Garde à vue

Discussion générale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue, présentée par M. Mézard et plusieurs de ses collègues du groupe RDSE.

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.  - Madame le ministre d'État, merci de votre présence. Nous voici à nouveau réunis pour traiter du sujet de la garde à vue. La persévérance du RDSE n'est pas diabolique, c'est la constance du système pénal dans l'erreur, qui l'est ! Le problème de la garde à vue ne suscite pas la polémique mais la révolte.

La situation actuelle constitue, comme l'a dit M. Badinter, un véritable scandale, décrié de tous bords, une lèpre défigurant le visage de notre justice, une lèpre qu'il faut guérir, ce qui nécessite non pas un placebo ni des incantations, mais un changement radical !

Lors du débat du 9 février, vous avez bien voulu me remercier d'avoir adopté un ton exempt de polémique, mais vous en avez profité pour envoyer une salve à Mmes Guigou et Lebranchu qui n'en méritaient point tant.

La garde à vue est une dérive sécuritaire, aux antipodes de la sécurité et du maintien de l'ordre, une machine à produire du chiffre devenue incontrôlable, une machine qui n'impressionne plus les vrais délinquants mais qui terrorise le citoyen lambda, une machine qui a fait perdre la confiance des citoyens dans leur police. C'est aussi une source de conflits entre policiers d'une part, magistrats et avocats d'autre part.

On n'assure pas l'ordre républicain en humiliant 800 000 Français chaque année, dont plusieurs centaines de milliers qui ne feront l'objet d'aucune poursuite tandis que des zones de non-droit se développent dans tout le pays !

Nous ne faisons pas et nous n'avons jamais fait le procès de la police ni de la gendarmerie, qui accomplissent leurs missions dans des conditions souvent très difficiles.

Pourquoi en est-on arrivé là en une petite dizaine d'années ? La responsabilité est certainement partagée, mais il faut souligner le rôle d'une médiatisation exacerbée des faits divers, ainsi que l'excès de discours, de lois et de règlements sécuritaires, la culture du chiffre, de la statistique, avec le rejet inconséquent de la police de proximité. M. Pasqua lui-même a souligné l'importance du travail de terrain.

En participant à un débat sur Public Sénat avec M. Danio, délégué national du syndicat SGP-Unité Police, j'ai constaté une grande convergence, pour dénoncer la dérive d'une procédure qui mobilise le temps des policiers, inefficace à prévenir la délinquance et indigne d'un pays démocratique.

Tenter de faire croire que l'augmentation exponentielle des gardes à vue participe d'une diminution de la délinquance est une faribole. Comment la délinquance pourrait baisser quand les gardes à vue sont multipliées par deux ou trois ?

Pourquoi en est-on arrivé au dévoiement de nos principes de droit les plus élémentaires ? Était-il raisonnable de retenir le nombre de placements en garde à vue parmi les indicateurs de performance de la police ? Si le ministère de l'intérieur a prévu que ce chiffre ne figurerait même plus comme simple information de l'activité des services, c'est qu'il reconnaît l'erreur !

L'exécutif reconnaît les errements : le Premier ministre s'est dit choqué par le nombre des gardes à vue, et vous-même, madame la ministre, vous avez rappelé le caractère exceptionnel de la garde à vue. Nous craignons cependant que votre projet de loi en préparation ne soit aux antipodes de ces bonnes intentions !

Le 16 février dernier, M. Fournier, directeur de la sécurité publique, adressait à tous les fonctionnaires de police une note de service des plus édifiantes : « L'actualité récente m'amène à vous rappeler les principes fondamentaux régissant la mise en oeuvre des mesures de garde à vue qui doivent impérativement garantir la dignité des personnes qui en font l'objet. Elle ne saurait être systématique sans être considérée comme attentatoire à la dignité de la personne gardée à vue si en plus elle s'accompagne d'un déshabillage systématique ».

L'urgence est manifeste, parce que les conditions de rétention sont déplorables et dégradantes y compris pour les policiers : promiscuité, fouilles, déshabillage, retrait des lunettes ou des soutiens-gorge, tutoiement systématique. De récentes émissions télévisées, sans doute destinées à mettre en valeur l'action de la police, ont montré au contraire ces dérapages et des comportements brutaux. En outre, les gardes à vue sont utilisées pour tout et n'importe quoi. Il n'y a aucune cohérence entre garde à vue, poursuites et sanction pénale et curieusement, les statistiques relatives aux suites des gardes à vue sont introuvables, de même que le nombre de gardes à vue pour taux d'alcool excessif parmi les gardes à vue liées à des infractions routières -la cellule de dégrisement à bon dos ! Quant au contrôle du parquet, il est devenu symbolique, voire inexistant. A quoi sert l'information par fax la nuit ? Et le parquet est matériellement dans l'incapacité de contrôler 800 000 gardes à vue... L'article 63 du code de procédure pénale a fait l'objet d'une pratique viciée qui a pollué toute la chaîne judiciaire. En conséquence, les règles procédurales sont souvent transgressées : en particulier, l'avocat est prévenu plusieurs heures après le début de la garde à vue.

Nous sommes à la croisée des chemins. Où est l'habeas corpus à la française promis par le Président de la République ? Ce que nous vous proposons, ce n'est pas la rupture, ni des débats malsains sur l'identité nationale, mais la réconciliation avec l'État de droit, là où la règle a pour but non la prochaine échéance électorale, mais l'organisation de la vie en société, dans le respect des principes de la République, là où l'ordre est au service des libertés.

J'avais déjà indiqué, lors du débat du 9 février, sur la base du rapport de la division des études de législation comparée du Sénat, les axes à suivre. La plupart de nos voisins européens subordonnent le placement en garde à vue à l'existence d'une infraction grave ; en France aujourd'hui, on place en garde à vue sans infraction caractérisée, avec comme seule conséquence humiliation et introduction dans les fichiers informatiques sans véritable droit à l'oubli. Partout sauf en Belgique, on peut réclamer un avocat dès que l'on est privé de liberté. Ces errements ont conduit à une insécurité juridique incompatible avec le fonctionnement d'une grande démocratie. La France est en contradiction avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, devenue univoque avec les arrêts Danayan, Kolesnik et Savas du dernier trimestre 2009, et celui du 2 mars 2010, Adamkiewicz contre Pologne. « L'équité d'une procédure pénale requiert que le suspect jouisse de la possibilité de se faire assister par un avocat dès le moment de son placement en garde à vue ou en détention provisoire ». On ne saurait être plus clair. Et soutenir que les arrêts de la Cour européenne relatifs à la Turquie et à la Pologne ne nous sont pas opposables est une argutie. Ces derniers mois, nombre de tribunaux français -mais pas tous, ce qui crée des contradictions- ont annulé des procédures en se fondant sur la jurisprudence européenne ; au début de ce mois de mars 2010, la 23chambre du tribunal correctionnel de Paris a saisi la Cour de cassation qui décidera de la saisine du Conseil constitutionnel. Bref, c'est la confusion. En y ajoutant le projet de suppression du juge d'instruction, l'institution judiciaire risque la paralysie. Madame la ministre, il n'est point besoin de rapports de personnalités, qui ont peu fréquenté les commissariats ni les dépôts. En harmonie avec les avocats du barreau de Paris et le bâtonnier Charnière-Bournazel, avec l'association « Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat », nous voulons rendre le code de procédure pénale compatible avec le droit européen et les principes fondamentaux de notre République.

