Saisie et confiscation en matière pénale

M. le président.  - L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.  - Cette proposition de loi facilitera l'action de la police et de la justice : elle permettra de lutter efficacement contre l'économie souterraine. Je salue l'action des forces de l'ordre et des juridictions spécialisées, qui obtiennent déjà des résultats remarquables. La modification de notre droit est d'autant plus nécessaire. Il faut que les délinquants soient privés du fruit de leurs trafics, ce qu'ils redoutent souvent plus que la privation de liberté. C'est l'objet de ce texte, sur lequel le rapporteur a effectué un travail remarquable. En 2008, le montant des biens gelés ou saisis a atteint 94 millions, soit 41% de plus qu'en 2007 ; il pourrait être beaucoup plus élevé si certaines difficultés pratiques et juridiques étaient levées.

Cette proposition de loi crée un cadre procédural spécifique et étend le champ des biens pouvant être saisis à fin de confiscation au-delà des instruments et des produits de l'infraction. La saisie des actifs des délinquants est complexe, qui investissent volontiers dans la pierre ou les placements financiers. Des difficultés pratiques et juridiques conduisent souvent les magistrats à y renoncer.

Saisies et confiscations seront facilitées par la création de l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis ou confisqués, établissement public administratif présidé par un magistrat et placé sous la double tutelle de la chancellerie et du ministre du budget. Elle agira sous mandat de justice et assurera la saisie et le gel de biens, la gestion de ceux-ci et éventuellement leur vente. Elle devrait s'autofinancer rapidement.

Cette proposition de loi tient compte de l'intérêt des victimes : elle permettra de les dédommager sur les biens confisqués.

La communauté internationale doit lutter de concert contre cette criminalité organisée et de plus en plus sophistiquée. La transposition de la décision cadre d'octobre 2006 répond à cet objectif.

Le texte permet enfin la codification de diverses dispositions en matière de coopération judiciaire.

Le Gouvernement propose au Sénat d'adopter ce texte, qui donnera à tous les acteurs de la chaîne pénale les outils nécessaires à une lutte efficace contre la délinquance organisée. (Applaudissements à droite)

M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois. - Cette proposition de loi a été adoptée par l'Assemblée nationale le 4 juin 2009. Je citerai une fois de plus Beccaria : « Pour qu'un châtiment produise l'effet voulu, il suffit qu'il dépasse le gain attendu ». Ce texte s'inscrit dans un processus de réforme engagé au niveau de l'Union européenne pour renforcer la lutte contre le blanchiment et améliorer la coopération internationale.

En France, la peine de confiscation existe déjà, mais ne peut être exécutée qu'une fois la condamnation devenue définitive. Mais plusieurs années peuvent séparer celle-ci de l'ouverture de l'enquête : le mis en cause a tout le temps d'organiser son insolvabilité et de disperser son patrimoine. En dépit des quelques textes en vigueur, les tribunaux prononcent rarement la confiscation des biens. La loi du 5 mars 2007 n'est pas totalement satisfaisante et la peine complémentaire de confiscation est difficile à mettre en oeuvre. La loi du 9 mars 2004 permet au juge des libertés et de la détention d'ordonner des mesures conservatoires, mais il ne dispose d'aucune prérogative de puissance publique et se trouve contraint d'utiliser les procédures civiles d'exécution dont il est d'ordinaire peu familier.

Certains magistrats sont allés au-delà des textes et ont saisi des biens en dehors des cas prévus par la loi, mais la sécurité juridique manque d'autant que la jurisprudence n'a jamais tranché ; la plupart d'entre eux ne le font pas. Or n'est choquant pour personne que l'argent du crime puisse être saisi.

Il fallait donc légiférer, d'autant qu'existent depuis 2002 les GIR, depuis 2005 la plateforme d'identification des avoirs criminels (Piac). Et les JIRS créées par la loi de mars 2004.

Le montant total des saisies et mesures conservatoires est passé de 51 millions en 2005 à 93 millions en 2008. Mais ces chiffres restent ridiculement faibles par rapport au montant généré par les activités criminelles.

Depuis 2001, quatre décisions cadres ont été prises par l'Union européenne pour améliorer la coopération entre États membres. L'article 10 ter du texte transpose celle d'octobre 2006.

Cette proposition de loi a trois objectifs : élargir le champ des biens susceptibles d'être saisis puis confisqués- les biens immobiliers et les sociétés civiles sont particulièrement visés ; créer une procédure pénale spéciale de saisie et de confiscation ; améliorer la gestion des biens saisis et confisqués, aujourd'hui du bricolage, grâce à la création de l'Agence.

France domaine accepte de rendre service mais le travail est imparfait.

