Détecteurs de fumée (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle les conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi visant à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation.

M. Jean-Paul Emorine, en remplacement de M. Bruno Sido, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - Je vous prie tout d'abord d'excuser notre collègue Bruno Sido retenu dans son département de la Haute-Marne. Alors que nous examinons les conclusions de la commission mixte paritaire qui s'est réunie le 13 janvier sur cette proposition de loi, un seul mot me vient à l'esprit : enfin ! Il aura en effet fallu près de cinq ans pour que nous soyons sur le point d'adopter ce texte, qui a été déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale le 28 septembre 2005. Son parcours a été chaotique, semé d'embuches face aux gouvernements successifs qui n'ont guère fait preuve de volonté pour le soutenir. Il aura fallu l'engagement résolu de parlementaires, au premier rang desquels les auteurs de cette proposition de loi, et de vous, monsieur le ministre, pour que ce texte aboutisse. Notre débat d'aujourd'hui n'aurait pu avoir lieu sans le soutien sans faille de mon collègue, Patrick Ollier, président de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, dont j'ai pu mesurer la force de conviction. Je remercie aussi les présidents Gérard Larcher et Bernard Accoyer pour leur soutien actif : la réunion de la commission mixte paritaire a en effet été provoquée conjointement par eux, ce qui est une première, en vertu de l'article 45 de la Constitution.

L'enjeu de l'installation de détecteurs de fumée est une préoccupation partagée sur tous les bancs de notre assemblée. Chaque année, plus de 10 000 personnes sont blessées, dont près de 3 000 subissent une invalidité lourde, tandis que 800 personnes périssent dans des incendies. Chacun d'entre nous, en tant qu'élu local, a été confronté à des tragédies de ce type et en est resté profondément marqué.

Or, de nombreux drames pourraient être évités : dans les pays comparables, le nombre de victimes d'incendies est inférieur de moitié, ce qui s'explique notamment par un taux d'équipement en détecteurs de fumée très supérieur : ainsi, il atteint près de 90 % en Grande-Bretagne contre seulement 2 % dans notre pays.

Cette proposition de loi vise donc à rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée dans tous les lieux d'habitation. Les deux assemblées n'ont guère eu de difficulté à s'entendre sur le principe de ce texte et quatre des cinq articles ont été adoptés en termes identiques. Seule restait en discussion la question centrale de la charge de l'installation. Notre Haute assemblée souhaitait confier aux propriétaires le soin d'installer les équipements et ne charger les locataires que de leur entretien. Nos collègues députés souhaitaient, quant à eux, faire peser la charge de l'installation sur les occupants des logements, ce qui semble être accepté par M. le ministre. J'ai clairement indiqué, lors de la réunion de la commission mixte paritaire, que j'aurais préféré que le Sénat soit suivi sur ce point. J'ai considéré cependant qu'après près de cinq ans d'attente, il était nécessaire d'arriver à une solution et que ce texte devait être adopté. J'ai donc soutenu la position retenue par la commission mixte paritaire et je remercie les représentants du Sénat, tous groupes politiques confondus, d'avoir compris ma démarche et de l'avoir très majoritairement suivie. L'article 2 a ainsi été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés par la commission mixte paritaire, la proposition de loi ayant, quant à elle, été adoptée à l'unanimité moins une abstention. Mon collègue Daniel Raoul ne me contredira pas.

L'article 2 fixe les principes suivants : la charge de l'installation du dispositif est attribuée à l'occupant du logement, quel qu'il soit, ce dernier devant également veiller à l'entretien et au bon fonctionnement du dispositif. Le propriétaire non occupant est responsable dans un nombre limité de cas définis par décret en Conseil d'État, qui traitera notamment du cas des locations saisonnières, des foyers, des logements de fonction et des locations meublées.

Ce décret déterminera également les mesures de sécurité à mettre en oeuvre par les propriétaires dans les parties communes des immeubles.

Puissiez-vous, monsieur le ministre, vous engager à publier rapidement les décrets nécessaires. Je ne suis guère inquiet car le Gouvernement, qui peut seul inscrire les conclusions d'une CMP à l'ordre du jour, aux termes de l'article 45 de la Constitution, s'est montré très réactif quant à cette proposition de loi. En outre, monsieur le ministre, vous avez lancé une grande campagne de prévention des incendies domestiques, dispositif prévu à l'article 4 de ce texte auquel vos prédécesseurs s'étaient montrés très réservés.

