Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance.

M. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois.  - Auditions et déplacements ont nourri la réflexion du groupe de travail de la commission des lois sur la vidéosurveillance. A ses débuts, dans les années 80, la vidéosurveillance a suscité de vifs débats : cette technologie ne menaçait-elle pas les libertés individuelles et collectives, la vie privée et la liberté d'aller et venir ? N'allait-on pas donner vie au fameux Big Brother ?

Ces craintes ont été largement apaisées, d'abord par la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité de 1995, qui crée un régime d'autorisation préfectorale de la vidéosurveillance sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public, tandis que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) est compétente pour les lieux privés.

Le fonctionnement concret des systèmes de vidéosurveillance a également rassuré : aucune utilisation abusive ne semble avoir été constatée. La vidéosurveillance est aujourd'hui assez largement acceptée par nos concitoyens et mise en oeuvre par des élus locaux de tous bords.

Afin de la développer dans les espaces publics, l'État a prescrit des normes techniques minimales pour homogénéiser les systèmes et rendu possible le report des images vers les services de police et de gendarmerie. Ces ajustements législatifs ont été suivis d'un engagement financier et politique : lancement à l'été 2007 d'un plan national de développement de la vidéo-protection, avec l'objectif de passer de 20 à 60 000 caméras sur la voie publique en deux ans ; création d'une commission nationale de la vidéosurveillance en novembre 2007 ; mise en place d'un comité de pilotage stratégique.

Le Président de la République a accéléré en 2009 la mise en place du plan national de la vidéo-protection, avec notamment des systèmes types qui tirent les leçons d'échecs passés en prévoyant une densité de caméras significative, un centre de supervision urbain et son raccordement aux forces de l'ordre. Enfin, le plan « 1 000 caméras », issu d'une collaboration entre la préfecture de police et la mairie de Paris, prévoit 1 200 nouvelles caméras en sus des 300 déjà présentes.

Les caméras dans les espaces publics étaient environ 340 000 en 2007 ; ce nombre est aujourd'hui largement dépassé. La grande majorité sont installées dans des établissements privés recevant du public, le reste dans les transports et sur la voie publique.

Toutefois, le débat sur la conciliation de la vidéosurveillance avec les libertés individuelles n'est pas clos. Au contraire, il est relancé par l'avènement de systèmes plus performants, en attendant la vidéosurveillance dite « intelligente », capable de détecter dans une foule des mouvements ou des sons anormaux, et de la biométrie, en cours d'expérimentation. De même, les usages se diversifient : caméras embarquées sur les véhicules des forces de l'ordre, système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation... Face à ces évolutions, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 25 février 2010, que le législateur ne pouvait créer de nouveaux usages en la matière sans prévoir les garanties nécessaires à la protection de la vie privée.

Le débat sur l'efficacité de la vidéosurveillance se poursuit également. L'expérience anglaise révèle les erreurs à ne pas commettre : phase de conception trop courte ; images de mauvaise qualité ;  policiers et gendarmes non formés à l'utilisation des images ; insuffisante exploitation des images à des fins d'investigation et comme preuve au procès pénal. Certaines collectivités visent déjà d'emblée la qualité, à l'instar de la communauté d'agglomération de la vallée de Montmorency.

Le cadre juridique de la vidéosurveillance ne permet plus de satisfaire à cette double exigence d'efficacité et de préservation des libertés publiques. Il existe des conflits de compétences entre la Cnil et les préfets selon le lieu et la technologie utilisée, le contrôle n'est pas homogène sur le territoire et les textes sont trop rigides, en particulier pour les petites communes.

C'est pourquoi je suggère un dispositif à trois niveaux -réflexion et conception, autorisation et enfin contrôle-, chacun impliquant une autorité différente. L'indispensable expertise sur les caractéristiques techniques et les bonnes pratiques ainsi que l'évaluation de la performance des technologies pourraient être assurées par une commission nationale de la vidéosurveillance renforcée, qui participerait notamment à l'actualisation des normes techniques. L'autorisation des systèmes de vidéosurveillance resterait une compétence de l'État via ses préfets.

Enfin, le contrôle des dispositifs de vidéosurveillance de la voie publique et des lieux ouverts au public pourrait être confié à la Cnil, suffisamment compétente et expérimentée pour être crédible et dont la notoriété inciterait peut-être à davantage signaler les abus. La commission est d'ailleurs déjà souvent saisie par des personnes qui ignorent que le contrôle de la vidéosurveillance varie selon les lieux et la technologie... Cette option préserverait également les deniers publics, la Cnil pouvant, lors d'une même opération, vérifier la licéité des traitements de données personnelles et contrôler la conformité des systèmes de vidéosurveillance.

Elle ferait parvenir un rapport au préfet et au responsable du système et pourrait demander au préfet la suspension d'un système non conforme à l'autorisation de création. Les maires pourraient solliciter directement la Cnil afin de faire valider leur système de vidéosurveillance. Celle-ci interviendrait alors dans un esprit de conseil et de prévention et non de répression.

En outre, la Cnil pourrait s'appuyer sur le réseau des correspondants informatiques et libertés au sein des entreprises et des collectivités locales, dont la proposition de loi Vie privée et mémoires numériques généralise la présence. Pourquoi charger une nouvelle instance de préserver les libertés publiques en matière de vidéosurveillance alors qu'une autorité administrative indépendante existante en a la capacité ?

Dans un souci de souplesse, notre rapport propose également que l'on puisse délimiter des zones vidéosurveillées, à l'intérieur desquelles le responsable du système pourra déplacer librement des caméras et en moduler le nombre : il n'est pas raisonnable que le moindre déplacement d'une caméra de quelques mètres oblige le maire à demander une nouvelle autorisation ! Dans ce domaine, le décret du 22 janvier 2009 représente une avancée, mais il faut aller plus loin.

Dans le même esprit, nous regrettons que la procédure d'autorisation soit aussi lourde pour installer quelques caméras dans une petite commune que pour mettre en place un réseau complet de vidéosurveillance dans une agglomération. Là encore, le décret du 22 janvier 2009 semble insuffisant.

Il serait également nécessaire qu'une souplesse accrue permette aux élus locaux d'assurer la sécurité lors de manifestations sportives ou d'autres rassemblements de grande ampleur : pourquoi ne pas autoriser une fois pour toutes l'installation de caméras sur un site défini, pour la durée de chacune des manifestations qui se succéderont ?

