Récidive criminelle (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale.

Discussion générale

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Adopté par l'Assemblée nationale le 24 novembre dernier, ce texte a bénéficié de l'excellent travail de votre commission, en particulier de son rapporteur.

La qualité de la loi dépend largement de la qualité de la coopération entre le Sénat et l'Assemblée et entre le Gouvernement et le Parlement. Celle-ci s'est effectuée dans un climat de confiance, de franchise et de responsabilité que je veux saluer.

Ce texte complète la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d'irresponsabilité pour trouble mental, conformément aux demandes de précision formulées par le Conseil constitutionnel et en tenant compte du rapport remis par M. Lamanda, premier président de la Cour de cassation. Ce texte renforce aussi la protection de nos concitoyens contre les criminels dangereux, répondant au souci des Français d'être mieux protégés contre la récidive. Aujourd'hui, l'incarcération est la première des réponses pénales contre les actes criminels graves. Pour autant, la prison n'est pas toujours une réponse suffisante. Des événements récents, qui ont provoqué l?incompréhension de nos concitoyens, l'ont rappelé. Face aux risques que font peser certains récidivistes, les Français attendent de l'État qu'il sache les protéger. Cela impose de la fermeté mais aussi des réponses adaptées. Certains criminels présentent un risque grave de récidive. Il faut réduire leur dangerosité, donc renforcer leur suivi judiciaire, médical et psychiatrique, en prison puis à la sortie de prison.

S'inspirant du rapport de M. Lamanda, ce texte clarifie les conditions de placement en rétention de sûreté et il renforce l'efficacité des mesures de surveillance de sûreté.

Le placement en rétention de sûreté supposera que l'intéressé ait été en mesure, pendant sa détention, de bénéficier d'une prise en charge médicale, sociale ou psychologique adaptée et ce placement interviendra seulement lorsque le renforcement des mesures de surveillance apparaîtra insuffisant pour prévenir la récidive.

Ce texte étend les possibilités de placement sous surveillance de sûreté : ce placement pourra intervenir à l'issue d'une surveillance judiciaire ayant accompagné une libération anticipée, ou bien directement à la sortie de prison. Si une personne est condamnée à une peine de prison pendant l'exécution des mesures de surveillance ou de rétention, ces mesures ne seront que suspendues. Elles pourront reprendre à l'issue de l'exécution de la peine. Enfin, des personnes remises en liberté dans l'attente d'une procédure de révision pourront également être placées sous surveillance de sûreté.

La protection de nos concitoyens contre la récidive ne saurait se limiter au temps de la détention ; nous devons aller plus loin dans le suivi des criminels dangereux.

C'est pourquoi ce texte renforce le suivi médico-judiciaire des délinquants et criminels sexuels. Désormais, un condamné soumis à une injonction de soins qui refuserait, dans le cadre du suivi socio-judiciaire, un traitement anti-libido pourrait se voir incarcéré s'il exécute sa peine en milieu ouvert ou s'il est sous surveillance judiciaire, ou encore placé en rétention de sûreté s'il est sous surveillance de sûreté. Ensuite, tout incident grave ou interruption de traitement devra être dûment signalé.

Certains délinquants tentent de contourner leur traitement, soit en l'interrompant, soit en prenant des médicaments qui interfèrent avec lui. Les députés ont prévu une information du médecin coordonateur mais votre commission des lois a supprimé ce dispositif. Pourtant, l'efficacité suppose que le juge soit informé par le médecin de toute interruption du traitement. Le médecin coordonateur doit avoir la simple obligation d'informer le juge sur l'exécution de la mesure et non sur le protocole suivi qui, lui, relève du secret médical.

Pour assurer le contrôle des criminels après leur libération, il faut renforcer l'information des services enquêteurs. Je suis donc favorable à ce que soient communiquées aux services de police et de gendarmerie l'identité et l'adresse des criminels dangereux sortant de prison. Le texte actuel limite cette information aux condamnés à des peines de plus de cinq ans. Un seuil de trois ans me paraît plus adapté.

Pour renforcer l'efficacité des policiers et gendarmes, il faut moderniser le fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles et envisager une interconnexion avec celui des personnes recherchées. Une meilleure connaissance du parcours individuel du condamné doit permettre au juge de mieux évaluer sa dangerosité. Il n'est pas acceptable qu'un cas de cannibalisme ait été déploré au centre pénitentiaire de Rouen parce que le juge n'était pas informé de l'état mental du détenu. Je souhaite que, pour chaque détenu le justifiant, soit créé un dossier unique de personnalité comprenant l'ensemble des expertises psychiatriques, psychologiques et autres enquêtes sociales réalisées lors d'une procédure pénale ou de l'exécution d'une mesure de sûreté. De même, les mesures de sureté et les décisions de surveillance judiciaire doivent être inscrites au casier judiciaire.

Pour mieux garantir la protection des victimes contre les multirécidivistes, il faut interdire qu'un criminel sortant de prison puisse s'installer près des lieux où habite ou travaille sa victime. Je souhaite que tout condamné pour un crime sexuel et bénéficiant d'un aménagement de peine soit soumis à cette interdiction par le juge d'application des peines, sauf décision contraire motivée.

Aujourd'hui, quand les services de police ou de gendarmerie constatent la violation d'une interdiction de s'approcher de la victime, ils n'ont aucun moyen légal pour intervenir. Je souhaite qu'ils puissent interpeller l'intéressé et, si le juge de l'application des peines l'estime nécessaire, le déférer devant celui-ci, éventuellement pour l'incarcérer.

Ce projet de loi répond aux demandes de précisions du Conseil constitutionnel sur la mise en oeuvre de la loi de février 2008 et il institue des mesures de bon sens réclamées au vu de réalités récurrentes. Il répond aux souhaits de nos concitoyens : protéger les Français, ce n'est pas se contenter de sanctionner le criminel, c'est aussi anticiper et prévenir en évaluant lucidement et efficacement les risques de récidive. En adaptant le suivi médico-judiciaire, en mutualisant les informations et en assurant la tranquillité des victimes, nous franchirons une étape supplémentaire dans la prévention de la récidive. Garantir la sécurité de nos concitoyens relève de notre responsabilité ...partagée. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois.  - Ce projet de loi impose un bref rappel historique. II puise sa raison d'être initiale dans la décision du Conseil constitutionnel sur la loi 25 février 2008. Outre quelques importantes réserves d'interprétation, le Conseil a considéré que la rétention de sûreté, bien que n'étant « ni une peine ni une sanction ayant le caractère d'une punition », ne saurait, « eu égard à sa nature privative de liberté, à la durée de cette privation, à son caractère renouvelable sans limite et au fait qu'elle est prononcée après une condamnation par une juridiction », être appliquée de manière rétroactive. Ainsi les personnes condamnées avant la publication de la loi ou faisant l'objet d'une condamnation postérieure à cette date pour des faits commis antérieurement ne pourront faire l'objet d'un placement direct en rétention de sureté à l'issue de leur période de réclusion. Cette hypothèse se trouvait donc reportée à un avenir lointain puisque le champ d'application de la rétention de sûreté vise les personnes condamnées à une peine égale ou supérieure à quinze ans de réclusion criminelle pour assassinat, meurtre, tortures, actes de barbarie, viol, enlèvement, séquestration commis sur un mineur ou pour les mêmes infractions, avec circonstance aggravante, sur une victime majeure. Cette jurisprudence constitutionnelle n'avait pas surpris votre commission des lois ni le rapporteur que j'étais déjà puisque nous avions défendu la même position devant votre assemblée au nom du principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère. En revanche, le Conseil constitutionnel avait admis l'application immédiate de la surveillance de sûreté qui peut déboucher sur la rétention de sûreté.

Le jour même de la promulgation de la loi Rétention de sûreté, le Président de la République invitait le premier président de la Cour de cassation, M. Vincent Lamanda, à présenter « toutes propositions utiles d'adaptation de notre droit pour que les condamnés exécutant actuellement leur peine et présentant les risques les plus grands de récidive puissent se voir appliquer un dispositif tendant à l'amoindrissement de la récidive. » Le rapport Lamanda, remis en mai 2008, suggère de modifier sur certains points la loi du 25 février 2008 afin d'en corriger les lacunes ou les insuffisances mais il comporte également de nombreuses propositions concrètes qui n'emportent pas de traduction législative mais touchent notamment à la prise en charge des délinquants sexuels. Nous souhaiterions, madame Ia ministre, recueillir votre sentiment sur les aspects non législatifs du rapport du président Lamanda.

Prenant acte à la fois de la décision du Conseil constitutionnel et des propositions de nature législative du premier Président de la Cour de cassation, le projet de loi initial déposé par le Gouvernement devant l'Assemblée nationale ne comportait que sept articles dont les principaux pouvaient rencontrer un accord quasi général.

Ainsi, l'article premier consacre dans la loi la réserve d'interprétation du Conseil constitutionnel posant, pour la juridiction régionale de la rétention de sûreté, l'obligation de vérifier que la personne condamnée a bénéficié, pendant l'exécution de sa peine, d'une prise en charge et de soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre.

L'article 2 prévoit que le placement en rétention de sureté, qui doit demeurer l'ultime recours, n'est possible que si un renforcement des obligations dans le cadre de la surveillance de sûreté s'avère insuffisant pour prévenir la récidive criminelle.

L'article 4 permet d'ordonner une surveillance de sûreté dès la libération d'une personne qui avait été incarcérée en raison d'un manquement aux obligations qui lui avaient été fixées et à laquelle toutes ses réductions de peine ont été retirées. L'article 5 prévoit la rétribution de l'avocat des personnes retenues dans un centre socio-médico-judiciaire, s'agissant de décisions prises à leur encontre pour assurer le bon ordre du centre. Toutes ces mesures ne nous auraient pas retenus très longtemps mais le texte a été très largement étoffé à l'Assemblée nationale.

