuis des années seront confrontés aux réalités d'une entreprise devenue à 100 % concurrentielle, et les exemples récents d'entreprises publiques soumises à ce régime ne sont pas encourageants. Au nom du principe d'équité, le RDSE a demandé que le personnel bénéficie des mêmes acquis de protection sociale. La Haute assemblée qui se devait de soutenir cette mesure, a rempli son devoir. Pour les agents contractuels, grands oubliés de ce dispositif, nous avons défendu le maintien des droits acquis, notamment concernant l'Ircantec. Le texte est insuffisant mais les avancées chèrement acquises au Sénat ont été maintenues par nos collègues de l'Assemblée.

Avant l'examen de la réforme des collectivités territoriales, les sénateurs du groupe du RDSE s'opposeront à nouveau dans leur très grande majorité à l'adoption de ce projet de loi. Notre opposition n'est ni dogmatique ni idéologique, elle est fondée sur de réelles insuffisances. Les responsables de La Poste ne disent pas la vérité. Le courrier, prétendent-ils arrivera à J+1. C'est une farce.

M. Jean Desessard.  - Dont nous sommes les dindons !

M. François Fortassin.  - J'ai fait l'expérience de poster six lettres six jours d'affilée à partir du même bureau de poste et en direction de la même adresse. Deux seulement sont arrivées à J+1, les quatre autres sont arrivées entre J+2 et J+4 !

M. Jean Desessard.  - Et c'est pire en cas de changement d'adresse !

M. François Fortassin.  - La formation indispensable pour faire face à la concurrence a été renvoyée à plus tard et rien n'a été décidé sur son contenu.

Je n'ai vu aucune offensive en direction des collectivités locales, des administrations, des ministères ou des particuliers pour leur dire : « Vous voulez sauver La Poste, alors faites-là travailler et utilisez massivement ses services ».

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Très bien ! C'est le bon message à envoyer.

M. François Fortassin.  - Je n'ai rien vu de ce genre. Nous attendons et serons vigilants. En attendant, notre groupe, dans sa majorité ne votera pas ce texte. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Claude Danglot.  - Nous faire voter ce projet de loi, ô combien symbolique puisqu'il touche le plus ancien des services publics, le 23 décembre prouve votre volonté d'avancer à marche forcée vers le passage en société anonyme de La Poste. Puisqu'un amendement adopté à l'Assemblée nationale permet que le changement de statut n'intervienne qu'au 1er mars prochain, il n'y avait aucune urgence et rien ne vous empêchait de prévoir notre lecture des conclusions de la commission mixte paritaire en janvier comme pour les députés. Les conditions du travail parlementaire sont déplorables : la CMP s'est tenue hier dans la foulée du vote des députés et nous votons dès le lendemain sur ses conclusions, en plein milieu des vacances de Noël. Le texte de la CMP n'a été disponible que tard dans la matinée... Vraiment ce Gouvernement fait peu de cas des parlementaires.

Mais nous aurions pu nous y attendre puisque l'examen de ce texte n'a été qu'une succession de coups de force de la majorité. Le premier, et le plus important, a consisté dans la confiscation du débat public alors que 2 300 000 citoyens se sont prononcés le 3 octobre dernier pour la tenue d'un référendum. Depuis, des millions de cartes postales ont été reçues à l'Élysée. Vous n'avez pas eu de mots assez durs contre cette votation, et nous, représentants du peuple, n'aurons pas de mots assez forts pour qualifier votre mépris de l'expression citoyenne. Vous considérez que la question était tronquée mais, si tant de citoyens exigent de se prononcer sur l'avenir du service public postal parce que le patrimoine de La Poste a été financé pendant plus de deux cents ans par les usagers, vous devez entendre leur message et les consulter. Ce référendum est d'ailleurs permis par la récente réforme constitutionnelle à la condition que les dispositions d'application soient entérinées.

Concernant le débat lui-même, vous avez voulu en resserrer la durée. Premièrement en déclarant l'urgence, mais c'est dorénavant monnaie courante.

Vous avez en second lieu été contraint, ici même, à débattre pendant huit jours et huit nuits au lieu des quatre jours prévus ; une discussion de fond a ainsi pu s'engager, qui a permis des avancées, même minimes. La révision constitutionnelle et le crédit temps vous ont facilité les choses à l'Assemblée nationale, où il n'a fallu que trois jours pour sceller le sort de La Poste.

Vous nous dites que le texte n'est pas nocif, que les missions de service public sont confortées, que des garanties sont données sur le maintien de la présence postale, que La Poste est imprivatisable. Vous nous dites aussi qu'il fallait changer son statut pour pouvoir l'aider financièrement, sauf à encourir les foudres de la Cour de justice des communautés. Pourquoi alors ce texte suscite-t-il tant d'émotion dans la population et chez les élus ? Le décalage entre vos déclarations et le contenu du projet de loi est frappant ; loin de conforter les missions de service public de La Poste, vous mettez en péril l'existence même du service public postal. La musique est connue : on commence par changer le statut et quand le verrou a sauté, on ouvre le capital au privé pour financer le développement à l'international. Les faits sont têtus, il suffit d'avoir en mémoire les exemples de France Telecom ou de GDF. Le concept d'imprivatisabilité n'a guère de sens, comme l'a montré M. Teston ; ce qu'une loi a fait, une autre peut le défaire. M. Guéant vous a d'ailleurs démenti, en jugeant la notion inappropriée. Dans votre dispositif, rien ne contraint la Caisse des dépôts. Qualifier La Poste de service public national ne garantit en rien son avenir, car ce qui compte, aux termes du Préambule de la Constitution de 1946 comme de la décision du Conseil constitutionnel de 2006, c'est la réalité des missions exercées. Or rien n'empêche les opérateurs privés de concurrencer La Poste grâce à la suppression du secteur réservé imposé par l'Union européenne, une Union qui, soit dit en passant, n'impose ni un régime de propriété particulier, ni un statut particulier.

