Action extérieure de l'État (Procédure accélérée)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi relatif à l'action extérieure de l'État (procédure accélérée).

Discussion générale

M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes.  - Je vous sais passionnément attachés au rayonnement de la France ! J'ai pu le mesurer au cours des discussions que nous avons eues pour préparer ce projet de loi, en particulier avec les commissions des affaires étrangères et de la culture -et je tiens à remercier leurs présidents et les rapporteurs, M. Kerguéris et M. Duvernois.

Nous partageons la même conviction, la conviction de tous les militants de la France : notre place dans le monde, ce n'est pas seulement un siège au Conseil de sécurité des Nations unies ou dans le club des pays les plus riches. C'est aussi Yann Arthus-Bertrand qui discute au centre culturel français de Dakar avec les femmes sénégalaises, ce sont les édifices de Jean Nouvel qui tournent vers les étoiles les yeux de Barcelone et de Tokyo, ce sont les experts de l'institut Pasteur participant à l'élaboration des normes de l'OMS, ce sont les oeuvres de Camus rendant confiance aux victimes de l'oppression.

Comme moi, vous ressentez que les grandes nations sont celles qui éclairent. Cette vérité n'a jamais eu autant de force ! Un espace immense s'est ouvert car les savoirs et les hommes circulent plus vite que jamais. La révolution numérique ne remplace pas la culture, indispensable aussi dans le cybermonde.

Où est la France dans cette course planétaire ? Est-elle tournée vers l'avenir ou vers un passé qui fait semblant de se survivre ? Sans tomber dans l'autodénigrement, soyons lucides : il y a une demande de France à travers le monde mais notre offre n'est pas toujours à la hauteur. Notre pays regorge de talents mais l'État ne peut pas toujours fédérer, ni même orienter, ce foisonnement d'initiatives qui font la puissance des grandes nations. Il faut donc rénover l'action extérieure de l'État.

Depuis plus de vingt ans, on en parle et on dissèque mais, de ministre en ministre, de confort en conformisme, tout le monde s'est dérobé. Pourquoi ? Parce que cette réforme réelle, donc difficile, porte sur des habitudes que le temps a empilées et sur des clivages qu'il a creusés, parce qu'elle suscite des protestations à la hauteur de certitudes souvent corporatistes et parfois sectaires.

Est-ce une raison pour ne rien faire ? Au contraire, car ces haines recuites et ces incompréhensions crispées endommagent notre politique d'influence. Nous devons donc trouver un chemin pour avancer ensemble. Essayons d'affirmer moins haut et d'avancer plus loin ! Soyons fidèles à la leçon de l'humanisme et cherchons la voie étroite entre l'action sans idéal et l'idéal sans action.

Cette réforme se fera dans la durée. Raison de plus pour créer maintenant les institutions qui engendreront des habitudes nouvelles ! Ayons l'audace de commencer, par le commencement, mais faisons-le résolument ! C'est une question non seulement d'intérêt mais aussi de valeurs car notre diplomatie d'influence ne sait plus très bien quelle est sa raison d'être.

La culture n'est pas l'amusement d'une élite, c'est un besoin pour tout peuple, une nécessité pour empêcher le monde de se défaire. Souhaitons-nous uniformiser les esprits par le despotisme de la pensée ou permettre la diversité, condition d'une pensée libre ? Nourrie de l'échange, la culture meurt de solitude. Voulons-nous risquer la fracture entre les peuples, porte ouverte à l'extrémisme, ou voulons-nous défendre obstinément l'idée d'une humanité commune et d'oeuvres à admirer, de principes à respecter ? Voulons-nous définir chaque homme et chaque nation par ce qu'il donne aux autres ?

Certains utilisent la culture comme arme de guerre. Notre diplomatie leur répond avec la culture comme espace de dialogue et d'échanges. Loin d'être un ornement, la culture est une politique : sans la poésie, on n'aurait pas l'idée de justice ! La politique extérieure de la France trouve dans la culture bien plus qu'un moyen d'influence : un écho est une inspiration. N'oublions pas cette réalité ; rassemblons les énergies pour trouver un chemin au lieu de fuir vers l'horizon du mieux inaccessible !

Depuis dix ans, on prononce beaucoup de beaux discours sur l'influence française ; aujourd'hui, nous avons l'occasion de faire en avant un pas essentiel.

Ce projet de loi propose de créer deux opérateurs, l'un pour l'action culturelle extérieure, l'autre pour la mobilité et l'expertise internationales. Donnant à ces opérateurs des règles communes, il les regroupe sous une même catégorie et rénove les textes qui régissent notre assistance technique depuis quarante ans. Par ailleurs, il tend à créer une allocation pour les conjoints d'agents expatriés et permet à l'État d'exiger le remboursement de certains frais de secours à l'étranger.

Comme je l'ai dit en commission, certains amendements adoptés relèvent du domaine réglementaire. Je pense en particulier aux dispositions sur la gouvernance des opérateurs.

Pour que les deux nouveaux opérateurs puissent agir efficacement au sein de notre action extérieure, le projet de loi crée une catégorie nouvelle, celle d'établissements publics contribuant à l'action extérieure de la France. Ultérieurement, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger entrera peut-être dans cette catégorie, mais pas l'Agence française de développement car il s'agit là aussi d'une banque.

Le point central de la nouvelle catégorie d'opérateurs est le suivant : leurs relais à l'étranger seront placés sous l'autorité de l'ambassadeur et ils feront partie intégrante des missions diplomatiques, ce qui conservera l'unité de notre action extérieure tout en apportant la protection diplomatique dont les opérateurs ont besoin.

Je commence par l'agence culturelle. En ce domaine, tout se fait en parfaite harmonie avec le ministère de la culture.

Nous avons besoin d'un dispositif rassemblé, doté d'un pilotage stratégique efficace, souple et légitime. Cette loi dote notre réseau d'une tête. Nous devons mieux gérer nos ressources humaines car nous n'offrons pas à nos agents les parcours de carrière qu'ils méritent. Cette loi leur donnera la fierté de travailler pour le rayonnement culturel de la France. Nous avons besoin de financements pérennes. Cette loi permettra d'obtenir de nouveaux crédits tout en diversifiant les sources de financement. En un mot comme en cent, nous avons besoin d'une agence culturelle, à l'instar de ce qu'ont fait avec succès de grands pays voisins.

L'agence donnera son nom aux 143 centres culturels français à travers le monde. Vous avez voulu que ce symbole figure dans la loi. Votre choix s'est porté sur Victor Hugo, ce qui n'est pas pour me déplaire, non plus qu'aux agents ni aux usagers de notre réseau culturel. Nous avons interrogé 1 000 agents et 5 000 usagers. Victor Hugo est arrivé en tête devant Albert Camus, Jules Verne, Marie Curie. Il est l'écrivain français le plus connu hors de nos frontières, un point de ralliement et le symbole du désir de France que j'ai mentionné. C'est la confiance dans l'homme et le progrès. C'est la lutte contre l'esclavage et la peine de mort. C'est le poète de la République et de la liberté, dont la statue a été abattue en 1942 par la collaboration. C'est l'intuition du devoir d'ingérence et de l'Europe. C'est « la conscience humaine qui prend la parole et donne aux gouvernements l'ordre de l'écouter », selon la formule qu'il a employée à propos de la Serbie. C'est celui qui se dresse contre les conformismes : partisan d'une Europe fédérale et fervent patriote, pacifiste et défenseur des luttes armées pour de justes causes ; vicomte et pair de France s'élevant contre le travail des enfants ! Hugo, c'est un porte-drapeau et un porte-lumière. Bien sûr, je n'oublie pas qu'il fut aussi sénateur ! Ce nom n'est pas seulement un symbole : c'est un programme et un devoir que notre agence et son réseau auront à coeur d'accomplir.

Quelles seront donc les missions de la nouvelle agence ? Elle reprendra bien sûr celles de l'association CulturesFrance pour promouvoir à l'étranger et la création artistique et les industries culturelles françaises. Mais elle ne se bornera pas à ce qu'Olivier Poivre d'Arvor a très bien su faire, ce dont je le remercie chaleureusement, car elle prendra en charges plusieurs missions nouvelles. En effet, la culture ne se limite pas aux beaux-arts : c'est aussi la langue et son humanisme ; c'est aussi les idées, y compris scientifiques.

La première mission de la France consiste à défendre une idée large de la culture. C'est pourquoi l'agence soutiendra l'activité d'enseignement du réseau culturel mais aussi la place de notre langue dans les systèmes éducatifs étrangers. Elle renforcera la place de la France dans les débats d'idées étrangers en promouvant les savoirs français et l'héritage des Lumières.

Enfin, elle sera investie d'une mission de conseil et de formation professionnelle du personnel de notre diplomatie culturelle.

L'agence coiffera les 143 établissements de notre réseau, qui seront ses relais à travers le monde. L'agence et le réseau seront, dès le début, unis par des liens fonctionnels très forts, grâce à un dialogue et des échanges constants, ainsi qu'au mélange de leurs agents.

Pour l'instant, le réseau des centres et instituts français à l'étranger reste rattaché administrativement au ministère des affaires étrangères mais j'ai souhaité une clause de rendez-vous : nous examinerons d'ici trois ans l'opportunité de rattacher organiquement le réseau à l'agence, comme le recommandent les deux commissions. Une réforme ne s'impose pas d'en haut, elle se gagne quand elle est acceptée par ceux qui sont chargés de la faire vivre. Vous proposez de commencer par des expérimentations locales. Si le principe en est retenu, nous pouvons les lancer immédiatement. C'est un préalable indispensable pour une bonne décision, consensuelle et informée.

Faisons confiance aux hommes, à leur intelligence, à leur volonté : laissons à la politique la part d'invention et procédons par ordre, en commençant par nous doter d'une agence à la fois légitime et efficace.

Elle doit donc associer tous ceux qui ont leur mot à dire sur notre diplomatie culturelle -ministère de la culture, parlementaires, collectivités locales, milieux culturels- sous une tutelle unique, avec un contrat d'objectifs et de performance, une unité de commandement. Tel pays voisin montre que des conflits se produisent entre l'agence et un ambassadeur ; en ce cas, il reviendra au ministre de trancher et ce sera inscrit dans le décret. Le conseil d'administration doit être représentatif sans pour autant devenir pléthorique : il doit rester une instance resserrée de pilotage décisionnel.

Certains disent que nous privatisons notre action culturelle. Ce n'est pas une privatisation ! CulturesFrance est une simple association ; nous voulons faire de la nouvelle agence un établissement public industriel et commercial, plus légitime qu'une association pour mettre en oeuvre une politique publique et plus souple qu'un établissement public administratif. Le statut d'établissement public industriel et commercial a fait ses preuves. L'Agence française de développement, l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger sont des Épic.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - L'Aefe est un établissement public administratif !