Contrepartie de cette souplesse accrue, les zones de vidéosurveillance devraient être plus clairement signalées. De même, un compte rendu du fonctionnement de la vidéosurveillance devrait figurer en annexe des comptes de la commune ou de l'EPCI, au même titre par exemple que la liste des délégataires de service public.

J'espère que ces quelques propositions alimenteront nos débats lorsque nous examinerons la Loppsi dans quelques semaines. (Applaudissements à droite et sur le banc des commissions)

M. Charles Gautier, au nom de la commission des lois.  - Ce débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance se tient à la demande de la commission, à la suite du rapport que j'avais présenté avec M. Courtois en décembre 2008.

Je profite de cette occasion pour saluer l'ouverture d'esprit dont notre président, M. Hyest, a toujours fait preuve à propos de la vidéosurveillance. En cet instant, je veux aussi remercier les membres de la commission, qui ont adopté ce rapport à l'unanimité, une particularité qui a son importance puisque les débats sur cette question opposaient passionnément, il y a quelques années, partisans et adversaires de ce dispositif. Nul n'écoutait alors les arguments des autres. La fin de cette opposition stérile donne au législateur l'opportunité d'examiner l'encadrement juridique de la vidéosurveillance.

Le groupe socialiste est particulièrement attaché aux garanties fondamentales, mais aussi aux instruments nouveaux permettant aux élus locaux de mieux assurer la sécurité de nos concitoyens. La vidéosurveillance peut en faire partie, sans constituer une solution miracle.

En effet, la prévention ne peut se limiter à la vidéosurveillance. C'est pourquoi je milite pour que le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ne s'y limite pas. Je n'ai pas le temps de revenir en détail sur le sujet, mais j'ai souvent souligné le désengagement de l'État dans le financement des politiques de sécurité publique.

Revenons à notre rapport. Des dérives étant toujours possibles, il importe d'encadrer l'usage de la vidéosurveillance. Sans faire un inventaire à la Prévert de nos préconisations, je souhaite insister sur quelques points essentiels.

La plus importante de toutes, notre première recommandation consiste à confier à la Cnil le contrôle a priori et a posteriori, ces compétences nouvelles devant s'accompagner de moyens supplémentaires. Au demeurant, la création d'une autorité ad hoc serait encore plus coûteuse.

Notre deuxième recommandation est de ne pas filmer en catimini : il ne s'agit ni de voyeurisme, ni de flicage. Il est donc essentiel d'informer nos concitoyens, qui ne doivent pas être filmés à leur insu.

La troisième recommandation tend à empêcher toute délégation à des prestataires privés, afin que les autorités publiques conservent la maîtrise des systèmes et des données. Nous serons particulièrement vigilants sur ce point lorsque nous discuterons la Loppsi. En outre, nous demandons que les personnes chargées de visionner les images soient mieux formées et assermentées.

D'où notre quatrième recommandation, qui porte précisément sur la formation de ce personnel -afin qu'il puisse jouer un rôle plus central dans les politiques de sécurité- et sur la prestation de serment -afin de mieux garantir les droits des citoyens par un contrôle de la commission nationale de déontologie de la sécurité... ou de ce qu'il en subsistera.

Enfin, je voudrais insister sur la sixième recommandation, car l'usage raisonné de la vidéosurveillance doit faire primer la qualité des systèmes sur la quantité des caméras, une préoccupation qui s'est particulièrement imposée après notre visite à Londres, où de nombreuses images ne servent à rien, faute d'être exploitées.

Lorsqu'elle était ministre de l'intérieur, Mme Alliot-Marie a souvent insisté sur le rôle primordial de la vidéosurveillance dans la prévention de la délinquance. En 2007, elle avait annoncé le triplement des caméras en deux ans. L'Assemblée nationale a examiné il y a quelques mois le projet de Loppsi ; nous ignorons quand le Sénat en débattra. En septembre 2009, M. Fillon a présenté le plan national de prévention de la délinquance et d'aide aux victimes, qui accorde une place éminente à la vidéosurveillance. Or, notre rapport d'information, voté à l'unanimité de la commission, a démontré la complexité, mais surtout l'alarmante désuétude des règles de contrôle, obsolètes à l'heure où cet outil technique parvient à maturité en étant connecté avec des systèmes de reconnaissance faciale. Nos onze recommandations permettraient d'améliorer le contrôle et l'information du public, mais aussi l'efficacité des dispositifs. Je souhaite donc vivement connaître les intentions du Gouvernement quant à la nécessaire réforme de la législation applicable en ce domaine.

J'estime essentiel, tout comme sans doute mon collègue M. Courtois, que le Parlement ne fasse pas l'impasse sur ces questions en discutant la Loppsi. Il en va des libertés fondamentales de nos concitoyens ! (Applaudissements à gauche, au centre et sur le banc des commissions.)

M. Alex Türk.  - Technologie complexe de plus en plus souvent couplée avec d'autres moyens, la vidéosurveillance s'insère de plus en plus massivement dans notre cadre de vie.

Aujourd'hui, la Cnil peut assurer l'harmonisation a posteriori du contrôle, mais elle aurait besoin de moyens supplémentaires pour intervenir a priori avec l'indépendance et le professionnalisme qui la caractérisent. En matière de contrôle, la Cnil pourrait produire un rapport annuel spécifique et formuler des recommandations à l'intention du ministre de l'intérieur, des préfets et des maires.

J'insiste sur le distinguo entre la protection des libertés individuelles et l'analyse des performances dans la lutte contre la délinquance.

Tout comme les rapporteurs, j'estime déraisonnable de créer de toutes pièces une autorité de contrôle pour faire ce que la Cnil est aujourd'hui parfaitement à même de réussir.