On a assisté dans les États membres à la substitution des anciens monopoles publics par des monopoles privés réalisant des profits exorbitants -voir le transport ferroviaire ou l'énergie- tandis que les services aux usagers se dégradaient. Avec la crise, ce système est en déroute, mais vous persistez et signez. Si l'État ne peut consentir une aide en faveur de La Poste, rien ne l'empêche de définir des missions d'intérêt général et de les faire financer par les opérateurs qu'il choisit. Ainsi, aucune démarche contentieuse n'a été engagée par Bruxelles sur le financement des missions d'accessibilité bancaire, d'aménagement du territoire ou de distribution de la presse, missions qui ne relèvent pas du service universel et sont assumées exclusivement par La Poste grâce à un financement d'État. Une autre voie était possible, le renforcement et le financement des missions de service public de La Poste. Mais de cela, il n'est pas question : aucune garantie n'est donnée quant au financement des activités d'intérêt général de La Poste hors du service universel. Celui-ci serait désormais financé par un fonds de compensation, mais on ne sait toujours pas comment il le sera. Nous avions proposé de cumuler les critères de chiffre d'affaire et de nombre d'envois afin de définir la contribution des opérateurs, vous n'en avez retenu qu'un. Le fonds permettra-t-il un véritable financement du service universel ? Nous restons inquiets au regard des défaillances de ce système ailleurs en Europe, notamment en Italie.

Vous ne vous êtes pas engagé à rattraper les retards de financement des missions notamment d'aménagement du territoire ; depuis 1990, l'État n'a jamais compensé de manière suffisante les obligations assumées par La Poste et lui laisse chaque année une ardoise d'un milliard d'euros. Sans compter la soulte de 2 milliards que l'État a prélevée en 2006 au titre du financement des retraites et un dividende conséquent depuis deux ans ; la transformation en société anonyme légitimera d'ailleurs la perception d'un dividende encore plus important. La seule disposition en termes d'aménagement du territoire, c'est l'augmentation de l'exonération de taxe professionnelle dont bénéficie La Poste pour financer le fonds de péréquation. Au regard des pertes que vont subir les collectivités territoriales avec la suppression de cette taxe, on peut être inquiet pour l'abondement de ce fonds. De plus, confier à l'Arcep le soin d'évaluer ce coût n'est pas de bon augure quand on sait que sa mission première est de faire de la place pour les nouveaux entrants.

Venant d'un département touché par la disparition progressive des services publics, je suis très sensible à la question de la présence postale. Si le texte prévoit le maintien de 17 000 points de contact, les services rendus par un point poste, par un bureau de poste de plein exercice ou par une agence postale communale sont très différents. La présence postale en milieu rural a un autre sens que la distribution du courrier ou des services bancaires ; le postier y est un maillon essentiel de la cohésion sociale et de la lutte contre l'isolement des plus fragiles. Mais cette dimension sociale s'étiole depuis longtemps, car la direction de La Poste recherche la rentabilité : suppression de guichets et de bureaux non rentables, allongement des circuits des facteurs, suppression massive d'emplois de fonctionnaires, externalisation des activités -le groupe La Poste a déjà 300 filiales. Ce chemin a été emprunté par France Telecom, avec les tristes conséquences que l'on sait. Les conditions de travail déjà détestables des salariés de La Poste vont encore se dégrader. Vous les alléchez avec l'actionnariat salarié ; l'urgence pour eux n'est pas d'entrer dans le jeu de Monopoly géant de la finance mondialisé, mais de voir leurs salaires, aujourd'hui ridiculement bas, augmenter. Étendre l'ouverture des bureaux de poste pourrait être une bonne idée si cela ne se faisait pas au détriment de conditions et des cadences de travail.

L'Assemblée Nationale a supprimé la disposition interdisant au PDG de La Poste d'exercer des responsabilités dans d'autres entreprises ; c'est une erreur. Si l'objectif était d'autoriser M. Bailly à présider les filiales, une autre rédaction était possible... Mais l'objectif n'est pas là.

M. Jean Desessard.  - Bien sûr !

M. Jean-Claude Danglot.  - La modernité, ce n'est pas d'ouvrir la voie à la privatisation, c'est de construire des synergies. Notre récent débat sur la fracture numérique a mis en lumière la nécessité d'un maillage serré et fiable du territoire pour garantir le droit de tous à l'information et à la communication. Alors que ce maillage n'existe encore que dans les zones rentables, faute d'investissement, vous démantelez le réseau postal au nom de la rentabilité économique. Il faudrait à l'inverse organiser des complémentarités sur l'ensemble du territoire. Vous refusez d'affronter ce défi, de créer un grand pôle public des postes et télécommunications digne du XXIe siècle. Il est vrai qu'il faudrait alors en finir avec la logique de l'impuissance de la puissance publique et de son renoncement à ses responsabilités.

Notre pacte social est remis en cause par le démantèlement de l'entreprise publique et l'ouverture totale à la concurrence des activités postales. La Poste a un bel avenir devant elle pourvu que soit mis en échec ce projet de loi qui organise la privatisation rampante du service public postal. (Applaudissements à gauche)

M. Claude Biwer.  - Mon propos sera d'une tonalité différente. Je suis de ceux qui croient au service public postal -j'y ai moi-même travaillé. Je salue l'important travail de la commission et de son rapporteur, ainsi que celui de M. Proriol à l'Assemblée nationale.

Le débat a été préparé de longue date par des échanges transparents entre les parlementaires et le président de La Poste, notamment au sein des commissions départementales. En séance, notre long débat a réveillé les craintes de certains sur une hypothétique privatisation et donné lieu à des interventions parfois peu rationnelles, notamment sur les deux premiers articles du texte.

Et je ne parle pas des pétitions orchestrées, créant la confusion chez nos concitoyens. (Applaudissements sur les bancs UMP) Étonnante manière de poser la question, et d'apporter des réponses au débat !