Les auditions ont montré que cette proposition de loi était consensuelle et très attendue. Nous avons essayé de rédiger le meilleur texte possible, c'est-à-dire le plus sûr juridiquement et le plus fiable, afin d'éviter les procédures dilatoires de délinquants que l'on sait de redoutables adversaires.

Je vous proposerai en séance de confier le maximum de prérogatives au juge des libertés et de la détention plutôt qu'au parquet pour autoriser les saisies et les confiscations, prenant en cela en considération l'arrêt Medvedev de la Cour européenne des droits de l'homme qui a mis en cause la capacité des magistrats du parquet français à autoriser certaines opérations, en l'espèce des mesures de détention.

Nous avons d'autre part constaté que les criminels utilisaient beaucoup l'assurance-vie au nom de tiers pour recycler l'argent sale. La commission a prévu le gel des contrats de ces assurés pendant la durée de la procédure jusqu'à la condamnation définitive. Elle a enfin aligné le régime de la peine de confiscation encourue par les personnes morales sur celui applicable aux personnes physiques.

Je formule le voeu qu'une large majorité se dégage au Sénat pour adopter ce texte. (Applaudissements à droite et au centre)

M. Jean-Pierre Michel.  - Cette proposition de loi vient donner pleine valeur à la loi pénale en privant les délinquants du fruit de leurs forfaits. Le train de vie luxueux de certains délinquants est provocateur. Il faut donc faciliter la saisie et la confiscation de leurs biens.

Je rends hommage à notre rapporteur pour son travail qui va dans le bon sens, celui du respect des libertés et de l'État de droit. Malgré quelques améliorations, cette proposition de loi comportait encore quelques faiblesses. Il aurait fallu prévoir de façon expresse que la procédure de saisie et de confiscation s'applique aussi aux personnes morales ; nous en reparlerons avec l'amendement de la commission.

Je suis préoccupé par les atteintes au droit de propriété. Il s'agit d'un principe constitutionnel, un droit inviolable et sain, garanti par la Cour européenne des droits de l'homme. Or, plusieurs dispositions de ce texte sont contestables. L'autorité judiciaire est souvent incapable de conserver les biens en bon état ; quid si le mis en cause est innocenté ? Quid si le bien est vendu avant la décision définitive ? L'appel d'une décision de saisie n'est en outre suspensif que dans deux cas marginaux ; et aucune indemnisation n'est prévue en cas de saisie sans objet. La restitution des biens en cas de relaxe posera problème.

Plus grave : on pouvait s'étonner que le procureur puisse procéder aux confiscations et saisies, alors que c'est le juge du siège qui est traditionnellement protège les libertés individuelles et le droit de propriété. Notre excellent rapporteur a trouvé des solutions que nous examinerons.

Notre groupe déterminera son vote en fonction des amendements qui seront adoptés. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Cette proposition de loi consensuelle vise à améliorer les dispositifs existants. On peut regretter qu'il ne soit pas coordonné avec la réforme à laquelle semblent tenir le Président de la République et Mme la garde des sceaux. Mais peut-être nous apporterez-vous des éclaircissements, monsieur le ministre.

Cette proposition de loi transpose les textes cadres européens et reprend complètement l'encadrement juridique des saisies et confiscations, jusqu'à présent insuffisamment efficaces. Une agence de recouvrement gère les biens saisis ou confisqués.

Pour renforcer la lutte contre la criminalité organisée internationale, le législateur doit rendre la loi plus efficace. La saisie conservatoire est un outil utile car il prive les délinquants du fruit de leurs méfaits et évite la dissipation de leurs patrimoines. Mais tant qu'un individu est présumé innocent, on ne saurait le priver de son patrimoine. Je suis réservée sur ce point.

En ce qui concerne la coopération internationale, les infractions visées ne concernent que les atteintes aux biens et non les atteintes contre les personnes. Pourquoi ?

D'autres points méritent des éclaircissements, notamment les nouveaux articles du code de procédure pénale introduits par la transposition ; j'y reviendrai au cours de la discussion.

Le groupe RDSE attend les explications que le Gouvernement voudra bien donner. Grâce à notre excellent rapporteur, cette proposition a été améliorée. (Applaudissements à gauche)

M. Jean Louis Masson. - Ce texte est pertinent et de bon sens. Il comble des lacunes. Il n'est donc pas étonnant qu'il ait fait consensus à l'Assemblée nationale. Je m'associe aux compliments qui ont été faits au travail de la commission. Effectivement, il fallait se préoccuper de la question des assurances-vie. Les personnes morales comme les personnes physiques doivent pouvoir être mises en cause.

Cette proposition de loi apporte un véritable plus. Je la voterai.

Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. - Cette proposition de loi aura un effet dissuasif certain : elle consolide notre arsenal juridique à la suite d'autres textes déjà en vigueur.