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Grâce au statut d'Épic, l'agence pourra faire appel à des financements privés, gérés selon une comptabilité privée. Elle pourra lever des cofinancements, des fonds de l'Union européenne et des organisations internationales. En outre, le droit contractuel de la fonction publique limite dans le temps la durée des contrats. Le statut d'Épic permet de signer des contrats à durée indéterminée. En termes de justice sociale, le statut d'Épic est préférable à celui d'établissement public administratif.

Notre réseau produit des ressources propres grâce auxquelles la part de son autofinancement ne cesse de croître. J'ai interrompu en 2009 une baisse continue engagée en 2000, par un gouvernement, chère Catherine Tasca, où nous étions ensemble ; cela arrive aux meilleurs gouvernements ! J'ai obtenu 40 millions pour moderniser en profondeur le réseau.

Mme Catherine Tasca.  - Mais on en perd 120...

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Ces 40 millions servent d'abord à la numérisation des supports. Nous ouvrirons en Chine un portail dédié à l'offre culturelle française ; nous mettrons en réseau, en Afrique australe, les acteurs de l'offre et de la demande linguistiques et culturelles. Ces crédits servent aussi à renforcer notre politique de formation, à soutenir nos industries culturelles du livre et du cinéma. C'est un investissement dans le long terme.

La réforme que je propose permettra de mieux utiliser ces moyens préservés et justifiera la possibilité d'en obtenir de nouveaux, puisque nous serons plus efficaces. Dans sa totalité, le réseau représente 350 millions qui pourraient être regroupés entre les mains d'un seul opérateur.

Mon ministère a été mis à contribution pour le grand emprunt. C'est vrai. Mais j'ai obtenu que les annulations soient ramenées de 19,5 à 13,5 millions d'euros. Notre action culturelle est répartie entre le programme 209, « Solidarité de la France à l'égard des pays en développement », et le programme 185, « Rayonnement culturel et scientifique ». J'ai obtenu que le programme 209 soit totalement exonéré d'annulation et que les crédits culturels à destination des pays en développement et des pays émergents soient intégralement préservés. Le programme 185 est touché par une taxation de 5 millions. Je le regrette.

M. Richard Yung.  - Nous aussi.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - J'ai demandé à la direction financière du ministère de sanctuariser les crédits budgétaires et de répartir la taxation sur le reste des crédits. Voilà notre feuille de route pour 2010. Gageons que nous n'aurons pas de grand emprunt à financer tous les ans et que les crédits culturels pourront être pérennisés ! Je me battrai pour que cette réforme soit soutenue financièrement.

La question des ressources humaines est tout aussi importante. J'ai mis en place un plan massif de formation à destination de expatriés et recrutés locaux. Gérer un établissement culturel, exporter les produits de notre industrie culturelle, monter un projet, obtenir des cofinancements, trouver des mécènes -cela s'apprend !

L'un des volets de la réforme consiste bien sûr à développer un dialogue rénové avec nos partenaires, et notamment les Alliances françaises. Ne confondons pas ces deux réseaux. Ils ont tous les deux leur utilité et ne sont pas concurrents. Le label unique s'applique seulement au réseau public, celui formé par l'agence et les centres culturels. Les Alliances françaises sont des associations privées de droit local, et elles conservent leur dénomination. Elles sont un atout formidable, et l'expression éclatante de l'intérêt que les sociétés étrangères portent spontanément à la culture française. C'est une chance et une richesse, mais nous n'avons pas vocation à tout régenter ! Avec Jean-Pierre Delaunoy, les projets seront complémentaires et productifs.

Si nous voulons continuer à peser dans le monde, il nous faut aussi améliorer l'action de nos centres de formation supérieure, de recherche, d'expertise. La formation supérieure est désormais concurrentielle. Des millions d'étudiants franchissent chaque année les frontières de leur pays pour se former à l'étranger. Dans cette saine compétition, la France n'est pas mal placée : elle occupe le quatrième rang pour l'accueil des étudiants étrangers. Mais cette position doit être consolidée. Nous pouvons accueillir plus d'étudiants, et les accueillir mieux, les orienter dans les disciplines dans lesquelles ils ont plus de chances de réussir, mais aussi dans celles qui sont intéressantes pour la France. Et bien sûr, nous devons être en mesure d'attirer davantage les étudiants issus des pays émergents.

A côté de ce défi, il en est un autre dont nous n'avons pas encore mesuré toute l'importance stratégique. C'est le marché, immense, de l'expertise, sur lequel l'offre de la France est insuffisante. Le marché de l'expertise représente plusieurs milliards d'euros et des milliers d'emplois ; un pays qui a l'ambition de compter doit participer à l'élaboration des normes techniques et juridiques, des bonnes pratiques qui se diffusent dans le monde. Ne laissons pas ce marché nous échapper ! Ce projet de loi nous aidera à relever ce défi : il crée, à côté d'une agence culturelle, une agence pour l'expertise et la mobilité internationale.

Il y a un consensus sur la nécessité de créer une agence pour la mobilité des étudiants, des chercheurs, des experts. Notre dispositif en la matière était éclaté en plusieurs organismes ; nous allons les fusionner au sein d'un établissement public industriel et commercial.

Les bourses destinées aux étudiants étrangers sont aussi gérées par le Centre national des oeuvres universitaires et scolaires. Si nous voulons disposer d'un guichet unique, plus lisible et plus attractif, il est souhaitable que le Cnous international soit rattaché à terme à l'Afemi.

Pour ce qui concerne l'expertise, le projet de loi ne se contente pas de créer un opérateur, il rénove aussi le statut de nos experts. Nous pourrons ainsi disposer d'une expertise plus large, couvrant les domaines du public et du privé, et placer nos experts auprès d'États étrangers, d'institutions internationales et de think tanks. La durée de séjour de nos experts pourra être modulée et cette expertise mobilisée plus rapidement.

Ce texte crée une allocation pour les conjoints d'agents expatriés. Je tiens beaucoup à cette disposition, qui fait largement consensus L'allocation sera désormais versée directement au conjoint : cela constitue une première étape vers la création d'un statut du conjoint.

Nous avons longuement débattu avec les présidents et les rapporteurs des commissions du remboursement des frais engagés par l'État à l'occasion des opérations de secours à l'étranger. Nous sommes tombés d'accord sur sa nécessité, sans visée polémique liée à l'actualité. L'État est de plus en plus souvent amené à secourir des ressortissants français séjournant dans des zones notoirement dangereuses. Du fait d'une conception traditionnelle de la gratuité des secours, sans équivalent à l'étranger, il était impossible de leur réclamer le remboursement des frais engagés, qui représentent des sommes parfois exorbitantes. Les professionnels du tourisme, des transports et de l'assurance sont eux aussi tentés de s'en remettre à l'État pour le rapatriement de leurs clients. Ainsi, lors du blocage de l'aéroport de Bangkok en novembre 2008, il a fallu affréter des avions pour rapatrier 500 touristes français. Je vous laisse imaginer la facture.

Pour mieux sensibiliser nos citoyens aux risques qu'ils prennent et font prendre aux équipes de secours, l'État pourra exiger des personnes s'étant délibérément mises en danger le remboursement de tout ou partie des frais induits par les opérations de secours. Il s'agit d'une faculté, non d'une obligation, et les décisions seront prises au cas par cas. L'État pourra également exercer une action récursoire à l'égard des opérateurs défaillants pour le voyage ou le rapatriement, hors cas de force majeure. Il ne s'agit pas de limiter la liberté de voyager ou d'exercer une profession, notamment dans les domaines de l'humanitaire ou du journalisme. L'article 13 ne vise que les personnes « s'étant délibérément exposées à des risques qu'elles ne pouvaient ignorer, sauf motif légitime tiré notamment de leur activité professionnelle ou d'une situation d'urgence ».

Ce n'est pas tous les jours qu'un ministre des affaires étrangères vous présente un projet de loi. Ce texte répond à une seule conviction : ce qui fait la grandeur de la France, c'est ce qu'elle donne aux autres. Donnons-lui les moyens de donner le meilleur et donnons-nous les moyens de faire le premier pas nécessaire. Selon Victor Hugo, « les éléments du pouvoir d'une grande nation ne se composent pas seulement de ses flottes, de ses armées, de la sagesse de ses lois, de l'étendue de son territoire ». Je suis heureux de constater que vous en êtes comme moi convaincus. Et je suis heureux que nous puissions mener ensemble ce combat durant les trois années qui viennent. (Applaudissements à droite et au centre ; M. Yves Dauge applaudit aussi)

M. Joseph Kergueris, rapporteur de la commission des affaires étrangères.  - Ce projet de loi, qui vise à passer d'une logique de rayonnement de la France à une diplomatie d'influence, s'inscrit dans le cadre de la réforme du ministère des affaires étrangères. Il s'agit de doter le ministère d'opérateurs modernes et efficaces, notamment par la création de deux agences.

Pour l'examen de ce texte, je me suis fondé sur les recommandations du rapport d'information sur la diplomatie culturelle présenté par Jacques Legendre et Josselin de Rohan, adoptées à l'unanimité par nos commissions des affaires étrangères et de la culture en juin 2009. Louis Duvernois, rapporteur pour avis de la commission de la culture, et moi-même avons présenté des amendements identiques ou très proches, et la commission des affaires étrangères en a adopté 33 sur 70.

Tout d'abord, ce texte prévoit la création d'une agence chargée de la coopération culturelle. Dès 2004, la Cour des comptes a critiqué le statut d'association de CulturesFrance et, en février 2007, le Sénat a adopté à l'unanimité la proposition de loi présentée par Louis Duvernois tendant à transformer cet organisme en Epic. La nouvelle agence devrait donner un second souffle à notre action culturelle à l'étranger en renforçant sa cohérence et sa visibilité face à nos partenaires et concurrents -le Royaume-Uni avec le British Council, l'Allemagne avec le Goethe Institut, l'Espagne avec l'Institut Cervantès, la Chine avec les Instituts Confucius.

Toutefois, le dispositif proposé se situe en deçà des recommandations contenues dans les rapports des deux commissions. Nous avons donc proposé de préciser dans la loi la dénomination de cette agence, qui s'intitulerait « Institut Victor Hugo ». Nos centres et instituts culturels à l'étranger seront ainsi dotés d'un label unique. Certains auraient préféré « Institut français » mais cette dénomination nous semblait quelque peu administrative. Nous lui avons préféré le nom de Victor Hugo, qui est l'écrivain français le plus connu à l'étranger. Il nous a semblé également nécessaire de placer cette agence sous la tutelle du ministre des affaires étrangères, tout en renforçant sa dimension interministérielle par la création d'un conseil d'orientation stratégique. Nous avons en outre prévu une coopération étroite avec les industries culturelles, les alliances françaises et les collectivités territoriales. Enfin, l'agence sera associée à la politique de recrutement, de formation professionnelle et de gestion des carrières des agents du réseau culturel à l'étranger, dont le rattachement est envisagé à terme par le biais d'une clause de rendez-vous.