Pour conclure, j'invite le Sénat à voter ce texte dans la rédaction de la CMP. Au terme de cinq ans de discussion, j'espère qu'elle recueillera la majorité la plus large possible ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme.  - Je vous prie d'excuser mon retard ; j'étais retenu par la remise des conclusions de l'Observatoire national de la pauvreté, à laquelle j'assistais en compagnie de M. Hirsch.

Je vous remercie pour le travail accompli à l'Assemblée nationale et au Sénat en vue de l'adoption de ce texte, que j'espère aujourd'hui définitive. Le Gouvernement a été réceptif au consensus dégagé en CMP, preuve que ce sujet dépasse tous les clivages. Les incendies domestiques provoquent, chaque année, 800 morts et plus de 10 000 blessés, et ces statistiques terribles n'ont cessé d'augmenter depuis dix ans. Avec un taux d'équipement en détecteurs de fumée de 2 %, la France accuse un important retard alors que l'exemple de nos voisins européens, notamment anglais, prouve que si nous équipions l'ensemble de nos logements, le nombre de victimes serait divisé par deux. Pour atteindre cet objectif, le Gouvernement a lancé une vaste campagne d'information en décembre dernier, période où le risque d'incendie est élevé. Celle-ci a donné des résultats positifs : de nombreux foyers se sont équipés, si bien que nombre de magasins ont signalé être en rupture de stock et les Français ont décerné à cette campagne le titre de publicité magazine préférée des Français.

Nos efforts ne doivent pas s'arrêter là. L'exemple britannique montre que, pour une politique efficace, nous devons marcher sur deux jambes : celle de l'information et celle de l'obligation d'installation des détecteurs de fumée, portée par ce texte.

M. Nicolas About.  - Soit, mais pas à la charge des propriétaires !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Le dispositif est étalé dans le temps afin que chacun puisse s'y s'adapter. La CMP a décidé de mettre à la charge de l'occupant des lieux, soit le locataire s'il existe, l'installation des détecteurs de fumée. Le Gouvernement y était plutôt favorable, considérant que faire porter l'obligation d'installation et l'obligation d'entretien respectivement au propriétaire et au locataire serait un nid à contentieux et que le coût d'installation et d'entretien, d'environ 2 euros par an...

M. Nicolas About.  - C'est très théorique !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - ...paraît une charge acceptable pour les locataires. Je salue la détermination des parlementaires qui ont porté ce texte depuis 2005, avec le soutien actif du Gouvernement, a rappelé le président Emorine, le travail de la CMP et celui des deux présidents des commissions des affaires économiques, MM. Ollier et Emorine...

M. Charles Pasqua.  - Très bien !

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - ...qui ont convaincu les présidents des deux assemblées de provoquer la réunion de la CMP, une première dans l'histoire de la Ve République !

Je m'engage à publier les décrets dans les six mois afin que les auteurs de cette proposition de loi, les députés Morange et Meslot, et le rapporteur pour le Sénat de la CMP, M. Sido, n'aient pas travaillé pour rien ! (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Paul Emorine, en remplacement de M. Bruno Sido, rapporteur.  - Bref, avant l'hiver !

M. Daniel Raoul.  - Pour commencer, quelques mots du fonctionnement de la navette entre nos deux assemblées. Cette proposition de loi a été déposée en 2005 après des événements tragiques. Chaque année, le ministre l'a rappelé, les incendies domestiques sont à l'origine de 800 morts. Comment accepter que rien ne soit fait pour les prévenir ? Je regrette que le Gouvernement n'ait pas accéléré la navette, compte tenu de l'importance de ce texte pour la protection civile. Du reste, je ne comprends pas qu'on ait besoin d'une proposition de loi pour rendre obligatoire l'installation des détecteurs de fumée. Cela relève du règlement ! (M. René Garrec et M. Nicolas About le confirment) Bref, le Gouvernement a fait, en quelque sorte, de l'obstruction...