Il ressort des sondages que 71 % des Français sont favorables à la vidéosurveillance et 79 % souhaitent qu'elle soit développée pour améliorer la sécurité collective, mais que les libertés individuelles soient garanties. Ce qui a été évoqué par les rapporteurs va dans le bon sens. (Applaudissements au centre ; MM. Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier applaudissent également)

Mme Éliane Assassi.  - Il y a deux semaines à peine, cinq pompiers catalans ont été jetés en pâture aux téléspectateurs ; filmés faisant des achats dans un supermarché, ils ont été présentés comme des terroristes de l'ETA, membres du commando responsable d'une fusillade ayant couté la vie à un brigadier français. Édifiant exemple des méfaits de la vidéosurveillance. Celle-ci est liberticide. Elle porte atteinte à la présomption d'innocence comme à la liberté d'aller et venir ou au droit au respect de la vie privée. En outre, elle est inefficace. Cependant, comme le dénonçait en juillet dernier le Syndicat national de la magistrature, le Gouvernement refuse de reconnaître l'inefficacité de son arsenal répressif. Au contraire, il encourage l'installation de nouvelles caméras et l'objectif du plan de développement de la vidéosurveillance est un triplement du nombre de caméras -de 20 000 à 60 000- d'ici fin 2011. Aucune étude sérieuse n'a démontré l'apport de ces dispositifs. Au contraire, une récente étude anglaise a souligné leurs limites : pas d'effet dissuasif à long terme, 80 % des images inutilisables, à peine 3 % des affaires de vol élucidées grâce aux caméras à Londres. Un responsable de Scotland Yard a même conclu au « fiasco » d'une politique sécuritaire qui a coûté des millions de livres sterling. Quant à l'étude française qui paraît militer en faveur de la vidéosurveillance, de nombreux experts, notamment ceux de l'Institut national des hautes études de sécurité, en contestent la pertinence. Le ministre a fini par concéder que la délinquance avait cessé de baisser malgré l'augmentation croissante des sites surveillés. (M. le ministre murmure)

Malgré l'échec, malgré le danger, les Français semblent approuver la vidéosurveillance : 71 % des personnes interrogées s'y déclarent favorables, 65 % pensent que la multiplication des caméras sera efficace et dissuasive. Mais 79 % des sondés estiment également que les systèmes de vidéosurveillance doivent être placés sous le contrôle d'un organisme indépendant. Bref, si les Français sont soucieux de leur sécurité, ils le sont encore plus des garanties juridiques et ils ont bien raison.

Le Gouvernement entend tripler le nombre de caméras installées sur le territoire d'ici un an. Nous dénonçons quant à nous les lacunes de l'encadrement juridique -parfaitement mises en lumière par le rapport d'information Courtois-Gautier. Selon les lieux, publics ou privés, et selon les technologies utilisées, la vidéosurveillance relève soit du régime de la loi « informatique et liberté » de 1978, soit du régime de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité intérieure (Lopsi) de 1995 ; et l'autorité chargée du contrôle n'est pas la même dans les deux cas, Cnil pour les systèmes soumis à la loi de 1978, commissions départementales lorsqu'ils relèvent de la loi de 1995. Les citoyens ne savent plus vers qui se tourner et la Cnil reçoit nombre de plaintes et demandes pour lesquelles elle n'est pas compétente. Le respect des libertés fondamentales est-il bien assuré quand on ne sait pas qui est chargé de les garantir ?

Une autre faiblesse réside dans l'inadéquation des mécanismes de contrôle prévus par la loi de 1995. Celle-ci confie à des commissions départementales tant le contrôle des demandes d'installations nouvelles que celui des installations existantes. Or, les décisions ne sont pas harmonisées au niveau national et elles souffrent d'un défaut de publicité.

La troisième faiblesse tient enfin à l'obsolescence du régime juridique. Il est prévu, dans les prochaines années, d'équiper de systèmes mobiles les véhicules et les agents de la police et de la gendarmerie. Or, le régime actuel de la vidéosurveillance ne prévoit aucune information du public à ce sujet. L'encadrement juridique doit être revu. Mais rien ne nous a été proposé pour l'instant.

La proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupe et la protection des personnes chargées d'une mission de service public autorisait la transmission à la police et la gendarmerie nationales et à la police municipale des images captées au sein d'immeubles d'habitation. Attentatoires aux libertés, ces dispositions ont heureusement été censurées par le Conseil constitutionnel en février dernier. Mais les orientations retenues dans la Loppsi II ne nous rendent pas optimistes. Le Gouvernement « réaffirme sa volonté de favoriser le développement massif de la vidéosurveillance comme outil de lutte contre la délinquance », au détriment du tissu associatif et des actions éducatives ou médico-sociales. La réforme vise à accroître encore la surveillance visuelle des espaces publics, en la déléguant aux personnes privées, en dépit des dangers soulignés par le rapport d'information de 2008. Le syndicat de la magistrature a dénoncé un système dans lequel « les citoyens, déjà étroitement cernés par les caméras déployées à grand frais par la puissance publique, verront leurs faits et gestes épiés par des sociétés privées, au nom de la protection ».

Le projet n'apporte pas non plus de clarification juridique et ne confie pas le contrôle à une autorité réellement indépendante ; la concurrence des régimes de 1978 et de 1995 perdure ; et la commission nationale de « vidéo-protection » est directement rattachée au ministre de l'intérieur, qui deviendra juge et partie. L'attribution de la mission de contrôle à la Cnil, que préconisait le rapport d'information et que la Commission nationale informatique et liberté réclamait a été écartée.

En dernier lieu, le projet reste silencieux sur les nouvelles technologies comme la vidéo-intelligence et la biométrie, le croisement des méthodes de surveillance et des données collectées. Pourtant l'atteinte potentielle aux libertés est évidente ! La Cnil en février dernier réitérait son souhait que le régime juridique de la vidéosurveillance soit revu et harmonisé de façon à assurer un contrôle véritablement indépendant, placé sous son égide. Nous partageons ce souhait. (M. Jean-Patrick Courtois applaudit)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - La vidéosurveillance n'est pas véritablement nouvelle : en 1942, l'Allemagne hitlérienne la mit au point pour observer le lancement de ses fusées V-2. Mais la généralisation ne peut qu'attirer l'attention du législateur, placé sous le feu croisé des partisans, qui voient en ce système la panacée universelle, et des détracteurs qui déplorent, parfois à juste titre, l'inefficacité, le coût et le préjudice causé aux individus.

Cette question est l'une des plus complexes : évitons les partis pris et cherchons à comprendre comment, en une trentaine d'années, on est passé de la protection de certains lieux très spécifiques, magasins de haute joaillerie ou grands musées, à la surveillance de lieux publics entiers, ce que George Orwell avait pressenti dés 1948, dans1984. Personne ou presque ne prit garde à cette description de la vidéosurveillance installée dans chaque maison et donnant à un État totalitaire le contrôle sur les esprits.

La France, contrairement à d'autres pays, a réglementairement défini la vidéosurveillance en 1995 ; aujourd'hui, l'État ne se contente plus d'instruire les demandes d'installation, il encourage l'équipement en caméras par l'octroi d'aides du Fonds interministériel de prévention de la délinquance. A la fin de l'année 2007, le nombre de caméras autorisées sur la voie publique était estimé à 340 000 et l'intention est de parvenir à un million d'ici peu. C'est beaucoup - et c'est beaucoup trop si ce n'est pas utile. Le décret du 22 janvier 2009 tend à faciliter cet essor : le Gouvernement a choisi d'accélérer le mouvement, sans savoir si cela sert à quelque chose.

