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Vous pouvez également consulter le compte rendu intégral de cette séance.


Table des matières



Élection à la Cour de justice de la République (Ouverture du scrutin)

Protection des jeunes et nouveaux médias

Élection à la Cour de justice de la République (Résultat du scrutin)

Questions cribles sur l'éducation et l'ascension sociale

Mission d'information sur la tempête Xynthia (Candidatures)

Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

Mission d'information sur la tempête Xynthia (Nominations)




SÉANCE

du mardi 30 mars 2010

82e séance de la session ordinaire 2009-2010

présidence de Mme Monique Papon

Secrétaires : M. François Fortassin, M. Jean-Noël Guérini.

La séance est ouverte à 14 h 30.

Le procès-verbal de la précédente séance, constitué par le compte rendu analytique, est adopté sous les réserves d'usage.

Élection à la Cour de justice de la République (Ouverture du scrutin)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le scrutin pour l'élection d'un juge titulaire et d'un juge suppléant à la Cour de justice de la République, respectivement en remplacement de M. Hubert Haenel, nommé membre du Conseil constitutionnel, et de M. Bernard Saugey, qui a démissionné de sa fonction de juge suppléant.

Le groupe UMP a présenté la candidature de M. Bernard Saugey comme juge titulaire et de M. Jean-Patrick Courtois comme juge suppléant. Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour cette élection. Le scrutin aura lieu dans la Salle des Conférences où des bulletins de vote sont à votre disposition. Le juge titulaire nouvellement élu et son suppléant seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.

Le scrutin sera clos dans une heure.

Protection des jeunes et nouveaux médias

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur la protection des jeunes sur les nouveaux médias.

M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.  - La commission de la culture s'est beaucoup impliquée depuis deux ans dans le domaine qui nous intéresse aujourd'hui, en confiant à M. David Assouline un rapport d'information sur l'impact des nouveaux médias sur les jeunes et en participant à la mission commune d'information sur la politique en faveur des jeunes. Le rapport de M. Assouline, présenté à la commission en 2008, fit l'objet d'échanges passionnants et fut adopté à l'unanimité. II comportait un grand nombre de propositions ambitieuses pour accompagner la « génération numérique », à l'heure où un jeune sur trois a un blog, un sur deux se sert d'une messagerie instantanée, deux sur trois jouent sur un ordinateur et plus de neuf sur dix naviguent sur internet et possèdent un téléphone mobile. C'est pourquoi j'ai souhaité, grâce à ce débat de contrôle, faire le point sur les mesures déjà prises par le Gouvernement et les suites qu'il entend donner à nos recommandations. Je crois utile de faire entendre la voix de la commission de la culture à la veille de l'examen du projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (Lopsi), qui pourra servir de véhicule législatif à plusieurs dispositions dans ce domaine. A cet égard j'approuve les dispositions de l'article 4 visant à empêcher l'accès aux sites pédopornographiques.

Les 7 et 8 avril, le ministre de l'éducation nationale réunira à la Sorbonne des états généraux de la sécurité à l'école. Or nombre d'incidents qui se sont produits au cours des derniers mois sont liés à l'utilisation du téléphone portable, qui permet l'échange d'informations sur des jeux violents comme ceux du foulard et de la tomate, la circulation de films représentant des attaques d'enseignants, ou la prise de rendez-vous à la sortie des établissements par des bandes organisées. Je souhaite que les problèmes liés à l'utilisation des nouveaux médias soient étudiés dans le cadre de ces rencontres et je salue la constitution par le ministre de l'éducation nationale d'un conseil scientifique chargé de ces questions. Madame la secrétaire d'État chargée de la famille, vous représentez aujourd'hui le Gouvernement, mais vos collègues chargés de l'éducation, de la communication ou de l'économie numérique et même de l'intérieur sont également concernés. Je ne doute pas que ce débat aura permis de renforcer l'indispensable coordination ministérielle.

Sans entrer dans le détail des constats et propositions figurant dans le rapport, je souhaite vous faire part de deux convictions. Tout d'abord, et même si nous avons centré ce débat sur leur protection des jeunes, il ne faut pas sous-estimer l'immense chance que représentent pour eux les nouveaux médias, qui élargissent l'accès à l'information et à la culture, servent de supports pédagogiques et d'outils de communication, grâce aux réseaux sociaux tels que Facebook et Twittter. Mais nous avons constaté la démission de la famille et de l'école, liée à l'ignorance des dangers que représentent ces nouveaux médias : addictions aux jeux vidéo, comportements violents, déviances sexuelles... C'est pourquoi il appartient aux responsables politiques d'agir pour que les bienfaits de ces nouvelles technologies l'emportent sur leurs dangers. Nous avons su le faire pour la télévision : je tiens à saluer l'action du Conseil supérieur de l'audiovisuel, qui a lancé une campagne de protection des mineurs à la télévision, et l'action de Mme Françoise Laborde qui préside un groupe de travail à ce sujet. Des propositions ont été faites sur les publications destinées à la jeunesse. A l'occasion de l'examen de la proposition de loi sur la simplification et l'amélioration du droit, notre commission se penchera sur la nécessaire réforme de la loi de 1949, inadaptée au monde numérique. Aujourd'hui les jeunes regardent le plus souvent la télévision sur leur ordinateur ; or, comme l'a encore montré un récent documentaire sur un jeu de téléréalité, la télévision exerce une forte influence sur les comportements.

Reste internet. Lors de la présentation de ses voeux pour 2010, M. Michel Boyon, président du CSA, a une nouvelle fois déploré que la loi ne permette pas de réguler les vidéos qui circulent sur des sites de partage lorsqu'elles ont des contenus illégaux, c'est-à-dire lorsqu'elles ont un caractère pornographique, un caractère attentatoire à la dignité de la personne humaine ou bien lorsqu'elles comportent des appels à la haine, à la violence, au racisme ou à l'antisémitisme. Je partage sa conviction qu'il faudra réguler ce domaine. Il ne faut pas s'abriter derrière la mondialisation pour se déclarer impuissant. Notre commission ouvrira ce chantier car la liberté sur internet ne doit pas exclure la protection des droits fondamentaux. (Applaudissements sur les bancs RDSE, UC et UMP)

M. David Assouline, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.  - Dix-huit mois après l'adoption du rapport de la mission sur les jeunes et les nouveaux médias, je me félicite que nous débattions aujourd'hui d'un sujet qui suscite à la fois l'espoir et l'inquiétude. Dix-huit mois, c'est long ; dans le domaine des nouveaux médias c'est même une éternité. Mais cela permet de faire le point sur la politique du Gouvernement. Avance-t-on, et si c'est le cas, est-ce dans la bonne direction ? Que reste-t-il à faire ? J'avais rencontré Mme la ministre lors de cette mission et elle m'avait annoncé une Lopsi imminente et déterminante. Imminente, elle ne l'a pas été : c'est peut-être heureux... Déterminante, elle ne le sera pas, sauf si ce débat fait changer d'avis au Gouvernement : soyons optimistes !

Les jeunes sont les protagonistes de la révolution numérique : M. le président de la commission a cité tout à l'heure des statistiques éloquentes. Ils utilisent les nouveaux médias de manière combinée, regardant la télévision en même temps qu'ils « tchatent » avec leurs copains et envoient des SMS. On voit émerger une véritable « culture jeune ». Les nouveaux médias sont à la fois des outils de socialisation, des catalyseurs de compétence, des diffuseurs de culture, des sources de créativité et des supports pédagogiques efficaces. Autant de vertus susceptibles d'être remises en cause selon la manière dont on les utilise.

Les jeunes ressentent un sentiment de liberté du fait de leur maîtrise des nouveaux médias, mais cette liberté n'est absolument pas accompagnée ou mise à profit par les pouvoirs publics. Dès lors qu'on parle d'internet, on évoque les amis, le réseau social, les bloggeurs, les twitteurs, le dernier buzz, mais on constate l'absence frappante de la famille et de l'école qui laissent les jeunes abandonnés, sans repères, dans un monde multi médiatique omniprésent. Je suis pourtant convaincu que la République peut jouer un rôle d'émancipation et d'éducation des jeunes grâce à l'aiguisement de leur regard critique sur le monde numérique.

L'éducation aux médias est un impératif. Alors que la fracture numérique ne se creuse plus en raison notamment de l'effort d'équipement des collectivités territoriales, c'est une double fracture culturelle et intellectuelle qui menace aujourd'hui les enfants. II faut leur apprendre les bons usages de l'internet, comme on leur apprenait au siècle dernier à bien manier les livres et les concepts. Internet est une véritable révolution culturelle qui doit, de ce fait, être accompagnée de politiques ambitieuses. L'école a le devoir de donner aux élèves les moyens d'adopter une posture critique vis-à-vis des nouveaux médias, de l'information, de la publicité, et des contenus qu'ils diffusent. L'école doit démontrer que les médias, et notamment internet, ne transmettent pas un savoir indiscutable mais que la médiation est humaine et doit pouvoir être contestée. L'éducation aux médias devient, dans cette optique, un « impératif démocratique ».

J'avais fait la proposition de mettre en place des heures -évidemment prélevées sur le quota horaire annuel- dédiées à l'éducation aux médias au collège avec un travail en faible effectif. J'avais en outre proposé qu'on confie aux professeurs documentalistes une grande partie de cet enseignement. Ces capétiens sont en fait surtout des documentalistes et jamais des professeurs, parce que l'éducation nationale ne leur donne aucun rôle. J'avais rencontré à l'époque Xavier Darcos qui paraissait peu concerné par l'avenir de cette catégorie de personnel, laquelle se réduit comme peau de chagrin années après années alors qu'elle pourrait pourtant jouer un rôle important grâce à sa connaissance des médias. Qu'en pensez-vous madame la ministre ? Comment comptez-vous mettre en oeuvre l'éducation aux médias dans un contexte de réduction des moyens et des effectifs peu adaptée à nos besoins ?

Tous les outils doivent être mis à contribution. Dans le cadre de la réforme de France Télévisions, j'avais souhaité qu'au lieu de supprimer la publicité sur la télévision publique on insère dans le cahier des charges du groupe l'obligation de diffuser une émission d'analyse de la publicité et de décryptage des médias. A l'heure où l'indépendance des médias traditionnels est contestée au point que les jeunes s'en détournent pour aller chercher sur internet une information sans tabous, à l'heure où l'on fait des émissions de télétrash pour contester la télétrash avec le désormais célèbre « Jeu de la mort  » sur France Télévisions, il faut plus que jamais insister sur l'intérêt de ces émissions critiques sur les médias qui ont disparu de la télévision publique. Que contient le cahier des charges de France Télévisions sur ce sujet ? Pas grand chose. Qu'est-ce qui est fait concrètement ? Presque rien. Réveillons-nous ou les jeunes se détourneront définitivement de l'information traditionnelle et la transmission générationnelle risque de se gripper sérieusement.

Je proposais en outre qu'on instaure une signalétique positive sur certains programmes jeunesse suivant un cahier des charges précis : non- discrimination entre les genres, ouverture à un public élargi, diffusion de valeurs citoyennes... la signalétique ne doit pas servir qu'à interdire... Qu'en pensez-vous, madame la ministre ?

L'encadrement de l'utilisation d'internet est la priorité affichée du Gouvernement. Pour lutter contre les problèmes, luttons contre la source des maux, à savoir tous ceux qui diffusent de mauvais messages sur internet. J'avais fait certaines préconisations sur l'utilisation de listes blanches pour les jeunes enfants et de listes noires pour les adolescents. Il apparaît que les fournisseurs d'accès ont progressé sur ces questions grâce à la livraison de logiciels de contrôle parental de plus en plus efficaces intégrant lesdites listes.

Le problème majeur n'est cependant pas résolu : il est lié à la gestion des profils, les parents ayant des difficultés à créer des mots de passe spécifiques et à privatiser leurs sessions sur internet. Nous avons là un problème de culture et de communication. Les campagnes de prévention télévisuelle ont un intérêt, mais le renforcement des outils explicatifs à destination des parents est impératif. La mise en place de ces listes de sites est nécessaire, notamment pour la pornographie dont l'impact est particulièrement néfaste sur les adolescents. Où en est le Gouvernement sur cette question très pratique ?

J'avais également proposé de limiter l'utilisation des webcams par les mineurs dans les messageries instantanées, et d'imposer la diffusion d'un message de prévention et d'alerte en page d'accueil des plateformes de blogs et des sites de réseaux sociaux. Je n'ai rien vu venir...

On me dira que la Loppsi 2 répondra à certaines questions. Certes. Dans les lois Hadopi et sur les jeux en ligne, des dispositifs spécifiques ont aussi été adoptés. La proposition de la loi sur la vie privée à l'heure du numérique votée au Sénat, avec un Gouvernement freinant étrangement des quatre fers, est également une avancée dans la protection des jeunes. Sur internet, c'est le masque qui libère et la transparence qui enferme. Les pseudos et avatars sont extrêmement protecteurs, l'étalement de l'intimité sur les sites de réseaux sociaux et la diffusion à l'envi des données personnelles par les gérants des réseaux sociaux, qui en font un argument commercial majeur, sont extrêmement pernicieux.

Mais, quels que soient les textes à l'horizon, le Gouvernement est confronté à l'obstacle de son approche partielle et parcellaire du problème. Les questions sur les nouveaux médias méritent une politique globale et cohérente. Un projet de loi spécifique et ambitieux serait donc le bienvenu. La transposition du paquet télécoms pourrait par exemple s'accompagner de dispositifs pertinents, et notamment d'une modification de la loi sur l'économie numérique qui est en partie obsolète et ne protège pas la jeunesse. Y avez-vous réfléchi ? Est-ce l'un de vos axes de travail ou la transposition sera-t-elle faite a minima ?

Vous ne traitez pas des modalités de régulation d'internet. La télévision est très contrôlée mais de plus en plus dépassée par les usages numériques des jeunes. Or rien n'est fait sur ce sujet, alors même que la convergence numérique brouille tous les usages. Il est ainsi possible à un jeune d'accéder en VOD à un programme qui lui serait interdit ou qui ne pourrait être diffusé qu'à certaines heures sur la télévision. On pourrait multiplier les exemples de ce type sur les téléphones mobiles et sur internet.

Internet est aujourd'hui une jungle, avec tout ce que cela comporte de luxuriance d'informations, d'oxygène intellectuel et de diversité culturelle, mais aussi avec tous ses corollaires négatifs : dangerosité, difficultés d'accès aux lieux intéressants et loi du plus fort. Bref, à quand un organe de régulation efficace, un CSA de l'internet que j'ai appelé de mes voeux dans mon rapport et qui ne semble pas rencontrer d'écho ? Le CSA, lui, ne veut surtout pas qu'on lui confie cette mission... Qu'en pensez-vous ? Auriez-vous une perspective, un calendrier, voire une simple promesse qui pourrait engager le présent Gouvernement ? Mais le contrôle absolu n'existe pas et ses effets pernicieux sont majeurs. Les filous courent plus vite que les gendarmes du net et l'éducation devra, je le répète, être la priorité.

Nous vivons une révolution technologique et culturelle que l'on doit accompagner sérieusement et le Gouvernement n'a pas pris conscience de l'ampleur de cette transformation. Et si cette prise de conscience a eu lieu, elle n'est pas suivie de moyens suffisants. Or le chantier est gigantesque. Le Gouvernement va investir dans les réseaux via le grand emprunt, mais quid du service après-vente, de l'accompagnement de la révolution technologique ? Quels sont les moyens consacrés à la prévention et à la régulation des risques liés à internet ?

Quels seront les moyens consacrés à la prévention et à la régulation des risques liés à internet. Quels sera le montant des crédits consacrés à jeunesse ? Le Gouvernement augmentera-t-il ses investissements en la matière ?

Mme Françoise Laborde.  - Internet est devenu le moyen de communication le plus sollicité. Comment peut-il profiter aux plus jeunes sans pour autant les mettre en danger ? Si les technologies d'information et de communication constituent un outil pédagogique et de communication bénéfique pour les enfants, les jeunes et leurs familles, elles posent néanmoins de sérieux dangers surtout pour les jeunes publics : images violentes et traumatisantes, dégradantes, pornographiques et pédopornographiques. Des actes apparemment légers peuvent avoir de terribles conséquences comme le « sexting ».

L'éducation aux nouvelles technologies a été intégrée dans le socle commun de connaissances de l'éducation nationale. Mais cet enseignement reste avant tout centré sur l'apprentissage matériel de l'outil internet. Il est pourtant indispensable de dissocier la maîtrise technique des outils numériques, de leur usage éthique et responsable. II s'agit de définir ce qu'il est convenu d'appeler la « néthiquette ». Faciliter l'accès à l'outil informatique, c'est permettre l'éveil des jeunes aux nouveaux médias, mais aussi de développer leur esprit critique. II faut aider les plus jeunes à décoder les messages reçus, à analyser les images, à se méfier des dangers potentiels des sites en ligne de rencontre et d'échange. Nous devons mettre en place une véritable éducation aux médias. L'État et la société doivent prendre leurs responsabilités face à la révolution numérique.

Conscients des progrès réalisés grâce au formidable outil internet, nous savons que sans une éducation appropriée les jeunes seront les premières victimes si l'on ne fait rien pour les protéger.

La semaine dernière, notre assemblée a voté à l'unanimité une disposition à ce sujet. L'article premier de la proposition de loi de Mme Escoffier et de M. Détraigne, visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique, confie à l'éducation nationale une mission de prévention et de sensibilisation des jeunes sur l'utilisation des services en ligne. Il s'agit d'un premier pas dans la bonne direction. Il était fondamental de protéger la vie privée face au développement des espaces sociaux sur internet, tels que Facebook ou les blogs personnels.