La position du Sénat concernant la responsabilité de l'installation a été battue en brèche par les députés et le Gouvernement. Il faut appeler un chat un chat ! Nous avons dû abandonner le principe de la responsabilité du propriétaire pour obtenir un consensus et, partant, l'adoption du texte. D'ailleurs, monsieur le ministre, peut-être pourriez-vous profiter, pour réfléchir, des six mois que vous vous donnez pour élaborer le décret. Avec la généralisation des stages de six mois en licence ou en mastère, le turnover dans des locations pour étudiant du marché libre, y compris non meublés, est très rapide. Qui entretiendra les détecteurs ?

Après discussion, y compris à l'intérieur de mon groupe -nous avons eu besoin d'une interruption de séance-, le texte de la CMP a été adopté. Toutefois, je souhaite qu'on établisse un bilan de cette loi un ou deux ans après sa promulgation, notamment sur les rôles du propriétaire et du locataire. Sous réserve de ces observations, mon groupe votera ce texte. (Applaudissements sur quelques bancs à droite)

M. Jean-Claude Danglot.  - Au cours de la navette parlementaire, le Sénat a amélioré partiellement le contenu de cette proposition de loi, déposée par ses auteurs il y a plus de quatre ans. Hélas, le texte de l'article 2, issu des travaux de la CMP, est en deçà des exigences sénatoriales. La mention de détecteur « normalisé » a été conservée, mais la CMP s'est alignée sur la position de l'Assemblée nationale en faisant peser la charge de l'installation et de l'entretien sur l'occupant du logement, tandis que le Sénat avait même, en première lecture, mis à la charge du propriétaire, outre l'installation, la maintenance de l'installation, qui se ne confond pas avec l'entretien usuel. Les dérogations pour les locations saisonnières, les foyers, les logements de fonctions et les locations meublées, si elles sont justifiées, restent insuffisantes. Le locataire supportera donc seul le coût de cette nouvelle réglementation, ce qui est problématique pour les foyers modestes. Soit, se tourner vers les propriétaires, comme le souhaitait le Sénat, n'était pas complètement satisfaisant car ces derniers connaissent également des situations financières difficiles.

On risque de voir cette nouvelle charge se répercuter sur les loyers. Or, vous ne prévoyez aucune aide pour les foyers à revenus modestes, ni les précaires.

Un investissement de 60 euros, au minimum, n'est pas anodin pour tout le monde.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Un détecteur coûte 19 euros !

M. Jean-Claude Danglot.  - Plusieurs détecteurs peuvent être nécessaires, selon la taille de l'habitation, et il faut les entretenir, sans compter que ces appareils ont une durée de vie limitée.

L'installation de détecteurs de fumée dans les 4 millions de logements de type HLM, à raison de deux appareils en moyenne par logement, représente un coût d'investissement minimum de 280 millions. Pourquoi l'État n'est pas mis à contribution, au moins pour aider les foyers les plus pauvres et les personnes les plus vulnérables ?

N'oublions pas non plus la responsabilité de la personne à qui incombe l'entretien de l'appareil. Les offices HLM, par exemple, reconnaissent ne pas pouvoir pénétrer, pour la maintenance, dans un de leurs logements sur cinq !

Nous doutons encore de la méthode directive choisie en matière d'accidents domestiques. Si le public n'est pas sensibilisé, le dispositif risque fort d'être inefficace. Le rapport de MM. Doutreligne et Pelletier explique qu'il serait vain, voire imprudent, de rendre obligatoire l'installation de détecteurs de fumée avant la mise en oeuvre d'une campagne massive de sensibilisation du public.

Le détecteur de fumée n'est qu'un outil d'alarme, et aucunement un remède. C'est pourquoi il faut, au-delà même de la sensibilisation, offrir au public une véritable formation sur les comportements à adopter en cas d'incendie. Le Sénat y a contribué mais l'article 4 se contente d'un rapport qui doit rendre compte des actions d'information du public sur la prévention des incendies domestiques et sur la conduite à tenir en cas d'incendie.

Depuis quatre ans, aucune campagne d'information d'envergure n'a vu le jour. Le Gouvernement sait pourtant trouver rapidement des crédits sur d'autres thèmes ! En réponse à la votation citoyenne contre la « privatisation » de La Poste, il a débloqué 700 000 euros pour sa campagne de publicité sur le changement de statut de l'entreprise.