M. Josselin de Rohan.  - Très bien !

M. Claude Biwer.  - L'Union centriste a choisi une démarche rationnelle et ouverte. La Poste doit évoluer, s'adapter à son environnement. Elle a déjà répondu à la concurrence en diversifiant ses activités, en créant la Banque postale, en lançant le programme Cap qualité courrier en 2004. Elle doit achever son évolution pour lutter à armes égales avec les géants européens.

La Poste n'est pas n'importe quelle entreprise. Loin de mettre en péril ses missions de service public, le changement de statut permettra à l'État et à la Caisse des dépôts de lever les fonds nécessaires à sa modernisation, tout en posant des garde-fous. Avoir inscrit dans la loi que l'État reste actionnaire majoritaire garantit la bonne exécution des missions de service public, à commencer par l'aménagement du territoire. Le maintien des 17 000 points de contact garantit la présence postale dans les territoires ruraux. Libre à l'entreprise de s'adapter aux contingences locales, en donnant aux points de contact la forme d'agences postales communales, de relais postes commerçants ou de bureaux de poste de plein exercice. Notre principale préoccupation reste le maintien de la présence postale de proximité. Souhaitons la multiplication des distributeurs de billets dans nos territoires.

Le changement de statut nécessite une vigilance accrue de l'Arcep, qui a désormais une compétence de contrôle sur le financement de l'aménagement du territoire, comme sur le service postal universel. Ces aménagements garantissent l'accessibilité des prestations.

Notre contribution s'est voulue constructive, protectrice des missions de service public et des usagers. Souhaitons que cette approche continue au sein des commissions départementales de la présence postale territoriale.

Parmi les apports de l'Assemblée nationale et de la CMP...

M. Jean Desessard.  - Lesquels ?

M. Claude Biwer.  - ...on peut saluer, outre le report de l'entrée en vigueur de la loi, l'accès au haut débit dans les bureaux de poste, et l'expérimentation, dans les communes de plus de 50 000 habitants, de l'ouverture d'un bureau jusqu'à 21 heures un jour par semaine. D'autres évolutions seront nécessaires, en fonction des attentes des usagers et de l'organisation des territoires ruraux.

Nous nous réjouissons d'apporter les voix de la quasi-totalité de l'Union centriste à l'adoption de ce texte. (Applaudissements à droite)

M. Jean Desessard.  - C'est aujourd'hui notre dernier jour de séance...

M. Claude Biwer.  - Vous avez l'air fatigué !

M. Jean Desessard.  - Par l'activité législative frénétique que nous impose le Gouvernement !

Vous jugez que la votation citoyenne, qui a mobilisé 2,3 millions de personnes, était mal organisée, la question mal posée... Que dire du débat sur l'identité nationale, que personne ne demandait ? Il aurait était plus logique de débattre de l'avenir de La Poste ! Quant au débat à l'Assemblée nationale, il a été déserté par les députés de la majorité, qui lui ont préféré le cocktail qu'organisait au même moment M. Copé... Je note d'ailleurs qu'aucun orateur de l'UMP n'est inscrit aujourd'hui ! C'est que le débat ne les intéresse pas ! (Protestations sur les bancs UMP)

M. André Trillard.  - Et nous ?

M. Jean Desessard.  - Inscrivez-vous ! Les Verts et la gauche sénatoriale sont fermement opposés à la privatisation annoncée de La Poste. Car malgré les garde-fous que vous prétendez avoir mis en place, ce texte ouvre la voie à la privatisation, à la libéralisation du service public et à la mise en concurrence des services postaux au sein de l'Union. C'est pourquoi, aux côtés des postiers, des citoyens et des élus locaux, nous avons fait savoir nos craintes. Malgré la mobilisation dans la rue et au Parlement, le texte maintient le changement de statut de La Poste, réforme inutile qui se fera au détriment des usagers et des personnels, et au seul profit des futurs actionnaires...

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Mais non !

M. Jean Desessard.  - ...et des dirigeants !

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - Dieu vous entende !

Nous avions abordé la rémunération des dirigeants, les salaires des postiers, la dégradation du service dans les zones enclavées, le mal-être au travail, les questions écologiques. Mais la majorité a poursuivi son travail de casse du service public. Les députés de la majorité ont réduit à peau de chagrin l'amendement vert instaurant l'accès à internet dans les bureaux de poste de plein exercice. Le rapporteur était pourtant d'accord avec nous, mais a cédé en CMP...

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - C'est l'arbitrage. C'est la démocratie !

M. Jean Desessard.  - Reconnaissez que vous avez cédé ! Les dirigeants de La Poste ne voulaient pas d'une mesure qui ne rentrait pas dans leur logique de rentabilité...

La droite a également supprimé l'amendement « Proglio », qui interdisait de cumuler la présidence du conseil d'administration de La Poste avec d'autres responsabilités dans de grandes entreprises, selon le système du « copain-cousin ».

M. Pierre Hérisson, rapporteur.  - C'est pour les filiales.

M. Jean Desessard.  - Preuve que l'on veut faire de La Poste une pure entreprise privée à terme -en tout cas après 2012.

L'État se désengage progressivement, d'abord du financement des missions de service public postal. Non seulement la Caisse des dépôts n'a pas encore budgété son investissement de 1,2 milliard, mais l'État n'aurait pas les moyens d'apporter à La Poste tout le financement nécessaire -alors qu'il trouve 3 milliards pour les restaurateurs ! Faute d'un mode de financement pérenne, c'est l'accessibilité du service qui est compromise.

Ce texte marque aussi le retrait du politique : l'État ne gère plus le service public, il délègue à des autorités de régulation. Il sera au capital mais ne pourra intervenir dans les décisions, tout est laissé aux soins de l'Arcep. Curieuse façon de concevoir le service public ! Bientôt le modèle EDF prévaudra et le prix du timbre variera selon le marché. Demain, monsieur le ministre, quand on vous interrogera sur sa valeur, vous aurez encore plus de mal à répondre que sur RMC ! Je veux évoquer la responsabilité sociale de l'État dans l'entreprise La Poste.