Mais nous devons poursuivre l'effort engagé et nous assurer que les moyens matériels seront au rendez-vous. Ne sacrifions pas une génération sur l'autel du progrès technologique. Ne soyons pas pour autant liberticides. Dans son rapport d'information fait au nom de la commission de la culture, David Assouline propose la création d'un organisme en charge de la protection de l'enfance sur les médias, qui se substituerait à l'ensemble des commissions existantes. Il souhaite également un renforcement de la coopération européenne et internationale sur la constitution de listes blanches et noires. Nous sommes d'accord avec les propositions de ce rapport : notre société doit rétablir l'équilibre entre répression et éducation, pour responsabiliser chacun d'entre nous dans l'usage que nous faisons d'internet. Nous attendons des propositions concrètes du Gouvernement. Comme le disait Rabelais, « Science sans conscience n'est que ruine de l'âme ». (Applaudissements sur les bancs de la commission)

Mme Marie-Agnès Labarre.  - A l'heure du développement des technologies numériques, il est important de s'interroger sur la nécessité de protéger les jeunes des risques qu'ils encourent face à ces nouveaux médias, susceptibles de véhiculer des contenus dangereux. Il est nécessaire que nous nous interrogions sur les moyens de mieux protéger les utilisateurs.

Les nouveaux médias sont une chance dans la mesure où ils permettent une plus grande circulation des informations, un accès facilité à la connaissance et créent de nouvelles opportunités de s'exprimer. Néanmoins, les dangers sont réels, notamment pour les jeunes. La Convention des droits de l'enfant consacre le droit à l'information, le droit au loisir et au jeu : les nouveaux médias en facilitent l'exercice. Mais la Convention consacre également le droit à une protection particulière des ces enfants. Or, il est difficile d'en définir le contenu. Les dangers sont pourtant bien réels. Il ne s'agit en aucun cas de diaboliser ces médias mais nous devons nous méfier « raisonnablement » d'internet.

Les risques de dépendance sont bien réels : les jeux vidéo et internet génèrent des formes d'addiction, et l'adolescent peut se retrouver psychiquement et physiquement isolé. Il faut donc agir de façon préventive. L'exposition des enfants à des contenus choquants, violents ou pornographiques est également courante : les protections sont faibles, et faciles à contourner. La diffusion et la récupération de données personnelles sur internet affectent la sphère de l'intimité. Ces données personnelles sont souvent utilisées à des fins publicitaires. Les jeunes sont exposés à des contenus qu'ils risquent d'assimiler à de l'information journalistique. Contre les risques de désinformation, nous devons en appeler à l'éveil de l'esprit critique. Or, les récents débats n'ont pas eu de suite. La prise de conscience a néanmoins eu lieu : en attestent la tenue d'un atelier organisé par la secrétaire d'État à l'économie numérique en novembre sur le droit à l'oubli numérique, ainsi que la proposition de loi sur le droit à la vie privée à l'heure du numérique dont nous avons récemment débattu. C'est pourquoi je doute des effets concrets de notre débat. Si la protection est un thème assez largement accepté, sauf par certaines entreprises qui y voient un obstacle à leurs intérêts financiers, les réponses concrètes ne sont pas à la hauteur des enjeux. L'élaboration de chartes professionnelles de bonne conduite n'est pas satisfaisante. Une charte est une déclaration de bonne intention, c'est tout. Nous approuvons la récente proposition de loi de nos collègues centristes et du RDSE, mais nous déplorons son caractère peu contraignant, d'autant que certains amendements l'ont vidée d'une partie de sa substance. Faut-il légiférer ? Le texte adopté par le Sénat prévoit des cours d'éducation civique pour les plus jeunes afin de les sensibiliser aux dangers d'internet. Il est certes nécessaire d'informer et de sensibiliser les jeunes à cette problématique. Mais les professeurs d'histoire et de géographie devront également être formés. En outre, le jeune n'a pas à se protéger lui-même de la technologie qu'il manipule. Cette protection relève aussi de l'hébergeur de contenus : le champ de leur action doit être encadré.

Les solutions actuelles sont par ailleurs insuffisantes : l'article 227-24 du code pénal interdit « le fait de fabriquer, transporter diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support, un message à caractère violent ou pornographique ou de nature à porter gravement atteinte à la dignité humaine ». Dans les faits, ce principe n'est pas mis en application sur internet. Le système d'avertissement est bien trop faible sur certains sites : un simple message demandant à l'utilisateur de confirmer qu'il est majeur permet d'y accéder. De manière générale, le système d'avertissement et de signalement semble assez peu efficace sur internet dans la mesure où l'usage d'un ordinateur est individuel et discrétionnaire. Les logiciels de contrôle parental ont une efficacité limitée : ils bloquent l'accès à certains mots, mais il est possible de les contourner. De plus, leur mise en oeuvre demande une certaine maîtrise technique. On ne peut que souhaiter une véritable sensibilisation des parents. Enfin, les hébergeurs ne sont pas tenus de surveiller les contenus des sites qu'ils accueillent, hormis l'apologie de crimes et la pédophilie.

Il faut donc renforcer la réglementation sans porter atteinte à la liberté. Sous prétexte qu'il est difficile de protéger les jeunes utilisateurs, ne cédons pas à la tentation de tout interdire pour mieux prévenir. Ce serait une forme de censure intolérable : « La liberté consiste moins à faire sa volonté qu'à n'être pas soumis à celle d'autrui » disait Rousseau. Il est temps de choisir les règles auxquelles nous voulons soumettre l'usage d'internet, qui n'est actuellement pas assez encadré et qui bafoue de nombreux droits, du respect de la vie privée à la garantie des droits d'auteurs.

Nous peinons aujourd'hui à réguler les nouveaux médias ; mais nous devons penser aux conséquences de leur usage d'un point de vue moral comme de leur impact sur la vie publique. Quelques pistes peuvent être explorées. Pourquoi ne pas créer une autorité spécifique chargée de la protection des jeunes et lui donner les moyens de contrôle nécessaires ? Pourquoi ne pas définir précisément les contenus à interdire ? Pourquoi ne pas renforcer les obligations des hébergeurs ?

Parce qu'il n'y a pas de liberté sans responsabilité, donc sans éducation, il importe de sensibiliser les enfants dès l'école primaire, mais aussi les parents à l'usage de l'ordinateur et d'internet.

Mme Catherine Morin-Desailly.  - L'initiative de la commission de la culture prolonge le travail déjà effectué, un an et demi après le rapport d'information de M. David Assouline. Le développement des nouveaux médias bouleverse nos repères et nos habitudes, comme nous l'avons relevé la semaine dernière lors de l'examen de la proposition de loi relative à la protection de la vie privée à l'heure numérique. Fin 2008, une Américaine de 49 ans, Lori Drew, s'était fait passer sur Myspace, avec l'aide de sa fille Ashley, pour un jeune garçon. Cet adolescent fictif avait flirté en ligne avec une amie de sa fille, avant de la rejeter quelque temps plus tard d'un e-mail lapidaire : « le monde serait meilleur si tu n'existais pas ». L'après-midi même, la jeune adolescente se pendait. Lori Drew a été condamnée pour des délits de fraude informatique et harcèlement liés au fait que son utilisation d'internet contrevenait aux règles d'utilisation de MySpace. Ce fait tragique met en exergue les dérives possibles des nouveaux médias.

La vie quotidienne de la « génération digitale » est faite de réseaux sociaux, de jeux en ligne, de partages de vidéos, de téléchargements et de chats ; elle n'écoute pas la radio et considère que la télévision est dépassée. L'enjeu est de taille alors que ces pratiques sont celles de jeunes gens à l'âge de la conquête de l'autonomie et de la construction de l'identité. Selon des études, 60 % des jeunes estiment important d'être connectés en permanence avec leurs amis ; sept sur dix utilisent internet à la maison et 65 % n'y ont jamais accédé à l'école. Peu d'entre eux ont une idée précise de l'impact de leurs pratiques, qu'ils maîtrisent moins qu'ils ne le pensent ou le disent ; 85 % d'entre eux souhaitent un contrôle renforcé sur internet -ils n'étaient que 67 % en 2000.

S'il ne saurait être question de nier les apports des nouveaux médias, il faut être attentif à leurs dangers potentiels, qu'il s'agisse de leurs conséquences sur la santé, de l'addiction ou de la déconnexion entre vie réelle et vie virtuelle. Le responsable du centre de lutte contre les addictions du CHU de Rouen m'a dit recevoir de plus en plus de jeunes en situation d'addiction sévère, celle-ci pouvant aller jusqu'au suicide. L'usage des nouveaux médias a aussi un impact sur le rapport aux valeurs au travers de la consommation de biens gratuits, de l'exposition à la publicité, du rétrécissement de la sphère privée. Un adolescent américain sur cinq et un jeune adulte sur trois ont déjà envoyé des photos ou des vidéos d'eux-mêmes nus ou à moitié nus par internet ou par téléphone, le plus souvent en toute conscience. Leur consommation des médias est très fragmentée ; ils ne semblent plus percevoir la valeur des biens.

Protection et prévention doivent être renforcées et une véritable régulation doit être instaurée. La Délégation aux usages de l'internet, créée en 2003, a déjà pris des initiatives intéressantes, telles que la charte NetPublic et le projet Confiance en collaboration avec la commission européenne ; le 9 février est devenue la « Journée pour un internet plus sûr ». On peut aussi citer le Forum des droits sur internet. Comme l'a souligné le président Legendre, le sujet, transversal, impose de faire travailler ensemble tous les ministères concernés.

De nouveaux dispositifs techniques peuvent aujourd'hui être mis à contribution pour protéger les mineurs. Un rapport de l'université d'Harvard en a évalué une quarantaine, qui commencent à prouver leur efficacité ; mais ils posent également des problèmes sur le plan du respect de la vie privée. Reste à savoir où placer le curseur.

Se pose aussi le problème de la régulation. En rapportant le texte sur la nouvelle télévision publique, j'avais évoqué le rôle que devrait exercer le CSA, dont, avec M. Michel Thiollière, nous avons renforcé les pouvoirs de contrôle. J'avais alors parlé d'un CSA de l'internet. Comme l'a noté la Défenseure des enfants, il faut adapter les règles de protection aux nouveaux écrans ; les programmes doivent faire l'objet de la même vigilance et de la même signalétique, quels que soient les supports sur lesquels ils sont regardés.

Je soutiens pleinement les propositions que notre mission a formulées. La protection des jeunes sur les nouveaux médias est à refonder d'un point de vue éducatif. Plutôt que de leur inculquer des compétences techniques, il faut développer l'esprit critique des jeunes et les responsabiliser dans leur utilisation d'internet. Cet objectif fait d'ailleurs partie du socle commun de connaissances exigé de chaque élève à l'issue de sa scolarité obligatoire. C'est dans cet esprit que j'avais souhaité, par amendement, lors du projet de loi Création et internet, intégrer dans la formation délivrée pour le Brevet informatique et internet une information des élèves sur les dangers du téléchargement illicite et du piratage des oeuvres. J'ai en outre proposé la semaine dernière, lors de l'examen de la proposition de loi Détraigne-Escoffier, que les collégiens bénéficient d'une information sur les dangers de l'exposition de soi et d'autrui sur internet, ainsi que sur leur droit d'accès, d'opposition, de rectification et de suppression des données personnelles. La formation des enseignants devrait en conséquence être adaptée.

Quant aux parents, ils doivent expliquer à leurs enfants qu'une information de qualité a un coût, que tout ne peut être mis sur le même plan, que Wikipédia n'est pas nécessairement la référence, qu'il faut recevoir l'information avec un esprit critique. Ce n'est pas l'outil qui est dangereux, c'est de laisser les enfants l'utiliser seuls ; il faut les accompagner, les aider à comprendre que ce qu'ils font sur internet a des conséquences et que c'est à eux d'en être maîtres -si l'information qu'ils postent aujourd'hui sur le web leur semble insignifiante, il n'en sera peut-être pas de même demain. Ce n'est pas par hasard si se développe aujourd'hui le commerce de l'effacement des informations personnelles sur internet -les « nettoyeurs du net ».

Les pouvoirs publics, de leur côté, doivent être vigilants sur la qualité et la diversité des contenus disponibles sur le net. La loi Hadopi, dont l'efficacité n'est pas encore démontrée, a fait prendre conscience que la gratuité est à double tranchant ; séduisante, elle pose aussi le problème du financement des contenus et des médias. A force de ne pas payer pour un film que l'on télécharge illégalement ou pour un journal, on risque de se retrouver avec des programmes médiocres et d'affaiblir le pluralisme.

De nouveaux modèles économiques d'offres légales doivent encore se développer, ce que les pouvoirs publics ne sauraient laisser à la discrétion des industries culturelles. La télévision publique a ici une vraie responsabilité.

Je suis convaincue que seule une combinaison de moyens technologiques et humains, à travers l'accompagnement parental, éducatif, social, législatif et politique, pourra réellement protéger les jeunes. Le débat n'est pas spécifique à la France. A la suite de la fusillade de l'an passé au lycée de Winnenden, les parlementaires allemands se sont eux aussi penchés sur la question. C'est aussi et surtout au niveau européen et international que des mesures doivent être prises. Comme le souligne le psychologue Yann Leroux, « les enfants ne s'éduquent pas seuls ; dans les mondes numériques comme ailleurs, ils ont besoin du soutien et de l'appui des adultes. » (Applaudissements au centre et à droite)

M. Bruno Gilles.  - Les nouveaux médias sont en pleine évolution. Nos jeunes sont indéniablement « branchés » : selon le Crédoc, 94 % des adolescents disposent d'un ordinateur à domicile ; seuls 9 % des 12-17 ans n'ont pas de mobile ; neuf adolescents sur dix sont connectés à internet chez eux.

Mais nos enfants manquent encore de sens critique : le bombardement d'images et d'informations, les pressions psychologiques, sociales et commerciales les mettent en situation de fragilité. Leur maîtrise quasi innée de ces nouveaux outils est à double tranchant : plus ils sont habiles, plus ils risquent d'être confrontés à des contenus préjudiciables.

Il y a aussi un risque d'addiction. Selon le rapport d'information de David Assouline, les adolescents passent 1 500 heures par an sur internet ! Sans parler des excès de télévision et de jeux vidéo, auxquels « 51 % des garçons de 15-17 ans déclarent jouer régulièrement en cachette la nuit » !

Un adolescent sur deux fait partie d'un réseau social sur internet. Les principales informations partagées par les jeunes sur la Toile sont : leur courriel pour 68 % d'entre eux, leurs photos pour 44 %, leur adresse postale pour 24 %. Avec l'âge, le risque s'aggrave : les adolescents se connectent de préférence depuis leur téléphone mobile ou chez leurs amis, à l'abri des adultes...

Selon l'association e-enfance, 53 % des 13-18 ans sur Facebook déclarent avoir été exposés à des images choquantes. Près d'un sur deux s'est vu proposer un rendez-vous avec un inconnu ; 20 % l'ont accepté ; 29 % ont eu des propositions sexuelles ; chez les filles de 13-14 ans, la proportion est de 43 %. Au total, 90 % des 13 à 18 ans ont été confrontés à des situations à risque.

Les jeunes n'ont souvent pas conscience qu'ils peuvent être observés par le monde entier. Outre les risques liés à la pédophilie, ils peuvent être la proie de publicités déguisées, se laisser tenter par des achats en ligne non sécurisés.

Les jeunes sont de plus en plus souvent exposés à des scènes de violence. Selon le Réseau éducation médias, les jeux vidéo sont d'une violence « sans pitié et explicitement décrite ». A la télévision, dès le début de la journée, se multiplient les émissions perturbantes par leur thématique ou la violence de leurs images. Or les enfants regardent ces programmes, constate Michel Boyon, président du CSA.

Les contenus visibles à la télévision le sont sur internet, ainsi que d'autres images très violentes : exécutions, automutilations, films interdits, etc. De nombreuses études indiquent clairement qu'il y a une corrélation entre la violence des jeunes et leur exposition répétée à la violence.

Les images pédopornographiques et pornographiques sont dévastatrices pour la construction de la personnalité. Or, sur internet, un enfant sur trois risque de voir de telles images sans le souhaiter. Ils y ont également accès à la télévision. De même, rien n'empêche un vendeur ou un loueur de vidéo de procurer à un mineur de moins de 12 ans un film interdit aux moins de 18 ans...

Quelles parades mettre en place pour protéger nos jeunes ? La vigilance des parents et des éducateurs doit s'accroître, mais leur contrôle devient bien difficile. Si 95 % des enfants font état de consignes parentales, plus d'un sur deux a le sentiment de pouvoir faire ce qu'il veut sur internet sans que ses parents le sachent. D'ailleurs, 65 % avouent ne pas respecter au moins une des règles édictées par leurs parents...

S'il n'y avait qu'une seule règle à inculquer aux enfants, ce serait celle de l'anonymat. Les systèmes de « contrôle parental » existants sont facilement contournés par des jeunes à l'ingéniosité redoutable. Ces systèmes doivent donc être perfectionnés et étendus à la téléphonie mobile et à la télévision.

C'est à l'État d'édicter des règles de protection des mineurs ; il doit également garantir la qualité culturelle. La tâche n'est pas simple. La diffusion d'images pédophiles sur internet progresse constamment. Les systèmes de filtrage sont encore insatisfaisants. A l'instar de nombre de nos voisins, il conviendrait d'exiger la suppression des sites pédophiles et donc d'impliquer en amont les hébergeurs et a fortiori les fournisseurs d'accès, sous peine de sanctions. Il faut parallèlement renforcer la coopération internationale, nombre de ces sites étant hébergés à l'étranger.

Les cahiers des charges des chaînes de télévision devront être plus stricts sur les contenus diffusés. Selon Mme Versini, Défenseure des enfants, de nombreuses émissions sont sous-classifiées et les chaînes peu réceptives aux observations... Il faut exiger des chaînes de référence qu'elles présentent une vision du monde moins violente et sordide. Nous avons besoin de chaînes qui suscitent la réflexion. Promouvoir une programmation destinée au jeune public est l'un des meilleurs moyens de lutter contre les dangers des nouveaux médias.