Nous regrettons le manque d'information du public, alors que des vies sont en jeu. Nous regrettons aussi les graves lacunes de l'action du Gouvernement en matière de lutte contre l'habitat indigne et insalubre.

Enfin, la nouvelle réglementation aura des conséquences importantes pour l'assurance. L'article 3 bis prévoit heureusement la nullité de la clause du contrat d'assurance qui sanctionnerait, par la déchéance de ses droits, l'assuré qui n'aurait pas respecté la loi. Nous n'oublions pas qu'il était question d'autoriser les assureurs à majorer la prime d'assurance dans de tels cas.

Mais ce texte est très peu contraignant pour les assureurs, qui ne sont même pas contraints de minorer la prime d'assurance quand l'occupant installera un détecteur de fumée alors que le risque diminuera considérablement !

Pour que la réglementation sur les détecteurs de fumée soit efficace, il faudrait sensibiliser le public : le dispositif ne serait alors pas vécu comme une contrainte mais comme une protection. L'alerte de l'incendie ne suffit pas, il faut aussi savoir quel comportement adopter en cas d'incendie et s'assurer que les règles élémentaires de sécurité en matière d'énergie soient respectées, ce qui n'est pas toujours facile pour les ménages les plus démunis. Avec l'augmentation du tarif du gaz et de l'électricité, de plus en plus de ménages ont recours aux chauffages d'appoint, qui sont les plus dangereux.

Le Gouvernement ne prenant aucune mesure d'envergure pour aider les ménages qui en ont besoin, ce texte ne sera pas efficace contre les incendies domestiques : nous nous abstiendrons. J'ai vécu, dans ma vie professionnelle antérieure, suffisamment de drames liés aux accidents pour que vous compreniez bien que notre abstention s'accompagne du voeu que la situation s'améliore ! (M. Charles Pasqua applaudit)

M. Nicolas About.  - En rendant obligatoire l'installation d'au moins un détecteur de fumée dans chacun des 30 millions de logements en France, ce texte me met dans un certain embarras.

Cette proposition de loi est née après le terrible incendie de l'Haÿ-les-Roses qui, en 2005, a fait 18 victimes. Ce fait divers a suscité une grande émotion, très médiatisée. La réponse législative ne s'est pas fait attendre. Mais, pour autant, elle suscite, au moins au sein du groupe centriste, des appréciations contrastées, dans l'arbitrage entre la sollicitude qu'il faut porter aux victimes d'accidents domestiques et la pertinence d'une loi en la matière. Les incendies provoquent 460 décès par an selon les pompiers, près du double selon d'autres sources d'information, à comparer aux 10 000 décès provoqués par des chutes, 3 000 par des suffocations, 700 par des intoxications : c'est une bonne chose que les pouvoirs publics se saisissent de la question mais l'obligation faite d'équiper les logements en détecteurs est-elle une bonne réponse ?

Certains soulignent, à l'Union centriste, la charge que ces détecteurs représentent pour les ménages mais aussi la bien plus grande efficacité des mesures éducatives, informatives et incitatives.

Sur la forme, certains sénateurs du groupe regrettent ce type de réglementation, qui ne relève pas du domaine de la loi et dont l'opportunité n'a pas fait l'objet d'une étude d'impact. Nous allons ajouter au vertigineux empilement de lois et de règlements, dénoncé par le médiateur de la République dans son dernier rapport, à ce que Josseline de Clausade, le rapporteur général du Conseil d'État, a qualifié d'« inflation législative », répondant ainsi à la « gesticulation médiatique » autour d'un fait divers dramatique. (M. Daniel Raoul s'exclame) Nous avons tous été affectés par le drame de L'Haÿ-les Roses mais nous devons raison garder et ne pas nous engouffrer dans le piège de la « jurisprudence des ascenseurs ».

Souvenez-vous : après un dramatique accident dans un ascenseur, une réforme avait été engagée, faisant peser plusieurs milliards de charges supplémentaires pour les propriétaires et les locataires, par l'intermédiaire des syndics Pourquoi tout cela ? Parce que des mineurs avaient verrouillé volontairement le système de sécurité de l'ascenseur ; il n'était pas question d'un défaut d'entretien général du parc français d'ascenseurs mais d'un acte délictueux, malveillant et isolé.