Il s'agit, en principe, de prévenir la criminalité. Mais en Grande-Bretagne, où la vidéosurveillance est très développée, on s'est très vite heurté au manque de personnel pour analyser les informations. Il en est résulté d'importants surcoûts et Scotland Yard a fini par estimer qu'il y avait là un « utter fiasco », un échec complet ! Ainsi, alors que ce pays a investi des sommes fabuleuses pour s'équiper du plus vaste système de surveillance d'Europe, seuls 3 % des délits sont résolus à l'aide des caméras de surveillance !

Cela devrait nous inciter à davantage de prudence. La vidéosurveillance est utile si elle joue un rôle dans la lutte contre la criminalité, non si elle sert d'alibi destiné à rassurer la population. Londres est la capitale la mieux pourvue en caméras de surveillance, mais elle n'est pas la plus sûre au monde. Si cet outil se révèle très efficace durant les phases d'enquête et notamment dans les lieux clos, tels les parkings, il l'est moins pour identifier les délinquants, comme les voleurs à la tire ou les violeurs en série, qui opèrent sur de vastes territoires. Au reste, il existe en France un seul rapport sur l'efficacité de la vidéoprotection, réalisé par l'Intérieur, ce qui est insuffisant... Ensuite, parlons du coût : 15 000 euros par caméra et l'embauche de 30 000 personnes pour visionner en permanence les 40 000 caméras qui seraient installées fin 2011. Pour réduire cette dépense de personnel, le gouvernement britannique a proposé, en octobre 2009, aux citoyens de visionner chez eux les images et de décerner une prime au meilleur d'entre eux. Ce projet voyeuriste, qui a fait l'objet de nombreuses critiques, montre, s'il en était besoin, la nécessité de poser la question de l'éthique en matière de vidéosurveillance que l'association « Souriez, vous êtes filmés » soulève à juste titre en insistant sur la protection de la vie privée et le renforcement des recours en cas de difficulté. Le projet Loppsi, transmis au Sénat en février dernier, vise, d'une part, à étendre les cas d'autorisation de vidéosurveillance par des personnes privées filmant les abords de leurs bâtiments et, d'autre part, à doter la commission nationale de vidéosurveillance d'une mission nationale de contrôle. Si la dualité des régimes juridiques et des organes de contrôle constitue une difficulté majeure pour les utilisateurs de vidéosurveillance et les citoyens, la Cnil reste, à mes yeux, la plus compétente en ce domaine.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Ah ! Enfin, une observation positive !

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Reste une question, certes plus générale : la vidéosurveillance va-t-elle nous transformer en des acteurs prisonniers d'un gigantesque « loft story », dont les moindres faits et gestes, déplacements et conversations seront épiés par des milliers de surveillants invisibles ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - C'est de M6 dont il faut se méfier !

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Le groupe RDSE entend rester particulièrement vigilant face au développement anarchique de la vidéosurveillance ainsi qu'à l'assouplissement injustifié de son cadre juridique ! (Applaudissements à gauche et sur les bancs RDSE)

M. Jean-Paul Fournier.  - Ce débat est plus que jamais d'actualité : les récentes élections ont fait ressortir un besoin de sécurité et le projet Loppsi consacre une section entière à la vidéoprotection. Par parenthèse, ce dernier terme réaffirme utilement le but de cet outil -protéger les citoyens et les biens-, la surveillance n'étant qu'un moyen d'y parvenir.

Tout d'abord, l'encadrement juridique actuel est-il adapté à la généralisation de la vidéoprotection dans les lieux publics ? Depuis 1995, le régime d'autorisation préfectorale après avis de la commission départementale reste la règle. Pour les élus, soumis aux pressions directes des victimes et des administrés en proie à un fort sentiment d'insécurité, il importe que le délai de consultation de la commission -trois mois maximum, plus un mois- soit respecté. En cas d'engorgement dans le traitement des demandes, il devra revenir aux préfets d'augmenter la périodicité des réunions de la commission. Parce que la lutte contre la délinquance est un combat de longue haleine, qui exige de la réactivité au niveau local, il faut gagner en souplesse. Le Conseil constitutionnel ayant imposé en 1994 un régime d'autorisation expresse, la solution serait de recourir davantage à la demande d'autorisation de périmètre vidéo-protégé prévue par le décret du 22 janvier 2009 -la notion de périmètre mérite d'ailleurs d'être approfondie. Enfin, le Gouvernement a accordé aux préfets un droit de prescription en 2006 concernant la vidéo-protection pour des motifs de défense nationale ou encore dans les transports collectifs, droit que les députés ont récemment étendu aux caméras urbaines lors de l'examen du projet initial de Loppsi. Malgré les intentions louables du Gouvernement, le libre arbitre de l'élu doit demeurer. Je ne doute pas un instant que notre assemblée y veillera.

Ensuite, l'encadrement juridique permet-il une utilisation optimale des sources vidéo par les forces de l'ordre ? D'après le rapport de l'Institut national des hautes études de sécurité, l'efficacité de la vidéo-protection tient tout d'abord à la qualité des images. La norme de très haute qualité fixée dans la loi de 2006 devra donc être actualisée au gré des évolutions technologiques. Ensuite, une bonne image est inutile si personne n'est capable de la traiter. Le traitement des images relève de l'État. Or l'intérêt de celui-ci pour la vidéo-protection est récent. Depuis 2007, il a rattrapé son retard avec la création du Fonds de prévention de la délinquance et sa contribution financière au raccordement des gendarmeries et commissariats aux centres de supervision urbains. Il serait souhaitable de formaliser l'utilisation de la vidéo-protection dans les contrats locaux de sécurité et de rendre obligatoire une disposition prévoyant l'accès des policiers et des gendarmes aux images et enregistrements dans l'arrêté d'autorisation. Peut-être serait-il également opportun de créer une classification judiciaire spéciale pour les agents opérateurs des centres de supervision urbains, affectés à une tâche de repérage et de sélection des images. Ma ville, Nîmes, en compte deux. Enfin, la réglementation doit accompagner la diversité d'utilisation de la vidéo-protection. En matière de contravention routière, la vidéo est utile pour les contraventions à la volée. En revanche, la procédure de verbalisation demeure trop lourde -convocation du contrevenant, transmission au parquet. Ne pourrait-on pas calquer ces procédures sur celles utilisée pour les radars automatiques ?