Revenons-en aux fondamentaux : la garde à vue est une mesure privative de liberté, contraire à la présomption d'innocence et qui ne se justifie que dans trois cas : risque de disparition de preuves, risque de pression sur les témoins, risque que le suspect ne se dérobe à la justice. Si l'on respectait ces conditions, le nombre de gardes à vue s'effondrerait ! Si nous n'adoptons pas cette proposition de loi, les recours se multiplieront, l'insécurité juridique deviendra chronique. Nous mettons l'article 63-4 du code de procédure pénale en adéquation avec les principes que j'ai rappelés. Toute personne placée en garde à vue fait immédiatement l'objet d'une audition, en présence d'un avocat si elle en fait la demande. L'audition est différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. A l'issue de cette audition, la personne ne peut être entendue ou interrogée, ni assister à tout acte d'enquête hors la présence de son avocat. Cela fonctionne parfaitement dans de nombreux pays démocratiques. Balayons les objections caricaturales, selon lesquelles par exemple l'avocat serait une entrave à la bonne marche de l'enquête. Combien d'incidents découlant de l'entretien actuel de l'avocat avec le gardé à vue ? Quelques dizaines tout au plus. Mais combien de bavures sécuritaires dans le système ? Épargnez-nous aussi les discours sur l'appât du gain qui motiverait les avocats ; utilisez donc la rente des compagnies d'assurance sur la protection juridique pour rétablir les droits de la défense !

Je remercie le rapporteur M. Zocchetto, non pour sa conclusion, mais pour les dix-huit pages et demi qui la précédent. (Sourires)

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - On ne peut pas tout avoir !

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.  - Les développements du rapporteur sur les risques de dévoiement de la procédure ou les conditions de rétention déplorables, son jugement sur notre texte, base cohérente d'évolution du régime, sont constructifs. En revanche l'avant-projet de loi du Gouvernement, tout au moins ce que nous en connaissons, ne nous rassure pas...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Le texte est intégralement en ligne.

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.  - Le nouvel article 327-2 limitant la garde à vue aux infractions punies d'une peine d'emprisonnement est un leurre puisque l'immense majorité des infractions est dès lors concernée. La création de l'audition libre pendant quatre heures, avec une liberté de choix éminemment contestable, entraînera de fait une privation de liberté pendant quatre heures sans garantie d'éviter la garde à vue après ! Quant au nouvel article 327-17, il n'améliorera le statut actuel que sur un point : la communication des procès-verbaux d'audition, ce qui constituera la preuve que le suspect aura déjà été entendu avant l'entretien avec l'avocat. Rien sur le droit au silence ; et les conditions de la garde à vue pour les infractions les plus graves sont durcies. Il me tarde de lire les réactions des nombreux parlementaires UMP qui ont cosigné les propositions de loi sur la garde à vue...

Madame la ministre, si votre projet de réforme doit répondre aux conditions posées par le ministre de l'intérieur, le droit n'en sortira pas grandi. II ne s'agit pas de victoire des magistrats et des avocats sur les policiers, il ne s'agit pas de nuire à l'efficacité de l'enquête, ni de protéger mieux les délinquants que les victimes. Il s'agit d'utiliser les mesures de privation de liberté à bon escient et dans le respect des droits de la personne. Il s'agit aussi de restaurer la confiance entre les citoyens et les forces de l'ordre et de faire en sorte que l'État de droit fasse de l'ordre et de la liberté un couple indissociable. (Applaudissements au centre)

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois.  - L'examen de ce texte prolonge le débat organisé, le 9 février dernier, sur le renforcement des droits des personnes placées en garde à vue. Je m'interroge sur l'organisation de nos travaux car si d'autres propositions sont déposées sur ce sujet, nous ne cesserons d'y revenir.

Les conditions de garde à vue sont trop souvent déplorables. En outre, les évolutions de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme fragilisent le régime actuel de la garde à vue, au risque de créer une insécurité juridique préoccupante. Si nous modifions le droit actuel, ce doit être pour concilier exigences de la sécurité et respect des droits de la personne. Comme l'a montré le débat du 9 février 2010, les préoccupations à l'origine de cette proposition de loi dépassent les clivages partisans. Une réforme est indispensable. Elle se doit d'être ambitieuse.

M. Jean-Pierre Sueur.  - M. Mézard est ambitieux !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Néanmoins, elle a vocation à s'inscrire dans la réforme d'ensemble de la procédure pénale.

Pendant 35 ans, le régime de la garde à vue a été marqué par une grande stabilité. En revanche, depuis 1993, plus d'une dizaine de lois d'une portée variable ont modifié la définition et le régime de la garde à vue. Depuis, la machine s'est emballée et les procédures ont fait l'objet d'un certain dévoiement. En 2009, 800 000 gardes à vue, dont 150 000 pour des infractions routières ! Et, indéniablement, c'est une perversion de retenir comme indicateur de performance le nombre de gardes à vue. Le mal est fait pour les personnes concernées -et chacun en connaît...

Je ne reviens pas sur les conditions de détention ni sur le fait que les forces de police et de gendarmerie ne sont pas responsables de l'état des locaux. Reste que la garde à vue peut faire basculer la vie quotidienne.

La Cour européenne des droits de l'homme a jugé dans l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008 dès le premier interrogatoire, puis, dans l'arrêt Dayanan du 13 octobre 2009 que l'action de l'avocat doit s'exercer librement et permettre à l'intéressé de bénéficier de la vaste gamme d'interventions propre aux conseils. Une jurisprudence plus récente a rappelé ces principes. La cour de Strasbourg entend également limiter les exceptions au principe de la présence de l'avocat, n'acceptant aucune dérogation, sauf à démontrer des raisons impérieuses. C'est la législation visant les infractions en matière de terrorisme et de criminalité organisée qui est visée. On peut s'interroger sur des arrêts qui concernent la Turquie, mais veut-on, sur ce sujet, être comparé à celle-ci ou à la Pologne ?

S'il est difficile d'interpréter cette jurisprudence, des tribunaux français n'ont pas hésité à annuler des actes de procédure accomplis pendant des gardes à vue et des premiers présidents de cour d'appel m'ont dit qu'ils seraient sensibles à des moyens fondés sur les arrêts de la cour de Strasbourg. Je suis très préoccupé par l'insécurité juridique conséquente : n'a-t-on pas vu remettre en liberté des personnes à ranger plutôt dans la catégorie des délinquants que des innocents : elles avaient déjà été condamnées et seront jugées de nouveau.

Alors, quelle solution ? L'avant-projet que le Gouvernement a mis en ligne il y a trois semaines, s'inspire des réflexions du comité présidé par Philippe Léger. La garde à vue doit être limitée aux strictes nécessités de l'enquête ; un deuxième entretien est prévu dans les douze heures ; en cas de prolongation au-delà de 24 heures, la personne pourra être assistée par un avocat. Pour les infractions passibles d'une peine inférieure à cinq ans d'emprisonnement, l'audition sera libre pour quatre heures au maximum. Cela mérite d'être étudié : c'est une proposition intéressante, tout comme celle de M. Mézard.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Voilà !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Le principe de celle-ci est simple : la personne gardée à vue ne saurait être entendue sans avocat.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous avez très bien compris...

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Il faudra donc retarder l'audition jusqu'à l'arrivée de l'avocat. La personne ne pourra ensuite être entendue hors la présence de l'avocat.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - On prévoit encore de supprimer le régime dérogatoire relatif à la grande criminalité tout en maintenant celui du terrorisme. L'extension du rôle de l'avocat ne va pas jusqu'à un accès immédiat au dossier. Enfin, l'avocat ne pourra, jusqu'à son issue, faire état des entretiens qui auront pris place durant la garde à vue -c'est un élément de déontologie. A titre personnel, j'aurais quelques réserves sur la suppression des dérogations relatives à la grande criminalité.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Amendez !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - La traite des êtres humains, le blanchiment à grande échelle ou le grand trafic de stupéfiants sapent les bases de la société et de notre démocratie.