Les députés ont étendu le champ d'application de la surveillance judiciaire et de la surveillance de sûreté par l'extension de un à deux ans de la durée de la surveillance de sûreté, par une réduction de quinze à dix ans du quantum de peine permettant le placement sous surveillance de sûreté et de dix à sept ans pour la surveillance judiciaire. Parallèlement, l'Assemblée nationale a réparé une incohérence de la loi du 20 février 2008, pour tenir compte de la récidive légale.

L'Assemblée a renforcé les dispositions relatives à la prescription de traitements antihormonaux pour les délinquants sexuels. La personne qui refuse ou interrompt un traitement inhibiteur de libido s'exposera à un retrait de son crédit de réduction de peine si elle est détenue, à une incarcération si elle est en milieu ouvert, à une réincarcération si elle est placée en surveillance judiciaire ou à une rétention de sûreté si elle est en surveillance de sureté.

Pour améliorer l'évaluation de la dangerosité des personnes susceptibles d'être placées sous surveillance judiciaire, leur situation sera examinée par le juge de l'exécution des peines et, éventuellement, par le Centre national d'observation. Le signalement par le médecin traitant de l'arrêt ou du refus de traitement devient obligatoire. L'Assemblée nationale a mis en place un nouveau répertoire relatif aux expertises psychiatriques et introduit de nouvelles obligations concernant les fichiers existants. Les députés ont encore défini plus précisément les interdictions de paraître et prévu un dispositif prévenant leur violation. Le prononcé de l'interdiction de rencontrer la victime serait obligatoire à l'encontre des auteurs de crimes sexuels ou violents ; la personne qui violerait l'interdiction pourrait être retenue 24 heures pour présentation à un juge, lequel aurait la possibilité de procéder à sa réincarcération.

L'Assemblée nationale a enfin adopté deux amendements : l'identité et l'adresse des personnes ayant encouru un suivi socio-judiciaire seront communiquées à la police et à la gendarmerie; l'observatoire créé par la loi pénitentiaire publiera dans son rapport annuel des données statistiques relatives à l'exécution réelle des peines.

Si votre commission des lois partage le souhait de renforcer la lutte contre la récidive, elle estime des garanties indispensables. L'abaissement de quinze à dix ans de la durée de la peine de réclusion criminelle permettant une surveillance de sûreté appelle des objections sérieuses, le Conseil constitutionnel ayant, dans sa décision du 21 février 2008, admis la constitutionnalité de la rétention de sûreté dans la mesure où son champ d'application apparaissait en adéquation avec sa finalité. Par la modification du quantum, qui en constitue comme le sas, le champ d'application se trouverait étendu en contradiction avec ces exigences.

M. Robert Badinter.  - C'est évident !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - Le dispositif français comporte d'ailleurs déjà des mécanismes efficaces. La commission a donc maintenu le seuil de quinze années de réclusion criminelle. Elle a confié à la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté le soin de s'assurer de l'effectivité de l'offre de soins pendant la détention et précisé les conditions dans lesquelles l'intéressé pouvait demander la mainlevée d'une décision de surveillance de sûreté. Elle a en outre rappelé que le placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté exigeait une méconnaissance des obligations imposées à la personne faisant apparaître une particulière dangerosité et un risque élevé de récidive.

Votre commission s'est attachée à préciser les conditions de prescription d'un traitement hormonal. Elle a indiqué sans ambiguïté que celle-ci relevait du seul médecin traitant et a tiré les conséquences de cette affirmation unanime du corps médical : le traitement n'est efficace qu'au moment ou à l'approche de la libération du condamné. Elle a supprimé l'obligation pour le médecin traitant de signaler au juge d'application des peines le refus ou la cessation du traitement inhibiteur mais a maintenu le principe d'une information obligatoire du médecin traitant en la soumettant à des conditions très strictes afin de ne pas dissuader les médecins de prendre en charge des injonctions : si le refus intervient contre l'avis du médecin traitant, s'il concerne la totalité du traitement et non le seul traitement hormonal...

M. Nicolas About, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - Très bien !

M. Jean-René Lecerf, rapporteur.  - ...le médecin traitant passera nécessairement par l'intermédiaire du médecin coordonateur afin d'établir une concertation sur la situation née de l'attitude du patient.

Votre commission a également réécrit une partie des dispositions concernant le répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires en réservant notamment l'accès à ce fichier à l'autorité judiciaire. S'agissant du Fijais, elle a maintenu les règles actuelles de fréquence de justification d'adresse, au demeurant déjà rigoureuses, d'autant plus que les modifications introduites par l'Assemblée nationale généraient ou un risque d'inconstitutionnalité ou une complexification considérable de la gestion du fichier par le casier judiciaire.

La commission a cherché à préciser et améliorer l'information des services de police et des unités de gendarmerie sur les adresses des personnes condamnées ainsi que les missions de l'observatoire national chargé de collecter et de traiter des données statistiques sur la récidive. Quelques semaines après l'a publication de la loi pénitentiaire, il serait impensable que les aménagements de peine apparaissent comme des cadeaux consentis aux condamnés.

Nous sommes amenés à voter beaucoup de réformes de la justice, trop disent les magistrats les plus éminents. Encore faut-il veiller à la cohérence de notre code pour qu'il ne ressemble pas à la tapisserie de Pénélope. (Sourires) Le projet doit s'inscrire dans un ensemble dense et complexe dont la loi pénitentiaire n'est que l'élément le plus récent. Ne revenons pas sur ce que nous nous venons de voter et qui n'a pas toujours eu le temps de s'appliquer.

Enfin, je ne puis passer sous silence une des faiblesses essentielles de notre droit : la prise en charge des malades mentaux. La fermeture de lits psychiatriques, la distinction manichéenne entre abolition et altération du discernement amènent en prison bien des personnes qui n'en sortiront que tardivement puisque l'altération du discernement est devenue une circonstance aggravante. Demi-fou, double peine ! Une initiative commune Justice-Santé sur ce lancinant problème apparaît nécessaire. Le profil de la seule personne placée en surveillance de sûreté montre que la question ne peut être absente de notre débat. (Applaudissements à droite, au centre et sur certains bancs socialistes)

M. Nicolas About, rapporteur pour avis de la commission des affaires sociales.  - La volonté de protéger la société contre ceux que l'on considère comme fous est ancienne. La loi des 16 et 24 août 1790 assignait déjà « à la vigilance des corps municipaux le soin d'obvier ou remédier aux événements fâcheux occasionnés par les insensés et les furieux laissés en liberté ainsi que par les animaux malfaisants ou féroces ». L'hospitalisation d'office découle de ce pouvoir de police dans lequel le juge n'intervient pas. La faculté de proposer des soins comme alternative ou complément de peine a été prévue en 1954 pour les alcooliques et en 1958 pour tous les malades. En dix ans, ces dispositifs ont été complétés à quatre reprises par les lois des 17 juin 1998, 12 décembre 2005, 10 août 2007 et 25 février 2008. Celle du 12 décembre 2005 a permis au juge d'ordonner une hospitalisation d'office dans les cas où l'irresponsabilité pénale du malade fait qu'il ne serait pas condamné.

L'intitulé des textes adoptés depuis 1998 reflète les inquiétudes liées aux infractions sexuelles et à la récidive. L'ampleur de la violence faite aux femmes et aux enfants a fait l'objet d'une prise de conscience récente. L'augmentation du nombre d'infractions sexuelles constatées résulte essentiellement de la rupture du silence des victimes. Cette libération de la parole n'est pas achevée : entre 2000 et 2006, le nombre de personnes ayant déclaré avoir été victimes de ce type de violence a doublé tandis que le nombre de plaintes est resté stable. Le renforcement progressif de la législation ne semble pas en avoir amélioré l'efficacité.

La loi de juin 1998, qui a créé le suivi socio-judiciaire et la possibilité d'injonction de soins, est unanimement saluée par les soignants. Si l'expertise psychiatrique le justifie, le juge peut décider qu'à l'issue de la peine, le condamné devra accepter d'être traité ou retourner en prison. Ce dispositif permet de préserver le principe du consentement aux soins tout en imposant une contrainte suffisamment forte pour surmonter le refus, une des principales difficultés rencontrées par les médecins. Il ne s'agit pas simplement de protéger un droit mais d'une nécessité médicale pour obtenir des résultats durables. Ainsi, le médecin peut conduire le condamné à devenir un patient, engagé dans une démarche de soins.

L'injonction de soins permet de commencer le traitement. Chacun est dans son rôle : le juge d'application des peines s'assure du respect de l'injonction, le médecin traitant prescrit la thérapeutique appropriée. Afin de respecter la séparation entre pouvoir judiciaire et médecine, l'interlocuteur du juge est un médecin coordonnateur qui veille au respect par le patient du suivi thérapeutique. Il n'interfère pas avec les prescriptions du médecin traitant et peut seulement refuser que le condamné n'ait recours qu'à un psychologue traitant.

Cette séparation claire entre justice et soins est aujourd'hui remise en cause car on demande à la médecine d'assurer une mission qui n'est pas la sienne : protéger la société. La dangerosité psychiatrique et la dangerosité criminelle ne se confondent pas. (Approbation à gauche)

Un psychiatre peut déterminer le risque d'auto et même d'hétéro-agressivité d'un malade mais ne peut en déduire un risque de commettre un crime ou un délit. La criminologie est une science en devenir : elle a beaucoup de mal à évaluer la dangerosité d'un condamné, et donc le risque de récidive. Le meilleur outil pour cela serait un instrument presque totalement empirique, le tableau actuariel, sorte de barème confrontant des critères liés au condamné et aux faits qui lui sont imputés. C'est dire le degré de fiabilité qu'on peut lui accorder... Est-il légitime de faire compenser par la médecine les incertitudes de la criminologie ? La loi de février 2008 a instauré la rétention de sûreté, c'est-à-dire l'internement des personnes dangereuses dans des établissements de soins. Il y là un grave risque d'amalgame : toute personne dangereuse n'est pas soignable ; la dangerosité n'est pas une pathologie et on ne peut, par exemple, soigner un psychopathe.