Dernière question : l'encadrement juridique actuel prévient-il efficacement les atteintes à la vie privée ? Le sérieux de la procédure d'autorisation plaide pour son maintien : peu de plaintes et, de surcroît, sans gravité. Pour autant, l'évolution des technologies doit conduire à une évolution des organes de contrôle. La compétence de la Cnil, avait observé le rapport d'information de 2008, pourrait être étendue à la vidéo intelligente, voire biométrique. Certes, nous n'ignorons pas les récents commentaires du Conseil constitutionnel sur la loi de 1978 et votre souhait, monsieur le ministre, d'attribuer la compétence de contrôle a posteriori à la commission nationale de vidéosurveillance. Pourquoi créer, à l'heure de la RGPP, un organisme supplémentaire quand la Cnil est compétente ? La troisième voie ne consisterait-elle pas à rattacher la commission nationale de vidéosurveillance au Défenseur des droits ? Quoi qu'il en soit, maintenons une séparation entre l'autorisation et le contrôle. En bref, si la réglementation actuelle ne présente pas de défauts substantiels quant au respect de la vie privé, il faudra néanmoins l'adapter pour tenir compte de l'évolution des techniques et de la généralisation de la vidéo-protection dans la sphère publique. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Virginie Klès.  - Je ne suis pas venue vous dire mon opposition viscérale et définitive à la vidéosurveillance mais mon refus des dogmes et du laxisme, au nom de l'amélioration de la sécurité publique et du parler vrai. Je suis venue vous dire quelques vérités pour moi et mes collègues, vous poser quelques questions et affirmer, devant vous, quelques principes démocratiques.

Pour parler vrai, la première chose est de ne pas confondre et de ne pas entretenir de confusion entre la sécurité ou l'insécurité et le sentiment de sécurité ou d'insécurité.

Deux de mes amies, ayant un jour emprunté le métro new yorkais, me dirent qu'elles avaient éprouvé un fort sentiment d'insécurité, sans qu'elles eussent pourtant été agressées. Un autre de mes amis, le même jour de la semaine et à la même heure, s'y était senti en parfaite sécurité. Certes, un exemple ne suffit pas. Mais on peut aussi se référer aux enquêtes qui montrent que les femmes se sentent plus en insécurité que les hommes dans l'espace public alors qu'elles y sont moins souvent agressées et sont plus exposées dans l'espace privé. Peut-être des caméras calmeront-elles le sentiment d'insécurité, mais cela ne signifie pas qu'elles feront disparaître l'insécurité réelle.

Au terme « vidéosurveillance », on préfère désormais « vidéoprotection ». Appelons les choses par leur nom ! Une caméra n'a jamais protégé personne ! Elle sert à surveiller, dans le but éventuel de protéger, de prévenir et d'élucider. Ne confondons pas la fin et le moyen ! Donnera-t-on un nom différent aux caméras selon qu'elles servent à contrôler la fluidité du trafic routier -il ferait beau voir que l'on parlât alors de « vidéoprotection !-, à surveiller les abords d'un bâtiment public ou à filmer une manifestation qui s'en approche ? Les citoyens ont le droit d'être informés. La commission a unanimement souhaité qu'ils soient avertis des possibles atteintes à la vie privée sur internet ; ce qui vaut pour internet vaut aussi pour la vidéosurveillance. Les gens doivent comprendre ce qui se dissimule derrière les mots et les technologies. Internet n'est pas le minitel. De la même façon, l'apparition du numérique a révolutionné l'usage de la vidéosurveillance : il est désormais possible d'identifier les personnes filmées en croisant les images avec des fichiers comprenant des données biométriques ou des dispositifs de géolocalisation. Les citoyens ne sont pas des moutons à qui la peur ferait accepter n'importe quoi, mais des adultes responsables ! Il faut qu'ils puissent mesurer les atteintes à la vie privée permises par la vidéosurveillance, et les mettre en balance avec ses bénéfices éventuels en termes de sécurité. Comme les rapporteurs, je réclame qu'une information visible soit délivrée sur l'implantation des caméras.

Qui exploitera les images, muni de quelle formation ? La police municipale, la police nationale, ou la gendarmerie ? Faudra-t-il un officier de police judiciaire derrière chaque caméra ? C'est peut-être l'occasion de créer un nouveau métier, fondé sur une solide formation éthique et auquel seraient assignés des objectifs clairs et affichés. Qui décidera s'il est licite de détourner l'usage d'une caméra installée aux abords d'un bâtiment public pour surveiller une manifestation, voire de zoomer sur un individu dont le comportement amuse, intrigue ou inquiète ? Qui déterminera la durée de conservation des données, et qui, le cas échéant, sera chargé de les détruire ? Qui contrôlera l'accès aux images ?

Comme l'ont dit les rapporteurs, la Cnil est une autorité administrative indépendante dotée des compétences, de l'expérience et des moyens nécessaires pour contrôler l'usage de la vidéosurveillance. Renforçons sa légitimité en lui donnant accès aux rapports, en lui donnant un véritable pouvoir de contrôle, en faisant en sorte que chaque citoyen puisse la saisir, en requérant son avis conforme et non plus consultatif sur l'installation de nouveaux appareils, en lien avec les préfets.

Que M. le ministre me permette d'exprimer des doutes sur les objectifs chiffrés qu'il a avancés. Il entend multiplier par trois le nombre de caméras. Pourquoi trois ? Pourquoi pas deux, quatre ou deux et demi ? Où installera-t-on les nouveaux appareils ? Dans les grandes villes, les petites, ou au bord des routes de campagnes, tout aussi dangereuses parfois ? Que fera-t-on des images ? Pourquoi n'avoir prévu de crédits budgétaires que pour le matériel et non pour les moyens humains indispensables pour l'exploiter ? En Angleterre, où sont installées un grand nombre de caméras, 80 % des images enregistrées demeurent inexploitées par les services publics. Pourquoi affecter plus de la moitié du Fonds interministériel de prévention de la délinquance aux nouvelles caméras, alors que plusieurs études montrent qu'elles ne sont efficaces qu'au prix d'une longue étude préalable ? Pourquoi se priver de travailleurs sociaux dans les gendarmeries pour accueillir les femmes victimes de violences ? Sans se donner le temps de répondre à toutes ces questions, le Gouvernement veut nous faire signer un bon de commande. Dans ma commune de 6 000 habitants, j'ai déjà reçu plusieurs propositions de fabricants. Cède-t-on au lobbying des industriels ou à la fascination pour un nouvel outil technologique ?