Je confirme ce qu'a dit M. Mézard, cette proposition constitue une base cohérente et constructive d'évolution du régime de la garde à vue. (M. Jean-Pierre Sueur s'en félicite) Si une réforme est nécessaire, elle doit être ample...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Nécessaire et cohérente, elle l'est !

M. Pierre Fauchon.  - Assez !

M. le président.  - Écoutons le rapporteur !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Faut-il que l'avocat intervienne dès le premier interrogatoire ? J'y suis personnellement favorable.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien !

M. François Zocchetto, rapporteur.  - C'est le cas chez tous nos voisins, sauf en Belgique. Faut-il que l'avocat ait accès au dossier pénal ? C'est très compliqué et nos collègues socialistes ne sont pas d'accord sur cette question. Enfin, quid des régimes dérogatoires ? Il y a un consensus sur le terrorisme.

Les avocats ont-ils les moyens matériels, techniques et d'organisation d'une réforme qu'ils appellent de leurs voeux ? Même si les comportements erratiques y sont marginaux, comment encadrer les plus jeunes membres d'une profession qui compte 50 000 personnes ?

Le sujet n'est pas simple et nous ne sommes pas encore prêts à la réforme nécessaire. Le renvoi en commission ne signifiera pas que l'on refermera le dossier mais, au contraire, qu'on y ajoutera de nombreuses pages. (Applaudissements au centre et à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - Ce que dit le rapporteur n'est pas crédible, et pourtant, il se donne beaucoup de mal !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés.  - Je me plais à le souligner parce que c'est relativement rare, nous sommes d'accord sur le constat : le recours à la garde à vue est trop systématique, les conditions en sont trop souvent indignes malgré les efforts accomplis...

M. Jean-Claude Gaudin.  - Vous en avez accompli beaucoup !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Nous sommes également unanimes à constater que cela ne met pas en cause la police et la gendarmerie. Nous sommes d'accord sur ce point : l'avocat n'a pas les moyens de jouer tout son rôle.

La contribution de M. Mézard tend à apporter des solutions. J'en tiendrai le plus grand compte...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Bravo, monsieur Mézard !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - ...ainsi que des réflexions de la commission des lois et d'autres propositions afin de retenir les aspects les plus intéressants.

Depuis trente ans, la procédure pénale a fait l'objet d'une multiplicité de réformes parcellaires qui nuisent à sa cohérence et à sa lisibilité. C'est pourquoi j'ai voulu mener une réflexion globale allant de la commission des faits jusqu'aux voies d'exécution. La garde à vue, qui n'est qu'un des éléments de l'enquête, doit s'inscrire dans cette approche globale de la réforme de la procédure pénale. La question de la présence de l'avocat lors de la garde à vue doit prendre en compte tous les paramètres de l'enquête judiciaire.

La réforme de la procédure pénale constitue une véritable refondation. L'unité de la Nation repose sur le fait que les mêmes règles s'appliquent à tous. Il faut donc que nous parvenions à un texte qui soit le plus lisible possible et je souhaite que notre démarche soit la plus consensuelle possible même si je connais les limites du consensus. C'est pourquoi j'ai entamé une concertation de deux mois sur ce texte, que j'ai voulue la plus large possible avec les représentants des magistrats, des avocats, des forces de l'ordre et avec les parlementaires. Cette concertation a commencé depuis quinze jours : fin mai, le groupe de travail que j'ai réuni autour de moi essayera d'intégrer le plus possible les propositions qui auront été faites, sans pouvoir naturellement satisfaire tout le monde car certaines positions sont incompatibles. A ce moment-là, j'assumerai mes responsabilités.

La réforme de la garde à vue sera un des volets importants de ce texte et elle sera menée en totale cohérence avec mes propos du 9 février : il s'agit en effet de trouver un point d'équilibre entre la liberté et la sécurité.

Il ne faut pas faire dire à la Cour européenne plus qu'elle ne dit : elle statue selon les principes du droit anglo-saxon au cas par cas. Elle n'a jamais condamné la France pour la garde à vue. Lorsqu'elle dit que la personne mise en cause doit avoir accès à un avocat, c'est sur la totalité de la procédure d'enquête. La France ayant d'ores et déjà prévu qu'un avocat peut intervenir pour une demi-heure au cours de la première heure remplit totalement les exigences de la Cour européenne. D'ailleurs, notre pays eut été condamné s'il y avait eu le moindre problème en la matière. Comme le rapporteur l'a dit, notre texte prévoit aussi la possibilité d'un entretien à la douzième heure : on nous a en effet fait remarquer que pendant la première demi-heure, l'avocat joue plutôt le rôle d'une assistante sociale. Au bout de la douzième heure, c'est autre chose : pour que l'avocat puisse travailler utilement il est prévu qu'il puisse avoir communication des procès-verbaux d'interrogatoires pour qu'il puisse commencer à construire une défense. Les avocats m'ont dit qu'ils étaient souvent un peu désemparés car ils ne savaient pas jusqu'à présent ce que leur client avait dit.

Je souhaite que sur la logique d'ensemble de cette réforme ne pèsent aucune arrière-pensée, aucun soupçon.

J'en viens au rôle réel de la garde à vue : elle permet d'entendre directement une personne pour obtenir des informations indispensables à la poursuite de l'enquête. La garde à vue ne doit donc intervenir que dans des cas relativement graves, dans le cas de crimes ou de délits punis de peine d'emprisonnement. Il est également important que la garde à vue soit distinguée d'autres situations telles que les cas de dégrisement. Il faudrait aussi prévoir des locaux séparés car les conditions matérielles des gardes à vue, lorsqu'il y a le mélange des deux, sont absolument épouvantables.

Les critères nécessitant une garde à vue doivent être davantage précisés : pour des affaires qui ne présentent pas une gravité particulière, mon projet prévoit que la personne concernée doit pouvoir être entendue librement, si elle en est d'accord. Si elle veut bénéficier des garanties de la garde à vue, elle pourra demander à être mise en garde à vue. Mais quand il s'agit d'une gamine qui a volé un tube de rouge à lèvres dans un magasin, je ne vois pas l'intérêt d'une garde à vue. Après avoir beaucoup hésité, nous avons prévu d'instaurer une audition libre pendant quatre heures, ce qui permettra de répondre à de nombreux petits cas qu'il est possible de régler facilement, lorsqu'on ne craint pas que la personne disparaisse ou qu'elle fasse disparaître des preuves.

On craint aussi que durant la garde à vue, les policiers ou les gendarmes n'obtiennent des aveux sous la pression. Dans mon projet, consultable sur internet, l'aveu en garde à vue hors présence de l'avocat ne peut être retenu comme seule cause d'une condamnation. Bien entendu, les conditions de la garde à vue ne peuvent être détachées de ce sujet et certaines pratiques doivent effectivement être mieux encadrées pour préserver la dignité des personnes, comme le retrait des soutiens-gorge ou des lunettes.

Il y a des questions qu'il va falloir régler, notamment si l'on demande la présence continue d'un avocat. D'abord, quid des affaires de terrorisme ou de crime organisé ? En la matière, l'Europe admet un régime spécial et j'y suis favorable.

En second lieu, si l'on ne peut entendre un gardé à vue hors la présence d'un avocat, que se passe-t-il dans les cas d'enlèvement ou de séquestration : va-t-on attendre l'arrivée de l'avocat alors qu'il y a urgence ?

Ensuite, que se passe-t-il si l'avocat ne se présente pas au bout de 24 heures ? Que se passe-t-il si dans le Cantal quelqu'un est arrêté alors que les routes sont bloquées par la neige et que l'avocat ne peut rejoindre la gendarmerie ? Quid si l'avocat ne se présente jamais ? On bloquera l'enquête ?