La commission des affaires sociales s'est donc saisie des deux articles de ce projet de loi ajoutés par l'Assemblée nationale qui pourraient renforcer la confusion entre justice et soins. Ainsi, le juge pourrait prescrire, voire imposer un traitement appelé par les urologues « castration chimique », inhibiteur de la testostérone et donc, dans une certaine mesure, de la libido. Le terme de castration me paraît impropre, d'autant que les effets du traitement sont réversibles : je préfère parler de traitement antihormonal. En outre, ce texte impose de demander aux experts d'apprécier l'utilité du traitement, dont l'interruption entraînerait un retour en prison ou en rétention de sûreté. Il crée là un cas unique où des conséquences judiciaires sont attachées à une thérapie.

Le traitement antihormonal dispose d'un statut légal particulier : c'est le seul médicament qui figure explicitement dans le code de la santé publique comme pouvant être prescrit. Cette disposition a été introduite dans la loi de 2005 sur la récidive à l'initiative du rapporteur de notre commission des lois, François Zocchetto. A l'époque, les traitements antihormonaux étaient utilisés pour soigner le cancer de la prostate et n'avaient pas d'indication en matière de pathologie mentale. Il fallait donner une base légale à leur utilisation dans ce cadre. Cette exception n'est aujourd'hui plus justifiée.

Il existe désormais trois médicaments pour traiter la « déviance sexuelle », selon les termes de l'annuaire Vidal. Le traitement, pris en charge par la sécurité sociale, a fait ses preuves mais il ne s'agit en aucun cas d'un remède miracle. Il ne peut soigner que 5 à 10 % des délinquants sexuels et, comme il crée une andropause, les effets secondaires sont importants. Un médecin peut donc commencer le traitement puis le modifier, l'interrompre ou l'abandonner tout en continuant les soins. Le malade doit-il pour autant retourner en prison ?

Surtout, il ne s'agit pas d'un traitement pour condamnés dangereux. Les médecins peuvent le prescrire à des personnes qui souffrent de pulsions envahissantes, mais beaucoup d'entre elles ne passent jamais à l'acte. En faire une obligation légale, c'est laisser entendre que la médecine a les moyens d'empêcher les délinquants sexuels de récidiver.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Il est important de le dire.

M. Nicolas About, rapporteur pour avis.  - C'est dangereux : tout échec serait alors considéré comme un échec de la médecine.

Le texte adopté par la commission des lois a, grâce à l'excellent travail du rapporteur, apporté de nombreuses clarifications pour réduire la confusion entre le rôle du juge et celui du médecin et pour préserver le secret médical. Toutefois, la commission des affaires sociales souhaite aller plus loin en supprimant toute référence au traitement antihormonal et en mettant fin à l'exception dont il fait l'objet dans le code de la santé publique. Le médecin doit pouvoir prescrire le meilleur traitement, sans autre contrainte que la volonté de suivre son patient. C'est à cette condition que justice et santé pourront oeuvrer sans ambiguïté pour le soin et la protection des personnes. (Applaudissements au centre, sur plusieurs bancs à droite et sur plusieurs bancs socialistes)

M. Jean Louis Masson.  - Nous examinons régulièrement des projets de loi ayant trait à la police ou à la justice. Ce caractère répétitif est particulièrement flagrant alors que sont présentés, à la veille d'une échéance électorale, un texte contenant des mesures pénales au Sénat et un autre contenant des mesures de police à l'Assemblée nationale. Ces sujets sont importants et pertinents, mais ne serait-il pas plus judicieux de les aborder dans le cadre d'un grand projet visant à modifier le code pénal et à régler les problèmes de police ? Le Gouvernement veut donner l'impression qu'il s'occupe de ces questions mais il ne prend pas de réelles mesures pour les résoudre. Elles méritent pourtant qu'on y travaille dans une plus grande sérénité.

A chaque fait divers, le Gouvernement réagit par un projet de loi : ce n'est pas de bonne méthode. Nous ne savons plus où nous en sommes, tant les modifications du droit sont incessantes. Il serait temps d'adopter une démarche plus cohérente.

Je déplore vivement que le Gouvernement ait recours à la procédure accélérée sur un sujet ayant une telle dimension morale. C'est tout bonnement inacceptable.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très juste !

M. Jean Louis Masson.  - Quelle mouche a donc piqué le Gouvernement ? S'il était aussi urgent d'agir, que ne l'a-t-il fait depuis 2007 ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - Bonne question !

M. Jean Louis Masson.  - Le traitement subi par le Parlement est intolérable. A l'Assemblée nationale, les ministres recourent systématiquement au vote bloqué : les scrutins sont regroupés le mardi et le reste de la semaine, l'hémicycle est vide. Ici même, le Gouvernement use du vote bloqué (M. Nicolas About, rapporteur pour avis, le conteste) et de la procédure accélérée. C'est indécent ! C'est se moquer du Parlement ; sur des sujets de société, c'est incohérent. Il s'agit d'un dévoiement de la procédure parlementaire !

M. Nicolas About, rapporteur pour avis.  - C'est dans la logique de la révision constitutionnelle.

M. Jean Louis Masson.  - Je ne suis pas hostile au contenu de ce projet de loi, qu'il s'agisse de la rétention, des autres mesures de sûreté ou de surveillance, mais je m'élève contre la procédure retenue. Ne nous étonnons pas si des incidents se produisent, comme c'est arrivé il y a quelque temps lorsqu'un de nos collègues s'est trompé d'urne en votant ! (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s'amuse) Il serait temps pour le Gouvernement de changer de méthode !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le Gouvernement, en effet, donne le vertige au législateur. C'est la quatrième fois depuis 2005 qu'il nous soumet un texte sur la récidive criminelle, toujours selon la procédure d'urgence devenue procédure accélérée. Pourquoi ? Les lois précédentes sont-elles caduques, insuffisantes ou mal appliquées ? Le Gouvernement a affirmé devant les députés que ce projet de loi répondait à une attente de l'opinion publique, comme ses prédécesseurs l'avaient fait en 2005, 2007 et 2008.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Eh oui !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous sommes tous d'accord pour dire que certains crimes sont odieux, qu'ils nous conduisent à nous interroger sur les comportements humains, la capacité de la société à y réagir convenablement, celle des pouvoirs publics à appliquer la loi. Mais répondre à l'émotion par une nouvelle loi, c'est laisser croire que la loi aurait pu à elle seule empêcher le crime. Le législateur ne doit pas l'accepter.

Les effets de la loi pénale sur les criminels dangereux ne peuvent être immédiats : la menace n'empêche pas le crime. C'est pourquoi il est impossible d'évaluer dès aujourd'hui les résultats des lois votées depuis 2005. On sait d'ailleurs que l'évolution de la délinquance et de la criminalité est multifactorielle et que son lien avec la loi pénale est très difficile à établir.

La loi du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs a instauré le suivi socio-judiciaire après la sortie de prison et rendu possible l'injonction de soins. Il est encore impossible d'en mesurer les effets sur les criminels lourdement condamnés après 1998. Cela n'a pas empêché le législateur de voter la loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, qui a créé la surveillance judiciaire des personnes dangereuses, la surveillance électronique mobile et le Fichier judiciaire national automatisé des auteurs d'infractions sexuelles (Fijais). Selon le rapport de la commission des lois, la surveillance judiciaire est peu appliquée. La loi du 10 août 2007 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs a instauré des peines plancher et le suivi médical et psychiatrique des personnes condamnées, notamment pour des infractions de nature sexuelle. Elle a rendu obligatoire l'injonction de soins alors que tous les délinquants sexuels ne sont pas susceptibles de traitement, comme l'indique la commission des affaires sociales. Vous signalez, madame la garde des sceaux, 14 000 condamnations de récidivistes à des peines égales à la peine plancher, sans qu'il soit possible de savoir à quelle peine ils auraient été condamnés à défaut. Là encore, quel recul pouvons-nous avoir ? La loi du 25 février 2008 a instauré la surveillance et la rétention de sûreté : le Gouvernement voulait ainsi montrer qu'il mettait la population à l'abri de récidivistes dangereux. Nous avons combattu, à l'époque, ce texte qui permet d'enfermer des gens sans qu'ils aient commis de nouvelles infractions au nom de leur dangerosité supposée : mesure inconcevable dans notre droit, que le Gouvernement voulait de surcroît rendre rétroactif. Le Conseil constitutionnel ayant censuré cette disposition, il a fallu revoir la loi.

Le meurtre horrible de Marie-Christine Hodeau a été l'occasion de mettre à l'ordre du jour ce nouveau projet de loi, sans que l'on se soit interrogé sur l'application des précédents textes. Or la population carcérale a doublé en moins de trente ans ; les peines de sûreté et les peines plancher ont augmenté la durée de détention et, faute de personnel, on n'emploie plus ce temps pour soigner et réinsérer. Francis Evrard a été enfermé sans soins pendant trente deux ans ! La récente loi pénitentiaire, hélas, n'y changera rien.

Malgré le caractère toujours plus répressif de notre droit pénal, la société est de plus en plus violente. Aux États-Unis, où les détenus sont proportionnellement dix fois plus nombreux qu'en France et où la peine de mort existe toujours, il y a trois fois plus d'homicides. La politique d'élimination, qui réduit le délinquant à son acte et lui conteste toute capacité d'évolution, a montré son inefficacité ; pourtant, la rétention de sûreté pousse cette logique à l'extrême. On criminalise la maladie mentale et l'on confond soins et sanctions. De nombreux psychiatres refusent cette politique qui fait de la psychiatrie la gardienne de l'ordre social, en contradiction avec les finalités des soins, le temps et l'individualisation qui leur est nécessaire : M. le rapporteur pour avis l'a bien noté. La circulaire signée, le 11 janvier, par Mme Bachelot et M. Hortefeux a renforcé leur inquiétude : désormais il appartiendrait aux préfets de départements ou, à Paris, au préfet de police de décider des sorties d'essai d'hospitalisation d'office selon le seul critère du risque de trouble à l'ordre public, ce qui fait fi des considérations sanitaires.