L'extension de la vidéosurveillance risque d'être au mieux inefficace, au pis dangereuse. On aura peut-être recours pour traiter les images à des sociétés privées, les mêmes qui vendent le matériel : cela reviendrait à déléguer au secteur privé le soin de la sécurité publique. On prépare ainsi l'avènement de la société de « Big Brother » ou plutôt de petits « big brothers », comme disait une personnalité dont je tairai le nom mais qui n'est pas de gauche...

M. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois.  - Vous nous le direz. (Sourires)

Mme Virginie Klès.  - Moi qui suis attachée à la prévention et à la répression de la délinquance, je suis inquiète de cette évolution. On veut faire passer la vidéosurveillance pour une panacée, au détriment des moyens humains indispensables pour assurer la sécurité de tous sur l'ensemble du territoire. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE ; M. Charles Gautier, au nom de la commission des lois, aussi)

M. Jean-Paul Alduy.  - Je souscris pleinement aux onze recommandations de l'excellent rapport de MM. Courtois et Gautier, qui devraient permettre de dépassionner le débat. Les évolutions technologiques nous obligent à revoir notre réglementation pour y apporter plus de souplesse tout en garantissant les libertés individuelles. D'autres l'ont dit avant moi : plutôt que de multiplier les institutions, il vaudrait mieux s'appuyer sur l'autorité et les compétences de la Cnil et la charger d'autoriser l'installation de caméras de vidéosurveillance et d'en contrôler l'usage.

Si on se limitait à la partie contrôle, on perdrait toute l'information sur la genèse de ces projets. C'est en ayant à la fois l'autorisation et le contrôle qu'une jurisprudence pourra petit à petit s'élaborer et que nous pourrons mieux maîtriser ces technologies.

Aujourd'hui, le débat s'est déplacé : il n'est plus temps d'avoir peur de l'impact de ces technologies sur les libertés individuelles mais de s'inquiéter de leur efficacité même.

En me fondant sur mon expérience à Perpignan, j'ai compris que la vidéosurveillance ne servait pas seulement à prévenir la délinquance mais qu'elle permettait aussi de déceler tous les incidents qui se déroulent sur l'espace public. Dans ma ville, elle a permis de sauver des vies ! Les émeutes de Perpignan ont été déclenchées par un assassinat qu'on a qualifié de raciste alors qu'il était dû à la jalousie. Certes, il y avait une caméra sur la scène du crime mais elle n'avait pas obtenu l'autorisation de fonctionner. Les autorisations d'installation de caméras de vidéosurveillance devront donc être plus rapides et plus souples. Les collectivités locales devront présenter de vrais plans pour prévenir et lutter contre la délinquance et ne pas se contenter de prévoir l'installation de caméras. Une fois que ce plan aura été validé par la Cnil, la souplesse devra l'emporter. L'idée de zones de vidéosurveillance me séduit car pour lutter efficacement contre le deal, il faut pouvoir déplacer les caméras. L'encadrement juridique devra donc être souple.

L'efficacité de la vidéosurveillance dépend aussi de la bonne coordination entre les différents acteurs, notamment entre la police municipale et nationale. Le parquet devra également jouer le jeu : les comparutions immédiates devront se développer, y compris pour les mineurs.

J'en viens au coût de ces dispositifs. La vidéo-protection ne limitera pas le nombre de policiers : au contraire, il faudra des moyens supplémentaires pour intervenir le plus rapidement possible. Les coûts d'investissement, mais aussi de fonctionnement, sont importants : pour une ville de 120 000 personnes, il a fallu mettre quinze personnes devant les écrans et prévoir un budget de 450 000 euros par an. Nous devrons donc raisonner en coûts partagés entre l'État et les collectivités locales.

L'encadrement juridique est donc un problème parmi d'autres. La vraie question qui se pose est celle des résultats.

La vidéo-protection est non seulement acceptée mais réclamée par nos concitoyens. Il ne faut pas les décevoir. Certes, il faut améliorer l'encadrement juridique qui date de 1995, mais aussi mieux informer nos administrés, renforcer la coordination entre les différents acteurs et accroître les financements.

Une recommandation de nos rapporteurs est essentielle : il ne faut pas déléguer la vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées et permettre aux autorités publiques de vendre des prestations de vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées. Si l'on veut que les pouvoirs publics gardent la maîtrise de l'évolution de ces technologies au service de la sécurité de nos concitoyens, il ne faudra en effet pas dépasser cette ligne blanche. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Louis Nègre.  - Comme M. Alduy, je parlerai de mon expérience de maire. C'est avec plaisir que je prends part à ce débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance qui permet de façon moderne, pragmatique et pacifiée de lutter efficacement contre certains agissements contraires à la loi. Je félicite tout particulièrement nos rapporteurs pour la qualité de leur travail.

Il faut regarder la réalité en face : la vidéo-protection est réclamée par les Français. Dans un récent sondage, 81 % d'entre eux estimaient que l'installation de caméras peut améliorer la sécurité. S'ils la demandent, c'est qu'ils savent qu'elle est efficace. Selon le rapport de l'Inspection générale de l'administration, de juillet 2009, les crimes et délits chutent, en effet, deux fois plus vite dans les villes équipées que dans celles où aucun dispositif n'est installé.

Les principales constatations concernant les villes équipées de vidéo-protection sont les suivantes : la vidéo-protection n'est pas une fin en soi et elle n'a un véritable impact répressif et dissuasif que si une sanction pénale est prononcée par une juridiction. De plus, la délinquance a baissé en moyenne plus fortement dans des communes équipées de vidéo-protection que dans celles qui n'en disposent pas. En quatrième lieu, le taux d'élucidation global ne progresse significativement que dans les villes où une forte densité de caméras a été installée. La localisation des caméras, la qualité des images et des enregistrements sont déterminantes pour une utilisation à des fins d'enquête judiciaire. Aujourd'hui, un peu plus de 350 000 caméras ont été autorisées. Or, à peine 20 000 sont installées sur la voie publique. Je me félicite que le Gouvernement prévoie d'en tripler le nombre d'ici 2011.

Grâce à la création du Fonds interministériel de prévention de la délinquance par la loi du 5 mars 2007, l'État a aidé les communes à hauteur de 42 millions et financé 1 200 projets. Il contribue à environ 40 % des dépenses d'investissement nécessaires à l'installation de caméras de vidéo-protection.