Il ne nous faut pas un système si rigide qu'il empêche de répondre aux situations d'urgence, aux nécessités de l'enquête et, finalement, à la lutte contre la délinquance. Et votre proposition est précisément trop rigide et, dans certains cas, inadaptée à la manifestation de la vérité.

Mon objectif est de parvenir avec vous et avec les praticiens du droit à une réforme qui protège au maximum tant les droits de la défense que ceux des victimes. La refondation -car c'est de cela qu'il s'agit- de la procédure pénale ne peut être le travail du seul Gouvernement. Ma méthode, c'est l'écoute et le dialogue. Mais ce n'est pas pour autant le report à l'infini : le calendrier sera tenu ; le projet de loi, déposé sur les bureaux des assemblées fin juin/début juillet, sera discuté au dernier trimestre de cette année.

Je ne rejette donc pas le contenu de votre texte, mais je considère qu'il doit être étudié au sein d'une réforme plus vaste qui améliorera vraiment la loi et sera à l'honneur du Parlement et du Gouvernement. (Applaudissements à droite)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Cette proposition de loi, déposée par le groupe RDSE, et dont je suis cosignataire, peut mettre un terme à un débat récurrent qui, ces derniers temps, a pris une accélération subite. La presse a multiplié, depuis plusieurs semaines, les titres aguicheurs dénonçant le nombre et la nature des gardes à vue, pour in fine, en réclamer la suppression. Le Premier ministre lui-même a annoncé un texte les encadrant, concluant son propos d'un : « On ne doit pas utiliser la garde à vue à tout va » ; ce que vous avez relayé vous-même, madame la ministre d'État en déclarant que « les gardes à vue seront limitées aux réelles nécessités de l'enquête, garantissant la liberté de chacun en assurant la sécurité de tous ».

Je constate qu'un consensus assez général se dégage autour de ce sujet.

Selon les sources officielles, 580 000 personnes ont été placées en garde à vue en 2009, ce qui est effectivement beaucoup, d'autant que la culture de l'aveu, qui prévaut dans notre droit pénal, engendre des abus qui vicient l'ensemble de la procédure. Doit-on imputer ce nombre à l'échec d'une politique de lutte contre la délinquance ou à la culture du chiffre, née de l'application inconsidérée d'une Lolf qui, en matière pénale, a bien mal choisi ses indicateurs de performance ?

La multiplication des dérives de la garde à vue porte atteinte aux principes fondateurs de l'État de droit, à commencer par celui de la sûreté des personnes. Car si, dans certains cas, la garde à vue peut être une bonne chose, ce n'est pas le cas lorsque le chef d'inculpation a du mal à être défini, ce qui est fréquent. Les mots sont trop faibles pour dénoncer les humiliations morales et physiques auxquelles sont trop souvent soumis les gardés à vue. Fouilles au corps, parfois indécentes lorsqu'il s'agit de femmes, locaux sordides, manque d'eau et de sanitaires, admonestations non compatibles avec les règles les plus élémentaires de l'humanisme -le rapport du contrôleur général des lieux de privation de liberté ne laisse aucun doute sur la question- tandis que la garde à vue tend à se banaliser.

Ce n'est pas le cas partout, puisque dans certains pays d'Europe -Danemark, Espagne, Italie, Grande Bretagne- les gardés à vue peuvent bénéficier de l'assistance d'un avocat dès qu'ils sont privés de liberté, ce qui est aussi le cas de l'Allemagne s'ils en font la demande. Ce droit, au reste, est parfaitement conforme à la philosophie du droit européen, comme l'a montré la Cour européenne des droits de l'homme qui, à deux reprises, s'est prononcée clairement en énonçant, d'une part que la condamnation d'un prévenu sur la base d'aveux obtenus en l'absence d'un avocat viole le paragraphe 3 de l'article 6 de la Convention et, d'autre part, que si un accusé privé de liberté, ne peut avoir accès à un avocat, y compris commis d'office, durant sa garde à vue, c'est une violation du droit à un procès équitable. Le droit français, de ce fait, n'est plus en conformité avec le droit européen.

Cette constatation a conduit le groupe RDSE, au nom de ses valeurs humanistes, à élaborer cette proposition de loi, qui assure l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue, à leur demande, y compris par commission d'office si nécessaire. Et ce, quels que soient les crimes et délits constatés, à l'exception, naturellement, des actes de terrorisme, pour lequel le dispositif actuel est maintenu. Aujourd'hui, un avocat, soit dans le cadre de sa permanence pénale, soit commis d'office, est avisé de la mise en garde à vue d'une personne mise en cause, mais le délai nécessaire pour rejoindre son client est très variable, selon sa disponibilité ou la géographie locale. A plusieurs reprises, des avocats m'ont dit leur difficulté sinon de disposer du dossier de la personne mise en cause, du moins de savoir exactement le grief auquel sont exposés leurs clients et de recevoir les informations les plus élémentaires les concernant avant de les rencontrer.

L'objet de ce texte est donc de régler définitivement ce problème, tout en garantissant la sécurité juridique de la procédure judiciaire, au bénéfice, non seulement des personnes placées en garde à vue, mais encore des forces de l'ordre qui, ainsi, exerceront leurs missions dans les meilleures conditions possibles. Il s'agit, en outre, d'éviter d'inutiles oppositions entre police et justice, entre siège et parquet.

Le Sénat est, traditionnellement, le garant des libertés individuelles.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Eh oui !

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Je vous invite à confirmer cette tradition qui fait toute la noblesse de notre Haute assemblée, et plus particulièrement dans le domaine judiciaire, qui est un des plus sensibles. (Applaudissements sur les bancs RDSE ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit aussi)

M. Jean Louis Masson.  - Cette proposition traite d'une façon trop restrictive d'un problème qui aurait mérité d'être considéré dans sa globalité. Le principe de la garde à vue est admissible mais ce qui ne l'est pas c'est que la police et la justice s'en servent souvent comme moyen de pression ou de chantage sur les personnes interrogées. Dans certains cas les conditions de cette garde sont scandaleuses, honteuses pour un pays démocratique, censé être évolué et qui considère avec condescendance les faiblesses du système judiciaire de pays exotiques... Balayons d'abord devant notre porte ! Et l'humanisation de cette garde à vue est encore plus importante que la présence d'un avocat -que je juge par ailleurs nécessaire.

Cette proposition de loi n'est pas parfaite mais je ne voterai pas le renvoi en commission. Je refuse cette sempiternelle façon de botter en touche et de tout renvoyer à plus tard. On nous annonce un projet de loi : mais cela fait 50 ans qu'on pouvait le présenter ! Et le Président de la République, depuis 2007 qu'il est élu et qu'il gesticule dans tous les sens, aurait pu se réveiller avant, au lieu de faire des réformes dont personne ne veut et qui lui ont valu d'être massivement désavoué aux régionales !

Je ne voterai donc pas la motion de renvoi en commission. (Applaudissements sur quelques bancs du RDSE ; M. Jean-Pierre Sueur applaudit aussi)

M. François-Noël Buffet.  - M. Delarue, contrôleur général des lieux de privation de liberté, a constaté dans son dernier rapport d'activité l'augmentation constante du nombre de gardes à vue depuis quinze ans, passé de 276 000 en 1994 à 580 000 en 2009, sans compter l'outre-mer ni les gardes à vue consécutives à des infractions routières. Mais le taux d'élucidation est passé quant à lui de 25 % à 40 % depuis 2002 : sans établir un lien direct entre ces deux séries de statistiques, je note que l'usage de la garde à vue permet aux forces de l'ordre de remplir efficacement leurs missions. Ne confondons pas le principe et les conditions de la garde à vue.

