Article 65 de la Constitution (Conclusions de la CMP)

Mme la présidente.  - L'ordre du jour appelle l'examen des conclusions de la CMP sur le projet de loi organique relatif à l'application de l'article 65 de la Constitution.

M. Jean-René Lecerf, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire.  - Les deux lectures de ce projet de loi organique ont enrichi le texte et rapproché les points de vue. Trois questions restaient en débat : le régime d'incompatibilité spécifique à l'avocat, membre ès-qualité du CSM, les règles déontologiques et l'autonomie budgétaire du CSM.

Sur le premier point, l'Assemblée nationale estimait que l'avocat devait pouvoir exercer la plénitude de sa profession. Le Sénat s'attachait davantage à l'impartialité : qu'un avocat exerce devant un magistrat alors qu'il pourra avoir à se prononcer sur sa carrière pose problème. Nous sommes parvenus à un compromis dans un dispositif de déport renforcé. L'impartialité de la justice est sauvegardée, mais aussi les apparences. Le Sénat avait prévu la suspension temporaire ou la démission d'office d'un membre qui aurait manqué à ses devoirs. La CMP s'est ralliée à l'Assemblée nationale qui avait remplacé la suspension temporaire par l'avertissement afin de ne pas obérer l'avenir.

L'Assemblée nationale avait supprimé des dispositions permettant à chaque formation la possibilité de décider du déport d'un de ses membres. A l'initiative de M. Michel, la CMP propose que la formation elle-même s'assure du respect de l'impartialité, laissant au CSM le soin d'organiser un dispositif spécifique.

Enfin, la CMP a rétabli les dispositions retenues par le Sénat pour assurer l'autonomie budgétaire du CSM, qui doit faire l'objet d'un programme spécifique dans l'architecture budgétaire.

La CMP est donc parvenue à un texte équilibré que je vous propose d'adopter. (Applaudissements à droite)

M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice.  - Je salue le travail remarquable du Parlement. Le principal point de désaccord est surmonté : L'avocat pourra continuer à plaider, des conditions de déport étant prévues.

Appelé à renforcer la confiance de la justice, ce texte offre de nouvelles garanties d'indépendance à l'autorité judiciaire et, grâce à la saisine directe, rapproche la justice du citoyen.

Trois principes sont retenus : indépendance, ouverture et transparence. Le Président de la République ne présidant plus le CSM, la nomination du secrétaire général est adaptée en conséquence ; six personnalités qualifiées siègent au CSM, dont les attributions sont élargies : il donnera un avis sur les nominations prononcées en conseil des ministres.

La saisine directe constitue une innovation, tout en préservant la stabilité du système judiciaire. Le texte, qui s'inscrit dans la logique de la réforme constitutionnelle, confortera l'indépendance de notre justice d'aujourd'hui, moderne, transparente, fiable, fière de ses valeurs, consciente de la nécessaire exemplarité des magistrats, proche des justiciables, au coeur de notre démocratie. La confiance des Français en sortira renforcée. (Applaudissements au centre à droite et au banc des commissions)

Mme Anne-Marie Escoffier.  - Ce projet de loi organique traduit deux avancées majeures : l'indépendance du CSM et l'ouverture de la saisine à tout citoyen. Je regrette que ce texte n'ait pas été l'occasion de régler le statut du parquet : le maintien du lien avec la Chancellerie alimente les soupçons. Il faudra mettre fin à cette proximité douteuse.

Je ne reviens pas sur l'absence de parité au sein du CSM, qui contrevient à deux recommandations du Conseil de l'Europe.

L'interdiction de plaider pour l'avocat, les dispositifs de sanction, l'autonomie budgétaire du CSM restaient en discussion.

La situation de l'avocat n'est pas comparable à celle des magistrats, soumis à des obligatoires statutaires. Un avocat conservant la possibilité de plaider devant des magistrats dont il pourrait connaître en matière disciplinaire pose problème. La Cour européenne des droits de l'homme tient compte, je le rappelle, de l'apparence de l'impartialité. En quatre ans, l'avocat sera conduit à connaître de la situation de presque tous les magistrats. Nous aurions préféré l'interdiction pure et simple de plaider, afin de lever ab initio tout soupçon ; je regrette qu'elle n'ait pas été retenue. L'impartialité des délibérations du conseil pourrait en être entachée.