Plus technique à première vue, la mobilité et l'expertise internationale se situent néanmoins au coeur de la diplomatie d'influence. L'influence d'un pays se mesure aujourd'hui également dans la bataille des idées, des savoirs et de la connaissance. Selon Victor Hugo, « l'expression a des frontières, la pensée n'en a pas ». Or notre pays n'est pas suffisamment bien armé dans ce domaine. La France accueille deux fois moins d'étudiants européens que l'Allemagne et trois fois moins que le Royaume-Uni. Le budget de CampusFrance, l'opérateur français pour la promotion de l'enseignement supérieur, est de 6 millions d'euros, soit dix fois inférieur à celui de l'opérateur allemand et cinquante fois à celui du British Council. Alors que nos concurrents disposent souvent d'un opérateur unique pour l'expertise internationale, notre pays compte une quarantaine d'opérateurs publics et autant d'organismes privés.

Comme l'a souligné M. Tenzer dans un rapport au Gouvernement, notre pays est très mal placé en matière d'appels d'offres internationaux alors que ce marché est évalué à 400 milliards sur les cinq prochaines années.

Ce texte apporte un début de réponse en créant une nouvelle agence chargée de la mobilité et de l'expertise internationales, issue de la fusion de CampusFrance, d'Egide et de France coopération internationale.

Il faudra également encourager la coopération avec les opérateurs dépendant des autres ministères, puis avec les opérateurs privés afin que tous marchent de concert. C'est l'objectif d'amendements de notre commission, pour préciser la dénomination, les missions et la tutelle ministérielle de la nouvelle agence, qui s'intitulerait « Agence française pour l'expertise et la mobilité internationale ». Nous souhaitons encore établir une coopération étroite entre cette agence, les établissements d'enseignement supérieur et les autres opérateurs publics ou privés, notamment au moyen d'instances consultatives.

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées vous invite donc à adopter ce texte. (Applaudissements à droite)

M. Louis Duvernois, rapporteur pour avis de la commission de la culture.  - La littérature du Sénat sur le thème de l'action culturelle extérieure est abondante et ancienne. Voilà presque dix ans, notre collègue M. Dauge, alors député, tirait la sonnette d'alarme sur la situation de notre réseau d'instituts et de centres culturels à l'étranger. Ses propos faisaient l'effet d'une bombe médiatique, amplifiée par la célèbre émission « Apostrophes ».

Depuis, plusieurs rapports d'information et avis budgétaires ont réclamé un sursaut de notre diplomatie culturelle, sur le plan stratégique aussi bien que budgétaire. J'ai contribué à l'ouvrage en publiant, en 2004, un rapport d'information sur la diplomatie d'influence française, au nom de la commission de la culture.

Longtemps, notre politique culturelle extérieure a manqué de stratégie : dispersée, elle fait naturellement l'objet de coupes budgétaires de plus en plus systématiques. Orphelin de projet, orphelin de moyens, notre réseau culturel à l'étranger est en proie à une démobilisation préoccupante.

Entretenir l'image de la France à l'étranger, cela a un prix. En refusant de le payer, on hypothèque gravement notre capacité d'influence et d'attractivité, avec des répercussions bien plus douloureuses qu'on ose l'imaginer.

La France a inventé le concept de diplomatie culturelle dans la deuxième moitié du XIXe siècle mais nous sommes aujourd'hui complètement dépassés par l'activisme intense de nos concurrents, qui multiplient à l'étranger les British Councils, les Goethe Instituts, les Instituts Cervantès ou encore les Instituts Confucius.

Nous disposons pourtant d'un potentiel énorme : un capital de sympathie à l'étranger alimenté par un très fort désir de France, le réseau culturel le plus dense au monde, des personnels culturels compétents et passionnés.

Pourquoi sommes-nous dépassés, que nous manque-t-il ? Il nous manque tout simplement une stratégie claire et les moyens de la mettre en oeuvre. Vous comprendrez donc, monsieur le ministre, que ce projet de loi, nous l'attendions avec impatience !

En février 2007, le Sénat adoptait déjà à l'unanimité une proposition de loi, dont j'étais l'auteur, qui visait à transformer Culturesfrance en Epic et à mieux articuler ses liens avec le réseau culturel. Nous devons saisir la nouvelle chance qui se présente aujourd'hui !

Je salue l'esprit de concertation qui a présidé à l'élaboration du texte de la commission des affaires étrangères, je remercie MM. Kergueris, Legendre et de Rohan pour leurs positions courageuses et leur détermination. Nos deux commissions ont conduit ensemble une longue série d'auditions, elles présentent des amendements identiques, inspirés de leur rapport d'information commun adopté à l'unanimité.

Ce que nous voulons, c'est que ce texte énonce une stratégie clairement identifiable : notre diplomatie d'influence doit reposer sur des opérateurs au pilotage stratégique clair et aux périmètres d'intervention bien dessinés. Ils doivent disposer d'une gouvernance à la fois réactive et participative. Leurs liens avec le réseau culturel doivent être clairement établis. C'est avec cette stratégie à l'esprit que nous entendons compléter substantiellement le projet de loi.

Un pilotage stratégique effectif suppose de responsabiliser les opérateurs vis-à-vis de leurs tutelles respectives. Nous avons donc souhaité consacrer le principe de la conclusion systématique d'un contrat d'objectifs et de moyens entre les agences et l'État.

Le pilotage stratégique suppose également de bien identifier la tutelle, un « chef de file ». S'agissant de l'agence culturelle, il nous a semblé que le Quai d'Orsay avait tout naturellement vocation à exercer cette tutelle.

Le principe d'une tutelle unique, garantie d'un pilotage effectif, n'exclut pas une concertation interministérielle préalable dans l'élaboration des orientations stratégiques : nous avons précisé que le Quai d'Orsay devra les définir conjointement avec le ministère de la culture dans le cas de l'agence culturelle, et avec le ministère de l'enseignement supérieur dans le cas de l'agence de la mobilité.

Le pilotage de ces opérateurs doit encore être participatif et fédérateur. Tous les acteurs concernés, publics et privés, doivent être associés au fonctionnement de ces agences : nous prévoyons pour cela des conseils d'orientation stratégique, placés auprès des nouveaux organismes.

Nous avons encore précisé les périmètres d'intervention des deux agences, qui ont vocation à se concentrer sur leur coeur de métier spécifique et qui feront appel à des compétences spécialisées.

S'agissant de la gouvernance, nous proposerons d'augmenter le nombre de parlementaires présents au conseil d'administration de ces agences afin de garantir la représentativité des commissions concernées.

Enfin, le souci principal de nos deux commissions a été de clarifier les liens entre ces deux agences avec le réseau culturel à l'étranger pour préparer le terrain au rattachement du réseau à l'agence culturelle.

Le principe de ce rattachement fait l'unanimité de nos deux commissions. Nous militons de longue date en faveur d'un réseau culturel organiquement lié à une agence culturelle digne de ce nom. Le Sénat n'a donc pas l'intention de revenir sur ce principe !

Pour ce rattachement, nous nous sommes inspirés du précédent d'Ubifrance. Les trois prochaines années doivent servir au renforcement des liens entre l'agence culturelle et le réseau culturel, aux expérimentations. Cela suppose de conférer à l'agence une responsabilité éminente dans la formation, le recrutement, l'affectation et la gestion des carrières de nos personnels culturels à l'étranger, étant entendu que toute évolution structurelle exige l'adhésion des personnels concernés.

Nous ferons ensemble le point sur ce sujet dans trois ans, avant de procéder au transfert total du réseau culturel à l'agence.

La commission des affaires culturelles a émis un avis favorable sur ce texte, considérant qu'il donnera un nouveau souffle à notre réseau culturel.

Certes, la mise en oeuvre demandera de la pédagogie et des moyens substantiels. Mais avec ce texte, nous adresserons un signal fort au réseau culturel comme au Gouvernement pour leur signifier notre détermination à ce que les paroles soient suivies d'effets concrets ! (Applaudissements à droite ; M. Yves Dauge applaudit aussi)

M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères.  - La réforme de l'action culturelle de la France n'est certainement pas un sujet nouveau pour notre assemblée : depuis longtemps le Sénat l'appelle de ses voeux !

De nombreux rapports y ont été consacrés, ainsi ceux de MM. Duvernois, Gouteyron, Dauge. A l'initiative de M. Duvernois, une proposition de loi a même été adoptée à l'unanimité par le Sénat en 2007. Le Livre blanc sur la politique étrangère de la France, auquel Mme Tasca et M. Jean François-Poncet ont contribué, en a également traité.

Nous avons beaucoup travaillé et procédé l'an dernier à des auditions conjointes ; afin d'avoir une vision comparative, nous avons entendu des représentants du British Council et du Goethe Institut. Les recommandations du rapport d'information ont été adoptées à l'unanimité des membres des deux commissions.

Je salue la très bonne entente entre nos deux commissions, et particulièrement avec le président Legendre et le rapporteur Duvernois. Je remercie le ministre et ses collaborateurs de leur disponibilité comme de leur volonté constante d'associer étroitement les parlementaires. Des membres de nos deux commissions ont d'ailleurs participé au comité de préfiguration. Il convient aussi de tenir compte au ministre de la volonté d'engager une réforme attendue mais qui rencontre certaines résistances.

Le projet répond à une forte attente. Avec le réseau le plus dense et le plus étendu au monde, la France a fait de la culture un instrument essentiel de sa diplomatie. L'adoption de la convention de l'Unesco sur la diversité doit beaucoup à notre pays. La diplomatie culturelle n'en traverse pas moins une crise alors que d'autres pays renforcent leur diplomatie d'influence, du Goethe Institut aux Instituts Cervantès sans oublier la Chine et ses Instituts Confucius -toujours des noms d'écrivains... Quand la secrétaire d'État américaine entend faire de la diplomatie de l'intelligence une priorité, la France doit rester fidèle à sa vocation universelle.

C'est dans cet esprit, et à la lumière des recommandations qu'elles avaient adoptées à l'unanimité, que les deux commissions ont examiné le projet et que les deux rapporteurs ont souhaité la conforter. Je rends hommage à leur travail comme à l'esprit de concertation de nos collègues de l'opposition, dont plusieurs amendements ont été adoptés.

Conformément au rapport d'information, nous avons jugé indispensable de placer les deux agences sous une tutelle unique et clairement identifiée : une tutelle partagée aboutit le plus souvent à une absence de tutelle et à un défaut de pilotage. Que cette tutelle soit confiée au Quai d'Orsay n'exclut nullement que la culture ou l'enseignement supérieur ne soient étroitement associés : ils participeront au Conseil d'orientation stratégique de l'action culturelle extérieure, au sein duquel tous les ministères concernés pourront expliquer leur point de vue et contribuer à la définition des priorités. Les collectivités territoriales, les établissements d'enseignement supérieur mais aussi les Alliances françaises siègeront également dans des instances consultatives.

La dénomination des deux nouvelles agences est affaire de visibilité. Celle qui sera issue de la fusion de CampusFrance, d'Egide et de France coopération internationale s'appellera Agence française pour l'expertise et la mobilité internationales ; nous proposons de remplacer le nom de CulturesFrance par celui d'Institut Victor Hugo. Certains auraient préféré Institut français -il y a déjà un Institut de France... (Sourires) Toutefois, Victor Hugo est représentatif des valeurs portées par la France -« en art, point de frontières » !