Cette dérive est dangereuse. C'est faire croire à l'opinion publique que le risque zéro est possible et que la relégation de certaines personnes obéit au principe de précaution. C'est une illusion, et il est grave de fonder une politique sur une illusion. Comme le disait M. Lamanda, « une société totalement délivrée du risque de la récidive criminelle, sauf à sombrer dans les dérives totalitaires, ne serait plus une société humaine ». Il n'y a pas, dans cet hémicycle, ceux qui auraient le souci des victimes et ceux qui prendraient le parti des agresseurs. La souffrance des victimes est insupportable et l'empathie à leur égard naturelle. Oui, il faut répondre à leur souffrance. Mais le rôle de la justice, c'est de juger l'accusé pour ce qu'il a fait, d'apaiser les victimes et de les indemniser s'il y a lieu ; c'est de rendre un jugement équitable et non de venger. C'est pourquoi l'instrumentalisation politique de la souffrance est insupportable.

Le législateur doit dire : « Assez ! ». Il faut arrêter de légiférer dans l'urgence sans évaluer les effets des lois précédentes. Le président Lamanda, sollicité après la censure partielle de la loi de 2008, a formulé 23 recommandations fort intéressantes, qui concernent surtout l'application des lois : développer la recherche en criminologie, instaurer une gradation des mesures de surveillance judiciaire, renforcer les effectifs et les moyens de l'administration pénitentiaire et des services psychiatriques. Mais le Gouvernement préfère l'affichage. Le débat sur ce texte à l'Assemblée nationale a autorisé tous les débordements. On voudrait que les juges de l'application des peines informent les maires de l'installation dans leur commune de certains condamnés ! Pourquoi ne pas publier la liste sur internet, comme cela s'est fait aux États-Unis ? On voudrait autoriser une garde à vue de 96 heures en cas de séquestration ou d'enlèvement et rendre imprescriptibles les crimes de pédophilie. Comme en 2008, les députés ont méthodiquement aggravé les dispositions du projet de loi ; ils ont notamment autorisé la castration chimique, cette mesure d'affichage. Au bout du compte, ce texte comprend des dispositions extrêmement graves qui outrepassent même la logique de la rétention de sûreté, qui devrait être réservée aux infractions les plus graves.

Les députés avaient prévu d'abaisser de quinze à dix ans le quantum de peine pour la surveillance de sûreté : in fine, avec la tendance à l'allongement des peines, la rétention de sûreté se banalisera.

Je sais gré à nos rapporteurs d'avoir écarté un certain nombre de dispositions de l'Assemblée, encadré certains dispositifs, supprimé des incohérences. Reste que ce projet s'inscrit dans une spirale répressive : extension de la rétention de sûreté, surveillance, fichage... Autant de mesures qui, pour être souvent inapplicables, n'en sont pas moins dangereuses ! Le traitement est avant tout considéré comme une sanction : le traitement anti-libido aurait ainsi été prescrit par le juge !

La commission a refusé nos amendements qui visaient à prendre en considération les recommandations du président Lamanda avant toute nouvelle législation, mais a admis que le débat était nécessaire. C'est pourquoi nous défendrons la question préalable.

Nous avons soulevé ces points, en vain, lors d'autres débats, notamment sur la loi pénitentiaire. Permettez-moi d'être sceptique, quand le budget de la justice pour 2010 est loin de répondre aux besoins, sinon pour financer de nouvelles places de prison... Plutôt que des lois votées à la va-vite, il faut des moyens. C'est ainsi qu'au Canada, un délinquant sexuel sur deux peut être considéré comme guéri ! Or l'offre de psychiatrie en prison est calamiteuse...

Certes, il faut protéger la société. Aggravation des peines, mise à l'écart, enfermement : vous persévérez dans cette logique sans fin. Qu'inventerez-vous au prochain drame ? En démocratie, la fin ne justifie pas les moyens. Nous ne voterons pas ce texte : cela suffit. (Applaudissements à gauche)

M. Alain Anziani.  - Voici la quatrième loi sur la récidive en quatre ans et demi, la deuxième en deux ans... Quelle impérieuse raison vous conduit à faire et à défaire ainsi la loi ? Vous aviez commis l'erreur de rendre votre dernière loi rétroactive. Face à la censure constitutionnelle, vous auriez pu vous contenter d'un texte de rattrapage « technique », tenant compte des réflexions du Premier président de la Cour de cassation. Ce choix initial n'a pas résisté à l'émotion provoquée par le meurtre de Milly-la-Forêt et au déferlement de la majorité à l'Assemblée nationale, où l'on entendit Mme Morano accuser les socialistes de se ranger du côté des assassins !

Le Sénat fait preuve de plus de modération. Commission des lois et commission des affaires sociales ont éliminé les aspects les plus redoutables. Je leur en donne acte, mais ce texte demeure inacceptable.

Son inspiration est simple : rassurer l'opinion, car l'opinion a peur. Le législateur ferait mieux de se demander si l'opinion a toujours raison ! Y a-t-il plus de délinquance et de récidive aujourd'hui qu'hier ? Ou la délinquance est-elle mieux connue, plus médiatisée ? Il est ardu de trouver des statistiques en la matière. Selon le rapport Lamanda, il y avait deux fois moins d'assassinats ou de viols sur mineurs à la fin des années 80 qu'un siècle plus tôt. Les viols ont fortement augmenté entre 1976 et 1998, puis décru, sauf sur les mineurs. En 2005, le taux de récidive était de moins de 3 % chez les personnes condamnées pour assassinat, un peu plus pour les délinquants sexuels. M. Lecerf note pour sa part un taux de réitération de 1,8 % pour les viols, de 5,3 % pour les affaires de moeurs. Le rapport Zocchetto donnait pour 2005 un taux moyen de récidive de 2,6 % pour les crimes et de 6,6 % pour les délits, avec de fortes disparités selon la nature de l'infraction. Le professeur Tournier distingue à juste titre la récidive au sens légal de la re-condamnation pour des délits différents.

Il est irrationnel de légiférer si souvent en disposant de si peu de données ! Ces chiffres ne permettent pas de constater une aggravation de la délinquance, non plus que de la récidive.

Quelle est la meilleure voie pour prévenir la récidive ? Votre réponse est de distinguer sanction et responsabilité. Lors de l'examen de la loi pénitentiaire, nous nous sommes interrogés sur le sens de la peine : pour nous tous, le rôle de la prison devait être de prévenir la récidive. Un an plus tard, nous n'avons guère progressé... Il aurait fallu évaluer les actions menées en matière d'éducation, de soins, de conditions de détention pour préparer la sortie de prison. Or vous préférez interdire définitivement cette sortie. L'idée n'est pas nouvelle : c'est la relégation de 1885 ! Une fois sa peine purgée, le détenu était envoyé dans les colonies ; aujourd'hui, il fera l'objet d'une rétention de sûreté. Seul le vocabulaire a évolué : la « présomption irréfragable d'incorrigibilité » est devenue la « dangerosité ».

La privation de liberté doit sanctionner une infraction : c'est un principe fondamental. Avec la rétention de sûreté, elle pourra désormais sanctionner ce qui pourrait être fait. Certains disent que la rétention de sûreté n'est pas une sanction -ce n'est pas l'avis de celui qui la subit ! La CEDH n'a d'ailleurs toujours pas rendu son arbitrage... J'ai à l'esprit l'arrêt du 17 décembre 2009.

Votre deuxième réponse, cette fois pour les délinquants sexuels, est la castration chimique, présentée comme la panacée contre la récidive. N'entretenons pas cette chimère : les traitements anti-libido rassurent l'opinion mais ne peuvent pas grand-chose si le patient est traité contre son gré ! La commission a heureusement remis de l'ordre dans les rôles de chacun : juge, expert, médecin.

Votre troisième solution ? Un nouveau fichier, qui s'ajoute aux 70 fichiers de police existants !

Nous en aurons donc un soixante-et-onzième, qui inquiète la Cnil et est jugé inutile par les magistrats. Dernière arme de votre arsenal, la défiance envers ces derniers, dont la latitude pour individualiser les peines est sans cesse rognée.

Chaque crime en état de récidive est une tragédie pour les victimes et un échec pour la société. Mais la législation d'émotion et la surenchère ne régleront rien. Nous pourrions reprendre à propos de la rétention de sûreté ce que Clémenceau, en 1885, disait de la relégation : « vous n'aurez rien fait que d'éloigner le condamné de notre vue ; le problème sera demeuré le même, vous aurez dépensé des sommes énormes, vous aurez soustrait les criminels à la vue de la vieille Europe mais vous n'aurez fait ni réforme sociale, ni réforme pénale, ni réforme criminelle. Vous aurez recouru à un misérable expédient pour masquer le crime mais vous l'aurez maintenu, que dis-je ? Vous l'aurez créé vous-mêmes plus abominable que vous le connaissez ici. » (Applaudissements à gauche)

M. Jacques Mézard.  - Neutraliser les criminels ne saurait suffire à fonder une politique pénale. Pour nous, il convient tout à la fois de réduire le risque de récidive et d'endiguer la vague sécuritaire ; nous ne sommes pas de ceux qui considèrent que la rétention de sûreté est un progrès, pas plus que les peines plancher. Loi du 12 décembre 2005 relative au traitement de la récidive des infractions pénales, loi du 5 mars 2007 sur la prévention de la délinquance, loi du 25 février 2008 renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et maintenant projet de loi de février 2010 intitulé « Amoindrir le risque de récidive criminelle » : traiter, renforcer, amoindrir, où est la cohérence de cette cascade, je devrais dire cette récidive législative, encore aggravée par l'utilisation de la procédure accélérée ? Nous avons là une récidive réitérée en dépit des injonctions ! Il faut noter que le verbe « amoindrir » est celui qu'a utilisé le Président de la République le 25 février 2008 dans son courrier missionnant M. Lamanda, quatre jours après la décision du Conseil constitutionnel censurant deux dispositions de la loi sur la rétention...