M. Jacques Gautier.  - Votre temps de parole est fini !

M. Jean Desessard.  - Oui, hélas, La Poste, c'est fini. Le service public, c'est fini.

L'actionnaire majoritaire doit s'assurer du bien-être au travail des salariés, éviter les réductions drastiques d'effectifs et faire en sorte que le travail ne devienne pas une souffrance. Cela n'a pas été le cas à France Télécom, où 32 agents se sont suicidés en deux ans.

Où sont les effets bénéfiques du changement de statut pour les usagers ? Les revendications exprimées par la votation citoyenne d'octobre dernier ont été passées sous silence par le Gouvernement. Certains maires ayant facilité cette initiative ont été intimidés par leurs préfets. Dans le Gard, six maires ont été déférés au tribunal administratif la semaine dernière...

Quant à la garantie des missions de service public de La Poste, elle ne sera bientôt plus qu'un lointain souvenir. Dans le Morbihan, la distribution du courrier six jours sur sept est remise en cause. Les samedis 26 décembre et 2 janvier, le courrier simple ne sera pas acheminé dans ce département.

M. Denis Badré.  - C'est Noël !

M. Jean Desessard.  - La réforme de La Poste n'est pas une question d'étiquette politique. L'intérêt des usagers est en jeu. Le service public est un vecteur irremplaçable de la protection de nos concitoyens, il garantit l'égalité et la solidarité nationale. Affaiblir le service public, c'est affaiblir la République.

Le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 énonce que « Tout bien, toute entreprise dont l'exploitation a ou acquiert les caractères d'un service public national ou d'un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité. » Votre projet de loi vend la propriété de la collectivité aux intérêts privés. C'est la raison pour laquelle les sénatrices et sénateurs Verts s'y opposeront. (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Gautier.  - Quel talent !

M. Martial Bourquin.  - Ce marathon parlementaire se terminera dans quelques semaines par l'ouverture effective du capital de La Poste et par son changement de statut. Pourquoi n'avoir pas attendu la rentrée parlementaire de janvier pour avoir un authentique débat ? A peine deux jours de discussion à l'Assemblée nationale, un examen des conclusions de la CMP le 23 décembre, dans un hémicycle presque vide : La Poste que nous aimons tous méritait mieux que cette fin-là.

Votre projet de loi n'enthousiasme pas votre majorité. Nombre d'élus se plaignent de la fermeture des bureaux de poste ou de leur transformation en agence. La votation a mobilisé 2,3 millions de personnes et vous dites qu'elle n'est pas représentative. Nous avons proposé d'organiser un référendum, vous ne l'avez pas voulu car vous savez bien que les Français sont attachés à leur poste et souhaitent la garder publique.

M. Jean Desessard.  - Absolument.

M. Martial Bourquin.  - Vous voulez aller vite, pour squeezer la volonté des Français et leur imposer une réforme dont ils ne veulent pas. Je comprends dès lors le malaise dans vos rangs : les élus de la majorité savent bien que nous allons vers la privatisation. Le ministre prétend garder un capital « 100 % public » : mais ce qu'une loi fait, une autre peut le défaire et après le changement de statut, plus rien ne s'opposera à l'ouverture aux capitaux privés. Partout en Europe, on voit comment s'est effondrée la présence postale. Après une crise terrible, un tel tsunami financier, on aurait pu imaginer que le Président de la République en tirerait les enseignements. Le néolibéralisme est en échec partout. Et les sociétés les mieux régulées sont celles qui ont le mieux résisté. Il aurait fallu aborder la question du financement pérenne de La Poste, ce que ne fait pas ce projet de loi.

L'ouverture à la concurrence imposait certes une modernisation : elle pouvait être conduite dans le cadre de l'Epic et avec une politique publique de haut niveau, répondant aux attentes des Français et préservant la présence postale. Les 17 000 points de contact ne sont pas tous des bureaux de poste et les heures d'ouverture ont tendance à se réduire. Il y a eu 70 000 suppressions d'emplois en deux ans ! Les conditions de travail des facteurs sont donc de plus en plus difficiles et le service public a commencé à s'éroder : la tendance s'accentuera après le changement de statut.

Dans la ruralité comme dans les quartiers, la proximité est essentielle car la population vieillit. Dans ma ville, le bureau de poste d'un quartier sensible va réduire ses horaires et fermera le lundi. Heureusement, je siège à la commission départementale et celle-ci va se saisir du problème, mais les élus sont systématiquement mis devant le fait accompli ! La présence postale se réduit comme peau de chagrin.

Vous avez voté un Grenelle I, un Grenelle II mais trouvez-vous normal que l'on prenne sa voiture pour aller poster une lettre recommandée ? Les DDA, les DDE, les tribunaux sont partis. C'est au tour des bureaux de poste. Le Gouvernement organise le déménagement du territoire : nous ne sommes pas d'accord avec cette politique.

Monsieur le ministre, vous avez voulu associer votre nom à cette loi, qui ne sauve pas La Poste mais la saborde. Aucun doute, vos successeurs privatiseront ce grand service public.

M. Jean Desessard.  - Bien sûr !

M. Martial Bourquin.  - Il y a là un grave problème pour la démocratie, le Parlement devient une chambre d'enregistrement qui n'a plus son mot à dire. S'il y a eu au Sénat « un grand débat », c'est que nous l'avons imposé. A l'Assemblée nationale, la discussion a duré seulement deux jours. Je déplore la casse de ce grand service public, auquel pourtant les Français tiennent tant. Cette loi n'est pas bonne et nous voterons contre. (Applaudissements à gauche)

M. Christian Estrosi, ministre.  - Je veux d'abord confirmer que Bruxelles ne nous impose aucun changement de statut. M. Teston ne cesse d'affirmer que nous nous abritons derrière Bruxelles pour justifier notre réforme : pas du tout ! En revanche, Bruxelles ouvre le secteur à la concurrence en 2011.