Les dispositifs prévus ne deviendront efficaces que si un organisme unique, doté de pouvoirs et de moyens suffisants, intervient pour contrôler le respect des règles et inventer de nouveaux systèmes pour protéger les mineurs. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Serge Lagauche.  - Ils sont la génération MSN, Facebook, peer-to-peer : Internet est la nouvelle cour de récréation de nos enfants. Une ouverture sur le monde qui n'est pas sans risques. Les enfants sont aussi vulnérables seuls devant un écran d'ordinateur que seuls dans la rue : exposition à des images choquantes, pressions psychologiques, blogs diffamatoires, divulgation des informations personnelles, fausses identités virtuelles, rendez-vous suspects, cyber-prédateurs, consommation excessive...

Les parents ont rarement conscience de ces dangers : 53 % d'entre eux pensent que leurs enfants ne courent aucun risque, et 51 % des adolescents se connectent sans aucun contrôle parental.

La répression et l'interdiction trouvent rapidement leurs limites. La supervision du monde en ligne est difficile. Il est facile pour les enfants d'échapper à leurs parents en se connectant à l'extérieur du foyer familial.

La majorité des moins de 15 ans s'adressent à leurs parents ou à leurs amis pour savoir ce qu'ils peuvent mettre en ligne. Mais pour plus d'un parent sur trois, internet est justement l'une des principales sources de conseils, et ils sont 15 % à demander conseil à leurs propres enfants !

De nombreuses structures oeuvrent à la protection et l'éducation des jeunes face aux nouveaux médias. Toutefois, leur action est souvent disparate. Au sein du ministère de l'éducation coexistent plusieurs entités dont les missions recoupent celles d'organismes satellite. II faut une politique publique cohérente en direction des jeunes. La protection, c'est d'abord la responsabilisation des individus. L'internaute, même jeune, doit être acteur de sa propre protection. L'article premier de la proposition de loi « Droit à la vie privée à l'heure numérique », votée par le Sénat en première lecture le 23 mars dernier, pourrait constituer un premier pas vers une éducation nationale des jeunes sur les nouveaux médias.

Cet article pourrait consacrer l'engagement de l'État dans l'accompagnement et la responsabilisation des jeunes internautes, notamment pour l'utilisation responsable des réseaux sociaux et des applications interactives. Mais est-ce possible alors que les moyens de l'éducation nationale diminuent fortement ? Comme l'a noté notre collègue M. Assouline dans son rapport, ni la circulaire Haby, ni la place des médias dans le socle commun de compétences, ni la formation en IUFM n'ont intégré dans le cursus scolaire l'éducation critique aux nouveaux médias. Comme lui, j'estime nécessaire de redéfinir le rôle du Centre de liaison de l'enseignement et des moyens d'information (Clemi) et de stabiliser ses moyens.

De son côté, le Brevet informatique et internet ouvert aux élèves des collèges est généralement limité à la maîtrise des outils de base. Les dangers et l'utilisation responsable de cet outil ne sont éventuellement abordés -d'ailleurs succinctement- qu'en fin de collège et au lycée. En outre, la préparation de ce brevet ne fait pas l'objet d'horaires spécifiques dans les programmes. Je reprends donc deux propositions de M. Assouline : la mise en place d'un module d'éducation aux médias, avec dix heures en quatrième et en seconde ; l'utilisation prioritaire des nouveaux médias comme support pédagogique en éducation civique.

Enfin, les usages les plus contemporains d'internet sont trop souvent plus familiers aux élèves qu'à leurs enseignants. De surcroît, ceux-ci ne disposent pas toujours de matériels pédagogiques leur permettant d'enseigner la protection des données personnelles. Dans le cadre de la mastérisation, la validation d'un Certificat informatique et internet serait très utile. Pour l'élaborer, la Cnil pourrait fournir son expertise.

La mise en place d'une éducation critique aux nouveaux médias dans la formation des citoyens de demain est un réel impératif démocratique : comme l'a écrit M. Assouline dans son rapport, « l'école doit démontrer que les médias ne sont pas les seuls transmetteurs d'un savoir indiscutable, mais que la médiation est humaine, multiple et doit pouvoir être discutée et contestée ».

La réussite de cette éducation critique suppose d'ouvrir le débat aux parents, d'améliorer les synergies entre le monde de l'éducation et celui des internautes, enfin d'améliorer l'information du grand public, ce que certains pays européens ont fait. (Applaudissements sur les bancs socialistes et sur le banc de la commission)

Mme Marie-Thérèse Hermange.  - Dans le rapport intitulé Les nouveaux médias : des jeunes libérés ou abandonnés ?, remis en 2008 au nom de la commission des affaires culturelles, M. Assouline a demandé : « les nouveaux médias exposent-ils nos jeunes à des dangers majeurs tels que la perte de repères, la dépendance cybernétique ou la dissolution du sens critique ? Ou la révolution numérique va-t-elle rendre radieux l'avenir de nos enfants en facilitant leur apprentissage et en favorisant la démocratie à travers le droit donné à chacun de s'exprimer sur la toile ? » Deux ans plus tard, la question se pose dans les mêmes termes. La relation fusionnelle entre les jeunes et les médias représente-t-elle une chance ou un danger ? L'outil ne risque-t-il pas de devenir le maître ? Certains parents disent l'enfermement de leurs enfants jusqu'à la dépression. Le professeur Bodel, chef du service d'addictologie de l'hôpital Beaujon, a constaté que la dépendance aux médias était de plus en plus fréquente.

Le débat organisé au Sénat est donc opportun à un moment où un jeune sur trois possède un blog, un sur deux utilise une messagerie instantanée, deux sur trois jouent sur l'ordinateur et plus de neuf sur dix naviguent sur internet et possèdent un téléphone mobile. Nous évoquons aujourd'hui la troisième activité la plus importante dans la vie de nos enfants, après le sommeil et l'école !

Certes, le développement d'internet permet un accès nouveau à la communication mais nous devons protéger nos enfants face à des contenus choquants et contre la cybercriminalité, qu'il s'agisse de délits spécifiques à internet ou d'infractions antérieures à cet outil. Aujourd'hui, des faits divers sordides sont encore monnaie courante. Parfois, des mineurs sont abusés sur internet par des adultes ; dans d'autres cas, des mineurs exercent entre eux des pressions psychologiques insoutenables par la diffusion de films dégradants tournés sous la contrainte ou non. J'ajoute que les dispositifs de contrôle parental ne suffisent pas à protéger les enfants contre l'accès direct à des images violentes ou pornographiques. Enfin, l'addiction à des jeux de rôles violents joués en réseau reste d'actualité, tout autant que la protection des données personnelles de mineurs.

Au minimum, les images violentes créent de l'angoisse et encouragent l'agressivité de groupe. En un premier temps, la propension à l'agressivité augmente, mais l'effet s'estompe. Toutefois, les enfants qui vivent dans un environnement violent sont les plus sensibles. Surtout, l'influence néfaste est contrebalancée lorsqu'un temps d'échange avec les parents est ménagé. Ainsi, la vulnérabilité est accrue lorsque la famille et l'école ne jouent pas leur rôle.

Madame la ministre, je connais votre action en ce domaine, et je salue la campagne d'information Où est Arthur ? mettant en garde les parents contre les dangers courus par leurs enfants sur internet, mais il reste beaucoup à faire. Qu'en est-il des quinze propositions formulées dans le rapport de la commission des affaires culturelles ?

A la question écrite que je vous avais posée en mai 2008 quant à la protection des mineurs face à internet, vous aviez répondu que vous conduisiez une action déterminée en ce sens comportant trois priorités : le blocage des sites pédopornographiques, l'amélioration des logiciels de contrôle parental, la sensibilisation des parents. Quel est le bilan de ces actions ?

L'enfant a besoin d'être éduqué, aimé et entouré. Il requiert une protection particulière contre cette forme insidieuse de maltraitance. La place de l'enfant dans la publicité ne signifie pas qu'il soit célébré et respecté, au contraire. Le prétendu enfant roi est d'abord une victime lorsqu'il est condamné à trôner des heures durant devant internet, sans aucune surveillance, après son retour de l'école. Comme s'il s'agissait là d'une nouvelle forme de garde à domicile !

La sécurité des enfants sur internet ne peut être dissociée de l'éducation familiale. Certes, l'État doit s'efforcer de protéger ses membres les plus vulnérables mais, contrairement à M. Assouline, j'estime qu'aucune politique et aucune structure ne peuvent remplacer les parents, protecteurs naturels de leurs enfants. (Applaudissements à droite)

Mme Claudine Lepage.  - Qui songerait à contester le formidable potentiel des nouveaux médias ? Personne ! Cependant, de nombreuses voix mettent en garde contre le revers de la médaille de cette révolution numérique. Dans son excellent rapport consacré à l'impact des nouveaux médias sur la jeunesse, notre collègue M. Assouline a parfaitement relevé l'ambiguïté de notre relation avec les nouvelles technologies, en particulier internet.

Quelque 95 % des jeunes de 12 à 17 ans sont internautes et surfent en moyenne sur la toile douze heures par semaine ; 70 % de ceux qui n'ont pas 11 ans utilisent internet, 44 % des petits de 6 à 8 ans étant aussi concernés. En outre, plus d'un adolescent sur deux aurait un profil Facebook... L'immersion totale de la nouvelle génération dans la culture numérique suffit à nous interpeller sur les bienfaits et les dangers de cet usage.

Les atouts des nouveaux médias sont indiscutables, ne serait-ce que pour l'accès au savoir, la socialisation et l'intégration dans la vie publique.

Sur le plan pédagogique, l'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication créée une motivation supplémentaire chez l'élève en améliorant l'indispensable plaisir d'apprendre. L'acquisition de nouvelles compétences doit aussi être soulignée, malgré les plaintes justifiées des enseignants à propos des « copier-coller » détectés dans nombre de copies.

Les nouvelles technologies ont aussi des vertus pour les élèves isolés, par exemple ceux dont la famille est établie à l'étranger et qui n'ont pas d'autre choix pour suivre un enseignement français.

Du point de vue de la construction psychique de l'adolescent, les nouveaux médias jouent un rôle très positif. Derrière son écran d'ordinateur, l'adolescent se socialise tout en restant à l'abri. L'appartenance à des réseaux sociaux, la tenue d'un blog lui renvoient une image valorisante, développent sa confiance en lui ; il est reconnu socialement notamment par nombre de ses amis. Tout cela est très intéressant -à condition, bien sûr, que sa socialisation ne s'arrête pas là !

Pourtant les dangers existent. Celui qui suscite le plus de craintes est l'exposition des jeunes à des contenus inappropriés, à caractère violent ou pornographique ainsi qu'aux sollicitations à caractère sexuel. Le phénomène du « sexting » croît de façon inquiétante. Ce nouveau « jeu » consiste en la diffusion, consentie ou non, via les téléphones mobiles, d'images personnelles à caractère sexuel. Il pose la question de la responsabilisation des adolescents, car, comme le relève un récent rapport publié par l'Internet Safety Technological Task Force et l'université de Harvard, les adolescents agissent en toute connaissance de cause. Ils envisagent parfaitement que les images seront sans doute partagées avec d'autres personnes que les destinataires initiaux et sont conscients de l'impact négatif que peuvent avoir ces photos. Ce qu'ils ne perçoivent pas, en revanche, ce sont les conséquences sociales de tels comportements.

Le même raisonnement peut être appliqué à la divulgation d'informations personnelles sur les réseaux sociaux. Le « profil » peut servir de véritable exutoire. En outre, via, le « mur », des conversations de nature privée sont tenues en public : la distinction entre vie intime et sphère publique est balayée. La spécialiste américaine des réseaux sociaux, Danah Boyd, le dit ainsi : « A l'occasion d'une fête, des petites conversations peuvent se nouer à droite, à gauche, elles sont couvertes par la musique. Avec les réseaux sociaux, on peut toujours éteindre la musique... ».

Ce déferlement d'informations intimes accessibles au plus grand nombre présente le risque d'intimidation ou de harcèlement, d'autant que les réseaux sociaux regroupent, le plus souvent, des adolescents qui entretiennent déjà des relations sociales non virtuelles et non exemptes de conflits ! Il ya là également une mine d'or pour les publicitaires, les enfants internautes devenant des « cibles marketing » de choix. Les informations personnelles servent à affiner le ciblage de cette population si réceptive... Sony a été condamné par la justice américaine pour avoir recueilli illégalement sur des sites d'artistes, sans l'accord exprès des parents, des données personnelles d'enfants. Certains éditeurs de contenus pour la jeunesse font preuve d'un grave manque de responsabilité : ils accueillent des encarts publicitaires qui renvoient à des pages assurément non adaptées aux mineurs.

L'ouverture à la concurrence et la régulation du secteur des jeux d'argent et de hasard en ligne vont susciter l'afflux d'une multitude de sites de jeux d'argent. Certes, le projet de loi confirme l'interdiction pour les mineurs de participer à ces jeux, mais le péril demeure car les méthodes de protection des mineurs sur internet donnent un résultat très illusoire.

La vidéo à la demande a rendu obsolète la réglementation mise en place par le CSA. En effet, comment appliquer un dispositif de protection qui repose sur des contraintes horaires de diffusion ? La loi du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision prévoit une réglementation ad hoc ; mais rien n'a encore été proposé. Où en est-on ?

De multiples organismes, étatiques, indépendants ou associatifs participent à la protection des mineurs face aux risques des nouveaux médias. Il revient au CSA de veiller à la protection de l'enfance à la télévision et à la radio et sa compétence s'étend à la diffusion sur internet ou téléphone mobile des émissions télévisées ou radiophoniques. Mais c'est une goutte d'eau dans l'océan des contenus diffusés sur internet !

Il est temps de combler le retard pris ; on ne peut que souscrire à l'idée de David Assouline de créer un organe de corégulation « enfance et médias », compétent pour l'ensemble des médias, écrits, télévisuels, cinématographiques ou électroniques. L'efficacité exige une réponse globale et la démarche concertée est à privilégier désormais. Et au regard du caractère transfrontalier d'internet, une approche internationale est souhaitable. La proposition de la Défenseure des enfants, Dominique Versini, d'instaurer un « petit ONU de l'internet » est très intéressante.

Au niveau européen, diverses démarches de la Commission visent à responsabiliser les opérateurs et sensibiliser les jeunes. En 2009, un accord a été signé avec une vingtaine de sociétés afin qu'elles s'engagent à rendre les réseaux sociaux plus sûrs. Le bilan, après quelques mois, est relativement prometteur, mais beaucoup reste à faire, notamment pour bloquer l'accès, au-delà « des amis », aux informations personnelles des mineurs. Tout cela doit bien sûr s'accompagner d'une prise de conscience des jeunes. Dans le cadre de la « Journée pour un internet plus sûr » en février dernier, la Commission lance un appel aux jeunes internautes : « Tu publies ? Réfléchis ». En effet, il importe de les avertir de toutes les implications, y compris à long terme, de la diffusion d'informations personnelles. Combien d'employeurs accèdent à des données « inadéquates » en quelques clics ! Cette sensibilisation des jeunes sera le meilleur rempart contre les risques inhérents aux nouvelles technologies. L'école doit éduquer, alerter... mais les parents aussi. Or, selon une récente étude menée par l'association e-enfance et par Ipsos, 53 % des parents pensent que leurs enfants ne courent aucun risque sur internet, 78 % considèrent qu'ils ne communiqueront pas de données personnelles de façon non protégée et 43 % reconnaissent ne pas donner systématiquement de règles à leur enfant pour l'usage d'internet. Cette insouciance est inquiétante ! En outre, l'installation d'un système de contrôle parental requiert des connaissances techniques minimales et les compétences des jeunes en la matière dépassent souvent de très loin celles de leurs parents.

La responsabilisation des parents est donc essentielle : il faut les sensibiliser puis les informer. Ne nous y trompons pas : ce n'est pas internet qui est dangereux, mais l'usage que l'on en fait. Mme Viviane Reding, lorsqu'elle était commissaire européenne chargée de la société de l'information et des médias, déclarait fort justement : « L'internet est devenu indispensable à nos enfants et il est de notre responsabilité à tous de le rendre plus sûr. » (Applaudissements à gauche)

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille et de la solidarité.  - Il y a deux ans, je fis mon premier déplacement de ministre au centre de gendarmerie de Rosny-sous-Bois, service qui chasse les pédophiles sur internet. En effet, je mesurais combien les évolutions dans le secteur des médias représentaient un danger pour les enfants. On m'avait prévenue que je verrais des images difficilement soutenables, ce fut le cas : elles mettaient en scène des enfants tellement petits, presque des bébés, que c'en était terrifiant. J'ai compris que ce combat devait mobiliser l'ensemble de la société.

Nos enfants passent 900 heures par an à l'école et 1 200 devant des écrans ; chaque ménage détient en moyenne huit écrans, de télévision, d'ordinateur ou de console de jeux. La consommation de ces biens a explosé, les modes de vie, de pensée, d'être sont bouleversés Avec internet, tout va plus vite et plus loin. Nous avons besoin d'agir non seulement au niveau national mais au plan international.

Je me suis rendue à Londres, en Norvège. Dans le cadre de la présidence française de l'Union, j'ai discuté avec mes homologues européens et constaté un intérêt commun pour ce sujet. Il ne s'agit en aucun de remettre en cause les nouveaux médias, a dit fort justement Mme Lepage. Peut-on aujourd'hui s'opposer à l'usage de l'automobile ? Non, on ne peut pas revenir en arrière ! Mais dotons-nous d'un code, comme nous l'avons fait pour la route.