Les centristes ont majoritairement une position de prudence. La loi ne me semble pas le meilleur moyen de lutter contre les incendies domestiques. II est plus adapté de cultiver la responsabilité de chacun que de contraindre tous les locataires par une loi, dont l'applicabilité me semble très incertaine !

Des sénateurs centristes regrettent la charge que fait peser cette réglementation sur les locataires et propriétaires occupants, en somme tous les Français, au regard des bénéfices en matière de sécurité qu'on peut en attendre et qu'on pourrait atteindre par d'autres moyens.

D'abord, cette obligation fait peser sur chaque occupant une contrainte financière non négligeable, entre l'achat du détecteur, environ 50 euros, son installation, son entretien annuel. Environ 10 % des locataires de HLM ne sont pas assurés, faute de moyens, et la loi leur imposera l'achat, la pose et l'entretien d'un détecteur d'incendie !

Chacun devra s'assurer régulièrement du bon fonctionnement de son détecteur, en déclenchant l'alarme et en notifiant le résultat à son assureur. On voit mal comment certaines personnes âgées le feront elles-mêmes : elles devront appeler un électricien, il leur en coûtera au moins 80 euros la demi-heure à Paris.

La sanction prévue en cas de défaut de pose ou d'entretien est, elle aussi, très contraignante en cas d'incendie, quand bien même l'occupant a tout fait pour étouffer le feu. Et si votre détecteur ne fonctionnait pas, ou bien si vous avez oublié, cette année-là, de notifier à l'assureur l'état de son fonctionnement, ou encore si vous avez placé le détecteur dans la chambre mais que l'incendie s'est déclenché dans la cuisine, l'assurance vous retiendra 5 000 euros de franchise ! Encore heureux qu'un amendement permette d'empêcher l'assureur de s'exonérer totalement en cas de défaut d'entretien.

Il faudra composer aussi avec les déclenchements intempestifs des détecteurs. Il faut s'attendre à ce que des occupants enlèvent la pile pour éviter le retentissement de l'alarme, lorsqu'ils font cuire un steak un peu trop fort sur le grill ou quand la pièce munie d'un détecteur abrite trop de fumeurs.

M. Daniel Raoul.  - N'importe quoi !

M. Nicolas About.  - Faites l'expérience, si vous ne me croyez pas ! De plus, le détecteur n'est pas sensible à l'oxyde de carbone, qui est à l'origine de nombreux décès !

M. Daniel Raoul.  - Les bras m'en tombent !

M. Nicolas About.  - Quoi qu'il en soit, le contentieux avec les assurances a de beaux jours devant lui.

Une fois encore, j'entends la sincérité de la démarche, mais n'y a-t-il pas là un déséquilibre entre les précautions imposées et la sévérité de la peine, sans compter les désagréments que les détecteurs peuvent provoquer dans la vie quotidienne ?

Il faut aussi apprécier l'opportunité de la loi au regard de l'efficacité des détecteurs. Quelle est l'efficacité du détecteur le jour où un incendie se déclare chez vous et que vous ne vous en apercevez pas parce que vous dormez ?

Certains d'entre nous voient la bouteille à moitié pleine et voteront ce texte parce qu'une alarme est le seul moyen de vous prévenir d'un incendie dans votre sommeil.

Le détecteur « peut » réduire le nombre de morts de moitié. Mais les décès rapportés au nombre d'habitants sont moins nombreux en France qu'aux États-Unis, où les détecteurs sont obligatoires. Certains estiment en conséquence que le détecteur ne fait pas tout, voire qu'il est contre-productif si les usagers n'ont pas appris le comportement à tenir en cas d'incendie. La présidente Dini a souligné le nécessaire travail d'information. Lors du dramatique incendie de L'Haÿ-les-Roses, l'immeuble était équipé de détecteurs de fumée. Les alarmes ont retenti mais précisément, ont indiqué les pompiers, la panique liée à l'alarme a précipité les occupants dans la cage d'escalier enfumée alors qu'ils auraient dû rester calfeutrés dans leur appartement en attendant les secours.