Nos deux commissions avaient souhaité à l'unanimité le rattachement du réseau à l'agence chargée de la coopération culturelle. Cependant, compte tenu des difficultés administratives et budgétaires, celle-ci ne pouvait être que progressive, à l'image du précédent d'Ubifrance. Avec plus de 6 000 agents, nos 130 établissements culturels représentent en effet le tiers des effectifs du ministère des affaires étrangères. Nous avons pris acte de ce que vous entendiez reporter à trois ans votre décision. Cependant, nous avons souhaité inscrire ce rendez-vous dans la loi en prévoyant un rapport. Comme des expérimentations auront été menées, nous nous prononcerons alors en pleine connaissance de cause.

Dès à présent, le lien entre l'agence et le réseau culturel à l'étranger sera renforcé. La gestion des ressources humaines constitue le point noir de notre réseau culturel à l'étranger. Les personnels de direction des établissements reçoivent une formation de cinq jours contre six mois en Allemagne ; la durée d'immersion est de trois ans contre cinq pour le British Council. Enfin, le Royaume-Uni et l'Allemagne offrent de meilleures conditions de carrière. Nous avons souhaité associer l'agence à la politique des ressources humaines, qu'il s'agisse du recrutement, de l'affectation et de la gestion des carrières ou encore de la formation professionnelle.

Le rattachement à l'agence du réseau culturel a pu susciter des craintes chez certains ambassadeurs. Autant il ne saurait y avoir de diplomatie sans une forte composante culturelle, autant on ne saurait sérieusement envisager une action culturelle autonome. Mène-t-on la même politique culturelle aux États-Unis, en Afrique et au Moyen-Orient ? Nos ambassadeurs seront des chefs de file sur le terrain. Je me félicite que la commission ait souhaité affirmer l'autorité des ambassadeurs sur l'ensemble des services extérieurs de l'État, comme le préfet au niveau local. Je m'étonne d'ailleurs de l'amendement du Gouvernement y soustrayant l'Agence française de développement : pourquoi échapperait-elle à l'autorité de l'ambassadeur ? (Marques d'approbation sur les bancs socialistes) L'aide au développement n'est-elle pas une composante essentielle de notre diplomatie ? (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit)

Face à ceux qui se lamentent sur le déclin supposé de la France, face aux déclinologues de profession, je veux dire la forte attente de France à l'étranger. Oui, notre pays a encore un message à adresser et sa voix porte loin -on vient de l'entendre à propos d'Haïti. Oui, elle reste une référence et oui, la diplomatie culturelle est une composante essentielle de la démocratie. (Applaudissements à droite)

M. Robert Hue.  - (Applaudissements à gauche) Parce que le déclin de l'influence française semble devenu un lieu commun, il faut rappeler que cette idée reçue a été lancée par un article malveillant de Times Magazine alors que nous refusions l'intervention en Irak. Cela dit, il peut y avoir un problème auquel il convient de remédier.

Face au défi de la globalisation et de la place de la France dans le monde, le Président de la République et le Gouvernement ont-ils les moyens et la volonté de préserver l'influence, la langue et les valeurs de notre pays ? Votre action ne souffre-t-elle pas de la confiscation de la moindre parcelle diplomatique par l'Élysée ?

Ce projet affiche une ambition pour la diplomatie d'influence. Cependant, votre méthode et vos moyens sont-ils à la hauteur des enjeux ? Le Livre blanc avait laissé espérer une véritable refondation de l'action extérieure de l'État : où est le nouveau souffle que l'on attendait ? Nos commissions ont bien tenté d'apporter précisions, clarifications et garanties mais le compte n'y est pas et le décalage reste trop grand entre les objectifs et les moyens.

La principale mesure de ce projet de loi consiste à transférer l'action culturelle et la coopération internationale à deux opérateurs doués du statut d'Epic. Certes, notre action culturelle souffre d'un manque de visibilité et de la dispersion des moyens entre les services culturels des ambassades, les instituts français, les centres culturels et les alliances françaises. Mais le souci de rationalisation du Gouvernement se heurtera bien vite à la dure logique de la RGPP et des restrictions budgétaires. Le rapport de nos deux commissions consacré au rayonnement culturel de la France a montré que les crédits de l'action culturelle étaient en constante diminution : moins 10 % entre 2005 et 2008, moins 13 % en 2009, moins 11 % en 2010. La moitié des centres culturels d'Allemagne ont été fermés, ceux d'Italie sont menacés ; le même constat s'impose en Inde, en Grèce et en Afrique francophone.

L'un des non-dits de ce projet de loi, c'est la volonté de poursuivre le désengagement financier de l'État. Les nouveaux EPCI devront tirer une partie de leurs ressources du produit de leurs activités. Ce changement de statut risque de favoriser le recours aux financements privés, alors même que ces opérateurs continueront à exercer des missions de service public. L'influence de l'État s'en trouvera réduite car, selon l'adage, « qui paie commande ».

Le personnel du ministère est inquiet. Les agents des opérateurs culturels exerçant en France ou à l'étranger craignent que les propositions de réemploi qui leur seront faites ne correspondent par à leur activité actuelle. Ils s'interrogent également sur le délai dont ils disposeront pour accepter ou refuser les offres qui leur seront faites. Étant donné que les salariés transférés seront soumis à la convention applicable au nouvel établissement public dès qu'un accord aura été conclu ou au plus tard quinze mois après leur transfert, n'aurait-il pas été plus judicieux de fixer ce délai à quinze mois ?

Le projet de loi accorde au personnel une représentation trop faible au sein des conseils d'administration des deux établissements pour qu'il puisse faire valoir ses intérêts. Nous avons déposé un amendement pour y remédier.

Un statut d'établissement public administratif (EPA) eût assuré la prééminence de la puissance publique dans le financement et le pilotage des agences et apporté des garanties au personnel.

Pour plus de cohérence et d'efficacité, il faudra bientôt transférer la gestion du réseau culturel à la nouvelle agence. Il n'y aurait aucun sens à créer une agence parisienne détachée des 130 centres installés à l'étranger ! Certes, notre commission a précisé les rapports entre le réseau et l'agence, qui aura la haute main sur le recrutement, l'affectation, la gestion des carrières et la formation professionnelle du personnel. Mais pour éviter que le rattachement soit renvoyé aux calendes grecques, il aurait fallu fixer une date butoir !

Quant à l'agence pour l'expertise et la mobilité internationale, elle est dotée d'une structure juridique souple, propre à fédérer les opérateurs. Mais cela n'enlève rien à mes critiques de fond.

J'aimerais également que le Gouvernement nous apporte quelques éclaircissements sur le remboursement des frais de secours à l'étranger. Ce texte donne au remboursement une base juridique mais il reste trop général. L'État pourrait ainsi demander au journaliste enlevé en Afghanistan ou à la direction de France Télévisions de le défrayer ! Les récentes déclarations du Président de la République, du secrétaire général de l'Élysée et du chef d'état-major des armées, critiquant l'irresponsabilité de certains et se désolant du coût des opérations de secours, ont créé un climat qui fait craindre à la presse une régression.

Contrairement à ce qu'écrivait un de ses thuriféraires ce week-end dans Le Monde, ce projet de loi n'est ni audacieux ni révolutionnaire. Bien au contraire, il manque d'ambition et n'accorde pas à notre action culturelle les moyens dont elle a besoin pour faire face à la mondialisation. Le groupe CRC-SPG votera contre. (Applaudissements à gauche)

Mme Catherine Tasca.  - Une fois de plus, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur un projet de loi, n'autorisant qu'un débat parlementaire tronqué et contournant le bicamérisme alors même que beaucoup s'interrogent sur la qualité de la production législative. Ce texte aurait mérité plus d'attention ! (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit)

Je me concentrerai sur son volet relatif à l'action culturelle. Tous ceux qui s'intéressent à la politique étrangère savent que l'action culturelle extérieure est un élément majeur de notre politique d'influence. Or le Livre blanc sur la politique étrangère puis les travaux de nos deux commissions ont mis en évidence la faiblesse des moyens qui lui sont accordés. Beaucoup espéraient de ce projet de loi une rénovation du réseau ; ils ont été déçus. Malgré les améliorations très sensibles apportées par notre rapporteur, ce texte manque de cohérence et d'ambition. Nous avons appelé de nos voeux cette réforme et nous voudrions croire à son efficacité ; mais nous sommes perplexes. Il est fâcheux que ce débat vienne quelques jours après l'examen du projet de finances rectificative, qui nous a fait découvrir de nouvelles coupes budgétaires : 13,6 millions d'euros de moins pour la mission « Action culturelle de l'État », 23,4 millions pour la mission « Aide publique au développement ». Il serait injuste de vous imputer à vous seul ces décisions, monsieur le ministre, mais nous ne pouvons vous en faire crédit...

Vous aviez pour projet de créer une grande agence chargée des échanges culturels à l'étranger, regroupant CulturesFrance et les centres et instituts français à l'étranger. Hélas, vous vous êtes arrêté en chemin, reportant de trois ans le rattachement du réseau à l'agence et amputant ainsi la réforme de sa principale audace. En définitive, ce texte se contente de transformer le statut de CulturesFrance, qui deviendra un établissement public industriel et commercial. Cela résoudra-t-il au moins la crise des moyens de notre diplomatie culturelle ? On peut en douter. On lit ainsi, dans l'exposé des motifs, que les nouveaux opérateurs « retirent une part significative de leurs ressources du produit de leurs propres prestations ».

Dans la rédaction initiale de l'article 3, « les recettes provenant de l'exercice de leurs activités » figuraient à la première place des ressources de ces établissements. L'objectif était de diminuer, voire de supprimer, tout financement public en incitant ces opérateurs à mener des activités lucratives...

M. Robert Hue.  - Très bien.

Mme Catherine Tasca.  - Heureusement, la commission, à l'initiative de son rapporteur et du groupe socialiste, a réintroduit les dotations de l'État au premier rang des ressources de l'agence. Au regard de la dégradation des crédits, on peut toutefois douter de son effectivité...

Le statut d'établissement public administratif nous paraît plus adapté, s'agissant d'une mission régalienne. Nos amendements tenteront d'y remédier.

La création de cette agence ne dispense pas l'État de définir les objectifs stratégiques de notre diplomatie culturelle. Le ministère des affaires étrangères a déjà renoncé au pilotage de l'audiovisuel extérieur au profit d'une holding. La nouvelle agence ne sera-t-elle pas également privée de pilotage stratégique ? La création du Conseil d'orientation stratégique va dans le bon sens à condition que les ministres des affaires étrangères et de la culture harmonisent leurs objectifs et additionnent enfin leurs réseaux. Dommage que vous n'ayez pas retenu l'idée d'un secrétariat d'État chargé de l'action culturelle, de l'audiovisuel extérieur et de la francophonie, prônée par le rapport de Rohan-Legendre...