Nous avons été complètement dépassés par internet. Vous avez tous cité les chiffres : pas moins de 96 % des jeunes surfent tous les jours sur internet mais surtout, 80 % des parents ignorent que leur enfant anime un blog, 72 % estiment laisser leur enfant surfer seul sur internet, sans parler de l'utilisation de la webcam. Aujourd'hui, le danger n'est plus à l'extérieur mais à l'intérieur de la maison, pire encore, dans la chambre à coucher même lorsqu'y trône un ordinateur relié à internet.

Mme Brigitte Bout.  - Eh oui !

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Des jeunes se déshabillent devant leur webcam, moyennant finances ! La webcam mais aussi les comportements d'addiction mettent en péril la santé de nos enfants.

Internet est, au départ, un fabuleux outil d'échanges. Quelle magie que de communiquer avec le monde, de chercher des informations à l'autre bout de la planète, de « tchater » ! Mais quelle catastrophe lorsqu'une gamine de 11 ans est en contact avec un prédateur pédophile qui se fait passer pour un adolescent de son âge ! (Marques d'approbation sur les bancs UMP) D'où l'importance de sensibiliser les parents. D'autant que les modérateurs, sur certains services de « tchat », ne jouent quasiment pas leur rôle. Parfois, ce sont même des machines ! Parfois, ils abandonnent leur tâche à l'heure du déjeuner, au moment même où le pédophile se connecte... Outre l'absence de frontières sur la toile, le problème est le caractère éphémère de certains sites, notamment de pédopornographie dont l'existence est de quelques heures. Nous devons donc protéger nos enfants des effets pervers d'internet.

Dans ce combat, notre premier allié est l'éducation nationale. L'obtention du B2i, ou Brevet internet informatique, est nécessaire, depuis 2008, pour réussir le brevet des collèges. En outre, le Sénat a adopté la semaine dernière une proposition de loi qui, en son article premier, prévoit une formation à l'usage responsable des outils en ligne lors des cours d'éducation civique. Ensuite, les associations de protection de l'enfance, notamment « Jeux Vidéo Info Parents » qui apporte des informations complètes sur plus de 500 jeux. Je pense également à la Délégation aux usages de l'internet qui propose des foires aux questions, des kits de sensibilisation, un numéro vert destiné aux parents ou encore un « serious game » dont la vocation est de sensibiliser les enfants et adolescents à la protection de la vie privée. Sur ce dernier sujet, Mme Kosciusko-Morizet a dessiné, après concertation avec de nombreux acteurs d'internet, des pistes pour faire progresser la cause essentielle du droit à l'oubli : la pédagogie, les outils de protection des données personnelles ou encore les voies de recours en cas de problème... Enfin, suite aux travaux de la mission Zelnik, les efforts consacrés au développement d'une offre légale de contenus en ligne avec, par exemple, « une carte musique » vont également dans le sens d'un internet plus civilisé pour les jeunes et d'un internet comme mode d'accès à la culture.

M. David Assouline, au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.  - Quel rapport ?

Mme Nadine Morano, secrétaire d'État.  - Pour que ces actions portent leurs fruits, nous devons réinvestir les parents d'une mission essentielle, celle de la protection de leurs enfants. En 2008, j'ai demandé aux fournisseurs d'accès de proposer un logiciel de contrôle parental gratuit à tous leurs abonnés. Si 95 % des parents connaissent l'existence d'un tel outil, 40 % seulement l'utilisent. Nous devons donc mieux communiquer sur ces logiciels et la nécessité de les activer en permanence. A ce sujet, j'ai chargé, l'an dernier, l'agence française de normalisation de mettre au point une norme expérimentale d'évaluation des logiciels de contrôle parental. Celle-ci a été publiée en janvier et servira de base à l'élaboration de la norme française durant le second semestre 2010. Avec l'éducation nationale, nous avons également élaboré une plaquette pédagogique destinée aux parents d'élèves du primaire, intitulée Huit conseils pour protéger vos enfants sur internet, imprimée à 4,5 millions d'exemplaires. Afin de susciter le débat sur l'usage d'internet dans les familles, nous avons diffusé le clip Où est Arthur ? sur l'ensemble des chaînes télévisées. Ce spot, d'origine allemande, a également été diffusé au Luxembourg et le sera prochainement dans les autres pays de l'Union. Cette large diffusion complète les actions d'éducation aux médias existantes, notamment sur le service public de l'audiovisuel. Je tiens à saluer la qualité du travail des médiateurs de France Télévisions et celle de certaines émissions telles que Toutes les télés du monde, de la chaîne Arte. Hors antenne, nous soutenons les initiatives qui contribuent à former le regard des jeunes sur les médias, comme le programme Télémaques, créé par l'association Savoir au présent, auquel plus de 9 000 jeunes ont participé l'an dernier. Pour piloter ces actions d'éducation aux médias, j'ai choisi de confier à Mme Vincent-Deray, ancien membre du Conseil supérieur de l'audiovisuel et auteur du rapport Famille, éducation aux médias, la création d'une fondation publique-privée qui devrait voir le jour durant le second semestre 2010. Afin de lutter contre les dangers d'internet et de proposer une éducation positive aux médias, nous nous appuierons également sur l'existant, notamment la classification en vigueur pour les oeuvres audiovisuelles et cinématographiques, madame Morin-Desailly, sera étendue à la télévision de rattrapage et à la vidéo à la demande. Le CSA adoptera, sous peu, un projet de délibération à ce sujet qui fera l'objet d'une consultation.

En matière d'internet, la prévention doit s'accompagner de la répression. Je citais, au début de mon intervention, l'exemple de la division de lutte contre la cybercriminalité de la gendarmerie nationale de Rosny-sous-Bois. Nous devons bloquer, comme le prévoit la Lopsi dans son article 4, les sites de pédopornographie. La plateforme de signalement de l'Intérieur a permis d'enregistrer 20 000 alertes mettant en cause des sites à caractère pédopornographique, hébergés à l'étranger en 2009. En outre, depuis un an, policiers et gendarmes sont autorisés à utiliser des pseudonymes permettant de se faire passer pour des mineurs. Ils ont ainsi traité une vingtaine de dossiers et déféré les coupables devant la justice. Le Gouvernement s'en réjouit et prévoit la formation d'un plus grand nombre de policiers et de gendarmes à ces cyber-patrouilles.

La loi du 21 juin 2004 punit de cinq ans de prison la diffusion, l'enregistrement ou la transmission d'images de mineurs présentant un caractère pornographique. Mais nombre d'infractions de ce type sont commises depuis l'étranger. La coopération internationale n'ayant pas suffi jusqu'à présent, nous avons l'obligation morale d'adapter la loi. Le Gouvernement veut aussi prendre des mesures pragmatiques pour empêcher l'exposition non intentionnelle à de tels sites, qui emploient souvent des adresses que l'on peut confondre avec celles de sites légaux. Nombre de pays européens bloquent l'accès à ces sites ; le Président de la République s'y était engagé, ce sera bientôt chose faite. La France a aussi souhaité la création d'une plateforme de signalement européenne qui sera opérationnelle en 2011 et qui permettra d'échanger les listes de sites bloqués : car internet ne connaît pas de frontières ! Dans un excellent rapport de l'ONU, Mme Najat M'jid Maala appelait de ses voeux une coopération au niveau mondial : je crois aussi qu'il faudra créer une police internationale de l'internet.

Monsieur Assouline, les collectivités territoriales ne sont pas les seules à oeuvrer à la réduction de la fracture numérique : le Gouvernement entend consacrer 2 milliards d'euros issus de l'emprunt national à l'extension du réseau à très haut débit sur tout le territoire.

Vous souhaitez la création d'un CSA de l'internet. Mais il s'agit d'un réseau mondial, sur lequel n'importe qui peut publier des contenus. Il est impossible de le réguler a priori, contrairement à la télévision où il n'y a qu'un nombre limité d'émetteurs autorisés. Il faut donc renforcer le contrôle a posteriori : après la loi pour la confiance dans l'économie numérique, la Loppsi 2 y contribuera.

Le Gouvernement travaille à la transposition du paquet télécom, qui doit avoir lieu avant 2011 et qui imposera de modifier la loi pour la confiance dans l'économie numérique et la loi informatique et libertés.

S'il s'est opposé à la proposition de loi visant à mieux garantir le droit à la vie privée à l'heure du numérique, c'est parce qu'elle comprenait plusieurs dispositions inopportunes, comme la transposition partielle du paquet télécom, les mesures relatives aux fichiers de polices incompatibles avec celles qui ont été adoptées par les députés, ou encore l'obligation de nommer des correspondants Informatique et libertés, dont on a mal mesuré l'impact.

Quant aux webcams, il paraît bien difficile d'en encadrer l'usage, le plus souvent domestique. (M. David Assouline le conteste) L'important est de sensibiliser les parents aux risques présentés par ces appareils.

En revanche, je suis favorable à la création d'une signalétique positive pour les programmes de télévisions, comme il en existe déjà pour les jeux vidéos, car certaines émissions présentent un réel intérêt pour les enfants et devraient attirer l'attention des parents. La fondation pour l'éducation aux médias pourra y oeuvrer.

En ce qui concerne le blocage des sites pédopornographiques, la Commission européenne envisage de le rendre obligatoire à l'échelle de l'Union, ce dont je me réjouis : seuls, nous n'arriverons à rien.

Comme la télévision au siècle dernier, l'internet est en train de bouleverser nos modes de vie et de représentation et nous fait entrer dans une nouvelle ère, qui n'est plus seulement celle de l'image. A chaque tournant de notre histoire, à chaque découverte mirifique, nous avons réagi par la sidération avant d'inventer une nouvelle codification juridique et culturelle. II est temps aujourd'hui de sortir du silence et de l'inaction. Rendons-nous maîtres de notre propre création : c'est tout l'honneur de l'homme. Renforçons la sécurité de nos enfants sur les nouveaux médias en sensibilisant les parents aux risques qu'ils présentent et en adaptant nos moyens technologiques et notre législation. (Applaudissements à droite)

Élection à la Cour de justice de la République (Résultat du scrutin)

Mme la présidente.  - Voici le résultat du scrutin pour l'élection d'un juge titulaire et d'un juge suppléant à la Cour de justice de la République.

Nombre de votants 202
Nombre de suffrages exprimés 184
Majorité absolue des suffrages exprimés 93

MM. Bernard Saugey et Jean-Patrick Courtois ont obtenu 184 voix, soit la majorité absolue des suffrages exprimés. Ils sont respectivement proclamés juge titulaire et juge suppléant à la Cour de justice de la République. (Félicitations et applaudissements à droite)

M. Bernard Saugey, juge titulaire, et M. Jean-Patrick Courtois, juge suppléant, vont être appelés à prêter devant le Sénat le serment prévu par l'article 2 de la loi organique du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République. Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu'elle figure dans la loi organique. Je prie MM. Saugey et Courtois de bien vouloir se lever et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure ». Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ». (M. Bernard Saugey, juge titulaire, et M. Jean-Patrick Courtois, juge suppléant, se lèvent à l'appel de leur nom et disent, en levant la main droite : « Je le jure. »)

Acte est donné par le Sénat des serments qui viennent d'être prêtés devant lui. (Applaudissements à droite)

La séance, suspendue à 16 h 40, reprend à 17 heures.

présidence de M. Gérard Larcher

Questions cribles sur l'éducation et l'ascension sociale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur « l'éducation et l'ascension sociale ».

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Avec les enseignants, les parents et les élèves mobilisés ces derniers mois contre les réformes de l'éducation nationale je partage l'aspiration populaire à une école de l'égalité, de la justice et de la réussite pour tous. L'école publique doit permettre l'émancipation de tous, sans exclusive. Or, l'égalité des chances ne valorise en réalité que le mérite individuel. Loin de faire reculer les inégalités devant l'éducation, elle laisse de côté l'immense majorité des élèves issus des milieux populaires. Cette politique stigmatise même ceux qui ne s'en sortent pas et elle nie la possibilité pour le plus grand nombre de se construire un avenir, chacun à son rythme. Faire reculer les inégalités devant l'éducation, c'est offrir à chacun les moyens de construire sa propre vie scolaire et intellectuelle, sans que les conditions économiques, d'origine et de position sociale ne la déterminent. C'est donc bien à l'État de garantir, sur l'ensemble du territoire, la présence d'un service public de l'éducation, réalisant l'égalité d'accès pour tous à un haut niveau de culture.

Mais c'est l'exact opposé de votre politique, qui favorise l'école privée, renforce l'élitisme et réduit des voies d'insertion aussi indispensables que l'enseignement professionnel ou agricole. Il faut stopper la réduction du nombre de fonctionnaires, refuser leur précarisation et l'amenuisement de l'offre éducative.

Monsieur le ministre, allez-vous donner aux parlementaires un bilan de la loi dite « d'égalité des chances » et engager une réforme qui mérite ce nom, une réforme qui fasse de l'éducation nationale un outil d'égalité sur l'ensemble du territoire ?

M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement.  - Lorsque je suis arrivé à ce ministère, j'ai constaté, au vu des proportions si différentes d'enfants d'ouvriers ou d'employés en sixième puis en terminale, que l'égalité n'était pas réelle et qu'il fallait favoriser le brassage et l'ascension sociale. C'est l'objet de notre réforme ! Quand on réforme le lycée professionnel pour qu'il mène à un emploi, on travaille pour l'égalité ; quand on réforme le lycée pour que l'orientation y soit une ouverture permanente et non un couperet, on travaille pour l'égalité.

Mais je ne veux pas opposer égalité et excellence, je suis pour une école publique de l'excellence, pour une école de l'élitisme -ce mot ne me fait pas peur- mais qui, en même temps permette à tous de trouver leur voie. La réforme a pour but de diminuer le nombre de ceux qui sortent du système scolaire sans aucun diplôme.

Mme Brigitte Gonthier-Maurin.  - Confrontés à l'explosion des exigences et de la colère des banlieues, vous avez fait adopter en 2006 la loi dite d'égalité des chances. Quatre ans après, le bilan est maigre. Outre le fait que le CPE a été massivement rejeté, la Halde pointe aujourd'hui la persistance de discriminations de toutes sortes, qui font qu'à diplôme égal, on n'accède pas aux mêmes catégories socioprofessionnelles. La discrimination positive, qui instaure des quotas et des internats d'excellence, ne répond pas à l'exigence d'acquisition du plus haut niveau de connaissances pour tous.

Il faut des moyens supplémentaires, il faut des enseignants supplémentaires, il faut des Rased, des infirmières, des médecins scolaires ! Il faut des co-psy et des comités d'information et d'orientation ! Mais il faut aussi réfléchir à l'offre pédagogique dont a besoin l'école du troisième millénaire pour donner à tous un accès égal au savoir et à la citoyenneté.

Et je réitère ma demande d'un bilan sur la loi « d'égalité des chances ».

M. Daniel Dubois.  - La réussite scolaire et la bonne orientation sont la condition de la réussite professionnelle. Comment améliorer leurs performances alors que depuis vingt ans, dans notre pays, il n'y a jamais eu autant de dépenses pour l'éducation ? Et alors que notre système continue à engendrer l'échec scolaire -150 000 jeunes sortent encore du système sans maîtriser la lecture !

La réussite se joue dès le plus jeune âge et, comme le note la Cour des comptes, l'école élémentaire « constitue le socle sur lequel tout repose ».

J'ai regroupé sur mon territoire de 8 000 habitants -la communauté de communes du Haut Clocher- treize écoles en trois sites uniques, reliés à la fibre optique, équipés de tableaux blancs interactifs et de 30 ordinateurs portables, animés par un espace numérique de travail, et je les ai dotés de tous les services périscolaires qu'attendent les parents. Je souhaite également bâtir un Conseil local de l'éducation qui regrouperait enseignants, parents, élus et services sociaux pour, sans cesse, améliorer les résultats scolaires en lien avec le collège.

Comment envisagez-vous de participer au financement de l'école du XXIe siècle ? Comment comptez-vous faciliter les synergies locales entre équipes pédagogiques, parents et élus locaux ? Comment envisagez-vous de rendre plus transparents les résultats des évaluations pour les rendre utiles à la décision publique ?

M. Luc Chatel, ministre.  - Vous avez raison de souligner qu'il n'ya jamais eu autant de moyens affectés à l'éducation nationale : cela prouve la volonté du Gouvernement d'investir pour l'avenir. Le problème, ensuite, est d'assurer la meilleure efficacité possible de ces dépenses.

Je vous félicite pour votre sens des responsabilités, votre investissement personnel et votre volonté de moderniser l'offre numérique de votre collectivité. Le plan de relance, quant à lui, équipera 6 700 écoles en numérique. Votre communauté de communes a bénéficié de ce plan. D'ici quelques semaines, j'annoncerai un plan plus vaste digne d'une école du XXIe siècle.

En matière de synergie entre les différents acteurs locaux, on a renoncé à créer des Conseils locaux de concertation car ils avaient été perçus comme des structures supplémentaires superflues. Cependant la direction des établissements est un vrai problème et j'ai confié au député Frédéric Reiss une mission sur ce sujet afin d'améliorer les synergies entre l'éducation nationale et les familles.

M. Daniel Dubois.  - C'est indispensable car on en est encore, souvent, à l'école de Jules Ferry. La réussite scolaire doit être au rendez-vous et elle dépend des tous premiers débuts. Vous devez faire progresser, rapidement, les synergies entre pédagogues, parents et élus territoriaux.

M. Jean-Pierre Chevènement.  - L'école ne joue plus, depuis longtemps déjà, son rôle de promotion sociale. Pourtant, depuis les ZEP, les dispositifs correcteurs ont été multipliés soit au sein de l'éducation Nationale soit dans le cadre de la politique de la ville. Certains de ces dispositifs se sont révélés heureux. D'autres sont redondants voire franchement discutables. Globalement, ils n'ont pas enrayé le déclin de l'école comme outil de promotion sociale.