C'est pourquoi une généralisation des détecteurs est moins utile qu'une éducation sur les comportements à adopter en cas d'incendie. On a vu l'efficacité de l'éducation et des campagnes d'information dans le domaine de la sécurité routière. Il est vrai que ce type de campagne est coûteux, il faut que la cause soit érigée en priorité nationale pour bénéficier de moyens conséquents. Mais il y a moins coûteux : chaque année, dans tous les écoles, collèges et lycées, un test d'évacuation incendie est effectué. Prévoyons qu'il soit suivi de cours sur les mesures à prendre. De même, une politique de résorption de l'insalubrité des logements réduirait les risques.

Le rapport du médiateur de la République pour 2009 souligne que 15 millions de Français en sont à 50 euros près pour boucler leur budget mensuel. Autrement dit, 15 millions de Français auront du mal à acheter un ou plusieurs détecteurs. Est-ce qu'il ne serait pas plus judicieux de proposer au lieu d'imposer les détecteurs, quitte à ce que les assurances créent une incitation, par une franchise accordée aux foyers équipés ? L'appréciation des membres du groupe de l'Union centriste étant différenciée, notre vote sera panaché.

Mme Marie-Thérèse Bruguière.  - Il est indispensable de légiférer. Depuis le dépôt à l'Assemblée nationale de la proposition de loi, cinq années se sont écoulées. A l'issue des deux lectures, le Sénat et l'Assemblée nationale avaient décidé de transcrire l'obligation d'installer des détecteurs de fumée dans le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l'exclusion, avec l'accord de Mme Boutin. Malheureusement, les dispositions ont été censurées par le Conseil Constitutionnel, qui a jugé qu'elles étaient dépourvues de tout lien avec le projet de loi. Il a alors fallu une grande détermination à MM. Emorine et Ollier pour mettre en oeuvre une nouvelle procédure. Ils ont obtenu la convocation d'une commission mixte paritaire, estimant que ce débat n'avait que trop duré. Je leur rends hommage au nom du groupe UMP.

Aujourd'hui, moins de 2 % des logements français sont équipés de détecteurs de fumée, contre 98 % en Norvège, 95 % au Canada et aux États-Unis, 89 % au Royaume-Uni, pays qui ont connu une baisse de moitié du nombre de décès dans les incendies d'habitation. Chaque année, plus de 800 personnes perdent la vie dans des incendies domestiques, particulièrement la nuit où elles sont surprises dans leur sommeil. II était urgent d'agir et de cesser de tergiverser sur les modalités. La généralisation des détecteurs est nécessaire au nom de la santé publique et du principe de précaution. Il faut se féliciter de voir les deux assemblées enfin accordées. Le Sénat avait estimé plus logique et plus efficace que les obligations d'installation et de maintenance des détecteurs incombent au propriétaire ; il a toutefois transigé en acceptant une installation et une maintenance par l'occupant. Un décret établira la liste des cas dans lesquels la charge de l'installation reviendra au propriétaire -les cas à envisager étant nombreux.

L'information du public avant l'entrée en vigueur de la loi sera primordiale. Le Parlement pourra juger des résultats des campagnes que le Gouvernement s'est engagé à mener. Le groupe UMP salue l'initiative des deux présidents de commission, grâce auxquels nous légiférons aujourd'hui pour éviter de nouveaux drames. Nous nous réjouissons de voter enfin cette proposition de loi devenue consensuelle au sein des deux assemblées. Nous allons rejoindre les pays anglo-saxons, qui nous ont devancés de dix ans. Il faudra une campagne d'information et de formation, sans laquelle ce projet serait voué à l'échec. L'éducation nationale devra participer : c'est par une sensibilisation des enfants que nous progresserons. Merci à nos collègues socialistes qui ont apporté leur soutien à ce texte en CMP. Aujourd'hui est un grand jour.

M. Benoist Apparu, secrétaire d'État.  - Un rapport sera établi dans deux ou trois ans afin d'évaluer les résultats, comme on devrait le faire pour toute mesure et toute politique !

La discussion générale est close.

Mme la présidente.  - Conformément à l'article 42-12 de notre Règlement, le Sénat se prononcera par un seul vote sur l'ensemble du texte.