L'ensemble des crédits consacrés à notre diplomatie culturelle représente 136 millions, soit moins que le budget de la Bibliothèque nationale ou de l'Opéra de Paris -dont il ne me vient pas à l'idée de contester l'utilité. La fonte de vos crédits s'est accélérée en 2009, avec une baisse des subventions de 20 à 30 %. Aujourd'hui, les instituts culturels en sont à faire des économies de bout de chandelle pour acheter quelques livres ou DVD ! L'enveloppe exceptionnelle de 40 millions ne compensera pas la baisse des crédits. Depuis des années, la cure d'amaigrissement imposée à votre ministère se fait aux dépens de l'action culturelle extérieure. Comment croire que celle-ci est une priorité ? Dans le même temps, Britanniques, Allemands, Espagnols augmentent les crédits, tandis qu'Hilary Clinton souligne l'importance de la diplomatie « de l'intelligence ». Notre pays doit-il être le seul à y renoncer ?

Les agents de nos centres et instituts ne peuvent faire carrière dans le réseau culturel. Il s'agit pourtant d'un vrai métier ! Arbitraire des nominations, insuffisance des formations, absence de perspective de carrière, de passerelles avec le réseau des établissements culturels en France : tels sont nos handicaps. Sans une meilleure gestion des ressources humaines, toute réforme de l'action culturelle extérieure ne pourra qu'échouer. (Applaudissements à gauche) Notre commission a introduit, au titre des missions de l'agence, le conseil et la formation professionnels ainsi que la participation à la politique de recrutement, d'affectation et de gestion des carrières. L'effectivité de cette disposition sera une des clés de la réussite de la réforme.

Enfin, espérons que le report du rattachement des centres et instituts locaux à l'Institut Victor Hugo n'est que transitoire. La mauvaise circulation des réflexions et des propositions entre administration centrale et centres et instituts est source d'insatisfactions. La future agence devra renforcer ces liens. Votre texte, en l'état, ne surmonte pas ces défauts. C'est pourquoi notre commission a prévu de rattacher, à titre expérimental, des éléments du réseau à l'agence. ÀA vous, monsieur le ministre, d'y préparer diplomates et professionnels, et surtout de reconquérir les budgets nécessaires.

Ce projet de loi n'est qu'une toute petite étape vers la réforme que nous espérions. La position de notre groupe dépendra de l'accueil que vous ferez à nos amendements. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Chevènement.  - « Le pape, combien de divisions ? » On se souvient de la célèbre apostrophe de Staline à Churchill. (Sourires) On pourrait vous poser la même question, monsieur le ministre, à propos des moyens consacrés à notre action culturelle et technique à l'étranger -sans méconnaître votre rayonnement personnel... (sourires) qui n'est pourtant pas à la hauteur de l'influence spirituelle du pape ! (Marques de perplexité admirative)

Vous proposez de créer deux Epic, en cohérence avec la création, au sein du ministère, d'une direction de la mondialisation. Je n'y ai pas d'hostilité de principe. En matière d'organisation, ce qui compte c'est la vision politique et surtout les moyens, par exemple pour offrir une carrière digne de ce nom aux personnels de l'action culturelle. Mais ne visez-vous pas plutôt l'inverse ?

Au moment où les États-Unis, le Royaume-Uni, mais aussi la Chine, s'attachent à renforcer leur diplomatie culturelle et leur influence, comment notre pays peut-il être le seul à réduire drastiquement les moyens consacrés à son rayonnement culturel et linguistique ? M. Duvernois parle de débâcle budgétaire sans précédent. Que ferions-nous sans le réseau associatif, sans le millier d'Alliances françaises, largement autofinancées, qui promeuvent notre langue, celle-ci qui, selon Braudel, constitue à 80 % l'identité de la France ? De 2000 à 2009, le nombre des Alliances françaises a augmenté de 8 %, tandis que celui des Instituts et centres culturels diminuait de 20 %...

Notre pays a pourtant été le premier à mettre en place une diplomatie d'influence. Au lendemain de 1870, la France a pris l'initiative, grâce à Ferdinand de Lesseps, Louis Pasteur, Ernest Renan ou Jules Verne, de mettre en place ce magnifique réseau des Alliances françaises. Aujourd'hui encore, notre pays dispose du réseau culturel le plus dense et le plus étendu.

Mais il suffit de voyager pour constater la faiblesse des moyens dont disposent nos diplomates et les personnels de notre diplomatie culturelle, dont l'engagement et le dévouement ne peuvent compenser, à la longue, la fonte des crédits et les suppressions de postes.

Comment s'étonner, dès lors, que la présence de notre langue et de notre culture diminuent, y compris dans nos zones d'influence traditionnelle ? Si le français est l'une des trois langues de travail des institutions européennes, la part des documents rédigés en français au sein de la Commission a chuté de 38 % en 1996 à moins de 12 % en 2008, au profit de l'anglais. Dans ce contexte, comment expliquer la nomination de Mme Catherine Ashton à la tête de la diplomatie européenne, alors qu'elle ne parle pas notre langue ?

Mme Catherine Tasca.  - Elle va faire un stage !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Voilà qui laisse songeur pour l'influence de notre pays...

Grâce à l'effort réalisé en 1997-1998 sous l'impulsion de M. Allègre, de M. Védrine et de moi-même, le nombre d'étudiants étrangers dans l'enseignement supérieur français est passé de 160 000 en 1999 à 266 000 en 2008. Toutefois, la France accueille peu d'étudiants des grands pays émergents, Inde, Russie ou Brésil, dont les futurs dirigeants auront une culture anglo-saxonne. En Europe, nous sommes devancés par la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Il faut dire que les moyens de promotion de CampusFrance sont dérisoires face à ceux du British Council ou du Goethe Institut... S'agissant de l'accueil des étudiants et des chercheurs étrangers, la co-tutelle du l'enseignement supérieur et de la recherche doit être préservée. Cette question mérite de figurer dans la loi et non d'être renvoyée à un décret.

Le budget consacré à notre rayonnement culturel et scientifique a connu des baisses pouvant aller jusqu'à 20 ou 30 % et tout laisse à penser que le budget et les effectifs du Quai d'Orsay vont continuer à subir des coupes claires. Car votre budget, monsieur le ministre, est pris en étau entre le marteau de la RGPP et l'enclume des contributions internationales, en hausse exponentielle.

Le montant total des contributions internationales versées par la France s'élève à plus de 740 millions d'euros. A titre de comparaison, l'ensemble des moyens consacrés à notre action diplomatique, au sens strict, ne représente que 90 millions. Vous avez évoqué un vague agrégat de 350 millions pour notre action culturelle... Notre contribution à l'Otan représente à elle seule 170 millions ! Et pour quel service ? Et, lorsque l'on consulte la liste des organisations internationales qui reçoivent une contribution de la France, on peut légitimement s'interroger. Est-il réellement utile de contribuer financièrement à l'Association pour la conservation des albatros et des pétrels, malgré toute l'admiration que je porte à Baudelaire ? De même, ne serait-il pas utile de revoir notre participation à des organisations telles que l'Organisation internationale des bois tropicaux, le Comité international du coton, la Commission interaméricaine du thon des tropiques ou encore le Groupe d'études international du caoutchouc ?

Nos participations internationales amputent d'autant les moyens dévolus aux actions bilatérales, qui contribuent pourtant de manière déterminante à notre rayonnement à l'étranger. Le soutien au multilatéralisme, que vous prônez, n'est bien souvent qu'un des aspects de l'effacement de la France. Voilà le grand mot lâché : l'effacement de la France. On n'y remédiera pas, monsieur le ministre, en réduisant la multiplicité de nos opérateurs. Sans doute faut-il resserrer le dispositif. L'agence pour l'enseignement français à l'étranger, la société de l'audiovisuel extérieur de la France, l'agence pour la diffusion de l'information technologique ont créé des précédents éclairants. Il y a sûrement des leçons à tirer pour la création des deux nouveaux opérateurs.

Une chose est sûre cependant : si vous n'avez pas des moyens substantiellement accrus au budget de 2011, mieux vaut ne pas engager des réformes précipitées qui ne feraient qu'ajouter la confusion à la disette. (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit)

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Je ne comprends pas, j'ai attendu deux ans !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Laissez les bourses universitaires au Cnous et n'engagez d'expérimentations de rattachement des instituts culturels au nouvel opérateur qu'avec des moyens substantiellement accrus. Surtout, en matière « d'expertise internationale », ne vous aventurez pas sur le terrain glissant des mises a disposition de fonctionnaires français auprès de think tanks étrangers ou encore des facturations de services d'expertises à des entreprises étrangères dans des domaines ne relevant pas nécessairement de l'intérêt public, toutes actions restant subventionnées par l'État français. Le coeur de cible doit rester notre coopération scientifique, culturelle et technique et il faut conjurer le risque de dérive mercantile, surtout si les moyens budgétaires ne sont pas suffisants.

Vous parlez de « modernisation » : en vérité, vous êtes prisonnier de cette fameuse RGPP, dont le regretté Philippe Seguin avait critiqué l'application indiscriminée, et ne pourrez donc maintenir, au fil des réductions qui se succèdent année après année, la présence universelle de notre diplomatie, dont vous convenez vous-même qu'elle est encore l'un de ses principaux atouts.

Je souhaite me tromper mais je crains qu'avec la création de l'opérateur culturel, le ministère des affaires étrangères n'ait trouvé une solution pour ne jamais harmoniser la situation salariale des recrutés locaux de ses divers réseaux diplomatiques. Le passage sous statut privé signifierait l'échec du projet d'harmonisation sociale qui, seul, répondrait à l'ambition d'une grande politique culturelle extérieure, offrant à ceux qui s'y consacrent des perspectives normales de carrière et d'épanouissement.

Ce projet de loi ne saurait tenir lieu, à lui seul, de réponse à la crise que traverse notre diplomatie culturelle. Ce n'est pas en créant une nouvelle agence, même si on décide de l'appeler « Institut Victor Hugo », que l'on pourra espérer renforcer notre action culturelle. Je suis franc-comtois et j'ai beaucoup de tendresse pour Victor Hugo mais j'aurais préféré, pour ma part, le nom plus sobre d'« Institut français », à l'image du British Council. Victor Hugo, « notre plus grand poète, hélas ! », ne résume pas toutes les faces de la culture et de la littérature françaises.

Les amendements de la commission des affaires étrangères apportent certes des améliorations bienvenues, notamment en ce qui concerne les ressources de ces établissements. En revanche, j'avoue, monsieur le ministre, que je suis médiocrement convaincu par le rattachement à cette agence des services de coopération et d'action culturelle des ambassades ou des centres et instituts culturels. Ne serait-ce pas là le signe d'un renoncement à une composante essentielle de notre diplomatie ? Le ministère des affaires étrangères et les ambassadeurs sur le terrain ne risquent-ils pas d'être tenus à l'écart et privés de cet outil majeur d'influence, comme c'est déjà le cas en matière économique, avec Ubifrance, ou en matière d'aide au développement, avec l'Agence française de développement ? La culture peut encore moins être dissociée du politique.