Dans le département des Alpes-Maritimes, Christian Estrosi, maire de Nice, a mis l'accent sur la sécurité des personnes en développant un système de vidéo-protection performant qui a rapidement montré tout son intérêt. A Cagnes-sur-Mer, ville dont je suis maire, l'arrêté préfectoral du 8 juillet 2008 a autorisé la commune à installer 42 caméras vidéo et un centre de supervision urbain. Ce centre fonctionne 24 heures sur 24 toute l'année et 30 caméras fonctionnent. J'ai récemment signé une convention avec le président du conseil général afin que les caméras installées en protection des collèges par le département puissent être reliées au centre de supervision urbain qui prend le relais après la fermeture des établissements. Cette coordination des pouvoirs publics renforce à l'évidence l'efficacité du système.

De même, ce centre regroupe l'ensemble des images et concourt à la sécurité publique. D'ailleurs, les forces de police et de gendarmerie y ont régulièrement recours : en 2009, elles nous ont ainsi adressé 43 réquisitions. J'ai entendu dire ici que cette technologie était liberticide, inefficace et n'avait aucun effet dissuasif. C'est faux ! Le centre de supervision urbain de Cagnes a permis l'interpellation en flagrant délit des auteurs de différentes infractions graves : trafic de stupéfiants, agressions sexuelles, vols à main armée et vols à la portière. Je ne puis donc qu'être favorable au développement maîtrisé de ces systèmes.

La pertinence de la vidéo-protection est telle que le conseil municipal a approuvé hier un projet complémentaire d'extension du dispositif. En accord avec la police nationale, 34 caméras supplémentaires seront implantées sur des sites qui ont fait l'objet d'une étude approfondie.

J'en viens aux recommandations du rapport. J'approuve entièrement les recommandations 2 et 3 mais je ne suis pas favorable à la réunion sous la seule autorité de la Cnil, organisme un peu lointain et un peu parisien, des compétences d'autorisation et de contrôle telle que proposée par la recommandation 1. Il serait bon que ces compétences fussent partagées avec les préfets, qui sont en prise directe avec les spécificités locales. Je suis d'accord avec la recommandation 4 mais le contrôle des opérateurs de surveillance me semble aller trop loin, eu égard à la qualité de personnels assermentés. J'approuve les recommandations 5 et 6, la coordination des systèmes vidéo au sein des bassins de vie est nécessaire ; mais je suis très réservé sur le transfert automatique de cette coordination aux EPCI. Les recommandations 7, 8 et 9 sont de bon sens.

La vidéo-protection n'est pas la panacée mais un outil supplémentaire qui a montré son efficacité. Je suis d'avis, comme les rapporteurs, qu'il faut faire évoluer son encadrement juridique, avec les réserves que je viens d'exprimer.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.  - Ce débat anticipe en quelque sorte sur l'examen des articles relatifs à la vidéo-protection du projet Loppsi dont la commission des lois sera prochainement saisie. Je salue le travail approfondi des rapporteurs.

La vidéo-protection est au coeur de la politique de sécurité voulue par le Président de la République ; c'est un outil de prévention, de dissuasion, d'élucidation des crimes et des délits, en un mot, madame Klès, un outil protecteur. La France compte aujourd'hui 400 000 caméras autorisées, dont 320 000 dans les lieux ouverts au public, 60 000 dans les transports et seulement 20 000 sur la voie publique. Le Président de la République et le Gouvernement ont décidé de tripler ce dernier chiffre d'ici 2011. Parallèlement, l'équipement des établissements scolaires les plus sensibles, de certains moyens de transport et des parties communes des immeubles collectifs sera amplifié.

Non, madame Assassi, j'en conviens, la vidéo-protection n'est pas la panacée mais un moyen de lutter contre la délinquance ; selon une enquête d'août 2009, 81 % de nos concitoyens la plébiscitent et s'ils le font, c'est qu'ils ont compris qu'elle était efficace. Un rapport de l'Inspection générale de l'administration, de juillet 2009, montre que les crimes et délits chutent deux fois plus vite dans les villes équipées que dans les autres. Les expériences novatrices de Cagnes-sur-Mer et de Perpignan l'illustrent. Il est d'ailleurs réconfortant de constater que de nombreux détracteurs de la vidéo-protection ont changé d'avis avec le temps. Les élus locaux sont heureux que l'État soutiennent financièrement jusqu'à 50 % de leurs investissements en la matière. Entre 2007 et 2009, le Gouvernement a soutenu 1 169 projets pour un montant de 42 millions d'euros. Je dispose cette année de 30 millions d'euros, contre 12 en 2008 et 17 en 2009 ; 14 millions ont déjà été engagés pour l'installation de 3 500 caméras. M. Jean-Paul Alduy aura compris qu'aller jusqu'à une participation au fonctionnement n'est guère possible en cette période de difficultés budgétaires. Bien essayé, cependant... (Sourires)

Je suis comme vous tous attaché à la préservation des libertés individuelles ; il n'est pas question d'étendre la vidéo-protection à n'importe quel prix. L'efficacité doit aller de pair avec la protection légitime de nos compatriotes contre les abus. Des améliorations sont possibles, qui ne doivent cependant pas en freiner le développement. Aux yeux du Gouvernement, le régime de la loi de 1995, tel que complété par celle de janvier 2006, assure une protection effective des libertés individuelles, ce que démontrent à la fois la forte progression des autorisations délivrées par les préfets -4 600 en 1999, 13 240 en 2010- et le très faible nombre de plaintes et de recours auxquels ces autorisations ont donné lieu : seulement dix-neuf plaintes et deux recours en 2009.

Je ferai, pour conclure, deux commentaires. Le volume des dossiers de demandes d'autorisation ne pourrait être traité par une instance nationale, quelle qu'elle soit, dans des délais raisonnables. M. Alex Türk ne me démentira pas. L'embolie qui en résulterait hypothéquerait inévitablement le déploiement de caméras sur la voie publique. J'ajoute que tout système qui verrait une partie seulement des dossiers traités au niveau national pourrait ne pas être conforme à la Constitution au regard du principe d'égalité.

Le dispositif d'autorisation départementale actuellement en vigueur me paraît suffisamment protecteur des libertés individuelles. Le préfet doit consulter une commission présidée par un magistrat du siège et ses décisions sont soumises aux voies de recours habituelles. Il n'y a pas lieu de modifier en profondeur le dispositif. J'ai d'ailleurs demandé aux préfets -je veux rassurer M. Jean-Paul Fournier- de réunir la commission départementale autant que nécessaire pour réduire les files d'attente. Le dispositif de contrôle a posteriori mérite en revanche d'être adapté. Alors que plus de 100 000 systèmes ont été installés depuis 1995, alors que de nouvelles caméras le sont chaque jour, on n'a compté que 483 contrôles en 2007, niveau auquel on est revenu en 2009, et 2 863 en 2008 -dont 2 166 pour le seul département des Hauts-de-Seine.