En matière disciplinaire interne au CSM, la solution retenue évite de stigmatiser l'intéressé.

Sur l'autonomie budgétaire, l'expérience montre que la dotation du CSM ne couvre pas ses frais de fonctionnement. Il n'est pas bon qu'il dépende de la direction des affaires judiciaires. Le Sénat a obtenu que la loi de finances fixe directement la dotation du conseil, confortant son indépendance.

Le groupe du RDSE regrette que le CSM ne donne qu'un avis pour les magistrats du parquet. Le délai de saisine par les justiciables est trop bref.

Pour toutes ces raisons, les membres du groupe du RDSE confirmeront leur vote : la grande majorité s'abstiendra, une minorité votera pour.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.  - Nous étions favorables à une réforme voulue par les magistrats eux-mêmes mais nous ne pouvons donner notre aval à un texte qui ne renforce son indépendance qu'en apparence.

La saisine directe est un progrès mais le dispositif ne tient pas ses promesses. L'autonomie des décisions du CSM n'est pas garantie. Le Président de la République nommera deux personnalités qualifiées et le secrétaire général.

Les incompatibilités ne renforcent pas la légitimité des avocats siégeant au Conseil. Nous souhaitions son élection par le conseil national des barreaux. L'avocat pourra continuer d'exercer sa profession : nous regrettons que la position du Sénat n'ait pas été retenue. Nous réclamions l'avis conforme du CSM pour la nomination du secrétaire général : cela n'a pas été retenu.

La formation plénière, initialement, ne devait répondre qu'à des demandes portant sur des atteintes à la justice. Nous craignons l'instrumentalisation par l'exécutif.

Malgré le rétablissement de l'autonomie budgétaire, notre avis reste négatif sur ce texte et nous confirmerons notre position de première lecture en votant contre.

M. Jean-Pierre Michel.  - La CMP est parvenu à un accord grâce au Sénat et aux parlementaires socialistes, qui ont soutenu notre rapporteur pour des améliorations substantielles. Cela n'a pas été le cas pour le statut de l'avocat membre du CSM, mais nous nous sommes heurtés au corporatisme effréné de certains députés.

Le CSM obtient l'indispensable autonomie budgétaire et fonctionnelle envers la direction générale des services judiciaires. Reste que ce texte demeure insuffisant sur beaucoup de points.

Le groupe du RDSE, nous a dit Mme Escoffier, s'abstiendra. Il aurait pu aller au bout de ses convictions, mais ce n'est pas son habitude...

Le texte n'aligne pas le statut des magistrats du parquet sur celui des magistrats du siège, préalable indispensable à une réforme de la procédure pénale.

Suppression du juge d'instruction ou réforme de la garde à vue, rien ne sera possible sans ce préalable. En Allemagne ou en Italie, le parquet est indépendant.

Depuis trente ans, aucun gouvernement n'a eu le courage d'une réforme digne de ce nom : le politique reste frileux lorsqu'il s'agit d'accroître les marges de manoeuvre des magistrats et de la justice. Nous voterons résolument contre ce texte. (Applaudissements sur les bancs socialistes)

M. Christophe-André Frassa.  - La révision de 2008 modernise nos institutions pour promouvoir la démocratie. Conformément à cette logique, le texte met en place la saisine par le justiciable et renforce l'effectivité de l'accès à la justice : le groupe UMP s'en félicite.

Trois points restaient en discussion. Nous suivons notre rapporteur sur les fonctions de l'avocat au Conseil, afin de lever tout doute sur l'impartialité des décisions de justice. Nous étions favorables au déport : l'avertissement lui a été préféré, la décision revenant à la formation concernée.

Nous nous félicitons de la place donnée au CSM dans l'architecture budgétaire.

Je salue l'excellent travail de notre rapporteur, qui a amélioré un texte rapprochant la justice du citoyen. Le groupe UMP votera pour. (Applaudissements à droite)

En application de l'article 59 du règlement, les conclusions de la CMP sont mises aux voix par scrutin public.

Mme la présidente.  - Voici les résultats du scrutin :

Nombre de votants 340
Nombre de suffrages exprimés 326
Majorité absolue des suffrages exprimés 164
Pour l'adoption 186
Contre 140

Le Sénat a adopté.

(Applaudissements à droite)