En définitive, l'État sera-t-il toujours en mesure de conduire une diplomatie culturelle ? J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez nous rassurer sur ce point.

Pour terminer, monsieur le ministre, vous avez évoqué, dans une interview au Journal du Dimanche, il y a deux jours, la création d'un État palestinien, avant même la négociation sur ses frontières. On n'en attendait pas moins du créateur de « Médecins sans frontières ». Mais ne craignez-vous pas, dans le rapport de forces actuel, d'entériner ainsi les avancées de la colonisation israélienne des territoires occupés ? Quel est, sur ce sujet, l'avis de M. Mahmoud Abbas ? Et celui des États-Unis ? Sur ce sujet aussi, nous aimerions être rassurés. (Applaudissements à gauche)

M. André Trillard.  - A l'heure où l'influence française dans le monde recule, notre diplomatie culturelle s'essouffle. Le rapporteur pour avis du budget de l'action extérieure, que je suis, se réjouit de l'arrivée d'un tel texte dans notre assemblée. Chacun connaît la qualité du travail accompli au Sénat sur ces sujets depuis quelques années. Aussi, je tiens à remercier les présidents des commissions des affaires étrangères et des affaires culturelles pour leur rapport sur le rayonnement culturel international, qui pose, objectivement, les défaillances de notre diplomatie culturelle ; les rapporteurs des deux commissions, MM. Kerguéris et Duvernois, ainsi que mon collègue Adrien Gouteyron pour ses rapports et analyses budgétaires des plus pertinentes sur le fonctionnement du Quai d'Orsay en général. Je ne doute pas que tout ce travail réalisé en amont, et avec vous monsieur le ministre, permettra à ce projet de loi d'être un texte fondateur pour notre politique de rayonnement à l'étranger.

Car c'est bien de politique dont il est question. Il s'agit de doter l'ensemble de notre réseau culturel à l'étranger de moyens efficaces afin que notre politique en faveur de l'action extérieure de l'État soit plus moderne, et surtout plus visible. A ce titre, ce texte s'inscrit non seulement dans la révision générale des politiques publiques mais il répond également aux objectifs fixés par Livre blanc de la politique étrangère et européenne.

La France dispose du plus grand réseau culturel à l'étranger au monde. Il est l'oeuvre de personnalités issues de la société civile qui, au fil des siècles et d'expéditions, n'ont cessé de promouvoir les valeurs françaises dans le monde entier, de créer et de répondre à une immense attente de France. Ce réseau est un héritage fabuleux par son histoire et sa diversité. Toutefois, comme tous les héritages, si on ne le fait pas fructifier, il est dilapidé et peut même disparaître. Notre politique en faveur de l'action extérieure ne doit plus reposer uniquement sur la réputation des alliances et centres français, dont le travail est remarquable. C'est à nous, politiques, de leur donner des directions claires et d'optimiser leurs moyens. Il est grand temps de définir un pilotage stratégique cohérent.

Car si la diversité des agences et opérateurs qui animent notre réseau culturel à l'étranger est une chance, le pluralisme, en termes budgétaire et décisionnaire, est devenu un handicap face à la concurrence née de la mondialisation. Notre réseau a besoin d'une réforme structurelle. D''autant plus qu'aux difficultés inhérentes à une gestion interministérielle s'ajoutent les baisses de crédits alloués à l'action culturelle extérieure et à la coopération éducative et scientifique. En 2009, nous avons constaté une baisse de 13 % en moyenne sur le programme 185... Il est impératif qu'à terme, nous bénéficiions d'un budget global pour l'action extérieure de l'État. Cela nous permettrait d'avoir, enfin, une réelle visibilité financière.

Cette dispersion des financements n'est plus raisonnable, de même que les « co-tutelles ».C'est pourquoi la réunion des opérateurs gérant la mobilité universitaire et scientifique -tels que CampusFrance, Egide, France Coopération Internationale- en un seul établissement public industriel et commercial relève du bon sens. Cette future agence pour l'expertise et la mobilité internationale -l'Afemi- doit non seulement relever de la tutelle unique des affaires étrangères mais elle devra aussi demeurer la seule agence gérant la mobilité universitaire. C'est pourquoi il est souhaitable que le Centre national des oeuvres sociales universitaires (Cnous) y soit intégré. Si un deuxième opérateur gérant les bourses des étudiants étrangers relevant du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche voyait le jour, cela viderait le texte de son objectif premier. Il faut savoir ce que nous voulons : soit nous mettons en place un dispositif au fonctionnement rationalisé, soit nous créons d'ores et déjà des doublons et des dérogations et l'Afemi et la réforme perdront de leur sens.

L'action culturelle française à l'étranger doit bénéficier d'une plus grande lisibilité et doit être facilement identifiable. La création de l'Institut Victor Hugo va dans ce sens. Cet institut regroupera tous les acteurs participant à l'action culturelle extérieure sous un label unique. L'appellation a pu faire débat. La question n'est pas d'être des « hugolâtres » extrémistes mais là encore, il s'agit d'être pragmatique et de faire simple. Si beaucoup de gens ignorent qu'Hugo fut l'un de nos pairs, son oeuvre littéraire représente la France tout entière. De ce fait, il parait inutile d'y associer le terme « français ».Prenons exemple sur nos voisins européens qui ont choisi une dénomination simple, emblématique et percutante. Dans le panel des représentants de la culture européenne, nous avons le British Council, les Instituts Goethe ou Cervantès mais en aucun cas une triple terminologie.

J'en viens à l'une des autres avancées de ce texte. La modification du mode de versement de l'allocation au conjoint de l'agent expatrié. Cette allocation se substituera au supplément familial de 1967 et sera désormais versée directement au conjoint. Cette mesure, attendue depuis longtemps, est neutre budgétairement.

Les articles 13 et 14 répondent à l'irresponsabilité croissante de certains de nos concitoyens qui s'aventurent dans des pays déconseillés par les affaires étrangères pour des raisons évidentes de sécurité. Leur rapatriement, à un coût trop souvent ignoré par ceux qui en bénéficient, engage aussi la sécurité de ceux qui en ont la charge et peut avoir un impact négatif sur nos relations diplomatiques. Cette conception exorbitante de la gratuité des secours n'a pas d'équivalent juridique à l'étranger. Ces articles, qui ont surtout un but de responsabilisation, ne sont ni coercitifs, ni « exclusifs ». Les professionnels ou les civils qui devront se rendent impérativement dans des pays « déconseillés » ne sont pas concernés.

Si pour André Malraux, « la culture ne s'hérite pas, elle se conquiert », je vous propose d'allez au-delà de cette maxime.

Nous devons mettre en place un dispositif culturel conquérant en confortant les ambassadeurs et attachés culturels dans leur rôle de coordonnateurs. A l'heure où nous parlons, la National public library de New York fête les 250 ans de Candide, un festival consacré à Marguerite Duras est organisé conjointement par l'institut français de l'alliance française et une cinémathèque new-yorkaise, le Wine & food festival accueillera de grands chefs parisiens à Miami. Ces trois événements démontrent la force d'impulsion des attachés culturels et des ambassadeurs, acteurs essentiels de notre rayonnement.

La mise en place d'une diplomatie culturelle ambitieuse exige d'adopter une logique d'influence, ce que Joseph Nye appelle « soft power », pour susciter l'envie de France. Mais nous devons aussi encourager les initiatives privées. La France est reconnue comme un pays de culture ; pourquoi ne pas faire confiance à ceux dont la culture est le coeur de métier ?

Aujourd'hui, le cinéma et l'université ne suffisent plus à donner envie de France : les dialogues d'Audiard ne résistent que difficilement aux superproductions hollywoodiennes ; la Sorbonne en grève ne concurrence guère les campus d'Harvard, ce qu'atteste le classement de Shanghai. Notre attractivité tient donc à l'image et à la performance : il faut être bon et le rendre visible. C'est ce qu'Hillary Clinton dénomme « smart power », le pouvoir de l'intelligence, combinant tous les outils pour développer une bonne image de notre pays et augmenter la demande de France.

Pour illustrer ce propos, je citerai le festival de musique classique organisé chaque année en Loire-Atlantique sous le nom « La folle journée ». Un de ses organisateurs et producteurs est le Centre de réalisation et d'études artistiques (Créa), au statut analogue à celui d'une société. Après avoir créé ce concept, il l'a exporté à l'étranger : « La folle journée » s'est déroulée à Tokyo, à Bilbao et à Rio. Plus que du rayonnement, c'est de l'influence !

Ce projet de loi pose les fondements d'une nouvelle action extérieure de la France. Sachons de ne pas passer à côté ! Le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements à droite)

M. Yves Pozzo di Borgo.  - Ce texte marque une nouvelle étape dans la réforme d'ensemble du Quai d'Orsay. Son mérite ? Passer d'une logique de rayonnement à une logique d'influence. L'idée n'est pas nouvelle : elle a inspiré Darius lorsqu'il payait des citoyens grecs afin qu'ils soutiennent les positions perses ; c'est elle qui poussait Alexandre à se proclamer fils des dieux locaux et à encourager le mariage entre ses généraux et des autochtones ; Sun Tzu ne conseillait pas autre chose dans L'art de la guerre lorsqu'il suggérait d'offrir du vin et des concubines au roi voisin pour amollir son caractère. Ces exemples remontent à plus de 2000 ans ! On pourrait en trouver d'autres mais la diplomatie d'influence date réellement du XXe siècle car depuis l'entre-deux guerres, les politiques étrangères de tous les États tendent à conforter leur influence dans le monde. Les émissions de Radio free Europe, le monopole audiovisuel de CNN en 1991 et la création de France 24 en sont autant d'illustrations.

Sans doute avant la France, nos partenaires ont pris conscience du rôle stratégique de la culture et des idées dans l'action diplomatique. Il était donc temps de créer une agence chargée de la coopération culturelle. Elle devra être la vitrine de la diversité culturelle française. Soutenant les artistes, elle promouvra notre culture et notre langue. Elle devra aussi être à l'écoute de nos partenaires étrangers, via notre réseau diplomatique.

A l'initiative de son rapporteur, la commission a conforté ses objectifs et a comblé un silence du texte en plaçant la future agence sous la tutelle du ministre des affaires étrangères. Les machines à deux têtes sont difficiles à manier ! Le ministère de la culture devra pourtant être associé à la prise de décision. En effet, l'établissement exercera ses missions selon les orientations définies conjointement par le ministère des affaires étrangères et par le ministère de la culture. Celui-ci sera représenté au conseil d'administration et cosignera le contrat d'objectifs et de moyens entre l'opérateur et l'État. Enfin, la commission a prévu qu'un conseil d'orientation stratégique associe tous les ministères concernés afin d'établir un équilibre dans la bonne gouvernance.

Je suis toutefois surpris que tous les acteurs concernés relèvent du secteur public. Qu'en est-il de la sphère privée ? Nous sommes marqués par Malraux et par la puissance du ministère de la culture. Pourtant, je ne suis pas sûr que le domaine régalien soit concerné. Sans vouloir écarter l'État, je souhaite l'associer au privé. Revient-il aux fonctionnaires de désigner les meilleurs artistes de l'art contemporain ?