Article 2

Le chapitre IX du titre II du livre Ier du code de la construction et de l'habitation est complété par une section 2 ainsi rédigée :

« Section 2

« Détecteurs de fumée normalisés

« Art. L. 129-8. - L'occupant d'un logement, qu'il soit locataire ou propriétaire, installe dans celui-ci au moins un détecteur de fumée normalisé. Il veille à l'entretien et au bon fonctionnement de ce dispositif.

« Cette obligation incombe au propriétaire non occupant dans des conditions définies par décret en Conseil d'État, notamment pour les locations saisonnières, les foyers, les logements de fonction et les locations meublées. Ce décret fixe également les mesures de sécurité à mettre en oeuvre par les propriétaires dans les parties communes des immeubles pour prévenir le risque d'incendie.

« L'occupant du logement notifie cette installation à l'assureur avec lequel il a conclu un contrat garantissant les dommages d'incendie.

« Art. L. 129-9. - Un décret en Conseil d'État définit les modalités d'application de l'article L. 129-8, notamment les caractéristiques techniques du détecteur de fumée normalisé et les conditions de son installation, de son entretien et de son fonctionnement. »

M. Daniel Raoul.  - Monsieur About, lorsque 460 ou 800 personnes meurent chaque année dans des incendies d'habitation, voter un texte, ce n'est pas de la « sollicitude », c'est de la prévention. Ne pas le faire serait une non-assistance à personnes en danger. Je ne comprends pas vos réticences. Un détecteur vaut 20 euros : et combien vaut une vie humaine ? Vous parlez d'inflation législative, je vous retourne le compliment : les chiens dangereux ne relevaient-ils pas du domaine réglementaire ?

M. Nicolas About.  - Si ! Pareillement.

M. Daniel Raoul.  - Non, ce n'est pas pareil. Il y a des morts...

M. Nicolas About.  - Les chiens dangereux en causent aussi.

M. Daniel Raoul.  - Je songe aussi aux manèges, qui ont fait également l'objet d'une loi. Quoi qu'il en soit, l'intérêt que nous avons pour la protection de nos concitoyens commande d'adopter ce texte. Je salue les assemblées qui ont, ce fut un précédent, convoqué la CMP : l'expérience est à renouveler pour toutes les propositions de loi bloquées dans les tuyaux.

M. Nicolas About.  - Je ne suis pas hostile aux détecteurs, j'en ai cinq à mon domicile, mais je connais le prix de la pose et de l'entretien. Certes, le coût n'est pas une raison suffisante pour s'y opposer mais j'ai exposé les réserves des uns et des autres. En outre, il était possible de procéder par voie réglementaire au lieu d'attendre cinq ans. J'ai vécu la perte d'un enfant dans d'autres circonstances et je ne méconnais pas la dimension dramatique de ce sujet. Mais ici comme pour la sécurité des piscines, il était possible de prendre les mesures nécessaires très rapidement, par la voie réglementaire... et de garder un peu de temps pour traiter ici d'autres sujets qui méritent eux aussi notre attention ! Cela dit, je souhaite que ce texte passe et que la clause de revoyure permette de réajuster les choses.

Mme Catherine Procaccia.  - N'oublions pas d'informer les syndics. Je me suis rendue dans un supermarché pour examiner les produits proposés. Les détecteurs coûtent effectivement entre 20 et 25 euros. Ils semblent simples à installer ; néanmoins, il serait intéressant d'envisager des achats groupés et des poses groupées dans les copropriétés.

M. André Dulait.  - Je me félicite qu'après de longues années, on parvienne enfin au terme de la discussion. Possibilité d'utiliser la voie réglementaire ? Peut-être, en tout cas nous pouvons être fiers du travail accompli. Nous allons pouvoir combler notre retard et lancer l'information, même si la formation existe déjà dans un certain nombre d'établissements scolaires. Ce texte est un net progrès, j'en remercie les deux présidents des commissions compétentes. (Applaudissements à droite et au centre)

Les conclusions de la commission mixte paritaire sont adoptées.

La séance est suspendue à midi et quart.

présidence de M. Guy Fischer,vice-président

La séance reprend à 14 h 30.