En effet, ces dispositifs manquent l'essentiel : l'amélioration des apprentissages fondamentaux à l'école primaire -lecture, écriture, calcul- qui, depuis longtemps, ne sont plus assurés correctement. Et ces insuffisances qui frappent d'abord les enfants les moins favorisés, se répercutent ensuite en inégalités croissantes à tous les niveaux de l'enseignement.

Cette véritable destruction des fondements de l'école républicaine vient de loin : elle procède du triomphe des pédagogies dites « nouvelles » depuis la fin des années soixante. Ces pédagogies nouvelles, encore appelées « constructivistes » parce que l'élève est censé construire lui-même son savoir, tel un petit Champollion devant les tablettes hiéroglyphiques, ont fait la preuve de leur inefficacité : la méthode globale par exemple n'a jamais remplacé pour l'apprentissage de la lecture la méthode syllabique qui doit rester un élément essentiel de cet apprentissage.

Toute l'expérience historique montre que les enfants des couches populaires ont d'abord besoin d'une école structurée et d'un bon enseignement des matières de base. Quelles directives allez-vous donner en ce sens ?

Votre prédécesseur a instauré à l'école élémentaire la semaine de quatre jours -pour ne pas dire la semaine des quatre jeudis. Votre circulaire de la rentrée encourage le retour à la semaine de neuf demi-journées « chaque fois qu'elle rencontre l'adhésion » : elle sonne comme un renoncement. Or on n'a jamais vu que les élèves puissent apprendre mieux en travaillant moins. (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Luc Chatel, ministre.  - Je partage en grande partie vos propos. Le Gouvernement a réformé l'école primaire afin de la recentrer sur les fondamentaux : nouveaux programmes et aide personnalisée de deux heures pour les élèves qui rencontrent des difficultés.

Hier, j'ai annoncé un plan de prévention contre l'illettrisme où je replace la maternelle au coeur du dispositif avec le retour à certains fondamentaux comme le vocabulaire. A l'entrée du cours préparatoire, il y a aujourd'hui des différences majeures entres les élèves : certains, venant de milieux défavorisés, ne connaissent que 150 mots alors que d'autres en maîtrisent 700 ! Or, il est très difficile de combler cet écart par la suite. L'apprentissage du par coeur est aussi essentiel. J'ai également décidé que les élèves devraient travailler sur les grands textes de la littérature. Ainsi, l'école de la République redeviendra celle que nous avons connue. Avec les internats d'excellence, on en revient aussi au fondamentaux en permettant aux élèves méritants d'accéder au meilleur et à l'ascension sociale grâce à leur travail.

M. René-Pierre Signé.  - Il faut commencer tôt !

M. Jean-Pierre Chevènement.  - Apprendre le vocabulaire aux enfants de maternelle devrait passer par l'écriture ! On ne peut pas apprendre le vocabulaire si on n'a pas appris à lire et à écrire. Tous les experts estiment que la semaine de neuf demi-journées respecte les rythmes de l'enfant et qu'elle donne plus de temps pour l'acquisition des apprentissages fondamentaux. Mais votre circulaire ne veut rien dire, monsieur le ministre ! Ou bien il y a adhésion des conseils d'école à la semaine de neuf demi-journées, et vos encouragements ne sont pas nécessaires, ou bien tel n'est pas le cas et vous prenez acte du fait accompli. Il faut avant tout encourager ceux qui veulent prendre en compte l'intérêt des enfants et qui ne demanderaient qu'à vous obéir pour revenir à la semaine de neuf demi-journées ! (Applaudissements sur les bancs du RDSE)

M. Jacques Legendre.  - Je remets aujourd'hui ma casquette de président de la mission d'information que notre commission avait conduite en 2007 sur la diversité sociale et l'égalité des chances dans la composition des classes préparatoires aux grandes écoles.

Nous avions alors, à l'unanimité, dénoncé le caractère socialement fermé des classes préparatoires aux grandes écoles dans un rapport au titre significatif : Halte au délit d'initié. Ces classes préparatoires, et donc les grandes écoles, semblaient se refermer de plus en plus aux milieux défavorisés. Nous avions alors attiré l'attention du Gouvernement et je me réjouis qu'il ait décidé de réagir en imposant 30 % de boursiers dans les classes préparatoires. Cet indicateur est intéressant mais il ne s'agit pourtant pas de la solution au problème. Ce qui écarte les jeunes des milieux défavorisés des prépas, c'est d'abord le sentiment qu'elles ne sont pas pour eux. C'est aussi un problème d'orientation, de logement et d'inégale présence des classes préparatoires sur le territoire national : Paris compte à elle seule dix-sept prépas tandis que vingt départements en sont totalement dépourvus ! Quelles mesures allez-vous prendre pour favoriser l'accès de tous les jeunes aux classes préparatoires et donc aux fonctions de direction dans notre pays ?

M. René-Pierre Signé.  - Et il y a des prépas privées en pagaille !

M. Luc Chatel, ministre.  - Nous partageons le même objectif. Le 11 janvier, le Président de la République a demandé aux grandes écoles de jouer leur rôle dans le renouvellement et la diversification des élites. Si nous voulons davantage de jeunes issus des milieux défavorisés au plus haut niveau, il faut assurer un bon brassage et un bon fonctionnement du système au mérite.

Depuis 2007, nous avons beaucoup avancé : l'objectif de 30 % de boursiers en prépas a été atteint début 2010, soit un an plus tôt que prévu. Aujourd'hui, chaque lycée présente au moins 5 % d'élèves en classe prépa. Pour accompagner les élèves de milieux défavorisés et assurer le lien entre lycées et prépas, Mme Pécresse et Mme Amara ont créé les « cordées de la réussite ».

Le comité interministériel à l'égalité des chances de novembre dernier a décidé de multiplier le nombre de classes préparatoires, notamment en technologie. A la rentrée dernière, nous avons ouvert la première prépa professionnelle. Diversifier les voies d'accès à l'excellence permettra de faire accéder au meilleur niveau les élèves des milieux défavorisés.

M. Jacques Legendre.  - Nous devrons déployer des classes préparatoires en zones rurales. C'est plus difficile que de créer des internats d'excellence. Certes, les enfants des banlieues rencontrent des difficultés, mais je rappelle que vingt départements n'ont pas du tout de prépas.

Mme Françoise Cartron.  - Ces dernières années, les inégalités sociales se sont accentuées : la carte scolaire les reflète, les cristallise et concentre les difficultés dans un certain nombre d'établissements scolaires. La sectorisation telle qu'elle existait connaissait des dysfonctionnements comme les stratégies de contournement mises en place par certaines familles inquiètes pour l'avenir de leurs enfants. Face à ce constat, le Gouvernement a décidé d'assouplir la sectorisation, instituant ainsi les inégalités scolaires, ghettoïsant encore plus certains établissements. Il ne suffit pas de détricoter l'existant pour mener une politique plus juste. Il ne suffit pas non plus de quelques mesures censées aider les plus méritants pour aller vers plus d'égalité. L'enquête de L'OCDE montre que l'écart excessif entre les établissements constitue un des éléments les plus défavorables à la performance du système éducatif français. De même le rapport de la Cour des comptes de novembre 2009 estimait que l'abandon de la carte scolaire s'est traduit par une plus grande concentration des facteurs d'inégalité dans les collèges classés en zone sensibles. Au nom du libre choix, l'égalité d'accès de tous les jeunes à l'éducation est remise en cause.

Allez-vous poursuivre cette politique de désectorisation de l'école, sacrifiant ainsi de nombreux enfants captifs dans leur quartier, ou allez-vous affecter les moyens nécessaires aux établissements sensibles pour leur permettre de devenir des lieux d'excellence pédagogique pour tous ? (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Luc Chatel, ministre.  - Nous ne sacrifions pas les élèves en assouplissant la carte scolaire alors que vous-même, en son temps, en avez à juste titre reconnu les limites. Vous aviez raison de dénoncer les pratiques de contournements qui faisaient la part belle à un système à deux vitesses.

Depuis 2007, nous avons donc assoupli la carte scolaire en prévoyant des priorités rigoureuses notamment pour les handicapés, les boursiers, les fratries : nous avons ainsi satisfait deux demandes sur trois. Nous voulons aller plus loin, afin de mettre fin à la ghettoïsation provoquée par le système précédent. Nous maintiendrons les moyens dans les établissements appelés à perdre des effectifs afin de donner aux équipes locales les moyens de repartir avec des projets pédagogiques attractifs.

Nous allons permettre aux établissements du réseau ambition-réussite de recruter des enseignants sur profil et de mettre en place de vrais projets pédagogiques. Ainsi, nous parviendrons à contrer les dérives de la carte scolaire observées ces dernières années.

Mme Françoise Cartron.  - L'intention est louable, mais les effets sont contraires. La désectorisation a ghettoïsé encore un peu plus les établissements. Les collèges ambition-réussite ont ainsi perdu plus de 10 % de leurs meilleurs élèves. Plutôt que d'abolir la carte scolaire, il serait préférable d'en redéfinir les contours afin qu'il y ait une vraie mixité sociale dans tous les établissements scolaires. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Christian Demuynck.  - En présentant, le 14 décembre 2009, les dépenses d'avenir du grand emprunt national, le Président de la République a annoncé la création de 20 000 places d'internats d'excellence dans les prochaines années. Pour atteindre cet objectif ambitieux, le Gouvernement a prévu d'y consacrer 500 millions.

Ce programme original, mené en liaison avec la politique de la ville, offre un cursus complet à des jeunes motivés issus de milieux défavorisés et améliore leurs chances de réussite ; il favorise la mixité sociale. Le premier internat d'excellence a ouvert à Sourdun, en Seine-et-Marne. Le bilan de la première année est encourageant : 1 600 élèves ont été accueillis en 2009 tandis que les effectifs devraient plus que doubler d'ici la rentrée 2010. J'espère que la Seine-Saint-Denis pourra elle aussi avoir son internat et faire émerger de nouvelles élites de ses quartiers en difficulté.

Pouvez-vous me confirmer que la volonté du Gouvernement est bien de multiplier les internats d'excellence ? Pouvez-vous faire le point sur la rentrée 2010 et nous préciser votre feuille de route pour l'utilisation du grand emprunt ?

M. Luc Chatel, ministre.  - Les internats d'excellence sont un modèle éducatif nouveau qui renoue avec l'école de la République. Ils sont une priorité du Gouvernement. Ils offrent une pédagogie personnalisée grâce au recrutement d'enseignants sur profil et d'assistants d'éducation qui interviennent notamment après la classe. L'objectif est d'ouvrir 20 000 places ; 200 millions d'euros ont été engagés à ce jour et onze nouveaux établissements ouvriront à la rentrée prochaine. Je suis prêt à travailler avec vous sur un projet en Seine-Saint-Denis pour la rentrée 2011.

Ce dispositif répond bien au souci d'assurer une meilleure égalité des chances ; il donne la possibilité à des élèves prometteurs et travailleurs, issus de milieux difficiles, de réussir leur parcours scolaire.

M. Christian Demuynck.  - Je me réjouis de la création prochaine d'un internat d'excellence dans mon département. (M. le ministre indique d'un sourire qu'il n'a rien dit d'aussi définitif) Ces internats sont à n'en pas douter un bon moyen d'aider les jeunes des quartiers difficiles à réussir.

M. Jean-Luc Fichet.  - Les carences de plus en plus criantes de l'enseignement public laïc nourrissent le développement du soutien scolaire privé et avec lui la ségrégation géographique et sociale. Il y a les parents qui peuvent l'offrir à leurs enfants et ceux dont les ressources permettent au mieux de vivre. On sait que les élèves qui reçoivent des cours payants accèdent plus facilement aux classes préparatoires, où 55 % des élèves sont des enfants de cadres et de professions libérales, et seulement 16 % des enfants d'ouvriers, d'inactifs ou d'employés.

Un crédit d'impôt a été instauré en 2007 pour les familles non imposables, une sorte de parallèle avec les 50 % de la rémunération brute d'un salarié à domicile qui peuvent être déduits de leurs impôts par les familles imposables. Le marché du soutien scolaire pouvant être estimé à 800 millions d'euros, cette dernière disposition en coûte donc 400 à l'État. Avec cette somme, on pourrait financer les postes d'enseignants qui font défaut dans l'enseignement public. Cette situation est injuste, inégalitaire et contraire aux fondements de notre République. Quelles mesures comptez-vous prendre pour permettre un juste accès de tous à un enseignement public de qualité, et mettre fin à l'abonnement des milieux ouvriers à l'échec scolaire ?

M. Luc Chatel, ministre.  - Vous avez cité des chiffres que j'ai moi-même évoqués dans un entretien récent. Si le soutien scolaire a toujours existé, je reconnais qu'il est passé en quelque sorte du stade artisanal au stade industriel. La meilleure réponse, c'est le soutien scolaire public, c'est l'école devenant son propre recours. Une aide personnalisée de deux heures par semaine, assurée par de vrais professeurs, a été instaurée dans le primaire ; de même qu'un accompagnement éducatif au collège pour les élèves qui y restent entre 16 heures et 18 heures. Un accompagnement personnalisé de deux heures par semaine sera mis en place dans les lycées à la rentrée prochaine, sur le temps scolaire, pour préparer les meilleurs à aller plus loin et aider les moins bons à rattraper leur retard. Vous le voyez, le système éducatif public apporte une réponse interne à cette question.

M. Jean-Luc Fichet.  - Je crois comme vous qu'il vaut mieux améliorer les conditions d'enseignement à l'intérieur de l'école que favoriser les démarches de soutien scolaire en dehors d'elle. Reste que le soutien interne est encore insuffisant, d'autant que s'il a lieu en dehors du temps scolaire, ce sont encore les plus défavorisés qui en seront exclus. Je me félicite des orientations que vous avez tracées ; nous verrons dans les mois et années à venir si elles réussissent à faire régresser le soutien privé.

M. Jean Louis Masson.  - Tout le monde est favorable à la démocratisation de l'enseignement supérieur. Mais l'origine sociale est un facteur de plus en plus discriminant, évolution à mettre en parallèle avec l'augmentation des frais d'inscription et du coût des études. Se contenter d'augmenter les bourses, c'est une plaisanterie ! Qui ne connaît une famille dont les revenus dépassent à peine le plafond et qui ne peut bénéficier d'une bourse ?

Le coût des études dans les écoles de commerce, 10 000 à 20 000 euros par an, est un scandale ; c'est d'ailleurs là que la ségrégation sociale est la plus criante. Je me souviens d'un temps où les études dans les grandes écoles scientifiques étaient gratuites -raison pour laquelle on les choisissait plutôt que celles de commerce. On assiste aujourd'hui à un véritable spectacle de Grand Guignol. Le responsable de Sciences-Po tient de grands discours sur sa volonté d'ouvrir son établissement aux jeunes des quartiers, mais il porte dans le même temps les frais d'inscriptions à 10 000 euros. C'est une honte !

M. Luc Chatel, ministre.  - Le sujet relève davantage de la compétence de Mme Pécresse. Mais je n'ai pas le sentiment qu'augmenter de 80 000 le nombre de boursiers puisse être considéré comme une plaisanterie. Le plafond de revenus a été porté de 27 000 à 32 000 euros et le montant des bourses augmenté en trois ans de 6,5 %, voire de 13 % pour les étudiants les plus défavorisés. Il y a certes encore des efforts à faire, notamment dans les écoles de commerce, où le nombre de boursiers n'est que de 20 %. Mme Pécresse a engagé un effort sans précédent, qui sera poursuivi.

M. Jean Louis Masson.  - La question n'est pas celle des bourses mais le niveau scandaleux des frais d'inscription ! Notre pays était exemplaire il y a trente ou quarante ans ! Les études coûtent aujourd'hui de plus en plus cher ! Il est honteux de cautionner les pratiques de Sciences-Po !

M. le président.  - Au nom du Sénat, je remercie M. le ministre de l'éducation de s'être prêté à cette séance de questions cribles.

Mission d'information sur la tempête Xynthia (Candidatures)

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la désignation des 25 membres de la mission commune d'information sur les conséquences de la tempête Xynthia.

En application de l'article 8, alinéas 3 à 11, de notre Règlement, les listes des candidats présentés par les groupes ont été affichées. Elles seront ratifiées si la Présidence ne reçoit pas d'opposition dans le délai d'une heure.

La séance est suspendue à 17 h 45.

présidence de Mme Monique Papon,vice-présidente

La séance reprend à 18 heures.

Débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle le débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance.

M. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois.  - Auditions et déplacements ont nourri la réflexion du groupe de travail de la commission des lois sur la vidéosurveillance. A ses débuts, dans les années 80, la vidéosurveillance a suscité de vifs débats : cette technologie ne menaçait-elle pas les libertés individuelles et collectives, la vie privée et la liberté d'aller et venir ? N'allait-on pas donner vie au fameux Big Brother ?

Ces craintes ont été largement apaisées, d'abord par la loi d'orientation et de programmation sur la sécurité de 1995, qui crée un régime d'autorisation préfectorale de la vidéosurveillance sur la voie publique et dans les lieux ouverts au public, tandis que la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) est compétente pour les lieux privés.

Le fonctionnement concret des systèmes de vidéosurveillance a également rassuré : aucune utilisation abusive ne semble avoir été constatée. La vidéosurveillance est aujourd'hui assez largement acceptée par nos concitoyens et mise en oeuvre par des élus locaux de tous bords.

Afin de la développer dans les espaces publics, l'État a prescrit des normes techniques minimales pour homogénéiser les systèmes et rendu possible le report des images vers les services de police et de gendarmerie. Ces ajustements législatifs ont été suivis d'un engagement financier et politique : lancement à l'été 2007 d'un plan national de développement de la vidéo-protection, avec l'objectif de passer de 20 à 60 000 caméras sur la voie publique en deux ans ; création d'une commission nationale de la vidéosurveillance en novembre 2007 ; mise en place d'un comité de pilotage stratégique.