Le deuxième opérateur sera chargé d'accompagner la mobilité en France des étudiants et des chercheurs étrangers, mais aussi des étudiants et chercheurs français hors de nos frontières.

Là encore, nous soutenons les améliorations introduites par la commission. Mais j'irai plus loin sur ce sujet : le niveau relationnel est primordial pour le réseau des universitaires et des chercheurs français ou étrangers. L'autonomie des universités confortera cette dimension. L'article 5 accorde un rôle important au ministre de l'enseignement supérieur envers l'établissement public pour l'expertise et la mobilité internationales. Je regrette toutefois que les ministres de l'enseignement ne soient pas des acteurs plus importants. Il importe que le « patron » de l'agence puisse ne pas être un ambassadeur sans poste mais, par exemple, un président d'université, un chercheur ou un chef d'entreprise. J'espère que la commission de la culture et celle des affaires étrangères seront saisie de cette nomination.

La montée en puissance de la Chine, de l'Inde et de l'Amérique latine s'accompagne d'un abaissement relatif de l'Europe. Celle-ci ne sera une grande puissance que si elle réussit à contrôler l'économie de la connaissance.

Pour entrer dans les faits, cette réforme devra donner ses fruits. Le plus crucial concerne la gestion des ressources humaines. Il faudra sans doute élargir notre vivier de compétences, en établissant des passerelles avec les administrations mais aussi avec le secteur privé. Là encore, il y a beaucoup à faire ! Il faudra aussi conduire une véritable formation permanente.

Cela me conduit au défi des moyens, qu'il faudra relever sur le plan humain et financier.

J'en viens donc au défi technique, car internet bouleverse notre manière de communiquer mais aussi de diffuser notre savoir et notre culture. On ne peut prétendre à une influence culturelle sans prendre cette révolution à bras le corps. Internet offre à chacun la possibilité de s'exprimer au plan mondial. Pour prendre sa place sur la toile, la France doit valoriser la société civile, un sujet auquel je vous sais très sensible, monsieur le ministre. Les organisations non gouvernementales, les entreprises, les associations et les individus occupent une place nouvelle sur la scène internationale. Aujourd'hui, l'influence dépend des capacités à tisser des réseaux d'idées. Pour ce faire, l'État doit s'entourer de la société civile, ce que les anglo-saxons ont très bien compris puisque les médias américains diffusent leur vision du monde sur tous les continents. La nouvelle agence devra donc être un support de la société civile plus qu'un décisionnaire.

Enfin, je regrette que le texte reste dans un cadre strictement national alors que le traité de Lisbonne a doté l'Union européenne d'un haut représentant pour les affaires étrangères. Certes, l'action extérieure dans le domaine de l'éducation et de la culture reste nationale mais ne serait-il pas judicieux de l'inscrire dans un cadre européen ? La prochaine réforme de votre ministère améliorera peut-être l'articulation avec les initiatives communautaires.

Malgré mes réserves, ce projet de loi forme une première étape utile. Le groupe de l'Union centriste votera le texte dans la rédaction de la commission des affaires étrangères, qui a fourni un travail remarquable. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Adrien Gouteyron.  - Quelques brèves remarques. Je ne veux pas être désagréable mais j'aurais aimé voir aussi au banc du Gouvernement le ministre de la culture, même si je n'ignore pas que le ministère des affaires étrangères doit être le pilote. L'implication du ministère de la culture doit être constante ; il ne doit pas y avoir une simple concertation épisodique. Je ne veux pas que l'on distingue entre rayonnement culturel dans l'Hexagone et à l'étranger. Si le monde de la culture a confiance en lui-même, il saura se faire entendre et lire à l'étranger.

J'ai beaucoup apprécié votre discours enthousiaste, monsieur le ministre, mais est-il susceptible de susciter l'enthousiasme que votre projet de loi ne suscite pas ? Celui-ci ne représente certes qu'un premier pas, mais qui devait être franchi. Ce n'est encore qu'un squelette, auquel il faudra donner chair et âme. Ce qui compte, c'est la capacité du nouvel institut à sortir du pré carré administratif.

Je connaissais peu nos ambassadeurs ; depuis que je suis rapporteur spécial de l'action extérieure de l'État, je les rencontre et je constate leur bonne volonté et leurs grandes capacités. Mais je ne suis pas sûr qu'ils aient le temps de consacrer à l'action culturelle toute l'énergie que celle-ci requiert.

Je sais, monsieur le ministre, que vous avez lancé une enquête interne sur ce projet de loi. Nous n'en connaissons pas les résultats ; sont-ils marqués du sceau de l'enthousiasme ? (M. le ministre fait de grands gestes dénégateurs) Je ne veux pas être désagréable, je n'insiste pas. (Sourires)

Lors d'une récente interview, vous avez nommé les instituts Goethe et Cervantès, le British Council. La comparaison doit être affinée.

M. Ivan Renar.  - Tout à fait.

M. Adrien Gouteyron.  - Quand je vais à l'étranger, je rends visite à ces instituts ; je ne souhaite pas que ceux que ce projet de loi crée aient la même autonomie.

Il faudra aller plus loin que ce que ce texte indique ; je me félicite donc qu'il comporte une clause de revoyure, même si ce mot me déplaît. On aurait pu aussi procéder par étapes... Nul ici n'ignore les pesanteurs internes et les influences extérieures qui ont pu brider votre volonté. Il va donc falloir encore avancer ; cette détermination, je ne doute pas que vous l'ayez.

Je me réjouis que le rapporteur ait insisté pour que l'on procède par expérimentations locales. Dans toute administration monolithique, il faudrait procéder ainsi.

Dans un papier publié dans un journal du soir, je demandais que l'on cesse de confondre présence culturelle et centres culturels. Les conseilleurs culturels ne doivent pas s'enfermer dans un lieu dont le rayonnement est forcément limité, ils doivent être des passeurs qui cherchent des relais dans les pays où ils sont. Il ne suffit pas de projeter un film dans une salle de 300 places pour que la culture française rayonne ! Le rôle des conseillers culturels est très beau mais difficile. Oui, « la culture se nourrit de l'échange et meurt de la solitude ». Ne restons pas dans nos murs ! Telle doit être l'action des conseillers culturels.

Cela dit toute l'importance qu'aura le choix de ceux qui composeront le réseau. Ce ne peut être l'affaire d'un seul ministère. Il faut que ces conseillers soient bien choisis, qu'ils aient une carrière intéressante, qu'ils aient du temps sur place.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Très bien !

M. Adrien Gouteyron.  - Il y a là beaucoup de chemin à parcourir.

En tant que rapporteur spécial des crédits de vote ministère, j'ai constaté leur baisse, ainsi que celle de vos effectifs. On a atteint la limite au-delà de laquelle l'essentiel serait touché.

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Très bien !

M. Adrien Gouteyron.  - Je souhaite bon vent au nouvel institut. Il dépendra de vous, monsieur le ministre, qu'il vive réellement et ne soit pas une coquille vide. (Applaudissements à droite et au centre)

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - De toutes ces annonces de réformes, suivies en écho de coupes budgétaires, de ces discours tonitruants sur le rayonnement culturel de la France qui couvraient le grincement des portes des centres culturels qu'on fermait, que reste-t-il ? Quel message d'espoir adressé aux agents de la diplomatie culturelle ? Quels moyens seront mis en oeuvre pour relever la place de la France dans l'expertise internationale et dans la formation supérieure des futures élites du monde ? Votre réponse, c'est un discours enflammé mais un projet de loi dont le souffle et l'ambition évoquent ceux de la notice technique du dernier Smartphone.

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Vous êtes méchante !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - J'exagère à peine, monsieur le ministre. Mais je sais que notre déception est aussi un peu la vôtre : ce n'est pas de ce meccano juridico-administratif que vous rêviez quand vous avez annoncé, il y a un an, vos projets de relance de l'action culturelle extérieure de la France.

Nous n'approuvons pas que le Gouvernement auquel vous appartenez délègue la plus grande part possible de son action à des opérateurs extérieurs tout en s'apercevant qu'ils échappent par trop à la toise de la RGPP et à son contrôle.

C'est le pilotage qui manque le plus cruellement : le général qui indique le sens de la marche aux fantassins désigne la position à prendre et s'assure qu'ils sont nourris et ont des munitions. (M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, approuve) Or dans le réseau culturel, pour la mobilité internationale ou l'attraction des étudiants étrangers, c'est août 1914 tous les jours : ordres, contrordres, pas d'ordres du tout et l'intendance qui ne suit pas. Les personnels attendent une orientation réaliste et des moyens assurés dans la durée. A cette condition, qu'ils soient fonctionnaires ou contractuels, ils pourront se projeter dans l'avenir, mobiliser leur inventivité et leur passion au service de notre diplomatie culturelle.

Le moment est venu de rétablir la confiance des agents en eux-mêmes et envers l'institution qu'ils servent : qu'ils cessent de vivre dans la menace de la fermeture, du licenciement, du retour en France. Quand un agent compétent ne fait que passer dans le réseau culturel alors que, chez nos homologues, il y ferait carrière, quand les moyens financiers diminuent ou fluctuent en cours d'année, le découragement et la démobilisation se répandent. CulturesFrance, transformé en Epic, y remédiera-t-elle ?

J'ai beaucoup apprécié votre discours, monsieur le ministre, mais les objectifs du Gouvernement se limitent au désengagement financier et politique de l'État et aux économies d'échelle. On peut discuter du statut d'Epic mais le caractère « industriel et commercial » relève ici du fantasme du moindre coût et de la souplesse de gestion, du profit au détriment de l'ambition culturelle. Tous nos grands musées ont un statut administratif, de même que l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE), parce que la culture et l'éducation ne sont pas des biens commerciaux. C'est le principe de l'exception culturelle. Pour ce qui est de la souplesse de gestion, l'EPA n'est pas moins efficace que l'Epic. Il peut même bénéficier de dons défiscalisés provenant d'un pays de l'Union européenne et de ceux des fonds de dotation : sur ces points, il est mieux placé que l'Epic. La véritable raison du choix de l'Epic est la souplesse de gestion des salariés, sous contrat de droit privé.

Le statut d'Epic est un obstacle à la mise en synergie du réseau culturel et de l'agence. Les fonctionnaires ne pourront y travailler et le basculement des agents du réseau diplomatique sera difficile et coûteux. Les centres culturels à l'étranger perdront leur statut diplomatique, juridique et fiscal d'exception. Il aurait été préférable de basculer le réseau dans un EPA en quelques années, en suivant l'exemple de l'AEFE. Le choix du statut aurait mérité une réflexion plus approfondie.

Le seul objectif décelable du regroupement de France coopération internationale (FCI), de CampusFrance et d'Égide au sein de l'agence de la mobilité internationale est de réaliser des économies d'échelle. Or, en l'absence d'accord entre votre ministère et celui de l'enseignement supérieur et de la recherche, nous gardons un système dual de gestion des bourses et d'accueil des étudiants étrangers. Nous n'accueillerons pas mieux ces derniers et nous continuerons à gaspiller des crédits publics. Les pièces du puzzle ne s'emboîtent pas et il lui manque le gros morceau du Cnous.