Il est vrai que celle-ci s'est banalisée. Comme le disait le Premier ministre le 21 novembre, le placement en garde à vue est une décision grave, qui ne doit pas devenir une routine. Il est nécessaire de garantir les droits des personnes et de leur offrir l'assistance d'un avocat. Les dérives récentes ternissent l'image de notre État de droit. Le Président de la République s'est récemment déclaré favorable à un habeas corpus à la française (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat ironise) afin d'assurer le caractère contradictoire du débat dès l'origine du procès. Il faut également en finir avec la primauté de l'aveu dans notre procédure pénale.

L'avant-projet de loi que vous avez soumis à la concertation et diffusé très largement sur internet, madame le ministre, n'autorise la garde à vue que pour les crimes et délits pouvant donner lieu à une peine d'emprisonnement. Cela permettra d'éviter les abus. Actuellement, la garde à vue est régie par les articles 63 et suivants du code de procédure pénale, qui disposent que toute personne au sujet de qui il existe une ou plusieurs raisons plausibles de penser qu'elle a commis une infraction peut être placée en garde à vue par un officier de police judiciaire pour les nécessités de l'enquête, pour une durée de 24 heures renouvelables avec l'accord du procureur de la République. Des prolongations sont permises dans les affaires de criminalité organisée et s'il existe un risque sérieux et imminent d'attaque terroriste : Mme la ministre a raison de dire que ces cas sont spécifiques. Le code énonce les droits des personnes gardées à vue, qui doivent être informées de la nature de l'infraction qui leur est reprochée, de leurs droits, de la durée de la garde à vue, qui peuvent prévenir quelqu'un par téléphone et s'entretenir avec un avocat dès la première heure.

La Cour européenne des droits de l'homme a précisé les conditions de la garde à vue par sa jurisprudence, et condamné certains États dans des arrêts récents. Mais cette jurisprudence ne s'impose qu'aux États parties aux affaires jugées. La France, en prévoyant la présence d'un avocat, s'est mise à l'abri d'une condamnation, mais cela n'empêche pas de faire évoluer notre droit. D'ailleurs le nombre de propositions de loi déposées sur le bureau des deux assemblées nous incite à agir. Je me réjouis que Mme la ministre ait fait de l'amélioration des conditions de garde à vue l'une de ses priorités. Le groupe UMP souhaite que la réforme de la garde à vue soit incluse dans celle, plus vaste, de la procédure pénale.

L'article unique de la présente proposition de loi prévoit l'assistance immédiate d'un avocat dès le début de la garde à vue, et sa présence lors des interrogatoires, sauf renonciation expresse de l'intéressé. La commission Léger préconisait seulement de permettre à l'avocat d'avoir un nouvel entretien avec son client à la douzième heure, de lui donner accès aux procès-verbaux des auditions et de le faire assister aux interrogatoires à partir de la 24e heure. L'avant-projet de loi du Gouvernement suit ces recommandations. Le présent texte va plus loin, mais il poserait des problèmes matériels : comment donner à l'avocat accès au dossier alors que celui-ci est constitué au cours de la garde à vue, surtout en cas de flagrance ?

Pour avoir une vue d'ensemble de la réforme, une mission parlementaire coprésidée par MM. Lecerf et Michel va bientôt être mise en place. Une large consultation est organisée. C'est pourquoi nous sommes favorables au renvoi de ce texte en commission. On nous a assez reproché de saucissonner les réformes, comme celle des collectivités territoriales, pour ne pas nous faire grief de vouloir appréhender de manière globale un sujet qui touche aux libertés fondamentales ! (Applaudissements à droite et au banc des commissions)

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Le débat du 9 février nous a permis de dresser un constat partagé : les gardes à vue se multiplient, leur principe est dévoyé, les conditions en sont souvent humiliantes et indignes. Mais il y a souvent un gouffre entre le constat et l'action : nous avons mis plus de dix ans pour voter une timide réforme des prisons ! Notre législation n'est pas conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, ce qui a conduit plusieurs tribunaux à annuler des procédures. J'ai déjà mis en cause la politique pénale toujours plus répressive du Gouvernement. Il est urgent d'agir. Les avocats et magistrats nous y incitent en se mobilisant en grand nombre, comme le 9 mars dernier. Il est significatif que les secrétaires de la Conférence aient soulevé pour la première fois à propos de la garde à vue la question prioritaire de constitutionnalité, au motif qu'elle porte atteinte aux libertés et aux droits de la défense en n'accordant qu'un rôle limité aux avocats.

Dans sa proposition de loi, M. Mézard veut permettre à l'avocat d'être présent dès la première heure : j'y souscris. Cependant, ce texte ne répond que partiellement à nos préoccupations. L'avant-projet de réforme de la procédure pénale du ministère ne m'a pas rassurée, non plus que les professionnels. Le président du Conseil national des barreaux considère que l'audition libre de quatre heures n'est qu'un faux-semblant, et je partage son avis : soit la personne mise en cause est libre de refuser l'audition, soit elle ne l'est pas, et alors l'audition n'a rien de « libre » !

Au fil des lois successives, le régime de la garde à vue est devenu plus complexe et plus sévère. Cette procédure a été dévoyée : à l'origine, elle n'était permise que dans les cas de flagrance ou si les charges le justifiaient pour les nécessités de l'enquête ; mais elle est devenue un moyen d'intimidation. Or cette mesure de privation de liberté doit demeurer exceptionnelle, d'autant plus que les conditions en sont souvent dégradantes, voire attentatoires à la dignité physique. Si la personne mise en cause avoue, elle devient présumée coupable, ce qui influe sur la suite de l'enquête ; or les preuves recueillies pendant l'enquête fournissent le cadre dans lequel l'infraction sera examinée lors du procès.

La vérité policière, difficile à contester, risque de devenir une vérité judiciaire.

C'est pourquoi la proposition de loi CRC revient à la définition originelle de la garde à vue. Nous proposons d'encadrer le recours à la garde à vue, de renforcer les garanties procédurales et d'en sanctionner les violations.

La loi doit prévoir la condition d'indices graves et concordants et restreindre la garde à vue aux crimes ou délits passibles d'au moins cinq ans d'emprisonnement. Nous supprimons la garde à vue pour les mineurs, en prévoyant toutefois des cas exceptionnels.

Nous proposons aussi d'abroger les dispositions exorbitantes du droit commun. Le juge Thiel, du pôle antiterroriste à Paris, critique l'extension « insidieuse » de la notion de terrorisme. Depuis la loi Perben II, le terrorisme relève de la criminalité organisée, et ne revêt plus de caractère exceptionnel.

Nous voulons mettre fin à l'isolement du gardé à vue, notamment en supprimant les dérogations de l'article 63-2 du code de procédure pénale.

La loi de juin 2000 prévoyait la présence de l'avocat dès la première heure, mais uniquement pour un entretien de 30 minutes. Nous proposons que l'avocat soit présent dès le début de la procédure et ait accès au dossier. Quant aux fouilles intégrales et aux investigations corporelles, elles doivent être interdites et les fouilles de sécurité réalisées avec des moyens de détection électronique. Alors notre procédure de garde à vue sera conforme aux règles européennes.

L'aggravation pénale est orchestrée par un matraquage médiatique et politique qui surfe sur le triptyque « peur, victime, répression » : on veut à tout prix trouver rapidement un coupable, or la justice a besoin de temps. La statistique n'a que faire des droits fondamentaux ; elle permet seulement un affichage politique.

S'il faut concilier les droits de la défense et l'ordre public -ou plutôt la sûreté-, attention à ne pas avoir une vision maximaliste de la sécurité. Les droits fondamentaux sont le socle de la démocratie.