Selon le rapporteur, dont je salue le travail, le sens de l'humain et la capacité à amoindrir les excès de la majorité des députés, le rapport Lamanda suggérait de modifier sur certains points la loi de février 2008, d'en corriger les lacunes ou les insuffisances. C'est dire la difficulté de faire des lois qui doivent tout à l'affichage. Nous déplorons une fois de plus la réaction législative à des faits divers qui suscitent à juste titre l'indignation et l'exaspération de l'opinion ; mais ni les discours sécuritaires ni les lois sécuritaires ne résoudront la question, nous le savons tous. Ceux qui, il ya trente ans, s'opposaient à la suppression de la peine capitale au motif qu'on verrait les crimes de sang se multiplier ont égaré sciemment l'opinion ; ceux qui, aujourd'hui, soutiennent que l'alourdissement des peines freinera la récidive l'égarent tout autant.

Ces lois témoignent d'une certaine défiance vis-à-vis des magistrats qui ne feraient pas preuve de suffisamment de sévérité. On n'a cessé d'encadrer leur pouvoir d'appréciation. Pour les gardes à vue, ne vous méfiez pas des avocats ! Pour les sanctions, ne vous méfiez pas des magistrats ! Quel triste constat, sinon, pour l'image de notre justice !

Le texte issu de l'Assemblée nationale est inquiétant. C'est avec un grand sens de la mesure et de la diplomatie que le rapporteur estime que certaines orientations « soulèvent des difficultés juridiques et pratiques ». Qu'hommage lui soit pour cela rendu ! Nous savons tous qu'il ne faut pas considérer la récidive comme un problème général que la sanction résoudrait parce qu'elle prend des formes très diverses. Raison pour laquelle l'individualisation de la peine est indispensable. Nous savons tous aussi que le problème de l'irresponsabilité pénale pour maladie mentale n'est pas réglé -l'ancien article 64 a-t-il vraiment été amélioré ? Nous savons tous que le meilleur moyen d'éviter la récidive est la préparation de la sortie du détenu, d'autant plus que l'incarcération a été plus longue. Le danger de la sortie, c'est aussi la solitude.

Protéger les victimes, éviter la récidive : voilà des objectifs que nous partageons sans aucun angélisme. La société doit se protéger. Lors des débats sur la loi pénitentiaire, le rapporteur avait noté que les taux de récidive étaient différents selon le type d'établissement. Il est regrettable que le texte ne soit pas accompagné d'une étude d'impact, notamment sur les traitements hormonaux. Toute récidive est une récidive de trop ; mais il faut regarder les chiffres au-delà de l'affichage et du sensationnel : le taux de récidive est en moyenne de 2,5 % pour les crimes -c'est trop- et de 6,5 % pour les délits -encore note-t-on des différences importantes selon le type de délinquance. Marteler l'opinion avec la récidive criminelle, ce n'est pas une politique pénale, c'est une politique à usage médiatique, pour ne pas dire électoral. Ne pas tenir compte du rapport de la commission de suivi, où on lisait que « l'essence de la peine est d'être aménagée », c'est refuser l'efficacité.

Oui, la récidive baisse lorsqu'il y a libération conditionnelle ; oui, elle baisse avec les peines alternatives à l'emprisonnement ; oui, elle baisse en fonction des conditions de détention ; oui, elle baisse grâce au suivi socio-judiciaire. La surpopulation carcérale, l'absence de préparation à la sortie sont facteurs de récidive. « Il faut en finir avec les sorties sèches » disait justement M. Yves Détraigne lors du débat du 5 juillet 2007. Les analyses contenues dans le rapport de M. Jean-René Lecerf et dans l'avis admirable de M. Nicolas About sont pertinentes, humaines et correspondent aux réalités du terrain -mais pas aux lois successives. Avant toute évaluation des lois précédentes, l'Assemblée nationale a porté d'un à deux ans renouvelables la durée de la surveillance de sûreté, abaissé de quinze à dix ans le quantum de peine permettant cette même surveillance et de dix à sept ans le seuil de peine pour le placement sous surveillance judiciaire, le tout assorti d'un nouveau répertoire relatif aux expertises psychiatriques et de nouvelles obligations pour les fichiers existants. Je vous remercie, madame la garde des sceaux, des propos pertinents et indispensables que vous avez tenus lors d'un récent fait divers.

Nous considérons que les dispositions existantes permettaient pour une bonne part de répondre aux objectifs de la lutte contre la récidive. Le problème est qu'il manque toujours les moyens ; il faut en dégager pour appliquer la loi pénitentiaire. Le rapport relève l'absence de structures adaptées, en contradiction avec l'article 763-7, et le manque de moyens dans les structures existantes ; la pénurie de psychiatres, le faible nombre de spécialistes formés à la prise en charge thérapeutique de la délinquance sexuelle et de médecins traitants, le fait que 40 TGI et 17 départements sont dépourvus de médecins coordonnateurs.

Je salue à nouveau la sagesse de la commission des lois, qui a réservé à l'autorité judiciaire le répertoire des données à caractère personnel et n'en a pas rajouté pour le fichier des infractions sexuelles. Il était temps d'affirmer que le traitement anti-libido ne peut être prescrit que par le médecin traitant, en supprimant l'obligation faite à ce dernier d'informer le JAP du refus ou de l'interruption du traitement. Nous savons gré au président About d'avoir rappelé que soigner n'est pas la même chose qu'empêcher de nuire (M. Jean-Pierre Sueur le confirme), qu'une attention disproportionnée était accordée aux traitements hormonaux et que la médecine ne saurait être instrumentalisée à des fins de défense sociale. « Dans toute maison où je serai appelé, je n'entrerai que pour le bien du malade » dit le serment d'Hippocrate. Le juge ne doit pas prescrire, le médecin ne doit pas juger. (M. Jean-Pierre Sueur approuve)

La criminalité est l'une des expressions de la nature humaine et de sa complexité, notait M. Serge Portelli dans son livre Récidivistes ; cette complexité est incompatible avec « les solutions toute faites, toutes plus régressives les unes que les autres, qui font le bonheur des bateleurs de foire et le succès des démagogues. » Une pause dans la frénésie législative sécuritaire, des moyens pour préparer la sortie, l'amélioration de notre système de libération conditionnelle : voilà la meilleure injonction de soins pour la tranquillité des citoyens, la réinsertion des délinquants, pour la justice tout simplement. (Applaudissements sur les bancs socialistes et du RDSE)

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.  - Ce projet de loi touche un sujet particulièrement grave. Comme l'a dit Mme le ministre d'État : « Première des libertés, la sécurité est la condition de toutes les autres ». Vivre en sécurité dans notre société est en effet un droit légitime et les parlementaires doivent le garantir. Les peines d'emprisonnement constituent la première réponse aux actes criminels les plus graves. Cependant, elles se révèlent parfois insuffisantes pour protéger efficacement notre société. L'actualité nous rappelle régulièrement les drames dus à la récidive. A ceux qui nous accuseraient de ne réagir que sous le coup de l'émotion, je rétorque que ce texte répond à l'attente des Français. En outre, plusieurs de nos voisins européens ont déjà entrepris cette évolution législative.

Certes, les taux de récidive en matière criminelle sont faibles : 0,5 % pour les homicides et 1 % pour les auteurs d'agressions sexuelles sur mineurs. Néanmoins, il est de notre responsabilité de mieux protéger ces victimes d'actes d'autant plus insupportables qu'ils sont commis en récidive de crimes d'une particulière gravité.

La loi du 10 août 2007, qui a institué des peines plancher à l'égard des multirécidivistes, et la loi du 25 février 2008 sur la rétention de sûreté ont déjà apporté de nombreuses réponses. Cependant, sur la base du principe de non-rétroactivité de la loi, le Conseil constitutionnel a censuré plusieurs dispositions essentielles de la loi du 25 février 2008. Les propositions du rapport de M. Lamanda, Premier président de la Cour de cassation, et qui figurent dans ce texte, vont permettre de remédier à ces difficultés techniques. En outre, il convient d'aller plus loin : face à l'évolution de la délinquance et de la criminalité, nous devons nous adapter en permanence, comme vous le faites d'ailleurs, madame le ministre d'État, ce dont les membres du groupe UMP se réjouissent.

J'en viens aux six apports essentiels de ce projet de loi. Tout d'abord, au-delà des dispositions censurées par le Conseil constitutionnel, ce texte pallie certaines lacunes sur la rétention de sûreté qui pourra désormais s'appliquer aux crimes de meurtre, torture ou actes de barbarie, viol, enlèvement ou séquestration commis en état de récidive légale contre des personnes majeures, ce qui n'était pas le cas auparavant. De plus, il permet aux forces de l'ordre de connaître l'identité et l'adresse des condamnés à une peine de cinq ans d'emprisonnement lorsque leur détention prend fin, ce qui garantit la tranquillité des victimes. En outre, il accroît la sanction si un condamné ne respecte pas l'interdiction d'entrer en contact avec sa victime. Jusqu'à présent, la violation de cette interdiction ne constituant pas une infraction, les forces de l'ordre ne pouvaient pas placer la personne en garde à vue, même dans l'attente de sa présentation au juge d'application des peines pour décider de sa réincarcération. Pour pallier ce vide juridique, il est instauré une mesure de rétention pendant 24 heures qui garantit les mêmes droits au condamné que ceux de la garde à vue.

En second lieu, le texte définit une politique de prévention de la récidive. Le législateur doit en effet réprimer les actes de délinquance, mais aussi les prévenir. Or, la meilleure prévention de la récidive, c'est la réinsertion. Seulement, nous ne pouvons nous montrer laxistes à l'égard des criminels qui présentent les risques les plus graves de récidive. Là aussi, le pragmatisme doit nous guider : la culpabilité appelle une peine, la dangerosité une mesure de sûreté.