M. Jean Desessard.  - Cela revient au même !

M. Christian Estrosi, ministre.  - Que valait-il mieux : ne rien faire ou nous armer pour affronter la concurrence ? Un apport de moyens financiers était nécessaire. Or Bruxelles n'aurait pas autorisé des subventions.

M. Jean Desessard.  - Et voilà !

M. Christian Estrosi, ministre.  - Nous aurions bientôt été condamnés à rembourser, comme nous devons le faire des subventions aux producteurs de fruits et légumes. L'État et la CDC ne pourraient apporter 2,7 milliards d'euros à La Poste si son statut n'était pas modifié.

Vous persistez à prétendre, d'ailleurs sans conviction, que nous avons l'intention de privatiser La Poste, mais connaissez-vous ne serait-ce qu'un État qui verse 2,7 milliards d'euros à une institution avant de la privatiser ? Pour faire le coup de la privatisation, vous êtes forts ! Je ne reviens pas sur le caractère imprivatisable de La Poste.

La soulte versée à l'Ircantec lui permettra de faire face à ses charges.

S'agissant des reclassés, il faut distinguer l'avenir et le passé. Le Conseil d'État a jugé le 11 décembre 2008 qu'il n'était pas nécessaire de reconstituer la carrière des intéressés. Nous ne le ferons donc pas. En revanche, pour l'avenir, j'ai pris le 15 décembre un décret organisant la promotion interne, ce qu'aucun gouvernement n'avait fait depuis 1993, date d'apparition des reclassés.

M. Fortassin a raison de dire que La Poste existe depuis Louis XI et que les Français lui sont très attachés.

Vous voulez un référendum ? Banco !

M. Martial Bourquin.  - Allons-y !

M. Christian Estrosi, ministre.  - Si l'on interrogeait les Français sur la privatisation, je serai le premier à voter contre, tout comme la majorité de nos compatriotes. Le résultat de cette consultation nous conduirait à vous présenter... ce projet de loi, qui rend La Poste imprivatisable. (M. Pierre Hérisson, rapporteur, approuve) Ce serait donc un référendum pour rien ! Il n'aurait aucun sens !

En conclusion, je souhaite comme vous que les Français fassent travailler La Poste.

Monsieur Danglot, je ne reviens ni sur le référendum, ni sur le rôle de Bruxelles, mais je tiens à souligner que grâce à un amendement de votre rapporteur, le fonds de financement du service public bénéficiera d'une taxe assise sur les objets au lieu du chiffre d'affaires. En matière d'aménagement du territoire, l'amendement adopté par 317 voix au Sénat est venu améliorer le dispositif, puisque le coût des missions de service public sera compensé sur la base de l'estimation effectuée par l'Arcep, ce qui sécurise l'ensemble face à Bruxelles. En outre, l'abattement pourra aller jusqu'à 95 %, contre 85 % aujourd'hui. Bercy estime que grâce à la suppression de la taxe professionnelle, le financement pourra passer des 137 millions actuels à quelque 200 millions.

Monsieur Biwer, vous avez dit des choses très justes sur l'ampleur des discussions en amont du débat parlementaire. Je partage vos interrogations sur les conditions de la « votation citoyenne » intervenue il y a déjà un certain temps.

Je n'ai pas vu beaucoup de manifestants, ni ailleurs, ni ici.

M. Jean Desessard.  - Ici, ce n'est pas permis.

M. Christian Estrosi, ministre.  - Juste un seul, qui s'est cassé un petit doigt en grimpant sur une statue à l'Assemblée nationale...

Je me félicite que vous ayez cité les garanties inscrites dans la loi, notamment quant aux 17 000 points de contact. Comme vous, je souhaite que les commissions départementales de présence postale territoriale jouent un rôle de premier plan. J'y veillerai.

Monsieur Desessard, vous parlez de privatisation malgré les garanties indiscutables et vous estimez inutile ce texte qui permet d'apporter 2,7 milliards d'euros à La Poste pour qu'elle améliore ses prestations dans le courrier et le courrier électronique, développe la Banque postale et modernise ses bureaux. Je n'estime pas que ce soit inutile !

D'autre part, le directeur de la Caisse des dépôts m'a précisé qu'elle interviendrait dès 2010, conformément à ce que le président du groupe avait affirmé pendant le débat devant l'Assemblée nationale, en mentionnant les conditions de gouvernance aujourd'hui satisfaites.

La TVA dans la restauration n'a rien à voir ici. Je regrette toutefois que vous insultiez des professionnels du tourisme. Voulez-vous que le taux de 5,5 % soit réservé aux clients des McDo, au détriment de ceux qui assurent un service et maintiennent un grand nombre d'emplois dans une activité noble ? Vous devriez défendre cette profession ! Je le dis comme élu du deuxième pôle touristique de France, connaissant les efforts de qualité de service, de recrutement et de baisse des prix -pas partout, certes- de ceux qui ont permis de stabiliser cette activité en 2009. C'est ce qu'a obtenu le Gouvernement, à qui Mme Merkel s'apprête à emboîter le pas.

Monsieur Bourquin, je ne reviens pas sur le spectre de la privatisation, que vous agitez tout en sachant qu'il n'y a aucun risque. En matière d'aménagement du territoire, nous avons sécurisé la mission, son financement et la présence postale.