Les conclusions du rapporteur manifestent l'impuissance du Parlement.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Mais non !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Chacun admet que la garde à vue doit être réformée. Pourquoi la commission des lois n'en a-t-elle pas pris l'initiative ? On ne peut s'en remettre aux propositions du Gouvernement. Nous ne voterons pas la motion de renvoi en commission. (Applaudissements à gauche)

M. Jean-Pierre Michel.  - Faut-il adopter cette proposition de loi ? A l'évidence, oui, étant donné l'inflation du nombre de gardes à vue et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, qui concerne tous les signataires de la Convention. C'est l'avis unanime de la doctrine - et notamment de M. Gabriel Roujou de Boubée.

Faut-il adopter ce texte tout de suite ou plus tard ? Le projet de loi du Gouvernement, qui bouleverse notre procédure pénale, modifierait la nature même de la garde à vue. Aujourd'hui, la garde à vue est une étape préalable à l'instruction : c'est pourquoi elle ne présente pas les mêmes garanties. Le juge demande d'ailleurs au prévenu s'il confirme les procès-verbaux de la garde à vue. Demain, si le texte est adopté, les premiers interrogatoires ne seront pas soumis au contrôle d'un juge indépendant.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - C'est faux. Vous n'avez pas lu le texte.

M. Jean-Pierre Michel.  - Pour que le droit à un procès équitable soit respecté, l'autorité judiciaire qui procède aux investigations doit être indépendante du pouvoir politique. Ce n'est pas le cas aujourd'hui, étant donné le statut du parquet. La Cour européenne a confirmé que le parquet n'était pas une autorité judiciaire.

Tout le monde sait que les interventions du pouvoir politique sont constantes, et souvent suivies ! Depuis 2004, ses interventions se sont multipliées : on se croirait revenus aux années 70...

Si le verrou du juge d'instruction saute, le parquet devra être totalement indépendant. Or vous n'en voulez pas ! Est-ce même souhaitable ? Pour ma part je ne le pense pas. Les forces de police et de gendarmerie qui mèneront l'enquête judiciaire sous l'autorité du parquet devront également être indépendantes du ministère de l'intérieur et être rattachées directement au ministère de la justice. Il faut également étendre l'aide juridictionnelle. Enfin, il faut la présence de l'avocat dès le début de la garde à vue, qui sera déterminante pour l'issue du procès ; l'avocat doit pouvoir assister à tous les interrogatoires et avoir accès aux pièces du dossier.

Quoi que nous réserve l'avenir, cette proposition de loi doit être adoptée immédiatement. Elle s'appliquera à la situation actuelle, et, le cas échéant, à la situation future. Je vous invite donc à repousser la motion de renvoi en commission, qui est dénuée de tout fondement.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Très bien.

M. Jean-Pierre Michel.  - Nous avons déjà largement débattu du sujet : tout le monde est d'accord ! La commission ne fera rien de plus ; quant au groupe de travail dont je suis chargé, avec M. Lecerf, c'est une autre histoire ! (Applaudissements à gauche)

présidence de M. Roger Romani,vice-président

M. Pierre Fauchon.  - Nous avions déjà débattu il y a quelques mois de ce sujet sensible lors d'une question orale, à l'initiative, déjà, de Jacques Mézard.

La garde à vue connaît aujourd'hui des dérives, tant dans la manière dont elle est utilisée au quotidien, que dans ses conditions matérielles, parfois épouvantables.

La première chose à faire est d'en restreindre l'usage : cela relève de la pratique, et donc de la responsabilité du ministre. Le nombre de gardes à vue atteint des records : 900 000 par an !

Il n'est pas question, évidemment, de renoncer à la garde à vue, à moins d'être indifférent à l'efficacité de la procédure pénale ! C'est une option un peu particulière, qui ne peut être celle d'un parlementaire responsable.

Deux éléments permettent d'expliquer ces chiffres. Le premier tient au fait que le nombre des gardes à vue a été retenu parmi les critères d'évaluation de la performance des services de police et de gendarmerie dans le cadre de la Lolf, ce qui incite à multiplier les gardes à vue.

C'est le problème général de la statistique : elle ne mesure que du quantitatif, même dans des domaines où c'est le qualitatif qui importe. Il n'est pas aisé de trouver des critères qui ne soient pas purement comptables pour évaluer une matière comme la justice. Quand on veut parler de la durée des procédures, on met dans le même pot des requêtes qui se traitent en quatre heures et des procès qui traînent cinq ans !

Je ne vais pas répéter ce qui vient d'être dit sur le quotidien de la garde à vue et ses abus. Il faudrait un seuil minimal d'infraction. Dans la plupart des pays de l'Union, la garde à vue n'est possible que lorsque les faits reprochés sont susceptibles d'être punis d'une peine d'emprisonnement au moins égale à cinq ans, soit à un an. Toutefois, il faut garder à l'esprit le risque de surqualification juridique dès l'origine des faits reprochés que pourrait engendrer cette évolution. Ce point avait été justement rappelé par M. Zocchetto.

Ne doit-on pas réfléchir à une mesure alternative ou plutôt complémentaire ? Une retenue de quatre heures au maximum ? Pourquoi pas ? Si les praticiens, c'est-à-dire les enquêteurs, le souhaitent, il sera sage de leur faire confiance. Il faut aborder ce genre de questions dans un esprit pragmatique, avec le regard de celui qui a vécu ce genre de choses et pas avec les idées préconçues des donneurs de leçons qui n'ont jamais été avocats, policiers ou gardés à vue. Bien entendu la présence de l'avocat doit être possible.

J'en viens au coeur de la proposition de loi qui nous est soumise aujourd'hui, l'assistance de l'avocat durant la garde à vue. Nous sommes favorables à une extension de l'intervention de l'avocat durant la garde à vue. Sa simple présence lors des interrogatoires améliorera probablement les droits de la défense dès le début de l'enquête pénale. Cela présente des avantages pour les suspects entendus mais aussi pour les OPJ qui mènent les interrogatoires : la présence de l'avocat limiterait la possibilité de remettre en cause un aveu, renforçant ainsi la force probante du travail des policiers et des gendarmes.

Un aspect de cette proposition de loi me laisse sceptique. Le dispositif supprime les dispositions dérogatoires concernant les formes les plus graves de criminalité, c'est-à-dire la criminalité organisée, en les réservant aux seules infractions de terrorisme. Toutes les infractions liées à la criminalité organisée, que ce soit pour les trafics de stupéfiants ou d'êtres humains seraient renvoyées au droit commun de la garde à vue. Le critère, à mon sens, ce ne doit pas être terrorisme ou non, mais de savoir s'il s'agit d'une criminalité organisée ou individuelle. A l'évidence, dès lors qu'il existe un réseau criminel, il faut des précautions particulières. Il s'agit d'éviter la diffusion d'informations, des fuites qui permettraient au réseau de détruire des preuves ou d'exercer des pressions.

Est-il possible d'éviter un tel système dérogatoire en posant le principe selon lequel, au stade de la garde à vue, l'avocat d'une personne relevant d'une éventualité de délinquance organisée ne pourrait être désigné par elle-même mais seulement par le bâtonnier sur une liste d'avocats pouvant être commis d'office ? Ce serait le système pratiqué en Espagne dans les affaires concernant l'ETA.

Pour conclure sur un aspect plus technique, il apparait légitime d'attendre la concrétisation -qu'on nous annonce imminente- de la réforme du Gouvernement sur ce thème, afin de se prononcer en pleine connaissance de cause.

Je ne saurais conclure sans remercier M. Zocchetto pour l'excellence de son rapport. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Laurent Béteille.  - Comme l'a souligné le Premier ministre, la mise en garde à vue, loin de rester une décision grave, s'est banalisée dans des proportions inquiétantes. En 2001, il y avait 336 718 gardes à vue, en 2008, il y a eu 577 816. Les gardes à vue de moins de 24 heures représentant les trois quarts du total. On peut s'interroger sur le sens de ces chiffres. N'a-t-on pas inclus dans les statistiques de gardes à vue des cas qui n'en relevaient pas ? Il n'en reste pas moins que le nombre de gardes à vue est excessif.