Enfin, le progrès des mobilités suppose que le ministère de l'immigration cesse de refuser les visas à des étudiants et des chercheurs de haut niveau, comme en témoigne le cas de Farzaneh Sheidaei, astrophysicienne iranienne qui n'a pas pu rester à Jussieu et est partie en Afrique du sud.

Mme Catherine Tasca et M. Richard Yung.  - Merci Besson !

Mme Monique Cerisier-ben Guiga.  - Lors de l'examen du budget de l'action culturelle extérieure pour 2003, j'ai estimé qu'en matière d'action culturelle extérieure, l'écart entre les intentions proclamées et la baisse des dotations continuait de s'élargir : « Il faudra un jour mettre fin à ces déclarations incantatoires qui ont perdu tout pouvoir d'entraînement sur les acteurs de terrain et contribuerait plutôt à les décourager ». Le mal est ancien. Ce projet de loi le guérira-t-il ? Je ne le crois pas.

Notre volonté de réformer la diplomatie culturelle est pourtant grande : six rapports parlementaires et de nombreux groupes de travail ministériels lui ont été consacrés... Et nous avons cherché à travailler dans une démarche constructive en amendant ce texte. Mais, monsieur le ministre, je n'ai trouvé ni dans votre discours ni dans ce projet de loi des solutions aux multiples défis à relever. Nous sommes donc sceptiques, mais nous écouterons vos réponses avec attention. (Applaudissements à gauche)

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Monsieur le ministre, je vous remercie de votre initiative pour moderniser et rationaliser notre dispositif culturel à l'étranger. J'ai lu ce week-end, dans un grand quotidien national, un certain nombre de critiques, dont certaines sont inacceptables. S'il y a bien eu une baisse considérable des crédits, c'est vous qui avez stoppé cette hémorragie en augmentant le budget de 40 millions d'euros dans le projet de loi de finances pour 2009 et en évitant que le programme 209 ne subisse la ponction du grand emprunt. Il faut faire mieux, mais pas au détriment de l'enseignement du français à l'étranger et de l'action sociale en faveur des plus démunis. Les attaques contre CulturesFrance me semblent également indignes, et je salue le travail accompli par cet organisme depuis sa création, ainsi que ses efforts de rigueur budgétaire en réponse à une demande d'Adrien Gouteyron. Je rappelle le succès rencontré par l'année de la France au Brésil ou de la Turquie en France.

On vous accuse de tergiverser parce que vous avez consulté, mais je vous remercie de nous avoir écoutés, monsieur le ministre. Ainsi, lors de votre dernière audition par la commission des affaires étrangères, vous avez accepté que l'Assemblée des Français de l'étranger soit représentée dans les futures agences au titre des personnalités qualifiées. Cette assemblée, qui représente l'ensemble de nos deux millions et demi de compatriotes expatriés, a pour mission de conseiller le Gouvernement. J'aurais aimé qu'elle soit plus étroitement associée à l'élaboration de ce texte et qu'il y ait été fait expressément référence, mais je compte sur vous pour qu'elle soit davantage consultée et informée. Nous ne pouvons nous passer de l'expertise et de l'expérience de ces élus.

Deux questions me paraissent essentielles pour le succès de votre démarche. Tout d'abord, la culture, même si elle est extérieure, ne peut plus relever du seul ministère des affaires étrangères. Nous ne pouvons dissocier la culture sur le territoire français et à l'extérieur. La vocation de notre action culturelle est de rayonner hors de nos frontières et nos créateurs ne réussiront que si ces deux dimensions sont étroitement imbriquées. Les attentes peuvent différer à Brive-la-Gaillarde, à Alger ou à Santiago mais partout, nous devons avoir une ambition d'excellence. L'international doit imprégner toutes nos politiques, être le fil transversal et conducteur à l'aune duquel devraient se jauger toutes nos initiatives. Les ambassadeurs doivent garder un rôle prééminent tout en étant appuyés par une administration culturelle forte afin d'éviter les discontinuités dans notre action.

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L'AFAA et CulturesFrance avaient obtenu la co-tutelle du ministre des affaires étrangères et de la culture. Il faudrait, de même, impliquer fortement la rue de Valois dans le conseil d'orientation stratégique. A défaut, ce ministère risquerait de développer son propre outil de rayonnement international. Nous avons trop souvent l'habitude de dupliquer nos institutions et nos initiatives alors que nous avons au contraire besoin de cohérence pour mieux appréhender l'avenir. Dans ce cadre là, je soutiens la proposition de Catherine Tasca de créer un poste de secrétaire d'État à l'action culturelle extérieure, sous l'autorité du ministère des affaires étrangères et en coordination avec le ministère de la culture.

Je veux dire, enfin, que l'appellation d'institut français me paraît préférable à celle d'institut Victor Hugo. Non que je n'admire pas l'immense écrivain, qui était aussi un Français de l'étranger et un sénateur, mais parce que je crois qu'on gagnerait, au XXIe siècle, à ne pas s'en tenir à une référence du XIXe siècle. Qui plus est, de nombreux instituts français accolent à leur nom celui d'une personnalité française qui a eu une influence dans le pays concerné, par exemple Henry de Monfreid à Sanaa, Baudelaire à Maurice, Rimbaud à Djibouti ou encore Senghor à Dakar. Leur imposer un nom paraîtra diminuer celui qu'ils se sont choisis et notre initiative passera pour du jacobinisme, du despotisme de la pensée même, contre lequel vous nous préveniez tout à l'heure, monsieur le ministre ! Alors, ce n'est pas parce que l'Allemagne, l'Espagne et la Chine ont fait ce choix qu'il faut faire de même. Notre position est différente, tout le monde à l'étranger associe la France à la culture et à l'histoire. Savez-vous à quel qualificatif les Chinois et les Américains pensent d'abord à propos des Français ? Non pas à « innovant », « moderne », « créateur », ni même « universaliste », mais « romantique » ! (Sourires)

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Victor Hugo a été un grand romantique !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Certes, mais gardons-nous d'entretenir les stéréotypes !

M. Christian Cointat.  - J'aime bien tout ce qui est romantique !

Mme Joëlle Garriaud-Maylam.  - Tournons-nous résolument vers l'avenir, renouvelons notre image, sortons de la naphtaline ! Combien de visiteurs étrangers visitent le musée Victor-Hugo ? Pensez-vous que les jeunes artistes et créateurs seront motivés par cette appellation ? Je suis pour la connaissance de notre passé, j'ai créé un site dans ce sens, www.racinesfrance.com, mais nous devons nous ouvrir à la modernité, prendre des risques ! Les plus beaux bijoux ont besoin d'un écrin simple et élégant ! L'appellation d'institut français, utilisée dans de nombreux pays, a la préférence des personnes interrogées, je l'ai encore vérifié récemment ! Je ne voudrais pas que l'on cite à nouveau l'expression d'André Gide, quand on lui demandait quel était son poète préféré : « Victor, hélas ! », ou bien qu'on qualifie ce projet d'Hugoliade, selon l'expression d'Eugène Ionesco !

Je voterai donc l'amendement de Mme Mélot pour conserver l'appellation d'institut français et je vous exhorte, monsieur le ministre, à ne pas obliger les instituts à devoir s'appeler Victor Hugo ! Nous lançons une période d'expérimentation pour trois ans, quelle urgence y a-t-il à changer le nom des instituts ? Le choix du nom est très important, le symbole est fort, consultons la communauté française et francophone avant de nous décider ! Et pour la petite économie, ce sera autant de logos et de papier à en-tête qu'il ne sera pas urgent de changer ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Yves Dauge.  - Malgré quelques réserves, un consensus s'est largement exprimé sur ce texte, qui doit vous contenter, monsieur le ministre, et chacun ici vous reconnaît le mérite de vouloir avancer ! M. Gouteyron, qui fait partie de notre commission des finances, nous alerte en disant que les budgets sont « à l'os », c'est-à-dire sans moyens d'intervention.

Mme Catherine Tasca.  - C'est le cas !

M. Yves Dauge.  - Effectivement, même dans un pays comme l'Inde où l'on peut penser que la France met le paquet, on constate que les quinze Alliances françaises n'ont plus de budget, qu'elles doivent se débrouiller, ce qu'elles font, grâce à leur personnels, mais leur budget est « à l'os » : est-ce là l'expression d'une grande politique culturelle de la France ? La question n'est pas de la qualité ni de la motivation des agents, nous rendons un hommage largement mérité à CulturesFrance, aux centres culturels français, aux Alliances françaises ; chacun fait ce qu'il peut, sans compter son temps ni son énergie, et je me demande parfois combien de temps ils tiendront. Mais la question est budgétaire : vous avez obtenu deux fois 20 millions, monsieur le ministre, c'est bien, mais il faut aller plus loin, nous avons évalué qu'il faudrait 100 millions sur cinq ans pour remettre à niveau le réseau culturel, ce n'est pas autant d'argent que cela ! Surtout quand on compare ce montant, par exemple, aux milliards de telle baisse fiscale, accordée sans que cela ne rapporte rien !

Peut-on y travailler sérieusement ? Chaque année, nous dénonçons le manque de moyens mais nous arrivons toujours trop tard, quand les budgets sont bouclés. Alors nous faisons un rapport, lentement, pour constater le manque de moyens, et on nous répond : « On verra l'an prochain ». Peut-on anticiper, avec nos amis des finances, pour trouver des alliés à Bercy notamment, car il y en a !

Monsieur le ministre, nous savons aussi que vous avez subi une opposition interne à votre ministère même, que vous avez dû concéder un délai de trois ans. Les ambassadeurs n'ont pas à avoir peur de la nouvelle agence car vous en serez le vrai patron ! Arrêtons les fausses querelles ! Nos partenaires britanniques n'hésitent pas à nommer, à la tête des British Councils, un conseiller culturel ou un autre membre de l'ambassade. Alors, écartons les fausses raisons du blocage : elles peuvent être techniques, fiscales, budgétaires mais nous ne pouvons accepter qu'existe un blocage politique : la volonté politique, vous l'avez et nous l'avons ! Il faut tenir trois ans au moins, monsieur le ministre ! (Sourires)

M. Bernard Kouchner, ministre.  - Cela ne dépend pas de moi !

M. Yves Dauge.   - Nous serons toujours là, nous ! Nous avons travaillé ensemble, vous trouvez au Sénat un formidable appui !

Ceux qui aujourd'hui font obstacle n'en seraient pas là s'ils avaient bien géré leurs ressources humaines, s'ils avaient organisé les carrières ! Alors, pourquoi pas commencer à le faire ? Et surtout, comment le faire ? Il faut dépasser la querelle et se mettre en mouvement : c'est ce que vous faites et je trouve que vous avez du mérite à le faire ! (Applaudissements sur tous les bancs)

La séance, suspendue à 18 h 15, reprend à 18 h 20.