Le Président de la République a accéléré en 2009 la mise en place du plan national de la vidéo-protection, avec notamment des systèmes types qui tirent les leçons d'échecs passés en prévoyant une densité de caméras significative, un centre de supervision urbain et son raccordement aux forces de l'ordre. Enfin, le plan « 1 000 caméras », issu d'une collaboration entre la préfecture de police et la mairie de Paris, prévoit 1 200 nouvelles caméras en sus des 300 déjà présentes.

Les caméras dans les espaces publics étaient environ 340 000 en 2007 ; ce nombre est aujourd'hui largement dépassé. La grande majorité sont installées dans des établissements privés recevant du public, le reste dans les transports et sur la voie publique.

Toutefois, le débat sur la conciliation de la vidéosurveillance avec les libertés individuelles n'est pas clos. Au contraire, il est relancé par l'avènement de systèmes plus performants, en attendant la vidéosurveillance dite « intelligente », capable de détecter dans une foule des mouvements ou des sons anormaux, et de la biométrie, en cours d'expérimentation. De même, les usages se diversifient : caméras embarquées sur les véhicules des forces de l'ordre, système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation... Face à ces évolutions, le Conseil constitutionnel a rappelé, dans sa décision du 25 février 2010, que le législateur ne pouvait créer de nouveaux usages en la matière sans prévoir les garanties nécessaires à la protection de la vie privée.

Le débat sur l'efficacité de la vidéosurveillance se poursuit également. L'expérience anglaise révèle les erreurs à ne pas commettre : phase de conception trop courte ; images de mauvaise qualité ;  policiers et gendarmes non formés à l'utilisation des images ; insuffisante exploitation des images à des fins d'investigation et comme preuve au procès pénal. Certaines collectivités visent déjà d'emblée la qualité, à l'instar de la communauté d'agglomération de la vallée de Montmorency.

Le cadre juridique de la vidéosurveillance ne permet plus de satisfaire à cette double exigence d'efficacité et de préservation des libertés publiques. Il existe des conflits de compétences entre la Cnil et les préfets selon le lieu et la technologie utilisée, le contrôle n'est pas homogène sur le territoire et les textes sont trop rigides, en particulier pour les petites communes.

C'est pourquoi je suggère un dispositif à trois niveaux -réflexion et conception, autorisation et enfin contrôle-, chacun impliquant une autorité différente. L'indispensable expertise sur les caractéristiques techniques et les bonnes pratiques ainsi que l'évaluation de la performance des technologies pourraient être assurées par une commission nationale de la vidéosurveillance renforcée, qui participerait notamment à l'actualisation des normes techniques. L'autorisation des systèmes de vidéosurveillance resterait une compétence de l'État via ses préfets.

Enfin, le contrôle des dispositifs de vidéosurveillance de la voie publique et des lieux ouverts au public pourrait être confié à la Cnil, suffisamment compétente et expérimentée pour être crédible et dont la notoriété inciterait peut-être à davantage signaler les abus. La commission est d'ailleurs déjà souvent saisie par des personnes qui ignorent que le contrôle de la vidéosurveillance varie selon les lieux et la technologie... Cette option préserverait également les deniers publics, la Cnil pouvant, lors d'une même opération, vérifier la licéité des traitements de données personnelles et contrôler la conformité des systèmes de vidéosurveillance.

Elle ferait parvenir un rapport au préfet et au responsable du système et pourrait demander au préfet la suspension d'un système non conforme à l'autorisation de création. Les maires pourraient solliciter directement la Cnil afin de faire valider leur système de vidéosurveillance. Celle-ci interviendrait alors dans un esprit de conseil et de prévention et non de répression.

En outre, la Cnil pourrait s'appuyer sur le réseau des correspondants informatiques et libertés au sein des entreprises et des collectivités locales, dont la proposition de loi Vie privée et mémoires numériques généralise la présence. Pourquoi charger une nouvelle instance de préserver les libertés publiques en matière de vidéosurveillance alors qu'une autorité administrative indépendante existante en a la capacité ?

Dans un souci de souplesse, notre rapport propose également que l'on puisse délimiter des zones vidéosurveillées, à l'intérieur desquelles le responsable du système pourra déplacer librement des caméras et en moduler le nombre : il n'est pas raisonnable que le moindre déplacement d'une caméra de quelques mètres oblige le maire à demander une nouvelle autorisation ! Dans ce domaine, le décret du 22 janvier 2009 représente une avancée, mais il faut aller plus loin.

Dans le même esprit, nous regrettons que la procédure d'autorisation soit aussi lourde pour installer quelques caméras dans une petite commune que pour mettre en place un réseau complet de vidéosurveillance dans une agglomération. Là encore, le décret du 22 janvier 2009 semble insuffisant.

Il serait également nécessaire qu'une souplesse accrue permette aux élus locaux d'assurer la sécurité lors de manifestations sportives ou d'autres rassemblements de grande ampleur : pourquoi ne pas autoriser une fois pour toutes l'installation de caméras sur un site défini, pour la durée de chacune des manifestations qui se succéderont ?

Contrepartie de cette souplesse accrue, les zones de vidéosurveillance devraient être plus clairement signalées. De même, un compte rendu du fonctionnement de la vidéosurveillance devrait figurer en annexe des comptes de la commune ou de l'EPCI, au même titre par exemple que la liste des délégataires de service public.

J'espère que ces quelques propositions alimenteront nos débats lorsque nous examinerons la Loppsi dans quelques semaines. (Applaudissements à droite et sur le banc des commissions)

M. Charles Gautier, au nom de la commission des lois.  - Ce débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance se tient à la demande de la commission, à la suite du rapport que j'avais présenté avec M. Courtois en décembre 2008.

Je profite de cette occasion pour saluer l'ouverture d'esprit dont notre président, M. Hyest, a toujours fait preuve à propos de la vidéosurveillance. En cet instant, je veux aussi remercier les membres de la commission, qui ont adopté ce rapport à l'unanimité, une particularité qui a son importance puisque les débats sur cette question opposaient passionnément, il y a quelques années, partisans et adversaires de ce dispositif. Nul n'écoutait alors les arguments des autres. La fin de cette opposition stérile donne au législateur l'opportunité d'examiner l'encadrement juridique de la vidéosurveillance.

Le groupe socialiste est particulièrement attaché aux garanties fondamentales, mais aussi aux instruments nouveaux permettant aux élus locaux de mieux assurer la sécurité de nos concitoyens. La vidéosurveillance peut en faire partie, sans constituer une solution miracle.

En effet, la prévention ne peut se limiter à la vidéosurveillance. C'est pourquoi je milite pour que le Fonds interministériel de prévention de la délinquance (FIPD) ne s'y limite pas. Je n'ai pas le temps de revenir en détail sur le sujet, mais j'ai souvent souligné le désengagement de l'État dans le financement des politiques de sécurité publique.

Revenons à notre rapport. Des dérives étant toujours possibles, il importe d'encadrer l'usage de la vidéosurveillance. Sans faire un inventaire à la Prévert de nos préconisations, je souhaite insister sur quelques points essentiels.

La plus importante de toutes, notre première recommandation consiste à confier à la Cnil le contrôle a priori et a posteriori, ces compétences nouvelles devant s'accompagner de moyens supplémentaires. Au demeurant, la création d'une autorité ad hoc serait encore plus coûteuse.

Notre deuxième recommandation est de ne pas filmer en catimini : il ne s'agit ni de voyeurisme, ni de flicage. Il est donc essentiel d'informer nos concitoyens, qui ne doivent pas être filmés à leur insu.

La troisième recommandation tend à empêcher toute délégation à des prestataires privés, afin que les autorités publiques conservent la maîtrise des systèmes et des données. Nous serons particulièrement vigilants sur ce point lorsque nous discuterons la Loppsi. En outre, nous demandons que les personnes chargées de visionner les images soient mieux formées et assermentées.

D'où notre quatrième recommandation, qui porte précisément sur la formation de ce personnel -afin qu'il puisse jouer un rôle plus central dans les politiques de sécurité- et sur la prestation de serment -afin de mieux garantir les droits des citoyens par un contrôle de la commission nationale de déontologie de la sécurité... ou de ce qu'il en subsistera.

Enfin, je voudrais insister sur la sixième recommandation, car l'usage raisonné de la vidéosurveillance doit faire primer la qualité des systèmes sur la quantité des caméras, une préoccupation qui s'est particulièrement imposée après notre visite à Londres, où de nombreuses images ne servent à rien, faute d'être exploitées.

Lorsqu'elle était ministre de l'intérieur, Mme Alliot-Marie a souvent insisté sur le rôle primordial de la vidéosurveillance dans la prévention de la délinquance. En 2007, elle avait annoncé le triplement des caméras en deux ans. L'Assemblée nationale a examiné il y a quelques mois le projet de Loppsi ; nous ignorons quand le Sénat en débattra. En septembre 2009, M. Fillon a présenté le plan national de prévention de la délinquance et d'aide aux victimes, qui accorde une place éminente à la vidéosurveillance. Or, notre rapport d'information, voté à l'unanimité de la commission, a démontré la complexité, mais surtout l'alarmante désuétude des règles de contrôle, obsolètes à l'heure où cet outil technique parvient à maturité en étant connecté avec des systèmes de reconnaissance faciale. Nos onze recommandations permettraient d'améliorer le contrôle et l'information du public, mais aussi l'efficacité des dispositifs. Je souhaite donc vivement connaître les intentions du Gouvernement quant à la nécessaire réforme de la législation applicable en ce domaine.

J'estime essentiel, tout comme sans doute mon collègue M. Courtois, que le Parlement ne fasse pas l'impasse sur ces questions en discutant la Loppsi. Il en va des libertés fondamentales de nos concitoyens ! (Applaudissements à gauche, au centre et sur le banc des commissions.)

M. Alex Türk.  - Technologie complexe de plus en plus souvent couplée avec d'autres moyens, la vidéosurveillance s'insère de plus en plus massivement dans notre cadre de vie.

Aujourd'hui, la Cnil peut assurer l'harmonisation a posteriori du contrôle, mais elle aurait besoin de moyens supplémentaires pour intervenir a priori avec l'indépendance et le professionnalisme qui la caractérisent. En matière de contrôle, la Cnil pourrait produire un rapport annuel spécifique et formuler des recommandations à l'intention du ministre de l'intérieur, des préfets et des maires.

J'insiste sur le distinguo entre la protection des libertés individuelles et l'analyse des performances dans la lutte contre la délinquance.

Tout comme les rapporteurs, j'estime déraisonnable de créer de toutes pièces une autorité de contrôle pour faire ce que la Cnil est aujourd'hui parfaitement à même de réussir.

Il ressort des sondages que 71 % des Français sont favorables à la vidéosurveillance et 79 % souhaitent qu'elle soit développée pour améliorer la sécurité collective, mais que les libertés individuelles soient garanties. Ce qui a été évoqué par les rapporteurs va dans le bon sens. (Applaudissements au centre ; MM. Jean-Patrick Courtois et Charles Gautier applaudissent également)

Mme Éliane Assassi.  - Il y a deux semaines à peine, cinq pompiers catalans ont été jetés en pâture aux téléspectateurs ; filmés faisant des achats dans un supermarché, ils ont été présentés comme des terroristes de l'ETA, membres du commando responsable d'une fusillade ayant couté la vie à un brigadier français. Édifiant exemple des méfaits de la vidéosurveillance. Celle-ci est liberticide. Elle porte atteinte à la présomption d'innocence comme à la liberté d'aller et venir ou au droit au respect de la vie privée. En outre, elle est inefficace. Cependant, comme le dénonçait en juillet dernier le Syndicat national de la magistrature, le Gouvernement refuse de reconnaître l'inefficacité de son arsenal répressif. Au contraire, il encourage l'installation de nouvelles caméras et l'objectif du plan de développement de la vidéosurveillance est un triplement du nombre de caméras -de 20 000 à 60 000- d'ici fin 2011. Aucune étude sérieuse n'a démontré l'apport de ces dispositifs. Au contraire, une récente étude anglaise a souligné leurs limites : pas d'effet dissuasif à long terme, 80 % des images inutilisables, à peine 3 % des affaires de vol élucidées grâce aux caméras à Londres. Un responsable de Scotland Yard a même conclu au « fiasco » d'une politique sécuritaire qui a coûté des millions de livres sterling. Quant à l'étude française qui paraît militer en faveur de la vidéosurveillance, de nombreux experts, notamment ceux de l'Institut national des hautes études de sécurité, en contestent la pertinence. Le ministre a fini par concéder que la délinquance avait cessé de baisser malgré l'augmentation croissante des sites surveillés. (M. le ministre murmure)

Malgré l'échec, malgré le danger, les Français semblent approuver la vidéosurveillance : 71 % des personnes interrogées s'y déclarent favorables, 65 % pensent que la multiplication des caméras sera efficace et dissuasive. Mais 79 % des sondés estiment également que les systèmes de vidéosurveillance doivent être placés sous le contrôle d'un organisme indépendant. Bref, si les Français sont soucieux de leur sécurité, ils le sont encore plus des garanties juridiques et ils ont bien raison.

Le Gouvernement entend tripler le nombre de caméras installées sur le territoire d'ici un an. Nous dénonçons quant à nous les lacunes de l'encadrement juridique -parfaitement mises en lumière par le rapport d'information Courtois-Gautier. Selon les lieux, publics ou privés, et selon les technologies utilisées, la vidéosurveillance relève soit du régime de la loi « informatique et liberté » de 1978, soit du régime de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité intérieure (Lopsi) de 1995 ; et l'autorité chargée du contrôle n'est pas la même dans les deux cas, Cnil pour les systèmes soumis à la loi de 1978, commissions départementales lorsqu'ils relèvent de la loi de 1995. Les citoyens ne savent plus vers qui se tourner et la Cnil reçoit nombre de plaintes et demandes pour lesquelles elle n'est pas compétente. Le respect des libertés fondamentales est-il bien assuré quand on ne sait pas qui est chargé de les garantir ?

Une autre faiblesse réside dans l'inadéquation des mécanismes de contrôle prévus par la loi de 1995. Celle-ci confie à des commissions départementales tant le contrôle des demandes d'installations nouvelles que celui des installations existantes. Or, les décisions ne sont pas harmonisées au niveau national et elles souffrent d'un défaut de publicité.

La troisième faiblesse tient enfin à l'obsolescence du régime juridique. Il est prévu, dans les prochaines années, d'équiper de systèmes mobiles les véhicules et les agents de la police et de la gendarmerie. Or, le régime actuel de la vidéosurveillance ne prévoit aucune information du public à ce sujet. L'encadrement juridique doit être revu. Mais rien ne nous a été proposé pour l'instant.

La proposition de loi renforçant la lutte contre les violences de groupe et la protection des personnes chargées d'une mission de service public autorisait la transmission à la police et la gendarmerie nationales et à la police municipale des images captées au sein d'immeubles d'habitation. Attentatoires aux libertés, ces dispositions ont heureusement été censurées par le Conseil constitutionnel en février dernier. Mais les orientations retenues dans la Loppsi II ne nous rendent pas optimistes. Le Gouvernement « réaffirme sa volonté de favoriser le développement massif de la vidéosurveillance comme outil de lutte contre la délinquance », au détriment du tissu associatif et des actions éducatives ou médico-sociales. La réforme vise à accroître encore la surveillance visuelle des espaces publics, en la déléguant aux personnes privées, en dépit des dangers soulignés par le rapport d'information de 2008. Le syndicat de la magistrature a dénoncé un système dans lequel « les citoyens, déjà étroitement cernés par les caméras déployées à grand frais par la puissance publique, verront leurs faits et gestes épiés par des sociétés privées, au nom de la protection ».

Le projet n'apporte pas non plus de clarification juridique et ne confie pas le contrôle à une autorité réellement indépendante ; la concurrence des régimes de 1978 et de 1995 perdure ; et la commission nationale de « vidéo-protection » est directement rattachée au ministre de l'intérieur, qui deviendra juge et partie. L'attribution de la mission de contrôle à la Cnil, que préconisait le rapport d'information et que la Commission nationale informatique et liberté réclamait a été écartée.

En dernier lieu, le projet reste silencieux sur les nouvelles technologies comme la vidéo-intelligence et la biométrie, le croisement des méthodes de surveillance et des données collectées. Pourtant l'atteinte potentielle aux libertés est évidente ! La Cnil en février dernier réitérait son souhait que le régime juridique de la vidéosurveillance soit revu et harmonisé de façon à assurer un contrôle véritablement indépendant, placé sous son égide. Nous partageons ce souhait. (M. Jean-Patrick Courtois applaudit)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - La vidéosurveillance n'est pas véritablement nouvelle : en 1942, l'Allemagne hitlérienne la mit au point pour observer le lancement de ses fusées V-2. Mais la généralisation ne peut qu'attirer l'attention du législateur, placé sous le feu croisé des partisans, qui voient en ce système la panacée universelle, et des détracteurs qui déplorent, parfois à juste titre, l'inefficacité, le coût et le préjudice causé aux individus.

Cette question est l'une des plus complexes : évitons les partis pris et cherchons à comprendre comment, en une trentaine d'années, on est passé de la protection de certains lieux très spécifiques, magasins de haute joaillerie ou grands musées, à la surveillance de lieux publics entiers, ce que George Orwell avait pressenti dés 1948, dans1984. Personne ou presque ne prit garde à cette description de la vidéosurveillance installée dans chaque maison et donnant à un État totalitaire le contrôle sur les esprits.