La coexistence de 100 commissions départementales impose une harmonisation des pratiques et la mise en ordre de la doctrine juridique.

Comme le proposait le Gouvernement, l'Assemblée nationale a donné un statut législatif à la commission nationale de la vidéo-protection, qui se caractérisera par une composition large, comprenant des parlementaires, une saisine ouverte, des pouvoirs de contrôle renforcés, de réelles prérogatives pour assurer la cohérence de l'action des préfets et des commissions départementales. Elle assurera, selon les termes de M. Courtois, le développement de l'expertise sur les caractéristiques techniques et sur les bonnes pratiques et l'évaluation de la performance des technologies existantes et à venir. Pas question de créer une nouvelle autorité administrative indépendante et de nouvelles dépenses : la commission nationale s'appuiera sur les services et les inspections du ministère de l'intérieur.

Le Sénat souhaite étudier d'autres pistes de travail ; je suis attentif à ses propositions. Nous ne partons pas de rien : l'Assemblée nationale a longuement délibéré sur les articles 17 et 18 du projet de Loppsi. Nul doute que les deux chambres trouveront un accord dans le cadre de la navette.

Certains d'entre vous souhaiteraient confier le pouvoir d'autorisation et le contrôle de la vidéo-protection à la Cnil, à laquelle la loi du 6 janvier 1978 ne confie pas de compétences en la matière. Dans le commentaire sur sa décision du 25 février 2010 sur la vidéo-protection dans les parties communes des immeubles, le Conseil constitutionnel confirme que « ne s'y applique pas non plus de manière automatique la loi du 6 janvier 1978, dans la mesure où des traitements automatisés de données à caractère personnel n'y sont pas systématiquement mis en oeuvre ». Cette hypothèse est néanmoins prévue par la loi du 21 janvier 1995 pour la vidéo « intelligente », quand les images font appel à des éléments biométriques et sont couplées à des données à caractère personnel. On risquerait par ailleurs d'encombrer la Cnil. Si la proposition de M. Courtois ne choque pas le président Türk, vous avez tout de même rappelé la pertinence du dispositif actuel qui charge le préfet de département d'autoriser les systèmes de vidéo-protection.

Les dispositions du projet de Loppsi adoptées par l'Assemblée nationale visent toutes à renforcer l'efficacité de la vidéo-protection. Celle-ci est efficace si elle est déployée à bon escient, si le visionnage est effectif et les prises de vue de qualité, et si les images enregistrées peuvent être facilement exploitées par la police et la gendarmerie à des fins d'investigation.

Pour y parvenir, il est nécessaire, dans les communes les plus importantes, de réunir les images dans des centres de supervision raccordés à la police ou la gendarmerie. Le projet de Loppsi permet de mutualiser le visionnage d'images provenant de plusieurs personnes morales dans un même centre de supervision urbain, ce qui présente un gain de frais de fonctionnement et de raccordement. Plus de 200 raccordements ont été effectués depuis 2007, subventionnés par l'État, parfois jusqu'à 100 %.

La Loppsi permet également aux personnes morales de recueillir des images et de les faire visionner par des opérateurs publics ou privés. Des personnes privées ne peuvent en aucun cas avoir accès aux enregistrements, réservés à l'exercice de la police judiciaire ; elles peuvent seulement visionner les images, c'est-à-dire être conduites à signaler une infraction. Des conditions d'agrément préalable sont prévues.

M. Alduy a évoqué les coûts de fonctionnement induits pour les communes par l'exploitation de systèmes de vidéo-protection. La mutualisation des moyens contribuera à les réduire, à l'intérieur d'une commune ou au plan intercommunal, comme le permet la loi du 5 mars 2007.

Pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel relative à la vidéo-protection dans les parties communes, nous préciserons que le transfert d'images vers un centre de supervision urbain ou vers le commissariat ne pourra intervenir tant qu'une convention n'aura pas été conclue avec le préfet ou, le cas échéant, le maire. La commission départementale donnera un avis préalable au préfet qui pourra renforcer les dispositions de la convention.

L'efficacité de la vidéo-protection exige un continuum des images dans l'espace. Le projet de Loppsi autorise les personnes privées à visionner les abords de leurs bâtiments, et non plus seulement les abords immédiats, pour assurer une meilleure liaison avec les systèmes municipaux de voie publique.

MM. Courtois et Fournier demandent une simplification des procédures d'autorisation. Je vous ferai des propositions dans le cadre des travaux de votre commission des lois sur le projet de Loppsi. J'ai demandé à mes services d'examiner la faisabilité de vos suggestions, au regard notamment de la jurisprudence constitutionnelle. Seule la proposition concernant le contenu du dossier de renouvellement d'autorisation me paraît difficile à satisfaire : le préfet et la commission départementale doivent pouvoir examiner le dossier au regard des changements qui auront pu intervenir depuis la première autorisation.

Le pouvoir de substitution du préfet aux communes est indispensable, dans celles qui refuseraient obstinément la vidéo-protection pour des raisons idéologiques, pour la prévention des actes terroristes, pour la protection des installations sensibles et pour celle des intérêts fondamentaux de la Nation. Il n'y aura pas de dépense obligatoire à la charge de la commune mais le préfet doit pouvoir imposer l'installation de caméras.

Certains développements technologiques comme le système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation ont déjà fait l'objet de dispositions législatives. Je fais étudier actuellement un régime propre aux caméras embarquées. Uniquement prises au cours d'interventions de la police ou de la gendarmerie, ces images sont destinées à être utilisées dans le cadre d'une procédure et ne sont pas reliées à une base de données.

La vidéo-protection est un outil majeur au service de la protection des honnêtes gens. Bien entendu, son développement doit s'accompagner d'une adaptation du système de contrôle. II en va d'une juste appréciation des situations locales et de la protection de la liberté individuelle. Le Gouvernement a fait des propositions que l'Assemblée nationale a retenues. Il est aujourd'hui à l'écoute du Sénat. Nous sommes à la fois déterminés à lutter contre les délinquants et profondément attachés aux libertés individuelles. Ce n'est pas l'un ou l'autre, ce n'est pas l'un sans l'autre, c'est l'un et l'autre. (Applaudissements à droite et au centre)