Troisièmement, ce texte protège les criminels d'eux-mêmes. En réduisant la dangerosité des criminels, nous protégeons nos concitoyens mais nous les protégeons aussi d'eux-mêmes. Le renforcement de leur suivi ne saurait donc être que judiciaire : il doit être aussi médical et psychiatrique. Le projet de loi prévoit ainsi, conformément à la décision du Conseil constitutionnel, que tout placement en rétention de sûreté sera conditionné au préalable à une prise en charge médicale, sociale ou psychologique de l'intéressé pendant sa détention.

Quatrième axe majeur, le projet de loi garantit, à l'initiative des députés, le suivi des criminels en dehors de la prison. Le placement sous surveillance de sûreté pourra intervenir soit à l'issue d'une surveillance judiciaire, soit à la sortie de prison. En outre, des mesures de contrôle pourront être mises en place à l'égard de personnes remises en liberté dans l'attente d'une procédure de révision.

En cinquième lieu, ce texte améliore l'information des magistrats et des équipes médicales. L'organisation de notre système judiciaire et médical ne permet pas de rendre compte suffisamment de la dangerosité des criminels. Ainsi, jusqu'à ce jour, les expertises réalisées pendant l'instruction n'étaient pas transmises aux équipes médicales qui soignaient le condamné en détention. Ce cloisonnement et l'absence de centralisation des données ont parfois contribué à ce que certaines décisions judiciaires soient prises sans que le juge dispose des informations suffisantes pour évaluer la dangerosité d'un criminel. C'est pourquoi la création du répertoire des données à caractère personnel collectées dans le cadre des procédures judiciaires va dans le bon sens. Regroupant les diverses expertises et examens, il facilitera la prise de décision sur la dangerosité des personnes condamnées. Pour favoriser une meilleure information des forces de l'ordre, le texte renforce les obligations de l'inscription au fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles. Les personnes qui y sont inscrites devront ainsi justifier de leur adresse tous les six mois, voire même tous les trois mois pour les plus dangereuses.

Enfin, ce projet de loi renforce l'incitation au traitement inhibiteur de libido. La référence dans le code de la santé publique à ce traitement est une nouveauté majeure qui permettra de mieux lutter contre la récidive.

Le droit à la sécurité est tout aussi important que le respect des libertés individuelles : l'un ne va pas sans l'autre. Si ce texte a pour objectif principal de mieux protéger les victimes, nous ne saurions bafouer les droits fondamentaux des condamnés. Je tiens à rendre hommage à l'excellent travail de notre rapporteur qui a su trouver un subtil équilibre entre respect du secret professionnel et décloisonnement des relations entre le corps médical et les services judiciaires. Ainsi, il est prévu que lorsqu'un condamné refusera ou interrompra un traitement proposé dans le cadre d'une injonction de soins, son médecin traitant devra en informer le médecin coordonateur. Cette mesure permettra de mieux lutter contre la récidive. Notre commission, guidée par la recherche d'un équilibre entre respect des libertés individuelles et nécessité de prévenir la récidive, a apporté des modifications essentielles. Ainsi, le texte de la commission prévoit la faculté de mainlevée de la surveillance de sûreté dont la durée a été portée de un à deux ans par l'Assemblée nationale. Nous nous félicitons, en outre, que le seuil de la peine requis pour l'application de la surveillance de sûreté ait été rétabli à quinze ans.

En respectant l'avis du Conseil constitutionnel, le Sénat est bien dans son rôle de garant des libertés. Le groupe UMP votera donc ce projet de loi. (Applaudissements à droite)

M. Yves Détraigne.  - La discussion de ce texte était attendue depuis que le Conseil constitutionnel avait censuré une partie des dispositions de la loi relative à la rétention de sûreté et que le Président de la République avait chargé le Premier président de la Cour de cassation de lui faire des propositions en vue de prévenir la récidive criminelle.

Cela dit, le texte que nous examinons aujourd'hui n'est plus tout à fait celui qui avait été déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 5 novembre 2008 et qui ne comportait que quelques articles destinés à tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel et des propositions du rapport Lamanda.

A la suite d'une affaire tragique et largement médiatisée, mettant en cause un récidiviste, le Gouvernement a soudainement déclaré l'urgence alors que le texte était déjà déposé depuis onze mois sur le bureau de l'Assemblée et de nouvelles dispositions, destinées à rassurer l'opinion, ont été ajoutées au cours du débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale.

Nous voilà donc, à nouveau, devant ce que l'on appelle parfois la « législation d'émotion », c'est-à-dire devant un texte dont on se demande si l'objectif principal n'est pas tant d'améliorer et de rendre plus efficace notre arsenal juridique que d'apaiser l'émotion populaire. Car enfin, nous examinons aujourd'hui le quatrième texte sur la récidive en à peine quatre ans, sans compter les textes sur la sécurité intérieure qui ne cessent de se multiplier.

En 2005 déjà, à la suite d'un rapport d'information de la commission des lois de l'Assemblée sur le traitement de la récidive des infractions pénales, les députés Pascal Clément et Gérard Léonard déposaient une proposition de loi ayant pour objectif de « placer la lutte contre la récidive au coeur de la politique pénale » en réprimant plus sévèrement les récidivistes et en prévenant plus efficacement la récidive grâce à un meilleur suivi des condamnés les plus dangereux. A l'époque déjà, les sénateurs centristes s'inquiétaient qu'on veuille compléter le dispositif existant en matière de lutte contre la récidive sans s'interroger d'abord sur la manière dont étaient mises en oeuvre les dispositions du code pénal.

A l'époque déjà, nous souhaitions qu'il soit d'abord remédié au tiers des peines de prison qui étaient prononcées sans être exécutées, nous demandions qu'aucune remise de peine ne soit plus accordée sans prise en compte de la dangerosité du prisonnier, nous demandions plus de moyens pour le suivi et la réinsertion des détenus. Nous nous inquiétions aussi de ce que 3 000 postes étaient vacants en prison pour le suivi psychiatrique des détenus et de ce que les 26 services médicaux spécialisés étaient en nombre insuffisant pour 190 établissements pénitentiaires, dont ils ne suivaient de fait qu'à peine 40 % des détenus.

Qu'en est-il aujourd'hui ?

Dix ans après la création du suivi socio-judiciaire, 40 tribunaux n'ont toujours pas de médecins coordonnateurs, ce qui rend le dispositif inapplicable et la première des unités hospitalières spécialement aménagées (UHSA) ouvrira dans un mois, alors que la loi les a créées en 2002 pour la prise en charge psychiatrique en détention des criminels et délinquants sexuellement dangereux. La réduction des budgets est telle qu'on ne peut même pas payer correctement les expertises demandées.

Alors qu'un hebdomadaire rappelait, ce matin, que nous avons voté 23 lois depuis 2002 pour durcir le code pénal en créant chaque fois de nouveaux délits, il est temps de se demander si la priorité n'est pas d'améliorer les conditions de suivi en prison et à la sortie de prison, plutôt que d'ajouter une loi de plus. Car si le rôle de la prison est de punir, sa mission est aussi de préparer la réinsertion sociale des détenus. Et si l'on peut limiter le risque de récidive, il faut reconnaître qu'il ne saurait être parfaitement nul !

Nous savons que nos finances publiques ne permettent pas de tout faire, mais prenons garde que ce texte ne soit pas un cache-misère !

Cependant, je tiens à féliciter notre rapporteur, qui a su dépasser le registre émotionnel, échapper à la surenchère. Nous approuvons les amendements de la commission, qui reviennent sur les mesures plus dures adoptées par l'Assemblée nationale et qui placent le médecin au coeur des prescriptions et du suivi médical.

Sous réserve que cet équilibre trouvé en commission soit maintenu, le groupe de l'Union centriste, dans sa majorité, votera ce texte et nous souhaitons que le code pénal ne soit plus modifié avant que ses dispositions actuelles ne soient appliquées ! (Applaudissements au centre, sur de nombreux bancs à droite et sur quelques bancs socialistes et RDSE)

Mme Virginie Klès.  - Si seulement il était possible de parler de sécurité avec sérénité et lucidité, de s'y fixer des objectifs durables plutôt que de se laisser dicter ses positions par ses émotions, par ses visées électoralistes ! Mais voilà : plutôt que d'utiliser la loi et les techniques modernes pour servir les principes de la République et la société, le Gouvernement cède à un véritable emballement législatif et technologique, sans se poser la question du pourquoi ni du comment ! Le Gouvernement confond les besoins et les envies, il fait de la loi et des technologies des objets de consommation, dont il use avec frénésie ! Les gadgets plaisent, c'est l'époque, mais il est grave de voir les décideurs céder ainsi à la mode, sous pression médiatique ! Que les victimes soient prises par l'émotion, c'est humain, mais le rôle du Gouvernement, c'est de défendre l'intérêt général !

Ce texte est liberticide, mensonger et inefficace. Liberticide parce qu'il punit l'intention, voire l'intention probable, parce qu'il instaure des fichiers inutiles et sans rien prescrire pour leur utilisation et parce qu'il entretient une confusion grave entre les malades mentaux et les délinquants.

Il est mensonger parce qu'il figure que l'homme est binaire, comme un robot, pas même un animal, parce qu'il fait mine de croire que l'homme pourrait se réduire à une somme d'hormones et qu'il suffirait de contrôler ces hormones pour maîtriser les pulsions. Mais l'être humain dispose d'un cerveau, d'émotions, d'intelligence, c'est ce qui le distingue d'un robot, ce qui rend possible sa responsabilité, au lieu que tout soit décidé par la génétique et les hormones ! Comment laisser croire qu'un traitement chimique, qu'une simple injection d'hormones pourrait dicter le comportement humain ? Si la chimie peut aider, c'est dans des cas très précis et dans un cadre thérapeutique déterminé : les cachets ne sont pas la potion magique d'Astérix !