La France, contrairement à d'autres pays, a réglementairement défini la vidéosurveillance en 1995 ; aujourd'hui, l'État ne se contente plus d'instruire les demandes d'installation, il encourage l'équipement en caméras par l'octroi d'aides du Fonds interministériel de prévention de la délinquance. A la fin de l'année 2007, le nombre de caméras autorisées sur la voie publique était estimé à 340 000 et l'intention est de parvenir à un million d'ici peu. C'est beaucoup - et c'est beaucoup trop si ce n'est pas utile. Le décret du 22 janvier 2009 tend à faciliter cet essor : le Gouvernement a choisi d'accélérer le mouvement, sans savoir si cela sert à quelque chose.

Il s'agit, en principe, de prévenir la criminalité. Mais en Grande-Bretagne, où la vidéosurveillance est très développée, on s'est très vite heurté au manque de personnel pour analyser les informations. Il en est résulté d'importants surcoûts et Scotland Yard a fini par estimer qu'il y avait là un « utter fiasco », un échec complet ! Ainsi, alors que ce pays a investi des sommes fabuleuses pour s'équiper du plus vaste système de surveillance d'Europe, seuls 3 % des délits sont résolus à l'aide des caméras de surveillance !

Cela devrait nous inciter à davantage de prudence. La vidéosurveillance est utile si elle joue un rôle dans la lutte contre la criminalité, non si elle sert d'alibi destiné à rassurer la population. Londres est la capitale la mieux pourvue en caméras de surveillance, mais elle n'est pas la plus sûre au monde. Si cet outil se révèle très efficace durant les phases d'enquête et notamment dans les lieux clos, tels les parkings, il l'est moins pour identifier les délinquants, comme les voleurs à la tire ou les violeurs en série, qui opèrent sur de vastes territoires. Au reste, il existe en France un seul rapport sur l'efficacité de la vidéoprotection, réalisé par l'Intérieur, ce qui est insuffisant... Ensuite, parlons du coût : 15 000 euros par caméra et l'embauche de 30 000 personnes pour visionner en permanence les 40 000 caméras qui seraient installées fin 2011. Pour réduire cette dépense de personnel, le gouvernement britannique a proposé, en octobre 2009, aux citoyens de visionner chez eux les images et de décerner une prime au meilleur d'entre eux. Ce projet voyeuriste, qui a fait l'objet de nombreuses critiques, montre, s'il en était besoin, la nécessité de poser la question de l'éthique en matière de vidéosurveillance que l'association « Souriez, vous êtes filmés » soulève à juste titre en insistant sur la protection de la vie privée et le renforcement des recours en cas de difficulté. Le projet Loppsi, transmis au Sénat en février dernier, vise, d'une part, à étendre les cas d'autorisation de vidéosurveillance par des personnes privées filmant les abords de leurs bâtiments et, d'autre part, à doter la commission nationale de vidéosurveillance d'une mission nationale de contrôle. Si la dualité des régimes juridiques et des organes de contrôle constitue une difficulté majeure pour les utilisateurs de vidéosurveillance et les citoyens, la Cnil reste, à mes yeux, la plus compétente en ce domaine.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.  - Ah ! Enfin, une observation positive !

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Reste une question, certes plus générale : la vidéosurveillance va-t-elle nous transformer en des acteurs prisonniers d'un gigantesque « loft story », dont les moindres faits et gestes, déplacements et conversations seront épiés par des milliers de surveillants invisibles ?

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission.  - C'est de M6 dont il faut se méfier !

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Le groupe RDSE entend rester particulièrement vigilant face au développement anarchique de la vidéosurveillance ainsi qu'à l'assouplissement injustifié de son cadre juridique ! (Applaudissements à gauche et sur les bancs RDSE)

M. Jean-Paul Fournier.  - Ce débat est plus que jamais d'actualité : les récentes élections ont fait ressortir un besoin de sécurité et le projet Loppsi consacre une section entière à la vidéoprotection. Par parenthèse, ce dernier terme réaffirme utilement le but de cet outil -protéger les citoyens et les biens-, la surveillance n'étant qu'un moyen d'y parvenir.

Tout d'abord, l'encadrement juridique actuel est-il adapté à la généralisation de la vidéoprotection dans les lieux publics ? Depuis 1995, le régime d'autorisation préfectorale après avis de la commission départementale reste la règle. Pour les élus, soumis aux pressions directes des victimes et des administrés en proie à un fort sentiment d'insécurité, il importe que le délai de consultation de la commission -trois mois maximum, plus un mois- soit respecté. En cas d'engorgement dans le traitement des demandes, il devra revenir aux préfets d'augmenter la périodicité des réunions de la commission. Parce que la lutte contre la délinquance est un combat de longue haleine, qui exige de la réactivité au niveau local, il faut gagner en souplesse. Le Conseil constitutionnel ayant imposé en 1994 un régime d'autorisation expresse, la solution serait de recourir davantage à la demande d'autorisation de périmètre vidéo-protégé prévue par le décret du 22 janvier 2009 -la notion de périmètre mérite d'ailleurs d'être approfondie. Enfin, le Gouvernement a accordé aux préfets un droit de prescription en 2006 concernant la vidéo-protection pour des motifs de défense nationale ou encore dans les transports collectifs, droit que les députés ont récemment étendu aux caméras urbaines lors de l'examen du projet initial de Loppsi. Malgré les intentions louables du Gouvernement, le libre arbitre de l'élu doit demeurer. Je ne doute pas un instant que notre assemblée y veillera.

Ensuite, l'encadrement juridique permet-il une utilisation optimale des sources vidéo par les forces de l'ordre ? D'après le rapport de l'Institut national des hautes études de sécurité, l'efficacité de la vidéo-protection tient tout d'abord à la qualité des images. La norme de très haute qualité fixée dans la loi de 2006 devra donc être actualisée au gré des évolutions technologiques. Ensuite, une bonne image est inutile si personne n'est capable de la traiter. Le traitement des images relève de l'État. Or l'intérêt de celui-ci pour la vidéo-protection est récent. Depuis 2007, il a rattrapé son retard avec la création du Fonds de prévention de la délinquance et sa contribution financière au raccordement des gendarmeries et commissariats aux centres de supervision urbains. Il serait souhaitable de formaliser l'utilisation de la vidéo-protection dans les contrats locaux de sécurité et de rendre obligatoire une disposition prévoyant l'accès des policiers et des gendarmes aux images et enregistrements dans l'arrêté d'autorisation. Peut-être serait-il également opportun de créer une classification judiciaire spéciale pour les agents opérateurs des centres de supervision urbains, affectés à une tâche de repérage et de sélection des images. Ma ville, Nîmes, en compte deux. Enfin, la réglementation doit accompagner la diversité d'utilisation de la vidéo-protection. En matière de contravention routière, la vidéo est utile pour les contraventions à la volée. En revanche, la procédure de verbalisation demeure trop lourde -convocation du contrevenant, transmission au parquet. Ne pourrait-on pas calquer ces procédures sur celles utilisée pour les radars automatiques ?

Dernière question : l'encadrement juridique actuel prévient-il efficacement les atteintes à la vie privée ? Le sérieux de la procédure d'autorisation plaide pour son maintien : peu de plaintes et, de surcroît, sans gravité. Pour autant, l'évolution des technologies doit conduire à une évolution des organes de contrôle. La compétence de la Cnil, avait observé le rapport d'information de 2008, pourrait être étendue à la vidéo intelligente, voire biométrique. Certes, nous n'ignorons pas les récents commentaires du Conseil constitutionnel sur la loi de 1978 et votre souhait, monsieur le ministre, d'attribuer la compétence de contrôle a posteriori à la commission nationale de vidéosurveillance. Pourquoi créer, à l'heure de la RGPP, un organisme supplémentaire quand la Cnil est compétente ? La troisième voie ne consisterait-elle pas à rattacher la commission nationale de vidéosurveillance au Défenseur des droits ? Quoi qu'il en soit, maintenons une séparation entre l'autorisation et le contrôle. En bref, si la réglementation actuelle ne présente pas de défauts substantiels quant au respect de la vie privé, il faudra néanmoins l'adapter pour tenir compte de l'évolution des techniques et de la généralisation de la vidéo-protection dans la sphère publique. (Applaudissements sur les bancs UMP)

Mme Virginie Klès.  - Je ne suis pas venue vous dire mon opposition viscérale et définitive à la vidéosurveillance mais mon refus des dogmes et du laxisme, au nom de l'amélioration de la sécurité publique et du parler vrai. Je suis venue vous dire quelques vérités pour moi et mes collègues, vous poser quelques questions et affirmer, devant vous, quelques principes démocratiques.

Pour parler vrai, la première chose est de ne pas confondre et de ne pas entretenir de confusion entre la sécurité ou l'insécurité et le sentiment de sécurité ou d'insécurité.

Deux de mes amies, ayant un jour emprunté le métro new yorkais, me dirent qu'elles avaient éprouvé un fort sentiment d'insécurité, sans qu'elles eussent pourtant été agressées. Un autre de mes amis, le même jour de la semaine et à la même heure, s'y était senti en parfaite sécurité. Certes, un exemple ne suffit pas. Mais on peut aussi se référer aux enquêtes qui montrent que les femmes se sentent plus en insécurité que les hommes dans l'espace public alors qu'elles y sont moins souvent agressées et sont plus exposées dans l'espace privé. Peut-être des caméras calmeront-elles le sentiment d'insécurité, mais cela ne signifie pas qu'elles feront disparaître l'insécurité réelle.

Au terme « vidéosurveillance », on préfère désormais « vidéoprotection ». Appelons les choses par leur nom ! Une caméra n'a jamais protégé personne ! Elle sert à surveiller, dans le but éventuel de protéger, de prévenir et d'élucider. Ne confondons pas la fin et le moyen ! Donnera-t-on un nom différent aux caméras selon qu'elles servent à contrôler la fluidité du trafic routier -il ferait beau voir que l'on parlât alors de « vidéoprotection !-, à surveiller les abords d'un bâtiment public ou à filmer une manifestation qui s'en approche ? Les citoyens ont le droit d'être informés. La commission a unanimement souhaité qu'ils soient avertis des possibles atteintes à la vie privée sur internet ; ce qui vaut pour internet vaut aussi pour la vidéosurveillance. Les gens doivent comprendre ce qui se dissimule derrière les mots et les technologies. Internet n'est pas le minitel. De la même façon, l'apparition du numérique a révolutionné l'usage de la vidéosurveillance : il est désormais possible d'identifier les personnes filmées en croisant les images avec des fichiers comprenant des données biométriques ou des dispositifs de géolocalisation. Les citoyens ne sont pas des moutons à qui la peur ferait accepter n'importe quoi, mais des adultes responsables ! Il faut qu'ils puissent mesurer les atteintes à la vie privée permises par la vidéosurveillance, et les mettre en balance avec ses bénéfices éventuels en termes de sécurité. Comme les rapporteurs, je réclame qu'une information visible soit délivrée sur l'implantation des caméras.

Qui exploitera les images, muni de quelle formation ? La police municipale, la police nationale, ou la gendarmerie ? Faudra-t-il un officier de police judiciaire derrière chaque caméra ? C'est peut-être l'occasion de créer un nouveau métier, fondé sur une solide formation éthique et auquel seraient assignés des objectifs clairs et affichés. Qui décidera s'il est licite de détourner l'usage d'une caméra installée aux abords d'un bâtiment public pour surveiller une manifestation, voire de zoomer sur un individu dont le comportement amuse, intrigue ou inquiète ? Qui déterminera la durée de conservation des données, et qui, le cas échéant, sera chargé de les détruire ? Qui contrôlera l'accès aux images ?

Comme l'ont dit les rapporteurs, la Cnil est une autorité administrative indépendante dotée des compétences, de l'expérience et des moyens nécessaires pour contrôler l'usage de la vidéosurveillance. Renforçons sa légitimité en lui donnant accès aux rapports, en lui donnant un véritable pouvoir de contrôle, en faisant en sorte que chaque citoyen puisse la saisir, en requérant son avis conforme et non plus consultatif sur l'installation de nouveaux appareils, en lien avec les préfets.

Que M. le ministre me permette d'exprimer des doutes sur les objectifs chiffrés qu'il a avancés. Il entend multiplier par trois le nombre de caméras. Pourquoi trois ? Pourquoi pas deux, quatre ou deux et demi ? Où installera-t-on les nouveaux appareils ? Dans les grandes villes, les petites, ou au bord des routes de campagnes, tout aussi dangereuses parfois ? Que fera-t-on des images ? Pourquoi n'avoir prévu de crédits budgétaires que pour le matériel et non pour les moyens humains indispensables pour l'exploiter ? En Angleterre, où sont installées un grand nombre de caméras, 80 % des images enregistrées demeurent inexploitées par les services publics. Pourquoi affecter plus de la moitié du Fonds interministériel de prévention de la délinquance aux nouvelles caméras, alors que plusieurs études montrent qu'elles ne sont efficaces qu'au prix d'une longue étude préalable ? Pourquoi se priver de travailleurs sociaux dans les gendarmeries pour accueillir les femmes victimes de violences ? Sans se donner le temps de répondre à toutes ces questions, le Gouvernement veut nous faire signer un bon de commande. Dans ma commune de 6 000 habitants, j'ai déjà reçu plusieurs propositions de fabricants. Cède-t-on au lobbying des industriels ou à la fascination pour un nouvel outil technologique ?

L'extension de la vidéosurveillance risque d'être au mieux inefficace, au pis dangereuse. On aura peut-être recours pour traiter les images à des sociétés privées, les mêmes qui vendent le matériel : cela reviendrait à déléguer au secteur privé le soin de la sécurité publique. On prépare ainsi l'avènement de la société de « Big Brother » ou plutôt de petits « big brothers », comme disait une personnalité dont je tairai le nom mais qui n'est pas de gauche...

M. Jean-Patrick Courtois, au nom de la commission des lois.  - Vous nous le direz. (Sourires)

Mme Virginie Klès.  - Moi qui suis attachée à la prévention et à la répression de la délinquance, je suis inquiète de cette évolution. On veut faire passer la vidéosurveillance pour une panacée, au détriment des moyens humains indispensables pour assurer la sécurité de tous sur l'ensemble du territoire. (Applaudissements à gauche et sur les bancs du RDSE ; M. Charles Gautier, au nom de la commission des lois, aussi)

M. Jean-Paul Alduy.  - Je souscris pleinement aux onze recommandations de l'excellent rapport de MM. Courtois et Gautier, qui devraient permettre de dépassionner le débat. Les évolutions technologiques nous obligent à revoir notre réglementation pour y apporter plus de souplesse tout en garantissant les libertés individuelles. D'autres l'ont dit avant moi : plutôt que de multiplier les institutions, il vaudrait mieux s'appuyer sur l'autorité et les compétences de la Cnil et la charger d'autoriser l'installation de caméras de vidéosurveillance et d'en contrôler l'usage.

Si on se limitait à la partie contrôle, on perdrait toute l'information sur la genèse de ces projets. C'est en ayant à la fois l'autorisation et le contrôle qu'une jurisprudence pourra petit à petit s'élaborer et que nous pourrons mieux maîtriser ces technologies.

Aujourd'hui, le débat s'est déplacé : il n'est plus temps d'avoir peur de l'impact de ces technologies sur les libertés individuelles mais de s'inquiéter de leur efficacité même.

En me fondant sur mon expérience à Perpignan, j'ai compris que la vidéosurveillance ne servait pas seulement à prévenir la délinquance mais qu'elle permettait aussi de déceler tous les incidents qui se déroulent sur l'espace public. Dans ma ville, elle a permis de sauver des vies ! Les émeutes de Perpignan ont été déclenchées par un assassinat qu'on a qualifié de raciste alors qu'il était dû à la jalousie. Certes, il y avait une caméra sur la scène du crime mais elle n'avait pas obtenu l'autorisation de fonctionner. Les autorisations d'installation de caméras de vidéosurveillance devront donc être plus rapides et plus souples. Les collectivités locales devront présenter de vrais plans pour prévenir et lutter contre la délinquance et ne pas se contenter de prévoir l'installation de caméras. Une fois que ce plan aura été validé par la Cnil, la souplesse devra l'emporter. L'idée de zones de vidéosurveillance me séduit car pour lutter efficacement contre le deal, il faut pouvoir déplacer les caméras. L'encadrement juridique devra donc être souple.

L'efficacité de la vidéosurveillance dépend aussi de la bonne coordination entre les différents acteurs, notamment entre la police municipale et nationale. Le parquet devra également jouer le jeu : les comparutions immédiates devront se développer, y compris pour les mineurs.

J'en viens au coût de ces dispositifs. La vidéo-protection ne limitera pas le nombre de policiers : au contraire, il faudra des moyens supplémentaires pour intervenir le plus rapidement possible. Les coûts d'investissement, mais aussi de fonctionnement, sont importants : pour une ville de 120 000 personnes, il a fallu mettre quinze personnes devant les écrans et prévoir un budget de 450 000 euros par an. Nous devrons donc raisonner en coûts partagés entre l'État et les collectivités locales.

L'encadrement juridique est donc un problème parmi d'autres. La vraie question qui se pose est celle des résultats.

La vidéo-protection est non seulement acceptée mais réclamée par nos concitoyens. Il ne faut pas les décevoir. Certes, il faut améliorer l'encadrement juridique qui date de 1995, mais aussi mieux informer nos administrés, renforcer la coordination entre les différents acteurs et accroître les financements.

Une recommandation de nos rapporteurs est essentielle : il ne faut pas déléguer la vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées et permettre aux autorités publiques de vendre des prestations de vidéosurveillance de la voie publique à des personnes privées. Si l'on veut que les pouvoirs publics gardent la maîtrise de l'évolution de ces technologies au service de la sécurité de nos concitoyens, il ne faudra en effet pas dépasser cette ligne blanche. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Louis Nègre.  - Comme M. Alduy, je parlerai de mon expérience de maire. C'est avec plaisir que je prends part à ce débat sur l'encadrement juridique de la vidéosurveillance qui permet de façon moderne, pragmatique et pacifiée de lutter efficacement contre certains agissements contraires à la loi. Je félicite tout particulièrement nos rapporteurs pour la qualité de leur travail.