Je voudrais ajouter un dernier mot, car une dépêche vient d'illustrer le mépris du parti socialiste pour le Sénat : avant même que la Haute assemblée ne se prononce, il a annoncé il y a une demi-heure qu'une motion référendaire serait déposée le 12 janvier à l'Assemblée nationale. Autant dire que le Sénat de la République ne compte pas ! J'ignore comment vous vous prononcerez, mais le parti socialiste estime déjà que cela n'aura aucune incidence pour la suite du débat ! C'est surprenant de la part d'une grande formation dite « de gouvernement » et ce n'est pas bon pour le fonctionnement de notre démocratie. (Applaudissements sur les bancs UMP)

La discussion générale est close.

M. le président. - M. Michel Teston souhaite répondre au Gouvernement.

M. Josselin de Rohan. - Le Règlement ne le prévoit pas !

M. le président. - Je m'efforce de faire respecter le Règlement et je l'applique, avec intelligence...

M. Josselin de Rohan. - C'est votre interprétation !

M. Michel Teston.  - Monsieur le ministre confond : les députés socialistes ont parfaitement le droit de déposer une motion référendaire. Ce n'est nullement discourtois envers le Sénat. Nous l'avons d'ailleurs fait ici.

M. André Trillard. - Le ministre aura-t-il le droit de répondre ? (Sourires)

M. Christian Estrosi, ministre.  - L'information n'est même pas du groupe socialiste à l'Assemblée nationale, mais de M. Razzy Hammadi, secrétaire national du parti socialiste.

M. Josselin de Rohan.  - Il n'est pas encore député !

Discussion du texte de la CMP

M. le président.  - En application de l'article 42, alinéa 12, de notre Règlement, aucun amendement n'est recevable, sauf avec l'accord du Gouvernement.

Lorsqu'il se prononce avant l'Assemblée nationale, le Sénat statue par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Article premier

Après l'article 1er-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de La Poste et à France Télécom, il est inséré un article 1er-2 ainsi rédigé :

« Art. 1er-2. - I. - La personne morale de droit public La Poste est transformée à compter du 1er mars 2010 en une société anonyme dénommée La Poste. Le capital de la société est détenu par l'État, actionnaire majoritaire, et par d'autres personnes morales de droit public, à l'exception de la part du capital pouvant être détenue au titre de l'actionnariat des personnels dans les conditions prévues par la présente loi. Cette transformation ne peut avoir pour conséquence de remettre en cause le caractère de service public national de La Poste.

« À la date de publication de ses statuts initiaux, le capital de La Poste est, dans sa totalité, détenu par l'État.

« Cette transformation n'emporte pas création d'une personne juridique nouvelle. L'ensemble des biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations de toute nature de la personne morale de droit public La Poste, en France et hors de France, sont de plein droit et sans formalité ceux de la société anonyme La Poste à compter de la date de la transformation. Celle-ci n'a aucune incidence sur ces biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations et n'entraîne, en particulier, pas de modification des contrats et des conventions en cours conclus par La Poste ou les sociétés qui lui sont liées au sens des articles L. 233-1 à L. 233-4 du code de commerce, ni leur résiliation ni, le cas échéant, le remboursement anticipé des dettes qui en sont l'objet. La transformation en société anonyme n'affecte pas les actes administratifs pris par La Poste. L'ensemble des opérations résultant de la transformation de La Poste en société est réalisé à titre gratuit et ne donne lieu au paiement d'aucun impôt, rémunération, salaire ou honoraire au profit de l'État, de ses agents ou de toute autre personne publique. 

« II. - La Poste est soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la présente loi.

« Les premier et quatrième alinéas de l'article L. 225-24 du code de commerce s'appliquent en cas de vacance de postes d'administrateurs désignés par l'assemblée générale.

« Le premier alinéa de l'article L. 228-39 du même code ne s'applique pas à la société La Poste.

« L'article L. 225-40 du même code ne s'applique pas aux conventions conclues entre l'État et La Poste en application des articles 6 et 9 de la présente loi. »

M. Michel Teston.  - Le service universel postal est mis en danger par la double logique de ce projet de loi qui avalise l'ouverture totale à la concurrence inscrite dans la troisième directive postale, qu'il transpose de façon ultralibérale. Ainsi, ce texte met fin au secteur réservé, qui faisait la force du service universel postal à la française.

Désormais, le service universel sera financé par un fonds de compensation dont on connaît les limites. La Poste assumera seule les missions de service public sur l'ensemble du territoire, face à des concurrents qui ne subiront guère de contraintes pour se positionner sur les niches les plus rentables. Ils pourront même se concentrer sur la collecte et le tri, tout en laissant les facteurs distribuer le courrier. Vous accroissez encore les prérogatives de l'Arcep, qui fait toujours prévaloir les lois de la concurrence au détriment du service public.

Toute la première partie du texte traduit les conséquences de l'article premier, qui transforme La Poste en société anonyme.

Le Gouvernement prétend que le changement de statut est indispensable afin de doter La Poste des capitaux nécessaires pour faire face à la concurrence européenne, moderniser son appareil industriel et ses réseaux, développer son activité de colis et de logistique. Cette évolution ne compromet nullement, à l'en croire, les missions de service public de l'entreprise dont le capital restera public. Mais La Poste a déjà consacré 3,5 milliards d'euros à la modernisation de ses réseaux, qui s'est accompagnée de la disparition de milliers de bureaux remplacés par des agences postales communales, des relais postaux ou des équipements automatisés. Les centres de tri ont également été rénovés. Ainsi les 2,7 milliards d'euros nouvellement injectés serviront-ils à accompagner la stratégie internationale de l'entreprise, à financer des acquisitions en Europe et ailleurs et à compléter le dispositif Express européen en Allemagne, en Espagne et en Italie. Loin de nous l'idée de nous opposer au développement de La Poste ; mais celui-ci ne doit pas se faire au détriment du service public et de l'emploi ! Les choix de la direction n'ont d'ailleurs donné lieu à aucun débat public.

Le meilleur moyen de se prémunir contre ce risque serait de ne pas voter l'article premier ni l'ensemble du texte.