La proposition de nos collègues permet à la personne mise en cause d'être assistée immédiatement par son avocat et entendue en sa présence lors de la première audition. Celle-ci est alors différée jusqu'à l'arrivée de l'avocat. Ce dispositif n'induit pas que l'avocat dispose aussitôt du dossier de son client, pour des raisons matérielles. Cela risque plutôt d'allonger la durée des gardes à vue que de la raccourcir. L'avocat que j'ai longtemps été se souvient d'avoir été appelé en pleine nuit à 70 kilomètres de chez lui pour servir en fait d'assistante social à un gardé à vue mal réveillé. Ce qui est indispensable, c'est que l'avocat ait accès au dossier d'enquête, grâce à quoi il puisse concourir à l'oeuvre de justice. Il y a effectivement un problème déontologique ; nous devons être vigilants.

Dans certaines matières comme la criminalité organisée, il faut être particulièrement prudent avant de changer la loi. C'est pourquoi, comme notre rapporteur, je crois qu'une réflexion approfondie est nécessaire. Le projet de loi en préparation prévoit des dispositions sur la garde à vue, n'en prenons pas aujourd'hui qui seraient décalées avec celles de demain ! Nous suivrons notre rapporteur : il est urgent d'agir, mais pas à n'importe quelle condition, nous légiférerons plus largement avec le projet de loi ! (Applaudissements à droite)

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Aux propositions que nous avons faites en février dernier sur la garde à vue, la Chancellerie nous a répondu invariablement qu'un projet de loi était en préparation, sans rien nous dire du contenu de ce texte. Nous proposions la présence effective d'un avocat dès le début de la garde à vue, c'est l'objet de cette proposition de loi. Mais nous voulions aussi que notre droit se range à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, pour élargir les capacités d'intervention de l'avocat ou encore pour réduire le recours à la garde à vue aux seuls crimes et délits les plus graves.

L'avant-projet de loi est enfin connu, il est en concertation, nous l'avons examiné de près. A preuve le dossier que j'ai sous le bras...

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Je vous en félicite !

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Nous ne doutons pas de votre volonté de changer les choses, nous reconnaissons l'ampleur du travail accompli, mais votre avant-projet est décevant !

Le recours à la garde à vue serait limité aux seuls crimes et délits punis d'une peine d'emprisonnement : c'est intéressant, mais comme tous les délits sont désormais punis d'une peine d'emprisonnement, ce n'est pas avec cette mesure qu'on réduira vraiment le nombre de gardes à vue !

Vous prévoyez l'entretien avec un avocat au début de la garde à vue puis à la 12heure, et que l'avocat puisse recevoir copie des procès-verbaux des auditions et assister même à ces auditions si la garde à vue est renouvelée après 24 heures. C'est intéressant, mais encore faudrait-il que l'avocat puisse s'entretenir avec son client, assister aux interrogatoires et accéder au dossier pénal, ou bien on ne se conforme pas à la Convention européenne des droits de l'homme.

Nous constatons aussi qu'il n'y a aucune avancée sur les gardes à vue en matière de crimes en bande organisée et de terrorisme : l'avocat continuerait de n'intervenir qu'à la 48heure pour les crimes en bande organisée et à la 72heure en matière de terrorisme, tandis qu'il interviendrait à la 48heure en matière de stupéfiants, au lieu de la 72heure actuellement. Cette modification mineure ne rend pas ces régimes conformes à la Convention européenne des droits de l'homme, puisque la Cour recommande l'intervention de l'avocat à la première heure, quelle que soit la gravité de l'infraction.

Madame la ministre, j'espère que vous allez mieux prendre en compte les exigences européennes et que la concertation rendra votre texte acceptable.

La proposition de loi de notre collègue M. Mézard est intéressante, même si toutes les conséquences de procédure n'en sont pas tirées. Il serait dommage, par exemple, qu'un avocat renonce à assister à une garde à vue parce qu'il ne disposerait pas d'éléments suffisants pour assurer la défense de son client. Nous aurons donc à préciser les choses.

Nous ajouterons l'exigence d'effectivité, en discutant le 25 avril prochain notre proposition de loi portant réforme de la garde à vue.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - Eh oui, c'est l'avantage de l'initiative parlementaire !

Mme Alima Boumediene-Thiery.  - Nous voterons pour cette proposition, elle représente la première étape d'une réforme plus approfondie, que nous appelons de nos voeux ! (Applaudissements à gauche et sur quelques bancs du centre)

M. Jean-Pierre Sueur.  - En montant à cette tribune, je me suis dit : « Que d'hypocrisie ! »

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Vous parlez de vous ?

M. Jean-Pierre Sueur.  - On nous répète que cette loi est utile, qu'elle est nécessaire même, mais... qu'il est urgent d'en reporter l'examen ! Monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, j'entends bien vos réserves sur ce texte, mais s'il ne vous convient pas, amendez-le !

Madame la ministre, vous paraissez dire qu'on ne saurait régler l'importante question de la garde à vue à l'occasion d'une simple proposition de loi, mais qu'il y faudrait tout le sérieux d'un projet de loi : je conteste cette hiérarchie, un projet de loi n'est pas plus digne qu'une proposition de loi !

M. Nicolas About.  - Un projet devient même parfois une proposition !

M. Jean-Pierre Sueur.  - La Constitution confie l'initiative de la loi au Gouvernement et au Parlement !

Aussi serait-il souhaitable d'adopter cette proposition de loi, fût-elle amendée, car nous sommes là pour amender si nécessaire, plutôt que d'en reporter l'examen par un renvoi en commission ! J'entends les arguties de M. Zocchetto, croyez que nous avons de la peine à le voir se contorsionner ainsi pour nous expliquer que la mesure est excellente, mais qu'il ne faut surtout pas l'adopter ! Vous-mêmes, mes chers collègues de droite, vous allez voter le renvoi en commission, mais faites-moi la politesse de ne pas dissimuler que vous n'êtes pas convaincus !

Voix à droite.  - Nous sommes convaincus !

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous le dites en riant, nous voyons bien que vous n'en croyez rien !

Si j'avais eu le temps de développer mon propos, j'aurais évoqué l'arrêt John Murray, du 8 février 1996, qui se prononce pour l'assistance d'un avocat dès le premier interrogatoire, j'aurais évoqué l'arrêt Salduz du 27 novembre 2008, qui ouvre la voie à un véritable exercice de la défense en garde à vue, je me serais référé à l'arrêt Dayanan du 13 octobre 2009, qui prévoit que la défense équitable implique que l'avocat puisse notamment organiser la défense, préparer les interrogatoires, soutenir l'accusé en détresse, j'aurais enfin évoqué l'arrêt Savas contre Turquie, du 8 décembre 2008, où la Cour reconnaît que la renonciation au droit d'être assisté par un avocat doit être faite sans équivoque.

Nous ne pouvons pas continuer à demeurer en infraction par rapport au droit reconnu par la Cour européenne des droits de l'homme. La proposition de loi peut sans doute être améliorée mais il faut l'adopter, c'est une question de justice, d'équité et de conformité à toutes les décisions de la Cour européenne. Puissions-nous être entendus ! (Applaudissements à gauche)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Je remercie Mme Escoffier, qui a également commencé à travailler sur le projet de réforme de la procédure pénale. Je suis la première à le dire : trop souvent, les conditions matérielles de la garde à vue sont intolérables, je songe notamment à la propreté des locaux. Mais des avancées ont eu lieu grâce aux efforts de tous ; et dans beaucoup de cas, les modalités de la garde à vue respectent la dignité des personnes. Arrêtons de battre notre coulpe sur tout et n'importe quoi et de stigmatiser notre pays par rapport à ses voisins ! J'ajoute que la présence de l'avocat ne changera rien à l'état des locaux : il y a deux problèmes bien distincts.