Notre rapporteur a justement souligné que la procédure actuelle de saisie n'était pas suffisamment efficace car elle ne pouvait intervenir dès le début de l'enquête et était inadaptée à la nature des patrimoines des délinquants. C'est pourquoi le texte élargit le champ des biens susceptible d'être saisis, instaure une procédure de saisie pénale en vue de confiscation, pour libérer le juge pénal des contraintes du civil, et crée une agence pour gérer les biens saisis.

Le transfert de propriété sans indemnisation ni contrepartie est un moyen puissant de lutte contre les activités criminelles. Mais la confiscation ne peut aujourd'hui intervenir qu'une fois l'affaire jugée, ce qui permet la dissipation du patrimoine ; désormais, les autorités judiciaires pourront saisir les biens en dès le début de l'enquête. Le champ est élargi, notamment aux assurances vie. La saisie ne se limitera pas aux éléments de preuve ; ce qu'approuvent les membres de l'UMP.

L'Union européenne cherche depuis plusieurs années à lutter plus efficacement contre les activités criminelles. Notre droit a déjà rendu plus facile la saisie des biens lors d'une procédure engagée dans un autre État membre ; le texte renforce ces dispositions, qui seront plus simples à mettre en oeuvre. Le patrimoine des délinquants en France et à l'étranger sera également plus facile à identifier.

L'efficacité des peines confiscatoires passe par une bonne gestion. C'est pourquoi il est créé un EPA chargé d'administrer ces biens confisqués et saisis. Le groupe UMP votera ce texte. (Applaudissements à droite)

Mme Éliane Assassi. - Ce texte répond à un objectif louable : combler les lacunes de notre droit pénal. Il s'inscrit certes dans le discours sécuritaire du Président de la République, lequel dit vouloir mener un combat sans fin contre les bandes et avoir déclaré la guerre totale aux trafiquants. On a vu par quel fiasco tout cela se solde. Il est vrai que ce pas de deux, un fait divers, une loi, vise surtout à récupérer une partie de l'électorat d'extrême droite - avec peu de succès, semble-t-il, au vu du résultat des dernières élections régionales.

La multiplication des textes répressifs n'est pas la solution-miracle ; comme l'a dit Mme la garde des sceaux à M. Hortefeux, 40 % des incriminations pénales ne sont jamais utilisées par les juges. Cessons donc de légiférer à l'émotion et ne réformons que ce qui doit l'être.

Les délinquants ne doivent pas profiter de leurs forfaits. Pourtant, le code pénal ne permet la saisie que des biens utiles à la manifestation de la vérité. Pour une fois, nous accueillons favorablement cette proposition de loi qui renforce les possibilités de saisie pénale et élargit le champ des biens susceptibles d'être saisis. La commission des lois a prévu que les peines pourront être prononcées à l'égard des personnes morales. Comme le dit M. Hortefeux en évoquant les caïds qui se lèvent à midi et roulent en 4x4, il faut frapper les délinquants au portefeuille. Mais quid des délinquants en col blanc ? Pourquoi le ministre de l'intérieur les oublie-t-il ? La fraude fiscale coûte chaque année à la France de 35 à 50 milliards, soit l'équivalent du déficit de notre pays avant la crise.

Ce texte vise à moderniser notre procédure pénale, actuellement centrée sur l'administration de la preuve. La création de l'agence de gestion des biens saisis est une grande avancée dans la mesure aussi où elle facilitera l'indemnisation des victimes. Enfin la coopération internationale va être renforcée. Nous voterons cette proposition de loi dont toutes les dispositions sont opportunes.

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État.  - Le rapporteur a eu raison d'insister sur le fait que cette proposition de loi s'inscrit dans un continuum dont on voit les résultats et les conséquences. Ce n'est pas une création ex nihilo pour mettre de l'ordre dans une espèce de Far-West législatif. Le droit de propriété et la présomption d'innocence ? Nous voulons conjuguer efficacité et respect rigoureux du droit de propriété, monsieur Michel.

Une contradiction avec la réforme de la procédure pénale ? Je rassure Mme Escoffier : les actions judiciaires concernées seront reprises dans la réforme. Non une contradiction, une anticipation de la réforme !

M. Masson a eu raison de marquer les apports de ce texte qui renforcera l'efficacité de la lutte contre les trafics, notamment des stupéfiants.

Oui, madame Des Esgaulx, les droits des tiers seront mieux protégés, puisque les trafiquants n'auront plus le temps de dilapider les biens frauduleusement acquis.

Mme Assassi s'inquiète d'une démarche sécuritaire, mais elle reconnaît que nous ne légiférons pas sous le coup de l'émotion et que nous donnons des moyens d'agir aux policiers et aux magistrats ; nous nous retrouvons sur ce texte.

La discussion générale est close.