Vote sur l'ensemble

M. Jacques Gautier.  - Je tiens à rassurer M. Desessard : le groupe UMP est entièrement mobilisé depuis le début de l'examen de ce texte. Nous avons siégé huit jours et huit nuits pour en débattre, et aujourd'hui nous sommes huit quand vous n'êtes que trois : pour les représentants de 2,5 millions de pétitionnaires, ce n'est pas brillant ! (M. Rémy Pointereau applaudit)

Cette réforme donnera à La Poste les moyens de sa modernisation. Le 1er janvier 2011, l'entreprise sera confrontée à l'ouverture totale à la concurrence ; elle fait déjà face à une forte baisse du courrier et doit réagir vigoureusement : pour cela elle doit avoir les moyens d'investir. La transformation de l'Epic en SA à capitaux publics permettra d'ouvrir son capital à la Caisse des dépôts et consignations sans remettre en cause son statut public. Cette échéance de 2011 est une opportunité formidable pour redonner un élan à l'un des plus anciens services publics français.

Le projet de loi a été complété par le Sénat grâce au travail remarquable de la commission (on applaudit à droite) et encore amélioré par l'Assemblée nationale. (M. Jean Desessard le conteste) Les quatre missions de service public de La Poste sont énoncées de manière limpide : service universel postal six jours sur sept, transport et distribution de la presse, accessibilité bancaire, présence postale territoriale grâce aux 17 000 points de contact.

Le service public postal doit tirer parti de ses deux atouts principaux, ses réseaux et son personnel. Le changement de statut de remet nullement en cause le statut des fonctionnaires ni les garanties d'emploi et de retraite qui y sont attachées ; la pérennité du régime de retraite des agents de droit privé est également assurée.

Il serait irresponsable de refuser d'accompagner La Poste dans sa modernisation et son développement. L'immobilisme condamnerait l'entreprise, dotée d'un réseau de proximité unique en Europe ; elle ne survivrait que sous perfusion d'argent public, sans pouvoir remplir ses missions ni assurer l'avenir de ses agents. (Marques d'approbation à droite) Le Gouvernement a pris un engagement clair : rien de ce qui fait l'identité de La Poste ne disparaîtra. Le groupe UMP votera ce texte.

M. Jean-Claude Danglot.  - Ce débat a montré l'empressement de la majorité à défendre la politique libérale promue par Bruxelles. Ce projet de loi va même au-delà des exigences européennes en transformant de La Poste en SA : les traités ne préjugent en rien du régime de la propriété dans les États membres, comme le confirme la jurisprudence Höfner.

Il n'est pas sûr que le changement de statut de La Poste suffise à éviter à la France d'être condamnée pour violation des règles de la concurrence : un apport en capital de l'État diffère-t-il à cet égard d'une dotation budgétaire ? Il aurait fallu saisir la Commission européenne pour s'en assurer.

Ce débat nous a enseigné de nouveaux concepts qui ne réfèrent à aucune réalité politique ou juridique, comme celui d'« imprivatisabilité ». Le projet de loi, en privant La Poste des caractéristiques qui en faisaient un service public national, rend possible une privatisation : il suffit pour s'en convaincre de consulter la jurisprudence du Conseil constitutionnel relative à GDF. Les garanties que vous prétendez apporter ne sont que chimères.

La Poste, pour faire face à la concurrence, devrait selon vous sacrifier le service public. La direction de l'entreprise en a déjà pris le chemin en remplaçant des bureaux de poste de plein exercice par des relais-poste ou des agences postales communales, ce qui présente pour elle l'avantage de diminuer les coûts. Les élus subissent un chantage honteux et le Gouvernement se dérobe à ses obligations d'aménagement du territoire. Il se réjouit même lorsque la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale propose d'adapter les horaires d'ouverture aux modes de vie des habitants : selon lui le service public doit s'adapter à la demande !

Léon Duguit écrivait que le pouvoir d'État ne se justifie que ponctuellement, en vue de rendre des services à la collectivité. En faisant primer les intérêts particuliers sur l'intérêt général, votre politique remet en cause ce rôle fondamental de l'État. Nous voterons contre cette nouvelle atteinte aux intérêts de la collectivité et poursuivrons la lutte hors de cet hémicycle. (Applaudissements à gauche)

M. Michel Teston.  - (« Encore lui ! » à droite) Je tiens à exprimer mon inquiétude sur l'avenir du service public à la française. Le service postal, qui est dans notre pays le plus ancien service public, sera désormais assuré par une société anonyme soumise pour l'essentiel au droit commun. Jamais aucun gouvernement n'était allé aussi loin. L'article premier, selon lequel le capital de La Poste sera détenu exclusivement par l'État et des personnes morales de droit public, ne garantit rien : rien n'assure que le capital des actionnaires autres que l'État sera entièrement public. D'ailleurs ce qu'une loi a fait, une autre loi peut le défaire : rien n'empêchera le Gouvernement de présenter ultérieurement un autre projet de loi permettant que la part des personnes de droit de public au capital de La Poste descende en-dessous de 50 %.

M. Jean Desessard.  - Après la présidentielle !

M. André Trillard.  - Merci de prévoir que nous la gagnerons !

M. Michel Teston.  - Des constitutionnalistes l'affirment, de même que M. Guaino qui est certainement au fait des intentions du Président de la République. L'objet de ce texte est de faire sauter le verrou du statut d'Epic créé par la loi de 1990.

La décision de faire une nouvelle loi sera politique, on nous expliquera qu'il sera devenu nécessaire de renforcer les fonds propres de La Poste. On a bien vu comme cela s'est passé avec la téléphonie, où le mode de financement était d'une telle complexité que M. Hérisson l'avait même qualifié d'usine à gaz !

Les concurrents vont se positionner uniquement sur les niches rentables, La Poste va y perdre de l'argent : comment imaginer que l'État ou la Caisse des dépôts augmenteront leur participation ? On nous dira qu'il faut, comme cela s'est passé pour GDF et France Telecom, ouvrir seulement un peu le capital de La Poste... vous connaissez la suite !