M. Masson juge le texte insuffisant mais s'oppose au renvoi en commission, j'ai eu quelque difficulté à saisir la logique du propos...

M. Buffet a bien souligné l'équilibre à trouver -mais dans de nombreux cas, a-t-il rappelé, la garde à vue est nécessaire. Le groupe UMP souhaite intégrer cette question dans la réforme de la procédure pénale. Le texte comporte un grand nombre d'articles et serait utilement scindé en deux parties, nous pouvons le faire tout en gardant une cohérence d'ensemble. Où faut-il placer la coupure ? J'en parlerai avec les présidents des deux commissions des lois.

Mme Borvo Cohen-Seat estime que les professionnels ne sont pas rassurés par l'avant-projet ; or les inquiétudes exprimées avant la mise en ligne -et avant même la rédaction de l'avant-projet, ce qui en dit long sur l'a priori idéologique...- se sont calmées. Le président de la cour d'appel de Paris approuve les grandes lignes de la réforme et dans la presse, les avocats, les universitaires sont de plus en plus nombreux à s'en féliciter, même s'ils souhaitent des amendements. Mme Borvo Cohen-Seat livre une interprétation erronée de l'audition libre, conditionnée à la nature sans gravité de l'infraction et à l'accord de la personne. Quant aux mineurs, ils relèvent d'un code particulier. Le terrorisme aussi fait l'objet de dispositions spécifiques. La constitutionalité de la garde à vue sera évoquée à l'occasion de la question prioritaire de constitutionalité. Dois-je rappeler que dans sa décision du 2 mars 2004, le Conseil constitutionnel a jugé conforme à la Constitution le report de l'intervention de l'avocat lorsqu'il s'agit de criminalité organisée.

Je veux signaler à M. Michel que la Turquie a été condamnée pour avoir interdit la présence de l'avocat durant toute la garde à vue ! Soyons précis ! Chez nous, les enquêtes seront menées par le parquet, sous le contrôle du juge de l'enquête et des libertés -le statut et les garanties sont les mêmes qu'avec le juge d'instruction. La présentation faite de l'avant-projet est erronée. L'aveu hors de la présence de l'avocat ne pourra être retenu comme seul support de condamnation, contrairement à ce que vous dites. Il y a extension du contradictoire, ne laissez pas entendre que les dispositions sont inspirées par autre chose qu'un souci d'améliorer la justice.

M. Fauchon a raison de rappeler que l'on doit être prudent quand on ne connaît pas les difficultés et les réalités du terrain. L'audition libre a été qualifiée de mini garde à vue : ne retombons pas dans les lourdeurs de la garde à vue, nous avons voulu un système léger et peu traumatisant. Merci d'avoir réaffirmé la nécessité d'un régime dérogatoire pour la grande criminalité et le terrorisme. Quant à la désignation de l'avocat par le bâtonnier, il faudra en discuter : je serai à l'écoute.

M. Béteille a démontré que la connaissance concrète de la procédure est indispensable pour étudier dans ses détails la réforme : c'est pourquoi j'ai souhaité une large concertation incluant les praticiens. Merci d'avoir rappelé la déontologie qui s'impose aux avocats. Elle n'est pas toujours respectée. Quelles sont les conséquences concrètes de la proposition de loi ? L'intervention obligatoire de l'avocat rallongera la garde à vue. L'audition sera reportée jusqu'à l'arrivée de l'avocat.

Je félicite Mme Boumediene de s'être immergée dans les 725 articles de l'avant-projet déjà rédigés. J'ai choisi de ne pas ignorer un certain nombre de questions.

Non, les régimes dérogatoires ne sont pas contraires aux décisions de la Cour européenne des droits de l'homme : cette dernière a reconnu que la grande criminalité et le terrorisme pouvaient en nécessiter. Votre vote en faveur de cette proposition de loi, madame, est-il cohérent avec le constat que beaucoup de questions restent en suspens ? Je ne vous taxerai pas pour autant d'hypocrisie.

Il y a en revanche une certaine incohérence et de l'hypocrisie, monsieur Sueur, à prétendre que le Gouvernement voudrait reculer la décision alors que le projet sera déposé avant l'été, à affirmer qu'on ne voudrait pas faire bouger les choses quand le texte proposera des modifications substantielles, et à faire comme s'il était bouclé, bien que ce Gouvernement n'ait jamais donné autant de temps à la concertation. Il est également hypocrite de trouver beaucoup d'avantages au texte de M. Mézard, simplement parce que la commission et le Gouvernement demandent son renvoi en commission. Il est incohérent, enfin, de regretter qu'on légifère par petits bouts mais d'accepter une proposition de loi même si votre groupe en a déposé une autre.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous dévalorisez toute proposition de loi !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - La cohérence, elle résultera d'un texte de refondation.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Vous niez l'initiative parlementaire.

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Dernière hypocrisie, vous citez l'arrêt Murray, qui date du 8 février... 1996, bien avant 2001. Votre Gouvernement a sans doute modifié la loi pour s'y conformer. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Pierre Sueur.  - J'ai cité dix décisions !

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Travaillons plutôt dans la transparence et la confiance avec pour seul objectif de parvenir au meilleur texte possible. Je n'établis nulle hiérarchie entre proposition et projet de loi -j'ai enseigné le droit constitutionnel. En revanche, je sais que, lorsqu'un projet permet une refondation, il donne plus de cohérence et de visibilité, plus de certitude aussi sur le droit applicable. Il sera ouvert à toutes les améliorations que l'Assemblée nationale et le Sénat voudront y apporter : nous remplirons alors notre mission de législateurs au nom du peuple français et pour lui. (Applaudissements prolongés à droite)

La discussion générale est close

Renvoi en commission

M. le président.  - Motion n°1, présentée par M. Zocchetto, au nom de la commission.

En application de l'article 44, alinéa 5, du Règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, la proposition de loi tendant à assurer l'assistance immédiate d'un avocat aux personnes placées en garde à vue (n° 208, 2009-2010)

M. François Zocchetto, rapporteur.  - J'ai défendu cette motion dans mon intervention en discussion générale.

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.  - On vient de parler de cohérence et d'hypocrisie. Quand même... Il me semble que cette proposition marque un progrès par rapport à la situation existante. Elle est même moins libertaire que celle qu'ont déposée à l'Assemblée nationale le 21 décembre 2009 31 députés dont MM. Aeschlimann, Balkany et Clément, ancien garde des sceaux : elle prévoit la présence immédiate de l'avocat afin de garantir un procès équitable et d'éviter une déclaration incriminant une personne privée d'avocat. Et cette proposition supprime tout régime dérogatoire...

M. Jean-Pierre Sueur.  - C'est incohérent !

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.  - Où est la cohérence, où est l'hypocrisie ? Nous avons cherché une solution raisonnable...

M. Jean-Pierre Sueur.  - Réaliste !

M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.  - Notre proposition n'est certes pas parfaite, mais elle marque un progrès et mieux vaut la voter que la renvoyer aux calendes grecques. (Applaudissements à gauche)

Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État.  - Le Gouvernement est favorable à la motion.

M. François Zocchetto, rapporteur.  - Que M. Mézard se rassure : nous continuerons notre travail dès mercredi matin en examinant la proposition de loi de Mme Boumediene-Thiery. Nous pourrons alors utiliser la vôtre.

M. Jean-Pierre Sueur.  - Pour la renvoyer en commission ?

A la demande du groupe RDSE, la motion n°1 est mise aux voix par scrutin public.

M. le président.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 340
Majorité absolue des suffrages exprimés 171
Pour l'adoption 183
Contre 157

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à droite)