Ce texte est mensonger, encore, en prétendant conduire à la récidive zéro, qui n'existe pas.

Il sera inefficace, enfin, et il pourrait même encourager la récidive, ne serait-ce qu'en déresponsabilisant de fait le délinquant. Car lorsqu'il y aura récidive, ce que jamais on empêchera totalement, cela ne pourra plus être la faute du délinquant, ce sera celle du juge, qui aura remis en liberté, ou celle du travailleur social, qui aura mal assuré son suivi, ou encore du médecin ! En tous les cas, le délinquant sera entretenu dans l'idée que face à la génétique, il ne peut rien pour s'améliorer.

Je n'ai pas de complexe à parler de la récidive, pour connaître suffisamment ces questions sur mon territoire. Cependant, je préfère m'attacher aux solutions, aux réussites plutôt que de m'en tenir aux échecs. La réinsertion sociale doit se préparer dès l'entrée en prison, c'est comme cela qu'on limitera la récidive ! M. Lamanda lui-même écrit dans son rapport qu'un téléphone portable, avec lequel le délinquant pourrait joindre son médecin, serait plus efficace contre la récidive que votre bracelet électronique !

Avec ce texte, vous confondez la punition et la prévention, l'éducation et la surveillance, l'affirmation de l'autorité et la création d'une angoisse, la protection et l'espionnage. Nous voterons contre car nous respectons trop les victimes pour leur mentir en prétendant que ces mesures nouvelles les protègeront de la récidive ! (Applaudissements à gauche)

M. Robert Badinter.  - Je commencerai par féliciter M. le rapporteur, ainsi que M. About, pour avoir su remettre les pendules à l'heure.

La justice et la médecine doivent coopérer, sans jamais se substituer l'une à l'autre comme on a vu le faire dans les régimes totalitaires où les psychiatres ont parfois pris la place des juges. Or, la loi de février 2008, mal accueillie par les juges comme par les médecins, a consacré une double dérive : elle a psychiatrisé la justice et elle a judiciarisé la psychiatrie.

La procédure d'irresponsabilité pénale, inutile dans notre droit, est née de l'émotion légitime face au malheur qui a frappé les familles de deux victimes tuées par un irresponsable. Mais cette procédure a introduit une rupture dans notre tradition judiciaire, où nous nous interdisions de juger les fous ! La psychiatrisation de la justice a consisté à accepter un concept particulièrement flou de « dangerosité criminologique », dont les contours sont incertains et la mise en oeuvre difficile.

J'ai noté, lorsqu'il s'est agi d'appliquer cette loi, la résistance des psychiatres et le mécontentement des magistrats. Car c'était là une rupture avec ce qu'a été notre ordre juridique fondamental depuis la Révolution : en France, nul jusqu'à présent n'avait été détenu s'il n'était fortement soupçonné d'être l'auteur d'une grave infraction -c'est la détention provisoire- ou s'il n'avait été condamné pour avoir commis un crime.

Or avec la détention de sûreté, un détenu, après l'expiration de sa peine, pourrait l'être encore au titre d'un crime virtuel qu'il pourrait éventuellement être amené à commettre. Avec cette loi sombrent notre droit pénal et la procédure pénale dont le principe premier est la présomption d'innocence. Comment se défendre de l'accusation de porter en soi le germe d'un crime virtuel ? Qui décidera et au nom de quoi ? C'est aux experts psychiatres qu'on transfère la responsabilité de la décision. On quitte la justice de responsabilité pour pratiquer une justice de sûreté.

Pour justifier le vote de cette loi -bien entendu en urgence puisque toutes les lois désormais sont examinées en urgence-, on nous a dit que 32 condamnés dangereux étaient libérables dans les mois qui venaient. J'ai suivi la mise en oeuvre de cette rétention de sûreté. J'en ai relevé un cas, en avril 2009. Et les 30 autres pour lesquels il était urgent, disait-on, d'instituer cette rétention de sureté ? Les a-t-on libérés sans même leur appliquer les mesures de surveillance de sureté ? Alors, où était l'utilité de cette loi ?

Le présent projet de loi, nous le devons à l'impatience et à l'irritation du Président de la République, après la décision du Conseil constitutionnel. Décision bien prévisible tant la non-rétroactivité constitue le premier rempart de la liberté, comme le disait déjà Mirabeau. On ne plaisante pas avec la non-rétroactivité ; on sait ce que sa violation a signifié à des époques sinistres de l'Histoire. La décision du Conseil constitutionnel reportait à une quinzaine d'années la première application de la rétention de sûreté. Nous avions, grâce à vous, monsieur le rapporteur, la surveillance de sureté ; ce n'était donc pas le vide juridique complet.

Mais le Président de la République a saisi le Premier président de la Cour de cassation. Je ne crois pas que ce soit la vocation du premier magistrat de France que de voler au secours des lois votées quand elles ne satisfont pas l'exécutif... Le président Lamanda, connu pour sa compétence et son caractère aimable, a fait quelques intéressantes propositions d'ordre réglementaires et ses suggestions d'ordre législatif, cosmétiques et portant sur des détails n'imposaient pas l'urgence.

Nous pensions que c'était oublié et que nous allions passer à des choses plus sérieuses quand est arrivée une tragédie : l'assassinat par un récidiviste d'une femme qui faisait son jogging en forêt. D'où émotion. D'où réponse législative immédiate, sans qu'on se soit interrogé sur ce qui aurait pu ou dû être fait ! Il fallait agir ! Alors, on a agi !

Le projet de loi initial, inspiré des propositions Lamanda, ne posait aucun problème mais l'Assemblée nationale a surchargé l'esquif pour en faire un cargo législatif. A la faveur de cet emportement, le texte comporte désormais des dispositions inconstitutionnelles ou inutiles -parce que d'ordre réglementaire ou parce qu'elles auraient très bien pu faire l'objet de recommandations au Parquet. Nous créons un fichier de plus ! Au lieu de nous satisfaire de ceux qui existent déjà. Bientôt, à chaque infraction pénale correspondra un fichier national !

Il faut lutter contre la récidive. Trouvez-moi un seul législateur, un seul juriste qui se déclare partisan de la récidive ! Mais il s'agit d'avoir pour cela les meilleures lois possibles, pas de réagir à chaque événement. Ceux qui multiplient les lois font la preuve qu'ils sont de bien médiocres législateurs, incapables de prévoir l'effet des lois qu'ils ont votées précédemment. Plutôt qu'une accumulation de textes précipités -et qui désespèrent le Palais et la rue Soufflot-, mieux vaudrait un peu de réflexion, un peu de concertation entre les autorités judiciaires et médicales et un peu de comparaisons avec les législations étrangères. Si cela était, nous n'aurions plus des textes sans cesse remis en chantier, nous ne serions plus des « récidivistes législatifs ».

Le texte venu de l'Assemblée nationale s'explique par le fait qu'il est toujours électoralement profitable de paraître défendre la sécurité. Malgré cela, nous voterons les amendements, ô combien raisonnables, des commissions et nous nous opposerons à tous les autres. Car, dans ce problème grave, l'heure est à la réflexion plus qu'à la précipitation. (Applaudissements à gauche)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Voici aujourd'hui le quatrième texte sur la récidive en quatre ans. Officiellement, il met en oeuvre un dispositif de rechange après la censure du Conseil constitutionnel relative à la rétention de sûreté. Aidé en cela par le rapport Lamanda, le Gouvernement a entrepris d'aller au bout de sa logique, en dépit, notamment, des réserves du Conseil constitutionnel. Il en résulte, après une lecture à l'Assemblée nationale, un texte fourre-tout, dangereux et témoignant d'une approche extrêmement sécuritaire.de la notion de récidive. Fruit d'une inventivité répressive devenue obsessionnelle, ce texte est un nouveau texte de circonstance, un texte d'affichage pour lequel nos ministres sont même allés très loin dans le populisme pénal, évoquant par exemple la castration physique comme possible prévention de la récidive.

Au-delà d'une méthode très contestable, le texte, qui prolonge celui sur la rétention de sûreté que nous avions combattu, souffre de nombreuses incohérences. Il marque une nouvelle étape vers une régression majeure : on ne jugera plus sur des faits mais en raison d'une dangerosité supposée. Nous sommes résolus à lutter contre cette dérive qu'est la peine après la peine. Et ce n'est pas, comme l'a supposé un de vos collègues, être du côté des assassins : ce sont ces propos scandaleux qui témoignent d'une méconnaissance de nos principes juridiques. Combattre le texte, c'est être du côté du droit et d'une justice qui ne se fonde pas sur du virtuel mais sur des faits.

La mesure avait été présentée comme exceptionnelle en 2008 et voilà qu'on nous propose d'en accroître le périmètre sans étude d'impact, de la banaliser sans que rien le justifie. Vous contournez par un tour de passe-passe juridique les exigences formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 février 2008 ; qu'une personne déjà condamnée à dix ans de réclusion criminelle puisse se voir placée en rétention de sûreté si elle manque à ses obligations dans le cadre de la surveillance de sûreté revient à bafouer la décision du Conseil constitutionnel. Ce texte est une insulte à son égard puisqu'il rétablit par une contorsion juridique ce que le Conseil avait refusé il y a deux ans. Il est aussi une insulte pour tous ceux qui défendent les droits humains en ce qu'il introduit dans notre droit l'idée nauséabonde que l'homme dangereux peut être enfermé à vie en raison de sa dangerosité présumée. Avec une habileté grossière, le texte multiplie les cas de placement immédiat sous surveillance de sûreté ; partant, en rétention de sûreté. Et la banalisation se poursuivra au prochain fait divers. Il n'est ni acceptable ni digne de légiférer ainsi.

Peine sans infraction, la rétention de sûreté est contraire à la Convention européenne des droits de l'homme. Le 17 décembre dernier, la Cour européenne des droits de l'homme a jugé que la détention de sûreté en Allemagne, dont vous vous êtes inspirés, constitue bien une peine, ce qui détruit la distinction opérée par le Conseil constitutionnel entre mesure de sûreté et peine, une distinction très fragile et dont vous abusez aujourd'hui.