M. Jean Desessard.  - Parfaitement !

M. Michel Teston.  - L'Epic de La Poste n'était pas privatisable, la société anonyme de La Poste le devient ! Si ce texte est adopté, la levée du courrier, le prix du timbre, les emplois de postiers, l'équilibre à moyen terme de l'Ircantec verront leurs conditions changer !

La réglementation européenne laisse toute latitude d'action aux États membres sur la présence postale, le transport et la distribution de la presse. Nous avons proposé des alternatives pour que ces deux missions continuent d'être assurées par l'Epic. Mais le Gouvernement n'a rien voulu savoir, démontrant que sa réforme est dogmatique. Nous voterons contre cette première étape de la privatisation, car nous voulons le maintien du service universel postal, des emplois, du prix unique du timbre et de la présence postale sur tout notre territoire ! (Applaudissements à gauche)

M. Jean Desessard.  - Le temps qui m'est imparti ne suffit pas, hélas, pour répondre sur le fond à M. Charles Gautier, qui s'effraie de ce que nous voulions un service public « sous perfusion » d'argent public. Notre collègue ne supporte pas cette « perfusion », démontrant là qu'il considère que le service public doit être rentable. Nous ne le pensons pas : oui, le service public nécessite des moyens publics, justement parce que son objectif n'est pas de gagner de l'argent, mais de servir le public, le peuple !

Faute de temps, je me concentrerai donc sur les propos du ministre. Il prétend m'avoir entendu dire que la modernisation de La Poste serait inutile. Je ne l'ai certainement pas dit, car ce qui est inutile, ce n'est pas de moderniser La Poste, mais c'est de changer son statut, ce qui va immédiatement multiplier par trois ou quatre le salaire de ses dirigeants, tandis que le salaire moyen du postier, lui, va régresser !

M. le ministre aime jouer les professeurs et c'est en donneur de leçons qu'il m'accuse, quand je dis qu'il n'était peut-être pas nécessaire de baisser la TVA dans la restauration, de porter atteinte à l'honneur des restaurateurs. Certes, nous avons travaillé huit jours et huit nuits ensemble sur ce texte, mais cela ne vous autorise pas à tous les écarts ! (Sourires) Car ce raisonnement est tout simplement formidable : décider d'augmenter l'impôt sur une catégorie de contribuables, ce serait les insulter ? Que vous m'opposiez des arguments économiques, on le comprendrait, mais en disant que le législateur insulte les citoyens quand il augmente les impôts, alors là, quel aveu ! Vous révélez en fait votre conception de l'État : ce que vous voulez, c'est un État faible, qui réduit toujours plus ses moyens et les impôts, et qui donc laisse faire toujours plus le marché, le privé, à qui il concède toujours plus de services publics !

Monsieur le ministre, vous n'avez élu aucun d'entre nous et on voit mal ce qui peut vous autoriser à prétendre nous dicter notre conduite. Nous sommes élus par le peuple, et la réponse, vous l'aurez en mars prochain, dans les urnes ! Vous n'avez pas grand-chose à y perdre mais les Français n'ont guère d'espoir avec la droite, ils savent déjà qu'avec cette loi vous démantelez les services publics : vous n'êtes pas au bout de vos peines, rendez-vous au mois de mars ! (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Martial Bourquin.  - Je suis surpris d'entendre M. Jacques Gautier se féliciter de voir huit sénateurs sur les bancs UMP contre six sur ceux de l'opposition : comment pouvez-vous tirer fierté de ce nombre, pour brocarder les 2,4 millions de nos concitoyens qui ont voté contre votre projet ? Le Gouvernement démontre une nouvelle fois qu'il considère le Parlement comme une simple chambre d'enregistrement, où il passe en force, tout comme il passe en force au sein même de la majorité !

M. Rémy Pointereau.  - Nous avons débattu huit jours et huit nuits !

M. Martial Bourquin.  - Ce gouvernement emmène la France là où elle ne veut pas aller, vers une situation de services publics toujours plus débordés ! Monsieur le ministre, vous prétendez que le parti socialiste méprise le Sénat en s'apprêtant à demander une motion référendaire. Mais notre devoir est de nous opposer au démantèlement des services publics, particulièrement du premier et du plus symbolique d'entre eux : La Poste, avec ses 300 000 salariés, sa présence sur tout le territoire, son prix unique du timbre ! Nous nous opposerons à son démantèlement tant que nous serons debout !

En quelques semaines, vous avez fiscalisé les indemnisations des accidentés du travail -une honte !, vous avez fait adopter des lois sans même consulter le Sénat : qui se moque de la Haute assemblée, sinon vous-même, monsieur le ministre, qui la voulez à votre botte ? Et chaque fois qu'elle donne un avis divergent, vous la craignez !

Nous approchons Noël, la trêve dite des confiseurs...

M. Jean Desessard.  - Mais pas la trêve des privatiseurs !

M. Martial Bourquin.  - Dans ma commune, le Resto du coeur a servi 30 % de repas en plus, dans mon bassin d'emplois, le chômage a augmenté de 30 à 35 % ! Le Gouvernement mène notre pays dans le mur, et il le fait en klaxonnant, fier de lui !

M. Rémy Pointereau.  - Quel rapport avec La Poste ?

M. Martial Bourquin.  - Un rapport direct, car ce texte va entraîner des milliers de suppressions d'emplois ! Nous nous battrons pied à pied ! La France est malade du libéralisme, vous aggravez encore la situation en transformant un grand service public en société anonyme ! (Applaudissements à gauche)

A la demande de la commission et du groupe socialiste, les conclusions de la CMP sont mises aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 338
Nombre de suffrages exprimés 332
Majorité absolue des suffrages exprimés 167
Pour l'adoption 182
Contre 150

Le Sénat a adopté.