Il faut regarder la réalité en face : la vidéo-protection est réclamée par les Français. Dans un récent sondage, 81 % d'entre eux estimaient que l'installation de caméras peut améliorer la sécurité. S'ils la demandent, c'est qu'ils savent qu'elle est efficace. Selon le rapport de l'Inspection générale de l'administration, de juillet 2009, les crimes et délits chutent, en effet, deux fois plus vite dans les villes équipées que dans celles où aucun dispositif n'est installé.

Les principales constatations concernant les villes équipées de vidéo-protection sont les suivantes : la vidéo-protection n'est pas une fin en soi et elle n'a un véritable impact répressif et dissuasif que si une sanction pénale est prononcée par une juridiction. De plus, la délinquance a baissé en moyenne plus fortement dans des communes équipées de vidéo-protection que dans celles qui n'en disposent pas. En quatrième lieu, le taux d'élucidation global ne progresse significativement que dans les villes où une forte densité de caméras a été installée. La localisation des caméras, la qualité des images et des enregistrements sont déterminantes pour une utilisation à des fins d'enquête judiciaire. Aujourd'hui, un peu plus de 350 000 caméras ont été autorisées. Or, à peine 20 000 sont installées sur la voie publique. Je me félicite que le Gouvernement prévoie d'en tripler le nombre d'ici 2011.

Grâce à la création du Fonds interministériel de prévention de la délinquance par la loi du 5 mars 2007, l'État a aidé les communes à hauteur de 42 millions et financé 1 200 projets. Il contribue à environ 40 % des dépenses d'investissement nécessaires à l'installation de caméras de vidéo-protection.

Dans le département des Alpes-Maritimes, Christian Estrosi, maire de Nice, a mis l'accent sur la sécurité des personnes en développant un système de vidéo-protection performant qui a rapidement montré tout son intérêt. A Cagnes-sur-Mer, ville dont je suis maire, l'arrêté préfectoral du 8 juillet 2008 a autorisé la commune à installer 42 caméras vidéo et un centre de supervision urbain. Ce centre fonctionne 24 heures sur 24 toute l'année et 30 caméras fonctionnent. J'ai récemment signé une convention avec le président du conseil général afin que les caméras installées en protection des collèges par le département puissent être reliées au centre de supervision urbain qui prend le relais après la fermeture des établissements. Cette coordination des pouvoirs publics renforce à l'évidence l'efficacité du système.

De même, ce centre regroupe l'ensemble des images et concourt à la sécurité publique. D'ailleurs, les forces de police et de gendarmerie y ont régulièrement recours : en 2009, elles nous ont ainsi adressé 43 réquisitions. J'ai entendu dire ici que cette technologie était liberticide, inefficace et n'avait aucun effet dissuasif. C'est faux ! Le centre de supervision urbain de Cagnes a permis l'interpellation en flagrant délit des auteurs de différentes infractions graves : trafic de stupéfiants, agressions sexuelles, vols à main armée et vols à la portière. Je ne puis donc qu'être favorable au développement maîtrisé de ces systèmes.

La pertinence de la vidéo-protection est telle que le conseil municipal a approuvé hier un projet complémentaire d'extension du dispositif. En accord avec la police nationale, 34 caméras supplémentaires seront implantées sur des sites qui ont fait l'objet d'une étude approfondie.

J'en viens aux recommandations du rapport. J'approuve entièrement les recommandations 2 et 3 mais je ne suis pas favorable à la réunion sous la seule autorité de la Cnil, organisme un peu lointain et un peu parisien, des compétences d'autorisation et de contrôle telle que proposée par la recommandation 1. Il serait bon que ces compétences fussent partagées avec les préfets, qui sont en prise directe avec les spécificités locales. Je suis d'accord avec la recommandation 4 mais le contrôle des opérateurs de surveillance me semble aller trop loin, eu égard à la qualité de personnels assermentés. J'approuve les recommandations 5 et 6, la coordination des systèmes vidéo au sein des bassins de vie est nécessaire ; mais je suis très réservé sur le transfert automatique de cette coordination aux EPCI. Les recommandations 7, 8 et 9 sont de bon sens.

La vidéo-protection n'est pas la panacée mais un outil supplémentaire qui a montré son efficacité. Je suis d'avis, comme les rapporteurs, qu'il faut faire évoluer son encadrement juridique, avec les réserves que je viens d'exprimer.

M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales.  - Ce débat anticipe en quelque sorte sur l'examen des articles relatifs à la vidéo-protection du projet Loppsi dont la commission des lois sera prochainement saisie. Je salue le travail approfondi des rapporteurs.

La vidéo-protection est au coeur de la politique de sécurité voulue par le Président de la République ; c'est un outil de prévention, de dissuasion, d'élucidation des crimes et des délits, en un mot, madame Klès, un outil protecteur. La France compte aujourd'hui 400 000 caméras autorisées, dont 320 000 dans les lieux ouverts au public, 60 000 dans les transports et seulement 20 000 sur la voie publique. Le Président de la République et le Gouvernement ont décidé de tripler ce dernier chiffre d'ici 2011. Parallèlement, l'équipement des établissements scolaires les plus sensibles, de certains moyens de transport et des parties communes des immeubles collectifs sera amplifié.

Non, madame Assassi, j'en conviens, la vidéo-protection n'est pas la panacée mais un moyen de lutter contre la délinquance ; selon une enquête d'août 2009, 81 % de nos concitoyens la plébiscitent et s'ils le font, c'est qu'ils ont compris qu'elle était efficace. Un rapport de l'Inspection générale de l'administration, de juillet 2009, montre que les crimes et délits chutent deux fois plus vite dans les villes équipées que dans les autres. Les expériences novatrices de Cagnes-sur-Mer et de Perpignan l'illustrent. Il est d'ailleurs réconfortant de constater que de nombreux détracteurs de la vidéo-protection ont changé d'avis avec le temps. Les élus locaux sont heureux que l'État soutiennent financièrement jusqu'à 50 % de leurs investissements en la matière. Entre 2007 et 2009, le Gouvernement a soutenu 1 169 projets pour un montant de 42 millions d'euros. Je dispose cette année de 30 millions d'euros, contre 12 en 2008 et 17 en 2009 ; 14 millions ont déjà été engagés pour l'installation de 3 500 caméras. M. Jean-Paul Alduy aura compris qu'aller jusqu'à une participation au fonctionnement n'est guère possible en cette période de difficultés budgétaires. Bien essayé, cependant... (Sourires)

Je suis comme vous tous attaché à la préservation des libertés individuelles ; il n'est pas question d'étendre la vidéo-protection à n'importe quel prix. L'efficacité doit aller de pair avec la protection légitime de nos compatriotes contre les abus. Des améliorations sont possibles, qui ne doivent cependant pas en freiner le développement. Aux yeux du Gouvernement, le régime de la loi de 1995, tel que complété par celle de janvier 2006, assure une protection effective des libertés individuelles, ce que démontrent à la fois la forte progression des autorisations délivrées par les préfets -4 600 en 1999, 13 240 en 2010- et le très faible nombre de plaintes et de recours auxquels ces autorisations ont donné lieu : seulement dix-neuf plaintes et deux recours en 2009.

Je ferai, pour conclure, deux commentaires. Le volume des dossiers de demandes d'autorisation ne pourrait être traité par une instance nationale, quelle qu'elle soit, dans des délais raisonnables. M. Alex Türk ne me démentira pas. L'embolie qui en résulterait hypothéquerait inévitablement le déploiement de caméras sur la voie publique. J'ajoute que tout système qui verrait une partie seulement des dossiers traités au niveau national pourrait ne pas être conforme à la Constitution au regard du principe d'égalité.

Le dispositif d'autorisation départementale actuellement en vigueur me paraît suffisamment protecteur des libertés individuelles. Le préfet doit consulter une commission présidée par un magistrat du siège et ses décisions sont soumises aux voies de recours habituelles. Il n'y a pas lieu de modifier en profondeur le dispositif. J'ai d'ailleurs demandé aux préfets -je veux rassurer M. Jean-Paul Fournier- de réunir la commission départementale autant que nécessaire pour réduire les files d'attente. Le dispositif de contrôle a posteriori mérite en revanche d'être adapté. Alors que plus de 100 000 systèmes ont été installés depuis 1995, alors que de nouvelles caméras le sont chaque jour, on n'a compté que 483 contrôles en 2007, niveau auquel on est revenu en 2009, et 2 863 en 2008 -dont 2 166 pour le seul département des Hauts-de-Seine.

La coexistence de 100 commissions départementales impose une harmonisation des pratiques et la mise en ordre de la doctrine juridique.

Comme le proposait le Gouvernement, l'Assemblée nationale a donné un statut législatif à la commission nationale de la vidéo-protection, qui se caractérisera par une composition large, comprenant des parlementaires, une saisine ouverte, des pouvoirs de contrôle renforcés, de réelles prérogatives pour assurer la cohérence de l'action des préfets et des commissions départementales. Elle assurera, selon les termes de M. Courtois, le développement de l'expertise sur les caractéristiques techniques et sur les bonnes pratiques et l'évaluation de la performance des technologies existantes et à venir. Pas question de créer une nouvelle autorité administrative indépendante et de nouvelles dépenses : la commission nationale s'appuiera sur les services et les inspections du ministère de l'intérieur.

Le Sénat souhaite étudier d'autres pistes de travail ; je suis attentif à ses propositions. Nous ne partons pas de rien : l'Assemblée nationale a longuement délibéré sur les articles 17 et 18 du projet de Loppsi. Nul doute que les deux chambres trouveront un accord dans le cadre de la navette.

Certains d'entre vous souhaiteraient confier le pouvoir d'autorisation et le contrôle de la vidéo-protection à la Cnil, à laquelle la loi du 6 janvier 1978 ne confie pas de compétences en la matière. Dans le commentaire sur sa décision du 25 février 2010 sur la vidéo-protection dans les parties communes des immeubles, le Conseil constitutionnel confirme que « ne s'y applique pas non plus de manière automatique la loi du 6 janvier 1978, dans la mesure où des traitements automatisés de données à caractère personnel n'y sont pas systématiquement mis en oeuvre ». Cette hypothèse est néanmoins prévue par la loi du 21 janvier 1995 pour la vidéo « intelligente », quand les images font appel à des éléments biométriques et sont couplées à des données à caractère personnel. On risquerait par ailleurs d'encombrer la Cnil. Si la proposition de M. Courtois ne choque pas le président Türk, vous avez tout de même rappelé la pertinence du dispositif actuel qui charge le préfet de département d'autoriser les systèmes de vidéo-protection.

Les dispositions du projet de Loppsi adoptées par l'Assemblée nationale visent toutes à renforcer l'efficacité de la vidéo-protection. Celle-ci est efficace si elle est déployée à bon escient, si le visionnage est effectif et les prises de vue de qualité, et si les images enregistrées peuvent être facilement exploitées par la police et la gendarmerie à des fins d'investigation.

Pour y parvenir, il est nécessaire, dans les communes les plus importantes, de réunir les images dans des centres de supervision raccordés à la police ou la gendarmerie. Le projet de Loppsi permet de mutualiser le visionnage d'images provenant de plusieurs personnes morales dans un même centre de supervision urbain, ce qui présente un gain de frais de fonctionnement et de raccordement. Plus de 200 raccordements ont été effectués depuis 2007, subventionnés par l'État, parfois jusqu'à 100 %.

La Loppsi permet également aux personnes morales de recueillir des images et de les faire visionner par des opérateurs publics ou privés. Des personnes privées ne peuvent en aucun cas avoir accès aux enregistrements, réservés à l'exercice de la police judiciaire ; elles peuvent seulement visionner les images, c'est-à-dire être conduites à signaler une infraction. Des conditions d'agrément préalable sont prévues.

M. Alduy a évoqué les coûts de fonctionnement induits pour les communes par l'exploitation de systèmes de vidéo-protection. La mutualisation des moyens contribuera à les réduire, à l'intérieur d'une commune ou au plan intercommunal, comme le permet la loi du 5 mars 2007.

Pour tirer les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel relative à la vidéo-protection dans les parties communes, nous préciserons que le transfert d'images vers un centre de supervision urbain ou vers le commissariat ne pourra intervenir tant qu'une convention n'aura pas été conclue avec le préfet ou, le cas échéant, le maire. La commission départementale donnera un avis préalable au préfet qui pourra renforcer les dispositions de la convention.

L'efficacité de la vidéo-protection exige un continuum des images dans l'espace. Le projet de Loppsi autorise les personnes privées à visionner les abords de leurs bâtiments, et non plus seulement les abords immédiats, pour assurer une meilleure liaison avec les systèmes municipaux de voie publique.

MM. Courtois et Fournier demandent une simplification des procédures d'autorisation. Je vous ferai des propositions dans le cadre des travaux de votre commission des lois sur le projet de Loppsi. J'ai demandé à mes services d'examiner la faisabilité de vos suggestions, au regard notamment de la jurisprudence constitutionnelle. Seule la proposition concernant le contenu du dossier de renouvellement d'autorisation me paraît difficile à satisfaire : le préfet et la commission départementale doivent pouvoir examiner le dossier au regard des changements qui auront pu intervenir depuis la première autorisation.

Le pouvoir de substitution du préfet aux communes est indispensable, dans celles qui refuseraient obstinément la vidéo-protection pour des raisons idéologiques, pour la prévention des actes terroristes, pour la protection des installations sensibles et pour celle des intérêts fondamentaux de la Nation. Il n'y aura pas de dépense obligatoire à la charge de la commune mais le préfet doit pouvoir imposer l'installation de caméras.

Certains développements technologiques comme le système de lecture automatisée des plaques d'immatriculation ont déjà fait l'objet de dispositions législatives. Je fais étudier actuellement un régime propre aux caméras embarquées. Uniquement prises au cours d'interventions de la police ou de la gendarmerie, ces images sont destinées à être utilisées dans le cadre d'une procédure et ne sont pas reliées à une base de données.

La vidéo-protection est un outil majeur au service de la protection des honnêtes gens. Bien entendu, son développement doit s'accompagner d'une adaptation du système de contrôle. II en va d'une juste appréciation des situations locales et de la protection de la liberté individuelle. Le Gouvernement a fait des propositions que l'Assemblée nationale a retenues. Il est aujourd'hui à l'écoute du Sénat. Nous sommes à la fois déterminés à lutter contre les délinquants et profondément attachés aux libertés individuelles. Ce n'est pas l'un ou l'autre, ce n'est pas l'un sans l'autre, c'est l'un et l'autre. (Applaudissements à droite et au centre)

Mission d'information sur la tempête Xynthia (Nominations)

Mme la présidente.  - Je rappelle que les groupes ont présenté leurs candidatures pour la mission commune d'information sur les conséquences de la tempête Xynthia.

La présidence n'a reçu aucune opposition. En conséquence, elles sont ratifiées.

Prochaine séance demain, mardi 31 mars 2010, à 14 h 30.

La séance est levée à 20 heures.

Le Directeur du service du compte rendu analytique :

René-André Fabre

ORDRE DU JOUR

du mercredi 31 mars 2010

Séance publique

A 14 HEURES 30,

1. Débat sur le coût des 35 heures pour l'État et la société.

2. Question orale avec débat n° 58 de Mme Bariza Khiari à M. Éric Besson, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire sur les dispositifs de lutte contre les discriminations.

Le 18 mars 2010 - Mme Bariza Khiari appelle l'attention de M. le ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire sur le fait que les pratiques discriminatoires sont légions. Elles constituent de nouvelles inégalités. Les premières victimes sont notamment les jeunes issus de l'immigration. Ils subissent le cumul des handicaps : âge, patronyme, confession, domiciliation, couleur de peau. Toutes ces caractéristiques pourtant fort éloignées des compétences jouent en leur défaveur. Confrontés à une véritable relégation sociale et territoriale, ces jeunes considèrent le pacte républicain, socle de notre cohésion sociale, comme un « miroir aux alouettes ». Les territoires perdus de la République prospèrent sur fond de précarité, de chômage.

Lors d'un discours prononcé le 17 décembre 2008 à l'école Polytechnique, le Président de la République avait annoncé de grandes avancées dans la lutte contre les discriminations. Reprenant nombre de propositions du groupe socialiste du Sénat, il avait présenté un programme destiné à améliorer la situation des populations exclues.

Seulement, plus d'un an après ce discours, elle s'interroge sur les réalisations concrètes censées donner corps au verbe présidentiel. Le débat sur l'identité nationale a visiblement davantage stigmatisé les populations discriminées qu'il n'est venu les aider. Aucun train de mesures concrètes visant à renforcer la lutte contre les discriminations n'a été observé.

La disposition législative de 2006 sur le CV anonyme attend toujours son décret d'application. La situation est similaire concernant les Chibani, ces vieux travailleurs maghrébins venus en France dans les années 1960 et 1970. Une disposition a été votée afin qu'ils puissent percevoir intégralement le minimum vieillesse tout en ayant la possibilité de passer leur retraite au pays, le décret reste là aussi en attente. Par ailleurs, la proposition de loi adoptée à l'unanimité des groupes au Sénat sur les emplois fermés, reprise partiellement dans la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l'hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, n'a toujours pas été portée à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale. Il suffit donc de peu de choses pour que des pas significatifs soient accomplis.

Aussi, elle souhaiterait connaître les raisons pour lesquelles ces dispositions, votées par le législateur, sont restées lettre morte, faute de décret. Par ailleurs, elle aimerait connaître les intentions du Gouvernement pour traduire dans les faits les engagements présidentiels. Les parlementaires de tous bords se sont montrés soucieux par leurs votes de rendre effectifs les principes de cohésion nationale et d'égalité ; ils ont voulu s'attaquer aux discriminations faites aux jeunes et aux anciens, ils attendent désormais de l'exécutif qu'il prenne ses responsabilités