Je suis convaincue que la Cour européenne des droits de l'homme condamnera ce système : ce sera la victoire du droit contre la surenchère populiste et médiatique que vous menez. (Applaudissements à gauche)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Je veux d'abord remercier le rapporteur de son travail et de ses propositions. Que sont devenues les propositions non législatives du rapport Lamanda ? S'agissant de la formation initiale et continue en criminologie clinique, l'École nationale de la magistrature, qui l'intègre déjà dans ses programmes, développera son offre de formations pluridisciplinaires. Le nombre de conseillers d'insertion et de formation a été augmenté de 516, de manière à permettre un suivi renforcé. Quant à l'inscription de la prévention de la récidive dans les missions des services pénitentiaires d'insertion et de probation, l'expérimentation en cours sur onze sites pourra être généralisée dès 2011. Si la criminologie n'est pas une nouvelle discipline -je me souviens avoir suivi des cours de criminologie-, elle a évolué et la création d'une chaire de criminologie au Cnam est le signe de l'attention que nous lui portons. Enfin, la criminologie entrera dans le champ des travaux de l'ISJ.

Pour le reste, le rapporteur a détaillé des propositions de rétablissement du texte initial, dont je le remercie. Il a enfin évoqué des initiatives communes Justice-Santé. Dès mon arrivée à la Chancellerie, je me suis entretenue avec Mme Bachelot pour que nos cabinets travaillent ensemble sur les problèmes communs comme sur ceux qui relèvent de la compétence de l'une mais intéressent l'autre. Des réunions ont eu lieu et nous avons eu des résultats sur la sensibilisation des psychiatres à l'importance de leur présence en milieu pénitentiaire. Le problème est ici moins de moyens que de motivation et, depuis trois mois, nous voyons se créer des groupes.

Bien sûr, monsieur About, le traitement inhibiteur de la libido n'est pas la solution miracle ; je l'avais précisé dans mon intervention liminaire, il doit être accompagné. Pourquoi caricaturer ? Il ne s'agit que d'une réponse parmi d'autres, qu'il convient de combiner. J'admets la nécessité d'avoir l'adhésion de la personne. On ne demande pas aux médecins de prendre en charge la délinquance mais aux sachants de concourir à l'évaluation de la personnalité pour déterminer la solution la plus adaptée. Les médecins ont leur place dans ce processus, dans le respect de la déontologie médicale.

On peut toujours dire qu'un projet intervient à la veille d'une échéance électorale mais alors, il ne faudrait plus en présenter parce qu'on est toujours à la veille d'une consultation. Je fais surtout observer à M. Masson que cela fait un certain temps que la nécessité de ce texte existe et qu'il a été examiné par l'Assemblée nationale il y a cinq mois. Il faut donc être un peu plus sérieux. Enfin, M. Masson ignore les effets de la réforme constitutionnelle, c'est son affaire.

Mme Borvo Cohen-Seat a dit des choses inexactes. Le nombre de personnes en prison n'a pas augmenté ; il a, depuis trois ans, diminué de quelque 2 000, c'est un fait ; je lui communiquerai le chiffre précis.

Vous dites que le temps de prison n'est pas utilisé pour des soins : c'est faux. Le texte est tout à fait clair sur ce point. Selon vous, notre politique réduirait le délinquant à son acte, distancié de ce qu'il est. Bien au contraire, ce projet de loi prend en compte sa psychologie et son psychisme. En outre, vous déclarez qu'il faut juger l'agresseur à l'aune de ce qu'il a fait. Vos propos sont contradictoires !

L'acte législatif est au service de nos concitoyens. La criminalité et la délinquance évoluent, le droit doit faire de même. Tous les gouvernements ont fait des lois en ce sens.

M. Guy Fischer.  - A ce rythme-là, jamais.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - En outre, nous devons tenir compte des observations du Conseil constitutionnel. Je tiens à m'inscrire dans la lignée des institutions.

Ce projet de loi ne confond nullement le soin et la sanction car il identifie bien le rôle du médecin et du juge. En revanche, vous avez raison de dire qu'une loi n'est pas efficace si l'on ne prévoit pas les moyens adaptés. Nous nous y employons et avons créé de nouveaux postes dans les services d'insertion et de probation. En complément, nous avons émis une circulaire en octobre dernier.

Monsieur Anziani, vous nous reprochez de présenter deux lois en deux ans sur le même sujet. Le Conseil constitutionnel nous a demandé d'apporter certaines précisions, il était normal de nous y conformer. Nous avons ajouté certains éléments pour combler des lacunes, notamment pour protéger les victimes. Cela relève de notre responsabilité.

Il ne me semble ni inefficace ni inutile de créer un répertoire des expertises et des enquêtes sociales concernant les détenus. Cela permettra d'individualiser l'incarcération et de lutter contre le risque de récidive. De même, serait-ce inutile que police et gendarmerie puissent interpeller un individu qui va à la rencontre de sa victime alors que cela lui est interdit ? Elles ne le pouvaient pas !

Ce projet de loi ne manifeste aucune défiance vis-à-vis des magistrats, que j'ai toujours défendus. Au contraire, nous leur apportons de nouveaux éléments. Ce n'est pas de la défiance que de rendre automatique l'interdiction aux délinquants sexuels de s'approcher de la victime. Ainsi, dans le cas de la joggeuse assassinée, la cour d'assises avait oublié de le mentionner. Le magistrat conserve la possibilité de lever l'interdiction.

Monsieur Mézard, la nécessité de préparer la sortie du prisonnier est une évidence, qui a été largement traitée par la dernière loi pénitentiaire. Pour ce qui concerne les malades mentaux, nous devons agir conjointement avec le ministère de la santé car l'implication des médecins est indispensable. Le juge d'application des peines est informé par le médecin coordonnateur du respect de l'obligation de soins.

Madame Des Esgaulx, je vous remercie pour la façon dont vous avez approché une problématique difficile, qui doit être abordée avec lucidité et pragmatisme. Vous avez rappelé à juste titre que nous prévoyons un décloisonnement des acteurs pour améliorer l'efficacité du suivi des délinquants. Leurs interventions, complémentaires, doivent être coordonnées. De même que j'estime que la chaîne de sécurité est la clé de l'efficacité de la lutte contre la délinquance, la chaîne de l'application des peines est la clé de la lutte contre la récidive.

M. Détraigne a rappelé la nécessité d'augmenter le nombre de médecins coordonnateurs. Il en existe 218, mais 13 départements métropolitains et 3 ultramarins n'en ont pas. Par arrêté, nous avons autorisé les médecins non-psychiatres à suivre une formation pour exercer cette fonction. Les premiers seront désignés prochainement.

Les unités hospitalières spécialisées ont mis du temps à se mettre en place, mais quatre ans se sont écoulés entre 1998 et 2002 : on aurait pu penser que la loi aurait suscité un certain élan. Nous nous y sommes attelés : la première unité ouvrira en 2010, la deuxième en 2011. Roselyne Bachelot et moi avons obtenu la mise en place d'une unité par région pénitentiaire, sans attendre le retour d'expérience initialement prévue.

Mme Klès a employé le mot « liberticide ». C'est un mot excessif. Face à la douleur de nos concitoyens et à l'ampleur des problèmes, notre grandeur est de rester modérés, justes et crédibles. De même, lorsque vous accusez les autres de mentir, il serait mieux de ne pas utiliser des arguments mensongers. Ainsi, vous nous accusez de céder aux victimes : nous sommes simplement à l'écoute des Français. Ce n'est peut-être pas votre choix, mais c'est le mien. Notre devoir est d'être à l'écoute des plus fragiles. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Nous n'avons nullement présenté le traitement des délinquants sexuels comme une potion magique. Vous caricaturez : il peut s'appliquer dans certains cas et dans le cadre d'un ensemble de mesures. En outre, vous déclarez que la sortie de prison se prépare dès l'entrée mais pourquoi avoir protesté quand nous avons présenté la loi pénitentiaire et l'approche différenciée afin que la prison serve à quelque chose ? Vous avez alors crié au scandale mais aujourd'hui, vous affirmez le contraire. Malgré vous, nous avons inscrit dans la loi pénitentiaire que, dès l'entrée en prison, la personnalité des détenus sera prise en compte pour apporter les réponses les plus efficaces possibles.

Mme Virginie Klès.  - Nous l'avons voté, mais nous le regrettons.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Monsieur Badinter, je crois à une entente entre la justice et la médecine dans le strict respect de chacun. Ce texte ne demande pas aux psychiatres de juger mais de constater l'acceptation ou le refus des soins.

Point à la ligne.

Ce texte n'impose pas aux juges de soigner : seuls les médecins peuvent décider d'un traitement. Il ne concerne pas les crimes virtuels : le fondement juridique de toutes les décisions est la condamnation antérieure et le risque de récidive. C'est parce que la rétention de sûreté est fondée sur une précédente condamnation que le Conseil constitutionnel en a refusé la rétroactivité. Certes, il serait dangereux de « psychiatriser » la justice. Mais il le serait également que la justice ne prît pas en compte le psychisme des criminels.

Je suis étonnée d'entendre un éminent juriste comme M. Badinter dire que les recommandations du rapport Lamanda pouvaient être mises en oeuvre par voie réglementaire. Seule la loi pouvait interdire aux condamnés de paraître dans les lieux liés à leur condamnation et donner à la police le droit de les interpeller s'ils le font. Faisons preuve de modération et de pragmatisme.

Quant à Mme Boumediene-Thierry, elle a déclaré qu'elle combattrait ce texte comme naguère la rétention et la surveillance de sûreté : tout est dit et il n'est pas besoin de lui répondre dans le détail. (Applaudissements sur les bancs UMP et sur la plupart des bancs UC)

La discussion générale est close.